[Où le coeur et l'esprit peuvent mener...] La lumière au-delà de l'ombre {fini}

Rp précédent : Un phénix ne renait pas sans feu

Elenwënas de la deuxième ennéade de Barkios, 9° année du XI° Cycle,
Forêt d'Anaëh, protectorat d'Eteniril.

Les heures passaient et les femmes continuaient à chanter, sans se lasser, médecins mystiques au coeur de la forêt. De la crainte de la jeune fille qui se tenait non loin, elles n'en faisaient rien. Elles s'étaient juste évertuées à endormir l'archère, retirer la flèche qui aurait pu la tuer, mettre de l'encens auprès des deux blessés et chanter, toujours chanter. Des chants pour la plupart dans cet elfique que tous sylvains pouvaient comprendre, mais pour la majorité dans une langue autre que même Neraën n'aurait pas reconnue. Les rythmes et les sons envoûtaient les sens de ceux qui étaient proches, emmenant les trois citadins vers d'autres rivages avec plus ou moins d'acceptation. Macabre, d'où elle était, pouvait remarquer que la respiration de Neraën suivait de plus en plus le rythme des chants et que parfois ses yeux bougeaient sans pour autant qu'il n'ouvre les paupières.

Au bout d'un long moment, le protecteur respira plus profondément et en-dehors d'une quelconque mélodie. Il mit un temps avant d'ouvrir ses profonds yeux bleus sur les frondaisons de l'Anaëh, fatigué mais se sentant étrangement bien, comme reposé auprès d'une source maternelle. Ayant du mal à émerger à cause de l'odeur de l'encens il se frotta la face d'une main, fronça les sourcils et tourna la tête en direction de Macabre. Il avait fini par la ressentir et, après réflexion, elle était la seule personne qu'il reconnaissait. Un nombre incalculable de questions commençaient à envoahir son esprit, mais les réponses arriveraient seulement au moment venu...

Les heures s'écoulèrent sans que Macabre ne fasse plus le moindre mouvement, blottie dans un coin aussi reculé possible de la tente. Néanmoins, il en passa moins que durant la longue marche qui les avait mené à ce campement. Son regard méfiant et gelé ne quittait pas Neraën ainsi que les femmes qui se mouvaient autour de lui. Elle épiait chacun de leurs gestes comme si elle craignait que l'une d'elle ne s'en prenne à lui. Lui dont elle attendait le réveil avec impatience, et ce pour plusieurs raisons.
La première : qu'elle ne soit plus seule au milieu de ses étrangers, dans cet endroit inconnu qu'elle aurait été incapable de quitter sans se perdre.
La seconde : qu'on lui explique enfin ce qu'il se passait, pourquoi les elfes des cités s'entre-tuaient, pourquoi ils s'arrêtaient devant Neraën, pourquoi on les avait conduit ici...
Et la dernière : que le Protecteur lui explique comment il avait fait pour user de magie sur elle alors qu'il était à bout de force.

Tandis que toutes ces questions tournaient dans sa tête, Macabre demeurait impassible. On lui proposa à manger mais elle ne jeta même pas un regard sur la nourriture. Elle ne fit pas un geste pour refuser. Ne prononça pas un mot pour essayer de se faire comprendre. Si bien que l'écuelle de fruits secs et le gobelet d'eau finirent par trouver leur place aux pieds de la petite elfe, attendant sagement qu'elle daigne se sustenter un minimum.

Lorsque les femmes partirent en laissant les trois citadins seuls, la protégée de Tethien détacha enfin son regard de Neraën. Elle jeta un œil sur l'archère allongée non loin. Elle constata alors que la flèche lui avait été retirée. Si elle n'était pas encore morte, cela signifiait qu'elle avait des chances de s'en sortir.
En dehors de la tente se déroulait une vie dont elle ignorait tout. Les préoccupations ne semblaient pas être les mêmes que dans les cités mais elle aurait presque pu les comprendre un peu mieux... Après tout, il y avait une notion de survie qu'elle ne retrouvait pas dans les cités. Elle ne les voyait guère se préoccuper de ce qu'ils allait manger le soir, s'inquiéter de savoir s'ils étaient suffisamment en sécurité pour passer la nuit... Ils vivaient dans un confort qui lui était parfaitement étranger et, même si elle ne comprenait pas les paroles, les actions des Noss lui semblaient d'une plus grande clarté que celles des Taledhels.

Un bruit attira l'attention de Macabre, ramenant son regard non plus sur ce qu'il se passait à l'extérieur de la tente mais à l'intérieur. Observant les deux corps étendu sur le sol, elle guetta lequel des deux étaient en train de se réveiller. Puis, Neraën commença à bouger.
Enfin...

Émergeant lentement d'un monde visiblement sans rêve, il tourna rapidement sa tête vers la petite elfe, toujours assise par terre dans son coin, les jambes repliées contre elle et enserrées par ses bras. Il n'avait même pas eu besoin de la chercher du regard pour la trouver, comme s'il avait su qu'elle était là. Macabre ignorait si c'était une nouvelle preuve du lien qu'elle pensait exister entre eux ou si c'était simplement la manifestation de ses pouvoirs incontrôlés. Peut-être était-ce un peu des deux...
Elle aussi aurait bientôt ses réponses.

Quelque chose n'allait pas. C'était visible, plus qu'à l'ordinaire. Recroquevillée sur elle-même, ses yeux le fixant avec une crainte ou un autre sentiment peu joyeux... et tant d'autres détails qui pouvaient alerter l'elfe qui venait de se réveiller. Mais il y avait aussi cette sensation qui l'envahissait, le prenant à la gorge au fur et à mesure que son esprit se réveillait pleinement et se soncentrait sur elle. Etait-ce de la peur, un manque de confiance ? Sans rien dire, il se rallongea sur le dos et fit attention à tout ce qui l'entourait. De la forêt, des tentes ou autres abris de fortune, des elfes à la peu plus brune que celle des citadins, cette odeur d'encens... Que faisait-il dans un camp noss ? Qu'est-ce qui avait pu mener des elfes de la forêt à les emmener ici ? Et que faisaient-ils là, tout simplement ? Il regarda sur le côté et remarqua l'archère allongée de l'autre côté. Elle lui disait quelque chose, il lui semblait la connaître... mais là encore, ses souvenirs semblaient refuser de vouloir revenir à lui. Il fouilla dans sa mémoire, longuement. Il se souvint d'une forte pluie, d'un éclaireur, qu'il s'était approché de ce dernier pour discuter... puis plus rien. Sa mémoire semblait posséder un trou aussi noir qu'une nuit sans lune et cela l'intriguait, le dérangeait même. Il se tourna à nouveau vers Macabre, avec quelques difficultés, et planta comme à son habitude ses yeux dans les siens.

"Que s'est-il passé, Mac ? Sais-tu où nous sommes ? Quelque chose ne va pas ?"

Il ne savait pas trop comment ordonner ses phrases, n'étant dans le fond pas le plus à l'aise avec cela. Il ne savait pas comment réagirait la protégée de Tethien ni si elle aurait besoin de paroles ou d'un toucher rassurant. Alors il l'écouta, aussi bien par les oreilles que par le coeur.

Neraën ne dit rien. Il se rallongea en silence. Il observa les alentours. Remarqua l'archère étendue à côté de lui. Regarda les Noss aller et venir. Il fit plein de choses... Mais sans jamais prononcer un seul mot. Il ne tourna pas son regard vers Macabre avant un moment encore. Et, lorsqu'il le fit, les interrogations défilèrent les unes après les autres sans attendre que la réponse vienne. Impossible pour elle de comprendre qu'il s'agissait avant tout d'une série de pensées émises sans ordre précis.

-Beaucoup de questions. Moi aussi.

La jeune elfe semblait revenue quelques années en arrière, n'usant que du nombre minimum de mots pour s'exprimer, quitte à perdre en clarté. Des questions, il en avait, et sans doute plus que trois. Elle n'en avait pas moins, certaines étant à peu de choses près les mêmes que les siennes, à ceci près que, si elle savait ce qu'il s'était passé, les choses n'étaient pas plus claires dans son esprit que dans celui du Protecteur.

-Les Noss nous ont amenés ici. Les autres se sont laissés désarmer. Ils sont...

Macabre n'en savait rien... Et même si elle avait su où elle se trouvait elle-même, elle n'aurait pas su dire où le groupe de Taledhels avait été séparé. Elle visualisa la dernière fois qu'elle avait vu les archers. Mais, si elle aurait su dire où ils se trouvaient les uns par rapport aux autres, elle n'aurait pas pu décrire l'endroit. L'environnement n'était qu'un fouillis sans nom... C'était à peine si elle parvenait à se souvenir de l'emplacement des arbres les uns par rapport aux autres. Puis elle revit le bandeau approcher de ses yeux et se tira brusquement de son absence qui n'avait duré que quelques secondes.

-...pas ici.

En fait, ils auraient bien pu être tués après leur départ qu'elle n'en aurait rien su. Isolée depuis des heures parmi des gens qui ne parlaient pas sa langue, elle n'avait aucun moyen de comprendre ce qu'il se passait et ce que l'on prévoyait de faire d'eux. Les soigner pour les exécuter ensuite n'aurait pas été un comportement surprenant pour la petite elfe qui avait connu bien pire.

Voilà. Elle avait répondu à deux de ses questions. Car il était évident qu'elle était incapable de répondre à la seconde de ses interrogations. A présent, c'était à lui de lui apporter quelques éléments de réponses.

Si tant est qu'il les ait.

-Depuis quand les elfes des cités s'entre-tuent ?

Son regard se posa alors brièvement sur l'archère avant de revenir sur Neraën. Elle ne cherchait pas à lui rappeler quoi que ce soit, n'ayant pas compris qu'il était victime d'un trou de mémoire. Elle voulait simplement être sûre qu'il sache de quoi elle voulait parler.

C'était assez peu compréhensible. Les autres ? Se laisser désarmer ? Mais qui désarmait qui ? Ils étaient au sein d'une noss... elle devait parler de ceux avec qui ils avaient fait la route. Mais pourquoi avaient-ils été séparés ? Et encore, pourquoi s'était-il endormi ? Tant de questions qui lui infligèrent une migraine, raison pour laquelle il cala sa tête dans une main tout en s'asseyant convenablement. Le fait qu'il n'ait aucun souvenir de ce qu'il s'était passé ne l'aidait pas.

"Depuis quand les elfes des cités s'entre-tuent ?"

Cette question, aux mots brutaux aux yeux du protecteur, lui firent relever les yeux vers la jeune femme. Il suivit le regard de celle-ci pour s'arrêter sur l'autre elfe allongée non loin. S'entre-tuer... s'entre-tuer...

Il était devant l'éclaireur. Les mots étaient durs, mais plus encore ce qu'ils impliquaient. Incompréhension, ou compréhension plutôt, colère, peine. Il se laissa étreindre par ces sentiments qui l'entouraient, par les voix qui pleuraient. Etreinte dont il n'avait que trop peu conscience. Il se dirigeait désormais vers là où on l'appelait, ou plutôt vers là où on le guidait. Il voyait les flèches tirées, les arcs bandés, il devait l'arrêter. Il s'approchait d'elle... des larmes coulaient le long de ses joues, mais ce n'était pas la douleur qui les causait. Sa souffrance, sa peur, ses espoirs... tout cela l'envahissait à son contact. Il comprit. Ils s'entretuaient pour une question d'opinion... mais comment en étaient-ils arrivés là ?

Le cri. Le faux-dragon. Macabre. L'ombre brûlée par la lumière. Sa faiblesse, son esprit qui partait petit à petit. Des mots qui raisonnaient fortement en lui, lui donnant la force de répondre par le biais de celle qui se trouvait à ses côtés. Sa promesse, que jamais il n'oublierait. Puis le noir.

Neraën inspira profondément alors que sa tête lui faisait de plus en plus mal. Il se rappelait désormais, ayant peine à croire que c'était devenu la réalité. Que tout le travail qu'il avait entrepris, risquant d'abord sa vie afin de régler un conflit puis faisant don de soi pour arriver à trouver un cesser-le-feu... A quoi cela avait-il bien pu servir ? Sa migraine s'emplifiait, des voix commençaient à agresser son ouïe ainsi que son esprit. Il fallait qu'il respire, qu'il redirige la magie qui voulait prendre possession de lui. Mais comment ? Instinctivement il pensa à celle qui avait créé un lien avec lui, se ravisant en réalisant qu'elle était consciente et qu'il risquait plutôt de la détruire au vu de sa fragilité. Des larmes de douleur commencèrent à couler le long de ses joues. Tant pis ; Neraën se focalisa tant bien que mal sur l'elfe étendue sur le sol et laissa son esprit partir vers elle.

Cela lui fit du bien. Déjà parce que le fait de se concentrer sur quelqu'un d'autre lui permettait de nonobster ces voix qui le harcelaient, mais en plus parce qu'il ressentit un bien-être étrange, comme une épice que l'on met sur un plat pour le relever et qui en fait vous manquait beaucoup du fait d'avoir beaucoup voyagé. Utiliser la magie l'apaisa. Mais cela lui donna également l'envie d'en savoir plus, d'exploiter son don au maximum, de ne pas en rester à ce que l'elfe entendait et ressentait. Savoir que la femme était tout à fait inconsciente et que ce qui l'entourait n'arrivait à son esprit que sous la forme de sons cotonneux n'était pas suffisant. Voir son passé, aller plus loin, connaître la vérité... mais qu'est-ce qu'il était en train de faire ?!

Neraën revint subitement à lui, déconcerté. Il avait moins mal à la tête mais n'avait aucune idée du temps qui s'était déroulé depuis que Macabre avait posé sa question. Et surtout : que lui avait-il pris ? Quelle avait ét écette envie malsaine ? Pour le coup, il se sentait tout aussi gêné que révulsé par cette constatation. Visiblement, le retour à la vie courrante - pour le peu qu'elle durerait - s'annonçait plus compliquée que prévu...

"Ils ne le font pas, normalement. Très rares ont été les fois où les Elfes ont levé les armes contre les leurs, et à chaque fois une raison des plus sérieuses en était la cause. Je ne sais pas ce qu'il se passe ici. Et j'ai peur d'en deviner la raison."

Une fois encore, la compréhension des évènements échappèrent totalement à Macabre. Sa magie a elle ne pouvait pas lui faire de mal, d'une part parce qu'elle ne pouvait se manifester sans qu'elle le souhaite, d'autre part parce qu'elle ne touchait pas aux individus, que ce soit à leur corps ou à leur esprit. Elle était inoffensive et c'était bien pour cela qu'elle se demandait en quoi l'art des ombres pouvait bien effrayer les elfes.

Elle le regarda tandis qu'il recouvrait la mémoire.
Elle vit ses larmes de douleurs perler.
Elle l'observa tourner son esprit vers le seul être capable de supporter les effets de sa magie à cet instant.
Elle fut témoin de tout cela mais ne comprit pas ce qu'il se passait. Elle voyait les gestes sans être en mesure d'en interpréter le sens, de leur donner une signification. Elle resta là, à le regarder, extérieure et étrangère à tout ce qu'il faisait.

Finalement, Neraën sembla comme revenir à lui. Il se tourna à nouveau vers la protégée de Tethien et répondit à sa question. Plus ou moins.
Macabre resta interdite un instant. Observant le Protecteur, elle semblait avoir compris... Compris qu'il avait utilisé sa magie avant de s'arrêter de pleurer. Elle avait vu dans son attitude la même chose qu'elle voyait chez tous ceux qui pratiquaient cet art. Qu'elle pratiquait elle-même. Elle savait reconnaître un mage et elle savait voir lorsqu'il se concentrait.
Il lui avait dit qu'il n'utilisait pas sa magie sur ceux qui ne le voulaient pas. Ou qu'il ne le faisait pas consciemment. Mais sur qui venait-il de le pratiquer à l'instant ? Il venait sans doute de déroger à sa règle et elle ne comprenait pas pourquoi. Mais ce n'était pas la seule chose qu'elle ne comprenait pas venant de lui et concernant la magie...

-Comment tu as fait ?...

Ses yeux bleus pâles revinrent sur Neraën. Son regard était plus dur qu'auparavant. Elle posait la question alors qu'elle redoutait la réponse, ayant une bonne idée de son contenu. Mais il fallait qu'elle en soit sûre... Elle avait peur et, après cette journée, elle était fragile. C'était néanmoins dans ce genre de situation que sa force apparaissait. Alors que d'autres auraient tout simplement baissé les bras, serait partis, auraient fui, elle était toujours là, faisant face à l'objet de ses craintes, le regardant droit dans les yeux sans siller.

-Tu avais trop utilisé la magie. Tu ne pouvais même plus parler. ...mais tu as parlé dans ma tête...

Au diable ses autres questions. Neraën lui-même ne semblait pas avoir les réponses. Et puis, finalement, elle s'en moquait. Tout cela ne la concernait pas tant qu'on ne la touchait plus. La seule question qui lui importait vraiment, c'était celle-ci. Et ce qu'elle allait entendre n'allait certainement pas lui plaire.

"Comment tu as fait ?... Tu avais trop utilisé la magie. Tu ne pouvais même plus parler... mais tu as parlé dans ma tête..."

Neraën resta un instant interdit, ne cessant il ne savait comment pas de masser son front. Il avait réussi à utiliser sa magie alors qu'il était censé ne plus pouvoir ? Oui... oui il l'avait fait, il avait répondu au faux-dragon ; par son intermédiaire. Ce n'était pas en lien avec cette pulsion malsaine de voir jusqu'où sa magie pouvait le mener, non, c'était le principal. Mais maintenant il allait falloir qu'il explique... qu'il s'explique auprès de cette jeune femme qui ne le comprenait pas et qui, à bien la regarder, le craignait. L'elfe soupira doucement, prenant ainsi le temps de mettre en ordre ses idées afin de pouvoir être au plus clair avec Macabre. Il ne désirait pas l'offusquer, ni la blesser ; il préférerait même qu'elle soit heureuse, plus que pour d'autres, sans savoir pourquoi. Alors il lui expliqua, doucement, afin d'être sûr qu'elle comprenne. Il lui parla en la regardant droit dans les yeux, ne baissant pas les yeux devant la difficulté et montrant ainsi sa franchise.

"Te rappelles-tu de ce que je t'avais dit, le soir où nous nous sommes rencontrés ? Je manipule la magie de l'esprit... et chaque mage possède une affinité particulière avec la magie. Je fais partie de ceux qui ne sont pas nés avec une sensibilité avec elle mais qui ont eu un changement au cours de leur vie, ce qui a fait que j'ai plus ou moins accepté le fait de devenir "mage". Cela, c'est ce que beaucoup savent. Mais il y a autre chose avec moi, qui est parait-il unique : il arrive que des liens magiques se créent entre mon esprit et d'autres, souvent involontairement. Un lien qui facilite l'accès de mon esprit à celui de l'autre, notamment sur le plan magique. Je ressens plus facilement les émotions de cette personne, je ressens sa présence sans avoir besoin de savoir qu'elle est là, si je le veux je peux accéder à son esprit avec de plus grandes facilités qu'avec n'importe qui d'autre... Ce lien, c'est ce qui s'est créé la nuit où tu es venue me rendre visite... cette nuit où j'ai essayé de te protéger de moi. C'est ce qui m'a permis d'utiliser mes dernières forces pour te parler, alors que mon corps ne pouvait plus rien faire."

Une pointe de tristesse s'était imiscée dans sa voix lorsqu'il avait rappelé la nuit troublante où Macabre avait réussi à pénétrer dans sa chambre, en pleine nuit, et cela alors que son visage ne laissait entrevoir aucune émotion particulière. Détachant son regard de la jeune femme, il se leva difficilement et s'étira tout en fixant des yeux les arbres. Posant ses mains sur ses hanches, il ferma les yeux et écouta ; écouta ce qui l'entourait, essayant en même temps de comprendre.

"Désolé de t'infliger cela. Je ne sais pas s'il m'est possible de rompre un lien."

Il aurait voulu promettre de ne pas utiliser de magie sur elle, de ne rien faire sur elle sans son autorisation... mais il craignait trop que cette promesse ne puisse être tenue, surtout après cette envie qu'il avait ressentie quelques minutes auparavant. Alors il ne dit plus rien, se contentant de tourner les yeux vers elle.

-Te rappelles-tu de ce que je t'avais dit, le soir où nous nous sommes rencontrés ? Je manipule la magie de l'esprit... et chaque mage possède une affinité particulière avec la magie. Je fais partie de ceux qui ne sont pas nés avec une sensibilité avec elle mais qui ont eu un changement au cours de leur vie, ce qui a fait que j'ai plus ou moins accepté le fait de devenir "mage".

Au début, Macabre l'écouta sans montrer aucune émotion supplémentaire. Elle attendait, avec une certaine impatience, qu'il achève son introduction pour en venir au sujet qui l'intéressait. Il y mettait les formes, semblant oublier que cela n'avait aucun impact sur elle. On pouvait tout lui dire sur n'importe quel ton et en employant n'importe quels mots, elle n'y prêtait pas attention. La forme ne comptait pas, seulement le contenu.

-Cela, c'est ce que beaucoup savent. Mais il y a autre chose avec moi, qui est parait-il unique : il arrive que des liens magiques se créent entre mon esprit et d'autres, souvent involontairement.

Le visage de Mac sembla soudainement se fermer et ses sourcils se froncèrent. Il confirmait la possibilité que sa théorie soit la bonne et cela ne lui plaisait absolument pas.

-Un lien qui facilite l'accès de mon esprit à celui de l'autre, notamment sur le plan magique. Je ressens plus facilement les émotions de cette personne, je ressens sa présence sans avoir besoin de savoir qu'elle est là, si je le veux je peux accéder à son esprit avec de plus grandes facilités qu'avec n'importe qui d'autre...

Tandis qu'il lui expliquait les conséquences de ce lien qui pourrait exister entre eux, la protégée de Tethien se renfrogna de plus en plus. Chacun de ses muscles se crispa et l'expression de son visage se durcit encore davantage.
Il avait espéré qu'elle le prenne bien ? Il serait plus que déçu de constater que ce n'était pas le cas.

-Ce lien, c'est ce qui s'est créé la nuit où tu es venue me rendre visite... cette nuit où j'ai essayé de te protéger de moi. C'est ce qui m'a permis d'utiliser mes dernières forces pour te parler, alors que mon corps ne pouvait plus rien faire.

Il avait à peine achevé sa première phrase que Macabre fut prise d'un sanglot silencieux et, lorsqu'il rompit le contact visuel, elle détourna le regard. Comme si elle avait été incapable de le faire avant.
Pas ça... Elle ne voulait pas ça... Elle l'appréciait beaucoup. Elle aimait le fait de se sentir proche de lui, de constater toutes leurs similitudes. Mais ce qui les rendait si semblables disparaissait peu à peu. Il n'avait pas l'interdiction d'utiliser sa magie, il ne la contrôlait pas. Il portait le plus souvent un masque d'impassibilité mais il le faisait régulièrement tomber à présent et elle découvrait que, contrairement à elle, il éprouvait bon nombre d'émotions variées et complexes.
Et désormais, il pouvait lire dans sa tête comme dans un livre ouvert.

-Désolé de t'infliger cela. Je ne sais pas s'il m'est possible de rompre un lien.

Mais ces quelques mots eurent l'effet totalement opposé à celui souhaité.

-Sors de ma tête...

Neraën reprit la parole. Il voulait sans doute lui faire comprendre qu'il ne le pouvait pas.
Peu importait ce qu'il disait : elle ne le laissa pas finir.

-SORS DE MA TÊTE !!

Elle s'était brusquement tournée à nouveau vers lui, plongeant son regard dans l'océan. Au premier abord, on aurait pu penser à de la colère. Mais alors, elle aurait eu une posture bien plus agressive, se projetant vers l'avant, serrant les poings, l'assassinant des yeux... Seulement, elle n'avait rien fait de tout cela. Au contraire, elle était restée assise dans son coin, ses bras enserrant ses jambes repliées devant elle. Son dos semblait s'enfoncer toujours un peu plus dans la toile de tente.
Elle n'était pas en colère. En colère contre qui ? Elle savait qu'il ne l'avait pas fait exprès. Tout comme il n'avait pas fait exprès de lui faire du mal cette nuit-là. Elle ne lui en voulait pas. Elle était effrayée. Neraën n'était pas le premier mage de l'esprit qui croisait sa route. Ni le premier à lui faire mal. Elle se souvenait de ces séances de tortures magiques où on essayait de lui faire dire qui elle était, voire aller chercher l'information dans son esprit. Dépourvu d'identité, il n'y avait rien à trouver et elle n'aurait pas pu répondre même si elle l'avait voulu. Certains n'avaient souhaité que lui faire du mal, juste pour leur plaisir. C'était la douleur la plus insupportable à ses yeux... Celle contre laquelle on ne pouvait rien faire hormis souhaiter qu'elle s'arrête. Celle qu'elle n'avait pas été entraînée à repousser ou à endurer.
Alors savoir que ce lien existait... C'était la porte ouverte sur son esprit. Une porte ouverte sur l'un de ses pires cauchemars.

"Sors de ma tête...
- Je ne suis pas...
- SORS DE MA TÊTE !!!"

Neraën se retourna alors complètement vers l'elfe qui venait de crier son angoisse. Peur profonde qui le percuta de plein fouet, d'autant plus qu'il ne possédait pas toutes ses forces et qu'il s'était ouvert à tout ce qui l'entourait. Sa voix et son cri avaient suffi, il n'avait pas besoin de la voir pour comprendre quel était son ressenti. Mais elle devait en avoir besoin, en attestaient ses yeux braqués sur les siens. Il s'était attendu à ce qu'elle n'accueille pas très bien la nouvelle, raison pour laquelle il avait essayé d'expliquer cette histoire de lien en définissant bien les étapes, mais il ne s'était pas attendu à un tel rejet, une telle réaction épidermique... et pour une fois son instinct entra complètement en contradiction avec son esprit sur ce qu'il était bon de faire. Alors il resta droit, le visage toujours fermé malgré le fait que ses émotions pouvaient toujours se lire dans ses yeux, et joint ses mains devant son bas-ventre. Une posture qu'il avait pris l'habitude de prendre depuis qu'il était rentré d'Alëandir et était entré dans le monde de la politique.

Il voulait la rassurer et face à la réaction de Macabre son instinct lui disait de la calmer, de la rassurer par la magie ou le contact physique. Mais il savait très bien que la jeune fille n'était pas en état d'accepter ces deux choix, aussi il cherchait dans sa tête comment faire pour la rassurer. Passer par les mots ? Lui faire une promesse ? Une promesse qu'il ne pourrait pas tenir en toutes circonstances ? Non. Si la politique lui avait appris à user des mots pour arriver au résultat voulu - ce dont il n'était pas forcément le meilleur - son éducation lui avait surtout enseigné à rester dans des choses concrètes, des paroles dont il ne perdrait pas l'honneur à ne pas les respecter. Des paroles ou des actes... mais c'était la confiance qui devait régner entre eux. Confiance qu'il devait réussir à gagner en partant de ce qu'il savait sur elle ; et des choses, il en savait. Il les avait même vues. Il s'abandonna un instant dans le regard apeuré de Macabre et se rappela la souffrance qu'il avait ressentie à travers elle, les atrocités qui étaient passées de son esprit au sien... et respira tout aussi profondément que doucement.

Il détacha son regard de celui comme l'eau clair et chercha quelque chose qui pourrait lui être utile. Après avoir trouvé son bonheur à quelques pas de lui, quelque peu enfoncé dans la terre, il marcha jusqu'à l'objet et s'abaissa pour la prendre. Une pierre. Une simple pierre, tout à fait imparfaite, possédant plusieurs bords plus ou moins pointus, tranchants ou ronds. Il la caressa pour vérifier qu'il ne s'était pas trompé puis se releva pour se mettre à genoux devant la pauvre elfe, posant la pierre à côté d'eux. Il tendit sa main gauche entre eux, paume tournée vers le ciel, puis la regarda droit dans les yeux.

"J'aimerais te dire que jamais je n'utiliserais la magie sur toi, mais je ne le peux parce que je suis incapable de savoir si cette promesse est réalisable ou pas. Et les promesses sont très importantes à mes yeux. Mais je peux t'en faire une : jamais je ne te ferai de mal ; jamais je ne recherai à te faire souffrir. J'éviterai d'entrer dans ta tête, et si je dois le faire consciemment ce ne sera qu'avec ton autorisation ou pour te protéger. Te protéger de ceux qui veulent te faire souffrir... ou de moi."

Sa voix était douce, pareille à un chuchotement. Tout en terminant cette promesse qu'il lui offrait, il prit tranquillement de la main droite la pierre qu'il avait été chercher plus tôt et s'entailla avec la paume gauche. Une courte grimace de douleur se fit voir avant que son visage reprenne son air habituel. Ses yeux firent une seconde attention aux perles de sang vermeil qui coulait dorénavant de sa main puis plongea une nouvelle fois ses yeux dans ceux de Macabre.

"Tu fais de cette promesse ce que tu veux. Libre à toi de l'accepter ou non. Maintenant tu connais mes intentions. Je ne suis pas et ne serai pas dans ta tête, Mac. Je te respecte trop pour cela."

Une promesse par le sang... il n'était pas dans les coutumes des citadins de faire cela, les paroles suffisant ou une signature au bout d'une feuille posant à jamais les mots sur le papier. Un papier dont Neraën ne voulait pas. La force du geste était bien plus représentatif et concret à ses yeux ; geste qu'il tenait de ceux qui vivaient au plus près de l'Oeuvre de la Mère.

A aucun moment Mac ne baissa les yeux tandis que Neraën lui faisait sa promesse. Toutefois, les mots ne semblaient pas avoir de sens pour elle. Pas tout de suite. Pas jusqu'à ce qu'elle ne voit le mage s'entailler la main avec la pierre. Le principe de jurer sur son propre sang ne la choquait aucunement. Au contraire, c'était l'un des rares serments qu'elle connaissait et qu'elle jugeait fiables, pour l'avoir vu pratiquer de nombreuses fois et toujours respecté. Il avait donc une certaine valeur à ses yeux. Le Protecteur acheva sa promesse avec la possibilité pour Macabre de la croire ou non.
Lorsqu'il se tut définitivement, la petite elfe baissa enfin les yeux/ Elle observa la main abîmée, entaillée par la plus émoussée des lame. Elle était bien placée pour savoir que plus le couteau est tranchant, moins c'est douloureux. Cela ajoutait d'autant plus d'importance à l'acte de Neraën. Tandis que coulait lentement le sang du mage, tout son discours repassait dans la tête de la petite elfe et il semblait enfin prendre tout son sens.

Jamais de mal...
La protéger...
La respecter...

Nombreux étaient ceux qui souhaitaient la protéger. Fineldor, Lalë, Hira, Seregon... Même Olorin, bien que dans son cas cela relève plus de l'obligation que d'une volonté propre. Anorn la protégeait aussi d'une certaine manière. Il avait soigné son corps et prodigué bien des conseils dans ce but. Elle pouvait retourner le voir dès qu'elle en avait besoin. Protégée, elle l'était. Respectée... C'était moins sûr. Oh, ceux qui la veillaient sur elle la respectaient, elle n'en avait aucun doute. Mais ce n'était pas le cas de tous ceux qui posaient les yeux sur elle. En cette période de trouble où le regard des autres lui importait beaucoup, elle avait peut-être besoin d'entendre ces mots... De savoir que quelqu'un la voyait différemment des autres.

Alors Macabre plongea à nouveau dans les profondeurs des mers. Elle n'avait pas changé de position mais elle semblait bien plus détendue. Ses muscles s'étaient relâchés les uns après les autres tandis qu'elle regardait le sang perler à petites gouttes de la main de Neraën. Son geste avait apaisé ses craintes et elle n'avait plus peur de souffrir.
Quelques secondes passèrent avant que ses bras ne desserrent leur étreinte sur ses jambes. Le frêle corps de l'elfe s'avança lentement, tant et si bien qu'elle se retrouva bientôt sur les genoux à une petite distance du Protecteur. Dans cette position, l'écart de taille entre les deux individus était nettement moins flagrant et les yeux de Macabre arrivaient au niveau des lèvres du mage, et non plus sur son torse comme c'était le cas lorsqu'ils se trouvaient debout. Les mains de Macabre vinrent bientôt encadrer le visage de Neraën et l'invitèrent à se pencher en avant, repoussant doucement son menton vers son buste. Elle fit de même et, bientôt, son front vint se poser contre celui de son ami. Elle tint la position quelques secondes avant de reculer légèrement sur ses appuis et de libérer le visage du Protecteur. Une larme coulait sur sa joue, signe que la peur était définitivement partie et que la tension était retombée.

Il n'était pas très difficile de comprendre la signification de ce geste. Elle acceptait, tout simplement. C'était le meilleur moyen pour elle de ne pas souffrir. Accepter ce lien plutôt que de lutter contre. Ne pas fermer son esprit à celui de Neraën qui pouvait de toute manière y accéder. Cela ne le dispensait pas de sa promesse, bien évidement. Elle n'aurait pas pu admettre leur lien sans cela. Mais une chose l'avait poussée à agir ainsi. Elle ne savait pas pourquoi... Mais elle voulait avoir confiance en lui. C'était assez difficile à comprendre pour elle qui n'avait découvert ce sentiment que depuis quelques années. Elle savait juste qu'elle voulait pouvoir se fier à lui. Et, finalement, il n'avait rien fait pour lui faire du mal. Il lui en avait fait, c'était vrai, mais ses intentions étaient bonnes. Quant à ce lien, la magie l'avait créé. Pas lui.

Ses yeux se fermèrent alors que les mains de la jeune elfe se posaient sur les côtés de son visage et qu'elle faisait pencher sa tête vers l'avant. Leurs fronts se rencontrèrent, scellant ainsi la promesse que Neraën venait de faire à la protégée de Tethien. Mais plus que tout, cet acte signifiait au protecteur qu'elle avait choisi d'accepter. De l'accepter lui, d'accepter cette magie qui faisait désormais partie intégrante de lui. Et ce fut un poids sur ses épaules qui s'évapora, laissant à son esprit un peu plus de quiétude. Leurs visages se séparèrent, Neraën rouvrit alors les yeux pour les plonger dans ceux de Macabre. Il remarqua qu'une larme perlait le long de sa joue, aussi l'essuya-t-il doucement du pouce, en faisant bien attention à ne pas mettre de sang sur son fin visage.

"Merci..."

Par la suite, les deux elfes eurent le temps de rester seuls - ou presque - à discuter et manger les quelques fruits qui étaient à leur disposition. Macabre montra une grande curiosité concernant ces liens atypiques que tissait Neraën, aussi fit-il attention à lui répondre avec des mots qu'elle pourrait comprendre. La blancheur de l'âme des autres, le fait de ne plus voir l'enveloppe corporelle, la possibilité de pouvoir ressentir les personnes sans même les regarder, ses étranges cauchemars... Bien des détails furent expliqués dans ses dires, mais à aucun moment il ne parla de la pauvre Dryade qui dormait au fond de son être et qui avait provoqué cauchemars comme crises magiques.

La fatigue avait fini par le reprendre, et la jeune fille aussi. Sans vraiment s'en rendre compte ils s'étaient rapprochés l'un de l'autre, au point qu'à un moment Neraën avait doucement pris Macabre dans ses bras, ressentant sa fatigue. Depuis elle s'était endormie, allongée non loin de lui. L'ancien guerrier était quant à lui assis, dos appuyé contre un poteau, le regard dans le vide. Il se reposait, repensant à ce qui venait de se dérouler, à ce qu'il avait appris depuis qu'ils étaient arrivés proches du protectorat... Intérieurement, il priait la Mère de l'aider dans ce conflit, de prendre les bonnes décisions et de trouver les mots, les gestes afin d'apaiser les protagonistes de cette histoire. Il pleurait la folie de son peuple et hurlait intérieurement son désarroi, se demandant ce qu'il avait fait pour que les Elfes en viennent à de telles extrémités. L'avait-Elle voulu ? Pourquoi ? Et pourquoi maintenant, alors qu'Eteniril n'avait en réalité plus aucun protecteur et que lui-même était considéré comme étant dangereusement instable ? qu'il était effectivement très sensible aux émotions et à la Symphonie environnante ? Tant de questions qui resteraient certainement sans réponses... en attendant il ne pouvait plus que s'adresser à Tari ; prier pour les âmes qui l'avaient rejointe trop tôt.

Prier pour ces vies qui tomberaient, brisées par la folie des pierres.

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