Les dangers de la magie [PV Haldren/Mac]

Depuis trois ennéades maintenant, la vision que Mac possédait du monde des ombres avait changé. Si son esprit était conditionné à comprendre la magie mieux que quiconque, elle avait découvert que ce qu'elle croyait connaître de son propre monde était bien loin d'être complet. S'il était normal qu'elle en ait appris très peu de la part des elfes, les raisons qui avaient limité son apprentissage au Puy lui étaient inintelligibles. Elles étaient pourtant évidentes aux yeux de son entourage... Le maître de la petite elfe avait tout fait pour garder le plein contrôle de son esclave. Il n'allait certainement pas lui montrer qu'elle pouvait s'affranchir de lui aussi aisément qu'en disparaissant dans un autre plan ou en l'y envoyant lui-même...
Mais Mac ne toucherait jamais à un cheveu de Don'dar... Pas plus qu'il ne lui viendrait à l'idée de le quitter sans qu'il l'ait autorisé au préalable. Leurs idées n'avaient aucun sens à ses yeux.

Une fois remise sur pieds après la blessure que lui avait causé une ombre en s'échappant, Ciryië fut conviée à retourner à Alëandir en accompagnant les académiciens venus pour l'aider à étudier le cas de la drow. Ils devaient consigner toute leur démarche, leurs réflexions, leurs hypothèses, les observations de la jeune mage des ombres, les informations obtenues de la sombrelfe... Tout cela afin de garder une trace de cette expérience et du danger que représentait ce plan parallèle, de part l'usage que l'on pouvait en faire mais aussi à cause de ce qui l'habitait. Pour cela, ils avaient besoin de Ciryië pour prendre en note ses observations et remarques. Sachant que Neraën était passé à Alëandir il y avait peu de temps, la petite elfe ne s'était pas faite prier pour accepter. Elle espérait l'y croiser ou, tout du moins, obtenir des nouvelles de lui plus aisément que si elle était restée à Ardamir.
Après une dizaine de jours, leur voyage touchait à son terme. Ils n'étaient plus qu'à quelques heures d'arriver. S'ils avaient pu, ils auraient achevé leur route la veille mais il leur aurait fallu marcher dans le noir pour arriver en pleine nuit. Cela ne gênait guère Macabre mais elle était bien la seule... Ils s'étaient donc arrêté à tout juste trois heures de la cité. Dès l'aube, tout le monde ouvrit les yeux, pressés qu'ils étaient de rentrer chez eux pour retrouver leur lit, leur toilette, des aliments frais ainsi que le confort de leur foyer. Olorin et Ciryië furent chargés d'aller remplir les gourdes. Ils s'éloignèrent donc et marchèrent jusqu'à ne plus voir leur campement et ne plus entendre les voix de leurs compagnons. Après plusieurs minutes supplémentaires, ils finirent par percevoir le bruissement d'un petit ruisseau et s'en approchèrent. Ils remplirent quelques outres mais il y en avait trop pour espérer faire le retour en une seule fois lorsqu'elles seraient toutes remplies. C'est qu'ils étaient plus d'une dizaine...

-Je vais faire un premier aller-retour. Je te laisse finir de remplir les gourdes, je reviens.

Mac hocha simplement la tête pour signifier qu'elle avait compris puis regarda son ami s'éloigner quelques instants avant de reporter son attention sur sa tâche. Il n'était guère surprenant qu'il fasse lui-même le trajet. Après tout, ses épaules étaient bien plus solides et, contrairement à elle, il saurait retrouver le chemin de leur campement sans encombres. Il aurait été dommage qu'elle se perde si près d'arriver.

