[Cri des Premiers ralliements |Berges d'Uraal] Les heures avant la Grande Chasse

Oglicos de la Sixième ennéade de Bàrkios
Dixième année du Onzième Cycle

Des ennéades durant tu avais rassemblé, tu avais exhorté, tu avais appelé, tu avais voyagé, tu avais à la fois appris et enseigné. Des ennéades durant tu avais revu ta vision des choses, une fois, deux fois, médité ton approche, demandé conseil, refusé des conseils et accompagné des initiatives. Pendant des ennéades tu t’étais fait autant porter en gloire que grossièrement insulter,  mais le résultat était là. Ils étaient là. Les ambassadeurs des clans. Non loin de là où s’étaient réuni les Premiers des clans d’Alëandir, ceux qui furent la plus audible de tes voix à travers la forêt, sur les berges de l’Uraal, devant la carcasse renaissante de Tòchi, s’étaient rejoints ceux qui seraient tes Capitaines et tes Lieutenants. L’heure était proche. Bientôt les Ornedhels élimineraient la face de la menace sombre de l’intérieur d’Anaëh.

- Frères ! Sœurs ! ta voix claire résonnait comme un claquement de cymbales à travers la clairière Nombreux sont ceux d’entre vous à avoir traversé forêts et montagnes pour qu’ait lieu ce jour. Nombreux sont ceux d’entre vous à laisser derrière eux un clan blessé, résignés à ne peut-être jamais plus avoir l’occasion d’en panser les blessures. Nombreux sont ceux d’entre vous qui malgré leur ferveur craignent qu’arrive demain, car demain ils marcheront vers l’inconnu. Mais en cela frères, sœurs, vous êtes forts ! Et c’est cette force qui vous portera jusqu’au jour béni de La Mère où la Symphonie résonnera à nouveau d’une mélodie resplendissante jusqu’aux frontières de l’Annon ! C’est grâce à cette force que vous rentrerez auprès des vôtres en vainqueurs ! Car oui, mes frères, mes sœurs, nous vaincrons ! tu  poses un instant durant un regard paternel sur le reptile juché sur ton épaule, dont la solennité n’a d’égal que la tienne, et à cela il répond en quittant son support pour t’accompagner de la démonstration de force qu’est un vol stationnaire assuré Pour l’éternité nous nous ferons les Gardiens de La Prime Œuvre ! Pour l’éternité nous nous érigerons en Gardien de la Vie et de son berceau ! Aujourd’hui mes frères, mes sœurs, soyons un à nouveau. Que les clans s’apprennent et se prennent la main, car nous sommes Légion, mais nous sommes Un. Car si nous sommes Les Clans, nous sommes aussi Le Premier Peuple ! Les enfants de La Mère !  tes bras s’écartent et tes mains se lèvent, emportant de larges masses d’eau serpentiformes de l’Uraal, se tressant entre elles comme un millier de couleuvres l’hiver venu, en un symbole que tous connaissaient – Cam en-Kÿria – La Main Alcar sé Hiril Lothren !

La clameur monte à ta suite, quelques dizaines de voix sonnant comme un millier, et alors l’onde dans un impressionnant fracas retrouve sa place dans les flots du lac. Tu quittes ton piédestal d’un bond, pour personnellement partir à la rencontre des ambassadeurs. Tu en reconnais la majorité, pour les avoir croisé au cours de ton pèlerinage. Il n’est qu’une poignée de visages qui te soit étrangers, car ceux-là sont ceux qui viennent de l’Ouest, les Souffles confiés par l’élan de Malereg. Pendant quelques jours, ces gens mettraient de côté les différends qui les opposent, apprendraient leurs rituels respectifs, apprendraient leurs histoires respectives, apprendraient à combattre ensemble, et quand viendrait le moment du début de la battue, alors ils les porteraient auprès de leurs camarades restés en recul.

Quand viendrait le moment du début de la battue, vous chasseriez comme une seule meute ; mais tu osais espérer qu’une fois la chasse terminée et la meute dispersée, que ses membres se rappellent et chérissent le temps où ils ne furent qu’un, et aspirent à retrouver cette symbiose. Qu’ils aspirent même à étendre un jour cette symbiose à ceux qui se cachent derrière les murs. Que l’on ne puisse plus dire du peuple Anedhel qu’il n’est solidaire que dans l’adversité.

Ton nom en tant qu’hérault de Mëlien est Ruthwentë, le fleuve de colère ;
Mais ta colère est juste et tes eaux bien que sombres sont pures ;
Si tes flots sont tumultueux, si tes remous ont vite noyé les intrus qu’ils auront piégé ;
Tu n’en es pas moins porteur de Vie.

Les pointes de lances fendaient l’air avec une agressivité telle que l’on n’aurait pas imaginé qu’il ne s’agisse que d’un entraînement. Les adversaires étaient tous deux à la fois assez fiers et assez virtuose de l’art guerrier pour se permettre d’impunément prendre des risques avant même que leurs lames ne trouvent les directions des cœurs de leurs véritables ennemis. Le premier à se laisser ne serait-ce qu’effleurer, le premier qui afficherait une égratignure serait le perdant, et nul doute qu’aucun des deux n’aient envie de se laisser saigner.

