Dans le port de Sybrondil ♪ [PV Victoria di Maldi] (TERMINÉ)

Liliane avançait sur les docks d'un pas léger en fredonnant une vieille chanson de marin, comme à son habitude lorsque tout allait bien.
Elle se sentait vraiment dans son élément en respirant l'air iodé du port, même avec tout ce que cela impliquait de mauvaises odeurs. Le grincement des amarres autour de leurs bites, le sifflement du vent dans les mats, le clapotis des vagues sur les coques, le gémissement du bois qui bougeait sans cesse en absorbant et rendant de l'eau... Il y avait aussi ces jeunes mousses qui s'en allaient rejoindre leur bord, ces débardeurs déjà au travail et qui la regardaient d'un œil parfois inquiet. Et elle ne leur rendait que son joyeux sourire.

Le soleil perçait aisément à travers les nuages aujourd'hui, l'eau était claire et la brume matinale parfaitement absente. Comme c'était agréable, une journée qui commençait si bien. Elle espérait bien évidemment que cela continue.
Elle avançait donc en direction du lieu de son rendez-vous, rajustant sa large écharpe en tissu et ses gants de cuir. Ses oripeaux habituels ne laissaient pas clairement deviner si elle était un garçon manqué ou un élégant androgyne, et elle aimait beaucoup cette ambiguïté. Son petit délice personnel étant de laisser planer le doute. Cependant, elle était connue sur les docks, et peu de personnes travaillant dans les alentours pouvaient encore se tromper.

Et tandis qu'elle s'avançait vers ce large amas de tonnes vides, empilée les une sur les autres et lestées d'un peu de sable afin de ne pas s'écrouler au premier coup de vent, elle fut sortie de ses pensées de manière assez soudaine. En effet, un objet non identifié vint frapper le côté gauche de son visage.
Poussant un grognement exaspéré, elle leva la main pour rattraper l'étrange projectile tandis que, non loin, elle entendant quelques inspirations rapides et apeurées, ainsi que quelques murmures du même tenant.
Elle pouffa de rire intérieurement et tourna doucement la tête. 
À quelques pas à peine, se trouvait une poignée de gosses qui l'observaient avec une inquiétude particulièrement marquée. Pas seulement celle que les enfants ont naturellement au sujet d'un adulte dont ils auraient déclenché la colère, mais plutôt celle qu'ils ont en déclenchant la colère d'un adulte dont on leur a dit le plus grand mal.

Liliane se dirigea alors très lentement vers le petit groupe de gamins, histoire de leur laisser le temps de s'inquiéter davantage, tout en observant l'étrange objet qu'elle avait reçu en pleine figure. Il s'agissait d'un ballotin de tissu dans lequel les garnements semblaient avoir bourré un mélange d'herbes sèches et de feuilles, utilisant la chose comme une balle. 
L'ancienne pirate jongla alors doucement avec, de sa main gauche, tandis qu'elle toisait les enfants devant elles avec un petit sourire en coin, ce dernier leur étant invisible, puisque masquée par sa large écharpe dans leur vision en contre-plongé.

— Alors, qu'est-ce qu'on dit ? réprimanda la demoiselle de sa voix légèrement éraillée et rocailleuse.

— Heu, on... on est désolée madame, on a pas fait exprès... répondit le plus courageux des gamins.

La-dessus, l'ex pirate poussa un bref mais audible soupir d'exaspération propre à faire sursauter les pauvres enfants, secouant doucement la tête en continuant de jongler avec la petite balle improvisée.

— Non, corrigea-t-elle, on dit : "pardon Liliane", corrigea-t-elle en tendant leur balles trop loin au-dessus de la tête des gamins pour qu'il puisse espérer l'attraper. Et si vous voulez récupérer ça, il va falloir me rendre un petit service.

— Heu... Pardon Liliane, récitèrent les gamins, mais on peut faire quoi ? demanda un autre, On est que des enfants...

— facile, ricana la demoiselle.  Je vais rencontrer quelqu'un prêt de la pile de tonne là-bas, expliqua-t-elle ne pointant le lieu du doigt. Je veux que vous lui envoyiez votre balle dans la figure quand je vous ferais signe, en passant ma main dans mes cheveux. Vous vous en souviendrez ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.