Tandis qu'elle reposait la gourde qu'elle venait de fermer, un frisson imperceptible lui parcourut l'échine. C'était une sensation qu'elle connaissait bien et qu'elle avait senti plus d'une fois depuis leur départ d'Ardamir. Chaque fois lorsqu'elle était un peu plus isolée que d'habitude. Quelque chose l'observait... La guettait... Et, maintenant qu'elle y était, elle comprenait que la chose attendait qu'elle soit seule pour agir. Car il était évident à présent qu'elle était plus proche que les fois précédentes.
Délaissant son ouvrage, Mac se releva lentement et observa la forêt alentour. La logique aurait voulu que ce soit un animal. Mais pourquoi la traquerait-elle, elle ? S'il venait d'Ardamir, pourquoi la suivre aussi loin de son territoire ? C'était incohérent... Et, pour l'instant, elle avait beau chercher, elle ne voyait ni n'entendait rien lui permettant de trouver et d'identifier ce qui la fixait avait tant d'instance.

-Grrrmf.

La petite elfe se retourna subitement.
Rien. Rien à voir... Rien à entendre... Pas un mouvement, pas une branche qui frémissait, pas une feuille que l'on froissait...

-Grrrrrrrrrrrr...

C'était là, derrière l'arbre centenaire. Elle le sentait en approche, ses yeux rivés sur elle, près à bondir. Mais elle ne le voyait toujours pas... Courir aurait était comme un signal pour lui qu'il était temps de lancer la charge. Alors elle ne bougeait pas, attendant qu'il finisse par se révéler à elle, profitant de ce calme avant la tempête pour rassembler sa concentration et s'ouvrir aux flux. Finalement, Mac crut voir quelque chose. Comme un mouvement dans la pénombre accolée à l'arbre. Elle plissa les sourcils pour affiner sa vue. Après un moment, une forme sembla se distinguer en se détachant du fond de nature. Comme si elle ne faisait pas partie du paysage...
Lentement, elle devint de plus en plus nette et pourtant confuse. Une masse apparaissait peu à peu devant elle mais sans qu'elle parvienne à définir s'il s'agissait d'un bipède ou d'un autre animal des bois. A dire vrai, elle ne semblait même pas faire partie du monde qui l'entourait.

Le dos de Ciryië se tendit alors qu'elle comprenait enfin...
Cette chose n'était pas un animal. Elle n'aurait même pas dû pouvoir se trouver là. Et le fait qu'elle veuille s'en prendre à elle était prévisible en fait.

Soudain, la chose fit un pas en avant en poussant un rugissement plus que sonore. Mac comprit le message et ne chercha pas à rester là une seconde de plus. Elle fit volte face et prit ses jambes à son cou. C'était bien la première fois qu'elle faisait face à un adversaire manipulant le même art que le sien. Elle ne pourrait pas espérer la distancer ou lui échapper en passant par les ombres, la chose pourrait la suivre sans le moindre effort.
Il lui fallait trouver une idée nouvelle, et vite.

Alors qu'elle courrait, elle distingua un mouvement plus avant. Anticipant l'assaut de la créature, elle tira une ombre devant elle. La bête n'eut pas le temps d'esquiver et sauta dans le piège pour être envoyée directement à la sortie... Face à un arbre. Le tronc du vieux chêne frémit sous le choc qui retentit tel un gong de bois tandis que la petite elfe courrait toujours pour s'éloigner du monstre, espérant échapper à sa traque. Mais sa tentative pour assommer son poursuivant ne suffit pas. A peine trente seconde plus tard, elle aperçut quelque chose bouger sur sa gauche. Elle étira une nouvelle ombre mais, cette fois, la créature ne se laissa pas avoir et déjoua le piège. Au lieu de se laisser transporter ailleurs, elle passa tout simplement au travers. Mac eut tout juste le temps de s'étaler sur le sol pour esquiver la bête qui atterrit une dizaine de pas plus loin. Elle se retourna vivement vers la créature et, pour la première fois, elle put la voir vraiment.

