L'exode [Irys]

Un soleil sans chaleur brillait au dessus de l’abbaye en ce début de printemps. La brume venait à peine de se dissiper sous les yeux de la Haute-Prêtresse, levée aux aurores. Dès les premières lueurs de l’aube, elle avait abandonné sa couche pour la selle de son étalon alezan. Malgré ses cinquante trois années révolues, Irys possédait encore une certaine adresse pour l’équitation, bien que sa manière de chevaucher s’était considérablement raidie avec le temps. A travers le petit pays vallonné de Ferté-Edelys, elle s’offrit un trot tranquille qui la mena au bout de la plaine où s’élevaient les tours du Temple. Elle contempla un moment la splendeur du joyau édelysien qui crevait la nature et s’y adaptait à la fois dans un parfait paradoxe, ne laissant derrière lui qu’un mince chemin de terre battue. Ce même chemin était à présent emprunté de plus en plus régulièrement.

Un peu plus loin derrière les petites collines, des paysans à qui le Culte avait confié quelques lopins de terres devaient s’être levés avec l’astre du jour pour y assurer le labeur quotidien. Plusieurs fois la servante de la Divine Néera s’était réjouie en passant dans un village en construction ou un champ à la terre fraichement retournée. La DameDieu, dans son infinie mansuétude avait permis à ces pauvres hères de retrouver la dignité dans le travail en paix. La mort et la peur étaient derrière eux, désormais.

Irys était revenue au temple depuis longtemps déjà lorsqu’on lui annonça la venue des christabellois en grand nombre, au hérault mandé par le baron de Velteroc. Elle les fit introduire dans la grande nef de l’abbaye et demanda que les plus faibles soient pris en charge. Gédéon d’Hautfort s’inclina avec déférence à son arrivée. C’était déjà un vieil homme, mais son corps gardait l’allure et les stigmates des guerres qu’il avait vues maintes et maintes fois.

«– Messire. l’accueillit-elle avec une légère génuflexion. »

Ses doigts arrachèrent le sceau de la missive qu’on lui tendait et elle lut fébrilement la requête du baron de Christabel.

«– Soyez rassuré, Messire, que vos gens seront traité avec le même égard que tous ceux qui se sont présentés ici à l’appel protecteur de la DameDieu. Nous nous efforcerons de trouver à chacun une terre et un toit où s’installer. Quant à vous, vous êtes naturellement invité à partager la table de notre temple, aussi longtemps qu’il vous faudra. Votre dévotion pour votre peuple est tout à votre honneur, Messire. Il n’y a nulle lâcheté à renoncer à la guerre quand l’heure est venue. ajouta-t-elle avec un sourire. »

Avec une dernière courbette, la Haute-Prêtresse s’effaça discrètement pour rédiger sa réponse à Jesbel de Velteroc.

A Son Honneur Jesbel de Velteroc, Baron de Christabel.

De Ferté-Edelys en son abbaye Notre-Dame de la Bienvenue
Cinquième jour de la deuxième ennéade de Bàrkios de la Xe du XIe Cycle.

Votre Honneur. L’arrivée de votre hérault trouve vos gens en bonne santé et à présent sous la protection de notre Bien-Aimée Mère. A tous j’offre l’asile et un toit pour ces temps difficile, pourvu que vos gens ne cherchent pas à lever la main sur aucun autre homme, d’où qu’ils puissent venir, car nulle différence n’est faite chez les enfants de la DameDieu.

Sachez que les portes de l’abbaye de Notre-Dame de la Bienvenue vous seront ouvertes, comme elles le sont pour tous, et que j’aurai grand plaisir à vous rencontrer. D’ici là, gardez en mémoire l’œcuménique amour de Néera pour ses enfants, et puisse-t-il vous donner le courage de mener votre peuple sur les chemins du Bien.

Par la grâce de la Grande Mère, Créatrice et Fondatrice, Divine Patronne et Protectrice des Hommes. Puisse Néera, la Toute Sainte DameDieu, apporter la Paix par son Souffle Vénérable, nous accorder Sa pitié, apaiser nos cœurs et veiller sur nos enfants.