Un "votre Altesse" peut en cacher un autre [PV Glenn]

~ Au jeu d’échecs, les fous sont les plus près du roi. ~

Hanning, Mi-Karfias
Été de l'an 11.

- On l’appelle « le Balafré »
- « le Balafré » ? Et … Il est ici, à Hanning ?
- Oui, il est arrivé hier.  
- Où est-ce qu’il a l’habitude d’aller quand il vient en ville ?  
- Comme d’habitude, à « l’Auberge des couteaux tirés »  

Franco hocha la tête en signe d’acquiescement avant de laisser son interlocuteur. La grande différence avec la Péninsule c’était qu’ici tout se payait. A Soltariel, dans son duché d’origine, il avait pris l’habitude de rendre des services à ses amis et  de recevoir d’autres services en retour. Mais ici, tout se monnayait. C’était ainsi qu’était l’estrévent. Il n’avait pas payé cette information très cher mais tout de même …

Depuis quelques jours, le duc en exil cherchait à se renseigner sur le pays voisin de Naelis. Ayant eu d’abord un a priori négatif sur ces gens lorsqu’il vivait à Soltariel, il avait appris ici que c’était un royaume humain fier mais surtout en plein essor. Et qui disait essor disait opportunité pour les affaires. Les habitants des Sept-Monts avaient une vision mitigée de Naelis. Certains se sentaient proches de Naelis car le royaume offrait une éventualité d’avenir loin de l’oppression des Princes Marchands mais également  la forte population humaine des deux lieux les encourageait à se rapprocher l’un de l’autre. D’autres gens avaient été refroidis par l’action militaire récente des drows contre les Sept-Monts. La politique de l’ancien duc était de plus en plus décriée, surtout dans les campagnes qui avaient beaucoup souffert des pillages.

Franco s’était forgé sa propre opinion. Naelis était une belle opportunité de faire des affaires mais il ne voulait pas pour autant s’attirer les foudres des Princes Marchands. Ainsi, les choses devaient se faire discrètement mais efficacement. Et pour être discret et efficace, quoi de mieux que de contacter les personnes qui agissent dans l’ombre ? Sans plus attendre, il ne chercha pas à envoyer quelqu’un dans cette « Auberge des couteaux tirés », il s’y rendit de lui-même.  

L'intérieur de l'auberge des couteaux tirés

L’ambiance sur place était … Particulière. Entre les divers nuages de diverses fumées on pouvait croiser des groupuscules de personnes. Tantôt des brigands, tantôt des pirates, tantôt des bourgeois locaux … En fait, le gratin de chaque couche de la société était réuni ici. Drôle d’endroit pour Franco. Il ne cherchait pas à attirer l’attention, mais c’était difficile de passer inaperçu dans ce genre de lieu. Chacun avait un regard discret pour les nouveaux entrants. Il se demandait si en tant qu’associé de Kaichi il était assez important pour mettre les pieds ici. Au pire, si un souci se présentait, il avait toujours sa rapière fermement accrochée à sa ceinture.

Alors que le duc en exil serpentait à travers les tables, il cherchait du regard des personnes qui pouvaient être originaire de Naelis. La tâche n’était pas aisée, il ne connaissait pas particulièrement leur accent ni même leurs accoutrements traditionnels. La manière la plus simple de les trouver serait de demander à un des employés de l’auberge. Il s’approchait du comptoir lorsqu’un inconnu le saisi par le bras assez fermement.
- Suis-moi.
Franco se laissa faire. S’il devait se défendre, il saurait faire. L’homme qui l’avait attrapé ne le lâchait pas. Ils traversèrent ensemble la foule massée dans la taverne  pour atteindre une petite table ronde dans un coin de la salle autour de laquelle était assis quatre hommes encapuchonnés. On  aurait dit qu’ils étaient en train de converser tranquillement. L’un d’eux se leva et saisit le seul bras libre de Franco. Soudain, l’ex-duc prit un grand coup de genoux dans le bas du dos, ce qui le força à s’agenouiller.
- C’est donc toi le duc de Soltariel.
- Ou ce qu’il en reste.
Franco préférait ironiser. Il avait déjà traité avec des gens de cette trempe et il savait qu’il ne valait mieux pas leur montrer ses faiblesses.  
Un des trois hommes qui étaient restés assis prit la parole d’une voix rauque.
- Pourquoi cherches-tu « le Balafré » ?
- Pour faire des affaires avec Naelis. Mais je veux faire ça discrètement.
- Qui te dit qu’il est intéressé ?
- Je pense que le roi de Naelis serait curieux de me rencontrer. Disons que je me propose comme monnaie d’échange. Vous m’amenez devant votre roi, en échange vous pouvez lui demander toute sorte de faveurs.  
- Qui te dit que Glenn Hereon veut rencontrer par un déserteur comme toi ?
- Le fait que je sois l’ancien dirigeant du duché contre qui il est en guerre ? Que je peux lui apporter des informations capitales ?
- Qu’est-ce que tu veux en échange ?
- Vous vendrez les épices des établissements Kaichi & Frères dans votre Royaume. Et vous veillerez à ce que nos prix soient toujours concurrentiels.
Les trois hommes toujours à table se regardèrent à tour de rôle. Sans dire un mot de plus, les deux hommes qui tenaient Franco fermement l’aidèrent à se relever.
- Nous allons t’emmener à Naelis.

Franco parut légèrement surpris, tout allait si vite. Il ne pouvait pas disparaitre du jour au lendemain sans laisser de signe de vie.
- Donnez-moi un bout de papier et un crayon, je dois prévenir un ami.
Sans broncher, l’un des hommes de main s’exécuta.

Cléandre,

Je dois m’absenter pour quelques jours. Je suis en prospection pour la vente de nos produits. Je te laisse assurer mon remplacement.
Veille à ce que Kaichi n’oublie pas nos différents accords.

Franco

- Il faudrait remettre cela à mon ami. Je ne veux pas laisser mes affaires sans que personne ne soit au courant de mon départ.
L’un des hommes pouffa.
- Tu croyais vraiment te présenter à nous comme ça et que nous allions te relâcher dans la foulée ?
- Silence. A qui veux-tu que ce mot soit porté ?
- Demandez Cléandre, dans les appartements des Etablissements Kaichi & Frères, au-dessus du marché couvert du centre-ville.
- Ce sera fait.

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Naelis,
Quelques jours plus tard.

Le voyage jusqu’à Naelis avait été rapide, mais loin d’être de tout repos. Les hommes avaient chevauché nuit et jour sans jamais réellement s’arrêter. En un peu plus de deux jours, la capitale du Royaume de Naelis fut atteinte. Ils arrivèrent la nuit, ainsi Franco n’eut pas trop le loisir d’admirer le paysage. Il n’était jamais venu dans cette partie du monde et il était forcé de reconnaître que les environs lui plaisaient plutôt bien. Ici, le climat était agréable et doux une bonne partie de l’année. Pourtant, contrairement à la région thaarie, l’aridité n’était pas trop agressive et les cultures en abondance étaient possibles. D’extérieur, la ville de Naelis avait l’air assez imposante. Et ici le duc en exil retrouvait enfin quelques standards architecturaux de la Péninsule. Finalement, géographiquement il n’était pas si loin de sa mère patrie …
- Nous allons te conduire dans la Ville Haute. Normalement, tu n’as pas le droit d’y pénétrer sans accord alors … Reste discret.
- C’est noté.
- Nous allons te mettre en contact direct avec le roi. Tu peux lui raconter ce que tu veux, on s’en fout. S’il t’emprisonne, on s’en fout également. Nous avons déjà négocié avec les autorités ce que nous voulions négocier.

Franco se contenta d’acquiescer. Il avait conscience que la manœuvre qu’il était en train d’entreprendre était plutôt risquée. Mais il fallait savoir prendre quelques risques parfois en affaires …

La troupe qui accompagnait le duc ne exil se sépara à l’approche de la ville. Franco fut confié à un homme unique qui n’avait que très peu parlé pendant le voyage. Toujours dans le silence, il fut conduit pour entrer en ville. A travers divers es poternes plus ou moins secrète et divers passages entre des habitations, leur parcours les mena rapidement vers le cœur de la ville. Le grand brun était surpris de voir à quel point ces hommes semblaient maitriser de nombreuses choses ici. Les murs de Naélis n’avaient aucun secret pour eux. L’homme silencieux dut tout de même prendre la parole pour expliquer la suite des opérations au soltari.
- Je vais te conduire aux termes de la Ville Haute. Il est 22h et nous savons que le roi va s’y rendre pour se détendre après sa journée.
- Comment vais-je le reconnaître ?
- Tu le reconnaitras.
Franco ne posa guère plus de questions. Il suivi comme son ombre le Naelisien. Ils pénétrèrent ensemble dans l’enceinte des termes, toujours par une porte dérobée.

Pour la première fois depuis plusieurs jours Franco se retrouva enfin seul. Seul dans un lieu plutôt plaisant, il faut le dire. Le bâtiment était entièrement en pierre et très bien décoré. N’étant pas invité officiellement, il ne sut guère ou déposer ses vêtements et sa rapière. Il se déshabilla et les laissa dans un coin, à l’abri des regards. Il espérait que cela n’attirerait l’attention de personne.
Désormais dans son simple appareil, l’ex-duc de Soltariel déambula quelques instants dans les couloirs avant de tomber sur un immense bassin qui dégageait une fumée importante. Il faut dire que vu la chaleur estivale, il aurait été davantage attirée par une baignade dans une rivière bien froide, mais ça ne semblait pas à l’ordre du jour.

Franco s’avança et pénétra dans l’eau. Le contact fut brulant dans un premier temps mais devint rapidement agréable.  Il se laissa aller à ce moment de détente, même si ce n’était pas vraiment pour ça qu’il était ici. Etrangement, il n’avait croisé personne dans les termes. Est-ce que sa majesté demandait à se retrouver seul lorsqu’il venait ici ?

Franco aurait tôt fait de le savoir …

Franco ne s’en doutait pas, mais il était observé. Les espions du Roi avaient repéré son entrée dans la cité une fois parvenu à la ville haute. Il avait été convenu que les thermes soit le lieu de rendez-vous, mais aussi le lieu d’échange de bons procédé. Un dispositif discret, composé à la fois de chevaliers, sans leur armure, et d’agents avait été mis en place autour du bâtiment. Quand Franco entra par une porte dérobé, l’on relâcha de l’entrée principale deux prisonniers de haut vol auquel tenait fort le balafré. Glenn, quant à lui, attendait patiemment son invité dans le petit bassin. Il n’était pas seul. En effet, deux hommes bien battis étaient assis chacun d’un côté de la pièce. On était jamais trop prudent, d’autant plus en présence d’un homme que la rumeur disait amateur de phallus masculin. J’espère que ce n’est pas vraie, sinon me voilà pris au piège ! Qui a eu l’idée des thermes déjà ? Letwyn… Imbécile ! Franco, forcément attiré par la lumière dégagé par les braseros du petit bassin, fit son entrée.

- Drôle de manière de solliciter une rencontre, Franco di Celini, que celle de passer par mon ennemi juré. »

Le balafré était un rescapé de l’ancienne garde despote de Jervis, qui eut la main mise sur la cité de Naelis à la mort de Feriwyr Dreiv. Cette garde, inféodé aux drows, continua la politique de Dreiv en tyrannisant le peuple naelisien. Les centaures la massacrèrent en l’an 2 et les survivants rejoignirent directement les bas fonds de Naelis pour continuer d’y imposer leur loi. D’abord opérant de manière très violente, la pègre fut contraint de changer de méthode après de multiples échecs face aux légionnaires. Frôlant la capture, le balafré établit son nouveau quartier général à Hanning, profitant de la chute du Duc Kodratos. Rapidement, il s’imposa comme un nouveau patron des malfrats au duché des septmonts, tout en gardant la main mise sur le royaume de Naelis.

- Vous prenez des risques en venant ici, alors que vous êtes recherché en péninsule. Le vice-amiral Francesco vous traque depuis votre échappée de Nelen. Heureusement pour vous, je n’ai aucun moyen de faire le lien entre l’ancien duc de soltariel et le nouvel associé d’un marchand d’épice des septmonts qui fait croître son commerce de manière efficace. Néanmoins, je gage que vous n’êtes pas venu pour m’en vendre, n’est-ce pas ? »

Depuis la chute de Kodratos, Glenn avait renforcé la présence de ses agents en itrhi’vaan, essentiellement à Thaar mais aussi aux septmonts. La communauté humaine importante qui y vivait faisait du duché un partenaire intéressant pour naelis, mais c’était sans compter leur soumission aux princes marchands. Kodratos était trop fier, il préférait demander de l’aide à Serramire pour m’envahir que de me demander de l’aide à moi pour le défendre face aux princes. Bien mal lui en a pris.

Glenn n’était pas seul … Quel dommage. Lui qui, à première vue, semblait avoir un physique plutôt intéressant. A défaut d’avoir le roi de Naelis pour lui seul, Franco devrait également s’accommoder de deux gardes bien musclés qui le surveillait. Malheureusement, une fois de plus, le soltari devrait retenir ses regards fuyants. Il avait souvent entendu que l’Ithri’Vaan était la terre de toutes les mœurs. Malheureusement, il semblerait que cette affirmation ne soit vraie qu’à Thaar. Et encore, un étranger n’avait pas forcément intérêt à se faire repérer ni à faire parler de lui en ces terres parfois cruelles.

La discussion s’annonçait donc … formelle. Le roi de Naélis commençait même son propos d’introduction avec une attaque bien placée sur les choix de Franco. Du tac au tac, le duc en exil se permit de réagir afin de ne pas laisser planer de doutes sur ses intentions.

- L’idée était de trouver un moyen pour moi de vous rencontrer rapidement et facilement, votre altesse. J’ai du mal à croire que si je m’étais annoncé officiellement devant la cour de Naélis un dignitaire aurait accepté de présenter à son roi un homme qu’on dit traitre et exilé.

La vérité était partielle. Le fait de rencontrer la pègre locale était aussi une opportunité pour Franco de se faire des contacts ainsi que de montrer à ces gens qu’il était ouvert au fait de traiter avec eux. Autrefois, à Soltariel, tous les alliés de Franco n’étaient pas ceux qui brillaient sous la lumière du jour.

Le roi de Naélis enchaina rapidement sur le vif du sujet. “Francesco”, encore ce nom de traitre soltari. Cela faisait plusieurs fois que Franco entendait parler de ce descendant de la famille di Castigliani. Un sacré opportuniste semblerait-il. Après tout, Franco se doutait bien qu’en laissant sa place d’Amiral Royal libre, les vautours auraient eu tôt fait de se jeter dessus.

- En fait, vous me parlez de la Péninsule et des officiers de la couronne mais … N’étiez-vous pas en guerre avec ces derniers il y a encore ne serait-ce que quelques jours ? J’ai du mal à croire que vous pourriez livrer un homme qui a fui la patrie à laquelle vous faites la guerre. Je ne connais guères les habitudes diplomatiques Naelisiennes, mais je crois que l’adage « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » s’applique à peu près partout en ce monde.

Franco esquissa un sourire. Après tout, officiellement, quelques mois plus tôt le duché qu’il dirigeait s’était vu attaqué par les hommes de Naelis. Pourtant l’ancien duc était là, dans les termes de Naelis et il semblait ouvert au dialogue sans aucun esprit revanchard. Peut-être était-ce parce qu’il croyait comprendre les motivations d’un certain Altiom qui avait simplement voulu revenir sur les terres de ses ancêtres.

- Je pourrais vous vendre des épices si vous le souhaitez. Je peux aussi vous promettre une alliance future entre Naelis et les Sept-Monts. Cela prendra du temps car mon influence sur place est encore en grande partie à construire. En fait, je voulais faire connaissance avec vous. Pouvoir me faire ma propre opinion de vous et voir si je vous trouve fiable.

Cette fois, Franco ne disait rien que la vérité. Il n’était pas venu à Naelis avec un but précis en tête. Il savait que cette ville était une opportunité pour lui comme pour ses affaires. Reste à définir plus précisément qu’est-ce qu’il allait pouvoir tirer de cette entrevue.

- Et vous Glenn, qu’attendez-vous de moi ? Je vois que cette entrevue a été plus ou moins préparée … A moins que vous n’aimiez-vous baigner avec vos gardes personnels ?

L'ancien duc ne s'était pas laissé intimidé par Glenn et ses questions, au contraire. Quoique sur la défensive, il lui répondit tel un boxeur, rendant coup pour coup. Le Roi de Naelis appréciait cela et le fait savoir en riant ouvertement. Un rire qui ne manqua pas de résonner dans tous les thermes :

- Ahah Franco vous ne vous laissez pas faire ! Bien sûr toutes vos remarques sont justes. Rassurez vous je n'ai aucune intention de vous livrer aux péninsulaires. La paix était nécessaire mais je ne peux pas encore parler d'eux comme des amis..."

Toutefois, la nomination du marquis Aymeric de Brochant au titre de régent du royaume était une très bonne nouvelle pour l'öesgardien qu'était Glenn. Aymeric allait sans nul doute redonner à Serramire la place qui lui revenait, en refaisant de ces terres un duché. L'ancien protégé de Merwyn avait de quoi s'entendre avec le nouveau régent de Diantra. Mais la péninsule reste la péninsule et l'Ithri'Vaan reste l'Ithri'Vaan. Naelis est isolée dans cette région du monde, on a besoin d'alliés. Les hommes sont nombreux aux septmonts et je sais qu'ils envient notre indépendance.


- Votre idée de passer par la pègre était risquée, dangereuse même... Mais au moins cela permet de ne pas trop ébruiter votre nom. (Il le regarda avec insistance). Francesco vous cherche Franco, il a suivit votre fuite de Nelen et à même rencontré les princes marchands à Thaar. Ce que j'attends de vous Franco ? Je pense que vous avez toutes les qualités pour devenir un homme influent aux septmonts. Vous ne résisterez pas à vous tenir à l'écart de la politique trop longtemps et comme vous vous en apercevez déjà, cette terre est meurtrie par le conseil des princes et son salut se trouve en Naelis. Si nous oeuvrons l'ensemble, l'avenir est prometteur. Franco, en venant ici vous avez changé de vie, comme moi autrefois, mais vous, pour rester, vous devez changer d'identité. Changez votre nom, vos apparences, votre histoire ! Franco doit mourir et vous n'aurez de repos que quand Francesco aura son cadavre dans ses bras."

Déchus et exilés, les deux hommes qui conversaient en profitant d'un bain nocturne avaient au moins comme similitude une histoire commune, un vécu. Ainsi était l'Ithri'Vaan, terre de repentance ou de seconde chance. Mais quand Glenn lui avait quitté Diantra, il n'avait pas eu d'ennemis aussi zélé ni aussi influent que Francesco. Cela imposait pour l'ancien Duc quelques précautions.

Même si Franco ne connaissait pas Glenn en tant que personne avant de le rencontrer, il connaissait son histoire dans les grandes lignes. Du moins, il savait d’où venait l’homme et il se doutait bien que les péninsulaires suderons n’étaient pas forcément ceux qu’il portait le plus dans son cœur. L’ex duc de Soltariel n’aimait pas les nordiens, malheureusement, pour cette fois-ci, il devait faire confiance à l’un d’eux.

- J’ose espérer que vous vous méfiez des péninsulaires. N’oubliez pas que la guerre de succession est enfin terminée. Maintenant que Bohémond est fermement installé sur le trône et que le pouvoir est entre les mains des anciens belligérants de cette guerre de succession … Croyez-vous vraiment qu’ils vont s’arrêter ?

Franco avait toujours tendance à anticiper un peu trop les choses. Il le savait pertinemment. Cependant, cet avenir où les péninsulaires se chercheraient un nouvel ennemi n’était peut-être finalement pas si lointain.

- Ils n’iront pas au nord affronter le mur construit par les dawis. Ils ne s’aventureront pas dans l’Aduram de peur de revivre leurs déboires passés face au peuple des forêts. Ils viendront ici, en estrévent, demander à ceux qui le voudront de bien vouloir se soumettre.

Le ton était solennel. L’ancien duc se doutait bien que le roi de Naélis n’allait pas se mettre à trembler devant quelques élucubrations proférées dans un bain. Mais tout de même, il devrait comprendre que Franco n’aimait pas les péninsulaires. Du moins pas la politique qu’ils entreprenaient depuis quelques ennéades.

Franco écouta le plan de Glenn sur son changement d’identité avec attention. L’idée était intéressante, quoique un peu étrange. Perdre son identité avait quelque chose d’amère pour l’amour-propre d’une personne. Et Franco n’était pas vraiment la personne la plus humble qui soit.

- L’idée est intéressante. Franco doit mourir. Ou bien attendre que les girouettes de la péninsule s’intéressent à un autre vent qu’au mien. Je pensais attendre un minimum de voir ce qu’il va se passer à Soltariel ces prochains temps. Je n’oublie pas ma terre natale. Là-bas, certaines personnes attendent encore beaucoup de moi. Quoiqu’il en soit, pour l’instant ma vie est aux Sept-Monts. Et je pense que nous pouvons facilement développer l’entente entre votre terre et celle qui m’accueille. Le duc Kodratos était fier de son indépendance. Je pense qu’il faut parfois simplement savoir se choisir les bons alliés.

« Ce que je n’ai pas forcément su faire en Péninsule ». Franco serra les dents. Toute cette politique … Et dire que même ici cela arrivait à le rattraper. Après quelques secondes de réflexion, le grand brun repris la parole d'un air légèrement exaspéré.

- Vous pourriez même vous servir de ma « mort » pour servir les intérêts de Naélis. Et dire que j'en suis presque à monnayer la mort de mon image ...

Glenn écouta attentivement les remarques du Duc déchu. L’hypothèse d’une péninsule avide de nouvelles terres ne lui était pas inconnu, si bien qu’il ne broncha pas. Voilà qu’il parle déjà comme un Thaari…

- Franco, je sais bien tout cela. « A Naelis, il y a plus de légionnaires que de paysans », vous devez bien connaître ce dicton ? Je n’entretiens pas une grande armée pour la plaisir des défilés. »

Pour se maintenir au pouvoir sans prêter allégeance à quiconque, Glenn jouait un jeu d’équilibriste impressionnant depuis l’an 2. Au commencement, il était si vulnérable que n’importe quel chef mercenaire se révélait être un obstacle potentiel, tel Casoair son ancien associé. Mais les temps avaient changés. Année après année, son règne se consolida et son indépendance s’affirma.

- Mon ennemi, notre ennemi, si je puis-je dire, est et sera toujours les sombres. Qu’ils soient de Thaar ou du Puy. Moi aussi je regrette la politique péninsulaire, qui s’enlise, et ce depuis Trystan l’aveugle. Croyez-moi, au-delà des tumultes de la couronne, ce n’est pas pour rien que nous n’entretenions peu, voir pas de relations avec Diantra. Mais avec le nouveau régent, cela peut changer. Donnons leur au moins cette chance ! »

Franco, en s’introduisant en Naelis par la pègre du balafré, avait du faire un voyage des plus éreintant, du moins Glenn le supposait. Il claqua des mains et un serviteur apparut de derrière une colonne. Il tenait un plateau avec deux grands verres et une bouteille de vin. Oui, cette visite était préparée. Mais au moins elle était bien préparée ! Si Franco était une connaisseur en vin, ou si simplement il lui prenait l’envie de lire les inscriptions, il pouvait constater que cette bouteille venait du sud de son ancien duché, d’Ydril.

- Je comprends que cette idée ne vous plaise guère. Oui, si la mise en scène n’est pas trop farfelu cela pourrait servir mes intérêts. Mais je ne vous forcerai pas la main Franco, le choix vous appartient. Simplement, si vous tenez à garder votre nom, nous ne pourrons plus nous rencontrer ici. Ce ne sera pas un frein à nos relations puisque je compte bientôt ouvrir une ambassade à Hanning, un lieu à privilégier pour de tels rencontres. »

L’arrivée d’Angelina de Solaria à la cour de Naelis allait donner un nouveau souffle au jeune royaume, malmenant quelque peu l’hégémonie des vieux militaires du dernier cycle.

- Plutôt que de nous tendre la main, Kodratos manœuvrait à notre encontre, lorgnant sur nos terres. Une erreur qui lui coûta sa tête. J’avoue ne plus trop savoir qui commande là bas. L’influence des princes marchands y est très forte, surtout celle de la dangereuse Krish’Al Sérath, une veille drow manipulatrice. C’est elle qui a le plus profité de sa chute. »

Lorsque Glenn s’exprima à propos des Sombres, le duc en exil savait pertinemment qu’il avait raison. Le vrai ennemi de la race humaine n’était pas la race humaine elle-même mais bien celle qui s’était attaquée massivement à elle et ce à plusieurs reprises.

- Vous avez raison, le vrai ennemi de la race humaine se terre par-delà l’Oliya. Que ce soit à Thaar ou par-delà le désert, ce serait trahir notre culture que de privilégier la défense contre les hommes plutôt que contre les races étrangères. Ne devenons pas comme ces … certains péninsulaires.

Alors que les deux hommes se prélassaient dans les termes, un serviteur apparu à la demande du roi Glenn. Il apporta un cru que Franco avait déjà gouté. Et pour cause, il venait du comté voisin de Soltariel, sa terre d’origine …

- Voilà un choix intéressant.

Franco sourit. L’idée d’une mort maquillée afin de permettre au grand brun de démarrer une nouvelle vie fut précisée par Glenn. C’était vraiment une drôle d’idée que de vendre son identité pour se faire un nouvel allié. Mais Franco aimait les choix originaux.

- Je peux également changer de nom. Si un jour j’ai à nouveau à faire avec feu mes amis Soltaris, ils sauront me reconnaître. Mais vous avez raison, si je dois faire les choses ce n’est pas à moitié. Comment pourrions-nous faire en sorte que cette mort profite le plus à Naélis ? Ne croyez-vous pas que si l’on dit que vos hommes m’ont purement et simplement capturé puis tué cela éveillera du doute voire de la colère chez les péninsulaires ? Nous pourrions parler d’un accident … Dont la pègre de Naélis en est à l’origine ? N’est-ce pas le meilleur moyen de rendre cet évènement profitable à vous comme à moi …

Franco prit un air songeur. Il se doutait bien que les hommes avec qui il avait voyage jusqu’à Naélis auraient des multitudes d’idées pour maquiller un meurtre afin qu’il paraisse être celui du duc en exil.

Concernant Hanning, la nouvelle terre de Franco, le fin négociateur qu’il était commençait à mieux comprendre la politique locale. Il n’avait pas spécialement l’envie de faire un cours au roi de Naélis, mais il devait tout de même se montrer le plus transparent possible s’il voulait attirer sa sympathie.

- La vie dans les Sept-Monts n’est pas si compliquée que cela. Même si l’on dit les princes marchands influents, ils restent établis souvent bien loin d’Hanning et des terres environnantes. Tout ce qui les importe, c’est que leurs affaires continuent à tourner et que la région ne fasse pas trop parler d’elle. Il suffit d’être des bons petits soldats pour ne pas attirer l’attention.

Franco sourit. Il savait être sournois quand le besoin s’en faisait ressentir.

- Je ne lorgnerai jamais sur les terres de Naélis. J’ai donné dans la lutte entre frères de sang afin d’obtenir des victoires futiles.

Glenn n’était pas un adepte des complots. Il était un guerrier, un chef de guerre, un bon gestionnaire… Même si l’idée du changement d’identité lui était venu, il avait du mal à voir de quelle manière il fallait procéder. Assurément, Letwyn aurait quelque chose à dire. Dommage qu’il soit à Thaar. Pourrait-il vraiment en profiter comme le suggérait Franco ? Glenn n’en était pas si sûr. Seul sa tête lui aurait peut être valu les bonnes grâces de la péninsule, et encore.

- Ce qu’il faut, c’est que Naelis ne soit que le rapporteur de votre mort. On n’en tira que quelques légères satisfaction mais les risques sont moindres. Pour que votre mort soit vraie, il faut qu’on y croit, les gens doivent se dire dans les rues, « tiens le duc franco est mort ». Pour ça, je pense que le duc franco doit d’abord être arrêté. Pour un quelconque délit commis, on s’en fout. L’important est que tout le monde est à la bouche la pendaison prochaine du noble ! Moi j’ai vent de cette affaire, je demande une extradition, mais le dit franco meurt en cellule d’une sordide manière. »

C’était assez alambiqué comme histoire. Plusieurs questions restaient en suspens et Glenn prit un court moment pour y réfléchir. Puis, il se mît à rire, un rire naturel et non sournois. Je commence à me prendre au jeu. Voilà ce que ça fait faire le pouvoir.

- Je pensais avoir besoin de mon conseiller à la matière mais en fait, c’est très simple. A Hanning, trouvez un badaud ou une quelconque crevure qui vous ressemble un tant soit peu physiquement et vendez-lui, à très bon prix, des vêtements caractéristique de votre ancien statut ainsi que pourquoi pas, un objet comme une bague qui pourrait permettre de vous identifier. Des avis de recherche vont circuler, peut être même à la demande de Naelis, et mes espions s’arrangeront pour dénoncer le badaud à la garde locale. De là on le fait assassiner et le tour à jouer. Qu’en pensez-vous ? »

Quelques vêtements et une bague de perdu, ainsi que la mort d’un innocent sur la conscience. Un dommage collatéral, comme il y en avait tant dans les jeux des puissants.

- Notre voisin a toujours joué un jeu trouble. Du temps des de Clary, nous étions en conflit dans l’Aduram, car ce dernier organisait le ravitaillement de l’armée drow qui envahit Oësgard. Il s’agit de ma terre natale et je n’ai jamais eu l’occasion d’obtenir justice. Enfin, pour ce qui est de votre entreprise, vous pouvez compter sur mon aide, dans la mesure du possible. Un service pour un rendu, Franco di Celini. »

Le plan qu’ils étaient en train d'échafauder ensemble plaisait de plus en plus à Franco. Qui n’avait jamais rêvé de pouvoir remettre sa vie à zéro et de pouvoir tout recommencer ? Mis à part que cette fois-ci, l’ex duc recommençait une vie avec de l’expérience. Il ne referait pas certaines erreurs qu’il avait pu commettre …

- Bon et bien je crois que nous avons du travail, mon ami. Que diriez-vous si je m’en allais retrouver mes nouveaux contacts au sein de la pègre de Naélis ? Je pourrais demander à ces gens de trouver un homme qui pourrait me ressembler et lui faire porter le chapeau. J’ai en effet sur moi le sceau de la famille des Celini, dont je pourrai me débarrasser s’il le faut vraiment.

Cet acte, Franco le ferait certainement à contre cœur. Mais le grand brun avait eu l’habitude de faire des sacrifices au cours de sa vie et cela ne l’avait jamais stoppé. Après tout, ce n’était qu’un objet en métal. S’il voulait un nouveau sceau, il n’aurait qu’à demander aux meilleurs joailliers d’Hanning de lui en fabriquer un nouveau.

- Dès que je sors de notre entrevue, je m’occupe de tout cela.  Je préciserai bien à ces gens qu’ils doivent remettre le faux Franco aux autorités de Naélis. Vous n’aurez qu’à prétexter que j’ai souhaité vous rencontrer et que, suite aux conseils avisés de vos amis péninsulaires, vous m’avez fait mettre aux arrêts.

Finalement, ce plan tordu était la première étape d’une relation qui se bâtirait entre Naélis et les Sept-Monts. Franco était content d’avoir réussi à établir en collaboration avec le roi Glenn un accord simple qui profiterait aux deux hommes de manière équitable.

L’espace d’un instant, l’esprit de Franco s’évada. Il faut dire que le vin qui avait parcouru son gosier ainsi que les vapeurs des termes pouvaient rapidement faire tourner la tête. Se laissant légèrement aller, le soltari en exil laissa ses yeux baladeurs parcourir le corps du roi de Naélis. L’homme était bardé de cicatrices. Voilà un corps de guerrier, ce que Franco n’avait pas forcément l’habitude de pouvoir contempler. Il secoua la tête comme pour chasser une idée néfaste qui aurait envahi son esprit.

- Eh bien, Glenn, si vous n’y voyez pas d’inconvénients, je pense me retirer à présent. Je pense que nous avons posé en ce jour la première pierre d’une amitié à bâtir entre les Sept-Monts et Naélis. J’ose espérer que les choses continueront à aller dans ce sens et que nous nous reverrons prochainement … Sous ma nouvelle identité, bien sûr. Je vous ferai parvenir de mes nouvelles durant les ennéades qui viennent et j’espère que vous viendrez en personne inaugurer la nouvelle ambassade de Naélis à Hanning.

Franco sourit. Il attendait la confirmation de son interlocuteur pour se  retirer. Il aurait presque aimé que l’homme le retienne, mais tout cela était loin d’être de son ressort. Et après tout, c’était lui, le roi.

HRP:

Si au départ sa proposition l’avait rebuté, Franco semblait avoir accepté l’idée de changer d’identité et de faire croire à sa propre mort. Après tout, n’était-ce pas là la meilleur manière de faire le deuil de son titre de Duc en péninsule ? Contrairement à son interlocuteur, Glenn n’avait pas évité la prison. Il s’était d’ailleurs juré de ne jamais y retourner, quitte à mourir sur place comme il l’avait tant regretté à l’époque, dans le hall du palais des séraphins lorsque le lys d’or vint le chercher.

- Bien de mon côté je fais en sorte de sortir un avis de recherche. Puis de faciliter l’intrusion de l’assassin. Je désignerai bien évidemment la pègre comme ayant causé votre mort de manière si… Prématurée. »

Peut être auraient-ils pu procéder autrement que sacrifier la vie d’un badaud innocent. Au nom de quoi, du réalisme ? La chevalière aurait peut être seulement suffit. Au fond, lui qui avait été longtemps le pion sur l’échiquier prenait peu à peu en compte sa nouvelle place, celle de roi, et opérait aux sacrifices nécessaires.

- Oui si tel est le cas je me déplacerai volontiers. Bon vent, Franco. »

Il ne devinait pas les quelques pensées érotiques de son interlocuteur à son encontre. Fort heureusement d’ailleurs, car l’homosexualité entre hommes, au-delà de lui causer la nausée, lui faisait peur. Il avait toujours connu les plaisirs d’une chair féminine et voyait mal comment on pouvait remplacer une belle poitrine rebondie par un autre phallus. Non vraiment, sans façon !

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