La chose faisait deux fois sa taille. Elle se tenait sur deux membres mais elle n'avait pour autant pas la forme d'un bipède pensant. Son dos était démesuré et courbé tel un bossu. Elle possédait l'équivalent de deux bras, chacun se terminant pas deux pics au lieu de mains. L'un était si long que les deux pics de sa "main" touchaient le sol sans qu'elle ait besoin de se baisser.

Comment était-elle censé se débarrasser de cette créature ? Sa forme intangible ne l'avait pas protégée la dernière fois... Une ombre pouvait en toucher une autre...

A peine relevée de sa chute, le monstre se tourna vers la petite elfe qui se retourna prestement pour se remettre debout et reprendre sa course. Il la suivit dans un rugissement de rage et partit à sa poursuite. Mac le savait encore à plusieurs sauts d'elle lorsqu'elle sentit pourtant un coup sur son côté gauche. Le bras étiré de la bête la balaya telle une feuille et elle s'envola directement contre un arbre. Probablement un simple retour des choses... A ceci près que la petite elfe était bien moins solide que son assaillant.
En grande partie sonnée, Ciryië n'eut pas le temps de réagir. La créature la saisit et la plaqua contre le tronc, la coinçant avec sa "main". Sa frêle victime avait à peine conscience de son contact.
Pas plus qu'elle ne réalisait le grondement qui s'approchait lentement d'elle...

Le tir était précis et efficace, un jet concentré balayant tout sur son passage. Feuilles et brindilles ne pouvaient soutenir le choc et s'agglutinaient en tas humides, vaincues par la puissance du flux doré. Ainsi se rejouait le ballet éternel de l'humanité contre la Nature, cette dernière toujours vaincue au moment du duel mais qui pourtant se relèverait inévitablement au bout de quelques heures lorsque les chauds rayons du soleil auraient épongés toute trace du combat.

Alors s'éleva le chant de victoire du grand fauve :

Le régent de l'Anaëh a les baloches qui pendent !

Un écureuil à la queue touffue qui assistait à la scène sursauta et fit volte face pour se réfugier dans les branchages.

Et quand il s’assoit dessus...

Les deux lapins qui se frottaient le museau non loin de leur garenne y plongèrent aussi vite que si un renard affamé s'était précipité vers eux.

...ça lui rentre dans le c** !

Satisfait, Haldren "Hecil" Baenfere, archimage millénaire et ancien Triumvir du Puy d'Elda, se secoua vigoureusement le service trois-pièces pour en arracher les ultimes gouttes de pisse avant de rabaisser sa modeste bure fournie par les prêtres de Kÿria. Soulagé d'avoir pu vider sa vessie encombrée par un léger abus de boisson avant son départ pour cette promenade dans la forêt, il reprit son chemin en sifflotant un air grivois. Depuis quelques ennéades, ces ballades au milieu des arbres aux alentours de la capitale était devenu un rituel pour l'eldéen repentant qui admirait la luxuriance de la végétation en comparaison des stériles terres de l'Est l'ayant vu naître tant de siècles auparavant.

L'hybride ne se sentait toujours pas totalement en osmose avec l'Anaëh, conscient de n'être encore qu'un intrus que les autorités politiques et religieuses d'Alëandir toléraient pour ne pas se faire taxer d'antidrowisme primaire. Il voyait bien dans leurs yeux la crainte mal dissimulée, le mépris difficilement contenu, voire la haine à peine cachée envers un ennemi venu à contrition. Cela l'ennuyait certes un peu mais sans l'alarmer outre mesure, Haldren demeurant bien conscient que sa seule présence pouvait causer des troubles au sein d'une société ancrée dans des traditions millénaires. Il lui faudrait du temps pour être accepté, mais les races immortelles savaient accorder toute sa valeur à la patience. Fort heureusement, peu d'elfes connaissaient sa véritable identité, la version officielle ayant été donnée par Halyalindë le désignant comme un hybride d'Ithri'Vaan venu se recueillir auprès de ses racines,

Ce qui était la vérité "d'un certain point de vue", comme aurait fort justement dit un vieux sage barbu.

