Le départ d'un ami [PV Halandarin]

Camp Elfe, Eraïson
Oglicos de la Septième Ennéade
8e année du onzième cycle

Premier jour d’éveil complet. Le contrecoup de la bataille et des soins pèse toujours lourd sur tes épaules, mais au moins es-tu capable maintenant qu’il s’est quelque peu étiolé de le soulever, et de soulever ta carcasse épuisée. Voilà plusieurs jours que tu n’as pas fait plus de que de péniblement t’asseoir lorsqu’il fallait boire et manger, et à peine poser le pied à terre pour ne pas perdre la coordination entre ta tête et tes pieds. Tu te retrouvais à nouveau petit enfant à faire tes premiers pas, chancelant, obligé de t’accrocher à la moindre aspérité pour ne pas tomber, mais un sourire grand comme le soleil aux lèvres. À la différence d’un petit enfant cependant, ce n’était pas la découverte qui faisait ta maladresse, mais bel et bien la douleur, et si d’acharnement tu obtins ton  ticket de sortie des dispensaires, il était hors de question que l’on te laisse pour autant sans surveillance.

- Tu es sûre de ne pas vouloir que je la porte moi-même ?
- Oui, j’en suis sûre. Toi tu es blessé, moi je suis là pour m’occuper de toi, alors laisse-moi faire.
- Elle est plus encombrante qu’elle n’est lourde tu sais. Je pourrais au moins t’alléger de quelques pièces.
- Pour qui est-ce que tu me prends ? Tu es au régime effort minimum je te signale, alors je te le répète, laisse-moi faire.

Rien au monde ne saurait dissuader Helinquë d’accomplir une tâche qu’elle s’est mise en tête de réaliser, et en cela, tu dois bien dire que tu te reconnais chez elle. Anorndellon ne se rend certainement pas compte à quel point il est doué quand il s’agit de appairer soigneurs et blessés. Si la personnalité de la jeune Taledhelle se révélait aussi explosive que tes premiers instants avec elle te l’ont laissé imaginer, et si tu continuais sans cesse d’essayer de prendre pour toi les efforts qu’elle voulait réaliser, les prochains jours risqueraient d’être moins reposants qu’ils ne le devraient.

- C’est bon, on y est.
- Et bien, il était temps.
- Je t’ai proposé plusieurs fois de t’alléger la tâche pourtant.
- Mais qu’est-ce que tu racontes ? Moi je disais ça pour toi ! Hors de question de te laisser forcer bien plus que ça ! S’il avait fallu marcher dix mètres de plus, je me serais retrouvé obligée de tout annuler et de te mettre au repos forcé.
- Il en aurait fallu plus que ça pour que je ressente le besoin de dormir tu sais.
- Quand il s’agit de sommeil, je sais être convaincante.

Et tu imagines très bien de quelle manière elle aurait procédé. Bienheureusement pour ton libre arbitre, vous entriez finalement sous la toile qui ta servi d’abri durant tes premiers instants dans les camps, la tente de ton ami Halandarin… qui n’était visiblement pas à ses quartiers. Dans le vide absolu quant aux événements ayant suivi ton passage aux dispensaires, tu ne peux t’empêcher de t’inquiéter. À aucun moment tu n’as eu l’occasion de voir le Toer Tamindal passer la porte des mouroirs et maintenant voilà qu’il n’était pas ici. Tu oses espérer qu’il soit ailleurs dans le camp, sans pour autant pouvoir t’empêcher de penser que la guerre aura pris le meilleur sur lui.

Halandarin ne peut pas avoir perdu la vie sur le champ de bataille. Ce n’est pas possible. Il est trop coriace pour ça.

Ses apprentis, eux ils devraient savoir. Alors tu profites que l’un d’entre eux soit venu délester Helinquë de sa charge, et récupérer l’armure que t’as forgé le Maître de ces lieux pour poser la question dont la réponse est tant redoutée.

- Salutations, Taminësse ; et merci de m’avoir débarrassé de tout ça ; Vous sauriez où est-ce que je peux trouver Halandarin ? Je n’ai pas eu l’occasion de le revoir depuis la bataille.

Tala'Diön, le Taminësse en question, se tenait devant l'Ami de son Maître, et une demoiselle. Son regard bifurquait sur les deux personnes présentes, quelques peu intrigué. Et le visage légèrement inquiet.

Ses bras, chargés du poids de l'armure que transportait auparavant la Dame, se délestèrent de l'armure sur la grande table d'acier forgé, déplacé ici pour l'occasion... C'était là la seule chose qui restait dans cette tente mise en désordre. Plus particulièrement vidée du matériel de leurs maître... L'armure n'était plus présentes, ses armes non plus.

- Salutations, Taminësse ; et merci de m’avoir débarrassé de tout ça ; Vous sauriez où est-ce que je peux trouver Halandarin ? Je n’ai pas eu l’occasion de le revoir depuis la bataille.

- Salutation. Je vous ai déjà vu, une fois à la Forge. Vous êtes un ami du Toer Tamindal. Il passa une main dans sa nuque avant de croiser ses bras dans son dos, comme le ferait un militaire au repos, avant d'observer plus en détail les deux personnes. Il... Il n'est apparu que deux fois depuis la bataille. La première, il avait fait ramener le Loup de la Protectrice d'Ardamir... Nous lui avons conseillé de l'attaché à un arbre. Il l'a fait à contre-coeur. La deuxième, c'est lorsqu'il est revenu du mouroir, d'un pas pressent... Il était mal en point, pas physiquement, disons simplement... Qu'il ne semblait plus faire confiance à qui que ce soit... ?

Le jeune forgeron observa les alentours, les invitants à pénétrer plus loin dans cette tente... Montrant l'état de celle-ci. Une chaise retournée, un meuble de bois brisé, des plans étalés par endroits.

-Il est revenu.. Fou de rage... Il ne semblait pas supporter rester ici plus longtemps..Il... Il s'est harnaché de son armure, et... Et il est allé détaché la bête seul. Il baragouinait des choses incompréhensible... Comme quoi ce serait ce que la Dame voulait... Il... L'elfe vint redresser une chaise. Cela fait un moment qu'il a disparu... Le jour même où la protectrice a....Enfin.. L'annonce s'est déployée dans le camps, nous avons eu vents de la folie des quelques protecteurs. Il baissa le regard, toujours aussi inquiet. Il était revenu, couvert de sang, son bras droit , l'armure qu'il portait, avait cédée... Il n'a fait que demander des soins express et s'est emparé de tout son matériel... Il a demandé aux Pères des Forges de se rassembler. Il leurs a donnés des ordres.

Il déglutit un peu. Le visage désolé vers Estiam.

- Il n'a pas fais savoir où il allait. Il a juste donné les ordres, de suivre les armées, de continuer d'aider... "Ceux qui le méritaient encore"... A-t'il dis... Ce sont ses mots. Il vint prendre le gantelet d'acier déchiqueté, le déposant sur la table de fer, encore teinté de sang séché. C'est tout ce qu'il a laissé. Il disait ne pas avoir besoin d'une armure incapable de le protéger. Il... Il a été assez fou pour détacher cette bête ! Elle était folle, elle n'arrêtait pas de se débattre la chaîne que l'on lui avait mis avait commencé à scier le tronc de l'arbre..SA robe blanche était teintée de sang. Son sang. Le Toer Tamindal ne supportait pas cela...Il a... Il a décidé d'y aller seul, aucuns d'entre-nous ne voulait prendre la responsabilité de le détacher. Et... Il est partis après ça. Avec son sac. Il... Il ne me semble pas qu'il ait laissé quoi que ce soit de plus...

Le gantelet, déchiqueté sur sa surface supérieur, laissait la marque de crocs immenses, les doigts métaliques étaient refermés sur quelque chose, que le jeune forgeron n'avait pas encore remarqué... Il se dirigeait déjà vers la sortie, s'excusant de multiples fois. Il n'avait pas compris leur maître... Pourquoi serait-il partis ainsi ? Qu'avait-il ressentis ? Il y avait tant de travail, tant de choses à faire qui auraient pu le soutenir, lui qui aimait tant battre l'acier..

Halandarin… l’incorrigible Halandarin. Il doit être le dernier nom que tu t’attendais à entendre associé à celui de Randil, et pourtant. L’incorrigible Halandarin devait être le seul et unique elfe de ce camp à être capable de maîtriser le loup géant de simple force brute. Seulement pour cette fois, si ce que dit le forgeron s’avère vrai, tu aurais volontiers donné raison à l’incorrigible devant la masse. Enchaîner Randil, en particulier dans l’état dans lequel il se trouvait, et loin de sa maîtresse et mère, était une bien mauvaise idée. Tu éviteras cependant soigneusement de le mentionner à haute voix, conscient de la peur qu’à du engendrer la créature tant qu’elle fut en liberté dans le camp. Au moins, le Maître des Forges allait bien. Ou du moins, il était en un seul morceau. C’est ce qui comptait le plus.

- Il en aurait fallu plus que quelques Noirelfes et leurs abominations cadavériques pour venir à bout de lui…

Parce que les Noirelfes et les abominations cadavériques ne parlaient pas, ils utilisaient le langage de la guerre et frappaient jusqu’à ce que mort s’en suive. Tant qu’il fallait frapper, tant qu’aucun mot n’était prononcé, alors Halandarin s’en sortirait. Il était son plus grand ennemi. Sa hargne était sa plus grande ennemie. Que des mots le touchent sur son point sensible, ou que des actes portés à ses yeux rallument les flammes d’un mauvais souvenir, et il redeviendrait celui qu’il a été durant votre escapade. Ou pire encore.

Désolé de ne pas pouvoir rester debout face à l’apprenti forgeron, tu prends places sur la chaise qu’il vient tout juste de remettre en place, aussi précautionneusement qu’un vieil homme et avec la bienvenue assistance d’Helinquë. Tes craintes redoublent d’intensité à la vue du capharnaüm que ton ami a fait de sa suite. Quelque part, la vue du bois brisé, du mobilier renversé et des étals effondrés t’invoque un peu de jalousie. Tu aurais aimé ressortir de cette bataille en état d’en faire autant. Être physiquement second de Velicënor et du Toer Tamindal est une chose dans laquelle tu avais fini par trouver une certaine fierté… et tandis qu’Halan redouble visiblement d’ardeur, tu peines à soulever ta propre masse. Mais la véritable raison pour laquelle tu maudis son endurance, ce que l’état de rage dans lequel il se trouve est propice à le faire tuer.

Halandarin est habituellement plus qu’un brin téméraire. Fou de rage, il deviendrait bien vite suicidaire.

- Je seconde sa vision. Halyalindë aurait voulu que le loup soit libre. Le loup méritait d’être soit libéré, soit emmenée à sa maîtresse tu soupires Vous avez de la chance qu’il n’y ait pas eu plus de dégâts. Relâcher un animal qui a été ainsi contenu n’est pas la plus grande des idées.

Tu laisses un triste sourire d’agripper le visage. Le Toer Tamindal a tout pris. Tout ce à quoi il tient. Tout ce dont il a jugé avoir besoin. Le reste il l’a soit légué soit délégué, et si ce que ton instinct te porte à croire est vrai, alors le conseil des Forges se rassemblera parce que son titre fait partie des choses qu’il a décidé d’abandonner. Halandarin est parti, sans dire au-revoir à personne. Il savait qu’au-revoir serait un mensonge, et qu’adieu ferait trop mal. Alors il est simplement parti.

- Il ne compte pas revenir cet imbécile. Tu roules des yeux, intimant à l’apprenti de ne pas s’en faire J’espère simplement qu’il ne compte pas se faire tuer.

Et en ton cœur tu fais une prière à la Déesse, que la Symphonie lui porte tes adieux où qu’il soit, que tes frères et tes sœurs aux veuilles dansantes guident ses pas, pour ne point qu’il s’égare. Ce grand con. Même s'il on doit jamais se revoir, crèves pas imbécile. Voilà ce que tu aimerais que l'Anaëh lui dise à ta place.

-Il... N'a pas fait part d'un retour, en effet... Mais il a bien précisé une chose.

Il soupira longuement.

-"Aucun sombre crétins ne pourrait prétendre au titre de Toer Tamindal tant que ma mort ne serait pas avérée"... Et je sais que bien des notre préféreraient parfois le voir mort... Il a précisé qu'il enverrait des faucons tout les mois, pour préciser qu'il était toujours en vie. Il... Préfère s'éloigner de nos terres quelques temps.

Le jeune forgeron soupira de nouveau, légèrement amusé.

-Il a même dit qu'il voulait un peu de calme. Je n'en ai pas cru mes oreilles... Je ne m'inquiète pour le Toer Tamindal que d'une chose... Que la haîne qui le ronge ne le... Pousse à des extrêmes.

Personne n'était dupe, cela se voyait, chaque jours, le Toer Tamindal était rongé par la haîne, et cela depuis bien des siècles. Si peu en connaissaient la raison, pour ne pas dire personne.

- C’est qu’il m’a l’air bien sympathique ton ami dis-moi.

La guérisseuse ne peut s’empêcher une pointe de sarcasme, et pour tout dire… loin de toi l’idée de lui en tenir rigueur. Si Halandarin avait pu arriver là où il était aujourd’hui, c’était en grande partie grâce aux comportements extrêmes qu’il est capable d’adopter. Que ses attitudes soient parfois questionnables tu veux bien l’admettre, mais un homme fait ce qu’il doit et ce qu’il peut pour rester en vie.

- Halandarin est déjà un sacré numéro en temps normal tu te relèves douloureusement mais sachant son état actuel je ne peux que te laisser imaginer les traits qui se seront exacerbés.

Quand tu auras subi le rejet de tes pairs, tu te seras forcé à leur prouver ta valeur jusqu’à ce que finalement ils se voient forcés de t’accepter. Pour aussi longtemps que tu as vécu en la compagnie des elfes tu n’as jamais fait que chercher tant à prouver les points sur lesquels tes convictions ne sauraient flancher qu’à combler les failles qu’ils t’ont présenté. Parfois il t’est arrivé de leur en vouloir, parfois il t’est arrivé de les trouver stupides ou même attardés, mais jamais ce sentiment n’aura réellement duré, parce que l’amour que tu portes pour ton peuple, rien ne saurait l’effacer. Pour le forgeron par contre, tout n’était pas aussi simple. D’autres expériences, un autre entourage, de lourdes pertes, une attache plus faible à la Symphonie et il devenait bien facile pour lui de renier ses origines.

Tu te retournes vers l’apprenti forgeron, rapidement rejoint par ton accompagnatrice qui sans demander son reste vient presque te forcer son aide. Le rictus désabusé qui coule sur ton visage pourrait autant lui être destiné à elle qu’à ton ami Toer Tamindal.

- On ne peut qu’attendre les faucons et espérer.

Espérer, à partir du moment où tu t’en irais, c’est bien tout ce que tu pourrais faire.