Pour le Roy, et pour Serramire [Aymeric]

3^ème jour de la 3^ème énéade de Favrius, 10^ème année du 11^ème cycle.

La réponse était venue en armes. Descendant du Nord, avec pour destination la baronnie d'Ancenis, une partie de la troupe de cavaliers envoyée par Aymeric s'étaient détournés pour gagner Sharas. Du vieux port était parvenu une missive : son expéditeur, un certain maître d'armes qu'on connaissait dans le Nord sous le nom de Loup Noir, offrait ses services, ainsi que ceux de son équipage et de son navire, pour la juste cause que défendaient les armées du Nord.

Adonc avait-on décidé d'employer ce bon capitaine vertueux et de faire usage de son navire pour mieux porter le dégât sur les terres des félons. Puisque des olysséens on n'avait eu nulle nouvelle, il avait été décidé de prendre les devants quant à l'affaire maritime.

Menée par le zélé lieutenant Heinrich à la barbe rousse, Une centaine de cavaliers avait ainsi rejoint le port de Sharas. Bien vite, guidé par l'enfant du pays, le chevalier Croesan, on rencontra le capitaine Acherbas, auquel le bon factionnaire remit la missive suivante :

Au Loup Noir, Hannibal Acherbas,

Au 8^ème jour de la 2^nde énéade de Favrius, à la 10^ème année de notre cycle,

Bon prud'homme, votre zèle à porter les armes à nos côté en acontre des ennemis du Roy vous honore, et il ne sera pas dit qu'à un preux, je refuserais le droit de se battre pour une juste cause. Adonc, j'accepte votre demande de rejoindre les ostes du Roy, pour le temps de cette campagne, m'engage à ce que le trésor royal vous paie à la juste mesure de vos efforts et que vous puissiez recevoir une part honorable du butin pris sur les félons.

Au nom du Roy, je vous commande ainsi de mettre le cap sur la côte ancenoise et d'emporter avec vous les troupes placées sous le commandement du bon lieutenant Heinrich, afin de vous y livrer à la chevauchée et à la petite guerre en attendant que l'Ost ne gagne ces terres.

Que la DameDieu vous garde,

Aymeric de Brochant, marquis de Serramire

Une fois qu'il eut fini de lire la lettre du Marquis, Hannibal leva les yeux vers Heinrich et ses hommes.

-La réponse du Nord fut rapide et sans équivoque. C'est un honneur chers soldats de Serramire.

Son propre équipage était rassemblé aux quais, prêt à rencontrer les troupes fraîchement venues du Nord avec qui ils partageraient leur pain, leur navire, et de glorieux combats contre la félonie, et ce pendant quelques temps. Parmi la foule, Hannibal aperçut Croesan de Laviard à qui il adressa un sourire.

-Voici mon équipage, 43 hommes, tous de bons. Ils vous mèneront tranquillement dans les eaux ennemies, l'expérience les a endurcis, les a assagis.Vous ferez connaissance à bord, laissez-moi d'abord vous présenter ceux qui commandent ici.

Il se tourna vers son fidèle ami qui se tenait juste à côté de lui.

-Voici Francesco Davatti. Un grand enfant élevé dans les rues d'Ydril. Je l'ai connu à l'époque où j'étais encore noble, c'est un ami fidèle, sincère qui n'hésitera pas à vous dire ce qu'il faut faire. Nous avons survécu à bien des choses ensemble.

Le Loup Noir déplia son bras vers Croesan qui se trouvait parmi les Serramirois.

-J'imagine que vous connaissez déjà Croesan désormais. Voilà un homme bon, une fine lame originaire de votre pays qui m'a retrouvé à Soltariel. Aujourd'hui, il m'accompagne, moi et mon équipage. C'est un vrai chevalier, il en connaît toutes les valeurs et vit pour elles.

Maintenant, c'est lui qu'il devait présenter..

-Et moi, je suis Hannibal Acherbas, dans le Nord vous me connaissez sûrement sous le nom de Loup Noir ou davantage de Tueur de Chevaliers. Je suis presque autant du Nord que vous, bien que cela puisse vous paraître déplacé venant d'un Ydrilote. Oui, mon maître d'armes fut feu Ivan de Orisan, une famille bien connue à Serramire pour avoir fourni de nombreux grands combattants. J'ai passé beaucoup d'années sur vos terres, à me battre contre les rebelles et les traîtres, ainsi qu'à vous connaître.

Ce petit discours terminé, Hannibal invita les hommes à embarquer dans la Louve d'Ydril. Ils détachèrent aussitôt le navire et déployèrent le grand mat à la voile blanche surmonté d'un chien noir. Peu de gens savaient qu'en réalité, le drapeau de la caraque était l'ancien blason des Merilas, cette famille de nobles chevaliers d'Ydril dont Hannibal était lié par sa mère. Mais cela faisait longtemps que le nom avait disparu, et que Hannibal n'en était plus un.

Il invita Heinrich dans ses quartiers. Lui donnant un verre de vin d'Erdhleim, il lui demanda de se présenter et quelle était la mission que Aymeric de Brochant leur avait donnée.

Cela faisait un peu trop de noms à retenir pour ce bon Heinrich, qui s'était juré d'éviter les compagnies trop hétéroclites depuis ses mésaventures ostoteliotes. Il avait soulevé un sourcil circonspect à l'écoute des louanges à l'égard du chevalier de Laviard, se souvenant non sans amertume des supposées bonnes mœurs du cadet de Fonrac. Pour que ce Croessan se retrouve en compagnie d'une bande forbans, dont le capitaine clamait ouvertement être un sicaire pour le bon sang, on pouvait être sûr que seuls ses vœux chevaleresques ne régentaient sa vie.

On embarqua bien vite, transportant non sans peine les chevaux à bord. Ce n'était pas là une mince affaire, mais fort heureusement, le voyage, lui, ne durerait que quelques heures. Après qu'on eut appareillé, tandis que la Louve d'Ydril, d'une manière bien à propos, louvoyait, le bon lieutenant fut appelé par le maître à bord. Si les embruns et le vent frais avaient gardé Heinrich d'un mauvais mal de mer, se retrouver dans les entrailles du navire, alors que la houle faisait rouler ce dernier, souleva l'estomac de notre héros du jour.

C'est donc un lieutenant faisant mentir son surnom de Barberousse pour quelque chose plus honnête comme "verte-trogne" qui pénétra dans la cabine du Loup Noir. Bien vite, la question de leur destination se posa. Un peu trop tard, Heinrich figura que l'homme avait appareillé sans même savoir sa destination ; soudainement sur ses gardes, il retourna sa langue plus d'une fois avant de répondre : « La chose est simple : nous allons passer au fil de l'épée la côte ancenoise. »

Ce laconisme ménageait et sa méfiance à l'encontre de ce capitaine trop rapidement acquis à la cause du marquis, et sa bouche rendue pâteuse par la nausée.

Le Loup Noir releva un sourcil à la réponse du lieutenant, se demandant bien si celui-ci se fichait de lui. Il garda son calme, le voyage ne faisait que commencer. Il valait mieux être diplomate que de se battre en alliés.

-Je m'en doutais Messire, notre navire vogue déjà vers le Sud en longeant les côtes.
Ma question est bien moins large : quelle est notre prochaine cible ?

Le capitaine avait juste ordonné de mettre le cap vers le Sud, craignant qu'un espion ou un traître ne divulgue leur cible. Il était bien simple de cacher un pigeon ou une bouteille pour donner le message, et pour les plus téméraires, de sauter tout bonnement à la mer et de nager jusqu'au rivage. Hannibal avait confiance en ses hommes mais il n'en rejetait pas pour autant la possibilité.
Le maître d'armes proposa d'une main une chaise à Heinrich, puis le regarda dans les yeux avant de demander :

-Vous étiez à la bataille contre les Séraphins ?

Le suffisance du ladre n'améliora pas l'humeur d'Heinrich, qui assis sur sa cathèdre tentait tant bien que mal de ne pas dégobiller. Cet entretient était-il vraiment nécessaire ? À n'en croire son capitaine, la Louve d'Ydril abritait plus de marins que de véritables soldats, quoique de ces hommes, difficile était il encore de dire s'ils s'étaient uniquement adonnés honnêtement à la pêche au thon rouge. Dès lors, pourquoi s'importuner quant aux plans du marquis ? La caraque amènerait ses passagers infernaux aux abords des côtes ancenoises, et l'affaire serait pliée.

À moins que le drôle n'eut désiré jouer un rôle plus poussé que simple contrebandier. C'est en tout cas ce que lui supputa le lieutenant Heinrich, tandis qu'on lui demandait de faire état de ses faits d'armes. Peut-être Hannibal s'attendait-il à ce que les deux s'échangent tels de vieux briscards leurs souvenirs de campagne ? « J'entrai dans la légion serramiroise quand le vieil Édouard était encore duc et j'ai défendu son neveu Merwyn à un contre dix, après que le traitre Hanegard Kastelord eut déserté et rejoint les rangs du Roy. » C'était raté.

« Et vous, Loup Noir, comment avez vous acquis votre surnom ? »

Quel homme lui avait envoyé Aymeric de Brochant ? Il ne souhaitait pas discuter ? Soit. Mais ses origines nordiennes ne l'excusaient pas de ses mauvaises manières.
Ah ! Et puis quoi encore ! Un petit séjour à Soltariel parmi la cour ducale et Hannibal redevenait noble dans sa façon d'être. Nul besoin d'envolées lyriques ni de métaphores harmonieuses, ils étaient entre hommes. De vrais. La rustretrie était permise.

Heinrich décrivait la façon héroïque dont il n'avait pas trahi son Duc. Bien qu'ils fussent chacun de l'autre côté lors de la bataille, Hannibal savait bien que les rangs du Séraphin comptait un grand nombre d'hommes honorables.

-Un hommes fidèle en perspective. La trahison et la fidélité ne sont affaire que de subjectivité en fin de compte, ma fidélité est allée au Roy, la vôtre au Duc. Les traîtres sont ceux qui changent de camp après avoir assuré leur soutien, qui vous plantent un poignard dans le dos, ou qui vous attendent au bout d'une impasse sombre, l'arme à la main.

Et voilà qu'on lui demandait l'origine de son surnom. Il pensait ne plus avoir à l'expliquer aux hommes du Nord et pourtant..Les années passent et les souvenirs trépassent.

-Le Loup Noir... Il est dû à plusieurs choses. Mes origines d'abord, ma moitié noble porte le blason d'un chien noir, ma moitié Zurthane m'a offert cette peau basanée. Mais c'est en gagnant vos terres que l'on m'a attribué ce surnom, pour ma bestialité à l'époque et ma fascination pour ces animaux.

Il tapota un petit coffre en bois et en fer rouillé sur son bureau. Nul ne savait ce qu'il renfermait, la clé étant toujours cachée. Et pourtant cela avait un lien avec ce qu'allait dure Hannibal :

-Quant à mon autre surnom..le Tueur de Chevaliers..il frappa de plus en plus fort le coffre du bout de ses doigts. Je l'ai "gagné" en tuant beaucoup de chevaliers renégats lors de batailles comme à Diantra ou de duels et traques. Ce surnom me vient aussi du Nord, quand j'ai éliminé les Chevaliers du Landnörten qui saccageaient quelques territoires des Trente. Il faut croire que les Nordiens ont un don pour attribuer des sobriquets. Et le vôtre, quel est-il ?

Les réponses du capitaine avaient brossé pour lui un portrait bigarré, qui n'avait manqué de titiller le flair policier de notre héros du jour, le lieutenant Heinrich. Un chef mercenaire était suffisant pour travailler sa suspicion, lui qui redoutait tout aventurier, chevalier, porte-glaive à la gueule un peu trop pendue, pour leur propension à semer le dégât à l'aide de leurs flamberges ? À réfléchir, peut-être il y avait une pointe de rancœur natale là dedans : Heinrich était né avec du fumier entre les orteils et n'avait eu de cesse de voir son pays en proie aux troubles portées par la mauvaise race des cadets de famille et autre écorcheur un peu présentable. Alors un mulâtre zurthan, cette race de voleurs, et de sang nobiliaire, au goût pour la brette et à la fidélité variable assumée, il y avait de quoi tracasser ce vieux con d'Heinrich.

« Barberousse, me donne-t-on », répondit-il en un croassement, triturant ses favorites écarlates. « C'est parce que ma barbe est rousse, je gage. » Il avait lâché ça avec un soupçon de raillerie ; lui qui bien trop souvent se savait être défaillant en esprit ne manquait pas de glisser un mot cocasse. Bien souvent, son humour faisait cependant long feu. « Et que pousse un homme tel que vous à vous battre pour le marquis ? »