Tels ses pairs, Fachtna est un orphelin. Tels ses pairs, Néera est sa seule mère.
Elevé au sanctuaire d’Ancenis, l’enfant se montre prématurément habité de la foi véritable, doté d’une maturité détonnant tout à fait avec son jeune âge. Troublant les robes bleues, on lui accorde une attention particulière.
A l’adolescence on le surprend à plusieurs reprises dans sa loge, saisi d’une transe, l’œil opaque, murmurant à l’intention de la DameDieu. Bientôt la Grande-Prêtresse en charge a vent de l’existence de Fachtna. Elle souhaite l’entretenir concernant cette lumière dorée qui siège au creux de ses mains lorsqu’il remplit son office à genoux. Elle est frappée par la vision de ce garçon au faciès androgyne, dont les yeux scintillent comme des gemmes. Elle a devant elle un élu de Néera, son regard clair ne peut s’y tromper. Elle révèle au jeune adepte la valeur des flux d’éther qui circulent à travers tout être et toute chose. Elle lui rappelle la charge qui va peser sur lui puisqu’il compte parmi ceux qui ont le don de catalyser les énergies blanches.
Au sortir de cet entretien, il est confié au prêtre Gabriel, le plus versé d’entre tous dans le domaine des arcanes. Fachtna apprend, élève facile, et Gabriel se passionne pour ce gamin unique en son genre, humble et tranquille.
La voie du prêtre-mage se veut particulièrement exigeante. La connaissance de soi-même étant pilier de la formation, le jeune âge de Fachtna est handicapant. Même s’il démontre de la maturité, l’expérience et la confrontation lui font défaut. Si la force de sa foi parait inébranlable, il peine à puiser en lui la stabilité que requiert la magie pour être manipulée. Alors, après une nuit chargée de rêves, le jeune prêtre quitte le temple dans son manteau de voyage bleu.
Il s’éprouve durant plus d’un an, va de temple en temple à travers les marquisats du nord, cheminant au rythme de sa monture qu’il ne force jamais. Il ressent la brûlure des muscles de son corps, il ressent la confusion de l’âme face à la misère. Plus il avance, plus le choix recule. Où est le choix chez cette famille en guenilles ? chez ce métayer qui ne mange pas assez ? Plus il s’éloigne des grandes cités, plus les neuf doivent être rappelés aux consciences et aux cœurs. Ses pas lui enseignent que l’humanité ne se résume pas, que ses nuances sont trop vastes, et que l’on trouve le meilleur comme le pire chez toute femme et tout homme. Il apprend tellement sur lui, ses limites physiques (notamment en équitation), la froideur de sa voix qui ne l’aide pas à réconforter certains de ses semblables laissés pour compte. Alors il s’en remet à ses mains, à ce petit soleil d’éther qu’il est capable de générer sous les regards ébahis des ouailles. Il cultive le silence et se recueille aux côtés de ceux qui ont besoin de cette chaude lumière, murmurant souvent en direction de La Bienveillante pour les recommander à elle.
Son périple au nord prend fin lorsqu’il aperçoit la forêt d’Aduram depuis un belvédère. Sourdement, il perçoit un appel au fond de lui, quelque chose de lointain dont l’écho résonne pourtant dans toute sa personne. Il clôt les paupières. Quelques minutes plus tard il fait route vers le sud, direction Notre Dame de Deina, pour confier ses doutes au saint autel et clore ce chapitre.
De retour au temple d’Ancenis, Fachtna retrouve Gabriel avec chaleur. Il débute une nouvelle phase de sa formation. La lecture, la prière et la pratique de la méditation sont les trois activités qui remplissent son quotidien. Dans sa loge, il cherche à inspirer avec son âme et à expirer avec son coeur. Il se rend capable de méditer pendant plusieurs heures d’affilées, se confondant avec les flux éthérés, se focalisant sur les énergies aux reflets d’or, laissant son esprit dériver au gré des courants qui prennent leur source en Néera. Bientôt Gabriel doit concéder qu’il n’a plus grand-chose à lui enseigner dans le domaine de la magie. Un jour qui restera dans les mémoires, Gabriel est réclamé par plusieurs frères sous l’hémicycle. Lorsqu’il pénètre la voûte sacrée, sa bouche forme un cercle ébahi. Fachtna est là, flottant à près de deux mètres du sol, paupières closes, bras et jambes formant le lotus. Sous la coupole formée par ses mains, une intense lueur dorée…
Plusieurs années s’écoulent dans l’ascèse et l’étude. Fachtna est devenu un homme et ses frères le considèrent comme un réceptacle de Néera. Sa maîtrise de la magie n’a cessé de progresser. Il a rencontré un Archimage et a comblé d’importantes lacunes théoriques, la force de sa foi et sa rigueur parachevant sa formation. Il parvient finalement à enfanter le rituel auquel il a consacré ses dernières années de pratique. Plusieurs heures de concentration sont requises, mais l’effet est d’envergure. Lorsque la sphère de pure énergie est véritablement stabilisée sous ses phalanges, les paupières du mage se relèvent et les fidèles installés dans la nef perdent leur cinq sens un à un en l’espace d’une minute. Ce que recherche ainsi Fachtna, c’est l’éveil de ces hommes et femmes réunis face à lui, l’éveil au sixième sens, à la perception physique du divin.
Chez la majorité cependant, le résultat n’est que froide angoisse et noirceur abyssale confinant à la folie. Fachna veille alors à extraire rapidement ces fidèles de sa sphère solaire. Chez d’autres pourtant, c’est la sensation d’un bain dans l’absolu, d’un affranchissement total des limites du corps. Et alors, entre leurs doigts, ceux-là regardent filer des rivières d’éther. Et ces gens sont changés à jamais, puisque témoins des flux qui les relient à la Déesse Mère.
L’Art est cependant très éprouvant et ses frères ont tôt fait de réfréner Fachtna qui a manqué de ne jamais revenir du coma dans lequel il s’est trouvé plongé à l’issue de la dernière assemblée de fidèles venu communier. Et puis, surtout, la Cathèdre s’effraie. Jamais célébration n’a attiré autant de gens et des bousculades se sont jouées sur le parvis du temple. Quelque chose échappe au contrôle du Culte chez Fachtna et le Haut-Prêtre manifeste un souhait : qu’il vienne à lui dès qu’il sera en état de voyager.
Lorsqu’il quitte la cathédrale de Diantra, l’arcaniste pentien est en rupture avec le Culte. Il n’a que faire des considérations politiques et des rivalités entre vieilles robes bleues. Le discours que vient de lui tenir le Haut-Prêtre en compagnie d’une Haute-Prêtresse bien silencieuse lui apparait tout à fait trivial. Fachtna n’a pas quitté la capitale que sa décision est prise : il embrassera l’ermitage.
Son échappée prend fin à la frontière du royaume des hommes et du sanctuaire des elfes. La lumière qui irradie cette clairière à proximité des contreforts d’Oesgard le décide à soulager son cheval de son bagage. Il assemble quatre cloisons en bois avec toutes les peines du monde malgré sa détermination. Notre homme n’a rien d’un bricoleur et le bon sens ne suffit pas lorsqu’il s’agit de dresser un solide toit au-dessus de sa personne. Martincel est une providence, un homme pieu aux mains calleuses qui n’hésitera pas une seule seconde à épauler le prêtre. Ce bûcheron, berger, trappeur et seule la DameDieu sachant quoi d’autre, se révèle un allié dont Fachtna n’aurait pu se passer dans son entreprise.
Alors commence l’apprentissage véritable. Focalisé, isolé, l’arcaniste progresse dans l’Art au rythme des saisons. Lorsque l’ennui le gagne ou quand il sent son humanité filer entre ses doigts, il se met en marche vers un village nouveau et rassérène le cœur de ceux qu’ils croisent, porteur d’une lumière qui rend la chaleur de Néera palpable. Quelques années s’écoulent ainsi. Et puis Le Voile.
Lorsque celui-ci est enfin levé, Fachtna est dans la plaine en direction de Diantra. Et puis la lumière blanche, qui l’aveugle absolument.
A celui qui la regarde, un murmure... à celui qui y pénètre, les tourments. Les tourments de mille voix illusoires, voix tourmentées épuisant nerfs et volonté. D'abord les voix, qui maintiennent à distance de ce lieu les âmes les moins courageuses.
Rares sont ceux à poursuivre plus loin... mais de tous ceux qui ont osé, nul n'est jamais revenu.Lorsqu’il pousse les portes de la cathédrale, Fachtna est transfiguré. Tout son être est entré en révolution et il se dirige mécaniquement vers une aile peut peu fréquentée du monument. Personne ne fait attention à lui, la Cathèdre est en ébullition et tous semble aussi affairés que désemparés, contrastant fortement avec notre homme, qui s’affiche déterminé et habité. Fachtna emprunte bientôt un escalier qui le mène sous le niveau de la terre. Un dernier soupirail permet à l’air de souffler dans sa longue chevelure blonde et puis la lumière baisse. Il dépasse plusieurs alcôves et s’immobilise un peu plus tard. Sur sa gauche, une sobre alcôve qui ne se distingue en rien des autres. Il pivote pour lui faire face et lève machinalement la main, doucement. Un instant. La pierre grogne et un passage s’ouvre largement.
Vaste, et la voûte tellement haute alors que Fachtna se situe sous l’édifice sacré. La salle se dessine à lui sans pudeur, projetant ses éclats d’or et de marbre d’un seul jet et s’imprimant durablement sur la rétine. Le mage avance vers les neufs cubes étincelants. Leur magnétisme est puissant et le prêtre comprend mieux leur forme à cette distance. Il s’agit de coffres. Fachtna se fige devant l’une d’entre-elle. Il l’effleure, apprécie la finesse de l’ouvrage. Le mot orichalque lui revient, une fois entendu dans la tempête néerienne, à jamais gravé dans sa mémoire. A première vue il semble de l’or, mais sa légèreté ne laisse planer aucun doute sur sa nature singulière. Alors il déverrouille la boîte. A sa surprise, trois faces du cube s’abattent simultanément. Il a juste le temps de reculer pour permettre à la quatrième de frapper le sol sans le heurter d’abord. A ses pieds, un magnifique totem d’orichalque qui se révèle une armure. Assemblée ainsi, elle figure une femme agenouillée, les mains en coupe, paumes vers le haut. Une vierge pense-t-il, sans savoir à cet instant d’où il tire cette certitude.
Sans hâte, Fachtna soulève chacune des pièces et les enfile une à une, respectant une certaine hiérarchie pour éviter d’écrouler la figure symbolique. Lorsque sa main quitte la fibule frappée d’un calice et d’une paire d’ailes, il est recouvert de pied en cap d’une fabuleuse armure dorée, la soie blanche couvrant ses épaules et son dos. Expirant profondément, il laisse aller son regard d’un coffre à un autre. Elles sont encore huit à attendre ici. Un flux accéléré traverse l’esprit de Fachtna. Lorsqu’il décide finalement de faire taire ces milles pensées, le mage fait subitement volte-face et s’achemine vers la sortie. Jamais les choses ne lui sont apparues aussi limpides.
Un peu plus d’une décennie, c’est le temps qu’il lui faut pour trouver et réunir celles et ceux qui portent aujourd’hui les Egides d’Orichalque, boucliers de Néera et du culte pentien. Pour plupart issus des orphelinats des temples, tous durement happés par la lumière de La Bienveillante lors de la levée du Voile. Lors de ses recherches, Fatchna est confronté à la défiance des Grands-Prêtres et doit faire profil bas s’il veut s’éviter des complications, d’autant qu’il ne répond à aucune question concernant sa tenue d’or.
Un à un il les trouve, ces élus des neufs. Et un à un, il cultive leur foi et leur éveil aux arcanes. Beaucoup d’entre-eux sont déjà très avancés dans l’Art. A chacun il confie une pièce d’armure d’orichalque, focalisateur de premier choix. Se posant en maître, Fachtna apprend encore beaucoup sur lui et explore des dimensions de l’Art dont il ne soupçonnait pas l’existence. Son rituel d’ablation des sens requiert maintenant un temps d’incantation infiniment plus réduit qu’à l’origine.
Une véritable cohésion s’installe entre les neufs. Ils vivent, cheminent et s’entraînent ensemble, appliquent les enseignements du dogme au quotidien et viennent en aide à leur prochain en toute occasion. Outre les arcanes, les arts martiaux font partie de l’étude. Fatchna est très en retrait dans cette discipline, et le tigre Mani est bien meilleur enseignant. Lorsque leur magie et leurs actes charitables commencent à faire parler d’eux jusqu’aux oreilles des grandes cités de la péninsule, Fachtna préfère leur faire gagner la montagne pour un isolement qui parachèvera leur unité et garantira leur anonymat. Jusqu’au jour où ses huit pairs sont tout à fait prêts à endosser leur rôle, où le guide éperonne sa jument blanche pour les mener jusqu’à Notre Dame de Deina.
Quand les neuf cavaliers démontent sur le parvis de la cathédrale, les robes-bleues et les badauds alentours sont magnétisés. Les énergies qui environnent cette équipée, l’armure que porte cet homme blond au visage de femme, tout concourt à faire d’eux une apparition. A l’intérieur de l’édifice, on s’écarte sur leur passage, on s’interroge béat, mais jamais on ne s’alarme. La lumière chaleureuse qui nimbe le groupe éteint toute appréhension.
Au bout du chemin, l’alcôve se referme derrière eux. Et Fachtna élève doucement la voix.
A compter d’aujourd’hui mes frères, ma soeur, je n’suis plus un maître pour vous, je suis pleinement votre égal. Dans ces coffres, les pièces d’armure qui viendront compléter celle que je vous ai remis voilà plus de dix ans maintenant.Atos, le colosse, est le premier à rompre la ligne, s’avançant d’instinct vers la boîte frappée d’une tête de taureau. En silence, les sept autres l’imitent, écoutant leur corps et les vibrations qui émanent de ces cubes dorés pour s’acheminer vers leur destin.