L'Assaila, le maître et l'élève | Lómion Ineinior

 

Milieu de la sixième ennéade de Vérimios
Académie d'Alëndir
Début de soirée.

 

La cité blanche.

La cité portait doublement son nom. Blanc des pierres, blanc de la neige. L'elfe blanc avait pris son temps pour admirer les lieux la veille. Il était allé voir les fontaines. L'eau avait gelé, prenant des merveilleuses teintes bleue d'aigue marine ou de topaze.

Mais aujourd'hui ses pas l'avaient mené jusqu'aux murs lézardés de végétation dont le vert était profond, presque noir, comme les eaux calme d'un étang. Passé l'enceinte, le calme était aussi studieux que les étudiants pouvait l'être. Le mage se fit surprendre. Après la forêt endormie, les pierres semblaient fourmilier de vie, bruisser de chaleur.

Cela faisait longtemps. Tant de temps qu'il avait quitté son académie. Lissesúrë ne vivait plus avec ses pairs et cela le prit d'un bouffée d'une douce nostalgie. Il se laissa envahir par ce sentiment et par l'ambiance du lieu. Il était heureux d'être là.

Pourtant quand il s'était levé, il appréhendait. Tellement qu'il avait passé énormément de temps à se coiffer, il les avait lissé, tiré, noué. Rien ne dépassait. Tout était impeccable, dompté. Devant et sur les côtés, les cheveux d'argent faisaient comme une coque qui se retrouvait dans un chignon haut et également bombé, maintenu par un ruban blanc. Il avait cherché un peigne à se mettre mais il les avait oublié. Puis il soigna tout autant sa tenue. Sur une robe blanche et large, il enfila une veste bleue ciel comme ses yeux. Les manches larges lui permettait de cacher aisément ses mains. Par-dessus, il enfila une veste blanche et translucide. Au niveau des épaules, des motifs de nuage étaient brodés. Le tout était maintenu par une large ceinture à laquelle il fit pendre l'anneau d'os de Lareless et son éventail.
Présenté ainsi, il n'avait que sa haute taille qui trahissait son genre et encore. Il cultivait son androgynie comme d'autres cultivent leur masculinité.

Là, dans la cours, face aux trois bâtiments, son panier dans ses bras, il se sentait à sa place. Le jardin, avec ses ponts et ses kiosques l'attirait énormément. Les couleurs des bois utilisés avaient accroché son regard. Elles étaient vibrantes, vivantes. Mais il n'était pas là pour cela. Il était plus ou moins attendu. Il devait se mettre au travail.

Alors il se dirigea vers le premier batiment. Les élèves sortant de leur dortoir, furent surpris de le voir. Avec beaucoup de bienveillance, il eut donc l'emplacement exact du bureau du Doyen.

Arrivé dans le couloir, le calme régnait également. Lissesúrë avait eut des scrupules à le troubler alors il s'assit, le dos contre le mur. Entre ses longues jambes, il plaça son panier et pour éviter des surprises, il sortit son éventail. Les plumes de Silm'Aiwë s'agitèrent quand il commença à tisser son sortilège. Alors doucement, il concentra le sort de vie qui animait celui qu'il avait nommé Tuilalmië, la félicité printanière.

Tenue et coiffure:

Dans la main d'albâtre, l'aile reprenait vie. D'abord doucement, elle papillonna autour du panier comme s'il marquait des points imaginaires. Puis autours des ces points, les plumes tournèrent, virevoltèrent. Parfois cassante, parfois caressante, la danse n'avait de sens que pour son créateur. Aussi belle qu'elle pouvait être, ce n'était qu'une prison.

Le mage lissait, tissait son sort quand qu'il eut enfin conscience d'une présence à côté de lui.

Est-ce que cela faisait longtemps ? Il ne le savait pas. Mais il savait aussi qu'il ne pouvait interrompre ce qu'il faisait comme cela. Il prit alors de temps de démêler la magie comme on démêlait des cheveux avec ses doigts : doucement et consciencieusement.

Maintenant que les échanges thaumodynamiques étaient enfin à leur équilibre, Lissesúrë se leva pour saluer, les deux mains posées à plat contre son estomac.

" Bonjour Heru. Lissesúrë Fanyendil de Peninor Angol. J'attendais l'Assaila du Chapitre Blanc. "

Sa voix, malgré une certaine douceur était totalement dénuée des accents chantant qu'ont les anëdhelles. Elle trahissait son genre et il n'en avait cure.

" Désolé si je vous ai dérangé. "

Ses yeux de glace étaient posés sur la chevelure corbeau de son vis à vis. Il était, comme toujours légèrement troublé par la simplicité de la coiffure. Elle ne trahissait ni le grade de son porteur, ni les pensée de celui-ci. Elle disait juste que la journée avait été longue mais pas trop.

A la présentation, Lissessúrë inclina respectueusement sa tête. Aussi bref qu’un instant, il se demanda s’il n’avait pas été trop impoli en dévisageant la chevelure de jais. Mais l’invitation à entrer dans le bureau balaya ses doutes comme le vent qui dispersait les pollens des graminées.

" Merci. "

D'un pas léger, il s'avança dans le bureau. C'était un vrai bureau. Là où cela aurait pu être juste une pièce de réception ou un salon qui se déguisait en bureau juste parce qu'il y avait un meuble, nommé également bureau. Ce n'était pas le cas. Le lieu était vraiment habité et utilisé comme une étude.  Que le Doyen poursuive son apprentissage, ça n'étonna guère le façonneur, mais c'était qu'il aurait pu avoir une antre à lui, et rien qu'à lui, quelque part dans le domaine de l'académie. Mais non. C'était cette pièce.

Il y régnait un tumulte sage dans laquelle le vélin et le verre dominaient. Les bibliothèques pouvaient jalouser la collection du doyen. Combien avaient il de registres, de livres et de parchemin dans la petite pièce ? Suffisamment pour attiser la curiosité de jeune expert. La légère odeur âcre de l'encre l'invitait à venir caresser d'une main la douceur des manuscrits,  tandis que l'autre cajolerait les mots sages et savants. Comment résister à cet appel si langoureux du savoir ? Comment ne pas céder aux sirènes si charmantes de la découverte et du partage ? Mais il fallait un mot. Un mot de l'Assaila pour que les points de vue des anciens et des sages puissent être à la porter de l'aspirant élève.

Dans cet écrin d'ambre qu'apportait les lueurs du soir et des rares lampes, le temps était figé.  Temps propice à l'étude. Temps calme avant la tempête. Temps si particulier avant qu'une vie ne se transforme.

Cette rencontre, il l'avait souhaité. Il avait sollicité pour des conseils. Qu'en adviendra t'il ? Debout à côté d'un fauteuil, face au bureau, Lissesúrë plongea la main dans sa veste. Elle ressortit chargée d'une bourse rebondie en velours bleue. Les cordons qui la fermée était parés de perles en bois. Les mains en coupe, et s'inclinant vers Lómion, il proposa son nouveau présent.

" Si vous me le permettez, je voudrai vous remercier pour l'invitation. "

Les yeux de glace ne pu s'empêcher de se poser sur un cartouche de bois qu'ils connaissaient.

Et voilà… ou devrait il dire déjà ? Il ne comprenait pas les siens. Pourtant il avait suivit les règles. Mais les règles ici étaient encore autre. Comment aurait il pu le savoir ? En demandant. Et il avait oublié de demander.
Le visage déjà pâle de Lissesúrë blêmit. Ses oreilles effilées s'affaissèrent.

" Je… Pardon. Je ne voulais pas vous offenser. C'est que pour moi ce n'est pas que de simples objets… "

D'un geste élégant, il présenta le cartouche sur la table.

" Ceci est mon souhait. " Il fit une pause pour que le Doyen puisse, s'il le souhaitait observer le premier cadeau.

"Le végétal sculpté est du liseron. Il symbolise le lien. En effet, bien qu'il prend racine dans l'humus, le liseron s'élève toujours plus haut. Ainsi, il lie le Ciel avec la Terre. C'est une plante plutôt commune, qui ne demande pas grand-chose. On la retrouve aussi bien dans les villes que dans la forêt. Cependant, il n'est pas sans danger. Entre les pierres, il effrite le ciment, pouvant mettre en péril la structure du mur. Sur une plante, dans sa quête, il grimpe jusqu'à l'étouffement de son hôte. C'est pour cela que j'ai fait une treille. Pour que le liseron puisse grimper sans être nocif. Ni pour l'un, ni pour l'autre. Je souhaite que nous puissions nous apporter l'un à l'autre sans mettre à mal nos travaux et sans s'étouffer. "

Le sourire qui étira les lèvres légèrement rosée était sans joie.

" Qu'en a la bourse… C'est notre avenir. De cet avenir, je ne peux le définir seul. Assaila, quel usage ferez vous de ses céréales ? "

Devant l'audace de sa demande, les pommettes rosirent. Lómion avait demandé à le connaitre, après tout avant de s'engager à l'aider dans la mesure de ses moyens. Mais pourquoi cela ne pouvait pas être réciproque ? Il était insatisfait pas sa création, mais pas encore désespéré. Le façonneur se tenait toujours debout, très droit, les mains enfouies dans les larges manches. L'attention faisait que son visage était légèrement incliné.

" Quatrième Saison est, je ne vous l'apprend pas, un grenier. Nous y avons plusieurs usages de ses graines. "

La voix du façonneur était posée. Sa diction était lente mais pas trop.

" Avec du travail, les grains seront moulus. Avec du travail et de l'eau, la farine deviendra de la pâte. Avec du travail pour le feu, le pain sera cuit. Ce pain nourrira et récompensera le travail.
Avec du travail, les graines pourront être plantées. Avec du travail et de l'eau, les germes deviendront épis. Avec du travail et du feu, les graines mûriront. Ces graines repousseront à leur tour et récompensera le travail.  "

Lissesúrë quitta du regard le doyen et parcouru la pièce d'un regard presque tendre.

" Mais ici, nous sommes à l’académie blanche. "

Quand il revient face à Lómion, il offrir un sourire aussi fragile que la branche d'un frêne.

" Et pourtant, vous faites le même travail. "

D'un mouvement de main, il montra les livres et les clepsides.

" Et si ces graines étaient celle de la connaissance ? Les moudrez-vous pour les confier à des vélins ? Les partagerez vous, pour les enseigner ? Sur les découvertes d'aujourd'hui, avanceriez vous à n'importe quel prix ? Ou les utiliseriez vous à bon escient ? "

A ces mots, le sourire se raffermit pour devenir malicieux, comme son regard.

" J'ose espérer qu'un partie des graines deviendront du pain qui pourra nourrir les têtes dans lesquelles germeront la connaissance. Le tout dans le partage. Mais, maintenant, elles sont à vous. Et peut être qu'elles resteront à jamais dans cette bourse. Et si c'est le cas, je le comprendrais aussi. Il y a des savoirs qu'il faut mieux oublier. Pour notre propre bien. "

Un à un les traits fins se détendirent. Il était sincère comme toujours. Il aimait les études. Il les aimer tellement qu'il les avait poussé jusqu'à ce qu'il ne puisse plus. Et pourtant, même si l'arrêt avait été décidée par Kÿria, c'était parce qu'avec ce savoir, ils ont dû aller trop loin. La colère. La vengeance. La guerre. Cela ne devait pas être pour eux.