Ce jour-là cependant quelque chose triturait l'esprit de Hecil. Une présence, une sensation, une aura ténébreuse qui rôdait non loin de là et qui lui rappelait des souvenirs datant du C'nros lorsque nombres d'invocations maléfiques rôdaient dans les couloirs de l'immense bâtisse où les drows formaient leurs mages de guerre. Cette aura ressemblait étrangement à celles des créatures que l'archimage arrachait au plan des Ombres pour le servir, d'où sa légitime surprise car à sa connaissance les elfes n'étudiaient pas les sortilèges nécessaires à la réussite de telles invocations. Intrigué, Hecil se dirigeait donc vers la source de cette aura.

Plus il approchait plus l'aura se renforçait, mais il entendait également des bruits audibles par ses seules oreilles : course effrénée, branches brisées, coups sourds. Inquiet, l'hybride pressa le pas et se mit finalement à courir en zigzaguant entre les arbres. Même s'il ne se sentait plus aussi pataud que durant ses premiers jours dans l'Annon, Hecil manquait de l'adresse d'un véritable natif et lorsqu'il arriva dans une petite clairière son souffle était devenu rauque. Là, il vit une créature de cauchemars qui maintenait une jeune elfe contre un arbre et s'apprêtait sans guère de doute à lui faire passer un sale quart d'heure.

Arrête !

Par réflexe, Haldren avait parlé en langue drow comme quasiment à chaque fois qu'il employait sa magie. Mais l'ordre prononcé à haute voix n'était pas seulement oral, il s'accompagnait d'une injonction mentale attaquant directement l'esprit bestial de la créature.

Recule... recule...

Le monstre bossu poussa un rugissement de colère mais se vit forcer d'obéir et reculant de plusieurs pas, ses yeux ténébreux fixant avec une haine d'égale intensité sa victime et le nouveau venu. Sans relâcher l'étreinte  magique qui tenait en respect la créature d'Ombres, Hecil s'approcha de la petite elfe qui reprenait péniblement ses esprits. Abandonnant la langue drow qu'elle ne comprendrait probablement pas, l'hybride repassa à l'elfique pour lui demander :

Qui es-tu, jeune fille ? Et que s'est-il passé  ici? Pourquoi cette créature t'attaque-t-elle ?

Mac aurait été bien incapable de dire si elle avait ressenti quoi que ce soit de la proximité de la créature, si ce n'était la pression qu'il exerçait sur son corps pour la plaquer contre le tronc. Un souffle ? Une chaleur ? Une haleine ? Jamais elle ne saurait répondre à de telles questions. A peine consciente, elle ne réalisa même pas ce qu'il se passa sous ses yeux et à portée de ses oreilles. La voix qui s'éleva n'était qu'un cri très lointain et qui revenait frapper les parois de son crâne dans un écho interminable. Elle ne perçut pas le reste et sentit à peine la chute de son corps contre le sol tandis que la bête la relâchait.
Le choc la fit néanmoins réagir. Étalée sur le ventre, en appui sur ses avant-bras, elle releva la tête pour regarder autour d'elle. Ses yeux distinguèrent une forme qui se mouvait dans le brouillard. Qui s'approchait. Après une éternité, elle eut un mouvement de recul, passant sur le côté puis sur les fesses pour reculer en poussant sur ses pieds et ses mains. Elle le voyait sans le voir... C'était encore trop flou. Elle savait néanmoins qu'elle ne connaissait pas cette silhouette. Cette voix non plus...

La petite elfe secoua la tête, comme pour s'éclaircir la vue. Curieusement, cela eut l'air de fonctionner. A la stature, aux couleurs et à l'allure de l'inconnu, elle comprit que c'était un elfe des cités.

Et la créature ? Où était-elle ?

