Histoire :Ce fut le cœur de Findrendil Ineinior qui ravit celui de la jeune Ëara. Dans l’insouciance de leur jeunesse ils s’éprirent l’un de l’autre. Il n’est nulle femme qui refuse le goût d’un baiser d’amour, aussi Ëara ne refusa pas celui de son amant. Sous le regard de Kÿria elle enfanta celui qui fut nommé Lómion. Elle, fille d’une gardienne des Cités engagée dans l’armée royale, fruit d’une union impossible avec un elfe des bois aux cheveux d’ébène. Lui, sage érudit au service de sa Majesté Glorfindel. Leur amour ne vécut pas de jours plus beaux qu’entre les murs de la Cité au Trône Blanc d’Alëandir. Celle-là même qui vit les premier pas de Lómion.
Ses heureuses premières décennies furent passées sous le regard attentif et bienveillant de ses parents. L’œil insouciant de ses jeunes années traînant au hasard sur les parchemins laissé par son père, il prit vite goût à la lecture, se passionnant pour des savoirs que beaucoup jugeaient « pour les adultes ». Sans vraiment les comprendre, les légendes des êtres de magie peuplant la Prime Œuvre fascinait le jeune elfe. Temps d’apprentissage de la Foi pour la Mère et les Cinq, son enfance fut marquée par les récits d’Elenmar, qui donna la Magie aux elfes.
Un Cycle et cinq siècles ne suffirent pas à effacer de sa mémoire le premier jour où, accompagné de Findrendil, il admira le Livre du Sage. Nul elfe ne peut s’y voir refuser l’entrée, alors ils purent consulter l’ouvrage mystique. Les écritures ésotériques dansaient devant les yeux de Lómion et il en oublia même la présence de son père et du Gardien du Savoir.
«–
Ce fut Elenmar qui donna ce Livre aux elfes. Il contient tout ce que Miradelphia compte de magique. –
Tout ?–
Tout. »
La Cérémonie du Double Choix se présenta enfin sur ses Neuf Décennies. On ne l’y attendait pas, mais Lómion fut jugé compétent pour rejoindre l’Institution de Caranthir. Les Halls de pierre des bâtiments et les rangées de livres millénaires ne suffirent pas à expliquer son émerveillement à travailler dans cette Académie. Le jeune elfe voulait tout apprendre, tout comprendre d’un coup d’œil, d’un seul geste. Comme si le vélin et les arabesques ésotériques de leurs auteurs suffiraient à lui faire maîtriser les arcanes.
Nombreux furent les échecs, rares les réussites. Pour chaque pas en avant, un pas en arrière, et jamais l’impression d’être utile à un quelconque monde. Alors, dans la solitude de la contemplation de l’œuvre il se réfugia. « L’Anaëh offre mille merveille à celui-ci qui sait la regarder » lui avait dit son père. Nul paysage ne pouvait combler la désillusion ni l’égo souffrant. On lui avait dit qu’Anaëh chantait pour les elfes qui vivaient loin des murs de pierre. Lómion était sourd aux suppliques de l’œuvre : dans le silence il retrouvait la solitude. La parole des Sages peut-être écoutée sans être entendue ; c’est ce jour là qu’il le comprit. L’Art est personnel. Il lui faudrait trouver le sien.
«–
Maître ? Vous… vouliez me dire… ? –
Assied-toi, et prend.–
Que faire de ce livre ? Le lire ? –
Non. Impressionne-moi. »
Un échec supplémentaire, comme pour lui montrer qu’il lui faudrait trouver Sa Voie.
Une main paternelle rassurante serra la sienne. Une ballade sous la canopée était propice à la réflexion. La clairière refletait l’éclat de l’Astre sur les milliers de pierres polies qui l’habitait. Elles étaient toute d’un jaune pur : une merveille anodine, devant laquelle les enfants ont encore la capacité de s’étonner. Lómion s’en saisit d’une, qui avait eu le hasard d’échouer à ses pieds.
«–
Tu en trouvera des dizaines comme celle-là, Lómion. –
Non. Celle-ci sera unique : ce sera la mienne. »
L’Ambre jaune ne quitta plus sa poche. Elle n’avait de beauté que pour le jeune mage, qui lui donnait un sens tout personnel. Des longues années de travail suivirent, jusqu’à ce que l’elfe sache détecter le Flux dans chaque être, cette énergie reçue des dieux qui fleurissait dans chaque personne. Côtoyant les classes les plus avancées et recevant des louanges qu’il accueillait avec un rougissement timoré, Lómion grandissait. Des longues heures de lecture et de pratique venaient remplacer les ennuis.
Les elfes sont fébriles à penser au futur. Malheur de l’Immortel, il renvoie à quelque chose que peu savent appréhender sans en avoir le vertige : l’Eternité. Pourtant, ses deux siècles révolus, le cursus à l’Académie ayant pris fin, la question de l’avenir tournait en boucle dans l’esprit de Lómion. Pouvait-on s’engager pour la vie, à peine adulte ? Il pourrait changer d’avis, mais ne serait-ce pas trop tard alors ? Il se mit alors à regarder par delà les murs de pierre de la Capitale, à rêver d’autres Cités, de forêt, de chemin. Il se mit sur la route, traversant l’Anaëh sur ses sentiers sûrs, ne s’aventurant pas hors de ceux-ci. Il voyagea vers Tethien, où il espérait trouver une nouvelle source de savoir en son Académie de magie.
A son niveau, il s’était mis au service de l’Anaëh. Sa magie œuvrait pour la défense, non pour l’offensive ou le meurtre – il répugnait autant l’un que l’autre. Dans les couloirs d’une nouvelle institution il découvrit pendant trois décennies de nouvelles mœurs, de nouvelles pratiques. La sensation de servir la Mère et nourrir le Savoir le contentait. A des lieues d’Alëandir cependant, le poids de la séparation se faisait lourd. Ce fut le regret de la présence parentale qui le fit repartir sur les routes.
«–
Un… frère ? »
Ëara acquiesça, un sourire indéfectible sur le visage.
«–
Ou une sœur. Les guérisseurs nous l’ont confirmé. »
Une joie mémorable l’étreignit à l’annonce de se petit être qui partagerait les étreintes de ses parents. L’hiver passa avant que les cris du nouveau-né n’emplirent les oreilles du jeune Lómion. Le sourire d’un parent béni de la Mère par la naissance d’un fils ne se compte pas en mots. Nithoën Ineinior était encore sourd au langage que Lómion palabrait déjà sur divers sujets qui nourrissaient sa science. Le jeune Frère lui répondait d’un gazouillement et de ses yeux pétillants.
Les couloirs de la Bibliothèque de l’Institution accueillirent Lómion comme un vieil ami. Il retrouva la compagnie de ses milliers de vélins. Ses recherches portaient toujours plus loin, ses expérimentations toujours plus poussées, toujours pratiquées avec prudence sous l’œil attentif de ses professeurs. Ces-mêmes professeurs qui lui avaient accordé leur confiance pour enseigner à leurs élèves tout ce qu’on lui avait apporté. Lómion était ravi de pouvoir contenter la soif de ces quelques apprentis par une science acquise des années durant.
De plus en plus, il sortait parcourir de ses propres jambes les pavés de la Prime Cité, du Palais au Trône Blanc aux grandes portes de la ville, offrant à qui portait son regard sur lui un sourire jovial. Ce fut lors de l’une de ses escapades en dehors des jardins de l’Académie que la rencontre d’Uinén ravit son cœur. Leur premier baiser avait le goût de la découverte, d’un amour encore bafouillant bien que sincère, construit sur des soirées à partager moultes discussions. Elle enfant des Noss, lui pur fils d’entre-les-murs, le clivage était réel entre deux ethnies d’Anaëh réunies pour une union d’un attachement réel. Devant Kÿria la Mère et Arcamenel l’Amant ils s’unirent, sous les étoiles d’un ciel sans nuages. Sans plus de clergé que le seul battement à l’unisson de leurs deux cœurs. Et sur les premières décennies qu’un nouveau Cycle avait marqué, la nouvelle agrandit un peu plus le sourire inébranlable de Lómion. Bénie par
I Cam en-Kÿria, l’annonce d’un fils à venir souleva tant de protestations que d’acclamations de joie. Au fond de la Prime Œuvre Uinén avait projeté d’attendre l’enfant, privant ainsi son père de poser ses yeux sur le ventre grossissant au rythme des ennéades de son aimée. Estiam. Son fils premier et dernier né arriva loin de toute figure paternelle des Cités qui ne put contenter sa curiosité à l’égard de l’existence d’Estiam qu’un siècle après sa naissance.
Il n’eut de destinée plus naturelle pour Lómion que se tourner après sept siècles à rechercher la Vérité du Savoir vers la voie de l’enseignement. Ils furent ses professeurs, ils devinrent des collègues, des soutiens, des amis. Il avait un sourire pour chaque élève, une explication patiente pour chaque remarque, une réponse avisée à toutes les interrogations. Pour chaque Enfant de la Mère il développait une affection particulière, celle du tuteur qui ouvre la voie à un nouveau monde. Et plus il enseignait, plus il apprenait. Trois cent ans qu’on le disait arcaniste reconnu, à présent, on le désignait Maître-mage. Une référence pour bien des elfes en quêtes des chemins sinueux de l’Immatériel, à qui l’on prêtait bien des qualités que Lómion déclinaient humblement. Dans son cœur, il avait toujours un maître. Caranthir, un mage dont le nom était synonyme de légende. Ses sages leçons sonnaient comme des sermons indéniables. Un être à qui le respect est comme dû et qui l’impose de sa simple présence. Un être devant lequel Lómion s’inclinait respectueusement et qui vint à lui parler à de nombreuses. Entre l’Archimage et le professeur grandit une relation cordiale. Un autre elfe, bien que plus jeune, partagea de nombreuses discussions avec Lómion : Beren Telperiën, apprenti du Doyen. Proche de Golradir, il se révélait être un mage talentueux, profitant des enseignements de son maître sans toutefois faire plus de lumière.
Un apprenti se présenta aux portes de l’Institution. Dans les traits de ce jeune mage en devenir, Lómion reconnut les traits témoins d’un métissage mal accueilli : celui de son sang des Cités et d’Uinén. Estiam Faerin avait suivi la voie des mages et y retrouva son Père. Pour la première fois depuis huit siècles, le thaumaturge eut à affronter les premières rides sur son front lorsque sa mère quitta les terres de la Mère pour rejoindre le royaume de Tari. Vaincu par la tristesse, Findrendil y rejoint son aimée. Résigné à la mort de ses parents, Lómion accueillit en tuteur son frère orphelin.
Lorsque les échos d’une guerre arrivèrent en la menace des drows, ces créatures charbonneuses à la mentalité belliqueuses ressemblant et différents en bien des points de leurs cousins sylvains, Golradir succéda à Glorfindel, mort sans que l’on ne puisse rien faire. Les murmures de son empoisonnement par les Noirelfes se rependirent parmi les couloirs de l’Académie et d’Alëandir. Et la guerre arriva aux frontières de la Prime Œuvre. Devenu Enchanteur par la force de son expérience, Lómion assista de près au départ de Caranthir pour la défense de l’Anaëh. Le grand mage partit pour le lac d’Uraal, où, raconte-t-on, il vaincu de nombreux de ces ennemis nouveaux avant de périr et de laisse le Roi au Trône Blanc sans tuteur, son apprenti sans maître et l’Académie sans Archimage. L’attaque arriva alors sur la Cité Eternelle, plongeant la Capitale dans la Chaos. Lómion réprouvait l’usage des armes, plus encore désapprouvait l’utilisation de la magie martiale, pourtant, sa Cité engagé dans un combat inégal, il n’eût d’autres choix que de défendre ses murs chéris. Entre l’Académie et les drows il dressa ses propres barrières magiques. Au prix de nombreuses vies, Alëandir fut sauvée.
Une session du Chapitre Blanc fut organisée. Devant l’impossibilité de remplacer le mage millénaire, le conseil repoussa le choix d’un nouvel Archimage. Ce ne fut qu’un an plus tard que Lómion fut enjoint à prendre sa place. Il s’assit sur le siège du Doyen du Chapitre Blanc, endossant avec détermination cette nouvelle charge. De nombreuses années d’enseignement lui assuraient un enthousiasme de la part des élèves et sa maîtrise des arts thaumaturgiques était louée par tous les professeurs. Dans l’ombre de Caranthir il s’efforça de mener à bien l’œuvre de Sa vie.
Doyen du Chapitre Blanc et Archimage de l’Académie, Lómion dévoua sa vie à l’Institution. A tous ceux le désirant il dispensant son enseignement avec la sagesse et la gaité qu’on lui prêtait si bien. Toutes les années où il dirigeait l’Académie, il se tint en retrait des intrigues politiques de la cour royale et des manœuvres militaires. « Les mages ne sont pas des soldats, ils sont des artisans. » Le règne de Telrunya passa, prit fin prématurément lorsque le Traître arriva à la cour, puis vint celui d’Orelindë, la régence de Rima-Marcil et la montée sur le trône de Dyarque. Autant de poussières dans la vie de Lómion dont il s’éloignait volontiers. Au Sud, la guerre grondait de nouveau, soulevant ses inquiétudes…
Un nouvel évènement vint ébranler ses convictions. Il avait plus de mille cinq cent ans lorsque le Voile se produisit. L’évènement était le second que l’Archimage admirait, mais différait en bien des points du premier. La Nature reprit ses droits sur la Pierre, arrachant une à une les Cités de leur indépendance et les plongeant au niveau de ruines. Et alors que certains Taledhels retrouvaient l’ouïe à la Symphonie, lui y resta sourd. Les suppliques d’Anaëh ne le laissèrent pas indifférent, cependant, et pendant tout le mois de ténèbres, Lómion raffermit ses prières. Bien que relativement épargnée, Alëandir garda les traces de la Nuit de l’Estel jusqu'au plus profond de ses jardins.
Une nouvelle Ere était là, un nouveau Cycle porteur de bons et sombres présages.
- Timeline:
An 435 (Cycle IX) - 0 ans - Naissance
An 527 (Cycle IX) - 92 ans - Cérémonie du Double Choix
An 527 à An 669 (Cycle IX) - 92 ans à 234 ans - Cursus commun et par voie à l'Académie
An 812 (Cycle IX) - 519 ans - Rencontre avec Uinen
An 44 (Cycle X) - 608 ans - Naissance d'Estiam
An 122 (Cycle X) - 696 ans - Devient Professeur à l'Académie
An 700 (Cycle X) - 1264 ans - Siège d'Alëandir/Décés de Caranthir
An 702 (Cycle X) - 1266 ans - Choisi Doyen de l'Académie
An 999 (Cycle X) - 1563 ans - Voile
An 9 (Cycle IX) - 1572 ans - Aujourd'hui