Trois centaures pour une hydre

Deuxième jour de la première ennéade de Karfias

Raymond

A la vue des hautes murailles de Valméro, Raymond fut soulagé. C’était la troisième fois qu’il traversait l’Olienne et s’il s’était quelque peu habitué à la vie en mer, cela l’exaspérait au plus haut point. Il ne tarda donc pas à descendre sur les quais où il fut accueillit par un groupe de légionnaires naelisiens et de condotieres. Ces derniers reconnurent aussitôt leur intendant et furent soulagés de son retour, d’autant plus qu’il amenait des troupes fraîches avec lui. Rapidement, la nouvelle se propagea dans toute la cité : Naelis avait percé le blocus royal et les renforts arrivaient ! Pour garder cet effet de surprise, Raymond prit bien soin de séparer les troupes débarqués des légionnaires restés en Ydril. Le traité signé entre Naelis et Diantra n’était pas un secret, mais Raymond disposait d’un peu de temps avant que cela n’arrive aux oreilles du comte Altiom. Et ce temps, il en avait cruellement besoin ! Pendant qu’il arpentait les marches du donjon à la rencontre du capitaine Pavis, responsable de la garnison de Valméro, Raymond remettait en mémoire les instructions données par le Roi Glenn le jour de son départ. Il ne devait y avoir aucune trace écrite, lui seul devait pouvoir les communiquer aux personnes concernées :

- Capitaine Pavis, je dois me rendre de toute urgence à Ydril. J’ai besoin d’une vingtaine de chevaux pour mes hommes et moi.
- Très bien commandeur, je ferai le nécessaire. Je me dois de vous dire que je suis en train de rassembler l’ensemble des forces vives du vicomté. Nous devrions être bientôt prêt à partir pour Mirabello.
- N’en faites rien capitaine ! Que vous et vos hommes restent à Valméro et en assurent la défense et ce jusqu’à mon retour. »

Raymond de Dircal ne s’attarda pas plus que nécessaire dans la cité ydrilote. Aussitôt en selle, lui et une vingtaine de légionnaires s’élancèrent en direction d’Ydril. Il fallait aller vite, ainsi, ils ne firent que de courtes pauses avant de rejoindre la capitale. En effet, Raymond devait y rencontrer Damons et Erestor. Tous les trois suivaient Glenn depuis le début de l'aventure, aventure qui commençait avec la troupe du centaure. Sur leurs épaules reposaient tout le plan de Naelis pour mettre fin à la guerre.

Damons

Damons était dubitatif devant les révélations de Raymond. Depuis plus d’un mois, le général avait consacré tout son temps, toute son énergie à servir les intérêts du comté d’Ydril. Sa mission avait été sa mission, préserver par tous les moyens en sa possession Altiom Zadar à la tête du comté d’Ydril. Son aide avait largement dépassé la sphère de la tactique militaire puisqu’il avait lui même pris en main des dossiers d’ordre public et de prévôté devant l’inaction ambiante. Par toutes ses actions, Damons d’Alonna s’était fait un nom dans la cour comtale, nom qui résonnait même jusqu’à celle de Soltariel. Mais voilà que sa mission avait changé. En une conversation, une simple poignée d’ordres, tout sont travail s’arrêtait. Avait-il été vain ? Non Damons ne le pensait pas. Car en homme pragmatique, il comprenait les nouvelles intentions du Roi Hereon.

Après de nombreuses nuits passées à les arpenter, les escalier et couloirs du palais d’ydril n’avaient plus de secrets pour l’alonnais. Il salua comme à l’accoutumée la patrouille de gardes archontaux qu’il croisa avant de tomber devant les appartements de la jeune archontesse Aléandra. Il toqua et se présenta à la porte avant que cette dernière ne lui donne l’autorisation d’entrer. La jeune noble était à son étude, visiblement en train de s’essayer à la rédaction de lettres. Un exercice qu’elle aimait et ou elle ne manquait pas de talents.

