Qui se sauve du soleil, aura toujours froid.

Jérôme se trouvait à Etherna, se préparant pour se rendre au tournoi à Serramire en compagnie de Guillaume, Mathilde, Lyse et des chevaliers qui les accompagneraient avant de regagner Oësgard et d'enfin débuter sa nouvelle tâche. Il avait réglé les dernières affaires importantes, il avait donné Hiviène à Mathilde et la régence d'Etherna à Guillaume vu le peu de temps qu'il aurait à lui donner dans le futur. Un messager vint alors annoncer qu'un émissaire du sud voulait lui parler; Jérôme allait rétorquer qu'il fallait s'adresser à Guillaume maintenant mais on lui indiqua qu'il s'agissait d'un Anoszia. Cette famille était étonnante, elle avait d'abord apporté son soutien à Jérôme pour sa campagne du nord en lui envoyant des hommes en même temps que la couronne qui avait envoyé une compagnie, étonnamment dirigé par l'un des membres de leur famille. A moins que l'aide ne fut que pour veiller au final sur cet héritier. Après la tentative d'assassinat sur Oschide, celui-ci avait disparu et les ydrilotes aussi. Lorsqu'il avait entendu parler à nouveau de l'ancien capitaine, il avait épousé la duchesse de Langehack. Les Anoszia avait aussi survécu à une tentative de renversement par le jeune comte d'Ydril qui avait essayé de s'émanciper d'une manière surprenante et pas adéquate. Ils montaient en puissance et ils n'étaient pas à prendre à la légère. Jérôme se souvenait du mariage qui lui avait été proposé avec Azénor d'Anoszia. Si les choses ne s'étaient pas passée comme ça, peut être que les deux familles seraient liées. Jérôme décida donc de l'accueillir comme il se devait.

Le jour de l'entrevue, Jérôme se tenait sur son siège mais il n'était pas seul, son frère se tenait à ses côtés. En effet puisque c'était maintenant lui le régent, il était normal qu'il soit présent, il était temps d'officialiser la chose ailleurs que juste dans la baronnie. La surprise fut de taille lorsque l'émissaire, un certain Francesco d’Anoszia, indiqua qu'il était venu parler, non pas au nom de sa famille, mais pour la couronne. Il n'était un secret pour personne, un message ayant été envoyé à tous, que le sud revendiquait avoir Bohémond, l'ancien roy, sous leur coupe. Pourtant Sainte-Berthilde attestait que c'était un faux et que le vrai était mort. Comment savoir qui disait vrai dans cette foire d'empoigne. Le baron fronça les sourcils tout en invitant Francesco à s'approcher et à prendre place sur une chaise qui était en train d'être apporté

"Le plaisir est partagé, sire Francesco, votre famille m'est chère et je vous écoute. Je tiens à vous préciser que mon frère Guillaume à été désigné comme mon régent vu les responsabilités qui me sont dévolues dans le nord. Mais la couronne, rien que ça ? vous avez toute notre attention."

Avant de dire ce qu'il savait, il préférait apprendre ce qu'on avait à lui dire. Il n'était jamais inutile d'écouter plusieurs versions de la même affaire, cela permettant un regard autre que celui de la personne qui vous l'avez relaté.

Guillaume se tenait aux côtés de son frère aîné, assis à même ce siège qui lui était attribué, son bras droit à même l'accoudoir tapotant de son index sur le bois en bout de chemin. Son siège se trouvait déporté de deux bons mètres, légèrement tourné vers les deux protagonistes, ayant à loisir la capacité de les observer sans avoir à trop se tordre le cou, la salle n'avait rien de si impressionnante, mais elle accueillait tout de même une table basse présentait au devant des deux frères, se trouvant en face d'eux un troisième siège en velours et bois, rembourré de laine et ainsi fort confortable. Alors que le dit Francesco d'Anoszia s'approchait Guillaume eut le réflexe de se redresser, l'observant avec moins de nonchalance qu'il n'en annonçait.

-C'est un plaisir de vous rencontrer votre honneur. Nous sommes ici au nom de la Couronne, et nous aimerions nous entretenir à ce propos.

Au moins l'on ne tergiverserait pas des années pour arriver au but, il était tout annoncé.

-Le plaisir est partagé, sire Francesco, votre famille m'est chère et je vous écoute. Je tiens à vous préciser que mon frère Guillaume a été désigné comme mon régent, vu les responsabilités qui me sont dévolues dans le nord. Mais la couronne, rien que ça ? Vous avez toute notre attention.

Il ne dit mots pour l'instant, observant calmement l'Anoszia, au traits félins et burinés.

-Messire régent, ravi de vous rencontrer, le salua-t'il, toujours courtois en s'inclinant légèrement en sa direction, Guillaume lui répondant d'un hochement de tête avant de répondre calmement.

-Le plaisir est partagé... Venons-en donc à ce pourquoi vous êtes venus voulez-vous ? Je doute que vous souhaitiez patienter bien plus longtemps.

Alors qu'il voyait le visage du neveu Anoszia se froisser légèrement avant d'entreprendre son long discours, Guillaume glissa sa main sur son menton, l'observant d'un de ces regards qui vous en dit long. Guillaume était un de ces hommes qui ne croit que ce qu'il voit, aussi en faudrait-il beaucoup pour le convaincre, bien que son frère n'en demandait pour son cas pas tant, Guillaume jouerait le sceptique pour deux.

-Votre honneur, la Couronne existe toujours, et notre roi légitime est Bohémond Ier. Il existe malheureusement des gens dans ce monde prêt à calomnier pour arriver à leurs fins. Je pense notamment à Godefroy de Saint-Aimé, cousin d'Arsinoé qui peut servir ses desseins et devenir marquis a inventé un "Bohémond".

Guillaume avait entendu bien des histoires à ce sujet, ce roi disparu, toutes ces conneries qui n'arrêtaient pas un seul instant, la course au pouvoirs des plus petits, incapable de faire preuve d'un peu d'humilité... Cependant ce que disait là Francesco avait un certain attrait. Si tel était la vérité que ce bambin qu'ils prétendaient être Bohémond Ier était bel et bien en leurs possession, cela donnerait en effet bien des droits à ces gens, et il valait toujours mieux se trouver du côté des gagnants. Sa famille avait bien trop souffert des erreurs passées, et ces petites relations diplomatiques étaient de celles qui se devaient d'être correctement entretenue, et surtout prise avec des pincettes tant l'info pouvait vous brûler les doigts. Aussi fronça-t'il d'avantage ses sourcils, non convaincus des dires.

-Il est de notoriété publique que Godefroy lors de la Guerre de Sainte-Berthilde ne s'est pas rangé du côté d'Arsinoé, afin de pouvoir profiter d'une victoire d'Anseric de la Rochepont afin de devenir Marquis. Il me semble d'ailleurs que vous aviez participé à cette guerre aux côtés de la légitime marquise, et nous saluons votre bonne action.

Et allons que l'on noyait le poisson de petites flatteries et détournement de la véritable question... Prétendre est une belle chose, et ce fut prouvé bien des fois que les divers prétendant détenir Bohémond ne furent qu'une bande d'opportunistes... Guillaume continua cependant d'écouter l'homme, sans pour autant se détacher de chacun de ses mots.

- Messire Baron, afin de sauver la royauté et les institutions de notre royaume tout en gardant notre honneur d'hommes de parole, la Couronne a été déplacé de Diantra à Soltariel. Un conseil de régence s'est mis en place pour gouverner au nom de Sa Majesté, et ce conseil regroupe les hauts-dignitaires du royaume. Le Nord, incluant vous et votre suzerain êtes resté silencieux à propos des rumeurs et de la Couronne. Il est connu à présent que La Ligue se déclare détachée du Royaume, mais qu'en est-il d'Etherna.

Bien... Son long monologue s'était enfin terminé, il se redressa, observant son frère comme pour savoir s'il pouvait prendre la parole, avant de se tourner de nouveau vers Francesco d'Anoszia, ayant eu l'accord préalable il prit parole.

-Vous avez bien révisé votre histoire proche, c'est une qualité que de savoir ainsi faire preuve d'éloquence, et je ne peux nier que vous m'avez presque noyé dans vos palabres. Avant toutes choses, avant que nous ne prononcions quoi que ce soit, je crois qu'il est de bon ton de savoir, si vos prétentions sont aussi légitimes que vous le prétendez. Cet enfant que vous gardez en Soltariel, loin de nos regards, comment pouvons-nous être sûr qu'il est bien Sa Majesté Bohémond Ier ? Ne voyez pas en mes mots une quelconque remise en doute de votre franchise, peut-être vous même avez-vous été abusé par les belles paroles que vous semblez si bien manier, cependant... Comment s'investir dans une entreprise dont nous ne connaissons pas tout les tenants et les aboutissants ?

Il avait parlé calmement, regardant Francesco avec respect et même une certaine intrigue, si ce qu'il prétendait était vrai, alors n'aurait-il pas dû s'investir auprés du Marquis lui même ? Après tout, il suivait leurs suzerain, et il était fort probable qu'un émissaire de son acabits discutait en ce moment même avec celui-ci. Mais toutes ces intrigues politiques, cette main mise sur un Roi encore bien trop jeune pour s'être forgé un esprit, cela n'annonçait rien de bon. Les Anoszia's avaient maintes fois prouvés leurs qualités concernant les mariages arrangeants, d'autant qu'ils restaient une famille des plus impressionnantes. Autant par la quantité de ses membres que par leurs attributions.

Guillaume était intervenu, prenant sa place de régent comme il le fallait, tirant un sourire à Jérôme de le voir franc et impatient, il lança Francesco sur la raison de sa visite. Ainsi donc, il était venu plaider pour la couronne et demander à Etherna sa position sur le sujet. En même temps, vu la situation du moment et l'éclatement, nul doute que le sud devait chercher tous les soutiens possibles afin d'avoir le poids de ses ambitions. Une fois terminée, guillaume se tourna vers son frère pour lui demander l'autorisation muette d'intervenir, ce que l'ainé lui accorda puisqu'il était dorénavant le régent. Jérôme était le baron en titre mais marcher sur les plates bandes de son frère n'était pas ce qu'il souhaitait. De toute façon, il repartirait bientôt pour le nord et les responsabilité qu'il aurait la bas ainsi que le chantier qu'il héritait le tiendrait occupé pour un long, très long moment. Non qu'il se désintéressait de la baronnie mais il faisait confiance à son frère et lui couper l'herbe sous le pied ne serait pas la meilleure chose à faire. Encore moins avec cette histoire de mariage arrangé qui avait jeté un froid entre les deux. Guillaume récapitula très rapidement les questions fondamentales. Jérôme se permit de rajouter une couche et de tenir son rang de baron

"Le sujet est épineux, vous en conviendrez et mon frère met le doigt sur une question fondamentale à laquelle j'attends votre réponse. Comment savoir si vous détenez le vrai Bohémond ? J'ai vu le marquis de Sainte-Berthilde, Godfroy de Saint-Aimé, il m'a affirmé pouvoir reconnaitre le roy, son neveu et il m'a garanti qu'il était décédé en ses murs. Quelle preuve pouvez vous amener au fait qu'il s'agit du véritable roy et non d'une doublure ?"

Tout le monde était maintenant suspendu aux mots de Francesco mais Jérôme rajouta quelque chose afin de lui apporter une réponse tout de même

"Votre question sur la position d'Etherna m'intrigue par contre, Odélian est notre suzerain et la baronnie se doit de suivre le marquisat."

Francesco d'Anoszia

Francesco regard tour à tour le baron puis le régent, la tête de ce dernier ne lui revenait pas. Il était chevalier qui suivait son instinct et quelque chose lui disait qu’il ne retirerait rien de cette discussion à trois. Il avait exposé ses points, les deux frères allaient peut-être en parler entre eux. Francesco s’adressa alors à Jérôme de Clairssac après un silence gêné. « Votre Honneur, vous êtes un ami de la famille et la famille répond toujours à l’appel de ses amis.» La phrase sonnait un peu comme organisation mafieuse mais Francesco n’y prêta pas attention. Il continua en s’adressant au baron. «Je vais vous laisser en discuter avec votre frère, encore jeune en politique, peut-être pourrions nous nous entretenir en privé tout les deux ou à une prochaine rencontre au tournoi de Serramire. Entre temps Votre Honneur je ne saurais dire si mon mal de crâne ou l’air du nord qui m’oblige à me retirer, mais je me dois de tirer révérence.» Francesco s’inclina légèrement vers Jérôme puis sortit de la salle. Etherna ne lui semblait pas encore prête à jouer dans la cour des grands et il ne saurait dire pourquoi sa famille estimait tant le baron. Quoi qu’il en soit, le silence l’ayant gêné plus que de raisons, peut-être l’irritation après un si long voyage, Francesco n’était pas près pour poursuivre les discussions.

Spoiler: