Nombre de messages : 1516 Âge : 129 Date d'inscription : 13/08/2016
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 124 ans Taille : 171 cm Niveau Magique : Arcaniste.
Sujet: [Terminé] Jour de marché. (Libre) Lun 2 Sep 2019 - 19:15
Eté, Oglicos, neuvième ennéade de Karfias, an dix-sept, onzième cycle.
Rentrée depuis seulement deux jours, T’sisra profitait de son père et de ses récentes histoires. Il avait réussi à rentrer en contact avec une cousine lantaise, confiant ses désirs de remettre sur pied les Bock-D’Acier. La réputation du clan s’était faite autour du brassage de bière et, avant le Voile, avant de perdre nombres d’entre eux et de se retrouver séparés les uns des autres, ils possédaient quelques bâtisses, désormais devenues ruines, dans l’Est du Brissalion. Mais aujourd’hui, Balir nourrissait l’espoir de parvenir, après tant d’années, de réunir les siens, de rebâtir sur les ruines et produire à nouveau leur fameuse boisson fétiche. De son côté, la noiraude lui avait conté ses rencontres en Ithri’Vaan et comment elle avait fini par mettre la main sur ce quelle cherchait, non dans à la Grande Bibliothèque thaarie mais bien à l’Aurore, auprès de Nakor. Le nain ronchonnait en silence, il n’appréciait guère ce genre d’histoires entourées d’un mystère aussi épais que dangereux. C’était d’ailleurs pourquoi la daedhelle ne s’était pas épanchée sur sa retrouvaille avec son cousin. Elle préférait ménager son vieux père, et de toute façon, considérait désormais sa vie au Puy comme un vieux souvenir.
Aujourd’hui, comme chaque jour depuis plus de six ennéades, la noirelfe étudiait le livre de Nakor avec assiduité. Les traductions manuscrites de l’archimage se révélèrent aussi pratiques qu’essentielles, sans quoi, jamais la noiraude n’aurait pu comprendre un traître mot ni apprendre quoique ce soit. Ainsi, au fur et à mesure de son étude du livre et à partir des notes de Nakor, elle avait établi l’alphabet employé en ces temps immémoriaux, dégagé quelques tableaux de conjugaisons et déduit quelques règles grammaticales et orthographiques. Malgré des similarités avec les parlers elfiques et drows, ce n’était pas une langue comme les autres. Il y avait quelque chose de plus, une sensation indéfinissable qui la prenait aux tripes à chaque fois qu’elle lisait ces mots oubliés. Les phrases transpiraient de certitudes et les affirmations présentées comme factuelles étaient lourdes d’une puissance indicible.
T’sisra était allongée sur son lit. Elle avait sa propre chambre dans la bâtisse, qui contrairement à beaucoup d’autres, possédait aussi un salon séparé des cuisines en plus d’un cellier. Cependant le meilleur restait la petite cour devant l’habitation, délimitée par un muret de pierre. Le chat allongé sur ses cuisses ronronnait tout en profitant du calme de T’sisra, quant à elle plongée dans sa lecture. Elle lisait encore et encore les mêmes passages, saisissant toujours mieux les nuances, comprenant mieux la construction du texte. C’est ainsi qu’elle apprit à connaître Arsanne IV, ce seigneur dracenne fou qui avait vécu au cinquième cycle, lors du début de l’apogée de l’Empire Nisétien. « Arzgan », dans sa langue, fut un paranoïaque et un adorateur du pouvoir. L’ayant longtemps convoité, il avait mis tout en œuvre, et ce sur des décennies, pour l’obtenir. S’alliant avec de puissants covens de sorciers et des congrégations d’alchimistes, leur promettant monts et merveilles, richesses et puissance, ce fut aux alentours de l’an trois cents cinquante du cinquième cycle qu’Arsanne parvint à se hisser au pouvoir d’une des seigneuries du croissant fertile. S’il avait profité des alchimistes et des mages pour éliminer ses concurrents, la montée en puissance du Culte Draconique se révéla être un atout de poids. Ce seigneur fut obsédé par Irenwë, la première dragonnière que le monde connut, et son dragon noir. Cette obsession tourna à la crainte et à la folie en l’espace d’un siècle, car elle avait choisi de soutenir le Prince Keftil et Arsanne n’entendait pas se plier aux désirs de ce dernier. Sentant son influence grandement s’amenuiser, puisque ses compères n’avaient d’yeux plus que pour le Prince, Arsanne sombra dans une paranoïa destructrice. Il craignait qu’on emploie, comme il l’avait fait, des mages et des empoisonneurs pour causer sa perte. Ses craintes furent justifiées, car semant la terreur en ses terres, il dût, au cours du cinquième siècle, composer avec un ordre de mages ayant juré sa perte. « Les Veilleurs du Croissant », une organisation créée et agissant dans le plus grand secret, dont l’ultime but était de causer la chute du tyran rebelle. Dès lors la folie d’Arsanne ne fit qu’empirer. Faisant assassiner ses plus proches amis qu’il soupçonnait de vouloir lui voler sa place, il fit aussi pendre sa femme par les pieds jusqu’à ce que mort s’ensuive, étouffa son fils dans son sommeil et déclencha des guerres au sein même des covens de sorciers qu’il avait employé par le passé. Le nisétien causa la chute de sa terre et par voie de fait la sienne, bien que l’auteur du texte estimait que les Veilleurs du Croissant eussent joué un rôle prépondérant dans cette catastrophe. Au septième siècle, le seigneur Arsanne fut retrouvé assassiné dans son bain et ainsi se terminait son histoire abjecte :
- Ash durub eshta globûrz, kar ash krahaun krûrta. Lisait la daedhelle à voix haute avec un air pensif.Arzgan nar srinkhshata.
Littéralement : « Devenir roi est idiot, seule la création d’un royaume importe. Arsanne ne l’avait pas compris. ». S’attardant sur la dernière page, il y avait une note presque effacée. Elle n’avait pas été écrite pas Nakor, ça T’sisra en était certaine. Elle disait « Quand le Mal reviendra, les Veilleurs du Croissant combattront. Et le Mal connaîtra la peur et la mort. »
- Ug Ulkum skra-krutta, za Zendurag afar Cûne nargzab mauktuluk. Agh Ulkum nargzab gurshta lômur sha gurz.
Les derniers mots prononcés, le chat fit un bon jusqu’au plafond. Sortant les griffes, le dos rond, les poils hérissés et les yeux fous il se mit à cracher en direction de la daedhelle. Ne comprenant guère ce qui lui arrivait, la nécromancienne approcha la main pour le rassurer d’une caresse et écopa d’un coup de griffe. L’animal sauta au sol et fila hors de la chambre comme si la mort en personne venait de lancer à sa poursuite.
- Et bien…Souffla T’sisra avec un sourcil arqué.Qu’est-ce qu’il lui prend à ce chat ?
Elle se tira du lit avec un soupir, il était tant de mettre le nez dehors et profiter de l’air frais des montagnes. D’autant qu’il fallait absolument remplir les placards, sans quoi elle et son père finiraient le ventre vide avant même la fin de l’ennéade.
Quelques instants plus tard, la noirelfe était vêtue de son attirail habituel et traversait le salon.
- Eh ! Tu vas où comme ça ?Demanda Balir qui se balançait dans sa chaise devant une cheminée éteinte avec un bouquin dans les mains.Tu pars en guerre ?
- Au marché.
- Tu devrais t’acheter des frusques…
- J’y penserai.Répondit-elle en hochant la tête, bien qu'elle doutait fortement de trouver quoique ce soit à sa taille.Tu veux quelque en particulier ?
- Attends voir…Commença le nain en plissant le front.On a plus d’lard ni d’farine, est-ce qu’on a encore du jambon ?
- Non, on a plus de légumes non plus, ni de lait et encore moins de beurre.Ajouta T’sisra dans un sourire.
- Par ma barbe, j’étais tellement occupé ces derniers jours qu’j’en ai oublié de nous réapprovisionner !
Dans un rire amusé, la noiraude s’empara des paniers d’osier posés à côté de la porte d’entrée et sortit. Traversant la petite cour, elle franchit le portillon de bois dans son grincement caractéristique.
- Et un peu d’huile…Murmura-t-elle en prenant la direction du marché.
_________________
T'sisra en bikini :
Dernière édition par T'sisra Do'ath le Ven 20 Déc 2019 - 0:57, édité 1 fois
T'sisra Do'ath
Modérateur
Nombre de messages : 1516 Âge : 129 Date d'inscription : 13/08/2016
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 124 ans Taille : 171 cm Niveau Magique : Arcaniste.
Sujet: Re: [Terminé] Jour de marché. (Libre) Ven 20 Déc 2019 - 0:56
Eté, Oglicos, neuvième ennéade de Karfias, an dix-sept, onzième cycle.
La fin de l’été se faisait sentir depuis quelque temps, les températures s’étant d’ores et déjà brutalement rafraîchies. Évidemment, cela n’empêchait en rien les habitants du Fort de fourmilier comme à leur habitude et la placette marchande de prospérer autant que faire se peut. En grande partie grâce sa proximité avec Thanor, Fort-Garmin se voyait bien desservie par les importateurs. Allant d’étals en étals, la noirelfe se procurait céréales, farines et huiles. Sur son passage, elle saluait ceux qu’elle reconnaissait comme étant ses voisins les plus proches, même ce vieillard grincheux d’Hokûr, qui, comme à chaque fois que ses yeux fatigués se posaient sur sa peau gris pâle, ne pouvait s’empêcher de cracher un immonde glaviot marron devant ses pieds.
- Toujours aussi charmant Hokûr.Commenta T’sisra en contemplant son œuvre.Des nouvelles de votre fils ?
- Peut que s’porter mieux qu’moi p'isqu’il a pas à voir ta trogne tous les quatre matins.Trancha l'ancêtre dans un rire rauque en continuant sa route en bougonnant.Saleté d'peau grise... On vit une ben' drôle d'époque.
Secouant la tête et préférant ne pas rester plantée là au milieu de tout ce monde, la noiraude reprit sa route en direction de la boucherie. Un établissement difficile à rater, puisqu’elle pouvait humer l'odeur du sang au moins deux rues avant même d'y arriver. L’apprenti du maître des lieux débitait du sanglier fraîchement chassé juste devant l’établissement, la saluant d’un bref signe de tête il ne s’interrompit pas pour autant dans sa tâche. Pénétrant dans le commerce, T’sisra se fendit d’un sourire affable tout en saluant le boucher d’un signe de tête.
- Comment qu’elle va ma noiraude préférée ?
- Parce que vous en connaissez d’autres ?
- Seriez certainement pas ma préférée si c’était l’cas.
Secouée d’un rire, la noirelfe déposa ses sacs de toiles pleins à craquer contre le comptoir.
- Dites-moi plutôt comment vous allez Kazrim ?Enchaîna-t-elle en se redressant.Espèce de vieux croulant dégénéré.
- T’sisra…Reprit la boucher dans un soupir fatigué en fichant son hachoir dans une carcasse.Cette bâtarde de noirelfe, j’aurais dû m’douter qu’vous passeriez… La journée avait trop bien commencé.
- Ah ? Vous avez encore vendu de la viande de chien à un aveugle en la faisant passer pour du sanglier ?
L’apprenti, désormais sur le pas de la porte, observait la scène sans trop savoir s’il devait intervenir. T’sisra lui accorda un léger sourire.
- C’est… Toujours comme ça.Tenta-t-elle le rassurer.Tout va bien.
Kazrim, d’un vigoureux signe de main, fit comprendre à la jeune barbe qu’il ferait mieux de débarrasser le plancher.
- Qu’est-ce qu’elle veut l’oreille-grise ?Reprit-il plus sérieusement en désignant les pièces de viandes derrières lui.
- Donnez-moi ces côtes,répondit la drow en désignant les morceaux,les quatre. Et mettez-moi une ambanne de viandes, d’abats, peu importe.
- Une amb… Un peu d’tout ? Vous allez chasser le bearög ou j’rêve ?
Dans un haussement d’épaules, T’sisra sortait déjà sa bourse de son sac de cuir. D’ordinaire, les chasseurs de prédateurs récupéraient les morceaux les moins chers pour s’en servir d’appât. Surtout lorsqu’ils s’attaquaient au gros gibier, comme les ours ou les meutes de loups. Le boucher empaqueta la commande dans un épais sac de toile et, après avoir payé, la noiraude prit le chemin du retour les bras chargés de denrées alimentaires.
◈ ◈ ◈
Une fois les placards remplis de ses courses, T’sisra s’attela aux cuisines afin de préparer de quoi se sustenter avant le départ, puisque, bien qu’à peine revenu à Fort-Garmin, elle comptait s’enfoncer les montagnes au Nord-Est de la ville.
Balir, qui s’était endormi dans sa chaise devant l’âtre chatoyant, se réveilla en sursaut au son des coups donné dans la porte d'entrée.
- Bon sang d’bois,grommela-t-il en se redressant,j’arrive !
Sur le pas de la porte attendait une jeune barbe que la noirelfe avait déjà rencontré plusieurs fois maintenant. Il fut invité à entrer et, passant la tête par l’encadrement de la porte menant à la cuisine, T’sisra se fendit d’un sourire en reconnaissant Bruloth, l’apprenti de Grimeldha. Après quatre ennéades de voyage, le jeune dawi, venant tout juste d’arriver en ville, avait filé droit jusqu’à la demeure de Balir en espérant tomber sur la noiraude. Ainsi fut-il prié de rester pour le déjeuner, car il ne faisait que porter un colis de la part de sa maîtresse et ne pouvait se permettre de rester trop longtemps loin d’elle et de ses précieux enseignements. Aussi, il fallut bien une heure au père comme à la fille pour enfin réussir à convaincre le jeune runiste de passer la nuit chez eux, plutôt que de reprendre la route aussitôt. D’autant que T’sisra était sur le départ et que sa chambre serait donc inoccupée pour la nuit. Après une petite heure passée en compagnie du dawi à parler de Molgrunn et de ce qu'elle devenait, la noiraude fila s’équiper pour le voyage, sans omettre son sac de viande et d’abats, et assurant à son père d’être de retour dès le lendemain matin, elle quitta la maison dans un dernier au revoir adressé à Bruloth. T’sisra remonta la rue en direction des portes de la ville. Il n’était pas encore la mi-journée, si tout se passait sans encombre, elle atteindrait sa destination en fin d'après-midi, peu avant la tombée de la nuit.
Bientôt, la civilisation naine laisse place aux chemins montagneux et sentes forestières. Tout du moins pour quelque temps, car la noiraude eut tôt fait de quitter les sentiers battus pour s’enfoncer dans la nature la plus primale. Le terrain escarpé et difficile rendait la progression plus lente qu’elle ne l’aurait imaginée, mais c’était aussi cela de transporter une ambanne de bidoche sur l’épaule ! Le bon côté des choses était que sous l’effort, le froid ne se faisait pas sentir le moins du monde. Ainsi s’enfonça-t-elle dans les hauteurs aussi boisées que rocailleuses, grimpant toujours plus jusqu’à ce que l’ombre des montagnes commence enfin à prendre possession des lieux. L’approche du soir s’accompagnait d’un rafraîchissement notoire des températures, cependant il ne restait qu’à la voyageuse plus qu’un dernier effort à faire. Empoignant ses makazorns, T’sisra débuta l’ascension des derniers obstacles, de petites parois de roches d’à peine deux ou trois mètres ci et là, donnant accès aux flancs d’une falaise surplombant les étendues forestières.
Longeant le précipice, la noirelfe se dirigeait avec précaution vers un renfoncement naturel dans la roche. Cette caverne, elle la connaissait bien puisqu’elle s’y était rendue quelques fois durant les mois suivants son installation à Fort-Garmin.
- Flocon ?Demanda la noiraude en pénétrant dans l’abri.Tu es là ?
De la masse informe ronflant dans la pénombre de la cavité se détacha une tête plumée, dont les deux yeux luisaient d’une lueur toute singulière. S’ébrouant, l’animal approcha doucement le bec vers sa visiteuse pour humer l’air ambiant, ou tout du moins dans la direction du sac qu’elle transportait.
- Tu ne perds pas le nord toi, comme d’habitude.Souligna la drow en déposant le sac de viande au sol.
Flocon sautillait sur place tandis que ses yeux passait des provisions à T'sisra, qui, elle, restait perplexe quant à ce que l’animal devenait. Ils s’étaient rencontré trois ans auparavant, lors de son expédition clandestine pour le Langk Duraz et… Il avait bien doublé de volume depuis cette époque. Les deux années suivant la découverte de la cité, elle n’avait pu le fréquenter à nouveau que durant sa présence à Molgrunn lors des grands travaux. Et lorsqu’elle était redescendue pour Fort-Garmin la noiraude avait fini par se rendre compte que la créature ne s’était pas si éloignée d’elle que cela. Aussi, quand Flocon se mit à étendre ses grandes ailes, elle n’eut qu’à peine le temps d’avoir un mouvement de recul que la patte de l’animal l’envoya droit contre le sol. Le souffle coupé et dans l’impossibilité de se tirer de là, T’sisra riait tant bien que mal tandis que le griffon lui donnait des coups de bec affectueux.
- Tu m’étouffes !Lança-t-elle en poussant des deux mains contre le poitrail du volatile.Laisse-moi respirer !
La noirelfe avait beau pousser de toutes ses forces, face à celle de Flocon rien n’y faisait et dans pareille situation elle n’avait que le rôle du jouet. Après quelques agréables instants de retrouvailles un peu trop joyeuses à son goût, la daedhelle put enfin s’extraire de l’affection brutale du volatile.
- Tiens,reprit la noirelfe désormais installée contre la paroi tout en jetant un bout de viande au griffon qui l'attrapa au vol,combien de livres de viandes peux-tu bien avaler par jour pour grandir comme ça ?
La réponse à cette question, T’sisra se rendit vite compte qu’elle était assise dessus. Gênée par des os épars, nul doute que Flocon devait s’en donner à cœur joie dans la région. D’autant que les gibiers des hauts plateaux ne devaient être accessibles qu’à lui et lui seul. Du bec, le volatile s’attaquait au sac de toile, sans laisser le temps à de quelconques protestations de fuser, il l’avait d’ores et déjà éventré d’un coup de serre. Et sans perdre une seule seconde non plus, Flocon s’attaqua à son repas avec un air des plus satisfaits.
- J’ai bien fait d'emporter mon propre casse-croûte…Soupira la noiraude en tournant et retournant le colis transmit par Bruloth dans la matinée.Allons bon, qu’est-ce que ça peut bien être ?
Déchirant le papier, la daedhelle ne découvrit ni mot ni instruction, seulement une petite boite de métal renfermant une pierre. Et pas n’importe laquelle. D’un noir profond et lui faisant ressentir un sentiment étrange et indéfinissable, ce genre de caillou n’avait aucun égal sur tout Miradelphia. Elle resta silencieuse durant de longues minutes à fixer l’objet, perdue dans ses pensées pendant Flocon se régalait dans son coin. Grimeldha, malgré le chaos ambiant, la mort et la désolation était parvenue à conserver un morceau des piliers des Portes de la Mort. Mais pourquoi le lui faire parvenir aujourd’hui ? Et à quoi pourrait bien servir cette pierre désormais inerte et sans l’ombre d’une pulsation magique ?
- Et il n’y a malheureusement qu’un seul endroit au monde susceptible de donner des réponses…Soupira T’sisra en glissant la pierre dans son sac.
Et cet endroit elle n’avait pas envie d’y retourner, loin de là. Rejoignant l’animal dans le fond de la cavité rocheuse, la noirelfe alla se blottir contre lui, se couvrant de son aile pour se tenir au chaud. Elle sentait son coeur battre, des pulsations régulières et calmes.
- Toi au moins, tu as l’air de ta la couler douce,souffla-t-elle en réalisant que son aile la couvrait entièrement,et j’espère que tu sauras subvenir à tes besoins seul parce que je me vois mal t’apporter une ambanne de viande par jour. D’autant que je doute que ça te suffise encore longtemps.
Flocon se mit à produire un roucoulement sourd entrecoupé d’étranges et légers couinements, son bec vint chercher on sait quoi dans les cheveux de T’sisra, ce qui ne manqua pas de lui arracher un léger rire.
- Moi aussi je suis heureuse de te revoir Flocon.
La nuit arriva bien vite et, après une journée aussi éprouvante à crapahuter sur la pente d’une montagne, le calme et le sommeil trouvèrent bien vite l’esprit de la daedhelle.
◈ ◈ ◈
Eté, Arcamenel, neuvième ennéade de Karfias, an dix-sept, onzième cycle.
Flocon s’en donnait à cœur joie, donnant des coups de becs régulier dans l’épaule de sa comparse. T’sisra ouvrit les yeux et découvrait le faciès rayonnant de Flocon qui, le bec à demi ouvert, semblait presque sourire.
- Laisse-moi dormir…Siffla-t-elle en se tournant sur le côté.
D’un nouveau coup de tête, la créature ailée fit rouler un peu plus la noirelfe qui se contenta de pousser long soupir, face contre terre. Nul doute qu’elle n’avait d’autre choix que se lever. L’air était encore bien frais, le soleil toujours couché. D’ici deux petites heures l’astre poindrait très certainement dans le lointain et ses rayons découperaient les massifs rocheux dans les ombres nocturnes. Poussant sur ses jambes la noirelfe suivit l’animal, sachant pertinemment que, pour lui, l’heure de la chasse sonnait. Flocon prit son envol, tandis que T’sisra redescendait avec prudence en direction d’un terrain plus favorable.
La daedhelle, sautant de pierres en caillasses, enjambant les racines et évitant les nids de poules et autres aspérités traîtres, localisait son compagnon à l’oreille puisqu’il poussait régulièrement des cris perçants dans la nuit. T’sisra l’avait déjà vu faire, cependant la toute première fois elle n’avait pu être certaine de comprendre sa façon de chasser, jusqu’à elle se rende compte qu’il ne se contentait que d’effrayer les bêtes et les rabattaient vers sa position à elle. Il était un stratège qui savait s’adapter lors des chasses de groupe. Se contentant de siffler aussi fort qu’elle put afin d’attirer l’attention des daims passant non loin d’elle, Flocon apparut dans la poignée de secondes suivante, fondant sur le gibier depuis les hauteurs à une vitesse fulgurante. Sa proie n’avait pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait qu’elle était déjà morte.
- Toutes mes félicitations, toujours aussi efficace à ce que je vois.
Faisant claquer son bec, il exprimait tout son contentement et sa fierté. La noirelfe vint lui flatter le cou et appuya son front contre celui de Flocon. La gloire de l’effort et le frisson d’une bonne heure passée à traquer le gibier en compagnie de sa comparse semblaient avoir égaillé sa journée qui n’avait qu’à peine commencée.
- Je vais devoir rentrer,murmura-t-elle avant de faire un pas vers l’arrière,mais je reviendrai te voir très vite.
Inclinant légèrement le buste, le griffon imita, dans une certaine mesure, la gestuelle. Puis, refermant ses serres sur sa proie, il prit son envol et s’en retourna à sa tanière juchée dans les hauteurs. T’sisra se mit en route pour Fort-Garmin après l’avoir regardé disparaître derrière la cime des pins, après quoi, elle filerait très certainement se recoucher.
Tout du moins, elle l’avait espéré, puisque, franchissant les grandes portes de la cité pour rejoindre la maison, elle fut interpellée par une barbe qu’elle n’avait encore jamais vue. Le bougre prétendait venir tout droit du trône, et affirmait qu'on l'envoyait, lui comme elle, à Almis, autrement appelée la Perle du Nord par les dawis. Une cité controlée par des mogarites avant de passer durant plusieurs années aux mains des gobelins, et reconquise au prix de nombreuses vies naines. Un territoire interdit et inaccessible à quiconque n’en avait pas reçu l’ordre ou l’autorisation, car là-bas s’appliquait la loi martiale. Les almiens, on les prétendait sur le pied de guerre du matin au soir et même durant leur sommeil, des guerriers qui n’avaient pour repos que les rares jours de calmes, entre deux attaques gobelines ou de sauvageons. Les rumeurs disaient que même des mogarites sévissaient encore dans ses environs, attendant patiemment leur heure pour frapper à nouveau.
- T’nez, v’là vot’ sauf-conduit.Grommela le nain en secouant la tête.J’vous laisse une demi-heure pour vous préparez et vous m’rejoignez à la grand' porte. Y a clair longues-oreilles ?Demanda-t-il sans cacher son mépris.Et si vous vous pointez pas, j’vous garantis que ça va chier pour votre peau grise comme pour la mienne. Alors débarrassez-moi l’pavé de suite.
Refermant les doigts sur la lettre encore scellée, la noirelfe n’eut que le temps d’acquiescer et le nain s’en était déjà retourné vers le point de rendez-vous. Elle ne savait guère ce qui lui valait d’être réquisitionnée de la sorte, cependant nul doute que l’affaire devait être urgente. Après tout, il allait falloir traverser tout le pays.
Quelques minutes plus tard, la daedhelle, penchée au-dessus de son lit, remplissait son sac du nécessaire, ainsi que de quelques affaires de rechanges. Balir, sur le pas de la porte, fronçait les sourcils et tentait tant bien que mal d’avoir un peu plus d’informations sur ce qui se tramait.
- Je n’en sais pas plus, il ne m’a rien dit.
- Comment ça « rien dit » ?Argua-t-il en agitant le sauf-conduit.Et ça, c’est le genre de papier qu’on signe pour rien ?
- Papa…Soupira T’sisra en mettant son sac sur l’épaule.Je n’en sais pas plus, vraiment. De toute manière, dès que ça sera terminé, je reviendrai aussitôt.
Balir se contenta de grommeler tandis qu’il lui rendait le document officiel. Il l’accompagna jusqu’au pas de la porte, toujours aussi bougon et agacé que sa fille se doive de repartir à peine arrivée.
- Occupe-toi donc de ta brasserie, le temps passera plus vite si tu ne rumines pas dans ton coin.Fit-elle dans un sourire en s’agenouillant pour une dernière accolade.
- Fais attention, j’sais pas ce qui s’trame dans c’coin. Mais c’est sûrement rien d’bon.
Dans un hochement de tête, elle se redressa et quitta la propriété, prenant la direction de la grande porte, comme on le lui avait indiqué. Arrivée sur place, elle constatait la présence d’un petit attroupement. Certains avaient tout l’air d’être des cognards, quand d’autres semblaient être des érudits. Saluant la foule, non sans faire tressaillir quelques sourcil et faire ronchonner les moins enclins à partager des secrets avec une drow, tous se virent mettre à disposition des béliers. De très belles bêtes d’ordinaire utilisées par les messagers. Le plan du nain aux commandes était on ne peut plus simple : Il s’agissait de rallier Almis en un temps record, et pour se faire ils changeraient leurs montures à chaque avant-poste pour des fraîches. Des corbeaux avaient été envoyés la veille au soir pour prévenir de leur passage. Ainsi, sans perdre plus de temps que nécessaire, les cavaliers talonnèrent leurs montures et quittèrent la cité.