- Votre Grandeur, comment vous portez-vous ?
- Fort bien Damons, j’essaie de profiter au mieux de ces instants de calme… Même si Ydril sera bientôt vide après le départ de mon oncle.
- C’est faire preuve de sagesse que de reconnaître et utiliser ces moments. Si je vous rends visite, votre grandeur, c’est que j’apporte là des nouvelles du Roi Hereon. Naelis a brisé le blocus royal et les premiers renforts arrivent en ce moment même.
- Vraiment ?! Mais cela change tout je m’apprêtais justement à envoyer une lettre à…
- Oui venez voir, par vous même, ajouta Damons en désignant la courte ouverture qui donnait sur le port. »

L’adolescente, sans se méfier, laissa exprimer sa joie en se levant d’un bond pour se précipiter à la fenêtre. Mais là, elle avait beau plisser des yeux, parcourir les eaux du regard, elle ne voyait nul bateau qu’elle ne connaissait pas déjà. « Mais, je... » Elle ne put terminer sa phrase car une main se plaqua violemment sur sa bouche. Elle essaya de se débattre, mais un bras la retenait fermement par la taille. La lutte inégale ne dura qu’un instant, car dans cette main qui l’empêchait de crier, de hurler, il y avait un simple bout de tissu dont la forte odeur envahissait ses narines. Elle ne put résister et s’évanouit. Sa victime plongé dans un profond sommeil, Damons ne perdit pas de temps et l’agrippa sur ses épaule. Son cœur battait vite, il ne s’était jamais senti dans une position aussi embarrassante que celle là. Il dévala les escaliers, enjambant les corps des deux gardes archontaux croisés plus tôt. Les aigles noirs n’avaient pas perdu de temps et heureusement pour lui, ils étaient efficace. Des bruits de pas se firent entendre. Qu’à cela ne tienne, il emprunta le deuxième couloir. Il ne tarda pas à parvenir à son objectif, l’arrière cour. Discrètement, il se faufila dans les écuries. Ce plan était complètement fou… Arrivé dans le box où l’attendait sa monture, Damons se demanda pourquoi il avait accepté de faire ça. Il aurait du partir simplement avec Raymond et laisser les aigles noirs travailler. Peut-être qu’il l’avait fait pour elle. Pour lui éviter le pire, la préserver.

- Vous nous quittez Damons ? »

Le général se retourna, pour faire face à Altiom d’Ydril. Ce dernier était accompagné d’une dizaine de gardes archontaux, des purs et durs qui suivaient Altiom depuis son exil. L’alonnais ne perdit pas la face, le corps de la jeune aléandra reposait au fond du box, sur la paille. Avec la pénombre, il était le seul à la voir. Du moins c’est ce qu’il pensait…  

A suivre...

Hrp:

Francesco arpentait le pont de la Carolina, silencieusement. En le voyant de la sorte, ses hommes restèrent eux aussi mutiques. Le marin guettait l’embouchure menant à la cité d’Ydril. De là, l’on voyait le fort de la Vigia, paré de ses armes et prêt à répondre à la moindre provocation. Chose qui ne se fit pas attendre puisque les catapultes disposées sur les navires des diverses amirautés péninsulaires, se mirent toutes à cracher leurs projectiles en direction de la position fortifiée. Il ne suffisait que de tourner la tête pour sentir le vertige poindre à tel point les nuées de fumées se mirent à obscurcir le ciel.

Etait-ce la réponse de la péninsule à l’encontre de celui que l’on nommait le sans-terre ? Que nenni, l’on avait ouvert le bal pour informer Ydril que le chapitre était sur le point d’être terminé. Pour ce, Francesco avait retenu les erreurs commises par ses pairs soltaar pour ne pas les reproduire. Non seulement, les flottes avaient été éparpillé le long des côtes ydrilotes afin d’y bloquer les principaux ports, mais le blocus de l’estuaire principal avait été préparé avec une logique implacable, comprenant plusieurs lignes d’embarcation dont la plus exposée était composée de vieux navires reliés les uns aux autres de longues et lourdes chaînes en acier utilisées généralement pour bloquer les accès aux ports. L’idée n’était assurément point de porter l’attaque, mais de se préparer à toute éventuelle sortie du fol de la cité. En ce cas, on l’accueillerait avec grande joie et générosité.

-Une fois mais pas deux, murmura Francesco en pensant à son jeune fils mort peu de temps auparavant dans ce même lieu.

-Pardon, signore ?

-Rien, Ernesto, je me parle à moi-même.

Gêné de l’avoir interrompu, son bosco tâcha de changer de sujet.

-Pensez-vous que le Roi de Naelis respectera sa parole ?

-Seuls les dieux savent, Ernesto.

-Et si tout n’avait été qu’une ruse dans le seul but de regagner Ydril afin d’alerter le sans-terre ?

-Et bien dans ce cas, il en sera fini d’Ydril.