Mac la chercha aussitôt du regard et distingua sa forme à quelques pas d'elle, immobile, grognant tout son sou de mécontentement. Ce n'était pas elle qui l'avait arrêtée... Et la chose ne l'aurait pas fait d'elle-même après toute la rage dont elle avait fait preuve, surtout au moment où elle tenait sa vengeance contre celle qui lui avait accidentellement permis de s'échapper.
Ciryië se retourna aussitôt vers l'elfe. Cela ne pouvait venir que de lui... Mais comment était-ce possible ?

-Il n'y a pas de mage des ombres dans la région... Constata-t-elle à voix haute comme si cela pouvait expliquer toute sa pensée.

Quelque soit la langue dans laquelle il lui avait parlé, elle n'aurait de toute manière pas entendu ses mots, sonnée comme elle était à ce moment-là. Mais, quelques secondes plus tard, elle reprenait suffisamment ses esprits pour parvenir à écouter et à communiquer. Encore fallait-il qu'il comprenne la langue qu'elle maniait... La majorité des elfes ne parlait pas l'olyian, seule langue qu'on lui conseillait de parler en Anaëh.
En même temps, il lui aurait été plus difficile encore de trouver quelqu'un qui parlait drow en ces terres...

Haldren fut surpris d’entendre la petite elfe s’exprimer en olyian, langue pourtant quasiment jamais usitée en Anaëh à sa connaissance. Non pas que les elfes soient des ignares en matière de dialectes étrangers, mais la tendance autarcique de ses nouveaux frères les incitait à n’employer que la langue elfique aux douces sonorités. En ajoutant à cela que la petite elfe se remettait à peine d’un traumatisme et qu’en pareil cas les langues maternelles viennent naturellement aux lèvres, il n’était pas nécessaire de faire appel à un grand détective pour deviner qu’il s’agissait de quelqu’un ayant une histoire sortant de l’ordinaire.

Je ne pensais pas entendre quelqu’un utiliser l’olyian ici, répondit-il dans cette même langue. j’en déduis que tu as vécu ailleurs qu’en Anaëh. Mon nom est Hecil, je suis arrivé à Alëandir il y a peu de temps. Et toi, qui es-tu ?

Derrière eux, la créature se remit à grogner et à gratter le sol de ses griffes aiguisées comme des rasoirs, frustrée de ne pas pouvoir s’attaquer de nouveau à sa proie. D’un claquement de doigt agacé, l’archimage fit apparaître un portail d’Ombres qu’il désigna d’un geste autoritaire. Sur le visage bestial du monstre se mélangeait la colère d’être asservie et le soulagement de pouvoir retourner dans son monde natal, loin de cette étrange forêt où il se sentait mal à l’aise. Après avoir une dernière fois foudroyé Macabre du regarde, la créature obéit à l’injonction mentale et passa le portail qu’Haldren referma aussitôt derrière elle pour éviter qu’un nouvel intrus ne tente de le traverser.

Tu as raison, il n’y avait pas de véritables mages d’Ombres en Anaëh avant mon arrivée, pour autant que je le sache en tout cas. Mais comment connais-tu cette magie que bien peu étudient à l’académie d’Alëandir ? Et pourquoi cette créature te poursuivait-elle ? Son invocateur l’a lancé à ta poursuite ?

La présence d’un mage apte à amener sur Miradelphia de telles créatures issues des Ombres s’avérait fascinant. Haldren n’en avait croisé qu’un seul depuis plus d’un siècle… Ethan, le Prime Joaillier avec qui il avait travaillé près d’une décennie auparavant sur les portails permettant de traverser les barrières intangibles entre les univers. L’existence parmi les elfes de l’Anaëh d’un autre pratiquant des arcanes apte à briser ces barrières promettait de longs débats passionnants ! Seul petit bémol : si le gaillard s’amusait à lancer ses invocations aux trousses des fillettes, cela laissait supposer un caractère plutôt sadique assez surprenant parmi les elfes.

