Kÿrianos de la première ennéade de Karfias
Dixième année du Onzième Cycle
L’Harmalaica
Un florilège de sensations, de la plus intense à la plus volatile.
Les parfums fleuris qu’affectionne la gente Léandroise, l’humeur moite des lichens colonisant l’écorce des arbres, la senteur de la terre d’argile grattée par les chausses des passants, ; tout un cortège d’odeurs, porté par la douce brise hivernale.
Le rythme des pas passant de la glaise au carreau, la prière de concert d’une âme en peine et de sa joyeuse voisine, l’incessant bourdonnement des rues passantes auquel répondent cœurs et âmes les insectes bravant le temps à la recherche de nourriture, le craquement des cuirs de ton pantalon trahissant chacun de tes mouvements ; un univers sonore écrasant de tranquillité.
Les picotements laissés dans leur sillage par le sang condamné à éternellement fuir visage, clavicule et alentours à découvert de ton sternum à la recherche de la chaleur conservée par le tissu, serré contre ta peau à quelques pouces de là. Le contact trop lisse des végétaux au bout de tes doigts gantés, le haut-col venant à l’occasion te chatouiller l’oreille ; autant de sensations qui n’appartenaient qu’à toi.
Elles t’appartiennent autant que les murmures de la nature qui te guide depuis plus d’une heure maintenant à travers les dédales arborescents, autant que la pulsation identitaire des badauds qui décorent ton monde de leur battement vital. C’est dans leur vie à tous que tu baignes et que tu t’épanouis. C’est l’écho de leur existence qui constitue la tienne. C’est pour eux que tu te bats, c’est par eux que tu grandis, et c’est grâce à eux que tu sais donner libre cours à tes passions, car c’est l’entrelacs de leur souffle et de leur charpente l’origine de ta sensibilité.
Elle paraît tellement grandiose ta réalité. Elle paraît aussi lourde de responsabilités qu’elle est richement décorée, et pourtant elle n’a rien de si particulier. Ta réalité, il y en a des centaines, des milliers qui la partagent dans ton peuple. Ta réalité n’est qu’une infime part du puzzle du monde, au point qu’on aurait vite fait de l’oublier pour peu qu’on vienne à la perdre. Ta réalité avait été la même pendant de longues années, de longs siècles et pourtant te la décrire à toi-même ne la rendait pas le moins du monde moins fascinante qu’elle l’avait été à l’aube de ton temps.
Ce devait être la magie de l’Harmalaica, la paix inspirée par un sanctuaire où sont entonnés les chants d’une gardienne sacrifiée. Ce devait être la proximité de l’Estel, symbole de la puissance de l’action d’un seul et de chaque, qui se prouvait propre à t’insuffler satisfaction. N’en reste pas moins qu’épris d’agréables sensations, tu continuerais certainement de mettre un pas devant l’autre au cœur des jardins durant quelques temps.
Le travail d’aujourd’hui sera cette méditation. C’est la paix dans l’âme que tu entames cette année.