Ses yeux gagnèrent furtivement les navires à ses côtés. Plusieurs d’entre eux étaient chargés de feu pharetans. Ces derniers étaient suffisamment nombreux pour réduire une ville en cendre ou brûler une flotte. C’était là le cadeau qui lui avait fait le chancelier de Wenden lorsqu’il avait combattu dans l’archipel de Nelen. Faute d’avoir été utilisé contre le thaari, la cargaison avait été sagement gardé en attendant d’être utilisée pour une bonne occasion. Il ne restait plus qu’à savoir si l’on en aurait vraiment besoin.

-Jusqu’à quand allons-nous encore attendre ?

-Jusqu’à ce que l’on voit le sans terre ficelé comme une cochonnaille où l’épée à la main sur la proue de son navire.

HRP:

- Effectivement, je me rends à Mirabelo. Je viens d’en informer la comtesse.
- Qu’est-ce que vous avez à faire là bas ? Les défenses sont en place, il est temps maintenant de nous concentrer sur notre offensive… La flotte est prête et… Mais vous nous cachez quoi là, derrière ? »

¤(musique d'ambiance)La lumière des cinq¤

A raison, le comte d’Ydril était suspicieux. L’attitude de son conseiller était inhabituel et Damons n’était pas non plus un grand acteur, il tenait ce rôle de dupe du mieux qu’il le pouvait. Devant son silence, Altiom avança, précédé par sa garde. C’est alors que, les aigles noirs d’Erestor entrèrent en scène. Sans semonce aucune, une volée de flèches vint des remparts pour s’abattre sur les fidèles qui entouraient le comte, dans la cour. Certaines vinrent trouver la chair tendre et fragile d’un cou, d’autres la rudesse d’une cotte de mailles à transpercer ou un pavé contre lequel s’écraser. Mais Erestor s’en fichait. Montrant l’exemple, il s’élança avec sa corde, tel un corsaire avide de sang abordant un timide navire marchand, pour se jeter au plus près des gardes archontaux et les faucher avec son célèbre espadon, « sang noir ». Si jusque là, Damons s’était montré prudent en ne faisant couler aucune goutte de sang ydrilote, Erestor et ses aigles noirs ne prenaient pas ce genre de précaution. Cette unité de combattants triés sur le volet parmi l’élite de la légion faisait un adversaire peu commun pour cette garde de vétérans. Souples et agiles, d’un armement complètement hétéroclite, les aigles noirs combattaient aussi avec leurs pieds et leurs poings, dans l’unique but de bousculer leur adversaire, le déstabiliser, pour l’achever. Même si les défenseurs du comte étaient de valeureux combattant, la surprise de cette attaque si brutale, si soudaine, causa leur perte. Altiom d’Ydril fut jeté à terre, sans avoir pu se défendre. S’il avait été autrefois un épéiste émérite, il n’avait cette journée là montré aucun talent de ce genre. Même sa verve légendaire lui manquait :

- … Traîtres… Lâches… Comb...ien vous paye ? G… Gle… Glenn avait confiance en…
- Nous ne faisons que exécuter nos ordres, votre grandeur, les ordres du Roi… de Naelis, lui répondit Erestor.
- P...Quoi ?
- Regardez-vous ! Vous n’avez plus rien du grand homme que vous étiez en défiant notre Roi dans un duel amical à la cour de l’Oëstkjord, en vous dressant sur les remparts de Ruven, face aux sombres, en vous tenant à nos côtés face aux monstres de l’Aduram… Vous n’êtes plus cet homme là ! Les dieux ont eu raison de vous. Ils n’ont pas tués votre chair, mais votre âme.
- NON ! JAMAIS ! J’EMMERDE LES 5 ! »

Prit d’un nouveau râle, le comte s’évanouit. Au même moment, des rochers s’abattirent sur le port d’Ydril. La flotte royale entrait en action. Très vite, on allait se tourner vers le chef, lui demander la conduite à tenir, quoi faire. Quand on chercherait l’intriguant Damons, le tacticien naelisien, l’on ne trouverait qu’une chambre vide, les draps soigneusement pliés et les meubles à leur place d’origine. Puis, on se mettrait en quête de l’archontesse pour la prévenir, on ne trouverait qu’une chambre désordonné, un bureau où se mélangeait encrier et lettres inachevées. Enfin, quand on se mettrait en quête du Comte, on ne trouverait là qu’une mare de sang. Mare de sang dans laquelle baignait ses plus fidèles serviteurs, ainsi que quelques-uns de leurs bourreaux, leurs camarades n’ayant pas eu d’autres choix que de les laisser dans leur fuite. Alors, un esprit avisé ne tarderait pas à comprendre, tel l’amiral Fannozia. A la tête d’une importante troupe, il chevaucherait vers Valméro, le fief des naelisiens. Mais sur place, il n’en trouverait plus aucun.