- Tu es bon, très bon, on ne peut pas te le retirer. Le chef de guerre des Tava’Mëar de Daranovar fixait celui des elfes du Baar’Ana avec un rictus satisfait au visage Mais tu manques de tempérance. Un chef se doit d’avoir les idées claires en tous temps, même les plus durs.
- Lorsque l’on se bat pour tuer, la tempérance peut vite devenir une faiblesse. Les choses en auraient été autrement s’il on était de véritables ennemis.

Le Gardien Voronwë, nageant aussi profondément dans la sueur que son adversaire, malgré sa défaite, gardait la tête haute et le torse gonflé. Trop orgueilleux pour admettre avoir été surpassé, d’autant plus que le duelliste lui faisant face était de presque un siècle son cadet, il attendrait certainement les prochains jours pour prouver litre de sang après litre de sang Drow versé, sa supériorité. Mais pour l’heure, il se contenterait de faire face à la retenue vantardise du guerrier Daranovan par une pincée frustration. Il n’était pas après tout de meilleur allié pour ces deux elfes qu’un féroce compétiteur.

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Sous les yeux abasourdis d’un jeune adulte, le poisson s’échouait maladroitement sur la berge, avant que le regard souriant d’un frère d’apparence tout aussi jeune que le Maleregeois, mais dont le regard luisait de la sagesse qu’apporte l’âge n’attire son attention. Le Premier du Pan’Mera ne fit pas plus souffrir la créature avant de la rendre à l’eau à laquelle elle appartient, tandis que les questions s’accumulaient dans l’esprit du second.

- C’est de la magie de l’esprit c’est ça ?
- Exactement. Le sorcier réajusta sa coiffe et serra son bâton un peu plus fort Il n’y a pas de meilleur appât que celui que se choisit le poisson.
- Et c’est comme ça que vous pêchez ?
- Et non ! Les miens pêchent à la sarbacane, de manière tout à fait traditionnelle. La magie de l’esprit nous sert à par contre à guider les poissons d’Evertem lors de certaines célébrations.

Sans plus attendre, à ces mots le même poisson revint, animé d’une frénésie artistique nouvelle. D’abord quelques étranges formes décrites sous la surface, puis des sauts de plus en plus organisés, jusqu’à ce que le tout se brode en un virevoltant ballet d’écailles scintillantes et de gouttes d’eau. Le spectacle s’étala durant quelques courtes minutes, après quoi l’animal, libéré de l’emprise du mage, ne se pressa pas plus que de commune mesure de s’éloigner.

- Tu contrôles son esprit pour qu’il fasse tout ça ?
- Non, rien de si drastique. Je lui souffle une idée, et c’est à lui qu’il revient de la mettre à exécution ou de s’en aller ?
- Mais du coup, ce n’est pas gênant pendant les festivals ?
- Au contraire. Les poissons sont des animaux à la pensée plutôt simple. S’ils n’ont aucune raison de se soustraire, alors ils participent. Et comme ça, aucun animal trop fébrile ne se retrouve épuisé contre son gré. Le visage souriant se tourna vers celui du plus jeune Et chez les tiens ? À quoi ressemblent les célébrations ?

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Une sombre basse emplit l’air aux abords du lac, faisant peser les graves accords de sa mélodie sur les cœurs des elfes présents. Le corps est saisi jusqu’aux tripes, pris comme d’une soudaine léthargie, alors que l’autoritaire voix impose sa chaude présence.
Un oiseau chanteur vient danser autour du son massif, sifflant et soufflant de perçantes notes claires comme le cristal. Egaye-t-elle la première mélodie cette soprane, ou ne fait-elle qu’ajouter à la détresse en ne trouvant pas véritable appui dans les ténèbres de son camarade chanteur ?
Mais ensemble en contrepoint, deux autres viennent en renfort. La sulfureuse voix féminine et le clair timbre masculin échangent leurs lignes comme s’ils ne furent en réalité qu’un seul être à la pensée confuse, dans une éperdue recherche d’un moyen de soutenir l’envolée d’un oiseau.

Et à quatre vous vous opposez, vous vous rassemblez, échangez vos parts avec ceux qui le peuvent. La basse s’amuse parfois à chercher les médiums de ton ténor. Tu glisses un défi à la soprane dans son territoire d’altitude, tandis que votre mezzo joue de sa volupté pour à défaut de basse, se contrefaire baryton. Vous jouez, vous vous amusez, vous communiquez, vous communiez, d’une manière que seule autorise la musique, dans un concert à l’image de ce que vous décririez chacun de la Symphonie.

Il semblerait que ce n’est que lorsque l’orage gronde et avant que la pluie et la foudre ne s’abatte, que le quasi secret fait de ton timbre de voix n’éclate.