Désespérance et errance. | Libre [Terminé]

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La nuit tombait en ce treizième jour du mois de Karfïas, il faisait doux malgré un ciel plutôt nuageux. Les torches accueillaient des flammes dansantes, éclairant ainsi les divers chemins du jardin du Palais Seraphin. Maélyne était seule, et d’un pas devant l’autre, parcourait ces allées vidées de ses visiteurs, tous occupés à profiter de l’énième banquet proposés par le Marquis de Serramire.

L’humeur à la fête l’avait quittée. L’hésitation de l’avoir ressentie ne serait-ce qu’une fois depuis son arrivée à la capitale s’empara soudainement d’elle. De jolies rencontres furent faites, il ne fallait pas le nier, mais tant d’autres lui étaient familières tout en étant étrangères. Proches mais pourtant si loin…

L’immense bâtisse s’éloignait de plus en plus au gré de la lente allure qu’elle s’imposait. L’envie de courir, de s’enfuir, ne l’avait point quitté depuis des jours, et cela pouvait aisément se comprendre si on s’accordait un peu de temps pour écouter son histoire.

Les cheveux lâchés, la Dame portait une robe tout en simplicité, comme elle les aimait. La couleur de celle-ci ne serait pas une mince affaire à déterminer alors que la lumières des torches s’appauvrissait.

La noirceur de la nuit qui l’entourait de plus en plus la plongea petit à petit dans une certaine angoisse qu’elle adorait tant. Le bruit se fit rare. Les rires et les cris des gens festifs disparurent pour laisser place aux bruissements.  

Le vent fit voler quelques mèches tout en faisant craquer quelques branches d’arbres. Les yeux fermés, une grande inspiration fut prise. Puis, ses lèvres s’entrouvrirent, laissant échapper un chant. Sa voix, mélodieuse… enchanteresse… jamais révélée à quiconque sous cette forme, s’empara des alentours déserts. Les paroles furent prononcées dans le patois local, celui des Lourmellois. Néanmoins un peu compréhensible des Nordiens, un quelconque Médians ou Sudiste n’y comprendrait mot.

La chanson comme remède, la solitude comme délivrance.

Assise, son chant avait résonné assez longuement. Répétant sans cesse certaines rimes. Mais elle finit par se lasser de chantonner sans cesse, de se ressasser ce refrain qui la hantait tant. En se relevant, ses lèvres se figèrent et plus aucun son de sortit de sa bouche. Un pas devant l’autre, la Dame continua sa route. Il n’y avait plus de torches qui éclairaient celle-ci. La jeune femme dû alors en saisir une qui l’accompagnerait dans sa promenade nocturne.

Quelques minutes passèrent lorsqu’elle arriva au pied du lac, toujours entourée de ce silence qu’elle s’était imposée. Longeant la rive, le palais ne semblait être qu’un lointain souvenir désormais.  Une formation rocheuse se présenta sur son chemin. Elle la reconnu aussitôt pour avoir vu quelques enfants sauter de son haut, plongeant ainsi dans l’eau du lac qui servait parfois de bassin de natation les jours de fortes chaleur. A son sommet, doucement, elle s’installa, posant la torche derrière elle, à une bonne portée, risquant ainsi de l’éteindre.

Grâce à la luminosité qu’offraient encore les flammes, la Dame aperçut un faible reflet de son visage à la surface de l’eau stagnante du lac. Son esprit était embrouillé de questions, cette voix ne la quittait plus. Et c’est dans un geste de désespérance et de liberté qu’elle se laissa tomber. La chute fut plutôt douce grâce à l’eau qui l’accueillit avec la tendresse d’une mère qui berce son nouveau-né. Les yeux fermés, le visage plutôt serein, aucun membre de son corps ne bougea et les flots finirent par l’emporter. La berceuse se fit plus intense, plus présente. L’obscurité du fond l’entrainait doucement mais surement. Le silence qu'elle s'était elle-même imposée finit par gagner son esprit ce qui arracha un léger sourire de soulagement à Maélyne.

Le monde devient froid. Lourd. Je ne peux plus respirer. L'eau m'écrase. Mes vêtements m'alourdissent. Je n'ai plus qu'une pensée: remonter. Mais je ne sais plus par où aller. Mon corps refuse de bouger. Il est calme. Lourd. Le courant m’entraîne. Je glisse vers le fond. Je panique. J'ai essayer de battre des jambes et des bras, pas moyen de retrouver la surface.  

L'air me manque...


Cécilie prit une grande inspiration en ouvrant les yeux, la main sur sa gorge.

L’obscurité l’avait complètement envahie lorsque la dernière lueur atone de la torche disparu, emportée par une dernière légère brise. Complètement décontractée, elle se laissait glisser au gré du courant, aussi faible soit-il. Son regard, vide, face à l’obscurité puis vint la délivrance. L’eau s’engouffra soudainement, faisant réagir son corps qui ne souhaitait que survie alors que son esprit se forçait à bouger un minimum. Cela ne dura que quelques instants, une dizaine de secondes avant que son être tout entier ne reprenne son calme olympien. Le regard n’était plus si vide, ses yeux ouvert voyaient le monde, celui qui l’entourait, ceux qui l’entouraient, ceux qui l’avaient entourée. Victoire de Lourmel était sa mère, Emmanuel d’Outremont était son père, Lyanna, sa sœur bien aimée. Tout lui revenait, chaque scène de sa petite existence, chaque moment de sa courte vie. Son premier mariage, les troubles politiques de Serramire, son rôle bafouée de Marquise, manipulée telle une marionnette par une mère trop jalouse, sa soudaine libération par son abdication. Tout lui revenait. Tout le monde. Aline, sa fille bien aimée, que trop peu chérie pour avoir elle-même été privée de l’amour d’une mère. Vint ensuite sa plus belle rencontre avant que celle-ci ne se transforme en son plus lourd cauchemar. Le cœur détruit, meurtri au point de faire les mauvais choix et de se lancer tête baissée dans des décisions qu’elle regretta aussitôt. Tout défilait rapidement, pourtant, elle eut la sensation de revivre chaque moment, de ressentir à nouveau chaque émotion. Une vive douleur à l’abdomen s’empara subitement d’elle, la dague qui eut raison de la Dame, l’homme qui la sépara définitivement de l’unique amour qu’elle possédait réellement. La blessure qui lui permit de faire ses adieux.

Un murmure vint alors jusqu’à Maélyne. « Je veux que tu saches que je t’en veux pas, pas du tout. Je t’aime, et je sais que tu m’aimes. » La voix était douce et réconfortante, envoûtante, poussant ainsi la jeune femme à regarder autour d’elle pour en déterminer la provenance.  

C'est alors que son visage apparu dans l’eau, son si doux visage d’enfant, ses longs cheveux blonds émanait une douce lumière qui vainquait sans peine l’obscurité qui avait entouré sa mère. Un sourire radieux, puis une main, attrapant la sienne, vint la hisser hors de l’eau. Echouée sur la berge, le premier réflexe fut la respiration, devenue difficile vu la quantité d’eau absorbée. Tellement difficile qu’elle lui fit perdre connaissance.

Tout l’or du monde ne saurait s’offrir la quiétude de ce moment précis. Doucereuse et apaisante comme la caresse d’une mère, avec fraîcheur une brise soufflait aux piétons qui parcouraient les sentiers fleuris du castel. Fuyant avec couardise les multiples banquets où la cervoise et le gibier abondaient, cette vêprée là, c’est de calme et de paix que le Chevalier était en quête. Ces événements étaient rassembleurs, certes, mais demandaient une inconcevable constitution afin de ne pas trépasser sous la pesanteur des chants agrémentés d’alcool, des rires gras et de la ripaille à outrance qui se succédaient tous d’un festin à l’autre. Se pochetronner demandait moult efforts auquel même le Hardi, ne pouvait plus fournir. Or, une marche nocturne, accompagnée de solitude, voilà qui saurait le heurter. Les minutes filèrent en même temps que la luminosité des torches qui s’estompa graduellement. Nimbé par l’ataraxie que lui provoqua ce silence nocturne, il se laissa guider jusqu’en des lieux qui lui étaient jusqu’alors inconnus.

Au loin, une voix, mélodieuse et intrigante, s’envolait au gré du vent. Bourrasque qui menait cet écho jusqu’au Léjantais qui, bridé par la curiosité, cherchait à distinguer d’où provenait la mélopée. Et tôt, ces bruits imperceptibles muaient en des mots distincts, puis en paroles claires et nettes. Puis, plus rien. De quelle raison s’était-elle tut ? Enhardissant son pas, Tancrède repoussait d’une main quelques buissons, puis quelques branchages, pour atterrir près d’une clairière où la lune brillait de mille feux sur les eaux mortes d’un menu lac. Ses yeux sondèrent les environs sans rien apercevoir, comme si la sirène emporta son chant dans les profondeurs de l’étendue d’eau. Son désarroi lui arracha un soupire profond en émotion, puis tourna les talons pour s’en retourner d’où il venait, s’immobilisant cependant, lorsqu’il entendit clapoter l’eau. « Mais!? » s’écria-t-il, en apercevant une femme immerger de l’eau en toussotant. Trop loin pour l’identifier, il se lança dans une course effrénée vers icelle. Battant le sable de ses bottillons au passage de ses pesants pas, il la reconnu enfin … Un cri s’envolait avec désespoir lorsqu’il vit la conscience de sa belle s’évaporer en un souffle, ne laissant qu’un corps détrempé s’assoupir sur des draps sablonneux et humides. Il s’élança corps et âme jusqu’à elle, se projetant contre le sol dans une envolée de fin gravier doré, saisissant son visage à l’aide de ses deux mains tremblotantes et paniquées. Son visage ange n’était plus qu’un sombre tableau auquel on y barbouilla des teintes mornes et quelques subtils reflets bleuté. Ses grandes billes azurées étaient closes et sa respiration, inexistante. « Non, elle ne peut avoir trespassé! » Se dit-il intérieurement, prit d’une cuisante panique.

Ses deux mains s’épousèrent et se superposèrent pour venir s’appuyer au centre de son thorax, où il exerça de puissantes et sèches poussées. Après quelques coups, il monta au niveau de son visage inconscient, où couvait les lèvres gelées de Maélyne aux siennes, pinçant son nez de manière simultanée. Les gestes semblèrent maladroits dans l’énervement du moment et la manœuvre, inefficace. Alors la routine s’installa, car jamais il allait la laisser quitter si aisément.

À répétition, il martyrisait la vallée que formait sa poitrine en appuyant encore et encore. Ses lèvres continuaient à réchauffer les siennes, tout en soufflant dans l’espoir de pouvoir lui redonner espoir de vivre. Puis, une ultime pression fit s’expulser de l’eau en quantité d’hors de sa bouche, donnant sur une quinte de toux rauque et profonde. N’en croyant ses yeux, sous le joug de la joie qui l’envahissait de la voir renaître, Tancrède alla l’étreindre de ses deux larges bras. « Les Dieux soient loués, vous êtes vivante … »

Le couteau que poignardait les poumons de son idylle s’était désagrégé, mais la laissa en bien piètre état. Lui aussi accoutré simplement, il se départit de son mantel auquel il le passa par-dessus ses frêles épaules, après l’avoir préalablement redressée. Après tout, sa pudeur vêtue que d’une robe détrempée n’était pas pour la réchauffer, et c’est exactement ce dont elle avait le plus de besoin après une telle épreuve. Ses yeux trouvèrent les siens, maintenant moins paniqués, mais avaient changés considérablement depuis leur dernière rencontre. Plus doux, son regard semblait non seulement empathique, mais avait aussi ce quelque chose qui vous donnait l’impression d’être importante …

La toux lui faisait affreusement mal. L’expression « cracher ses poumons » prenait ici tout son sens au point tel que son visage se para d’un rouge écarlate. Pourtant, elle était loin de rougir et était encore moins en colère. Au contraire. En réalité, Maélyne était complètement perdue. Ce qui venait de se passer, la juxtaposition de ses deux mémoires, celle de son récent passé ainsi que de son futur présent.

Le temps, il lui fallut un certain temps pour réaliser. Non pas qu’elle venait d’essayer d’attenter à sa propre vie, mais surtout de réaliser la perte de sa fille, son voyage vers un autre pays lointain, ses retrouvailles avec sa famille et celle de sa fille qui la rassurait. L’ordre des choses voudrait que ce soit complètement l’inverse… L’ordre des choses voudrait que ce soit une mère qui console sa fille, qui encourage sa fille, qui rassure sa fille… Or Aline avait tenu ce rôle tout au long de leur voyage.

Complètement accaparée par ce qu’il arrivait dans son esprit que la Dame ne se rendit même pas compte de la présence de Tancrède. Tremblante alors que ses extrémités commençait à présenter une couleur violâtre, elle ne put dormais contenir plus longtemps tout ce chagrin. Maélyne éclata en sanglots, elle pleurait, toutes les larmes dont elle avait à disposition. Le nom de sa fille, Aline, revint maintes fois dans sa bouche. Ses propres mains vinrent s’agripper à la terre meule sur laquelle elle était installée. L’empoignant sous l’effet de la rage et de la tristesse qui s’empara d’elle.

Jamais auparavant, la jeune femme n’avait ressentie telle douleur, même lorsqu’on lui avait annoncée le décès de sa fille dans cette chambre alors qu’elle était éprise d’une forte fièvre. Jamais elle n’avait ressentie une telle haine, envers les responsables mais également envers elle-même.

Tout se basculait dans sa tête, tout lui était revenu, les moindres détails. Que ce soit l’enlèvement dans sa chambre, les deux nuits passées dans cette cave inondée, le poignard qui lui arracha son second enfant…

Elle n’eut même pas une seule pensée pour Roderik, tant sa trahison lui importait peu par rapport au restant, tant son souvenir n’était point assez fort pour ne serait-ce que lui apporter une once de réconfort.

Non, rien, absolument rien n’aurait pu la consoler sur le moment.

Du temps s’était écoulé et pas des moindres. Qui aurait cru que celle qui venait de se noyer possédait encore autant de force pour pleurer et tant de haine pour entretenir toute la rage qu’elle dégageait.

Pourtant, à bout de force, elle s’était recouchée, tremblant toujours énormément du au froid qu’elle ressentait. Le regard dans le vide, jusqu’à que une paire de mains vinrent l’entourer. Dans un geste tendre, la jeune femme fut redressée puis, levant doucement la tête, les yeux rougis, elle reconnut alors l’homme qui vint de la sauver.

« Tancrède… » Arriva-t-elle à prononcer entre deux reniflements. « Que s’est-il passé ? »

Ses mains étaient venues se glisser autour de la taille de l’homme. Maélyne s’approcha instinctivement, elle était à la recherche de la moindre chaleur qui pourrait la réchauffer.

Si seulement on l’avait informé des tourments qui tenaillaient son idylle, des malheurs auquel sa psyché était confrontée, la chose aurait été, peut-être, plus aisée.  Or, prit de cours par les récents événements, auquel peu de gens pouvaient se dire prêt à réagir promptement, il se contenta de la rassurer du mieux qu’il le pouvait. Ses bras se firent aussi tendre qu’un époux vis-à-vis sa tendre aimée, l’accueillant avec autant de douceur qu’on le ferait à un poupon naissant. L’une de ses pattes se glissa à son dos, s’activant avec délicatesse et empathie, d’haut en bas, dans l’espoir de la réchauffer, ne serait-ce qu’un tantinet. Après tout, son âme semblait avoir aussi froid que son pauvre corps meurtri et la présence d’un ami n’était pas pour faire nuisance. Entre quelques reniflements occasionnés par la crise de larmes qui l’avait frappée de plein fouet, elle gémit quelques mots en son intention. Alors le Hardi prit bien son temps, marquant une pause patiente, le temps que le calme la regagne. Il resserra la veste qui couvrait les épaules de l’ex-noyée, puis répondit d’un timbre de voix doux et apaisant : « Je ne sais … Je vous ai trouvée là, étalée sur là sur la plage. À posteriori, vous avez bu une tasse d'eau de trop ... Mais voilà vos tourments envolés, parce que je veillerai, jusqu’aux matines s’il le faut, pour que vous repreniez du mieux. Vous avez ma parole. » Lui assurait-il, d’un sourire tout aussi doux que sa voix, se séparant d’elle pour quêter quelques brindilles et rochers, là où se terminait la contrée sableuse.

Il se rapprocha d’icelle, puis s’afférait à cercler une zone de caillasse dans laquelle il bourra moult branchages. Après moult tentatives, d’efforts et labeur, un feu naissait aux abords de l’étendue d’eau. Le temps était doux, loin d’être chaud, mais laissant un peu de répit à Maélyne qui déjà, avait trop souffert. Agenouillé devant elle, se servant de ses mitaines comme d’un cône, il souffla aux bases des braises précoces afin de les faire grandir. Tôt, un feu douillet et abondant éclairait l’endroit, laissant s’envoler quelques poussières calcinées dans les cieux.

L’air devenu franchement plus agréable, Tancrède s’approcha d’elle mais se garda une retenue, se remémorant de la manière où il fût chassé lors de ses dernières avances. Il se logea derrière elle, faisant parcourir ses mains le long de ses épaules qu’il frictionnait, le temps de faire s’estomper les grelottements de sa belle. Une fois la chose faite, il lui tint compagnie en s’asseyant à ses côtés, tâtant le feu d’un tisonnier improvisé d’une branche de plus imposante taille. « Avez-vous souvenance de … quoi que ce soit ? » Lui lança-t-il innocemment, alors qu’il n’avait pas la moindre idée de l’étendue de sa question.

Le crépitement du feu puis le bruissement des flammes, et voilà qu’une source de chaleur naissait non loin de la rive. Maélyne s’était empressée de se rapprocher, tendant ses mains tremblantes vers le feu de camp que venait de créer Tancrède alors qu’il était lui-même en train de réchauffer ses épaules. Sa robe trempée ne l’aidait pas à se réchauffer, mais de toute façon, elle n’avait rien d’autre sur la main. Seul le feu serait ainsi son unique sauveur tant que Tancrède saurait rester à ses côtés pour l’alimenter.

La Dame finit par se lever et se plaça au plus près du feu tout en s’assurant de rester à bonne distance pour ne pas craindre à sa sécurité. Cela permettra ainsi à sa tenue de sécher plus rapidement et à son corps de faire circuler le sang, réchauffant ainsi ses différents membres.

« Avez-vous souvenance de … quoi que ce soit ? »

Cette phrase résonnait dans sa tête durant de longues secondes. Bien-sûr qu’elle avait la souvenance de ce qui venait de se passé, elle se souvenait de tout, absolument tout. Sa mémoire retrouvée, ses souvenirs, douloureux comme heureux lui ont été rendus. Pourquoi ? Pour quelle raison ? Elle n’en savait rien. Et ce n’est certainement pas Tancrède qui saurait l’aider, mais il avait le droit de savoir.

« En réalité, je me suis moi-même jetée à l’eau. Le courant n’a fait que me tirer vers le fond pour ensuite me recracher sur la rive. » Lui répondit elle en toute franchise.

La Dame n’avait pas daigné lui adressé un regard tant la honte s’était emprise d’elle. Tant le fait d’avoir avoué qu’elle avait elle-même attentée à sa vie la dégoutait. Mais il avait le droit de savoir.

« Je me sentais complètement perdue, seule, incapable de faire taire toutes ses interrogations, j’en avais assez. Mais il semblerait que même lorsque je souhaite en finir, je ne suis pas capable de le réussir convenablement. »  

Elle se tourna légèrement, sentant que la partie de sa robe exposée commençait à laisser passer la chaleur, preuve qu’une bonne partie de l’eau s’était évaporée.

« Veillez m’excuser de vous dire cela avec une telle franchise, mais j’estime que vous méritez de savoir ce qui s’est... réellement passé. »

La tête basse, Maélyne n’arriva toujours pas à le regarder.

Quel horrible présent qu’était d’entendre la vérité toute crue, alors que chaudement terrer sous une montagne d’ignorance, des espérances œuvraient à falsifier la réalité. Nul regards ne furent échangés et quand bien même fût-elle, désarmée, les mots qu’elle employa lui semblèrent aussi tranchant que le raz d’une lame aiguisée à la meule. Maélyne, le coup de foudre qui fit fondre son cœur volage, son idylle, le sujet de ses tourments les plus profonds, avait attenté à sa propre vie … Le paysage qu’offrait les flammes dansante et les tisons qui virevoltaient dans les airs n’allégeaient en rien la pesanteur de ses secrets livrés pour lui. Puis elle termina son plaidoyer, installant confortablement un silence qui perdura quelques secondes mais qui semblèrent aussi long que le purgatoire.

Sans toiser son regard, les yeux toujours portés vers les flammes qui s’entremêlaient dans une danse effrénée, Tancrède lança quelques paroles prudentes, sur un ton de confidence : « Un jour, la benjamine de notre fratrie fût surprise à se taillader les poignets à l’aide d’un hachoir. Encore ce jourd’hui, je ne peux m’imaginer ne serait-ce qu’une partielle du mal qui l’affligeait, le jour où elle tenta d’écourter sa vie … » Il se pourlécha les lèvres, comme s’il cherchait ses mots, peut-être sous le joug de quelques émotions profondes. Sa voix ne défaillait pas mais on nota un trémolo très discret à la fin de ses phrases, retenant via de longues inspirations la douleur que lui provoqua ce souvenir lugubre. « Mais s’il est bien une chose que je sais sans doutances, c’est qu’encore ce jourd’hui, plusieurs années après l’événement, moult en souffrent. Si vous trouvez que la vie n’en vaut point la peine, restez forte, ne serait-ce que pour prévenir toute la douleur que provoquerait votre décès … Vous n’êtes pas seule, nombreux vous estimes et plus encore vous aiment d’amour. » Mais l’envie de lui quêter un regard était désormais beaucoup trop tentante. Bien que la mine peu jouasse, il déposa ses prunelles de jade en les siennes, se voulant rassurant. « La déprime est une puterelle qu'il faut baffer d’une main franche et en oublier l’existence. C’est un sentiment saumâtre et fort bien trop douloureux pour que l’on l’alimente en pleurs et en sombres pensées … » Il en termina avec un sourire avenant, se risquant une menotte à la rencontre de la sienne, couvant ses doigts chaleureusement et se voulant réconfortants.

Ses jambes finirent par défaillir tant le simple effort physique de rester debout lui était insupportable. Mais l’émotion était également responsable de sa légère chute. Les mots prononcés par Tancrède avaient su trouver oreille mais ceux-ci transpercèrent également ce qui lui restait de cœur.

« Il n’y a plus personne. Je n’ai plus personne. » Chuchota-t-elle. Cela était bien évidemment faux. Il lui restait encore de la famille, des cousins et des cousines dont certaines considéraient Maélyne telle une sœur. Il lui restait sa tante, ainsi que des amis fidèles tels que Roland. Mais aucun souvenir de ces gens ne put arracher un semblant de sourire sur son visage.

Elle aurait voulu continuer de parler, lui dire qu’elle était désolée d’apprendre cette histoire, désolée de lui avoir rappelé tant de malheurs, désolée de ne ressentir ni colère ni tristesse pour sa sœur ou même pour lui. Égoïste, oui, elle l’était, là, tout de suite, et elle devrait l’être beaucoup plus souvent.

« Ne me parlez point d’amour. » Finit-elle par dire, assise à côté du feu. « Qu’est-ce donc l’amour ? Hein ? Dites-moi ! Une émotion trop volatile tout au plus. Quelque chose que les hommes ne connaissent pas. Quelque chose qu’ils utilisent pour nous contrôler, nous les femmes. » Le ton de sa voix avait changé, la colère s’empara timidement de la Dame.  « Lorsque vous vous permettez d’aimer, cela ne peut que vous détruire en retour. Que ce soit un homme qui ne voit en vous qu’une occasion de s’amuser ou que ce soit son unique enfant que l’on nous arrache pour divers raisons variées mais infondées. Tsss… » Elle fit une pause, soupirant. « J’ai tout perdu, à cause du manque d’amour des hommes. Alors ne me parlez pas d’amour car vous êtes tous incapable d’en ressentir. Vous n’êtes capable que de l’annihiler. » Maélyne finit par se tourner, enfonçant légèrement sa tête entre ses genoux qu’elle avait repliés. « Vous auriez dû me laisser là, me laisser partir. Ça au moins, cela aurait été un geste d’amour mais après tout, vous n’êtes qu’un homme comme tout les autres. »

Que pouvait-elle seulement face à tant de peine ? Les flots avaient pris d’assaut ses poumons et de peine et misère, avaient été chassés. Elle s’en aurait sortie indemne, n’eut été du flot d’émotions qui s’étaient déchainés sur sa psyché quelques instants avant l’incident. Était-il simplement envisageable de mesurer la souffrance auquel elle pouvait être soumise, auquel son cœur devait, seul contre tous, assurer sa survie ? Sa raison semblait tétanisée par tant de bouleversement, si bien qu’elle décida de jeter sur son sauveur tout son fiel. Pouvait-il simplement lui en vouloir, alors qu’elle jactait sous l’influence de son esprit embrumé de chagrin ? Non, il ne la comprenait pas, mais ne lui en voulait pas pour autant. Il resta –du moins tentait- stoïque face à ses remontrances pratiquement criées, déviant de temps à autre son regard comme s’il ne pouvait supporter qu’elle lui voue ne serait-ce qu’une once d’hargne ou de haine. Son fiel était craché de sorte à atteindre tous les hommes, mais c’était lui qui en ce moment précis, recevait tous les coups.

Alors elle se secoua de colère, laissant parler ses entrailles embrasées par la douleur, haussant le ton en vociférant comme l’amour était puéril, que les hommes étaient pour ce sentiment leur destructeur. Jusqu’à ce que ce feu de paille s’estompe pour s’éteindre timidement, alors qu’elle nicha son nez entre ses deux genoux repliés. Était-il seulement possible de lui remonter le moral, elle qui avait son cœur en de si menus morceaux ? Il resta là, planté près d’elle, sans piper le moindre mot, la laissant purger en silence. Puis, vint le moment où, avec précaution, il s’adressa à elle en ponctuant ses mots d’hésitation : « Peut-être … Peut-être vaudrait-il mieux … Que nous rentrions. »

Il se redressa, en passant une main sèche contre ses braies, où quelques grains de sable s’étaient nichés, puis invitait Maélyne à en faire autant d’une mitaine tendue. À ce niveau, seul le temps pourrait cautériser une telle meurtrissure, et pour que le tout soit efficace, un bain chaud suivit d’une couche munie d’épais draps sauraient apporter main forte. Glissé au creux des reins de Maélyne, son bras était prêt à la soutenir, si elle en quémandait le besoin. Son autre main était aussi à disposition, tandis que son regard fixait l’horizon en allant quêter de temps à autres les besoins de son aimée. Malheureusement, fût plus fastidieuse et longue qu’il le crut. Ayant perdu tout de sa confiance, le Léjantais faisait preuve d’un mutisme total, de sorte à ne pas s’attirer ses foudres, mais aussi, en respectant sa peine. « Nous y sommes presque … » Lui rassurait-il, alors qu’au détour d’un bosquet, ils pouvaient apercevoir la cime d’une des tourelles du Castel.

Elle n’avait pipé mot et ce depuis qu’elle s’était permise de rabaisser la gente masculine plus bas que terre. Tancrède l’avait écouté et avait respecté son choix de silence, ce qui n’était pas plus mal vu que dans le cas contraire, la Dame aurait encore plus mal réagit.

Même si elle avait avoué une seconde fois qu’elle aurait préférée mourir, sa proposition de rentrer au château la soulagea d’une lourde peine.  Retrouver le confort et la sécurité de ses appartements, revoir la bouille de ses servantes qu’elle affectionnait tant ou même se retrouver allongée dans un simple lit douillet.

Le chevalier l’aida à se relever, puis la soutenait durant la marche qui s’annonça longue et pour cause. N’avait-elle pas marchée des heures avant d’arriver à cette rive du lac ? Pourtant malgré l’effort et la longueur de la route à parcourir la jeune femme était restée silencieuse, prenant toutefois appuie sur Tancrède pour s’aider dans sa marche.

Le palais se fit voir, enfin, au détour d’un bosquet et un soupir de soulagement fut accidentellement lâché par Maélyne, elle qui n’en pouvait déjà plus de marcher.

« Attendez... Attendez... s’il-vous plaît. » Dit-elle de manière saccadée en manquant de souffle. La Dame se laissa tomber sur ses genoux. « Une pause... Juste... quelques instants s’il-vous-plaît. »

Maélyne mit quelques minutes à récupérer son souffle alors que le froid s’empara d’elle de plus en plus. Puis, elle se releva pour reprendre appuie sur son chevalier. Ils reprirent la route, qui serait sans nul doute plus court que leur première étape. Et pour cause, les couloirs du palais les accueillirent déjà et alors qu’ils se dirigeaient vers la porte des appartements de la Dame, une servante en sortit subitement. Surprise mais surtout soulagée de voir enfin sa Dame revenir, elle s’empressa de venir à son aide. Maélyne lui demanda bien vite de lui préparer un bon bain chaud ce qui eut pour effet de renvoyer la servante bien vite de là où elle était arrivée.

La jeune femme se tourna alors vers Tancrède et se permit enfin de croiser son regard. « Veillez m’excuser... Sincèrement, pour tout ce que je viens de vous faire vivre...  Et... J’espère que mes mots ne vous auront point blessés car ce n’était nullement mon attention... Merci d’avoir été là, et d'être restée auprès de moi. »