Évidemment, comme c'était de leur âge, les gamins pouffèrent de rire à cette idée. Et puis, après tout, s'il avaient l'occasion d'accomplir une bêtise en étant couverts par Lilianne Fausse-Patte, c'est à dire impunément, il n'allaient pas refuser. Surtout qu'ils tenaient à leur balle. Il acquiescèrent donc chacun à leur manière et, pour la première fois, la demoiselle daigna se pencher à leur hauteur pour leur rendre directement leur précieux jouet.

— Je compte sur vous, conclut-elle avec un sourire qui, cette fois-ci, leur était visible.

Après quoi elle se dirigea vers le lieu de rendez-vous et s'y adossa, les mains dans les poches, en continuant de fredonner une vieille chanson de marin, satisfaite d'avoir un petit tour amusant dans sa manche, au cas où elle voudrait embêter son client.

Liliane se laissait tant et tant bercer par les embruns qu'elle en ferma un bref instant les yeux, profitant dans son corps et dans son âme des doux rayons de soleil parvenant jusqu'à elle en ce début de matinée, ainsi que du relatif calme ambiant, seulement troublé par des sons tellement coutumiers qu'elle les oublierait presque.
Cependant, elle fut rapidement tiré de sa douce quiétude par la voix reconnaissablement rustre et avinée d'un marin n'ayant même pas encore gravit les échelons nécessaires à être plus qu'un simple mousse, malgré son ancienneté. Et cela en disait long sur son incompétence.
La demoiselle, petite maîtresse des docks à ses heures et connaissant presque tous le monde, avait forcément bel et bien déjà croisé ce pauvre homme sans autre ambition que de s'imbiber de rhum.
Aussi fut-elle surprise de constater qu'il venait lui adresser la parole sans autres raisons apparentes que la promesse de quelques pièces ou d'un quelconque alcool.
Liliane soupira donc en ouvrant les yeux, toisant d'un regard sévère le marin qui lui faisait face tandis qu'elle croisait les bras sur sa poitrine.

— Johan,soupira-t-elle en secouant la tête.  J'sais qu'tu ferais n'importe quoi pour d'la gnôle, mais tu sais très bien qu'j'attends d'mon client qu'il vienne en personne. Ou son représentant officiel si c't'un nobliau... Tu crois qu'j'vais croire qu't'es l'représentant d'un nobliau ? c'est l'matin mon gars, va rejoindre ton bord au lieu d'faire le con ! réprimanda l'ex pirate avec une étrange mais douce bienveillance.

C'est alors que son instinct de grande habituée lui chuchota qu'elle venait d'être testée par quelqu'un qui se croyait plus intelligent qu'elle. Et elle ne connaissait que très peu de personnes capables d'avoir ce genre de pensées : les nobles de haut rang, et les abrutis. Et elle savait pertinemment qu'un abruti n'aurait pas ni l'idée ni les moyens de soudoyer un marin pour venir l'aborder. Aussi soupira-t-elle à voix haute en chassant le mousse d'un revers de main :

— Aaaaahhhh...! Quel ennui ! Pourvu que mon client se pointe vite fait ! J'en ai marre d'attendre ! déclara-t-elle à voix trop haute pour ne pas paraître sarcastique.  

En ce moment même, elle avait l'impression que quelqu'un essayait de tester son intelligence, ce qui lui faisait valider de plus en plus la théorie d'avoir à faire à une noble personne. Elle alla même jusqu'à exagérer au point de se dire qu'un homme n'aurait jamais eut la présence d'esprit d'agir ainsi et misa plutôt sur une noble dame...
Et autant dire que les nobles dames de Sybrondil, elle les connaissait presque toutes, surtout les plus importantes. Elle avait suffisamment joué la poule de luxe pour être bien au courant des affaires en cours dans les baronnies.
Elle prit donc une nouvelle inspiration et soupira :

—  Franchement, si mon client ne se montre pas d'ici peu, j'vais vraiment me barrer ! pressa-t-elle avec malice.

Ce disant, elle sortit une pipe de sa cape ; objet volé à un capitaine dans sa période de prostitution, fait de bois flotté et d'écume. Elle y bourra un peu d'opium et tâta vainement ses nombreuses poches avant de hausser les épaules. Elle avait la flemme de sortir et de battre son briquet jusqu'à obtenir l'étincelle nécessaire à allumer la chose, alors elle se contenta de mâchouiller le bout de la pipe d'un air impatient.

Liliane en aurait rapidement marre de mâchouiller sa pipe pleine de délicieux opium sans avoir l'occasion de l'allumer. Elle aurait préféré, au plus vite, retourner se réfugier dans l'une ou l'autre taverne, à l'abri du vent et des nez innocents ou indiscrets, battre son briquet jusqu'à obtenir l'effet escompté et enfin profiter de l'un de ses rares moment de détente.
Et au moment où elle soupira le plus profondément, elle ferma les yeux et leva la que de sa pipe pour se grattouiller la tempe avec...
C'était étrange, car elle avait l'impression d'un léger picotement sous son occiput, comme si quelque chose flottait quelque part dans son cerveau.
Aussi, quelle ne fut pas sa surprise lorsque se produisit une expérience des plus désagréables.

— Bordel de merde de putain de mage de chiasse à con d'enculés de maudits fils de putes lépreuse !! s'écria l'ancienne pirate dans un fort accent représentatif de l'île de Meca.

Et tandis qu'elle laissait tomber sa pipe, prenant à pleines mains son crâne en proie à d'horribles violations, elle tomba sur ses genoux en grognant largement.
Elle revit alors les pires choses qu'elle n'aurait jamais voulu revoir. Cependant, le caractère particulier de la demoiselle, voir même très particulier, colora les indésirables souvenirs de teintes vraiment particulières.
Elle revit avec déplaisir la scène de la première fois qu'un homme se permis d'emprunter l'entrée des artistes. Et à ce moment là, la douleur s'était mélangée à la surprise et l'indignation, ainsi qu'au marasme indésirable de ses entrailles ayant souffert d'une trop forte indigestion, à cause d'un poisson qui, avec le recul, expliquait son prix très bas par son manque de fraîcheur.

Il y eut ensuite la terrifiante vision de la première fois qu'elle découvrit de quoi le corps d'une femme était capable pour tourmenter cette dernière. Ce jour là, elle était assise sur les genoux d'un vieux pirate en écoutant ses délicieuse histoires... devant tous le monde, vêtu de sa simple tunique sous laquelle un sous-vêtement était rare. Elle avait détesté ce moment de sa vie car, jugeant qu'elle était déjà assez compliqué et merdique comme ça, le "cadeau" de Néera à toutes les femmes n'était en fait rien d'autre qu'une malédiction. C'est d'ailleurs vers cette époque-ci qu'elle commença à se masculiniser, tant dans ses manières que dans son langage, comme pour défier activement cette féminité trop envahissante.

Puis, curieusement, la première fois qu'elle fut prise de force, n'arriva qu'en troisième position. Elle se demanda alors, dans la non lucidité dans laquelle elle se trouvait, si le mage responsable de ce calvaire avait déclenché ces souvenirs par ordre croissant ou décroissant de traumatisme. Car l'esprit, même subconscient de Liliane était ainsi, toujours dans la dérision, toujours à vouloir contourner ou braver ce qui était normal... Et elle s'en félicitait. Cependant, cela n'atténua que très très peu la douleur de ce souvenir qui semblait ne jamais devoir s'effacer. Un alcoolique barbu, moche et imbibé, qui avait profité de sa faiblesse de jeune fille pour la soumettre tandis que son rire goguenard résonnait encore aujourd'hui dans son esprit, avec ou sans magie. Et d'ailleurs... avoir sauvagement assassiné le responsable quelques années plus tard n'avait étrangement pas aidé à soulager le mal.
À cela, Liliane haussa mentalement les épaules, pour peu que cela lui était encore possible, et fit de son mieux pour regagner la surface, sortir du miasme de son âme propre et rejaillir dans le monde conscient.

— Aahhhh ! aspira-t-elle comme réveillée après une apnée du sommeil. Par toutes les putes vérolées du port de ce putain de comté ! grogna-t-elle en reprenant ses esprit et en secouant la tête, juste avant d'enfin voir un visage devant elle. Éh ! Vous ?... articula-t-elle, vouvoyant d'office une personne si bien habillée dans une pièce si bien aménagée.

Elle étira alors sa nuque, produisant quelques craquements, et soupira de soulagement tandis que ses muscles cervicaux se relâchaient un tant soit peu sous l'action menée.
Elle cligna ensuite des yeux et regarda autour d'elle rapidement avant de se tâter pour prendre conscience de son propre état. Après tout, elle en avait l'habitude, de tremper dans des affaires louches et de parfois finir par se réveiller dans un endroit inconnu avec des inconnus. Mais tout était intact. Elle avait vraisemblablement été ensorcelée, ce qui crevait d'évidence, puis assommée avant d'être menait ici, en témoignait la douleur encore présente à l'arrière de son crâne. Elle identifia alors deux personnes. Une noble dame, c'était certain, et un golgot au visage à moitié brûlé, à n'en pas douter l'auteur du sort et du coup d’assommoir.  
Comment le déduisait-elle ? C'était fort simple. Une noble dame possédant un lascars pareil, brûlé d'une mystérieuse façon, était forcément la très connue et reconnue Victoria di Maldi, comtesse et pyromancienne à ses heures perdues.
Aussitôt, Liliane récupéra ses réflexes habituels et afficha un sourire chaleureux.

— Ma dame la comtesse... souffla-t-elle en inclinant la tête. Mais que me vaut le plaisir d'être kidnappée par vos soins délicats ? ajouta-t-elle avec toute la douceur et la sincérité du monde. Et dire que vous vous êtes donné le mal d'envoyer quelqu'un rien que pour moi, je n'en suis pas digne. railla-t-elle d'un ton qui ne le laissait pas sous-entendre. M'eussiez vous appelée que j'aurais accouru immédiatement ! assura-t-elle, toujours très commerçante.

Puis elle releva doucement la tête, cessant de s'incliner, et afficha son visage le plus radieux, faisant fi de la douleur et du côté désagréable des visions qui lui furent imposées.
C'est alors que, accompagnée d'un élégant geste de la main, elle fit la révérence à la mode dans les cours bourgeoise.

— Vraiment, je suis flattée d'avoir attirée votre attention... Cela prouve que le bouche à oreille est flatteur à mon égard ! Dites-moi donc ce qu'il vous faut de moi, et je l'exécuterais pour un prix des plus modiques... déclara-t-elle en se redressant poliment.

Liliane serra des dents afin de ne pas laisser penser qu'elle avait eu envie de sourire lorsque l'élégante comtesse lui avait demandé de se taire, d'un ton des plus savoureux, elle devait bien se l'avouer.
Alors, autant pour marquer son obéissance que pour masquer un éventuel début de sourire, elle fit silencieusement la révérence avant de se redresser tout doucement lorsque la noble dame commença sa diatribe. Elle écouta donc très poliment, bien droite, les mains derrière le dos, un sourire poli et un œil attentif bien affichés sur son visage mat.

Donc, apparemment, la comtesse n'avait pas, mais alors vraiment pas le goût à la flagornerie où aux cabotinages élégants. Quel dommage.
Elle lui expliqua également qu'elle ne voulait pas l'entendre se vanter de ses exploits. Pourtant, ça n'était vraiment pas son genre. Même si, à bien y réfléchir, elle se vantait surtout de la qualité globale de ses services. Mais elle n'avait pas souvenir d'un haut fait particulièrement épique que l'on pourrait compter à son actif.
Elle nota cependant l'information dans un coin de sa mémoire, la comtesse était positivement intriguée par ses talents dans son domaine d'activité. Mais, puisqu'elle n'avait encore jamais fait appel à l'ancienne pirate pour louer ses services auparavant, elle devait encore lui en faire la preuve.
Très bien, elle le ferait. Cette première mission semblait être bien rémunérée, mais encore faudrait il savoir ce dont il s'agissait. Après tout, venant de la célèbre Victoria di Maldi, toutes les missions les plus farfelues et les plus infaisables étaient envisageables. Un challenge que Liliane avait hâte de relever... où pas. Comme tout un chacun, elle avait ses propres limites, et elle les connaissait bien, n'étant pas du genre à faire dans l'excès de fierté.

Liliane hochait périodiquement la tête, s'amusant à observer la noble dame dont le langage corporel était particulièrement élégant, empli de cette importance que les nobles se donnent et qui, avec le recul, est parfaitement attendrissante.
Le côté hautain, peut être même méprisant ed son regard et de ses gestes, son attitude emplie de tant d'apparats qu'elle ne pouvait que sonner faux. La demoiselle androgyne rit intérieurement tandis qu'elle se posait une question qui lui était plus ou moins coutumière dans ce genre de cas, et qui était la suivante : quelle genre de demoiselle pouvait donc bien se cacher derrière ce persona de noblesse ?
Aurait-elle un jour la chance de connaître réellement la di Maldi, peut-être pour s’apercevoir qu'elle est en réalité quelqu'un dont le côté tendre est protégé sous une carapace.
Liliane ne la suivit même pas du regard lorsqu'elle lui tourna littéralement autour, ce qui l'amusait un petit peu. Elle savait que son physique était peu commun chez une humaine.

C'est alors qu'à la question très importante que la noble dame se posait, l'ancienne pirate prit une profonde inspiration et soupira, commençant doucement à ouvrir les lèvres afin de formuler un premier mot... Cependant, avant qu'elle ne put dire quoi que ce soit, le grand brûlé qui se tenait un peu plus à l'écart l'interrompit en aboyant le genre d'inepties que seuls les idiots et les ignorants pouvaient proférer... Trop de temps passé à apprendre la magie et fumer de l'opium certainement, car les vérité du monde du bas peuple semblaient lui échapper effroyablement.
Et oui, il était évident que son air émacier et son visage tordu n'étaient pas du simple fait de ses cicatrices. Non, et puis Liliane s'y connaissait. De plus, elle ne trouvait plus sa propre pipe à opium dans les poches de sa cape.
Son œil fut alors attiré par un éclat particulier du côté de la comtesse, l'éclat d'une flamme dans le creux de sa main. Peu importe le nombre de fois qu'on y assiste, voir de la magie à l'oeuvre est toujours aussi fascinant.

Décidant qu'elle s'était suffisamment laissée manquer de respect comme cela, Liliane décida de prouver qu'elle était avant tout une femme d'action, et pas seulement de belles paroles.
Aussi, sa main gauche qui se trouvait déjà poliment derrière son dos vint se glisser sous la petite crosse de son arme secrète.
Et d'un geste fluide, répété des milliers de fois, tant et tant de fois que la mémoire du geste était davantage dans ses doigts que dans sa tête, elle sortit Le Frelon de sa gaine mécanique, dirigeant la pointe du carreau qui y était engagé vers sa cible en effectuant un petit geste circulaire et, prenant en compte l'élan qui montait et le moment où sa cible serait alignée, elle pressa la détente. Et tout ceci en moins de temps qu'il n'aurait fallu à une pièce tombant de sa poche pour toucher le sol.
Continuant le mouvement de rotation de sa petite arme, elle la rengaina aussitôt. Le tout s'étant passé dans son dos et sous sa cape, en toute discrétion.
Pour sa part, le carreaux avait transpercé la cape de Liliane, ce qui avait lui avait fait perdre pas mal d'élan, pour une raison précise : le but n'était pas de toucher un organe vitale. Non, en fait, le petit carreau de bois, imbibé d'un puissant somnifère acheté sous le manteau à un drow de passage, vint simplement s'enfoncer de deux petits centimètres dans la nuque du grand brûlé, juste histoire de distiller sa puissante toxine.

— Ma dame... commença la pirate sans perdre le sourire, ce dernier s'élargissant même quelque peu. Je dois vous le dire, je ne vends pas mon silence, continua-t-elle avec un haussement de sourcil tandis qu'elle se dirigeait vers le grand brûlé. Le silence et la discrétion sont simplement comprise dans tout contrats.
C'est ma déontologie, conclut-elle avant de fouiller les poches de l'horrible mage.

Et comme par hasard, elle y trouva ce qu'elle y cherchait, la belle pipe qu'elle avait honnêtement volée de ses propres mains à un pauvre vieil homme mourant.
Elle se redressa ensuite en portant l'instrument à sa bouche et tapota le foyer pour y replacer correctement le délicieux opium. Puis elle se tourna vers la comtesse et s'inclina légèrement.

— Après tout, vous avez entendu toutes les rumeurs qui courent à mon sujet.
Et aucune ne mentionne l'identité d'aucun de mes clients. C'est le genre de qualité de service que j'offre, assura-t-elle en tapotant sa pipe d'un air songeur. Quant à ma fidélité, elle est absolue, du début du contrat jusqu'à sa fin. Cela dit, lorsque notre contrat prend fin, c'est comme si nous ne nous étions jamais rencontré, conclut-elle avec une nouvelle révérence. Ah, et... désolée pour votre bonhomme, ajouta-t-elle en tournant brièvement les yeux vers le grand brûlé. C'est une vieille habitude pirate, il ne faut jamais se laisser manquer de respect sans réagir. Et puis, admettons qu'une dose de somnifère n'est pas grand chose en représailles d'une attaque mentale des plus désagréables.

Ce disant, elle s'approcha de nouveau de la comtesse et s'inclina en lui présentant sa pipe à opium, testant les limites de la familiarité dont elle pouvait faire preuve avec son éventuelle future patronne.

— Ma dame... puis-je me permettre l'impertinence ? Auriez vous du feu, à tout hasard ?

Liliane tira sur sa pipe à opium au moment où la flamme de la comtesse vint doucement en caresser le foyer. Le résultat fut bien plus probant et bien plus efficace que de battre un briquet en attendant de parvenir à embraser l'amorce qui chaufferait éventuellement suffisamment le contenu pour être à même de le fumer convenablement.
Alors, elle tira tout doucement, inhala profondément et produisit quelques ronds de fumé avant de soupirer de bien-être, levant légèrement la tête pour ne pas enfumer son employeuse et envoyer tout cela au plafond.

— Merci, vous êtes bien charitable, souffla-t-elle avec un sourire satisfait. Roooh, "pauvre" espion, tout de même, ma dame, il est sans doute assez vaillant pour supporter les représailles d'une pauvre femme sans défense, plaisanta-t-elle avec un léger sourire en coin.

L'ancienne pirate suivit alors du regard la comtesse lorsque celle-ci se dirigea en direction d'un large fauteuil d'allure très confortable. Puis, elle vint se mettre devant-elle et alla s'asseoir sans cérémonie en tailleur sur le sol, une main sur un genoux, le coude sur l'autre, tenant sa pipe d'un air décontracté alors qu'elle en tirait une nouvelle bouffée.
Elle écouta donc attentivement ce que lui racontait la di Maldi en hochant la tête par intermittence, mordillant le bout de sa pipe d'un air songeur.

—Une mission d'investigation et d'espionnage, oui, c'est dans mes cordes... souffla-t-elle en même temps qu'un petit nuage de fumé. Par contre, monsieur tête brûlé, au propre comme au figuré, risque de me gêner. Et je ne parle pas seulement du fait qu'on ne risque pas de s'entendre, affirma-t-elle en haussant un sourcil. Mais si je dois user de ruse ou de déguisement, il risque de faire foirer le truc. Et puis dans le milieu d'où je viens, on apprend très vite à ne pas faire confiance à un camé.

Elle tira de nouveau très délicatement sur sa pipe et soupira ensuite un léger nuage par ses narines, observant la réaction sur le visage de sa cliente en levant légèrement les yeux dans sa direction, passant doucement sa langue sur son palais d'un air songeur. Elle ne devrait certainement pas s'amuser à la contrarier, elle devrait donc jouer finement. Cependant, elle préférait finir à moitié brûlée plutôt que de se lancer dans un mission délicate avec un boulet aux pieds en lequel elle n'avait pas confiance. Le grand problème des nobles étant qu'ils n'avaient aucune idée de comment les choses se passaient réellement sur le terrain.

—Et puis, il me semble qu'avant que je ne l'envois dormir, il protestait vivement contre votre décision de m'engager, précisa-t-elle à voix haute. Et un "serviteur loyal" qui se permet de parler de cette manière à celle qu'il est sensé servir...? ajouta-t-elle avant de fait tiquer sa langue plusieurs fois comme seule réponse. Vous avez certainement un autre sous-fifre plus commode qui pourra mieux tenir le rôle de me surveiller, proposa-t-elle avec un sourire diplomatique. Un beau garçon de préférence, ajouta-t-elle comme pour détendre l'atmosphère.

« Alors soit. Dans trois jours, au port. Tu aurais le choix parmi une dizaine d’hommes. Prends celui qui te plaira mais les dix partent en Estrévent, l’assommé avec. » La comtesse chassa ensuite l’espionne de la main, l’invitant « gentiment » à se barrer de sa vue. L’invitée fut alors raccompagnée dehors, par une sortie qu’on prit soin de lui dissimuler sans qu’on ne lui demande spécifiquement la permission. La jeune femme se réveilla au port et allait sans doute se demander si cette entrevue avait réellement existée ou non.

Le soir du troisième jour, un bateau fut amarré à l’écart des autres, sur celui-ci on pouvait apercevoir une silhouette familière ; Victoria qui briefait les hommes qu’elle était sur le point d’envoyer au cul de celui qui avait osé fournir ces maudits bateaux à ces maudits Naëlissiens.

L’espionne fut cordialement invitée à écouter avant que la Comtesse ne les abandonne à un sort bien moins incertain. A l’aube, le vent dans les voiles porterait le navire en Estrévent.

HRP: