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| Des piques pour du jambon [Aymeric] | |
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Cosimo Tête Pelée
Humain
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| Sujet: Des piques pour du jambon [Aymeric] Mar 31 Jan 2017 - 21:06 | |
| Une impérieuse envie de pisser tira Cosimo de sa somnolence et de sa méchante paillasse. Il écarta sans ménagement la lourde putain qui partageait sa couche en ronflant. Un soupir de satisfaction franchit ses lèvres lorsque sa miction matinale se fracassa au fond du seau, soulevant de la brume dans l’air glacé de la chambrette. Il frappa du poing les maigres cloisons :
« -Debout les morts ! Faites-vous belles les filles, c’est le grand jour.»
Des grognements avinés lui parvinrent du reste de l’étage. Les gars se réveillaient. Cosimo s’éclaboussa la face d’eau glacée avant d’enfiler ses chausses et son pourpoint rapiécé. Il enfila ses bottes, qu’un valet avait cirées la veille, et ceint enfin sa lourde rapière. Avant de quitter la chambre, le mercenaire secoua la gaupe assoupie :
« -Oh ma belle ! Garde donc mes quelques effets le temps que je revienne. Tu mangeras bien ce soir ! » Dieux qu’elle est laide…mais elle tenait bien chaud.
Il prit son grommellement pour assentiment, et dévala les escaliers de l’étage. Le tenancier évita son regard lorsque le mercenaire le salua bruyamment. C’est que la ville pullulait d’aventuriers, de mercenaires et de routiers, et les logements étaient aussi rares, que chers. Il avait fallu dix minutes et quelques gifles pour que cet avorton d’aubergiste –et pouvait-on appeler ça une auberge ?- se range à l’idée que Cosimo et sa troupe étaient les clients les plus naturels du moment.
De longues explications avaient été nécessaires pour convaincre les Chauffeurs de Pâturons qu’il fallait passer l’Hiver dans le coin le plus froid de la Péninsule. Mais c’était justement le moment pour sécuriser un contrat juteux et faire son nid avant la campagne à venir. Un plan pour hiverner à l’œil avait été formulé. Leurs bourses étaient quasiment vides, et Cosimo savait qu’il jouait gros en cas d’échec. Ils remontèrent vers le château ducal en maugréant contre le froid, tirant sur leurs bouffardes pour se réchauffer un tantinet. Ils parvinrent enfin à la forteresse après avoir avalé quelques saucisses en route. L’entrée bruissait d’activité, entre les livraisons d’armes et les routiers qui s’y pressaient pour trouver un emploi.
« -Place ! Place ! »
Les chauffeurs de pâturons étaient assez nombreux et menaçants pour se fendre un chemin à coups de coudes vicieux dans la foule. Cosimo avisa un sergent d’arme et lui tendit quelques écus :
« - Holà l’ami, guide-moi donc veux-tu ? J’ai de braves gars avec moi, nous avons du fer mais le ventre vide. »
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Mar 14 Fév 2017 - 17:15 | |
| 1ème jour de la 7ème énéade de Barkios, 9ème année du 11ème cycle. Aux premiers jours des énéades, il était coutume pour le marquis de rendre la justice, et de donner audience aux communs, sous les hautes voûtes de Castel-Tolbioc. Les matins comme celui-ci bruissaient ainsi des rumeurs de la populace, des esclandres dans la baille, et autres querelles entre margoulins, aux pieds du trône serramirois. Celui-ci, ou plutôt, son occupant, assistait en ce moment même à une sordide plaidoirie : deux époux, dont la flamme passée semblait s'être muée en une rancœur tenace, s'affrontaient pour savoir auquel des deux reviendrait le mausolée édifié à deux. Chacun, en effet, avait vu dans le courant du mois un de leur parent trépasser, et de ces décès synchrones était né une bisbille juridique. En effet, quoiqu'au nom de l'homme, le tertre, semblait-il, avait été payé par les deniers de la dot.
Le dilemme, s'il n'était pas assez tortueux, s'était épaissi au point de donner des céphalées au vieux Père Bréguet lui-même, quand l'épouse éconduite vint présenter un argument de poids : et pour cause, feu sa belle-mère, que la plèvre avait emporté deux énéades auparavant, pesait aisément son quintal - voire plus. Une bière n'avait suffi pour la défunte ; elle était conditionnée, en dépit d'alternative, dans un fût à mou de vin. Les parents de la dame, en revanche, étaient décédés dans la plus extrême pauvreté - rapport à la même dot qui, ayant servi au caveau, avait, ironie du sort, saigné à blanc les aïeux pour mieux les y précipiter. Emportés par une mauvaise fièvre, ils avaient été décrits par leur fille, toute menue elle aussi, comme apte à rentrer ensemble dans une seule tombe.
L'affaire semblait condamnée à l'impasse, et entre les deux anciens amant, la tension était palpable. De nouveaux arguments, tous plus brumeux les uns que les autres, s'ensuivirent, et l'algarade éclata. C'en était assez pour le marquis, qui fit séparer par la garde les deux époux, et décida d'en finir : « Brave homme, n'avez vous pas dit de votre défunte mère, qu'elle a lutté des mois durant contre son mal ? - Oui-da, sire, des années même! Une force de la nature, c'était. - Je n'en doute point. Et vous, bonne dame, vos parents, ne sont-ils pas restés unis jusque dans le dénuement le plus extrême ? - ça même, oui mon bon seigneur! - Alors mon verdict est rendu! Puisque chacun jouissez de la propriété du caveau, je veux que chacun de vos parents y demeurent, déclara-t-il. La stupeur s'ensuivit, tant on peinait à comprendre comment ces trois corps pourraient cohabiter. Vos parents, fidèles dans leur vie, le seront aussi dans la mort, et partageront leur tombe. Quant à votre mère, puisqu'elle a tant lutté contre la maladie, je veux qu'elle soit inhumée selon le rite mogarite, après crémation, dans une urne. Ainsi ai-je décidé! Au suivant! »
La garde laissa alors avancer un drôle d'échalas, à la mine patibulaire. L'homme avait l'accoutrement des routiers qui courent le monde, écumant ça et là tant les conflits que les modes locales. Sa culotte semblait vaguement scylléenne, son chapeau, peut-être, d'Helderion ? Quant à sa chemise, on pouvait seulement deviner à son apparence qu'elle était dégueulasse. En somme, c'était là les frusques d'un croquant, du même acabit que ceux qui malmenaient les campagnes, tant en temps de guerre qu'en temps de paix. Lorsque l'époque était calme, ils étaient aux bonnes gens ce que les mouches étaient au vaches : une gêne. En temps troublés, ils devenaient aux villages ce que les mouches étaient aux cadavres : une vrai infestation.
« Eh bien, que désire-tu, brave homme ? Je t'écoute. » lui lança donc, affublé d'un sourire tout naturel, le marquis.
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| | | Cosimo Tête Pelée
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Mer 15 Fév 2017 - 11:20 | |
| Les quelques écus firent merveille sur le garde, qui guida les routiers à travers la cour du château. On entra sous les voûtes massives de la salle du trône. Les arcades étaient bondées de suppliants qui venaient quémander la justice du Marquis. L’attente était longue pour le commun, mais le pot de vin de Cosimo ouvrait magiquement les rangs de la foule. Le garde glissa quelques mots et une part des écus à un héraut muni d’une longue liste. Ce dernier hocha de la tête et fit un signe d’assentiment à Cosimo, qui le lui rendit d’un doigt sur le chapeau.
Le mercenaire s’adossa à un pilier, et intima à sa troupe de rester en retrait, mais tout de même dans le champ de vision du marquis. Il glissa un sou à un gamin qui vendait des petites brioches à la viande, et mastiqua l’encas en jaugeant le marquis. La décision de justice d’Aymeric tira quelques rires des routiers, qui appréciaient toujours les esprits pratiques.
Lorsque le plancher fut libre, le héraut fixa Cosimo pour lui signifier que c’était à son tour. Il épousseta hâtivement les miettes de brioches de sa chemise et s’avança résolument au pied du trône. Le marquis avait l’air d’être plutôt de bonne humeur. Cosimo s’inclina, et ôta son précieux chapeau, butin d’anciennes rapines en Helderion. Il lissa sa moustache avant de répondre au maître des lieux, d’un ton léger :
« - Grand merci pour cette audience mon sieur le Marquis ! On me nomme Cosimo, et je suis un aventurier, accompagné de quelques brillants camarades. »
Il désigna d’un geste grandiloquent de sa coiffe la bande dépenaillée de routiers qui patientait sous les voûtes. Le contraste entre son attitude et le spectacle de misère des routiers attira quelques rires de l’audience. La voix du mercenaire se fit d’un coup plus sèche :
« - Nous n’avons ni les armes brillantes du septentrion, ni les pourpoints chamarrés des suderons, ni la graisse des bourgeois. Je n’ai que des hommes affamés à vous présenter. Ils marchent sous la pluie le ventre vide, et se lancent en première ligne pour un bout de pain. Chiches et dures à la tâche, notre vie sur les routes nous a endurcis mieux qu’un gras chevalier qui joute une fois de l’an. »
Derrière lui, les mercenaires bombaient le torse et levait haut le menton, fiers comme des paons.
« - Certains d’entre nous étaient à Amblère, dans les rangs des phalangistes d’Alonna. On tenu la charges des puysards avant d’aller les noyer dans la Vâmme. Et si les fantômes de nos camarades tombés étaient avec nous, il faudrait évacuer cette salle. »
Les présentations étaient faites, il fallait en venir au but :
« - On sait à travers la Péninsule que vous cherchez des hommes braves. Je vous en propose quinze de la meilleure facture, et, si vous me le permettez, trois cents avant de la fin de l’hiver. »
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Jeu 16 Fév 2017 - 13:11 | |
| C'est avec une moue satisfaite que le marquis de Serramire accueillit la proposition du soudard. Quelques énéades avaient suffit pour que la rumeur enfle au point de susciter des vocations bellicistes parmi la roture. Mieux encore! si les routiers de l'espèce de ce Cosimo venaient s'enrôler auprès de Serramire, c'est qu'ils y avaient flairé un parfum tout particulier : celui de la victoire. Il faut à ce propos saluer le sens commun de ces compagnies d'écorcheurs. Aymeric, s'il en méprisait la nature toute volatile, leur concédait cependant cette intelligence retorse, ce nez quant aux affaires militaires. Quand ce genre d'homme tournait casaque, il y avait fort à parier que la faveur quittât elle aussi le camp de l'employeur. Que ces pauvres hères choisissent Serramire flattait donc tout naturellement son marquis, conforté dans son espoir de victoire sur les ligards.
Si l'attention était plaisante, la portée de celle-ci l'amoindrissait toutefois considérablement. En effet, là où mille hommes font une armée, quinze en font une bande de brigands. La frontière entre le mercenaire et le coupe-jarret étant bien mince, il y avait fort à parier que l'homme devant le marquis ne soit qu'un croquant en mal de rapine. Si les penchants supposés de Cosimo pour la pillerie n'émoustillaient guère le marquis, la faiblesse de sa coterie en décevait cependant l'acquéreur.
Oncques mais! Le ladre au chapeau héldirois promettait donc de gonfler ses effectifs, et diable, abondamment. Rodomont, il promis une véritable troupe au marquis. Si ce dernier appréciait l'entrain, il doutait cependant du bien fondé d'une pareille entreprise. Non qu'il doutât du nombre de braves tenus loin des armes, de par le pays (n'était-on pas en Serramire, terre qui avait vu la légion battre le pas des siècles durant ?), mais au contraire : ces gens que le mercenaire entendait soustraire à leurs pâtures étaient autant de troupiers potentiels qu'espérait enrôler le marquis lui même, au sein de ses ostes en pleine réforme. Curieux, Aymeric demanda alors : « Là, voila qui me ravi le cœur, l'homme! Mais peste, comment entendez vous accomplir cette multiplication des hommes ? Insuffleriez vous la vie dans la glèbe, comme la DameDieu ? C'est là un talent rare, je vous paierais pour l'apprendre. »
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| | | Cosimo Tête Pelée
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Jeu 16 Fév 2017 - 14:06 | |
| L’énormité de sa proposition avait attisé la curiosité du marquis. Multiplier les hommes, c’était bien son intention. Cosimo pointa les portes de son index d’étrangleur de marmots :
« - Pas dans la glèbe messire, dans le bran ! Il n’y a qu’à faire quelques pas dans les rues de votre bonne ville pour voir que les gens de corde, les écorcheurs et les routiers pullulent comme des mouches autour d’une bonne pièce de viande. »
Il se tourna vers la foule, tonnant :
« - Et je suis certain que ces braves gens peuvent témoigner du trouble et du tapage que causent pareilles troupes. Larrons, meurtriers, rapteurs et violeurs de femmes et de filles, blasphémateurs et renieurs de Néera, cruels, inhumains, immiséricordieux, qui font de vice de vertu, loups faits pour nuire à chacun et ne savent faire nul bien ! »
Une description relativement fidèle des quinze compagnons de Cosimo qui patientaient sagement sous les arcades. Leur chef se retourna enfin vers le marquis :
« - Grâce soit rendue à la Damedieu, vos sergents peuvent contenir ces maux en votre cité. Mais quid de vos campagnes ? Car le long de la Route Royale remonte des bandes qui à l’instant vivent sur votre pays, détroussant les voyageurs et de braves laboureurs. »
Cosimo marqua une pause, avant de se pencher plus avant :
« - Donnez-moi quelques jambons et des fûts de bière, une poignée de souverains, et je me fais fort de battre la campagne pour incorporer cette engeance sous votre bannière. Et s’ils refusent, avec l’accord des baillis locaux, je les brancherai le long des routes comme avertissement pour leurs compères. Plus ma troupe grossira, plus il sera facile de convaincre les autres bandes de se ranger.»
Il eut un toussotement :
« - Je connais les méthodes de ces gens-là, et les débusqueraient prestement. Je trierai le bon grain de l’ivraie. D’une pierre, deux coups ! »
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Lun 20 Fév 2017 - 13:51 | |
| « Parbleu, si le drôle se bat aussi bien qu'il parle, je tiens là mon nouveau champion », se dit le marquis à l'écoute de l'homme. C'est que Cosimo avait déroulé un exposé sans faille, présentant, ni trop prompt, ni trop pesamment, ses intentions. Or celles-ci étaient limpides, et ravissaient un Aymeric dont le cœur, souvent sec et flétri à l'égard de ses commensaux, savait s'ouvrir, gracieux, envers la populace. Le marquis lui-même ignorait si les années passées à côtoyer la roture en geôle avaient su ainsi l'attendrir à l'égard du commun, ou si c'était sa supériorité naturelle, toute condescendante, qui l'inclinait à de telles effusions de sympathie.
Aymeric, pour ainsi dire, se félicitait de l'amour que les petites gens lui portaient, autant qu'il se méfiait des inclinaisons affables des puissants. Cela ne l'empêchait pas de voir dans la roture sa nature misérable, fausse, et trop souvent dépourvue de vertu et d'honneur, cependant, il lui était bien plus naturel d'aller à la pitié envers cette engeance née avec du fumier entre les orteils, qu'envers sa propre race pétant dans la soie. Ainsi, le seul allant de Cosimo suffisait à racheter, pour l'instant, la vie d'avanie et de maraude que le ladre avait du mener - à voir sa tête, elle ne faisait aucun doute. Qu'importe l'incurie du drôle! Elle jouirait de la rédemption, tant qu'elle serait mise au service du marquis. « Voila qui est entendu! Ce soir, toi et les tiens dineront parmi mes gens, et dès demain, tu te mettras à l'ouvrage que tu as promis. »
Le soir venu, les chauffeurs de paturons se retrouvèrent ainsi à table dans les grandes cantines du Castel-Tolbioc, et on s'appliqua à leur servir, en sus du pain et du brouet habituel, de beaux jambons de Karras, ainsi qu'un plat complet de serramirou. Entre deux tonnelets de bière, que les ladres engloutissaient ma foi bien trop vite, ce fut le lieutenant Heinrich qui vint s'installer à la table des croquants. « Les tiens te nomment tête pelée, Cosimo, cela fait de nous des semblables », déclara le fidèle factionnaire, découvrant sa caboche, lézardée d'une copieuse brûlure, et exempte de tout cheveu. La seule pilosité - et quelle pilosité! - qu'arborait le lieutenant consistait en ses deux imposantes favorites cramoisies lui bouffant les joues. « Je bois à ta réussite, Tête-pelée, car le marquis a décidé cet après-midi que je t'accompagnerais dans ta chasse. » Il but une importante rasade. « Où compte tu donc mener les tiens, voila qui m'intrigue le plus. »
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| | | Cosimo Tête Pelée
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Lun 20 Fév 2017 - 15:38 | |
| Les moustaches de Cosimo dégoulinaient de sauce, et il mangeait avec la voracité d’un sanglier. Il leva sa chopine et en frappa la lourde table :
« - De la bière servante, que je pisse à foison ! »
Les mercenaires étaient rouges et le ventre gonflé par la bonne chère qu’ils engloutissaient avec entrain. Un routier ne sait jamais quand il fera son prochain repas, il fallait s’empiffrer tant que c’était possible. Et on découpait ces bons jambons de Karras comme s’ils étaient capables de s’échapper sous la table. Les rots des soiffards succédaient aux pets des goinfres. Terrifiées, les servantes nourrissaient ce tonneau des Danaïdes. Les routiers leur pinçaient les fesses, pris qu’ils étaient d’autres appétits pour la nuit.
La panse à deux doigts de crever, Cosimo s'envoya un dernier morceau de serramirou, lâcha un soupir de satisfaction, et sorti sa bouffarde. A sa gauche, Guido le Gros s’était emparé d’un jambon à mains nues, qu’il rongeait comme un écureuil devenu carnivore. A sa droite, Honoré Beaupoil ronflait au milieu des restes de son repas. Légèrement ivre, Cosimo était pris d’une douce torpeur, ses membres étaient secs et chauds, son estomac irradiait de félicité. Une épaisse matrone vint remplir de nouveau sa choppe :
« - Merci la gueuse, tu es un laideron mais tu es bien bonne ! »
Il enfouit de nouveau sa moustache dans le breuvage, lorsqu’un officier du marquis vint s’assoir à leur table. A cette heure, Cosimo voulait voir en tout homme un camarade, et cette calvitie partagée faisait du nouveau venu un frère. Il trinqua volontiers avec Heinrich et les autres routiers encore en état levèrent de même leurs godets. Cosimo fit craquer son dos avant de s’accouder à la table, les mains enserrées autour de sa boisson.
Voilà notre maton, songea-t-il sans mauvaise arrière-pensée : il était bien naturel qu’ils soient accompagnés. Et ce lieutenant donnerait un poids légitime et officiel à l’entreprise. Tête Pelée leva l’index docte et tournoyant de l’homme éméché exposant sa sapience :
« - Comme je le disais au Marquis, dans le bran ! Et comment trouve-t-on de la merde ? En suivant les mouches oui-da ! Les maroufles que je me fais fort d’enrégimenter laissent derrière eux les traces de leurs méfaits : chaumières brûlées, marchands dépouillés, hameaux rançonnés, et j’en passe. On suivra cette espèce curieuse qu’est la bête humaine à la trace ! Les malandrins créent le vide sur leur passage : fonçons dedans. »
Il ralluma sa pipe et projeta quelques bouffées dans les airs :
« - Et ensuite ça sera comme avec les pucelles : on sera doux, mais fermes. »
Une idée lui vint :
« - Vous avez du gibier de potence dans vos geôles ? On peut d’ors et déjà leur proposer la corde ou le service, histoire de donner un peu de poids à cette troupe, qui, je le reconnais, est un peu maigre. »
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| | | Aymeric de Brochant
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Ven 24 Fév 2017 - 16:45 | |
| « Dans le bran », le mot était donné. Cosimo venait de mettre en paroles - et en images - ce que le marquis, auparavant, avait expliqué à son factotum. « Tire tes leçons en rouerie, observe ces croquants, lui avait-il dit, cependant garde t'en aussi, car quand tu regardes l'abîme, l'abîme regarde en toi également. » L'assertion sibylline avait arraché alors une affirmation benoite au zélé factionnaire, qui se demanda le soir-même si cela impliquait qu'il aurait à enfoncer profondément ses poulaines dans la merde, comme le laissait supposer Tête-Pelée. À moins que la chose ne fut une allégorie ? C'est qu'on trouvait dans les geôles du château autant d'engeance que de matière brenneuse ; le doute était donc permis. Qui plus est, le lieutenant Heinrich n'avait jamais été homme d'esprit.
Le plan du croquant était au demeurant solide : Castel-Tolbioc était fameux pour ses oubliettes, où les plus vils venaient s'entasser abondamment. C'est que la pillerie avait prospéré des années durant dans le pays - c'était jusqu'à ce que le baron d'Etherna décide alors d'envahir Serramire, ce qui avait permis à Aymeric de Brochant de se hisser, incarnant le sauveur providentiel, à la tête du marquisat. L'Histoire réservant son lot d'ironie, il se trouvait justement que le seigneur de Brochant, avant qu'il ne s'oppose (pour la première fois) à Jérôme de Clairssac, avait justement croupi en prison trois années durant. Il avait, pour ainsi dire, échangé sa place avec la canaille qui pullulait autrefois à travers le pays, et que la paix civile nouvellement retrouvée chassait chaque jour un peu plus de ses repères, pour mieux les précipiter derrière des barreaux.
Cependant, si la procédure semblait bien établie, et ne manquerait nullement de matériau, elle travaillait au ventre le bon Heinrich, peu désireux de voir à l'air libre la canaille que lui et les siens s'étaient efforcés d'embastiller depuis des mois. Rançonner un chevalier ennemi, c'est une chose : on est en droit d'attendre un minimum d'honneur chez l'homme, qui ne reprendra pas derechef les armes contre vous de sitôt. Et puis, on attend la fin de la guerre pour faire ça. Mais avec un pendard ? Déjà, il n'y a point de guerre ni de paix contre ceux-là, point de saison du brigandage ; et espérer que leurs penchants ataviques ne ressurgissent, contre leur seule parole ? C'était tendre le bâton pour se faire battre, assurément. C'est donc d'un « Ouais » peu enthousiaste que le lieutenant Heinrich accueillit la proposition du porte-glaive. « N'en espérez cependant pas trop de ces maraud, hein. Tout cela, c'est du troupeau pour l’échafaud, je dis. »
Prenant peu après congé des croquants, Heinrich leur annonça au passage, louant la mansuétude du marquis, que ce dernier accorderait à la troupe le gîte. Et quel gîte : plusieurs serviteurs vinrent apporter de la paille à ces pauvres hères, afin qu'ils puissent continuer leur ripaille dans le réfectoire jusqu'aux heures qui leur siéraient. À son compère en calvitie, Heinrich expliqua le chemin pour gagner l'entrée des geôles, avant de quitter les lieux.
Le lendemain, c'est aux abords de la tour des prisons qu'attendit le zélé factionnaire, entamant un jeu de Kjall avec le reste de la troupaille pour tuer le temps jusqu'à ce qu'arrive Cosimo. Lorsque ce dernier parut, Heinrich prit alors les devants, rassemblant les matons, avant d'aller au devant du porte-glaive : « Le bonjour, Tête-Pelée! Les braves et moy avons réveillé là dedans votre future troupe. Le marquis vous laisse toute licence pour les convaincre, dans la mesure du raisonnable : comprendre, n'allongez point trop la monnaie. Là! Je vous laisse donc leur parler. » Tirant un trousseau colossal de ses fontes, l'homme aux favorites cramoisies ouvrit la première porte.
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| | | Cosimo Tête Pelée
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Lun 27 Fév 2017 - 10:11 | |
| Les routiers vidèrent encore quelques cruchons avant d’être assommés par un épuisement général. Voilà plusieurs mois qu’ils erraient le ventre vide, et ce foyer royal les invitaient au repos. Il n’y eut donc pas d’esclandre, juste quelques souillons qu’on lutine grossièrement, des gifles sonores et des rires gras. Un à un, les chauffeurs sombrèrent dans un profond sommeil. Cosimo s’écroula de tout son long dans la bonne paille, soupirant de contentement et sa fidèle rapière nichée entre ses bras.
L’activité des servantes qui nettoyait le champ de bataille de la veille le réveilla. Ses gars ronflaient encore gaillardement. Ils méritaient leur repos, mais il lui fallait continuer son affaire. Le routier avisa un seau d’eau qu’une souillon s’apprêtait à vider pour évacuer les flaques de vinasse et de vomissures.
« - Oh ma belle, un instant ! »
Et d’autorité, il plongea son chef dans l’eau glacée. Les moustaches dégoulinantes, Cosimo adressa un sourire ravageur et ravagé à la servante. Il boucla son ceinturon et s’engagea vers les geôles, les fesses barrées de sa rapière. Les directions du brave Heinrich se perdant dans les brumes du vin, Cosimo entra par mégarde dans les cuisines du château, d’où il reparti avec son itinéraire et une cuisse de poulet. Il jeta l’os par une meurtrière d’une pichenette lorsqu’Heinrich parut, accompagné de quelques gardiens. Tête Pelée opina du chef aux instructions du lieutenant : il comprenait bien ces réticences. Lui-même connaissait les dangers d’une pareille entreprise, et voulait la jouer finement.
Une odeur répugnante le fouetta lorsque la porte du cul-de-basse-fosse s’ouvrit. Il emprunta une torche et balaya l’espace devant lui. Une quarantaine de détenus le fixait silencieusement. Avec une pareille troupe derrière lui, on pouvait penser qu’on allait en tirer quelques-uns à brancher au gibet du marquis. Gaillardement, Cosimo s’avança jusqu’au centre de la geôle, laissant les détenus former un cercle circonspect autour de lui. Les plus faibles étaient allongés contre les murs suintants, et fixaient cette paire de bottes trouées, isolée au milieu des pieds nus.
« - Testa Calva… »
Cosimo aurait reconnu entre mille la voix sifflante qui venait de briser le silence. Il se retourna et leva sa torche sur la face cuivré d’un suderon patenté :
« - Cuervo ! »
Le routier planta sa torche dans les pognes d’un détenu surpris, et étreignit avec force son compère amaigri. Ce dernier croupissait depuis quelques semaines dans les geôles de Serramire. Attiré par la promesse d'une campagne, il avait comme Cosimo remonté la Péninsule. Las, lui et ses écorcheurs avaient un peu trop abusé de l'hospitalité d'une ferme. Les hommes du marquis les avaient ferrés alors qu'ils pionçaient avinés au milieu des cadavres de leur hôtes. Les deux hommes entamèrent un babil incompréhensible pour le tout-venant. Ils discutaient dans cet argot particulier aux piquiers scylléens, un langage chantant et fleuri de vulgarité. Par instants ils s’interrompaient et jaugeaient la foule, avant de reprendre leur échange. Enfin, Cosimo reprit sa torche et se dirigea vers Heinrich. Il se pencha sur lui et désigna d’une voix basse Cuervo :
« - Je connais ce coquin et en répond sur ma caboche, il va nous épargner les affres du doute. Il a avec lui onze gaillards solides si on les engraisse un peu, et m’a désigné cinq recrues potentielles. Je n’ai rien à dire à vos autres clients, je veux des gars sûrs, et je fais confiance à Cuervo comme à un frère. Et pour salaire, un peu de soupe et échapper à la corde lui convient.»
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| | | Aymeric de Brochant
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Ven 3 Mar 2017 - 14:56 | |
| Surpris par l'aisance avec laquelle l'ineffable Tête-Pelée s'entretint avec son commensal, le bon Heinrich se figura que les croquants devaient avoir entre eux une langue propre. N'était-ce pas ce qu'il y a de plus sensé ? Les elfes avaient bien leur parler propre, de même que les princes gras du lointain Estrévent. On disait des nains que leurs idiomes changeaient à dans chaque mine, si bien qu'il fallait se méfier lorsque l'on commandait aux petites gens une lame d'acier, car on pouvait bien en recevoir une en plomb - preuve supplémentaire de l'avarice de cette race là. Dès lors, n'était-il pas convenant que les marauds eussent leur argot, de même que la gueusaille avait son patois ? Bien décidé à s'instruire des mœurs peu respectables des croquants, Heinrich se promit de demander à son compère en calvitie de les lui apprendre.
C'est qu'en un tour de main, l'idiome des brigands venait de fournir une quinzaine d'homme à la troupe du routier. Si partout où Cosimo se rendait, il opérait la même multiplication des piques, c'était là un véritable mot magique - bien mal employé, dans la bouche de pareille canaille, et dont on s'empresserait de trouver la transcription en parler nobiliaire, se figura le lieutenant. Peut-être le Père Bréguet, qui était fort instruit, saurait l'aider dans cette quête d'érudition ?
La chose, cependant, méritait d'être réitérée. Heinrich, tout ignorant qu'il fut, n'était pas un homme crédule, et rien ne lui disait que les paroles de Cosimo, il ne les avait répété à l'avance à son comparse, avant que ce dernier n'aille se faire engeôler volontairement. Quelle combine n'iraient pas inventer un magicien pour appâter sa clientèle ? Le zélé factionnaire n'était pas dupe ; avant de cuisiner son compagnon au crâne pelé, il s'assurerait que ce dernier ne l'ait entourloupé.
S'avançant vers le capiston, il prit celui-ci à part, avant de lui déclarer : « Tout cela est rondement mené, Tête-pelée, et je donnerais le mot pour que l'on rassasie ces braves là, qu'on leur restitue leurs frusques et leurs piques. Votre troupe engraisse à vue d’œil. » Il baissa alors d'un ton, jusqu'à chuchoter à l'oreille de son compère. « Nous prendrons la route dès demain pour les fiefs de Brochant, dont les geôles sont pleines à craquer. Si vous répétez votre prodige, vous me l'enseignerez, et je dirais au marquis combien il vous est redevable. » Il se garda bien d'informer son interlocuteur que s'il échouait, alors on saurait qu'il s'était joué d'eux - mieux valait de ne pas alerter le drôle.
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| | | Cosimo Tête Pelée
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Lun 6 Mar 2017 - 14:03 | |
| « - En avant ! »
Quelques piques s’entrechoquèrent lorsque Cosimo donna le signal du départ. Regroupé dans la courette de l’auberge, les trente soudards s’engagèrent en colonne dans les rues de Serramire. Pique sur l’épaule, Tête Pelée regardait fièrement ses gars aux gueules couturées. On ne pouvait pas encore parler de compagnie, mais c’était déjà une petite troupe respectable. La veille au soir, perché sur une table, il avait harangué les routiers, soulignant leur fortune à venir. Comment ils formaient l’ossature de la compagnie qu’ils allaient lever à travers le pays serramirois. Et la gloire et les richesses qui les attendaient. Les trente avaient prêté serment de le suivre jusqu’au bout de l’entreprise, et signé la lettre d’articles de la future compagnie. Les plus anciens furent nommés lieutenants, sergents et enseignes. Quant à Cosimo, on lui donnait maintenant du « capitaine ». Il ne restait plus qu’à mettre de la chair entre ces os, en quelques prodiges comme le disait le brave Heinrich.
Le seul prodige de Tête Pelée était d’appartenir à cette confrérie des routiers et porte-glaives. Disséminés à travers la Péninsule, ballotés d’une guerre à l’autre, les mercenaires n’avaient pas uniquement leur fer pour survivre, mais aussi une puissante solidarité de classe. Mal vus par les populations, méprisés par les soldats professionnels qui les supplantaient de plus en plus, il ne restait à ses chiens de guerre que la camaraderie et l’entraide pour s’en sortir. Rien de surprenant dans cette rencontre avec Cuervo dans les geôles du marquis. L’imminence d’une campagne avait attiré dans la région de nombreux aventuriers de son acabit, et avec plus de trente ans de carrière Cosimo connaissait une flopée de routiers. Et à défaut de connaître les hommes, on connaissait le nom des compagnies, de leurs chefs ou d’un camarade commun. Il suffisait de citer une campagne ou une bataille pour qu’on tire entre deux mercenaires des connexions, des connaissances d’un autre temps. En ces temps troublés, il fallait se serrer les coudes. Tête Pelée n’avait aucun doute que lui ou ses hommes connaîtraient certains des occupants des geôles de Brochant. Ceci fait, on pourrait battre la campagne et trouver d’autres compaings prêts à cesser leurs exactions contre un abri, de la soupe, et la promesse d’une campagne fructueuse.
Les trente mercenaires parvinrent aux portes de la cité. Sans un mot, ils s’alignèrent en file le long de la rue, prêts au départ. Les mains dans le dos, Cosimo faisait les cent pas devant eux, guettant l’arrivée de Heinrich, Barberousse comme déjà l’avait baptisé certains soudards. |
| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Dim 19 Mar 2017 - 12:18 | |
| 2ème jour de la 7ème énéade de Barkios, 9ème année du 11ème cycle. C'est à toute allure que le lieutenant Heinrich fut aperçu, débarquant, la face plus cramoisie encore que ses favorites, devant la porte Est de la cité. C'est que le zélé factionnaire était pris en flagrant délit de retard. Depuis l'aube, il avait couru les casemates en quête de son enseigne, qui manquait à l'appel. À l'empourprement du au délai s'ajoutait celui de l'inconvenance : jamais Heinrich ne se serait vu se démener pour une simple aide de camp. C'est qu'il avait sélectionné le drôle en particulier. Non qu'elle fut particulièrement sagace ou disciplinée - la suite de l'histoire confirmerait cela -, mais l'enseigne Falci, comme si nom le laissait entendre, était un scylléen. Il faisait partie de ces descendants de cadets venus chercher la fortune dans les marches septentrionales, il y a près d'un siècle de cela, et dont la race avait su s’accommoder de la rigueur nordique. Falci avait été retrouvé ainsi au petit matin, mort-saoul, sur les quais de la pêcherie, et Heinrich, au comble de l'embarras, avait ordonné que l'on apprête cette épave, qu'il aurait troqué contre n'importe quel croquant au sang moins avili (moins suderon, en fin de compte) si l'idiome des chauffeurs de paturons n'était incompréhensible, et qu'on la transporte dans la première charrette venue. Ainsi, quand celui que les routiers scylléens avaient baptisé Barberousse avait paru devant eux, la chose n'avait du manquer d'arracher quelque sourire. Juché sur sa jument bai, Heinrich semblait étouffer. Dans le froid automnal, tout semblait fumer chez l'homme : sa monture, son visage rubicond, et son armure toute entière, d'où quelques fumerolles de vapeur s'échappaient au travers des jointures. Était-ce sa carnation cramoisie, ou sa cuirasse à la nouvelle mode (qui était en fait la mode ancienne serramiroise : noircie à la flamme, et damasquinée), qui lui donnait le plus cette allure d'éfrit ? Bien malin serait l'observateur qui trancherait ; le portrait, néanmoins, était saisissant. Derrière le rubicond suivait une curieuse procession : un cheval de bât, deux mules et autant de charrettes. L'une contenait les vivres pour sustenter la horde, l'autre l'intermédiaire susnommé sensé la comprendre. La nourriture était fraiche, le traducteur périmé. « En marche, Tête-Pelée! », lança le lieutenant, tendant la bride du bourrin à son compère en calvitie. Et la troupe de prendre la route. Le lendemain. « Le pont de Luze, Tête-pelée. Nous entrons sur les domaines de Brochant, ceux de mon maître. Ne vous méprenez guère, cependant : le bourg le plus proche est celui de Rémarde, tenu par la dame Mérencielle. Ici, gardez vous des grivoiseries, cette fieffée salope s'entoure de soupirants prêts à tout pour ses faveurs. Nous sommes venus ici pour estourbir ou embrigader du coquin, pas de jeunes bacheliers touts ébaudis par la promesse d'un tétin. » Heinrich prononçait cela alors qu'ils franchissaient la Bièvre, frontière naturelle entre les domaines ducaux et ceux de Brochant. La veuve de Rémarde était une personne singulière ; plus encore, elle était sujette aux rumeurs les plus insistantes. Ces dernières étaient elles-même sujettes à une contingence supplémentaire ; si oui ou non son colporteur avait joui des faveurs de l'intéressée. C'est que Mérencielle éconduisait bon nombre de prétendants ; pourtant, elle daignait de soulever son jupon de temps à autre. Ainsi, pour certains, c'était une dame esseulée à laquelle il fallait prodiguer moult attentions. Pour le reste, et Heinrich était de cette école, la ménesse demeurait une belle garce vénale. « Il y a une auberge, à une lieue de là. » Il se retint d'ajouter qu'il mourrait de soif, et qu'un litron de Hautval ne saurait le désaltérer. C'est que les Chauffeurs de Pâturons avaient une conception fort curieuse du rationnement ; après une première nuit passée sous la grande cloche, les victuailles avaient fondu comme neige au Soleil. On lui avait bien objecté que ce neige il était justement question, et que face à cela, il était normal de faire bon chère ; Heinrich n'avait pour autant toujours pas supporté l'insubordination des croquants, quand ils avaient attaqué à pleine dents les jambons sensé leurs tenir toute une énéade. À la réflexion, était-il vraiment une bonne idée de convier la horde de croquants vers la gargote ? Les ladres ne manqueraient pas de dévaster l'endroit aux frais du marquis, pensa le lieutenant, tandis qu'ils en approchaient. Un détail vint cependant tirer le nouvellement nommé Barberousse de ses préoccupations comptables, quand il aperçu, tournoyant, au dessus de là où se trouvait l'auberge, un copieux vol de corbin. Or, si Heinrich ne s'était fait devin, il était des messages que sa vie de soldat lui avait rendu univoques. « Hardi! », lança-t-il alors qu'il talonnait sa monture. |
| | | Cosimo Tête Pelée
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Mar 21 Mar 2017 - 10:29 | |
| Quelques ordres claquèrent dans l’air glacé, et, ni une ni deux, les routiers larguèrent leurs baluchons sur le bas-côté avant de tomber en formation à la suite de Barberousse. Les piquiers s’en allèrent en trottinant tandis que les quelques gens de traits de la troupe s’égaillèrent devant eux en enfants perdus. Ils dévalèrent le petit coteau qui donnait sur l’auberge, une fière bâtisse de grosse pierre à la charpente épaisse. Les corbacs croassèrent de plus belle en apercevant ces importuns qui venaient gâcher le festin, et la nuée s’élança vers une futaie attenante. L’odeur douçâtre des cadavres prit les routiers à la gorge, alors que les éclaireurs investissaient le relai. Un spectacle ô combien familier de désolation les attendait. Devant l’auberge, une dizaine de corps adoptaient des positions grotesques, cadavres entremêlés par une dernière étreinte mortelle. Guido sortit de la bâtisse dont la porte était défoncée, et posa son arbalète contre une poutre : « - Pas beau à voir là d’dans… » Il cracha pour appuyer son propos. Cosimo retourna un cadavre avec la hampe de son arme et son pied. Il portait une armure de bonne facture, passée à la flamme, et serrait encore un écu ébréché contre son sein. Tête Pelée pointa pour Heinrich : « - Ca c’est un de vos gars ! » Puis tapotant de sa pique le flanc d’un homme à moitié décapité, au teint basané : « - Et ça c’est notre gibier ! M’est avis que les coquins voulaient fourrager et sont tombés sur une compagnie plus forte que prévue. Ventre de biche, quel gâchis ! » Déjà les routiers picoraient d’un corps à l’autre en se saisissant des bottes, de coutelas et des bourses. Cosimo eut un regard mi gêné mi polisson pour Barberousse. Mais les chauffeurs de pâturons étaient encore bien mal équipés, et ils ne faisaient qu’alléger les morts pour leur voyage vers l’au-delà. Le mercenaire eut la clarté d’esprit d’allonger une taloche à un de ses coquins qui s’approchait trop du corps du chevalier : « - Au lieu de picorer comme un bon à rien, va chercher une pelle et creuse donc son dernier logis à ce gentilhomme ! » Il hocha de la tête en direction de Barberousse. Fallait ménager l’employeur tout de même. Samperio Joli-Cœur arriva en trottinant : « - Les écuries sont vides, mais y a encore de l’avoine dans les mangeoires. Les traces des carnes et de leurs nouveaux propriétaires mènent vers la forêt » Appuyé sur sa pique, Cosimo décocha un sourire carnassier à Barberousse : « - Faut croire qu’on va aller folâtrer dans les bois lieutenant » Dans la futaie, les corbeaux se réjouissaient. Quelques heures plus tard, peu avant la tombée de la nuit.
Samperio dévala le fossé le cul dans la boue glacée. Il se rétablit et grelota un instant avant d’écarter les branches qui obstruaient son passage. Le froid le mordait de plus en plus fortement. Saloperie de Nord. Dire qu'on buvait encore le vin en terrasse en Ydril. Il chuchota : « -Testa Calva ? » De derrière les arbres surgirent silencieusement dix puis vingt routiers, armes à la main. Ils avaient laissé les piques avec quelques sentinelles à l’auberge et portaient coutelas, rapières et gourdins. Cosimo se mut lentement vers son éclaireur : « - Alors ? - Une clairière en contrebas. Une vingtaine de gars. Quelques blessés. Deux sentinelles. Ils font du feu. Ça se repose mais c’est un peu sur les nerfs. »Le capitaine mercenaire se tourna vers Barberousse : « - On leur casse la tête avec la bénédiction du marquis ? Les survivants se joindront à nous. Pratique éprouvée chez les soudards ! Faut qu’on leur montre qu’on a la plus grosse. » |
| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Sam 25 Mar 2017 - 15:51 | |
| Le dépouillement des cadavres n’émut guère le zélé Heinrich, que les années de service avait accoutumé à la vue de la pillerie. Qui plus est, lui-même n'était ni chevalier, encore moins du beau sang, et la seule retenue qu'il put avoir vis-à-vis de ces morts était qu'ils soient de la même race que lui - cette considération n'effleurait guère les croquants, tant il est vrai que la canaille forme une espèce à part, sans feu ni lieu. Fixant avec attention l'écu du moribond, Heinrich tâcha de se souvenir des armoiries ; à la cour, on saurait lui indiquer l'identité du trépassé.
Son attention fut bientôt attirée ailleurs, quand les chauffeurs de pâturon flairèrent la piste de leur gibier. Celui-ci s'était emparé des carnes dans l'étable, et il ne fut guère difficile de remonter leur trace. Quelques heures plus tard, à la faveur du crépuscule, on retrouva les canailles, faisant bombance dans une clairière. Heinrich s'était tenu loin de l'endroit ; dans son corselet tout ferré, il aurait alerté la coterie ennemie à cent toise. Les croquants de tête-pelée, en revanche, semblait s'être aisément accommodé de ce changement de champ de bataille. Ils bondissaient lestement d'entre les fourrés, tels d'agrestes singes estréventins. Avisant une telle aisance, le lieutenant ne put qu'avoir confiance dans les talents des drôles, et quand son compère en calvitie vint lui demander son aval pour donner l'assaut, Heinrich lui offrit de bon cœur, demandant seulement qu'on patiente une heure ou deux, que la nuit s'étende pleinement.
Ainsi, quand on donna le signal, seuls les canailles, au loin, demeuraient visibles. À travers d'épais taillis, Heinrich pouvait entr'apercevoir la lueur de leurs feux, quoiqu'il se fut tenu fort éloigné. Bientôt, à moitié étouffé par le couvert des arbres, la rumeur de l'embuscade lui parvint ; oubliant alors toute discrétion, l'homme se portant en avant de la bataille. Lorsqu'il fit irruption dans la clairière, la surprise avait cédé à une affrontement farouche. Saisissant son bec de corbin, Heinrich s'illustrerait ce soir là en terrassant un brigand dans son dos, et en achevant deux malheureux aux portes de la demeure aqueuse de Tari.
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| | | Cosimo Tête Pelée
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Lun 27 Mar 2017 - 10:01 | |
| A l’heure où les ténèbres triomphaient enfin sur le jour, une demi-lune de chauffeurs de pâturons prit position autour de la clairière par de sournoises reptations. Guido le Gros, perché sur un arbre comme un hibou obèse, encocha un carreau dans son arbalète. Il se pinça les lèvres et ferma un œil en pointant délicatement sa mécanique vers la clairière. Les silhouettes des brigands se détachaient parfaitement dans la lueur des feux. Au centre de l’embuscade, une moustache reposait dans les feuilles mortes. Et cette moustache appartenait à un nez camus qui reniflait nerveusement. Pendant un instant, Cosimo n’entendit que sa respiration et le frottement de sa moustache contre les feuilles détrempées. Une douzaine de flèches, carreaux et dard fusèrent silencieusement vers la clairière. Les mercenaires scylléens lâchèrent un hululement à glacer le sang, une foule de chats et de chiens enragés partant à la curée. Tête Pelée se propulsa de l’avant d’un coup de jarret puissant, rapière au poing.
Les premiers cris d’alarme et de douleur lui parvinrent. Au-dessus de lui, une deuxième volée de traits alla creuser quelques sillons sanglants dans la masse surprise des malandrins. Et déjà les premiers gars déboulaient dans la clairière sur leurs proies. Un pauvre gamin fouillait fébrilement son baluchon à la recherche d’un coutelas, Cosimo le cloua sans cérémonie dans la terre humide :
« - Tue ! Tue ! »
Les brigands s’étaient repris du choc initial, et on commença à ferrailler vivement dans la clairière. Les feux projetaient aux arbres alentours un spectacle d’ombres frénétiques mues par l’appétit du meurtre. L’arrivée de Barberousse tout harnaché dans la mêlée fut un coup dur pour le moral des campeurs. Juché sur une des carnes volées, leur chef tentait de les rallier. Le brave Raoul se jeta sur lui pour le désarçonner et il eut le crâne fendu, s’écroula à côté de sa cervelle. Cosimo poussa un juron et poignarda frénétiquement le flanc du cheval de sa dague, un liquide chaud l’éclaboussa. La monture se cabra alors qu’elle agonisait et s’écroula sur son cavalier. Ce dernier tenta vainement de dégager ses bras pour se saisir de son épée, mais déjà on l’égorgeait sans cérémonie. Cosimo se releva en beuglant, couvert de sang chevalin :
« - A qui le tour ? »
Privés de leur chef, choqués par cette interruption cavalière de leur souper, les brigands cessèrent de combattre un à un, encadrés par leurs confrères grimaçants. Couteaux et gourdins furent abandonnés. On se jaugeait en reprenant son souffle, méfiant. Les deux troupes faisaient face à un miroir : c’était les mêmes gueules rapiécées, les bottes trouées et les chemises ravaudées. Cosimo se détacha des siens, et se campa les poings sur les hanches devant les survivants de la mêlée. Quelques blessés de la veille qui avaient miraculeusement échappé au combat en feignant la mort se portèrent sur les coudes.
En quelques mots, Tête Pelée leur exposa la situation et sa vision d’avenir, de fraternité et de bonheur mutuel. Un des malandrins défait l’interrompit grossièrement, jura et cracha. Pendant que le colosse Anton le maintenait au sol, son colosse de jumeau sauta à pieds joints sur l’impertinent pour lui briser les côtes. Les hurlements du garnement achevèrent de convaincre les brigands du caractère raisonnable de la proposition. Ce soir-là, les chauffeurs gagnèrent une vingtaine de gars. A l’aube, Cosimo ordonna qu’on place les blessés sur les chevaux avant de s’en retourner à l’auberge. Doux mais ferme.
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Mer 5 Avr 2017 - 9:49 | |
| C'est le corps rendu encore léger par l'adrénaline que le lieutenant Heinrich prit le chemin du retour. On passerait la nuit à l'auberge, si tant est que l’odeur de charogne permit qu'on y dorme sereinement. Cheminant au hasard dans la nuit, ne put s'empêcher de penser à la facilité avec laquelle les ladres avaient tourné casaque. Certes, la perspective de finir piétiné par l'acide frangin d'Anton ne l'aurais séduit, et certes, celle de finir à l'échafaud non plus ; pourtant, Heinrich ne pouvait s'empêcher de penser qu'au moindre vent contraire, cette vermine retournerait à nouveau sa veste - ou plutôt, la remettrait sur l'endroit.
Il fut tiré de ses contemplations par la vue de l'auberge, au loin. On y avait laissé un brasero fumant au moment de partir ; c'était un bucher qui les attendait au retour. À mesure qu'ils se rapprochèrent de l'endroit, les chauffeurs de pâturons purent découvrir, apparaissant au devant des flammes, un homme esseulé. Ce dernier, alarmé par le bruit de la troupe sur le retour, porta la main au pommeau. « Gonthier! Est-ce toi ? » put-on entendre alors, juste avant que la voix puissante du lieutenant ne lui réponde de se tranquilliser.
Se portant au devant de la troupe, Heinrich put découvrir alors ce solitaire : portant le haubert et l'épée, il avait le front haut et clair, ainsi qu'une tignasse blonde toute propre. Ses dents étaient droites, il était grand, et ce port altier traduisant la noblesse n'était entaché que par l'entaille encore sanglante qui balafrait sa pommette droite. Après s'être présenté, Heinrich, bientôt rejoint par son compère en calvitie, s'empressa de questionner l'homme.
« Je me nomme Ernaut de Fonrac, de l'ancenois. J'étais venu ici en compagnie de Gonthier de Lesdres, le cadet de Rouilly. L'avez vous vu ? Il portait un harnoi, et son écu est blasonné de deux chevrons sautés d'un clef d'or. »
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Jeu 25 Mai 2017 - 17:51 | |
| Pas de chance pour le chevalier : le compagnon qu'il cherchait n'était nul autre que le machabbée trouvé tantôt, lorsque la troupe avait gagné la chaumière. Heinrich en apprenait par la même l'identité : celle d'un fils de la petite noblesse, car son père, Béranger, comptait parmi les Trente. « Nous l'avons enterré aux pieds de la bâtisse, derrière l'âtre. Le connaissiez vous ? » Un soupir de la part d'Ernaut vint accueillir la réponse du lieutenant. Passant nerveusement la main sur sa plaie, le chevalier l'essuya juste après sur son gambison. « Oui, je... Non. Voila deux énéades que nous nous étions rencontrés, à la cour de la dame Mérencielle. Nous enquêtions pour elle sur la hanse ostoteliote, quand nous avons été attaqués. »
La mention remémora prestement aux lieutenant une plus vieille histoire : des années plus tôt, une bande de gredins s'étaient établis dans l'ancienne forteresse de l'Armée des Divins. À la faveur des troubles en Serramire, la coterie y avait proliféré, si bien que la dame Diane d'Albreuil, la mère de l'actuel marquis, avait alors mandé le soutient de ses vassaux pour bouter les croquants. On avait plus entendu depuis parler de brigands dans le vieux fort, pourtant, il semblait que la canaille ne l'avait complètement déserté. Que Mérencielle de Rémarde envoie des chevaliers après les brigands semblait alors bien logique, tant il est vrai que son château demeurait au plus près d'Osto-Tel... Et que la foule de soupirant fournissait à la veuve un vivier de chevaliers errants à sa disposition.
« Nous n'étions pas les premiers à être envoyés par la dame de Rémarde ; deux avaient déjà trouvé le trépas en pourchassant la hanse. - Et pourtant vous avez survécu : un vrai héros. » La saillie du lieutenant arracha un rictus incertain à Ernaut, qui s'apprêta à répondre, empourpré, avant de se reprendre. « Je sais ce que vous pensez. Oui, j'ai fui, quand les croquants nous sont tombés dessus. Je me suis escrimé et ai pris mes jambes à mon cou, priant la DameDieu de pouvoir voir un autre jour. Pensez vous que la honte ne m'étreigne pas ? Elle est ma compagne, tout autant que le désir de vengeance. - Là, messer, tranquillisez vous, vous n'êtes pas le premier à détaler du feu. Je pourrais même raconter une histoire différente à dame Mérencielle. » Heinrich avait assorti sa phrase d'un clin d’œil complice : c'est qu'il connaissait bien les mœurs de la dame de Rémarde, qui usait de ses charmes auprès des chevaliers pour ses propres fins. Ernaut ne serait pas le premier envoyé par la veuve risquer sa peau dans le seul espoir de pouvoir zieuter un bout de ses chevilles.
Sentant une hésitation auprès de son compère en calvitie, Heinrich enfonça le clou : « Il semblerait en effet qu'il nous faille payer une visite à la plus belle veuve de Serramire, Tête-pelée! »
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Mar 8 Aoû 2017 - 10:53 | |
| Le surlendemain. « Ainsi, messire Heinrich, vous me dites que lorsque vous pénétrâtes dans l'auberge, Ernaut s'y trouvait acculé, face à cinq brigands ? - Oui-da, madame : les gredins l'avaient encerclé, mais n'osaient s'approcher de plus près. C'est que le brave avait occis déjà sept des ladres, et son épée, dardée au devant de ses ennemis, ruisselait de sang. - Le gentil chevalier! - Si fait, j'en pris presque peur moi-même, tant il était gaillard. » Le lieutenant avait conclu cela d'une tape dans le dos à l'adresse du bachelier, qui ronronnait presque, assailli d'éloges. La dame de Rémarde lui jetait un regard admirateur, mâtinée d'envie, qui n'était pas pour déplaire à l'ancenois.
« Par les Cinq, je vous suis si reconnaissante, ami Ernaut! Las, c'est un bien triste destin pour ce pauvre Gonthier, lui qui écrivait de si belles lettres... Savez vous au moins quels étaient ses meurtriers ? - La hanse d'Osto-tel, une fois de plus, je le crains, madame. Gonthier s'était rendu là bas pour une entrevue secrète, m'avait-il confié à mi-mot. Il devait y retrouver l'un des croquants, qui, repenti, désirait lui indiquer le chemin pour accéder la forteresse, tant il est vrai que depuis l'effondrement du pont, seul la hanse sait se rendre là-bas. - Et ce chemin, l'avez vous découvert ? - Oui-da : le gredin renseigna Gonthier : mais avant qu'il n'ait pu me le dire, des brigands jaillirent de toute part, et de mon compagnon, je n'entendis que le dernier souffle, avant que les ladres ne s'en prennent à moi » La mention du chemin réveilla un écho dans la mémoire du lieutenant, qui emboita le pas au chevalier : « Madame, sachez que nous avons fait des prisonniers parmi la canaille » Devait-il lui dire que c'était dans l'idée de les enrôler pour aller ravager le médian au printemps prochain ? « Or le marquis m'a chargé de bouter tout brigand de ses contrées, et je puis bien en soumettre un ou deux à la question : alors nous sauront le moyen d'entrer dans Osto-Telepsia. - Je vous en prie, bon sire lieutenant, faites cela! - Là, les ladres sont aux mains de l'honnête compagnie du bon Cosimo, qui aide le marquis dans son entreprise » Il désigna le crâne grêle de l'ineffable mercenaire « Ses hommes sont restés à l'auberge de Luze, mais d'ici demain, nous y seront. - Attendez, sire Heinrich! s'exclama alors le bon Ernaut, dans ses derniers mots, je me souviens maintenant d'un nom que me confia Gonthier : Leubach, qui un petit hameau plus au Nord. Le lien m'échappait, mais il est désormais limpide : nous trouverons sûrement là bas une trace de la hanse. »
Un instant perplexe, Heinrich rallia finalement l'idée du bachelier : si la piste se révélait être fausse, on pourrait toujours questionner les prisonniers. « Vous feriez bien de passer le mot à vos croquants, Tête-Pelée : qu'ils nous retrouvent donc à Leubach! »
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Mar 8 Aoû 2017 - 10:55 | |
| « Ainsi, ami Ernaut, vous vous trouviez à Amblère ? » On devisait chemin faisant. « Oui-da, seigneur Heinrich. Après Nebelheim, je mis mon épée au service de deux hommes, Meinhard d'Andorf, le Foudreguerre, et Walther Hohenburg l'arétan. - Parbleu, vous aviez rejoint cette coterie de zélote ? Jamais bon, de faire d'un dieu sa cause, m'est avis : la pain spirituel ne nourrit guère son homme, voila ce que j'en pense. - Doutez ce qu'il vous plaira, messire : moi-même ai-je rejoint ces hommes, après avoir mené une existence faite de gloire et de faits d'armes, bien supérieurs à ce que ma piètre naissance, dans l'Ancenois, ne me destinait. - Et pourquoi l'avoir délaissée, cette vie ? - Vous êtes plein de certitudes, seigneur Heinrich, car vous servez votre maître avec zèle et c'est tout à votre honneur. Mais quant à moi, voila quatorze années que je cours les routes de la Péninsule avec nul autre but que celui que m'avait confié mon père, au moment de me congédier de Fonrac, avec pour seul cadeau d'adieu un destrier et mon épée : "taille toi un nom, fils", me dit-il! Mais en vérité, avec une lardoire et un canasson, qu'est-ce qui nous différencie, sinon notre sang, des vulgaires écorcheurs que nous pourchassons céans ? »
Heinrich demeura coi : lui-même ne s'était jamais posé ce genre de question, ayant été, de mémoire d'homme, toujours attaché au service des ducs de Serramire, comme son père avant lui. Ernaut, en face de lui, semblait en proie à une profonde mélancolie. Derrière eux trottait silencieusement l'enseigne d'Heinrich ; en effet, l'ineffable Cosimo ainsi que ses ouailles, ayant repris la route en direction de l'auberge de la Luze, ne devaient rejoindre le trio que le lendemain. Ernaut, bientôt, repris sa diatribe au goût de confession : « Après plus d'une décennie passée à guerroyer, le doute s'empara de moi : fait chevalier, j'avais juré tant de nobles choses, mais la chevalerie elle-même m'avait amené à vivre l'existence mauvaise d'un reître. Alors que je contemplais l'idée de me retirer dans une abbaye néréite pour expier ma vie dissolue, la nouvelle de l'attaque noirelfique en Oesgardie me parvint et je décidais de gagner le Nord pour y mener un ultime combat, qui vaille, pour une fois, d'être livré. En vérité, j'espérais y trépasser les armes à la main, je crois. »
Un haussement d'épaule accueillit cette profession de fois. Le Nord, même après la conquête par les dynastie Phiiram, n'avait jamais complètement embrassée la chevalerie, de la même ampleur que le faisait les hommes du Médian, son berceau. C'était plus un vernis qu'on était venu appliquer sur une tradition guerrière omniprésente, et qui, au fil des années, se craquelait. Baudoin d'Oesgard avait-il honoré la chevalerie en mettant à sac Diantra ? Gaucelm d'Odelian en s'emparant d'Etherna ? Anseric de la Rochepont en se rebellant contre Sainte-Berthilde ? La liste était longue. Peut-être la chevalerie exerçait le plus son poids moral sur les petits lignages, sur qui pesaient le moins les affaires de pouvoirs ; après tout, aux côtés des rebelles d'Oesgardie s'étaient rallié les baronnie d'Ancenis, de Hautval et d'Olysséa, dans le temps. Heinrich, à vrai dire, ne savait trop quoi en penser : lui-même n'était pas chevalier. Opinant du chef, il répondit roidement que « Morbleu, quelle déception cela dut être. - Non pas, messire, car au combat je trouvais alors une noble voie à suivre : celle que tracèrent les sire Meinhard, Walther et leur bannière au Calice de Nééra. - Et est-ce aussi la DameDieu qui vous intime de trousser la veuve de Rémarde ? », répondit le lieutenant, goguenard.
Ernaut poussa un soupir, tandis que l'on apercevait au détour du chemin les toits de chaume de Leubach. « Je vous expliquerais plus tard. »
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Dim 8 Oct 2017 - 11:43 | |
| « Enquêtons séparément et retrouvons nous ce soir à l'auberge », lui avait suggéré en arrivant Ernaut de Fonrac. Si la chose lui avait semblé alors judicieuse, il était apparu au zélé lieutenant Heinrich, après trois tours du patelin, que c'était une bonne idée de merde. Il avait questionné chaque bouseux, pour n'obtenir qu'un silence, mâtiné de peur tandis qu'il tentait de les pressurer un peu. C'est vrai qu'avec sa caboche lézardée par la brûlure et son teint aussi cramoisi que sa barbe, Heinrich n'exprimait pas tant l'essence du mot débonnaire. Ernaut, ce son côté, semblait avoir eu plus de succès : le lieutenant lui supputait d'avoir en tout cas flairé une piste, tant il est vrai que depuis leur séparation, il n'avait plus revu le chevalier ancenois. Après d'autres tentatives infructueuses, Heinrich s'était finalement résolu à tuer le temps en battant les cartes et en tirant les dés avec son enseigne, le scylléen Falci. Las! Si l'homme lui était inférieur en grade, il l'avait proprement dominé au kjall, invoquant mille et une règles de son pays natal pour empocher la mise. Au bout d'un moment, le lieutenant avait coupé court au jeu ; s'il appréciait son homme, il n'était toutefois guère judicieux de s'endetter auprès d'un subalterne. Eut-il joué avec l'ineffable Cosimo, il avait fort à parier que les deux hommes auraient continué encore longtemps (et la solde d'Heinrich y serait probablement passée toute entière). Mais le mercenaire n'était pas encore là : à n'en pas douter, lui et ses pâturons avaient lambiné en chemin, tant il est vrai que pareille troupe sait comment s'amuser en rase campagne. Cependant, l'on approchait des vêpres et avec elles, l'imminence de retrouver tout penaud un Ernaut qui à coup sur, aurait découvert la cache des canailles. Ce fut en effet le cas, ou peu s'en faut. Alors qu'il retrouva le chevalier, ce dernier narra à Heinrich comment il avait passé sa journée à sillonner les fermes isolées pour s'enquérir des traces de passage. Il avait appris qu'un charbonnier, dont on disait qu'il vivait à la lisière de la forêt de Breyva, non loin de l'ombre d'Osto-tel, était bien au fait des allées et venues des croquants. Seul, Ernaut n'avait osé s'y rendre ; lorsqu'il suggéra d'attendre le retour des pâturons pour se rendre sur place en force, Heinrich l'en dissuada cependant. Ils étaient trois hommes en armes alertes, et ils ne se rendraient pas là bas pour chasser du bandit mais pour écouter un charbonnier. En vérité, le lieutenant, quoiqu'il appréciât son compère en calvitie, demeurait réticent à l'idée que l'on se repose plus sur les service d'un routier que sur ceux de la bonne garde du marquis. Adonc, on leva le camp. Quelques heures plus tard. On était arrivé vers la cahute à la minuit, dans un silence de plomb. Non loin, l'imposant four à charbon avait cessé de crachoter toute fumée. Cela aurait du lui mettre la puce à l'oreille, s'était dit le bon Heinrich au moment où on lui avait plaqué une dague sur la gorge, après qu'il soit entré dans la cabane. Quel charbonnier oublie de maintenir son feu ? À l'évidence, celui-ci devait bouffer les pissenlits par la racine depuis longtemps. Il se trouvait désormais à genoux, aux côtés de son enseigne. Ses réflexions hiérarchiques de l'après-midi lui semblèrent bien futiles, alors que tout-deux avaient vu leurs armes saisies, leurs mains liées et que très certainement l'un et l'autre seraient passés au fil de la même épée. C'était en tout cas ce à quoi semblaient bien décidés la vingtaine de croquants en face d'eux, à commencer par celui qui semblait être leur chef, un ladre à la mine patibulaire que ses comparses nommaient Ewald. La véritable surprise pour Heinrich demeurait cependant que face aux envies assassines du pas-si-sympathique Ewald, c'était le bon Ernaut qui avait pris leur défense. Ou plutôt, que le chevalier puisse encore le faire, tant il est vrai qu'à la différence des deux hommes du marquis, l'ancenois était resté libre, avait gardé ses armes, et on ne lui assénait pas de taloche à l'arrière du crâne quand il l'ouvrait. Que le brigand et le chevalier se connaissent rajoutait de l’infamie à la scène : on l'avait bien enculé. « Ils t'ont suivi jusque là, ils connaissent l'endroit. Que te faut-il de plus ? » avait asséné le chef des croquants, assortissant sa phrase d'un signe univoque à ses hommes intimant de saigner les deux prisonniers. « Dehors, et jetez moi ça loin, aux loups. - Paix, Ewald! Rançonne les! Ce sont des hommes du marquis, ne préfère tu pas son or plutôt que son courroux ? - Pour ces deux pouacres ? La piétaille ça ne rapporte pas, tu le sais mieux que moi... Si on les laisse filer, on sera payés en livres d'acier, je te le gage. Dans le bois, en revanche, personne ne les retrouvera. - D'aucuns savent qu'ils sont ici! La veuve, leurs comparses scylléens... tôt où tard on viendra enquêter! Mieux ne pas aggraver la situation! - On viendra chercher à Leubach, on ne les trouvera pas, et baste! Les troupiers sont vites oubliés. - Il serait plus judic... - Il serait plus judicieux que tu la boucle, Ernaut! Déjà pas foutu de planter un cadet de famille à Luze, voila que tu nous ramène deux armures noires à deux pas du sentier. Si ça ne tenait qu'à moi, tu finirais avec les deux autres. Allez, houste, on s'active! » Heinrich avait assisté à cette curieuse scène, hagard. Il ne savait trop quoi penser d'Ernaut, ce bon chevalier aux idées nobles, de mèche avec une hanse de crapules ; à vrai dire, il n'y réfléchissait pas du tout. Ses pensées étaient fixées plus loin, sur la tête pelée de Cosimo et ses agrestes pâturons. Lui qui avait voulu supplanter son confrère en calvitie voyait son orgueil bien mal récompensé. Enfin, ça n'importait guère plus, maintenant qu'il allait finir saigné comme un porc. |
| | | Cosimo Tête Pelée
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Mer 18 Oct 2017 - 16:04 | |
| Les oreilles pendantes et l’air triste, le chien de Guido reniflait la piste. Ils approchaient. Cosimo asséna une énième claque amicale sur l’épaule frêle d’Odon le barbier. Un vrai fils de salaud celui-là, qui portait la marque infamante des voleurs au front, bien imprimée au fer rouge. Odon avait un vilain défaut : une tendance à détrousser ses clients durant ses menues opérations. Il avait traité l’entaille d’Ernaut quelques jours plus tôt, et l’avait délesté de sa bourse par la même occasion, un escamotage facile à accomplir sur un blessé encore traumatisé par le combat. Odon avait conservé la bourse du chevalier, qui quoique un peu vide en restait une belle pièce de cuir comme on en voyait peu chez les gueux, un peu tachée de sang. Le barbier l’avait fourrée dans son paquetage. A Leubach, il avait bien vu que son capitaine enrageait d’avoir loupé le flamboyant Heinrich de quelques heures. Et malgré un interrogatoire poussé des gueux du coin, impossible de savoir par où ils s’étaient enfoncés. Certains avaient vu partir les trois hommes par-là, d’autres à l’opposé. « ‘ai rien vu… », « ah p’tet… ». Saloperies de serfs qui avaient appris à ramper près du sol pour éviter les mésaventures. Guido et son clebs avait tenté de flairer une piste, mais sans succès. C’est alors qu’Odon s’était souvenu de son petit larcin. Le clébard ne s’était pas fait prier. Pour Cosimo, il fallait traquer à fond. La nuit était tombée depuis belle lurette mais ils n’avaient pas ralenti leur pas. Si le lieutenant s’était fait la malle malgré leur rendez-vous –quand même pas pour le petit retard de rien du tout dont les chauffeurs étaient certes coupables, songeait le mercenaire- c’est que l’affaire était d’importance. Et selon le gamin que Cosimo avait embarqué de force à Leubach pour leur servir de guide, et s’assurer leurs arrières, on approchait de la forêt de Breyva, elle-même voisine d’Osto-Tel. " - Tu connais ce bois petit ?", susurra l’escogriffe à l’enfant qui lui tenait la main, plutôt content de marcher avec ce qu’il pensait être des chevaliers. -Ben euh…y avait le père Yves, le charbonnier, mais les mauvais hommes l’ont tué. Maman dit qu’il ne faut pas aller dans le bois. Depuis on se chauffe à la bouse, ça sent pas bon je trouve. »Cosimo lâcha un juron et envoya le gosse dans un fossé, histoire de se donner de l’espace. Le bon Heinrich était soit très brave, soit complètement inconscient. Il dégaina sa rapière et son poignard, gueulant par-dessus son épaule : « - On lâche tout, et on galope mes enfants ! »Sentant que la curée était proche, le chien se mit à trotter joyeusement. Quelques minutes plus tard Et merde pour l’effet de surprise cette fois-ci. Mais une dizaine de routiers chevronnés qui déboulent en hurlant, ça vous impressionne quand même son monde. Il fallait être brutal et précis, le reste des mercenaires devant finir d’encercler le secteur avant de passer à l’assaut . On distinguait mal les silhouettes dans la nuit, mais les gars savaient qu’il fallait poinçonner ceux qui étaient en face. Autour de Cosimo, une escouade de choc s’était formée avec les vétérans de la compagnie. Elle bouscula proprement les marauds qui voulaient faire leur sort à Heinrich et Falci : l’immense flamberge d’Otto fendit un exécuteur de l’épaule à la taille, tandis que Cosimo allongeait son immense rapière entre les omoplates du second. De sa dague, il trancha les liens qui entravaient mal le lieutenant : on avait pas eu l’intention de le garder longtemps attaché. Les brigands s’étaient ressaisis et la mêlée s’entama. Couvert par les moulinets menaçants d’Otto, Tête Pelée remit sur pied son compère : « - Mon bon Barberousse, on dirait que la camarde vous a épargné pour l’heure ! » Il lui fourra son long poignard dans la pogne avant de se ruer sur l’ennemi. Il s’agissait de tenir le temps que les renforts finissent d’encercler cette canaille. |
| | | Aymeric de Brochant
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Dim 22 Oct 2017 - 13:10 | |
| Se démenant comme une bête qu'on mène à l'abattoir, le zélé lieutenant avait été trainé hors de la cahute, la lame du coutelas sous sa gorge manifestant plus ou moins se présence à mesure qu'il exprimait sa rétivité à se faire trucider. Là, les carottes semblaient bel et bien être cuites pour le bon Heinrich, qui jeta alors un regard triste à son enseigne, dont la seule faute avait été qu'il baragouinait le scylléen.
Le vrombissement si caractéristique d'une corde claquant, d'un vireton virevoltant tirèrent Heinrich de sa méditation morbide, un instant juste avant qu'il ne sente s'affaisser sur lui, dans un soupir étouffé, son bourreau. La lame s'écarta de sa gorge, et avant même qu'il ne puisse rouler dans l'herbe aux côtés de feu son exécuteur, le bon lieutenant vit surgir des ombres un gredin scylléen, flamberge en main. Plongeant instinctivement, il sentit l'air vibrer au dessus de lui, avant d'être arrosé par une gerbe sanguinolente : on venait de s'occuper de son assassin façon carpaccio.
Si ces instants avaient été limpides, la suite, elle, lui avait paru bien plus floue. Délié en catimini, notre brave s'était retrouvé à joindre l'attaque sur des jambes encore flageolantes. L'adrénaline échaudait son sang, mais l'homme demeurait encore hébété par son entrevue sur l’aqueuse demeure de Tari pour retrouver tout son jugement. Fort heureusement, les chauffeurs de pâturons connaissaient leur affaire.
L'algarade prit fin avec la même fulgurance qui l'avait initié. Le nombre eut rapidement raison des bandits, encerclés dans la clairière par les chauffeurs de pâturons. La mêlée silencieuse, uniquement rythmée par les chocs d'acier contre acier laissa bien vite place à un bavardage guilleret. Les hommes dépouillaient les cadavres, on se tapait dans le dos gaillardement. Heinrich, quant à lui, ne s'était départi de son mutisme : il contemplait alors le corps sans vie de son enseigne, Falci, dont la gorge avait été tranchée dans les derniers spasmes de son bourreau, atteint par la lardoire de Cosimo.
Il fallut qu'on apporte un deuxième corps devant les yeux d'Heinrich pour que celui-ci échappe à son apathie ; mais ce corps là était encore vivant. C'était un Ernaut de Fonrac passablement amoché, mais encore en vie. Il avait tenté de s'enfuir dès le début de l'assaut, et c'est alors qu'on lui avait allongé une dondaine dans l'épaule. « Qu'on amène celui-ci à l'intérieur, je gage qu'il aura beaucoup à nous apprendre. »
En prononçant cette phrase, le lieutenant s'était figuré un horizon de supplices. Cependant, avant même qu'il n’annonce, peu de temps après, son intention de rôtir les pieds d'Ernaut dans le four du charbonnier, celui-ci (Ernaut, pas le four) s'épandit en un copieux verbiage. Balançant sans attendre ses petits camarades, il révéla en outre le chemin pour accéder à la forteresse d'Osto-Tel.
Bien vite, on se retrouva ainsi à causer avec l'homme de sujets plus prosaïques. « Et donc, comment se reconvertit on du service de Nééra à celui de canaille ? - Vous pouvez vous gausser de moi, seigneur Heinrich, mais avez vous seulement éprouvé la faim ? - Ta gueule et déroule. J'ai perdu une bonne enseigne par ta faute, alors épargne moi tes jérémiades. - Soit. Après Amblère, les choses ne sont pas très bien déroulées pour les miens. Nous étions restés en Oesgardie pour y faire régner l'ordre et aider la populace, tel que nous l'avait demandé le Foudreguerre, seulement un matin, c'est sa mort à lui que nous apprîmes. Privés de chef, un chemin de déshérence se déroula sous nos pieds : les petites gens nous tournèrent le dos, redoutant tout routier, qu'il portât un blason au Calice ou non. Bientôt, nous braconnâmes ; peu de temps après, nous volions dans les volières. - De vrais parangons, vos ladres... - Faites vous régler l'ordre le ventre vide ? Nous purgions le pays de la maraude, en échange de quoi la gueusaille nous claquait porte au nez! - Et ainsi, vous vous fîtes bandit à votre tour. - Nous n’eûmes pas le choix. L'hiver arrive sur nous, messire Heinrich, et dans L'Überwald où nous vivotions, redoutant plus encore les troupes du baron que celle des canailles, demeurer aurait signé notre arrêt de mort ; aussi avons nous marché vers l'Ouest, désireux de traverser les Monts d'Or avant les premières neiges, et obtenir l'hospitalité du marquis... Au lieu de quoi, ce fut la hanse d'Osto-Tel qui nous recueillit. - Et ainsi, vos bonnes ouailles rejoignirent les rangs de ces gredins... Je crois que j'en ai assez entendu. »
Se relevant, Barberousse fit un signe univoque à l'adresse de Cosimo, ainsi que d'Otto, dont il avisa la longue flamberge. Ses envies de vengeance s'étaient désormais envolées, et il ne désirait plus qu'en finir avec cette histoire malheureuse. Eut Falci survécu, peut-être aurait-il apporté son captif au devant du marquis pour en chercher la justice ; mais le sang avait été versé et il était désireux de rétablir le score.
Se retournant pour empoigner le blessé, il fut accueilli par les suppliques de celui-ci, bien trop conscient du sort qui l'attendait. « Pitié messire, pitié! Pitié pour moi et les miens! Sur ma vie et mon honneur, jamais n'eut de désir funeste à votre endroit ni envers qui qui ce soit. - Tu nous as pourtant bien traîné ici, porc, où tes bons amis nous attendaient, et où repose désormais mon enseigne. - Par Nééra je le jure, je pensais pouvoir les convaincre de vous épargner. Vous m'avez entendu, tantôt! Nous avons rejoint la hanse certes, mais jamais les miens n'avons tué d'innocents, seulement volé. - À l'auberge de Luze, il m'a pourtant bien semblé avoir enterré le taulier, sa femme et ses clients, sans parler d'un certain cadet de Rouilly. - Point par ma main! Herluin m'avait commandé de... - Herluin ? - Le chef de la hanse. Sur son ordre, je m'étais glissé à la cour de Mérencielle comme espion, mais ainsi, je tâchais d'empêcher que le sang ne coule. - En informant cet Herluin des villages isolés et des trajets des caravanes peut-être ? - En détournant les bacheliers envoyé par la Veuve de Rémarde d'un sort funeste... Ce jour là, j'allais offrir à Gonthier une bourse bien remplie et l'envoyer à l'autre bout du marquisat, mais vous l'avez vu vous même : tous, à Osto-Tel, ne me font confiance, et certains décidèrent de me doubler. Jamais, je le jure, je ne désirais sa mort! »
Un instant pensif, Heinrich s'apprêtait à balayer la défense du chevalier et faire signe à Otto d'effectuer sa besogne, quand dans une dernière tentative, Ernaut rajouta : « Les miens sont encore à Osto-Tel! Je comprends aujourd'hui m'être fourvoyé, laissez moi racheter ma faute, de grâce! Épargnez moi, et je jure de vous aider à chasser la hanse, après quoi votre marquis jugera de mon sort. »
L'hésitation triturait le lieutenant, qui avait appris, au fil de cet aventure, à s'en remettre à l'avis pragmatique de son compère en calvitie. Avisant Cosimo, il l'interrogea à son tour : « Qu'en pensez vous, Tête-pelée ? »
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| | | Cosimo Tête Pelée
Humain
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| Sujet: Re: Des piques pour du jambon [Aymeric] Dim 22 Oct 2017 - 16:14 | |
| A l’extérieur, les compaings dépouillaient avec appétit les corps des brigands. Ceux dont la panoplie était maigrelette ne se firent pas prier pour s’emparer des gambisons et des bottes des vaincus. Certains avaient la politesse de les achever avant de les dépouiller. D’autres déshabillaient sans cérémonie les agonisants qui se retrouvaient nus dans la terre glaciale et boueuse de la clairière. Cosimo écoutait d’un air distrait les révélations d’Ernaut : il était occupé à enlever d’un chapelet de doigts, ceux du feu Ewald, les quelques bagues qui les sertissaient. Quelques bons crachats et un peu d’huile de coude suffirent à les nettoyer. Lorsque Barberousse s’enquit de son avis, Cosimo fourra son petit butin dans une bourse avant de s’essuyer les mains sur sa casaque miteuse.
Il s’approcha du captif et le prit par le menton, le scrutant pensivement. Le mercenaire se tourna vers Otto, qui haussa des épaules, appuyé sur sa flamberge. Le colosse n’en avait pas grand-chose à foutre apparemment. Tête Pelée se redressa en repoussant le nobliau sur la terre battue de la chaumière :
« - Franchement ? Ces histoires de rapines et ces petites compromissions avec la hanse, je m’en tamponne le coquillard. Mais quand je vous vois Barberousse, je vois un mort qui marche. Vous avez une chance de cocu qu’on soit arrivé à la rescousse à temps, j’irai allumer un cierge au temple le plus proche à votre place. »
Il alla s’adosser contre le chambranle de la porte, et désigna d’un long doigt accusateur Ernaut :
« - Et ça, c’est parce que cette sous-merde vous a dit de ramener vos guibolles par ici. Les traîtres c’est vraiment une sale race, c’est comme les rats, on sait qu’il y en aura toujours mais ça n’empêche pas de les buter. »
Le mercenaire prit une moue pensive, et de son autre main désigna le cadavre de l’enseigne Falci. Il fit bouger ses deux index comme une balance :
« - Je crois que c’est plutôt à Falci qu’il faut demander son avis. J’peux pas faire parler les morts, mais chez nous autres scylléens y a même pas de débat dans ce genre de situation.» |
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