[Seram]10 de perdus, 1 de trouvé | Calel & Amaranthais

HRP:

La dernière marrée avant la nuit. Juste à temps!

"Jetez l'ancre de proue et fixez les amarres. Patte-folle, fait affaler la brigantine, va falloir la ravauder."

Dans le port de Serram, quelques lueurs étaient déjà allumées aux fenêtres des bouges dans le quartier des docks. Puisqu'ils touchaient terre, Koda se doutait que beaucoup finiraient leur nuit dans un tel lieu... Mais par les trouzmilles esprits du désert... ce qu'elle pouvait détester cette odeur de crasse, de pisse et de vinaigre qui se mélangeait à l'iode et à la vase. S'il y avait bien une chose a laquelle elle ne s'était jamais habituée c'était bien celle là!

Elle ne voulait pas descendre à terre... vraiment pas...

Mais pour le bien de l'équipage (et celui des affaires) elle n'avait pas vraiment le choix. En plus de devoir trouver un médecin de bord et un charpentier, les affaires étaient assez bonne pour prendre un ou deux gars supplémentaire, ce qui simplifierait les manœuvres pour tout le monde. Un cambusier ne serait pas de trop non plus, mais elle avait comme l'impression qu'il fallait pas trop en demander... Enfin... Ils avaient le temps avant de rejoindre le point de rendez vous de leur plus gros acheteur du moment...

En attendant, ils avaient toujours N'ayant pas pu s’arrêter à Sharas à cause du blocus qui s'était bien amélioré depuis quelques ennéades, l'une de leurs courses était tombée à l'eau. Ils avaient réussi à contacter des passeurs locaux pour leur refilé les trois caisses de fourniture médicales un peu plus loin sur la côte et être tout de même payés... Jamais elle n'avait été si contente que le client ait payé la moitié d'avance, ils s'étaient fait de joli bénéfisse en omettant ce détail aux intermédiaires... Mais tout de même, ils se retrouvaient avec trois barils d’huile d'olive dans lesquels macéraient en plus toute sorte d'herbe aromatiques et deux caisses d'ingrédients alchimiques étranges venus d'Orient.

C'est donc une bouteilles d'huile, une brassée d'herbe à chique et une racine à la forme étrangement humanoïde sous le manteau et avec pour toute arme que l'étrange couteau en os qu'elle portait à la seinture que Koda renonça à sentir les remouts perpétuels de l'océan contre la coque pour descendre sur le quai, la tête bien au fond de la capuche de son ample cape.

Mission du jour? Trouver les revendeurs du coin et annoncer dans les taverne du milieu qu'un navire peu regardant recrutait.

Avec Sarah malade, elle allait devoir se taper le gros du boulot pour être sûr qu'il soit bien fait.

Elles aurait bien aimé l'envoyer au recrutement à sa place histoire de ne pas faire fuir les potentiels intéressés avec sa trogne de zurthane, mais bon... elle ferait avec et enverrait quelques matelots appuyer son offre.

C'est donc accompagnée d'un matelot à la gueule patibulère mais presque que Koda s'enfonça dans les ruelles du quartier des bourlingueurs. Restant près des quais, ils avançaient en silence ou en devisant à voix basse. Passant au coin d'une rue, deux putrelles s'approchèrent avec ce genre de sourire jaunâtre typique des filles du cru.

-Hey les étrangers, vous devez avoir envie de détente après une traversée. V'nez donc vous amuser un peu.

L'une était à peu près fraiche, l'autre, avec son gros nez et les sourcils fournis était clairement vieillie avant l'heure mais jouait admirablement de ses frusques de ribaude. Le matelot saisit la main flatteuse de l'une d'elle pour l'empêcher de lui faire innocement les poches. Elle eut l'air affolée mais il se contenta de la repousser vigoureusement jusqu'à ce que son dos touche le mur de la bicoque la plus proche avec un regard lubrique.

-T'aura ta soirée... après.

Il mis encore un instant avant de s'éloigner d'un pas pour revenir à la hauteur de l'autre "étranger"

-... Ouais... Ce que je fais pas pour vous quand même, Capitaine... D'ailleurs, on y est presque à votre bouiboui?
-Qu'est-ce que tu veux que j'en sache? Je connais pas la ville par coeur. J'essaie de me repérer avec les indications à deux écus qu'm'ont r'fourgué les deux aut' truffe de passeur.
-Mais pourquoi on va pas tout simplement au Cul Sec? Y a bien le gars qui nous avais dégoté le revendeur de l'autre fois.
-Ouais, mais on a des machins de rituels bizarres, on est en Péninsule et les cabales nordiennes ont tendance à être plus discrètes que de simples receleurs...
-Les Cabales... Et bah on est pas sortie de la vase...
-ça va hein. Si j'avais voulu quelqu'un qui rale, j'aurai demander à Patte-folle de m'accompagner.

Le matelot soupira et s'étira. Koda était u peu plus à cran à chaque pas qu'elle faisait vers l'intérieur de la ville. La placette avec le lavoir à la périphérie des docks... TU PARLES D'UNE INDICATION! Heureusement, la fameuse périphérie n'était pas si grande et ils n'eurent pas longtemps avant de trouver la fameuse placette malgré l'obstination de Koda a vouloir tourner à gauche alors qu'ils étaient déjà passé par les rues de gauche non des dieux!

Une fois à destination, il n'y eut plus qu'à chercher la vieille boutique de bougie. Dans l'ombre de ce début de nuit, ils se considérèrent comme chanceux d'apercevoir l'énorme enseigne. Niveau éclairage, le coin laissait franchement à désirer...

Ils frappèrent trois coups.

…

Puis trois autres coups...

Le matelot s'approcha de la fenêtre mais les volets étaient trop bien calfeutrés pour qu'autre chose qu'une lumière tremblante filtre dans l'embrasure. Ils attendirent là à piétiner, le matelot s'impatientant, Koda à deux doigts de tambouriner jusqu'à ce que mort s'en suive sur le battant... Quand une silhouette apparue enfin dans l'embrasure.

-Oui ?
-On cherche le fabriquant de bougie.
-Revenez demain on est fermé. C'est pas une heure franchement...
-Hey. On fait ce qu'on peut. J'ai... plus un éclairage qui fonctionne sur mon bâtiment. On paie grassement.

La porte s'ouvrit un peu plus, dévoilant la stature courtaude d'un jeune homme au visage assez mal proportionné. Osseux, court, le cheveux noir et ras. Il n'y avait guère que son regard bleu qui le sauvait à première vue.

-Vous êtes sourd ? Revenez d'main.
-Écoute, ce cher Helmund a besoin de lumière pour lire on se retrouve comme des tanches sans rien pour éclairer l'infirmerie. J'ai dit qu'on paierait bien.

Il tiqua, prit un dernier instant de réflexion avant de laisser les deux voyageur entrer. Une pièce simple au plafond de laquelle pendait mille bougies. Une forte odeur de cire et de parfum emplissait l'air. Dans un coin flambait un petit feu autour duquel ils se rassemblèrent.

-Merci.
-Vous êtes là tard. Remarqua le matelot pour faire la conversation.
-J'habite au-dessus.

La porte claqua sur eux.

-Clarence ?
-Vous êtes complètement stupide ! S'exclama leur hôte à mis voix, presque hors de lui. Quand on vous dit de ne pas attirer l'attention, ça passe aussi par : On ne frappe pas chez les gens à le nuit tomber froqué comme des loups de mer ! Et virez moi cette capuche idiote !

… Il avait pas tord mais Koda n'était pas du genre à s'éterniser dans un port. C'était toujours l'endroit le plus risqué pour toute son équipe. Le prenant au mot, elle retira sa capuche, le voyant se décomposer d'un coup.

-Détendez-vous. Je ne suis pas une drow.

Se faisant, elle leva son bandeau et ses tresse pour le laisser admirer la parfaite rondeur de ses oreilles.

-Je viens de Thaar. Il y a des humains comme moi là-bas. On peut clore le sujet ?
Le jeune homme acquiesça sans un mot.

-On reste pas. Promis on viendra vous rendre une visite de courtoisie avant la nuit la prochaine fois.
-Bon... Hmmm... Pourquoi Helmund vous à envoyé ?
-J'ai sur les bras une cargaison de... trucs. Ça pourrait vous intéresser d'après lui. Regardez plutôt.

Elle tira de son manteau l'épaisse racine et la tendit à son hôte... qui se contenta de froncer les sourcils.

-Qu'est-ce qui vous dit que j'aurai besoin de c'te chose?
-Vous j'en sais rien mais la cabale à laquelle vous fournissez des ingrédients oui.

Un léger silence s'installa.

-Faites pas cette tête là. Je vous dit que c'est Helmund qui m'a parlé de vous. J'ai une dizaine de racine comme celle là, des bocaux de peau de reptiles et de grenouilles de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, des barils d'herbes et de pierres de toutes sortes ainsi que deux livres assez.. rare : Le glossaire de Flamel et le Voiry del tuvok...

Livre dont elle avait allègrement feuilleté les page durant son temps libre, comme de presques tous les documents qui passait par son navire, seule entorse à laquelle les marins de l'Amaranthe avaient le droit au sujet de la règle : Pas touche à la cargaison. Et là, c'était d'autant plus intéressant qu'ils comptaient un traité de magie drow portant sur le développement des perceptions magiques chez les jeunes apprentis... Autant dire un trésor sur le marché noir péninsulaire.

-Il m'a dit qu'un alchimiste Sharassais travaillant avec des mages avait commander tout ça pour des recherches sur l'augmentation de la perception des flux d'énergie cosmo-je-sais-plus-quoi. Vous êtes intéressé ou on doit allé revendre ça du côté d'Erac ?

Les deux marins attendirent quelques instants, laissant le marchand se perdre dans ses comptes et ses conjectures. Le matelot souffla par le nez en trouvant une chaise sur laquelle se poser. Il serait pas mécontent quand ils franchiraient le seuil en sens inverse. Koda n'était pas non plus une personne des plus patiente, mais l'idée des parts supplémentaires qu'elle aurait à payer dans les prochaines ennéade lui donnait assez de ressource pour attendre jusqu'à ce que le type ouvre la bouche.

… Puis la referme un instant comme si une nouvelle idée venait de fracasser sa décision.

-ça va durer longtemps ?
-Je... Il faut que je vois la marchandise.
-Vous la verrez. Quand vous l'aurez achetée. Vous savez lire ?

L'homme fit non de la tête, pendant qu'elle fouillait dans les replis de sa cape informe et de son manteau tout aussi large pour en sortir un parchemin. Elle fit quelques pas pour se placer dos au feu et dicter la liste de tout leur stock, répétant au besoin... Tout en notant les articles sur lesquels le jeune gars avait tiqué.

-Alors ? Intéressé ?

Il passa une main sur sa nuque.

-Et bien... Certains articles oui, mais la totalité...
-Ah ah. C'est du tout ou rien. Deux lots : les bouquins et le reste. On va pas rester avec des bouts de chandelles.
-Vous devriez le comprendre... insista lourdement le matelot en s'adressant au fabriquant de bougie, un rire dans la voix.
-Mais c'est bien trop cher. J'ai pas assez d'argent !
-Et bien vous avez quatre jours pour en trouver. Après on mettra les voiles, cargaison ou non. Vous pouvez faire comme d'habitude. Helmund nous a expliqué la procédure.

Plusieurs taverniers et petites échoppes se refilaient les bébés au milieux des bouteilles et des livraisons pour éviter de se faire chopper. En déposant leur cargaison au Cul Sec, ces magots tarderaient pas à en voir la couleur. Le principe de paiement était exactement le même.

Le jeune marchand avait l'air ennuyé, mais les affaires, c'étaient les affaires. Le matelots acheta deux bougies pour donner le change et ils tournèrent bientôt les talons. Avant de sortir pour retourner vers les quais, son navire (et peut-être faire un sot dans la gargote ou se saoulait sûrement la moitié de ses marins), Koda rabattit sa capuche et posa la liste qu'elle avait lu sur la table.

-Je vous laisse quand même la liste, dès fois que vous vous trouviez quelqu'un à qui elle puisse servir. Ah ! Et si vous voulez passez commande, hésitez pas, tant qu'on y est. On prend toujours soin de nos client réguliers.

Pietro n’avait jamais vu le port de Seram. Il s’était toujours contenté du Sud, jusqu’à aujourd’hui. L’idée même de se rendre en pays nordien le rebutait. Beaucoup de légendes circulaient à leur propos, concernant leur faune sauvage, et leur propension à la violence gratuite… Peut-être seulement des histoires, mais tout de même. Il n’avait vraiment pas envie de sortir du bateau. Non non non, il resterait sur l’Amaranthe. Il s’en était pris d’affection, au cours de ses quelques jours de bord. C’était une caravelle dotée d’une fort belle allure, et il avait passé ses premières journées à en étudier chaque recoin, à en tester chaque planche, et à en calculer les capacités…

Ici, alors que le Capitaine et le Second sortaient, il était à la poupe du navire, en train de récurer le scorpion arrière et vérifier l’état du système de ressorts à torsion. Il avait beau être impeccable, il continuait de le tester à blanc, plus pour se donner une raison de ne pas descendre que pour réellement régler un problème. Afin de ne pas trop répéter le même geste, il finissait par tester la mobilité de l’arme, qui coulissait malheureusement sans grincer… Il aurait préféré remettre un peu d’huile, histoire de faire quelque chose de vraiment utile. Mais l’armement était outrageusement en ordre, et alors qu’il relâchait le scorpion arrière, il soupira.

Puis, il se rappela qu’il n’avait toujours pas vérifié pour le second scorpion ! Et d’un pas léger, il se dirigea vers la deuxième pièce d’artillerie. Ses yeux se posèrent sur la corde, et il testa la tension des bras. Il émit un petit grognement lorsqu’il se rendit compte, seulement à vue d’œil, qu’il n’avait rien à faire non plus sur celle-ci. Dans un ultime espoir, il fit encore une fois le contrôle de la mobilité. Un léger grincement retentit au pied de l’arme, et un mince sourire s’étira sur le visage de Pietro, d’habitude si sérieux.

Il se dirigea vers la cale, où il croisa un matelot au regard suspicieux. Timidement, Pietro montra une étagère du doigt.

"Je… Je vais huiler la pièce de tribord…"

Le type le regarda encore un instant, avant de s’écarter en croisant les bras, mâchonnant sa pipe calmement. Pietro passa sans lui offrir un regard, et atteignit l’étagère, où une mixture graisseuse qu’il avait demandée au Capitaine trônait dans un flacon nauséabond. Il s’en saisit, et remonta sur le pont principal, se dirigeant vers le scorpion. Une fois le travail fini, il referma le flacon, et testa à nouveau la mobilité. Pas un seul son ne fendit l’air, et il ricana. Tout seul.

Puis, se retournant pour aller remettre le flacon à sa place, il se rendit compte qu’il n’avait plus rien à faire. Il soupira, ses épaules s’affaissant légèrement, et, après avoir reposé la graisse spéciale à l’endroit d’où il l’avait prise, il se dirigea vers les docks dans un silence de mort. Le visage inexpressif, il passa à côté de quelques prostituées qui lui faisaient du gringue. Mais à la vue de ses mains graisseuses, elles eurent tôt fait de le laisser passer. Il continua de marcher jusqu’à croiser un baquet d’eau, apparemment sans surveillance. Il se lava les mains dedans, avant d’être apostrophé par une vieille dame au patois étrange, rendu incompréhensible par ses nombreuses dents manquantes. L’Ydrilote fuit rapidement l’effarouchée, évitant ainsi un coup de canne mal placé. Tranquillement, il se balada à l’intérieur du port de Seram, prenant ses repères, et étudiant les colombages rongés par le sel, façades mornes au pied desquelles gisaient des ivrognes et des tonneaux vides…

La nuit venait de tomber, pourtant la plupart des commerces étaient déjà fermés. Pour ne pas dire tous. A croire que Seram s'éteignait avec le soleil. En dehors des tavernes, seule une échoppe était encore ouverte. Une lumière rougeoyante s'en échappait, éclairant le pavage qui s'étendait devant. A l'intérieur raisonnaient des bruits de métal que l'on frappe à coup de marteau. Malgré l'heure tardive, Calel travaillait encore. C'était la punition de son patron pour avoir déserté un poste en pleine journée. Le fait que son fils de huit ans ait été agressé lui importait peu. Il l'avait pris par défaut et parce qu'il était très compétent mais Sigmund n'aimait pas les étrangers et lui faisait bien sentir. Il avait en plus eu le malheur de croiser Ilan, ce qui n'avait pas arrangé les choses... Cela mettait le mage en colère mais il était bien obligé de prendre sur lui car il n'y avait pas d'autre forgeron dans les environs.

Tandis qu'il martelait la fourche qu'on lui avait donné à réparer, quelqu'un se présenta à son étal. L'homme d'âge mur se racla bruyamment la gorge pour attirer l'attention du forgeron. Relevant la tête, Calel découvrit le visage peu avenant de celui qui venait réclamer ses services et il remit la fourche au feu avant de poser pince et marteau.

-Bonsoir. C'est pour quoi ?

Une hachette atterrit sans ménagement sur le comptoir. Calel examina la lame. Elle avait seulement besoin d'être aiguisée. Il se dirigea donc vers la meule avec l'outil en main et posa le pied sur la pédale qui servait à la faire tourner. Après seulement quelques minutes, il revint auprès de son client pour lui rendre l'objet.

-Et voilà, comme neuve.

Le client posa quelques pièces et reprit sa hachette.

-Le manche peut encore tenir mais il faudra le...

L'homme n'attendit même pas la fin de sa phrase et tourna les talons, laissant Calel seul avec son conseil.

-... remplacer...

Le forgeron regarda son client disparaître dans la nuit noire, consterné par le comportement des gens du Nord envers les étrangers.

-Je vous en prie. Lâcha-t-il comme pour finir son petit discours commercial proprement tout en appuyant sur le manque flagrant d'éducation de certains.

-MAIS PUISQUE JE TE DIS QU'ON EST DEJA PASSES PAR LA!
-MAIS NON C'EST A DROITE QU'IL FAUT TOURNE BON SANG!
-OHE UN PEU DE RESPECT!
-VENTRE A L'AIR DES GONADES SACRES DE TYRA VOUS ÊTES BOUCHÉE  C'EST PAS MA FAUTE!"

Une main fusa de la cape pour attraper le matelot par le col. Sa peau noir se détachait distinctement sur le tissus écru. Koda avait beau être plus petite que lui, elle le tint avec la fermeté nécessaire pour le faire vaciller un instant, le ramenant assez bas pour pouvoir plonger ses yeux dans les siens.

-Hmm... Autant pour moi Capitaine. Je me suis un peu emporté...

Elle pris quelques secondes pour bien encrer la situation dans la tête du matelot et relâcha son emprise en soufflant un coup.

-haaa... T'as de la chance que ce soit plus le pâlot au commande sinon il aurait trouvé une demi douzaine d'ortie, il aurait chargé le Vieux de te défroquer et de t'asseoir dessus. La suite je pense que la raconter sert pas à grand chose.
-ça sent le vécu...
-je ne répondrai qu'en présence de mon généreux paternel... et en attendant on est toujours perdu...
-Quelle galère votre plan. Comme si on avait pas assez de la journée dans les pattes faut que je coltine une balade pour que vous puissiez parler deux minutes avec un sympathisant d'une de le caba...

Un retentissant coup de coude lui embouti les côtes.

-Claque ton bec, Jacasse. lança-t-elle sur le ton de la conversation. Ce n'est ni le lieu ni le temps.

Il se frottait les côtes en fronçant ses sourcils broussailleux mais n'ajouta rien de plus. Pendant ce temps, Koda regardait autour d'eux autant que sa profonde capuche le lui permettait. Ils étaient une fois de plus arrivé devant la forge. Au moins, avec le bruit et la lumière, ils étaient sûr de pas se tromper, contrairement à d'autres allées... bordel... Bon... Aux grands mots les grands remèdes.

-Hey. Tu vas lui demander par ou on doit aller pour rejoindre les docks marchands. ordonna-t-elle de sa voix à l'accent exotique.
-Mais puisque je vous dis que c'est à droite.
-Et moi je te dis que je suis pas convaincue. Alors tu demande et tu pourras aller te murger avec les autres. Au trot matelot.

Il soupira pour la millième fois et s'approcha de l'étal du forgeron.

-scuzez. Vous savez par où c'est les docks marchands? demanda-t-il en se passant une main sur la nuque, prêt à prendre la poudre d'escampette dès qu'il aurait la réponse. Il la retenait la capitaine avec ses désignés volontaire... Bon en même temps s'était son gage pour s'être endormi à la vigie, il aurait put tomber plus mal, beaucoup plus mal...

Calel s'était vite remis au travail car son retour à l'auberge dépendait de temps qu'il lui faudrait encore pour achever sa tâche. Il aurait pu terminer en seulement quelques minutes avec un brin de magie mais, s'il prenait à son patron l'envie de demander au voisinage jusqu'à quelle heure il était resté, cela aurait éveillé des soupçons. Vu son succès auprès des Capitaines qui amarraient leurs bateaux ici, il pouvait se retrouver coincé à Seram pour un moment encore. Alors autant faire profil bas...
Et puis, il ne s'agissait que de réparer une branche de fourche tordue. Rien de bien méchant en somme. Enfin, le bougre avait dû y aller comme un forcené pour réussir son coup quand même... Le métal était presque à la perpendiculaire !

Tandis qu'il œuvrait, une bonne vingtaine de minutes s'écoulèrent. Concentré sur ce qu'il faisait et assourdi par ses propres coups de marteau, il n'entendit pas les deux contrebandiers égarés passer à plusieurs reprises devant son échoppe, se chamaillant de plus en plus à chaque tour de pâté de maisons. Il fallut que l'un d'eux approche de son étal et s'adresse à lui pour remarquer une présence extérieure à la forge.
Le dernier coup de marteau raisonna après que le marin ait prononcé son premier mot. Calel releva la tête pour porter son regard sur celui qui l'interpellait. Il lui adressa un sourire amical et reprit son travail avant de lui répondre par une boutade.

-Pourquoi être venu vous perdre jusqu'ici ? Il y avait des tavernes bien plus près du port.

Quelques coups de marteau de plus suffirent. Il avait enfin achevé la tâche que Sigmund lui avait assignée et il plongea la fourche brûlante dans le seau d'eau posé au pied de son enclume. La question du forgeron n'attendait pas de réponse, il était simplement heureux à l'idée de pouvoir rentrer serrer son fils dans ses bras.

-C'est un peu compliqué à expliquer depuis ici. Si vous avez deux minutes, je vous y emmène.

Tandis que le métal refroidissait, Calel retira son tablier et l'accrocha sur une paterne dans un coin de la pièce. Il rechargea le feu en bois pour qu'il ne s'éteigne pas pendant la nuit avant de refermer la grille qui empêcherait les braises de s'échapper de l'âtre. Ceci fait, il retira la fourche de l'eau et la mit à sécher sur son enclume. Enfin, il ferma l'étal et sortit par une porte adjacente, prenant soin de la verrouiller d'un coup de clef.
Se retournant pour chercher le marin des yeux, il découvrit qu'ils étaient deux. Ils auraient pu tout aussi bien être dix, cela ne changerait pas grand chose à l'affaire... En revanche, ce second individu attira son regard et il se figea l'espace d'un instant. Les rayons des lunes éclairant le tissu aux tons clairs donnait une impression de noirceur incroyable dans le fond de la capuche. Mais il sut presque instantanément que ce n'était pas qu'une impression. La force de l'habitude avec Ilan sans doute.

-Vous... devriez porter des couleurs plus foncées. Ce serait plus discret pour...

Calel se rendit aussitôt compte que son conseil était malvenu, voire déplacé, et il se ravisa.

-Hm... Désolé. C'est par là.

Il indiqua alors une ruelle presque en face de son échoppe et s'y dirigea la seconde suivante. Les marins s'étaient largement éloignés du chemin qu'ils avaient empruntés à l'aller et celui qu'il allait leur faire prendre ne rejoindrait pas des rues connues des deux voyageurs avant quelques intersections.

« On est venu... chercher des bougies. » expliqua doctement le matelot en montrant ce qu'ils avaient ramené comme alibi.

Le forgeron n'avait pas l'air franchement pressé... Lorsqu'au bout de quelques instants, le matelot se retourna vers son capitaine avec l'oeil emplit d'un questionnement bien justifié, elle lui fit signe d'attendre. Mieux valait perdre deux minutes de plus avec un type du coin que tourner en rond jusqu'à ce que mort s'en suive...

Alors ils attendirent.

Du peu qu'elle en voyait, la nuit avait l'air on ne pouvait plus clair... Et attendre en baissant les yeux n'était pas vraiment ce qu'il y avait de plus passionnant. Dans le Nord de la péninsule, il fallait bien sacrifier à ce genre de détails. Mais allons... De toute façon dans l'ombre, il y avait peu de chance qu'on en appel à la garde et c'était principalement ce qu'elle voulait éviter. Elle leva donc un peu plus franchement le nez, sa cape retombant un peu moins parfaitement son manteau et ses vêtements. Après avoir laisser rapidement son regard flâner sur les façade, elle fini par pouvoir le poser sur le ciel.

Mis à par quelques lambeaux noirs, les étoiles étaient parfaitement visible. La nuit d'automne était fraîche... très même lorsqu'on était habitué aux douceurs de l'Ithri'Vaan, mais loin des températures du Zagazorn. La lune commençait à être dodue. Quelques jours suffirait à la voir pleine. Quand à sa petite sœur, son reflet doré était toujours aussi remarquable...

La voyageuse fut ramenée de ses songes par l'approche de deux hommes. Le forgeron et son matelot. Son regard sombre se posa sur l'homme qui se figea un instant. Elle amorça un geste d'apaisement, prête à fuir en dernier recours (mieux valait prendre la poudre d'escampette que de risquer de voir une quelconque forme d'autorité se pencher un peu trop sur elle, son équipage et sa cargaison) mais n'eut pas besoin d'aller plus loin. Il n'avait pas l'air paniqué ou révulsé. Il se contenta juste de lui donner un conseil pour... camoufler sa peau ?  Avant de changer brusquement de sujet, gêné comme un poux.

Elle leva un sourcil... Lui il était pas du coin.

Mais elle n'allait pas s'en plaindre.

Sans lui laisser le temps de répondre, il les précéda dans une ruelle comme toutes les autres : étroite, sombre, humide, dégageant une odeur particulière et encaissée entre deux hautes masures. Sur un regard entendu vers son matelot, elle s'engagea à la suite de l’autochtone, sentant son cher ami près à bon dire en cas d'entourloupe en parlant sur un ton dégagé.

« Pas de mal. On est de passage mais c'est vrai que je fais vraiment pas... couleur locale. »

Pour un péninsulaire, d'autant plus un nordien, elle devait avoir un accent à couper au couteau. Non pas que son péninsulaire soit atroce, mais à bord, elle utilisait plus souvent l'oliyan que la langue des royaumes humains. Mais après tout...

« Vous n'êtes pas du coin non plus, j'me... ! »

Elle se rattrapa in extremis au mur le plus proche avant d'embrasser le pavé.

« Gedsh'woualhta ! » râla-t-elle en se remettant d'aplomb, tout en secouant frénétiquement sa cheville. « saleté de pavé... »

Heureusement, plus de peur que de mal, la douleur était vive sur le coup, mais ni foulure, ni arrachement, ni fracture. Elle s'était bien écorché le bord de la main en voulant se rattraper, mais c'était un moindre mal auquel elle ne faisait pas spécialement attention. Juste un faux pas parmi tant d'autre, et elle n'avait pas une goût d'alcool dans le sang... Ce qu'elle pouvait avoir hâte de retrouver son navire... Raaah mais il y avait encore cette question d'embauche au Cul-Sec... Et un médecin pour Sarah... Il faudrait qu'elle trouve cela à la première heure demain. Enfin...

« Je disais : vous êtes pas du coin, hein ? »

Calel souffla très brièvement par le nez tandis que la dame noire lui parlait de "couleur locale" avant de parler, presque pour lui-même.

-Ne m'en parlez pas...

Certains jours, il regrettait d'avoir quitté le village où Ilan avait vu le jour et où il était à peu près accepté. Mais ils ne pouvaient plus faire marche arrière à présent et il essayait de se persuader qu'un jour il finirait par lui offrir une vie meilleure. Celle qu'il méritait après toutes ses années à supporter les regards des autres sur sa différence. Calel, au moins, pouvait cacher sa magie. Il lui suffisait de ne pas pratiquer en public. Quant à son fils, il était difficile de ne pas le remarquer. Même sans voir sa peau et ses yeux, le simple fait de croiser un enfant couvert de la tête aux pieds était suffisant pour voir qu'il n'était pas comme tout le monde.
Tandis que Calel tournait au coin de la rue, il s'arrêta et recula d'un pas en entendant ce qu'il pensa être une injure dans une langue étrangère. Visiblement, celle qui l'accompagnait n'avait pas l'habitude des pavés. On pouvait vite s'y faire mal.

-Tout va bien ?

Vu comment elle posait son pied par terre, elle n'avait rien à la cheville ou à la jambe. En revanche, sa main devait être entaillée étant donné la façon dont elle la regarda. Calel se tourna vers une des rues qui s'ouvraient derrière lui et plissa les yeux, réfléchissant. Il avait de nombreuses fois parcouru les rues de Seram mais il ne se souvenait pas de tout... Se remémorant la direction à prendre pour le petit crochet auquel il pensait, il indiqua une ruelle.

-Il doit y avoir un puit par là pour nettoyer votre main.

Une fois de plus, le forgeron n'attendit pas de réponse avant de reprendre sa route. C'était à croire qu'il exerçait son rôle de père à temps plein et avec tout le monde. A moins qu'il soit tout simplement d'une nature bienveillante. Cela semblait remonter si loin le temps où il n'y avait que lui... Neuf ans, ce n'était pas rien, c'était vrai. Mais sur trente-six, ce n'était pas si long.
Calel n'eut pas le temps de se replonger plus que ça dans ses tergiversations. Visiblement, lui aussi était démasqué. Il lui répondit sur un ton sarcastique

-Je me demande ce qui vous fait dire ça... Probablement la même intuition qui me laisse à penser que vos bougies pouvaient bien attendre une nuit.

Il était vrai que l'heure était bien tardive pour faire des emplettes et l'artisan avait probablement dû rouvrir son échoppe pour vendre deux malheureuses bougies... Il était même curieux qu'il ait accepté. Le marin aurait mieux fait de se taire plutôt que de lui sortir cette excuse peu convaincante... D'ailleurs, il se tourna vers l'homme en question avant qu'il ne s'enfonce davantage.

-Et cette phrase n'attend pas non plus de réponse. Je ne veux pas savoir ce que vous êtes venu faire ici. Ajouta-t-il d'un ton calme.

Calel n'était pas curieux. Ou plutôt, pas du genre intrusif... De plus, il préférait ne pas se retrouver mêlé à des histoires louches. Il ne voulait pas attirer l'attention sur son fils ou lui et avait ses propres difficultés à régler. Il songeait à reprendre la route pour se rendre dans un autre port et essayer de trouver d'autres bateaux qui veuillent pas de lui ET d'Ilan. Il lui restait encore à décider s'il devait plutôt s'avancer vers Naelis ou descendre plus au Sud.
Arrivé au bout de la rue, Calel prit une demi-seconde pour s'assurer qu'il était sur le bon chemin avant de finalement continuer tout droit. Tout en marchant, il entreprit de répondre à la question sous-entendue de la dame.

-C'est vrai mais pas pour les raisons que vous croyez. Je suis né plus au Nord. Ce n'est pas vraiment différent d'ici et pourtant je suis autant un étranger que vous pour les gens du coin.

La ruelle déboucha finalement sur une petite placette au milieu de laquelle trônait un puit. Calel s'approcha, poussa le seau dans le trou sans fond jusqu'à entendre le "plouf" lui indiquant qu'il était arrivé à bon port. Puis il tira sur la chaîne pour remonter le contenant plein qu'il posa sur le muret en pierre. Il tira enfin un mouchoir propre de sa poche et l'humidifia avant de le proposer à la blessée pour qu'elle nettoie sa main.

Aube d'un sentier gommé par le temps.
Crépuscule d'une fuite qui ne devait pas finir.
Lorsque le destin force l'Homme à revenir.
Présent d'est du passé que le cadavre fumant.

Bien triste état que celui dans lequel tu te réveilles en ce jour pourtant béni. Cernes profondes et membre engourdis, autant de symptômes que tu peins comme n'ayant pas place dans ta vie. Peine du pérégrin de retour au foyer, point de mal du pays mais un mal de l'étranger, sous les vents Péninsulaires ta gorge s'est tant serrée que l'Amaranthe au petit matin n'a pas eu la joie de t'entendre vocaliser. Coq des mers chantant au petit lever, chauffant ton instrument pour ouvrir l'oeil des ensommeillés, tu n'as pas eu le courage de leur torpeur les arrachés, puisque la fatigue qui les prendrait, en ces jours tu la connais.
Ton oeil n'a pas voulu se fermer. Ton coeur plusieurs fois s'est presque arrêté. Que les vents portent à ta fine oreille les sons lointains d'un proche Seram, et la douleur revenait. Sombres heures marquant la fin de ta traversée, nouveau départ dans la terre que tu connais... retour auprès d'une famille pour laquelle tu sacrifies tes coéquipiers.

Qu'est Koda devant ta mère ? Qu'est Sarah devant ta soeur ? Qu'est ce mélancolique dont le nom t'échappe encore devant ton bien aimé frère ? Compagnons de voyages, flambeaux à passer, quelques nyctémères en leur joyeuse compagnie n'auront pas été assez pour faire d'eux ta destinée... et pourtant tu t'accroches. Tu t'accroches au présent dans l'ignorance du futur de ton passé. Tu plonges ta main dans le réel effrayé de la manière dont le Voile aura pu redessiner le rêve. Ta conscience veux des réponses, satisfaction veux s'imposer à curiosité, mais supposition et conjectures ne veulent pas perdre leur place. Comme la légende perd sa saveur devant la science qui la vérifie, il reste encore un peu de vie dans la mort ignorée. Le barde espérant sa famille plus forte que la famine pourrait être le dernier rempart devant le Royaume de Tyra.

Glisser de la vigie, ta place auto-attitrée. Parcourir le pont à pas feutrés. Baisser les yeux pour aux regards échapper. Toucher terre et sans un adieu s'éclipser. Traverser le port sans se retourner et vers les campagnes d'Etherna tout droit se diriger. La tâche est simple, le chemin est tracé, quelques jours et les mystères seraient brisés.

Lance une pièce, parie contre la vie.
Sa face est ton bonheur, son dos est ta fin.
Infortuné pile et l'espoir s'éteint.
Mais même face contre terre, tu as les cartes en main.

Il y eut un lever, il y eut un coucher. Les docks sont loin derrière au point de t'en paraître embrumés, manque de clarté vite fait attribué aux restes d'un sommeil agité. Tu inspires pleins poumons, ravale ta salive. Une goutte de ta gourde et tu gargarise bruyamment. Rituel matinal auquel depuis peu mais trop longtemps tu ne t'es pas adonné, une articulation après l'autre tu fais tes os vibrer. Tous muscles relâchés, tous noeuds défaits, d'un souffle nouveau tu te laisses traverser.
Sur ton luth tes doigts tirent un sol  ; et d'une voix brumeuse tu grondes l'arpège des basses.
Sur ton luth tes doigts tirent un do ; et les sons s'éclaircissent au fur et à mesure de ton ascension.
Sur ton luth tes doigts tirent un mi ; et à travers la tessiture de ténor tu résonne puissamment.
Et tu montes et tu descend dans des excercices rocambolesques, vogant entre chant de méryales et sonorités plus gutturales ; jusqu'à ce que ta glotte ne saute, coupée dans son élan par la lame d'un passant.

Le temps que leur guide se repère, elle cracha dans sa paume, sortit un grand chiffon et le serra dans sa main écorchée.


"C'est pas la p..." Le forgeron n'attendit pas qu'elle ait fini sa protestation avant d'obliquer dans la direction qu'il venait d'indiquer. Elle soupira pour la forme, échangea un regard avec son matelot et lui emboita le pas.


Mais la réflexion de l'homme au sujet de leur grandiose excuse de bougie la rembrunie un peu. Non pas qu'elle s'attendait à ce que la présence d'esprit de son matelot ait fait mouche, plutôt que de son expérience ce genre de discussion ne finissait jamais bien... heureusement le forgeron se tempera de lui-même comme il l'avait fait un peu plus tôt. Visiblement, il aimait bien parler avant de réfléchir celui-là...


"Croyez le ou non, mais veiller un malade de nuit sans un bougie, ça se passe relativement mal. C'est aussi pour ça qu'on voudrait rentrer rapidement." répondit-elle quand même avec une pensée pour Sarah avant d'avoir le droit à une réponse de convenance. Un nordien donc. Il était moins un étranger qu'un homme de passage du coup...


Elle refusa d'un geste et d'un sourire le mouchoir de l'étranger, s'approchant du baquet d'eau en sortant de nouveau ses mains sombres de sa cape. Son chiffon atterrit sur la margelle et elle glissa les deux mains dans l'eau sans tressaillir et se les frotta pour en ôter la saleté. Tout en s'occupant de ses mains, elle continua :


"J'ai entendu parlé des guerre du Nord depuis le Voile. C'est ce qui vous a fait partir je suppose? Je vois mal un forgeron être mal accueillit sinon. On doit vous courir après partout en Péninsule ! "


Puis elle décrassa rapidement son chiffon dans la même eau et la répandit au sol en prononçant quelques mots qui appartenaient visiblement à la même langue que son injure. Elle invita d'un geste le forgeron à reprendre la tête de leur cortège. Elle était tout a fait sérieuse sur son envie de ne pas trainer.

"J'y pense!" se redressa-t-elle du fond de sa capuche. "Vous connaissez peut-être un médecin fiable et pas trop cher? "

L'explication du malade se tenait déjà d'avantage, bien que le flou artistique que l'avait précédé le rendait un peu moins crédible. Le marin ferait mieux de laisser sa compagne répondre lorsqu'on posait des questions. Enfin bref, il n'allait pas poursuivre sur le sujet plus longtemps. Il était sincère lorsqu'il disait ne pas vouloir savoir ce qu'ils trafiquaient exactement.

Calel reprit son mouchoir, puisqu'elle n'en voulait pas. Ou plutôt, il ne garda en main car il n'allait pas le remettre dans sa poche maintenant qu'il était humide. Il l'étendrait devant le feu, une fois rentré à l'auberge. Tandis que la dame se lavait les mains, il réfléchissait au chemin le plus court pour se rendre au port depuis leur position actuelle. Il connaissait la route qui allait de l'auberge à la forge en faisant le détour par le port mais sans escales sur le chemin... Et, en pleine nuit, avec l'absence de luminosité et des étalages, il était moins aisé de se repérer.
Pendant ce temps, les suppositions au sujet du forgeron se poursuivaient sans qu'elles ne tombent justes.

-Bien essayé, mais ce n'est pas ça. En fait, on nous réserve le même accueil que celui dont vous devez avoir l'habitude en ces terres.

Calel lâcha un soupir. Il n'avait pas vraiment l'habitude d'en parler mais si quelqu'un pouvait comprendre, c'était bien elle... Alors il ne servait à rien de faire plus de mystère.

-Mon fils est né au cours de la longue nuit et il en porte les stigmates. Il est votre opposé en quelques sortes.

Voilà pour quoi elle ne l'effrayait pas. Il n'avait évidemment pas pu cacher sa surprise en la voyant mais de là à en avoir peur... Il aurait sans doute une appréhension face à un elfe, une curiosité pour un nain ou une méfiance pour un drow mais, même sans avoir vu ses oreilles ou ses yeux de plus près, il avait la nette impression qu'elle n'était rien de tout cela. Il était également, il fallait bien l'avouer, un peu plus instruit que la plupart des personnes vivants dans ce village. Il savait lire, écrire et compter tout comme il connaissait quelques rudiments du combat à l'épée, malgré plus de deux décennies passées sans pratique.

Dès que la femme fut prête, Calel reprit la route en direction du port. Contrairement à ce que les deux marins pensaient, il était pressé de retourner auprès de son fils. Depuis l'incident qui aurait pu très mal tourner quelques jours plus tôt, il était de moins en moins à l'aise avec l'idée de le laisser durant une journée entière. Alors, avec la sanction que lui imposait son salopard de patron... Mais il n'en restait pas moins un homme foncièrement bon et il n'était pas dans ses habitudes de laisser quelqu'un blessé et risquer de voir sa plaie s'infecter parce qu'elle n'avait pas été nettoyée correctement. Et, au vu de la question qui suivit, il se dit qu'il avait eu d'autant plus raison...

-Je ne suis ici que depuis quelques ennéades. Je serais bien incapable de vous renseigner. Je soigne à merveille les coups de soleil, la déshydratation et les petits bobos mais s'il s'agit d'autre chose, je ne vais pas pouvoir vous aider. En revanche, je sais à qui demander. Notre aubergiste est un ami. Je vous ferais savoir s'il a un nom à me donner.

Le petit groupe n'était plus à quelques rues du port. Déjà, les embruns salés de l'océan leur chatouillait les narines. Ils tournèrent à l'embranchement suivant et ils perçurent alors le bruissement de l'eau en ressac sur les coques des navires. Au bout de la rue, on distinguait les ombres des bateaux qui s'étiraient sur le sol. Calel s'arrêta. Les deux marins n'avaient plus besoin de guide.
Avant qu'ils ne s'en aillent, le forgeron retint la femme une seconde.

-Quel est le nom de votre navire... Capitaine ?

Un regard sur le marin laissa aisément comprendre à l'officier ce qui lui avait mis la puce à l'oreille. L'attitude du matelot à son égard était flagrant... Il se taisait chaque fois qu'elle prenait la parole et se tournait vers elle lorsqu'il y avait une décision à prendre. Elle devait donc avoir un grade, et à la hauteur de l'autorité qu'elle semblait exercer sur ses hommes. Sans compter sa dernière question sur la recherche d'un médecin. Le simple matelot n'aurait sans doute même pas pensé à poser la question. Il s'était peut-être un peu avancé avec son "Capitaine" mais sans doute pas de beaucoup.

Son opposé ? Elle leva un sourcil du fond de sa capuche, intéressée au plus haut point par cette petite phrase qu'elle ne comprenait pas le moins du monde. Mais elle n'eut pas le temps de poser la moindre question que la possibilité de trouver un médecin pour Sarah lui avait fracassé le cerveau droit.

-Merci. Ça m'évitera d'avoir à la charcuter moi-même.
-Charcuter Sarah... ?
-Si je l'ai enfermée dans sa cabine c'est bien pour une raison.

La voix sombre de Koda fit presque pâlir le matelot. A ce point... Et bien... Ouais, il faudrait se dépêcher quand même... Et le Capitaine qui semblait pas s'en foutre d'une guigne... alors qu'il les avait bien vu, elle et son second... ça c'était du sang froid !

À peine la brise leur porta-t-elle le son de l'océan que Koda respira plus profondément. Elle s'était imperceptiblement redressée, se tenant naturellement plus droite et mieux campée sur ses pieds si maladroits un peu plus tôt. Elle inspira profondément... Mouais non mauvaise idée, l'odeur était toujours atroce et la fit tousser.

-Merci l'ami, quelqu'un passera à ton échoppe demain pour avoir le nom. Je t'promet pas de repasser en personne, pas besoin de vous expliquer pourquoi j'pense.

En bonne commerçante, Koda vint serrer la main du forgeron de sa poigne pour le moins... musclé. Déformation professionnelle que voulez vous... Elle fit un pas vers la rive lorsqu'un mot mélodieux vient flatter son oreille. Un sourire énigmatique se dessina sur son visage, faisant étrangement rayonner ses dent blanche ans l'ombre de ses atours.

-J'ai le plaisir de commander le plus fin et le plus vif voilier des Trois mers ; pour le plus plaisant et le plus riches des bienfaiteurs Naélisiens. L'Amaranthe. Un navire aussi éternel que l'est son nom, je puis vous l'assurer, Mon Seigneur.

Elle s'était tout a fait retournée vers lui, la faible lueur arrivant du bout de la rue lançant une longue ombre sur le sol. D'un geste ample, et tout en parlant d'une vois théâtrale, elle avait esquissé une grandiloquente révérence Thaarie avec moult moulinets du poignet. Son accent prononcé s'était soudain envolé, ne laissant qu'une tessiture peu commune et quelques 'r' roulés.

En se redressant, elle lui avait fait face avec le même sourire.

-Si la bonté est également répartie dans le monde ; la politesse, mon ami, est l'apanage des gens d'éducation. Vous seriez étonner du peu de gens capables d'articuler 'stigmate' du premier coup...

Quand à utiliser la tournure de phrase « laisser à penser », il fallait au moins l'avoir lu ! Pour elle qui avait bourlinguer dans pas mal de coins et rencontré pas mal de tâches, ces détails sautaient au oreilles autant que son ton. Ajouter à ça sa réaction en devinant la couleur de la peau de notre très chère Capitaine. Soit ses parents étaient suffisamment riche pour lui offrir l'éducation, soit ils étaient nobles... et vu ce qu'on disait sur la Péninsule, être l'un sans l'autre était assez peu probable.

Il avait son pari, elle avait le sien... Et elle l'avait asséner comme la plus évidente des certitudes avec son flegme habituel quand il s'agissait d'histoires.

Elle se retourna à demi avant de lancer par dessus son épaule, retrouvant sa diction aussi exotique que  relâchée :

-Un dernier détail : J'suis curieuse d'en savoir plus sur vot' fils mais j'ai des ''bougies'' à livrer. V'nez donc au Cul-Sec à l'occasion, je vous offrirai un verre. On part dans quatre jours. Bonne nuit l'ami.

Elle ne se retourna pas une fois, marchant d'un pas lent et ample qui faisait onduler sa silhouette dans l'ombre de la nuit. Tournant à l'angle de la rue, elle lâcha un petit éclat de rire que son camarade fut le seul à pouvoir entendre. Il la regarda, suspicieux, mais elle ne le vit pas à cause de son champ de vision réduit. Il ne posa pas de question pourtant. A quoi bon ? Elle allait pas répondre... ou un truc qui lui ferait se poser encore plus de questions.

-Tu irais prévenir le tavernier du Cul-Sec que l'Amaranthe cherche un médecin et quelques gars ?
-Vous venez pas vous j'ter un godet, Capitaine ?
-Et Sarah ?
-ah... oui...
-Va donc. Je te démet de ton premier quart de d'main.
-A bah ! Merci Capitaine !

Cent mètres et elle était enfin de retour à la maison. A peine sur le pont avec le très léger remous de l'eau glissant sous la coque et elle allait déjà mieux. Envolée la nausée !

Saluant les gars de garde, elle alla poser les quelques bougies et sa cape dans sa chambre avant de descendre dans les quartiers de l'équipage. Deux volées de marches plus bas, elle ouvrait délicatement la porte du fond.

-Tu peux prendre une pause Squik.

Le mousse acquiesça et sorti sans demander son reste. Koda retira son manteau et ajusta son bandeau coloré. Vérifiant l'huile qu'il restait dans la lampe qui éclairait la chambre, elle s'approcha de la malade. Une bassine d'eau et une autre bien moins ragoutante était posées près d'elle. La fièvre n'avait pas baisser. Koda replongea la compresse dans l'eau glaciale avant de l'appliquer sur son front.

-Tiens le coup. Le type de Nelen était un charlatant. On va en trouver un bien de médecin, je te le promet. Tu m'entends ?

La réponse théâtrale du Capitaine amusa Calel et un discret sourire en coin se dessina sur ses lèvres tandis qu'il observait les circonvolutions réalisées par les poignets de la dame. C'était assez original. Il n'avait jamais vu une telle chose. Il n'avait jamais vu de femme avec cette couleur de peau non plus. Quant à cet accent à couper au couteau... Il avait déjà parcouru plus de territoire que la majorité des péninsulaires ne le ferait en toute une vie. Seulement, il était toujours resté dans le Nord des terres humaines. A part quelques patois, il n'avait pas connu d'autres langues que la sienne.

Visiblement, le forgeron n'était pas le seul à se montrer perspicace. Bien sûr, il n'était guère difficile de deviner son statut passé. Sa façon de se tenir bien droit, de garder la tête haute et sa démarche assurée laissaient peu de place au doute. Sans parler de son vocabulaire plus fourni que la moyenne. Mais ici, on le percevait avant tout comme un étranger avant de voir le noble qui vivait toujours en lui. Si le Capitaine ne s'encombrait pas du premier point, il était plus aisé pour elle de s'apercevoir du second.
Alors que leurs routes se séparaient, la dame lui lança une invitation.

-Je pourrais vous prendre au mot.

Calel les regarda s'avancer sur les quais durant une seconde de plus puis il disparut dans une autre ruelle, prenant cette fois la direction de l'auberge, le pas pressé. En chemin, il repensa à cette rencontre et à cette femme des plus atypiques, non pas à cause de sa couleur mais plutôt de son accent et de ses manières. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas fait aussi plaisante rencontre. Il se rendrait sûrement au rendez-vous qu'elle lui avait donné, pas forcément avec l'intention de lui parler très en détail d'Ilan mais avant tout pour sympathiser d'avantage. Sa question sur le nom de son navire n'était pas innocente, si elle ne l'avait pas invité, il se serait sans doute rendu à son bâtiment pour négocier deux places pour la nanie contre travail... Ce soir, le moment était mal choisi car tous deux étaient attendus. Ce n'était donc que partie remise.

******************

-Calel !

Sigmund était encore plus renfrogné que d'habitude. Il avait dû passer une sale nuit pour être d'aussi mauvaise humeur. Et, bien évidemment, cela retombait sur son unique employé.
L'interpellé se retourna pour voir son patron statique, les poings sur les hanches.

-La commande de Gaspard, tu l'as livrée ?

-Non, je...

Il ne lui laissa même pas le temps de finir qu'il enchaîna aussitôt.

-Alors t'attends quoi ? Qu'il neige ?!

Toujours aussi charmant...
Calel savait qu'il ne servait à rien de discuter. Il remit donc son ouvrage au feu et retira son tablier de cuir avant de prendre le colis que lui désignait Sigmund et de disparaître dans la foule qui occupait à présent la rue sur laquelle donnait la forge. Au moins, il ne serait pas mécontent de prendre l'air une petite heure. Jamais son patron ne lui avait dit qu'il devait faire une livraison sans quoi il l'aurait fait la veille ou avant de venir travailler. Il lui ferait rattraper son absence, une fois de plus... A croire qu'il le faisait exprès pour lui pourrir la vie.

Peu de temps après que Calel soit parti, deux hommes se présentèrent à l'étalage de Sigmund.

-On vient pour le médecin.

-J'ai l'air de faire des onguents ? Répondit le forgeron sur un ton fort peu amical.

-On nous a dit que quelqu'un aurait un nom à nous donner ici.

-"On" vous a mal renseigner. Je m'occupe du métal, pas des os brisés.

-On vient de la part du Capitaine de l'Amaranthe. Tenta une dernière fois le matelot, comme pour lui rappeler le commanditaire de cette information.

-Tant mieux pour vous. Maintenant, si vous n'avez besoin de rien niveau forge, libérez la place devant mon échoppe !

Les deux marins abandonnèrent devant le sale caractère de cet homme qui semblait visiblement ne pas vouloir leur répondre. Toutefois, ils l'avaient vraiment mauvaise. Ils espéraient pouvoir rapporter le médecin pour soigner leur second qui en bavait depuis un moment maintenant et voilà qu'ils rentreraient bredouille avec, en prime, la sensation de s'être fait refouler comme des malpropres. Sans compter qu'ils pensaient ce forgeron de bien mauvaise foi...
Lorsque Calel revint à la forge, il rendit son paiement à Sigmund le questionna pour savoir si personne n'était passé pour lui. Celui-ci ne lui parla pas de la visite des deux matelots et l'instigua à reprendre le travail fissa s'il ne voulait pas rentrer plus tard encore que la veille. Le mage enfila donc son tablier et se remit à l'oeuvre.

Couleurs:

-Tu peux t’accrocher ou je vais être obligée de te porter comme une princesse ? La chahuta le Capitaine avant de la tirer de son marasme.

La galère intégrale de la remonté sur le pont une fois passé, Koda accompagna son amie vers un paquet de cordage sous une bâche à côté du bastingage. La matelots s'en servaient de temps à autre pour piquer un roupillon pendant leur quart en pensant qu'elle ne le savait pas... Mais elle avait aussi été à leur place, assez pour savoir que le confort était tout relatif. Ce serait au moins ça et Sarah n'aurait pas à se relever de beaucoup pour passer la tête par dessus bord.

---

Malgré l'odeur, elle arrivait presque à profiter de la brise. Allongée dans le filet de beaupré au dessus de l'eau vaseuse du port, elle rattrapait en mâtiné les heures de sa nuit blanche. Son bras gauche au repos, son bras droit bougeait sans cesse en formant de grande circonvolution, comme si elle essayait de fixer dans l'air les images qu'elle avait dans la tête... Ou peut être simplement pour le plaisir de sentir un mouvement fluide et répétitif.

Finalement elle n'avait dormi que trois heure. L'état de Sarah l'inquiétait de plus en plus. Mais à part rester près d'elle pour contrôler sa fièvre, elle ne savait pas quoi faire d'autre et c'était... comment dire... bordel du lys boudiou que c'était angoissant !

Heureusement, les deux gaillards qui avaient été envoyés à l'échoppe du gars de la veille revinrent rapidement, venant la secouée. Elle ne se fit pas prier, en un battement de cil, elle s'était redressé et marchait sur le mât jusqu'au gaillard.

« Alors ? Vous avez trouvé le médecin ?
-Ah non ! Et on a même pas trouvé son nom tidiou !
-... comment ça ?
-Vot' forgeron s'est foutu de nous, Capitaine. Il nous a envoyer aux pelotes. »

Elle leva un sourcil. Cela ne correspondait pas vraiment au type qu'elle avait croiser la veille. Avec sa langue bien pendue, il aurait au moins pu le renvoyer proprement chez leur mère...

« Et il avait l'air de quoi ?
-Un vieux roufiard du coin. Un forgeron quoi.
-Méh... Vous vous êtes meulé. Sauf s'il se change en gros Jaque une fois le jour venu, c'était pas lui. »

Les deux hommes se regardèrent, se sentant à la fois agacé et un peu bête.

-Laissez tomber, j'y vais.

Elle pouvait pas attendre quinze heure qu'ils trouvent la boutique ! Elle avait aussi furieusement envie de rappeler qu'on ne se foutait pas impunément de la gueule de son équipage, mais elle n'avait vraiment pas besoin d'avoir des ennuis avec la garde. Mieux valait garer profile bas.

-J'vais m'occuper de cette racaille.  Allez plutôt vérifier si le tavernier du Cul-Sec nous a trouvé quelque chose. Et souhaitez moi bonne chance, j'aurai peut-être une dent de plus pour mon collier !
-Arcam vous sourit, Capitaine. rirent-ils en s'éloignant.

En plein jour ça allait être autre chose tien... Mieux valait qu'elle se la joue pas discrète, sinon en croyant voir quelque chose, certains gueuleraient comme des cochons. Elle tira sur son bandeau, l'enroulant autour de son bras, et attacha directement ses cheveux en arrière pour dégager ses oreilles parfaitement ronde. Ce faisant, l'étrange tatouage noir d'encre qui remontait de son dos sur son épaule et un côté de son cou était également bien plus visible. Elle était plus à ça prêt...

Elle laissa tomber la cape, hésita à aller chercher son chapeau avant d'y renoncer, garda son manteau, vérifia l'état du tranchant de son étrange couteau blanc, s'assura que quelqu'un veillait sur Sarah et tenta de trouver un membre bien précis de son équipage, sans succès... Pour un nouveau il faisait fort. Désertion de poste dès la première escale ? Hmmm... Elle l'aurait pas cru aussi prompt à filer. A moins que ce ne soit pas son quart. M'enfin. Elle avait pas le temps de se pencher sur la question pour le moment. Elle du donc se rabattre sur la seconde personne pouvant la renseigner :

« Patte-Folle ! J'ai rendez-vous avec un forgeron de bonne volonté. On a besoin de quelque chose pour l'armement ?
-Des clous. Répondit simplement la femme qui était en train de poncer une rambarde.
-Des clous ?
-Des clous.
-Ce sera donc des clous. »

Et c'est donc à la recherche de clous, qu'elle du tester une fois de plus son sens de l'orientation terrestre...

Retrouver le puits fut facile. Retrouver la forge à partir du puits, là... C'était une autre pair de manches... Sur son passage, les gens s'écartait le plus souvent, murmuraient ou faisaient des signes de protection, mais on ne tenta pas de l'agresser de si bon matin.

Au bout de son troisième passage dans une même rue et avec le monde qui commençait à afflué, elle faillit essuyer un crachat mais par un coup de bol mémorable, elle fini par sortir de cette boucle temporelle et trouver l'échoppe de la veille. Elle s'approcha en saluant non pas le mais les travailleurs... De là devait venir la confusion.

« Bonjour l'ami, vous auriez des clous ? »

Lorsque raisonna la voix atypique au niveau du comptoir, les deux forgerons se tournèrent vers la nouvelle arrivante. Calel fut assez surpris de voir le Capitaine ici après ce qu'elle lui avait dit la veille mais sans pour autant montrer son étonnement. Sigmund, en revanche, ne se laissa pas aller à de telles émotions. Depuis le temps qu'il était installé là, il en avait vu de toutes les couleurs avec la proximité du port marchand. Toutefois, il devait bien avouer qu'il avait rarement affaire à des personnes telles que Koda. Il eut un geste pour la chasser et beugla.

-Allez voir en Estrevent, j'suis sûr qu'ils en ont. On sert que les humains ici !

Dans une colère mesurée, Calel laissa ses outils tomber bruyamment sur son enclume et commença à s'avancer vers le Capitaine. Sourcils froncés, il adressa un regard à son patron qui laissait clairement transparaître ce qu'il pensait de sa réaction.

-C'est une humaine. Dit-il en tendant une main vers son visage, comme si la chose semblait évidente.

Le forgeron acariâtre renifla avec dédain et se retourna vers l'établi en marmonnant dans sa barbe.

-T'es mieux placé que moi pour le savoir...

Le mage soupira. Ce que cet imbécile pouvait être étroit d'esprit. Il en était ridicule à ses yeux. Ce genre de réflexions était de plus en plus difficile à supporter mais il n'avait malheureusement pas d'autres choix. Sigmund était le seul forgeron des environs et il avait besoin de ce travail en attendant de pouvoir quitter Seram à bord d'un bateau.
L'instant d'après, Calel relevait à nouveau les yeux vers sa cliente et lui adressa un sourire poli.

-C'est pour quel usage vos clous ?

Lorsqu'elle eut répondu à sa question, il retira ses deux mains appuyées sur le comptoir et commença à chercher ce qu'il lui fallait en dessous de la planche de bois. Se faisant, il poursuivit la conversation.

-Je m'attendais plutôt à voir un de vos marins. Comment se fait-il que vous soyez venue en personne ? Ça s'est aggravé ?

Koda leva un sourcil amusé devant la réaction du forgeron avant d'acquiescer à la rebuffade de ce qui était vraisemblablement son assistant en fin de compte.

-J'suis humaine mais ça ne m'empêche pas de manger des petits enfants à chaque pleine lune. C'est bon pour la peau. Ajouta-t-elle doctement à sa phrase, tout a fait sérieuse.

Elle le regarda s'éloigner en grommelant, tiquer sur la phrase qu'elle venait de lancer et reprendre son travail sans plus se préoccuper d'une cliente qu'il n'avait visiblement pas la moindre envie de servir. Le sourcil de Koda mis encore quelques instant avant de redescendre.

-Et bah toi tu dois pas rigoler tous les jours… murmura-t-elle pour elle-même avant de poser son attention sur l'homme de la veille.

Maintenant qu'elle le voyait à la lumière du jour, elle pouvait enfin noter ses traits. Un visage long et fin, des yeux bleus typique de son peuple de nordien. Sans avoir le profile rapiécé du bourlingueur émérite, il n'était clairement pas de la prime jeunesse qu'elle lui aurait donné la veille. Maintenant au moins pourrait-elle espérer le reconnaître…

Elle s'affala sur le comptoir, se demandant un instant s'il fallait commencer par être grossier ou sympathique… dur dilemme…

-C'est pour quel usage vos clous ?
-Pour un prétexte, des gonds de porte et pour empêcher de bouger quelque chose d'assez lourd qui risque de gigoter pas mal. Globalement il m'en faudrait deux pour la porte et au moins trois de cette taille. Termina-t-elle en montrant la taille de son index… On faisait avec les moyens du bord.

Elle le laissa fouiner à la recherche de ce dont il avait besoin, curieuse de voir s'il allait parler de ce qui s'était passé un peu plus tôt.

-Si ça devait s'aggraver, elle aurait les deux pieds dans la tombe… répondit-elle, l'air sombre, en tapant deux fois deux doigts de sa main gauche sur son front comme un signe de conjuration. Mais je suis venue pour une sévère remontage de bretelles.

Elle se redressa, croisant les bras, l'air à la fois plus léger et moins avenant.

-Proposer de rendre service c'est une chose, se payer la gueule de mon équipage, s'en est une autre. Mes gars sont venus ce matin. J'sais qu'ils sentent pas tous la rose, mais se faire renvoyer comme des malpropres, c'est pas trop leur passe-temps favori. Vous étiez sensé être là. Alors trouvez moi une bonne raison de refuser qu'ils m'offrent vos dent montées en collier.

Calel repassa la tête au dessus du comptoir en entendant parler du remontage de bretelles. Il n'avait pas l'air coupable, ne se doutant pas un instant que c'était pour lui. Il était plutôt intrigué. Il ne voyait pas vraiment ce qu'il pouvait avoir avec l'affaire qui semblait énerver le Capitaine de l'Amaranthe. En écoutant son récit, ses sourcils se froncèrent et il cessa de chercher ses fameux clous pour se redresser entièrement.

-Quels gars ? De quoi parlez vous ? Je n'ai vu pers...

Le forgeron s'arrêta net et ferma les yeux avant de lâcher un nouveau soupir, comprenant ce qu'il s'était passé. Il désigna Sigmund d'un discret signe de la tête et tenta de donner une explication à la dame. Il parla un ton plus bas afin que son patron ne puisse pas l'entendre.

-Il m'a envoyé faire une livraison ce matin. Vos hommes ont dus passer à ce moment-là. J'ai demandé si quelqu'un était venu pendant mon absence... mais il m'a dit que non.

Calel était visiblement désolé mais il ne pouvait pas s'excuser pour le comportement d'un abruti dont il n'avait pas la charge. Il supportait déjà ses réflexions quotidiennes et ses abus de pouvoirs. Il n'allait pas en plus assumer ses fautes. S'il n'avait vu personne de la journée, il serait passé à l'Amaranthe en quittant la forge ce soir pour lui donner l'information dont la dénommée "Sarah" avait tant besoin.

-Il y a bien quelqu'un qui soit en capacité de vous aider. Il est plutôt taciturne et désagréable et ses pratiques sont assez mal vues ici, bien qu'elles ne viennent pas de la magie et soient plutôt efficaces. Il se montrera sans doute méfiant, surtout si c'est vous qui l'abordez, mais il devrait être moins récalcitrant si vous lui offrez la seule chose dont il ait besoin : une occasion de partir d'ici.

Le forgeron haussa un sourcil évocateur. Puisque leur navire ne disposait apparemment pas de médecin, le paiement ne devrait pas être difficile à accepter pour le Capitaine.
Derrière lui, Sigmund, n'entendant plus de bruit, finit par se retourner et vit les deux étrangers parler à voix basse.

-Eh ! Qu'est-ce vous manigancez tous les deux ! Tu la sers et elle se tire !

-Je lui donnais un conseil, rien de plus.

-Me prends pas pour un lapin de trois jours ! Finis moi ça vite fait si tu veux pas quitter à minuit cette fois. T'as du travail !

Calel savait qu'il ne servait à rien de répondre encore une fois, Sigmund continuerait à se montrer hermétique.

-Que faire fasse aux esprits fermés ? Lança-t-il à Koda avant de repartir en quête de ses clous.

Quelques instants plus tard, alors qu'il emballait sa commande, il vérifia que son patron était reparti dans ses affaires pour achever son petit topo au Capitaine, à voix basse.

-Votre homme s'appelle Jonas Piedmond.

Il lui tendit le paquet fini juste au moment où Sigmund releva la tête dans leur direction.

-Ça fera 15 écus. Dit-il sur un volume sonore normal pour détourner l'attention.

Lorsqu'ils furent de nouveau tranquilles, il lui glissa une dernière phrase.

-Vous le trouverez à l'auberge des Cinq amarres. Dites à Sacha que vous venez de la part de Ladislas.

Calel n'avait eu aucun mal à retenir toutes ces informations. Avec la cabale, il avait l'habitude de ce genre de pratiques. Et, aujourd'hui encore, s'il pouvait aider un mage sans prendre trop de risques, il le faisait. Sa seule condition était de ne pas être directement impliqué pour ne pas risquer de se faire prendre. Après tout, Ilan n'avait plus que lui. Il ne voulait pas laisser un orphelin derrière lui.

La première partis des messes basse du forgeron valait bien une bonne raison de ne pas lui prélever une canine ou deux. Un médecin intéressé par un boulot sur un navire pas trop regardant... Elle aurait put trouvé mieux, mais elle aurait put trouver bien pire ! Ou rien...

Elle s'appuya de nouveau sur le comptoir pour ne pas rater une miette de ce que disait ce charmant contacte, un sourire distrait sur le visage. Sa main droite triturait pensivement l'impressionnant crocs blanc presque longs comme sa main qui pendait à son coup, suspendu à une lanière de cuire. Ou était-ce une griffe ? En tout cas s'était devenu un réflexe comme un autre.

… Et le vieux con les interrompit.

Elle émis un étrange claque de langue proche d'un bruit de succion, lançant un regard acerbe au vieux péquenaud qui semblait tenir tant que ça a perdre l'intégralité de sa clientèle. Elle faillit lui lancer un écu à la figure pour qu'il ferme ce qui lui servait à déverser tant d'amabilités à la minute mais ''l'étranger'' lui appuya un regard et une légère négation de la tête avant de s'en occuper lui même. Le temps qu'ils se jettent quelques mots de plus à la figure, elle râla dans sa barbe.

« Que faire face aux esprits fermés ?
-qui ferme donc son bec le malfé ou j'vais lui ouvrir définitivement, son esprit... »

Jonas Piedmond... C'était noté et plutôt deux fois qu'une. Jonas Piedmod. Jonas Piedmond. Jonas Piedmond. Elle posa 16 écus sur le comptoir. Jonas Piedmond. Cinq amarres. Sasha. Ladislas.

« Mon pied de mes cinq amarres sèche là et dix là. C'est noté. » sourit-elle.

Elle ouvrit la bouche pour lui poser une question... Puis se ravisa. Elle n'avait pas le temps de discuter pour l'heure. Elle avait un médecin à trouver. Aussi inclina-t-elle la tête et s'en fut d'un bon pas... Enfin elle s'arrêta au bout de deux enjambées, se retourna d'ou elle s'en venait pour demander par ou étaient les Cinq amarres et s'en fut d'un bon pas.

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Payé honnêtement... Qu'est-ce qu'elle n'avait pas dit là... En même temps, elle le pensait sincèrement. Si ce zigoto réussissait à sortir Sarah de la panade, elle voulait bien lui filer une prime et une galoche en cadeau. Toute cette histoire lui retournait l'estomac, même si extérieurement, elle ne montrait aucun signe d'inquiétude. Il avait demander un moment pour aller chercher ses affaires. Mais cela faisait maintenant plusieurs heures qu'elle attendait ce fichus Piedmond en rongeant le trognon d'une pomme. Elle avait essayer de se replonger dans la mise à jour de ses cartes maritimes avant que les relevés qu'ils avaient effectués en venant ne s'esquivent de sa mémoire, mais le cœur n'y était pas vraiment. Alors elle profitait du soleil qui lui chauffait la peau tant qu'ils étaient à quai.

Et lorsqu'enfin le bonhomme se pointa, elle le fit monter à bord en quatrième vitesse après une vigoureuse poignée de main.

« Par là. » indiqua-t-elle sobrement en le conduisant auprès de la convalescente. « Elle a déjà été examinée par un médecin à Nelen. Un charlatant. Ça a rien fait du tout. Comme convenu. Si vous la soignez, je vous offre un billet permanent. »

Jonas grimpa sur le pont, tirant derrière lui une petite chariote possédant trois fois la contenance d'une brouette. Si cela faisait quelques heures qu'il était attendu, il lui avait bien fallut tout ce temps pour rassembler ses affaires. Ingrédients en tout genre, potions toutes prêtes, onguents et ustensiles de confection... L'alchimie nécessitait énormément de matériel qu'il lui avait fallu entasser avec méthode afin d'éviter que quelque chose se brise durant le transport. Le tout était recouvert d'un grand tissu pour ne pas attirer les regards des curieux car certains auraient sans doute crié à la sorcellerie... Il n'avait rien d'un mage mais, ce qui le rendait si impopulaire dans son propre pays, ce n'était pas tant l'art qu'il avait choisi de pratiquer que ce qu'il utilisait pour préparer ses décoctions... Urine de vache, sang de drow, patte de schorgg ou encore venin de tatzelworm... Tout cela avait quelque chose de... Dérangeant en Péninsule.

L'accueil fut bien bref. A peine un salut formel et, hop, direction les niveaux inférieurs ! Non pas que ça lui déplaise. Jonas n'était pas le plus sympathique des hommes. Il était plutôt taciturne au contraire. Certains diraient que ça allait de pair avec ses pratiques douteuses. D'autres qu'il était devenu ainsi à cause du rejet qu'il subissait... A moins que le rejet ne soit qu'une résultante de son air peu avenant ?
On aurait pu se perdre en conjoncture en essayant de répondre à cette question.

Une fois dans les appartements du second, Jonas s'avança vers elle sans attendre d'y être invité. Il ne répondait pas tant à l'urgence de la situation qu'à son naturel plutôt pragmatique. Il était là pour soigner, pas pour les politesses. Sans même prendre la peine de se présenter, il prit la main blessée de Sarah et ôta le bandage tacheté de sang et de pus. Puis il examina la plaie ainsi découverte.

-Je vois. J'vais chercher ce qu'il faut.

L'alchimiste sortit aussitôt et revint au bout de quelques minutes, une petite sacoche à la main. Pas un instant il ne s'était préoccupé des regards qui se posaient sur lui tandis qu'il circulait ou fouillait dans ses affaires. Il s'était contenté de rester concentré sur l'affaire qui l'occupait présentement.

Il s'installa sur la table de chevet, y posant une fiole de couleur verte contenant un liquide sombre, un petit carré de tissu, une bande, un couteau très aiguisé et un pot sur lequel était écrit "Miel". Une fois qu'il eut tout sorti, il ouvrit la fiole de verre et en versa un peu sur le linge qui tinta en violet. Puis il l'appliqua sous le nez de la contrebandière qui tourna bien vite de l’œil. Ainsi, il pourrait travailler sans qu'elle ne bouge. Euh, sans qu'elle ne souffre !
Il saisit ensuite une bouteille qui se trouvait non loin de lui, la déboucha et la sentit très brièvement. Etant donné la tête qu'il fit, l'alcool qu'elle contenait ne devait pas être des plus doux. Il en aspergea la lame de son couteau au dessus d'une écuelle, prenant soin de ne pas en reverser sur ses mains ou la poignée de l'arme. Il passa ensuite la lame au dessus d'une bougie posée là et la gnôle prit feu. Il attendit quelques instants que les flammes s'éteignent d'elles-mêmes avant de se tourner vers Sarah, toujours endormie. Assis sur le bord du lit, il entailla la chair à l'aide de son couteau, s'attachant à retirer un maximum de pus. Il lui fallut de longues minutes pour nettoyer entièrement la plaie. Après plus d'un quart d'heure, il posa son ustensile et prit le pot de miel. La pâte qu'il contenait avait plus des allures de viande broyée que de miel... A l'aide de deux doigts, il appliqua l'onguent sur la plaie désormais propre avant de bander son doigt avec son voisin.
Enfin, Jonas se releva après avoir écarquillé les paupières de sa patiente, cherchant à observer ses pupilles. Tandis qu'il rangeait ses affaires, il fit un bref résumé de la suite des évènements au Capitaine.

-Elle devrait se réveiller dans quelques minutes. Il faudra changer son pansement tous les jours, lui remettre de l'onguent deux fois par jour jusqu'à ce que la plaie soit refermée et lui donner des gouttes... Il montra un petit flacon muni d'un compte-goutte avant de le poser sur la table de chevet, à côté du pot de miel. ...trois fois par jour tant qu'elle aura de la fièvre. Mais elle devrait être capable de reprendre son poste dans quelques jours.

Il se retourna ensuite vers Koda, son sac en main.

-Où se trouve l'infirmerie ? J'ai pas mal d'affaires à installer.

Couleur:

Sans bougé, Koda restait appuyé contre une petite parcelle de mur vide, les bras croisés sur sa poitrine. Elle détourna plus d'une fois les yeux pour s'épargner le spectacle de la lame de ce vieux grigou mordant la chair de son amie. Pourtant, aux vues de ce qu'elle racontait, on ne pouvait pas douter du fait qu'elle avait mainte fois vu pire. Elle avait vu assez de malade sur un navire pour qu'une sueur froide lui court dans le dos à l'évocation d'une épidémie en mer. Alors à quoi bon? Et bien ce n'est pas pareil, voilà!

Une odeur étrange s'était rapidement répandue dans la petite cabine. Renforcée encore lorsqu'il avait ouvert son pot de miel... Bien étrange son miel d'ailleurs. N'arrivant pas à regarder directement ses geste, elle en profita pour s'attarder plutôt sur sa tête. Vieillie avant l'heure. Gravée de cicatrice. La voix grave qu'elle devinait être d'une certaine rareté s'accordait parfaitement à ce profile brisé. Il lui manquait même un bout d'oreille d'ailleurs... Des questions, des questions toujours des questions. Dans le crâne de la navigatrice s'agitaient milles histoires rocambolesques, milles aventures épiques, milles passions échevelées, milles fantasmes inavouables... Ce qui pour quelqu'un d'autre aurait surement témoigné du peu de cas qu'elle faisait de la patiente... Mais c'était dans sa nature.

Ce qui était presque plus étrange lorsqu'on y pensait, c'est qu'un étranger comme le forgeron connaisse un gars comme ça alors qu'il venait d'arriver en ville... Elle se demandait bien quel sorte de lien pouvait bien mener deux êtres aussi différents à se connaitre... Mais a vrai dire, sa curiosité naturelle était tempérée par la prudence. Chat échaudé craint l'eau froide comme on dit...

Enfin... Le barbouse referma le pot d'onguent et se releva, donnant des indications pour la suite. Koda acquiesça comme si de rien était et se remis d'aplomb pour sortir de la pièce, l'invitant du geste à en faire de même avant de l'arrêter juste devant la porte.

"D'abord elle reprend connaissance et la fièvre tombe. Après vous aurez les clefs de la réserve de l'infirmerie. En attendant vos affaires resteront sur le pont inférieur avec celles de l'équipage." déclara-t-elle aussi sobrement que le médecin. "Au plus tard, lorsque nous lèverons l'ancre soit dans trois jours, soit son état se sera amélioré et vous serez des nôtres, soit je vous débarque. En attendant vous pouvez dormir sur le pont inférieur comme n'importe lequel de mes hommes. Vous la garderez et effectuerez les soins jusqu'à son rétablissement. notre mousse, Squik, vous secondera. On sert deux repas par jour, en deux services : 11h-12h et 19h-20h. Choisissez votre créneau et prévenez le cuistot."

Elle attendit qu'il ait posé ses question et lui répondit volontiers puis fila à l'air libre sur un dernier :

"Profitez bien de vos dernières journées à quai."

Ce qu'elle pouvait avoir envie de repartir...

La journée passa lentement entre l'odeur de vieux port, le journal de bord, l'inventaire et les cartes marines qu'elle essayait tant bien que mal de mettre à jour. Deux matelots avaient été envoyés chercher de quoi refaire leurs réserves de farine et d'eau douce. Mieux valait être prévoyant.

Le soleil descendait sur l'horizon quand elle mis une fois de plus, et pour son plus grand déplaisir, pied à terre. Mais elle avait une emplette personnelle à faire. Une emplette qu'elle n'eut pas trop de mal à conclure en marchandant âprement. Quelques pièces contre une sorte de petite tabatière scellée de cire. L'affaire était honnête. Elle repassa par le navire pour poser dans sa cabine son précieux butin et vérifier qu'ils n'avaient toujours pas de nouvelles de la kabbale. Elle eu la désagréable surprise d'apprendre que son nouveau Calfat n'était pas de retour et appris que ses affaires étaient toujours à bord. Elle nota donc qu'il faudrait mettre au clair avec lui le principe de quart, puis elle récupéra son tricorne, tira le col de son manteau et fit acte social en se dirigeant vers le Cul-Sec... C'était que la musique de ce jeune barde lui manquait presque...

Jonas prit un air renfrogné à la réponse du Capitaine. Comme si ça ne se voyait pas déjà qu'il n'essayait pas de la rouler. Comparé à lui, son charlatan n'avait sans doute pas passé autant de temps avec la malade (ou alors bien trop pour que ça semble normal) et n'avait pas vraiment touché à la plaie. Désormais, la blessure était propre et il ne s'était certainement pas amusé à parfumer la pièce de ces odeurs pestilentielles sans une bonne raison, sachant qu'il allait devoir y revenir pour poursuivre ses soins.

C'était peut-être sa tête qui ne lui revenait pas... Elle ne serait pas la première.

Finalement, il haussa les épaules et remonta sur le pont pour mettre ses affaires à l'abri. Elles ne pouvaient pas rester au grand air et sous le regard des curieux. Aussi, après avoir tout descendu d'un niveau, il les dissimula sous une grande couverture avant de retourner voir si la malade était bien réveillée, Auquel cas, il était tant de lui donner son traitement contre la fièvre.

******************

Au Cul-sec, une porte s'ouvrit sur une silhouette dont l'apparence s'accordait étrangement bien avec le paysage local. La salle était pleine de marins descendus des bateaux à quai. Il y en avait pour tous les goûts... Du matelot sec et au regard suspicieux jusqu'au Capitaine tout beau tout propre en passant par le marin au nez rouge et à la dégaine mal dégrossie, l'homme éduqué qui a, de gré ou de force, changé de vie pour celle de vagabond des mers ou encore l'aventurier qui cherche le frisson sur les tumultes de l'océan. Sa veste noire sur les épaules, sa natte tombant jusqu'aux omoplates et son épée à la ceinture, Calel pouvait aisément se faire passer pour cette dernière catégorie. Et c'était voulu. Il était primordial qu'on ne puisse pas le prendre pour un mage. Alors, autant faire croire qu'il était autre chose.

Le forgeron était venu plus d'une fois dans cette taverne mais c'était bien la première fois qu'on lui avait donné rendez-vous. En général, il s'y rendait pour demander au tavernier s'il n'y avait pas un officier de navire dans son établissement ou s'il n'avait pas connaissance d'offres d'embauche de matelots. C'était donc lui qui allait au devant des marins et non l'inverse. Mais, cette fois, il ne s'avança pas vers le bar. Il resta plutôt près de la porte d'entrée. Parcourant la salle des yeux, il cherchait visiblement quelqu'un. Quelqu'un qu'il ne mit guère longtemps à trouver.

D'un pas relativement assuré, Calel s'avança entre les tables. Une fois de plus, Sigmund l'avait fait travailler tard et, malgré la nuit tombée depuis un petit moment déjà, il venait seulement de quitter la forge. La femme de Ladislas étant passé à son étal dans l'après-midi, il avait pu faire prévenir son fils qu'il ne le verrait sans doute pas avant d'aller se coucher. La veille, il lui avait parlé de cette femme noire, officier de vaisseau, qui lui avait donné rendez-vous au Cul-sec un soir. Il avait une petite chance de leur trouver une place pour partir d'ici et il ne la laisserait pas passer. Aussi, vu l'heure tardive à laquelle il devrait rester, il savait qu'il n'aurait pas le temps de faire un crochet par l'auberge s'il voulait avoir une chance de croiser son rendez-vous.
La taverne était presque pleine et Calel dut faire quelque crochets pour éviter les pintes de bières tendues vers le tavernier pour être remplies une énième fois et la table où se jouaient des bras de fer qui se terminaient dans un grand fracas, faisant parfois voler un verre, une bougie, une table, une chaise, ou un gars... Ce fut donc sans trop d'encombres que le forgeron arriva à bon port. Il ne s'assit pas. Pas tant qu'il n'y serait pas invité. Il resta donc debout pour gratifier le Capitaine d'un "Bonsoir".

-Comment va Sarah ?

Il avait retenu le prénom de celle qui avait tant besoin de soins. Par cette simple question, il aurait les réponses à toutes ses questions, à savoir : Est-ce qu'elle avait trouvé l'alchimiste ? Est-ce qu'elle avait pu le voir ? Est-ce qu'elle était parvenu à le convaincre de rejoindre son bord ? Est-ce que ses traitements étaient aussi efficaces qu'étranges ? Bref, est-ce que tout s'était passé comme prévu ?

Au Cul-Sec, comme à son habitude lorsqu'elle se rendait dans un de ces infâmes bouiboui qu'affectionnaient tant les marins de peu, Koda avait vite trouvé son publique. Prenant à parti trois jeunes gens qui admiraient avec moult grandiloquence la redingote neuve de l'un d'eux en pérorant sur leurs chances d'être embauché comme cambusier sur un navire qui partait en direction de Chiard dès le lendemain. Il n'avait fallu que quelques remarques acerbes et une attitude de vieux loup de mer mystérieux pour chauffer les blancs-becs jusqu'aux prémisses d'une bagarre. Et c'est avec autant de facilité qu'elle retourna la situation, commençant à raconter l'histoire d'un jeune marin de ses amis alors que tous les yeux de l'assistance étaient braqués sur elle.

Au fur et a mesure que le sort se refermait définitivement sur le pauvre Gontran, les trois jeunes coqs se ratatinait à leur table. Celui avec la redingote neuve prenait doucement une teinte verdâtre peu engageante alors tous les yeux et les oreilles attendaient le dénouement avec impatience.

« La gueule du monstre s'est refermée d'un coup SEC ! Le gobant tout entier. » glissa-t-elle en mimant les mâchoires de ses propres mains, la tête penchée vers les trois jeunes. « La dernière chose que je vis de lui, ce fut sa jambe, lorsque d'un coup de pied, il a réussi à briser une dent de la créature. Il ne faut jamais regarder l'océan avec condescendance. Il sent la peur de ceux qui ne sont pas taillés pour lui résister... »

Elle appuya sa voix lugubre d'un regard entendu avant de faire un pas en arrière pour s'appuyer sur le bar, un sourire satisfait sur les lèvres, et demander une pinte de bière nordienne. Un homme taillé comme un marin, avec une démarche de marin... et un pif en choux fleur, s'approcha d'elle pour gouailler un litron en reluquant son profile. Quelques secondes de phrases bateau et elle acceptait qu'il lui offre un verre, allant s'installer à une table avec lui et deux compères. Un malingre et un autre type au cou incroyablement long.

« Joli contine la noiraude.
- C'est la vérité. Répondit-elle simplement en prenant une première gorgée.
- Les bêtes comme ça n'existent que dans les légendes.
- Oh toi t'es pas sorti en mer très souvent j'me trompe ?
- Et qu'é qu'tu dis ?
- Nelen, ça te dit rien ?
- Toi ? T'étais à Nelen ? Une femme ?
- Tu serais étonné... »

Reposant un instant sa chope, elle tira sur la tresse de cuir qu'elle avait autour du cou, sortant de son plastron de cuir usé une sorte de longue griffe ou de grand croc blanchâtre long comme une main d'homme. Un léger silence s'en suivit alors qu'elle laissait retomber l'impressionnant talisman sur sa poitrine.

Mais avant que la conversation ne reprenne, un profil bien connu pointa le bout de son nez.

« Bonjour... euh... l'ami. » le salua-t-elle avec un sourire à mi chemin entre la gêne et l'amusement en se rendant compte qu'elle avait totalement oublié le nom de ce type. « Je te paye un verre et on oubli ma mémoire de poisson bulle, hein ? » ajouta-t-elle en faisant un signe au tavernier. « Sarah, et baaaah, ton copain et moi on espère qu'elle ira mieux d'ici qu'on lève l'encre parce que sinon le médic reste à terre... Et franchement j'espère pas. »

Elle poussa la chaise vide à côté d'elle d'un coup de pied et jeta un regard significatif au nouveau venu. Les trois marins le regardèrent un peu de travers mais se poussèrent un peu pour l'accueillir à leur table constituée d'une barrique et une planche ronde clouées ensemble avec une précision toute relative.

« Elle n'a pas encore repris connaissance, mais bon. Je m'attendais pas à un miracle...
- Une fille de ton bord ? Demanda long-cou.
- Ma Seconde. »

La réponse sembla jeter un certain trouble sur les trois compères, pendant que Koda visait une gorgée de plus.

« Gare à vos trogne. Un coup de vent et vous êtes flanc. » sourit-elle en sortant du fond de son verre pour poser son regard d'encre sur les matelots. « D'ailleurs si vous connaissez des gars assez débrouillard et assez peu superstitieux pour embarqués sous mon commandement, hésitez pas à leur en parler. On appareille dans qu'ques jours. »

Elle s'ébroua un instant, tournant sa tête de droite et de gauche pour délasser son dos musculeux, avant de reporter son attention sur le forgeron. « Et toi ? Ton fils va bien ? Toujours aux prises avec ton abruti d'employeur ou tu lui a enfin lancer un tison à la figure ? »

Visiblement, le Capitaine s'était trouvé un petit groupe. Etant donné la façon dont elle leur parlait, ils ne faisaient pas partie de son équipage. Ce n'était que de jeunes blancs-becs intrigués par la dame et en quête d'expérience de la mer. Le moins que l'on puisse dire, c'était que les tavernes de port regorgeaient de personnages en tout genre. Le forgeron en avait croisé plus d'un dans sa quête d'un bateau, des vieux loups, des jeunes nés sur le pont d'un navire, des anciens militaires... Il avait retenu quelques noms mais peut-être aurait-il tôt fait de les oublier une fois à l'abri dans les cavernes des nains.
Calel sourit à l'officier.

-Ce n'est pas votre mémoire qui vous fait défaut. Je ne vous ai jamais dit mon nom. Je m'appelle Calel. Calel Mehntior. Quant au vôtre, il n'a pas transpiré dans votre présentation pleine d'éloquence.

A priori, l'état de ladite Sarah ne s'était pas amélioré pour l'instant. Au moins, les soins avaient commencé. Le mage ne connaissait pas ce fameux Jonas mais son expérience lui avait appris que plus la population craignaient une personne avec un talent particulier, plus il était doué. Après tout, pourquoi craindre quelque chose qui n'a pas d'effets ? Il ne doutait donc pas de la réussite des traitements de l'étrange alchimiste.
La femme noire l'invita à s'asseoir sans un mot. Calel prit le dossier de sa chaise d'une main pour l'écarter le temps de s'installer. Il voulait discuter avec elle et elle l'y invitait, il n'allait pas se faire prier... L'offre d'emploi ne tomba d'ailleurs pas dans l'oreille d'un sourd. Ils cherchaient du monde ? Ils n'avaient visiblement rien contre les gens différents ? C'était peut-être l'occasion qu'Ilan et lui attendaient depuis des ennéades. Mais il saurait amener la chose en temps voulu. Pour l'heure, le Capitaine de l'Amaranthe s'intéressait plutôt à son fils et à sa situation à la forge.

-J'imagine qu'il va bien. J'ai une fois encore dû fait travailler tard. Je n'ai pas pu voir mon fils avant qu'il ne soit couché. Mais si Ladislas ne m'a pas fait chercher, c'est que la journée n'a pas été plus pénible que d'habitude.

Le tavernier arriva à ce moment-là avec un godet qu'il déposa devant Calel, le coupant dans son explication. Son verre réglé, l'homme repartit aussitôt et le mage se tourna à nouveau vers le Capitaine. Cela faisait deux fois qu'il utilisait le nom de son ami mais sans jamais dire de qui il s'agissait.

-Ladislas est notre aubergiste, c'est un ami. Il veille sur Ilan quand je travaille et Ilan l'aide en accomplissant quelques tâches pour lui à l'auberge. Il est un des rares à Seram à ne pas être effrayé par son apparence. Quant à Sigmund, il n'est pas le premier à me traiter de cette manière. Même en Péninsule, nous sommes des étrangers. Mais les gens n'ont que des regards et des mots à mon égard. Pour Ilan, les choses sont différentes. Il a bien failli être molesté il y a deux jours.

"Koda. Capitaine Koda." sourit-elle au péninsulaire sans même tenter de présenter ses camarades d'un soir.

Par contre, elle émis un sifflement aspiré assez agacé lorsqu'il reparla de l'autre tanche de forgerons. Un homme seul et aigri qui passait ses journées à se repaître du simple fait de pouvoir empêcher un père de voir son fils. Un gros abruti...

Elle jeta une pièce au tavernier qui la réceptionna avec dextérité dans sa large pogne. De sa chemise dépassa un bref instant un tentacule noir gravé sur sa peau tannée. Le dessin happa un instant la concentration volatile de la Capitaine, déjà prête à voir dérouler sous ses yeux une version pour le moins rocambolesque de l'histoire de ce tavernier baroudeur, avant qu'elle ne reprenne le fil de la conversation.

La mansion de la tentative de passage à tabac arracha un nouveau sifflement, plus bref à la loubarde. Décidément, les gens étaient d'une tolérance affolante de ce côté de l'océan.

"Ton fils est difforme ou quwaÏEUH!"

Grosses-pognes et Long-cou venaient de poser simultanément une calotte bien sentie sur le crâne du plus frêle qui avait ouvert la bouche démesurément trop grande qui fendait la ganache qui lui servait de visage.

"Son fils est un sorcier." répondit très sérieusement Koda d'un air dégagé. "Y change les roustons en plombs et les poissons en or, tout selon son humeur."

Les trois hommes s'entre-observèrent, pesant visiblement le pour et le contre. Blague. Pas blague?

"N'prends pas pour des agneaux de l'année..." tenta Long-cou, mal assuré.
"Bat tente si tu me crois pas. Demande à son père d'aller l'chercher. Jette lui un mauvais r'gard. La prochaine gueuse qui passe me racontera la suite."

Le gros rire du Famélique détendit l'atmosphère, déclenchant des rictus quelques peu circonspects chez les convives... et un sourire plutôt victorieux de la part de Koda.

"Blague à part, faut être fou pour rester dans un endroit comme ça... Calel." Elle prit le temps de prononcer son patronyme pour la première fois, soupesant chaque syllabe le la langue et des lèvres avec une expression quasi-enfantine. Puis fini d'un trait sa pinte pour l'agiter tout de suite au bout de son bras. Un signe que le tavernier ne devrait pas rater bien longtemps. Un demi litre de chute en quelques minutes... C'est qu'elle avait une bonne descente la bougresse. "Pas de maison à toi. Un patron infecte comme une courante un jour d'orage. Payé à coups de triques. Foutreciel. Prend ton gamin sous le bras et va au prochain port. Isgaard par exemple! Ou trace sur la côte jusqu'à Naélis."

trois mousseuses atterrirent sur la table pour les trois téméraires qui avaient déjà fini leur premier godet. Les commentaires fusaient sur Naélis. Les drows pas les drows. Les elfes pas les elfes. Les vampires pas les vampires. La reine du coin qui était soit-disant une bonasse mercenaire. Koda replongea tout en participant, lapant le nectar brassé à froid par gorgées dignes de la plus grande des soiffardes. De drow en elfe, on aborda le sujet des races et des cultures. Des escargots rancuniers avec un balais dans le cul. Des démons assoiffés de sang n'attendant qu'une occasion pour faire cuire des bébés en brochettes. Des sodomites polygames drapés de soie qui ne bandaient que pour des petits garçons. Des barriques sur patte sentant la bière et le graillon.

"T'dois confondre avec ta trogne." répondit le Famélique à Grosses-pognes, déclenchant un grand rire et se faisant choper au collet par une énorme main au passage. "ça va on s'calme Tu me dois d'jà une dent!"

La joyeuse tablée semblait lancée...

Calel fut quelque peu surpris. Devant une personnalité aussi originale, il se serait attendu à une longue tirade et quelques signes rocambolesques tels que ceux qu'elle avait exécuté la dernière fois. Il ne s'attendait pas à une présentation si courte et à un nom aussi simple. A moins que ce ne soit un diminutif.

La réaction des deux marins face à la question mal placée et indélicate de leur compagnon amusa le forgeron et le rassura un peu aussi. Au moins, la tablée semblait plutôt ouverte d'esprit, contrairement à la populace de Péninsule. En revanche, la plaisanterie sur la sorcellerie lui rendit tout son sérieux. Il n'aurait su s'amuser de la question sachant qu'il était lui-même impliqué dans ces histoires de magie. Aussi ne manqua-t-il pas de lui faire une remarque, se penchant en avant et parlant à voix mesurée.

-Vous ne devriez pas plaisanter sur la magie. Pas ici en tout cas. Et encore moins sur mon fils, s'il vous plaît. Les gens d'ici n'ont pas besoin que l'on alimente leur imagination déjà fertile en matière de superstition.

Calel se redressa et ne put s'empêcher d'avoir un pensée vainqueur en entendant Koda soumettre l'idée de partir. C'était le moment où jamais...

-Pour quelle autre raison aurions-nous quitté l'intérieur des terres pour nous rendre sur la côte si ce n'est pour tenter de partir ? Malheureusement, les quelques Capitaines qui ont bien voulu nous emmener contre travail nous ont refoulé en voyant mon fils.

Le forgeron fut interrompu par le retour du tavernier et les trois bières qu'il servit aux jeunes loups de mer. La discussion partit ensuite bon train sur une ville lointaine dont Calel n'avait entendu que quelque fois le nom. Il écouta les récits de la Capitaine d'une oreille semi attentive, ignorant s'il devait prendre tout ce qu'elle racontait pour argent comptant. Heureusement, Ilan n'était pas là pour entendre certaines de ces histoires... Il y avait des choses qu'un enfant de son âge n'avait pas à savoir. Lui-même aurait préféré ne pas les entendre...

Finalement, après une rapide altercation sans conséquences, l'attention se porta à nouveau sur le père de famille.

-Avec tout ça, on sait même pas c'qu'il a! Son fils...

Calel releva les yeux qui étaient alors posés sur son verre et observa les regards posés sur lui. Voyant que tous attendaient une réponse, il s'éclaircit la gorge.

-Eh bien, il est ce qu'on appelle un fils de la lune. Il est entièrement blanc, de la pointe des cheveux jusqu'aux orteils.

Le forgeron eut un bref regard en direction du Capitaine, lui faisant ainsi comprendre ce qu'il avait entendu la veille en définissant son fils comme étant "son opposé".

-Et c'tout ?

-Non... Ce qui dérange vraiment ceux qui le regardent, ce sont ses yeux rouges. Certains le croient drow ou sang-mêlé et le considèrent donc comme mauvais. Pourtant, il est aussi humain que vous et moi mais rares sont ceux qui regardent au delà des apparences.

La pression montait quelque peu dans les veines de Calel mais il essayait de ne rien en laisser paraître. Son regard se porta sur la Capitaine afin d'observer sa réaction. Elle avait des places sur son bateau et qu'elle savait désormais qu'il cherchait à embarquer. Si cette nouvelle information passait, alors il aurait déjà bien plus avancé qu'avec les autres officiers qui n'était pas aller plus loin après la découverte de l'enfant de la lune.