Ou alors…

Ou alors il s’agissait d’une créature sans contrôle invoquée par erreur ? Dans ce cas, le fou qui osait jouer avec les règles de la réalité sans pouvoir en maîtriser toutes les conséquences allait recevoir un sermon « made in Haldren » pour lui apprendre l’importance d’agir avec de multiples précautions lorsque l’on repousse les limites connues de l’art des arcanes.

L'elfe lui répondit en Oliyan, ne semblant pas éprouver la moindre difficulté à pratiquer cette langue. Peu d'elfes parlaient d'autres dialectes que le leur. Seuls ceux qui étaient amenés à communiquer avec l'extérieur d'Anaëh se donnaient la peine de faire cet apprentissage, que ce soit pour commercer, pour la politique ou simplement la lecture d'ouvrages étrangers. Un mage, surtout un pratiquant des ombres, y était plus ou moins contraint par la force des choses, ses camarades académiciens ne pouvant que pauvrement l'aider dans son enseignement.
L'homme se présenta et lui demanda d'en faire de même. On lui demandait son nom... Encore... Et elle ne savait toujours pas comment répondre à cette question. Elle avait beau connaître son histoire et ses origines désormais, il lui restait difficile de l'assimiler pleinement tant elle avait passé de temps sans identité.

-On m'appelle Ciryië. Finit-elle par répondre avec une prononciation exécrable de son propre prénom.

Elle commençait à y voir plus net alors que la créature continuait de pester un peu plus loin. Avec une maîtrise parfaite et un autorité certaine, le dénommé Hecil ouvrit une brèche à même l'univers de la lumière et renvoya la créature d'où elle venait. Devant une telle facilité, Macabre se leva d'un bond et recula de deux pas pour prendre ses distances avec l'inconnu. La tête lui tourna immédiatement et elle dut prendre appui sur le tronc abîmé par la bête pour se maintenir debout. Le portail refermé, elle dévisagea l'homme, comprenant qu'il ne s'agissait pas d'un simple mage... Lui-même l'avoua presque en déclarant qu'il n'y avait pas de véritable mage des ombres avant son arrivée. Il était donc aussi étrangère qu'elle sur ces terres, ce qui expliquait qu'il connaisse le plan des ombres. Cependant, son aisance laissait entendre qu'il était plus qu'un arcaniste lambda.

-Beaucoup de questions.

Oui, il en posait beaucoup. Un peu comme Neraën. A tel point qu'elle ne savait plus à laquelle répondre. Mais il y en avait beaucoup qui entourait cet homme aussi. Trop pour qu'elle arrive à toutes les citer.
Son regard jongla quelques fois entre le portail à présent clos et celui qui l'avait créé. Il avait balayé la question comme il aurait chassé une mouche qui volait autour de sa tête. Cela avait l'air si facile pour lui... Il était pourtant difficile pour la petite elfe d'estimer le niveau de maîtrise de ce mage tant elle en connaissait peu.

-Je ne voulais pas qu'elle vienne. Ni les autres. Pas elles.

Ciryië, répéta à voix basse Haldren comme pour retenir ce nom.

Dans le genre peu bavarde, la petite elfe s'imposait comme une spécialiste car elle ne répondit pas directement aux questions de l'archimage, expliquant juste qu'elle ne voulait pas que l'ombre vienne. Ni les autres ? Les propos sibyllins rendaient leur interprétation malaisée et l'hybride se gratta la tête avec perplexité.

Les autres, quelles autres ?

Entre une elfe peu bavarde et un ancien eldéen qui l'était trop (tout du moins aux dires de tout ceux interrogés en son absence), établir une conversation ne s'annonçait pas des plus faciles. Il allait falloir comprendre les silences, remplir les non-dits, deviner les sous-entendus... toutes sortes de jeux de diplomates dans lesquels Haldren faisait preuve de la même subtilité qu'un éléphant en rut dans un magasin de porcelaine.

Mais un doute affreux venait de naître en lui en entendant parler des "autres". Si un portail avait été laissé ouvert, maintes créatures pouvaient envahir l'Anaëh et y causer bien des dégâts avant d'être maîtrisées. Posant ses mains sur les frêles épaules de la petite elfe et plongeant son regard d'émeraude dans le sien, l'archimage lui demanda d'une voix d'où tout amusement se trouvait banni :

Raconte moi tout ce qu'il s'est passé, Ciryië. C'est très important.

Groggy, Macabre n'eut pas le temps de réagir tandis que l'elfe s'approchait soudainement pour lui saisir les épaules. Elle se débattit aussitôt après avoir réalisé que l'homme était si près d'elle et qu'il la touchait. De ses bras, elle repoussa les siens afin qu'il la lâche, dans la mesure où il accepterait de se plier à sa volonté... Car, il fallait bien l'avouer, elle n'était pas de taille à lutter physiquement face à qui que ce soit. Si elle savait désormais comment dématérialiser son corps pour le transformer en ombre, cela lui demandait une concentration dont elle n'était pas capable en cet instant.
De toute façon, si l'elfe pouvait ouvrir un portail vers le plan des ombres en un claquement de doigt, cette manœuvre ne lui serait pas d'une grande aide...

-Pourquoi ? Qui êtes-vous ?!

Il lui avait dit son nom mais elle était bien placée pour savoir qu'une identité de faisait pas une personne. C'était une des raisons pour lesquelles elle ne comprenait pas l'acharnement que tous avaient à lui réclamer le sien... Et puis, en quoi cela pouvait-il bien le regarder ce qu'il s'était passé ? C'était elle qui avait été poursuivie par la créature évadée, pas lui. Le fait qu'il lui ait sauvé la vie ne lui donnait pas le droit de connaître toute l'affaire.

-MAC !!

La petite elfe tourna la tête à l'écoute de son surnom. Elle reconnut la voix sans le moindre mal mais ne répondit pas pour autant. L'appel se réitéra, un peu plus fort et, la seconde suivante, un jeune elfe portant l'uniforme bleu des gardes de Tethien apparut dans le champ de vision des deux ex-puysards. Dès qu'il vit la jeune elfe, ses épaules se relâchèrent et il prit le pas de course pour la rejoindre.

-ArKyriä... Mon sang s'est glacé quand je ne t'ai pas trouvé au ruisseau et que j'ai vu les traces au sol. J'ai eu du mal à les suivre d'ailleurs... Il s'arrêta à sa hauteur et se retint de poser la main sur elle. Tu vas bien ? Que s'est-il passé ?
-C'était une ombre.
-Une ombre ? Répéta-t-il plus surpris d'apprendre l'attaque que l'existence de l'ombre elle-même. Comment t'en es-tu sorti ?

Cyrië leva les yeux vers l'homme qui se tenait toujours près d'eux. Olorin découvrit alors le visage de celui qu'il n'avait fait qu'apercevoir à son arrivée. Dès que son regard s'était posé sur Macabre, il n'avait plus vu qu'elle...

-Vraiment ? Demanda-t-il pour confirmation.

Le jeune garde observa l'inconnu brièvement. Son apparence était un peu particulière mais il ne s'y attarda que brièvement. Il n'y avait qu'un mage pour parvenir à agir sur une telle créature. Du fait des compétences de sa protégée, Olorin connaissait les mages des ombres de la région et celui-ci n'en faisait pas parti à sa connaissance. Les seuls autres mages pouvant intervenir indirectement dans ce domaine étaient ceux qui maniaient la lumière, bien plus répandus. Il devait être de cela...

-J'ignore qui vous êtes mais je vous remercie d'être intervenu. Ses capacités ont beau être remarquables, elle est encore jeune. Merci.

HRP:

Traduction: