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 Le Levant au Couchant | Ascanio

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Jys
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MessageSujet: Le Levant au Couchant | Ascanio   Le Levant au Couchant | Ascanio I_icon_minitimeMer 2 Nov 2016 - 11:33

      Le mariage de Laval et de Montecale battait son plein, et maintenant que la cérémonie avait pris fin, les convives s’étaient répandus sur les alentours de Sainte-Deina. Jys, lui, l’estréventin, se trouvait un peu décontenancé, seul au milieu de ces mines grisâtres de la Péninsule : le plaisir semblait leur faire peur, la fête devait leur apparaître comme une contrée vierge et inexplorée. Il commençait à regretter son pourpoint tapageur, son turban aux mille teintes, et ses chaussures à escarboucles – et pourtant, il avait fait sobre, par rapport aux coutumes de l’autre côté de l’Olienne. Ses galantes de Nelen lui avaient fait défaut : elles avaient fini par arrêter de rire devant sa virilité tranchée – chose si banale à l’Est, si extravagante ici – et étaient parties rejoindre des chevaliers mieux armés pour les combler. Ainsi il ne restait à Jys, pour s’occuper, qu’un vin tiède à la main. Il vida sa coupe ; sans surprise, c’était décevant.

      Accoudé à un péristyle à moyenne distance de la foule, il n’entendit ni ne vit la fine silhouette qui s’était vivement glissée derrière lui. Il ne perçut pas ce corps qui se collait presque à son dos, ni ces lèvres qui s’approchaient de son oreille droite, ni même cette main délicate qui se coulait vers sa culotte bouffante d’organza. Alors tout le saisit en une seule fois : des doigts délicats s’infiltrèrent sous son ventre et s’emparèrent de son mât, et une voix sucrée se mit à gazouiller ces quelques mots.

      « Votre prix, Sire l’Oriental, pour que cet éperon soit à moi ? »

      Jys se sentit envahi d’une délicieuse bouffée de surprise, de gêne, et de plaisir, tout à la fois. Tout cela s’était mêlé en un admirable sentiment. Voilà une voix sensible qui le traitait avec les égards dus à sa fortune, et tandis qu’une main habile l’inspectait comme un acheteur de passes dans un salon thaari. Jys soupira de contentement à l’idée que, et la main, et la voix, appartenaient à une seule et même personne. Il retrouvait soudain l’élégante débauche d’Orient, qui manquait tant à la péninsule.

      Il préserva une apparence impassible, souriant même vaguement à la foule du mariage, à douze pas de lui. Dans les festivités du jour, l’heure allait bientôt être aux danses – habillées, donc sans intérêt. Alors Jys répondit à son ombre, et sans se retourner, pour préserver l’attente :

      « L’or ne suffirait pas à me délivrer de mon ennui ici. Alors surprenez-moi. »


      La fine silhouette le conduisait par la main, dans les rues de la haute Diantra, et Jys flottait comme dans un rêve. L’expression est souvent creuse pour les richissimes négociants thaaris, qui ont compris de longue date que l’étoffe dont sont faits les rêves est l’or ; ou beaucoup d’or, pour les rêves les plus exaltés. Mais même à un palais d’ivoire, à un harem d’esclaves naines, ou à un temple de soie rouge – le voyageur qui regarde l’horizon de Thaar comprend que c’est ce à quoi doivent rêver les princes-marchands – il manquerait toujours le sentiment irréel de légèreté, qui portait Jys à cet instant. Il marchait, à la baguette d’une femme indéchiffrable, et avec elle il remontait ruelles les plus riches de Diantra.

      Pourtant Jys ne pouvait s’empêcher de laisser traîner, sur les imposantes bâtisses alentour, un œil critique. Il n’avait jamais connu Diantra auparavant, c’était sa première visite à la capitale de l’Ouest – et il devait confesser sa déception. Comme leurs fêtes, les maisons des péninsulaires étaient grandes, carrées, et sans charmes. Pourtant les matériaux ne manquaient pas – Jys vit de la pierre fine, des feuilles d’or, des opales et des lapis-lazulis – mais c’était le goût qui faisait défaut. C’était arrangé bêtement, obtusément. Cela l’éveilla même de son rêve conscient, suffisamment pour qu’il puisse souffler à sa guide :

      « Vous êtes certaine de me surprendre – »

      Mais la phrase ne se termina jamais. A force de remonter la ville-haute, Jys avait été conduit devant une élégante demeure qui se déployait sur deux niveaux. Depuis l’extérieur, la façade ne donnait à voir que ses bas-reliefs sculptés. Mais ce n’étaient pas les trognes affreuses, ou les angelots sans âme, qui pendaient sur la devanture des maisons bourgeoises alentour. Ici, les courbes étaient déliées, les figures structurées, les corps drapés dans un mouvement si habile qu’on aurait cru voir les vêtements bouger. C’étaient des scènes familières de l’Ithri’Vaan, peuplées de bêtes inconnues de ce côté de l’Olienne, et Jys eut un pincement de plaisir à retrouver ces animaux chamarrés. Deux bannières de soie, d’une grande finesse, complétaient l’ensemble ; elles flottaient paresseusement au vent. Par-dessus ces étoffes, une écriture délicate annonçait : Maison d’Orient.

      Un sourire tremblant s’était étiré sur les lèvres de Jys. Il passa un regard en coin à sa guide. Il n’y avait même plus de lubricité là-dedans, seulement un merci soupiré. L’estréventin contempla encore un instant cette façade, seule civilisée au milieu d’une contrée triste. Puis sans lâcher la main de son étrange guide, il pénétra dans la salle de vente.

      C’était l’univers de la soie, qui moutonnait dans de grands étalages. Jys aperçut la variété des couleurs, qui toutes renvoyaient des reflets bigarrés, si bien que le plafond semblait baigné de lumières étranges et fascinantes. Il compta des rouleaux de toutes les tailles et toutes les finesses, depuis la soie corporelle des joueuses de flûte, jusqu’à l’épaisse soie rouge dont on recouvrait les bêtes à trompe pour tirer les palanquins.

      Jys estima aussitôt que la découverte de cette échoppe méritait le plus beau des présents pour sa guide. Alors il paya à la mode de Thaar. Il avait tiré une épaisse bourse aux cordons de lin, il l’ouvrit d’une main, et saisit une lourde poignée de pièces d’or, frappées du sceau d’Ys. Il étendit le bras et jeta l’or à travers la pièce : les piécettes rebondirent au plafond, ricochèrent au sol, et tombèrent aléatoirement à travers la boutique. C’était comme une pluie d’or, qui s’abattait au hasard sur les soieries.

      Et d’une voix charmée, Jys dit simplement :

      « J’achète tout. »
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Ascanio Vossula
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MessageSujet: Re: Le Levant au Couchant | Ascanio   Le Levant au Couchant | Ascanio I_icon_minitimeJeu 3 Nov 2016 - 9:03


« Il a encore gerbé partout, monsieur. »

Warrateo, le commis de la maison Vossula qui gérait pour elle son établissement diantrais, soupira longuement avant de congédier le domestique d'un revers de main. Depuis quelques ennéades déjà, il supportait la présence fort importune d'un visiteur des plus indésirables : le fils aîné de son grand patron, rien de moins. Venu sous le prétexte de s'intéresser aux affaires locales et de remédier aux difficultés que traversait le marché diantrais, Ascanio Vossula, trentenaire mais éternel enfant, était venu avec toute son excentricité et son inextricable appétit de divertissement. Non content d'occuper la chambre de maître, reléguant le vieux Warrateo à une paillasse sur le plancher malgré son arthrose, Ascanio Vossula passait le plus clair de son temps à manger, boire et aller aux putes. Il se plaignait fréquemment de ce que les péninsulaires ne savaient s'amuser, de la médiocrité de leur nourriture, de leur vin coupé d'eau et de leurs bordels ; ce qui ne l'empêchait pas, finalement, d'y donner tout son temps. Et fréquemment il rentrait à la nuit, tard, éméché et faisant un boucan de tous les diables, réveillant toute la Maison.
Et, en général, il gerbait partout.

Les premières traces de dégueulis commençaient au pas de porte, et cheminaient péniblement jusque dans le hall du rez-de-chaussée, imprégnant le sol de l'espace dévolu à la vente ; plusieurs pièces de soie de qualité n'avaient pas été épargnées par les retombées. Lorsqu'il redevenait sobre, Ascanio, avec l'humour qu'on lui connaît, appelait cela « le quota de pertes. » Et de bon matin, les domestiques s'affairaient à laver le sol, et mettre de côté les tissus désormais invendables.
La courbe sinueuse de vomi se poursuivait dans l'escalier ouvragé, grimpant jusqu’au dernier étage, à la chambre où dormait le prince ; si bien qu'on le suivait à la trace, et qu'on savait ainsi qu'il était bien rentré. Loin de comprendre la délicate attention de leur maître qui ainsi les rassurait et leur montrait le chemin, les domestiques grinçaient des dents, car les interstices entre les marches étaient hors d'atteinte et qu'il faudrait un jour démonter le tout si l'on voulait faire disparaître l'odeur. On avait donc répandu du parfum un peu partout, mais autant planter des fleurs autour d'une fosse à merde : cela ne recouvre jamais totalement la misère.

Mais le jour s'était levé, enfin, et le calme était revenu sur la Maison d'Orient, qui avait reprit une apparence propre et nette ; seul le nez fin pourrait déceler, ci et là, une légère fragrance immonde dans l'atmosphère. Heureusement, on l'attribuerait sans difficulté à l'air de la rue, déjà empli des bruits de la cité. Cela s'agitait à Diantra ; un important mariage avait lieu, semblait-il. Warrateo espérait que le retour des nobles à leurs petites habitudes était un signe positif, indiquant que le commerce, peu à peu, reprendrait sous son ancienne forme.
Le jour n'était pas seul à s'être levé ; le pourpoint coloré encore tâché du produit de ses frasques - mélange d'une multitude de ces liquides dont le corps humain a le secret - le visage mal rasé et les cheveux ébouriffés, Ascanio descendait le fameux escalier où l'on avait lavé les traces les plus nettes de ses exploits. Warrateo avait l'habitude de le voir ainsi, mais il s'en énervait encore ; comment le fils héritier de l'une des plus grandes familles marchandes d'Orient pouvait-il apparaître aussi négligé en public ? Mais les mœurs du Levant échappaient à Warrateo ; s'il servait depuis des décennies une famille estréventine, il était, lui, un péninsulaire, rompu à l'art de vivre diantrais.

« Avez-vous bien... dormi, seigneur prince ?
- Non, le lit était trop mou », répliqua Ascanio, qui n'avait probablement pas conscience de ce que le dos du vieux Warrateo lui faisait souffrir le martyre depuis qu'il ne pouvait plus occuper la chambre de maître.

C'est à ce moment-là que le visiteur estréventin fit son entrée hyper classe. La salle de vente, où les clients n'affluaient plus depuis que la vie était devenue compliquée, connurent pour la première fois depuis longtemps une bienheureuse pluie d'or - autrement mieux venue que la pluie de gerbe à laquelle la soumettait fréquemment Ascanio. Les pièces roulèrent sur le sol, se glissant entre les tapis, sous les yeux incrédules de Warrateo et de ses domestiques. Ascanio, lui, bâilla, la bouche grande ouverte, exhibant ses dents blanches et le large filet de bave entre celles-ci et sa langue. Puis il posa son regard sur Jys. Il avisa les vêtements du bonhomme, reconnaissant là un style qui lui était bien familier, et s'exclama avec un sourire :

« Enfin quelqu'un qui sait bien se fringuer. Entrez, ami, vous êtes chez vous. »

Il avança de quelques pas, d'une démarche nonchalante, se fichant bien de ce qu'il avait l'air débraillé et qu'il empestait encore l'alcool et toutes sortes de choses.

« Quand on se morfond dans cette misérable cité, il est bon de voir enfin quelqu'un qui sait vivre. Je suis Ascanio Vossula, et mon père est Tiberio, prince-marchand au Conseil de Thaar. » Puis, faisant un signe de tête pour désigner Warrateo, il ajouta : « le gros, là, c'est notre commis Warrateo, qui tient la boutique. Mais ne faites donc pas attention à lui, il est chiant. » Warrateo ouvrit des yeux ronds, mais garda la bouche fermée, se contentant d'avaler l'humiliation, car c'était tout ce qu'il pouvait faire. Sans remarquer le regard assassin de son commis, Ascanio poursuivit : « et vous, mon ami, qui êtes-vous ? »
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MessageSujet: Re: Le Levant au Couchant | Ascanio   Le Levant au Couchant | Ascanio I_icon_minitimeVen 11 Nov 2016 - 8:40

      « Jys, seigneur Vossula. D’Ys-la-côtière. »

      Il avait adressé ces paroles au dadais mal rasé qui parlait en agitant les mains, et il n’avait pas accordé un regard à l’autre baderne bedonnante : d’abord parce que le premier présentait les traits fins, et le nez racé, d’un héritier de la grande Maison de Vossula ; ensuite parce que l’autre, effectivement, semblait chiant.

      Jys avisa alors que la belle créature qui se tenait un pas derrière lui, celle-là qui l’avait conduit ici, n’avait pas été présentée au seigneur Vossula. Il s’empressa d’ajouter : « Oh, et voici – » Mais il se trouva un peu démuni, lorsqu’il dut admettre pour lui-même qu’il ne connaissait pas le nom de la belle. Jys lui lança un regard vaguement interloqué, auquel elle ne consentit même pas à répondre. Elle semblait donc ne devoir ouvrir la bouche que pour parler de son Eperon, et jamais en d’autres occasions ; heureuse femme. Cela décida aussitôt l’éphèbe d’Ys, qui reprit : « Voici celle qui sera bientôt mon épouse. Appelons-la Sérénissime. »

      Et sans avoir de bague à lui passer au doigt pour sceller ces promptes fiançailles, Jys dut se contenter d’une étoffe de soie, qu’il noua autour de l’annulaire de la belle. Toutefois il dut s’y reprendre à deux fois, car le premier tissu qu’il ramassa lui semblait poisseux dans la main, et délicatement empuanti ; il en prit un second, qui fit bien l’affaire.

      « Alors, constata Jys dans un sourire gentil, nous aurons besoin d’une robe, d’un habit pour moi, d’un dais pour le lit nuptial, de livrées pour deux cents servants ; et puis une parure pour mon maître, une tenue cérémonielle pour les prêtres ; et des coussins, et des palanquins, et des éventails. » En somme, toute la boutique – ce qui confirmait sa première intuition.

      En disant cela, il promenait un regard gourmand sur l’univers soyeux de la Maison d’Orient, avec ses exubérances, ses froufroutements, ses éclaboussures de tissu vif. Mais dans ce grand tour d’horizon des merveilles de l’industrie Vossula, son regard butait à répétition sur l’incontournable silhouette du gros Waratteo. Jys déclara avec aménité :

      « Vous savez, Seigneur Vossula, si je ne m’étais tenu loin de Sol’Dorn depuis si longtemps – je vous garantirais que celui-là pourrait se monnayer assez cher pour un tour dans le Ba’ed. »

      Et comme il pensait à l’Ithri’Vaan, son esprit dériva loin de Diantra. Evidemment, il ne célébrerait pas son mariage ici, dans la triste capitale d’un royaume sordide. Parfois, se dit Jys en promenant son nez alentour, il lui semblait que tout dans ce royaume suintait une odeur atroce de régurgité.
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MessageSujet: Re: Le Levant au Couchant | Ascanio   Le Levant au Couchant | Ascanio I_icon_minitimeLun 14 Nov 2016 - 10:30


Ys-la-côtière, songea Ascanio avec nostalgie, se remémorant la dernière visite qu'il y avait faite quelques années plus tôt, et de Kahina, la môme du pays qui en avait fait voir de toutes les couleurs aux péninsulaires dans un bled paumé du nom de Soltariel. Puis il jeta un oeil à la donzelle qui accompagnait le bon citadin d'Ys, et lança d'un ton jovial : « Par le chibre d'Arcamenel, quelle beauté que voilà ! Je vous envie, Jys d'Ys », et riant de bon cœur car il trouvait que Jys d'Ys sonnait de fort rigolote manière, y alla de plus belle : « Voilà une beauté propre à rendre sa virilité à un eunuque. Je vous envie, mon ami, je vous envie ! Vous venez à Diantra et vous raflez la plus rare des sucreries. Que n'ai-je point lorgné cette petite avant vous ! Ah, mais aussi vrai qu'un trésor appartient au premier qui le trouve, je dois concéder ma défaite. Bien entendu, nous allons vous fournir tout ce qu'il vous faut ! Je vais habiller cette beauté, quand bien même le cœur me dicte de faire l'exact contraire. C'est que les plus beaux cadeaux nécessitent toujours les plus beaux emballages. » Il frappa dans ses mains, et un jeune serviteur se pointa avec tout l'attirail nécessaire pour prendre les mesures de la Sérénissime. « Et surveille où tu fourres tes doigts, fiston », gronda Ascanio à l'égard du garçon, qui pâlit sous la menace. C'est qu'Ascanio aurait bien voulu les prendre lui-même, les mesures, mais le geste n'eut pas été très commercial.

Ils prirent place sur de confortables sofas garnis de coussins moelleux tandis qu'on s'affairait autour d'eux, et qu'on présentait une à une les plus belles pièces de la collection au bourgeois d'Ys. C'est là qu'avisant Warrateo, Jys émit l'amusante suggestion de le vendre au poids à Sol'Dorn. Ascanio éclata de rire, quand bien même la proposition était fort sérieuse. « C'est à considérer, mon ami, c'est à considérer. C'est que je cherche justement à reclasser ce brave Warrateo, puisqu'il a fait son temps parmi nous. Il n'attire plus le chaland comme jadis, avec sa mine déprimée et sa surcharge pondérale, et ce n'est pas ici que sa bidoche est la plus utile. » Il renifla bruyamment, avant d'ajouter avec la plus grande mauvaise foi : « D'ailleurs, il dégage une odeur de plus en plus désagréable, la sentez-vous ? Pauvres péninsulaires, la vieillesse nous les prend si tôt. » Repartant d'un grand rire, tout en donnant une grande claque sur la cuisse de l'ephèbe, il ajouta, changeant de sujet : « Renseignez-moi, Jys d'Ys, parlez-moi un peu de votre fameux maître, comment se porte-t-il ? » Il n'avait en fait aucune idée de qui Jys servait, mais il serait bientôt fixé ; et c'était un moyen commode de s'assurer la fidélité d'un client qui, de toute évidence, n'était pas regardant sur la dépense. Et Ascanio était heureux de pouvoir évoquer le lointain Orient, son doux pays dont il se languissait tant, avec un homme qui saurait le comprendre.
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MessageSujet: Re: Le Levant au Couchant | Ascanio   Le Levant au Couchant | Ascanio I_icon_minitimeJeu 17 Nov 2016 - 20:31

      « Ah, mon maître… » Sérénissime avait disparu dans un salon d’essayage, déjà à moitié dévêtue avant de rejoindre les pudiques rideaux ; et elle était suivie de Warrateo, qui promenait derrière elle son ventre, mais aussi ses yeux. Restèrent, dans la grande boutique pleine de soie, couverte de piécettes et parfumée de vomi, Jys et Ascanio. On se sentait à l’aise, entre héritiers des empires marchands levantins. L’eunuque d’Ys, ne trouvant aucun siège alentour, se hissa simplement sur une masse de soie rose, où il s’allongea avec langueur. Il pouvait presque sentir les parfums d’Orient, comme il commençait à raconter :

      « Mon maître est Buhasaiah, l’Elégant Démon. Il règne à Ys sur le Domaine des Plaines Multicolores, qui comprend la plus grande partie du delta, avec les terres fertiles en amont. Oh, rien qui puisse faire de l’ombre à un millième seulement du trésor des Vossula », ajouta Jys avec flatterie – avant de lui démontrer le contraire : « Nous sommes l’Empire du Sucre et du Sel : nos cannes à sucre recouvrent les coteaux à l’Est d’Ys, et notre fleur de sel surclasse naturellement les cailloux que ces idiots de Zurthans s’acharnent à miner dans leurs mines au désert – mais vous savez ce que c’est, avec les races inférieures … », et Jys agita nonchalamment la main pour désigner Diantra tout entière. « Le Domaine des Plaines Multicolores s’étend aussi sur la mer, d’où nous tirons les huitres perlières, et le saumon levantin. Même dans les îles de l’Olienne, à Nelen, nous avons des comptoirs marchands – enfin, il faut parler avec prudence, maintenant que les Langecins jouent à faire la guerre sur nos mers … C’est d’ailleurs pour apercevoir le nouveau Baron ilien, le Montecale, que je m’exténuais d’ennui à ce mariage, avant que Sérénissime ne me sauve. »

      Jys souriait rêveusement en évoquant sa belle province. Il resta un instant rêveur, allongé dans ses coussins de soie. Puis, au hasard des pensées qui devaient l’occuper, sa bouche s’élargit encore de contentement. Et cette onctueuse béatitude, il ne parvint pas à la dissimuler – il n’essaya même pas, en réalité – lorsqu’il reprit la parole, d’une voix de tragédien :

      « Mais mon vieux maître Buhasaiah va mal, et j’ai bien peur qu’il ne voie pas la fin de ce mois. » Après une pause, il ajouta, avec toujours autant de peine dans la voix, mais à laquelle se mêlait un peu de calcul : « Bien sûr, cela fait des soucis. Il me faudra des tenues de soie noire, pour le deuil. Mais Arcam nous bénit dans notre malheur, car je n’aurai pas de famille éplorée à consoler : mon pauvre vieux maître n’a que moi. Et sa douleur est allégée de savoir qu’il part en laissant ses affaires en bon ordre : j’hériterai de tout, et je continuerai à faire prospérer l’Empire du Sucre et du Sel. »

      Jys soupira encore quelques instants dans ses songes, un sourire affadi sur ses lèvres fines. Puis il parut émerger, et il retourna la tête dans tous les sens : il paraissait chercher un verre, pour boire à la santé de son maître – façon de parler, bien sûr. Mais dans cet univers de soie, aucune boisson à l’horizon, sauf celle régurgitée au petit matin par Ascanio entre les lattes de l’escalier, et qui était à peu près sèche à cette heure-ci.

      Ce fut l’instant que choisit Sérénissime pour revenir, Waratteo sur ses pas. Elle avait revêtu une robe affolante, tissée de soie ajourée, où perlait sa peau de lait. Seul Waratteo, sur les pas de la belle, les yeux exorbités, semblait encore douter de ce qu’elle cachait sous sa robe ; et c’était l’honnêteté du tailleur qui l’invitait à tendre la main et caresser le tissu, pour en lisser les plis sans doute. Jys lança un regard appréciatif à la Sérénissime ainsi cueillie dans la soie, et plus encore aux deux petites coupes qu’elle apportait, une dans chaque main, remplies d’une épaisse boisson blanche. Elle en offrit gracieusement une à Ascanio, avant de tendre l’autre à Jys.

      « Et vous donc, Seigneur Vossula, il faudra que vous me disiez comment est votre cher père », déclara Jys. « Mais avant cela, buvons à mon maître Buhasaiah – qu’il ne souffre pas trop. »

      Ayant parlé, Jys renversa la tête en arrière, et il vida son verre en une gorgée. Il attendait une liqueur exotique, comme un souvenir des îles ; mais c’était un lait délicieux, légèrement sucré, et encore tiède à la bouche, comme s’il sortait à l’instant du pis. Voilà un grand prodige de la Maison d’Orient, car ils n’avaient entendu aucune bête à la traite, se dit Jys, en regardant distraitement Sérénissime qui lui fit un sourire ingénu.
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MessageSujet: Re: Le Levant au Couchant | Ascanio   Le Levant au Couchant | Ascanio I_icon_minitimeVen 18 Nov 2016 - 14:23


Ah ! Rien qu'à l'évocation des rives de l'Olienne et de ses plages de sable fin, d'Ys-la-Sublime et de ses Plaines Multicolores, Ascanio s'évadait. Brave homme que ce Jys, brave serviteur dévoué à la cause de son maître, et ce sans aucune arrière-pensée ! Il était bien normal que cette dévotion soit récompensée et que Buhasaiah ait fait de son fidèle serviteur son héritier universel. « La mort est une bien triste chose », affirma Ascanio avec une naïveté confondante, « mais il faut bien que certaines choses s'achèvent pour que d'autres naissent. Je ne manquerai pas de me tenir informé de la santé de votre maître, et s'il a crevé entre-temps, ma foi ! je vous ferai porter une couronne de fleurs, à vous et votre Sérénissime. »

Il adressa justement un fort aimable sourire - ainsi qu'une oeillade à peine voilée - à la Sérénissime lorsque celle-ci leur apporta de quoi étancher leur soif. Il porta à ses lèvres la coupe de lait mais, poliment, préféra répondre à son vis-à-vis avant de déguster. « Mon père, mon père... » il fit une petite grimace, comme si le mot avait une saveur désagréable. « Il est respecté et admiré par ses pairs, mais c'est un bourreau de travail qui n'a pas notre sens de la distraction. A se demander comment il est parvenu à maintenir notre fortune à flot ! Mais je n'ai pas à me plaindre : le jour où je lui succéderai, je saurai donner à ma maison l'élan qui lui manque encore. » Et d'ajouter précipitamment, craignant de mal se faire comprendre : « Quand je parle d'un élan, je veux parler d'un petit coup de pouce, bien sûr, pas d'un véritable élan avec des bois et que l'on fait cuire avec des fèves et des branches de romarin... surtout que le symbole de notre maison c'est le taureau... enfin bref ! L'avenir s'annonce des plus radieux, avec des hommes comme vous et moi dans les plus hautes sphères de Thaar la Magnifique... » L'air rêveur, songeant à l'avenir grandiose que des êtres aussi exceptionnels qu'eux seraient aptes à bâtir, il leva sa coupe et but une gorgée de lait. Le trouvant agréable en bouche, il prit le temps d'en apprécier chaque gorgée, comme s'il s'était s'agi d'un vin rare, et s'en délecta avec gourmandise jusqu'à la dernière goutte. « Délicieux ! C'est du lait de brebis ? » demanda-t-il. « En général je bois plutôt du lait de chèvre, mais celui-ci est si fameux que je pourrais bien changer mes petites habitudes. » Et, se tournant vers la Sérénissime, il tendit sa coupe vide et demanda, avec un sourire presque enfantin et sans remarquer la moue dégoûtée de Waratteo : « Je peux en avoir d'autre ? »
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MessageSujet: Re: Le Levant au Couchant | Ascanio   Le Levant au Couchant | Ascanio I_icon_minitimeJeu 1 Déc 2016 - 20:54

      Jys s’était renversé sur le dos, en écoutant les dernières paroles d’Ascanio, sur un élan et d’autres choses ; et c’était là qu’il se tenait, baignant dans la soie comme dans un océan, les yeux perdus vers le plafond. Thaar lui semblait flamboyer devant lui, à portée de mains, offrant sa croupe aux reflets cuivrés : toute la ville était un corps, rond et racé, corseté de choses précieuses, et que le fleuve transperçait. L’entier delta, qui courait depuis Thaar jusqu’à Ys, lui apparaissait à présent à l’esprit ; sur cette terre largement ouverte, abondamment mouillée, qui dessinait un triangle très fertile, l’eau passait et repassait au gré des marées ; et lorsqu’elle se retirait, elle laissait de blanches alluvions.

      « Thaar et Ys », commença rêveusement Jys, « sont comme des jarretières posées sur les deux jambes du fleuve, de part et d’autre du delta, au nord et au sud. A nous deux, seigneur Ascanio, nous avons une main sur chaque cuisse… »

      Jys avait vaguement entendu les paroles d’Ascanio sur le lait. C’est vrai, frais tiré du pis, il était savoureux. Pourtant la chèvre devait être asséchée, car la Sérénissime ne répondit pas à la demande du Prince. Jys, toujours renversé sur ses coussins de soie, perçut vaguement, dans le coin de son œil, que la demoiselle s’était approchée du Seigneur Vossula, qu’elle s’était agenouillée à sa hauteur – pour s’excuser de la pénurie, sans doute. Ou bien, en pressant son corsage sous le visage du Prince, elle devait solliciter l’expertise du maître soyer pour une agrafe de sa belle robe. Jys, certain que sa belle se comporterait avec correction devant Ascanio, se laissa reprendre par ses rêveries orientales.

      « Vous savez, Seigneur Vossula », reprit Jys après un temps – et seul un étrange bruit le perturbait, comme une valve qu’on ouvre et qu’on referme, ou une bouche buvant à un goulot – « vous savez », dit-il, en choisissant d’ignorer le bruit, « votre accueil a été exemplaire, aujourd’hui. Ce mariage était d’un ennui mortel, et en m’offrant votre délicate compagnie, vous m’avez tiré d’un sacré pétrin – je veux dire, vous m’avez sorti de l’ennui », s’empressa d’ajouter Jys, pour un Ascanio qui semblait difficilement manier les images. « Et j’aimerais pouvoir vous remercier dignement, comme cela se fait entre gens de l’Orient. Y a-t-il un souhait que je pourrais exaucer pour vous ? »
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Ascanio Vossula
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MessageSujet: Re: Le Levant au Couchant | Ascanio   Le Levant au Couchant | Ascanio I_icon_minitimeJeu 8 Déc 2016 - 9:59


Ascanio ne pouvait qu'acquiescer, et c'était tout juste s'il pouvait faire un « bllhmmbll » pour appuyer les sages propos de son invité. Ce coup-là, il ne l'avait pas vu venir ; oh, quand la Sérénissime s'était approchée et s'était collée à lui, Ascanio n'avait trouvé nulle raison de se plaindre, ni de s'inquiéter ; et quand elle avait agité son corsage sous son nez expert, et qu'il s'était subitement retrouvé étouffé par deux énormes coussins d'une douceur que même la soie des Vossula ne pouvait égaler, Ascanio n'était pas boudeur ; il se disait juste que la Sérénissime lui témoignait à sa manière l'affection de son maître - un maître drôlement ouvert d'esprit, pour sûr. Ce n'est que lorsqu'elle libéra un des jumeaux pour lui en coller le mamelon entre les dents qu'il comprit enfin ce qu'elle faisait, et d'où venait le délicieux lait qu'elle leur avait servi. Pas réticent aux expériences de la vie, Ascanio se laissa faire parce qu'il ne savait pas dire non à une femme aussi bien pourvue et aussi serviable. N'empêche, il était un peu décontenancé quand même. C'est qu'il n'avait jamais fait ces choses avec ses courtisanes, et il fut d'abord trop surpris pour trouver cela agréable ; mais une fois accoutumé, il dut reconnaître que cela lui plaisait. Il y avait longtemps qu'il n'avait plus goûté la saveur d'un sein maternel, lui que les nourrices du palais Vossula n'avaient allaité que jusqu'à l'âge de douze ans.

« Oh, je vous en prie, mon cher », dit-il en s'extirpant un bref instant pour répondre au Curateur, le menton dégoulinant de lait ; « vous avez déjà exaucé tous mes souhaits. »

Et, du bout des lèvres, il aspira de nouveau la mamelle offerte et s'en désaltéra avec autant d'appétit qu'un nouveau-né, savourant ce cadeau qu'on lui faisait. Brave et aimable Jys, pensait-il ; il fallait que l'homme soit bien charitable pour accepter de partager avec lui un tel trésor ! Un jour, Ascanio trouverait le moyen de lui rendre la pareille. Peut-être désire-t-il que j'enfante sa concubine, se dit-il, et il se promit d'accepter si son nouvel ami venait à lui en faire la demande.
Lorsqu'il eut assez bu, il remercia la Sérénissime d'un sourire, non sans lorgner une dernière fois sur ce sein rond et ferme avec-lequel il était désormais intime ; puis il s'épongea la bouche d'un revers de manche et lança, sans s'apercevoir qu'un reste de lait lui dessinait encore une moustache blanche :

« Il va sans dire que vous êtes le bienvenu quand vous voulez, Jys d'Ys. Je vous considère d'ores et déjà comme un ami ! Si tous ceux qui entrent chez moi me remerciaient comme vous l'avez fait, je serais le plus comblé des hommes. N'est-il pas malheureux qu'il y ait tant d'affamés dans les rues, quand il est si facile de trouver du bon lait ? »
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