Quand leur navire approcha des vaisseaux royaux, Damons prit les choses en main et demanda à voir le capitaine. Il lui présenta le sauf conduit signé par Francesco avant de lui présenter Altiom d’Ydril. Ses beaux vêtements ne l’avaient pas quittés mais il était enchaîné.

- Je suis Damons d’Alonna, général des légions de Naelis, mandaté par le Roi Hereon pour accompagner Altiom d’Ydril ici présent auprès de la cour de Diantra. »

Quand vint la nouvelle, Francesco dînait avec ses officiers. Bien entendu, le repas fut écourté et tous les hommes présents s’en allèrent sur la Vindicte, vaisseau qui avait recueilli le commanditaire de Naelis et son prisonnier. Lorsqu’ils parvinrent enfin sur le pont, après avoir franchi tous les cordons de sécurité mis en place, des hommes les menèrent dans les quartiers du capitaine Tolossi afin d’y découvrir celui que l’on avait espéré depuis un certain temps déjà. Francesco entra en premier et avant de s’attarder sur les étrangers à sa gauche, salua le capitaine qui arborait une fière allure. Conscient qu’il avait eu le privilège de recevoir la présence du plus grand ennemi actuel de la couronne sur son navire, Tolossi s’apprêtait probablement déjà à ne pas perdre une miette de tout ce qui allait se passer pour pouvoir en faire ensuite le récit de ses exploits.

Puis Francesco se tourna enfin vers un homme à la bonhommie certaine, ponctué d’une chevelure longue et d’une barbe épaisse. Il se présenta comme étant Damons d’Alonna, général des légions de Naelis. A sa main, il tenait une chaîne qui le reliait à un autre gus resté jusque-là dans l’ombre. En s’approchant de plus près, il y découvrit Altiom le Sans-Terre, celui à cause de qui tout avait commencé. Celui aussi qui avait fendu les eaux pour saccager le blocus entrepris par les hommes de la duchesse. Son fils y avait laissé sa vie. Adonc découvrit-il là aussi un homme de bonne stature, semblable au portrait qu’on lui avait fait de lui. Bien qu’il eut plus l’envie de cogner que de lui serrer la main, Francesco resta stoïque et lui fit seulement un signe de tête en guise de salutation.

-Messire Altiom, au nom du Roy Bohémond d’Ivrey, de la maison Phyram, je vous arrête. Pour vos crimes et vos méfaits envers la couronne, vous serez jugé équitablement en accord avec le traité de paix signé avec le Roi de Naelis. Vous serez traité convenablement comme l’exige votre position, et ce, jusqu’à ce que votre procès vous condamne où vous octroie la liberté.

Sur ce dernier point, il était peu probable que le sans-terre ait de nouveau le goût de la liberté.

-Messire Damons, reprit-il en direction de l’alonnais. L’engagement de votre suzerain a été respecté. Mon fils, Fernando, vous escortera jusqu’au régent faisant marche pour rejoindre siège de Bellocastelo afin que Altiom y soit livré en attente d’être jugé à Diantra.

Avant qu’on ait pu l’interrompre, Francesco se tourna vers les capitaines provenant de toutes les amirautés royales.

-Signores, la guerre est terminée. Faites répandre la nouvelle et envoyez à la cité d’Ydril, notre demande de reddition.

Quelque jours plus tard, après avoir déversé un déluge de pierre et de feu afin d'éprouver les défenses, l'ordre fut d'envoyer une courte lettre adressée à la ville d’Ydril. Celle-ci disait :

Aux habitants d’Ydril,

Altiom est désormais prisonnier de la couronne. Fidèle à ma parole, vos vies et vos demeures seront épargnées si Ydril accepte sa reddition. Nul mal ne vous sera fait. La guerre est désormais terminée. Que les portes de votre cité soient ouvertes demain dès l’aube en signe de votre acceptation.

Francesco Cortès di Castigliani, amiral de la marine royale.

¤(musique d'ambiance)La lumière des cinq¤

- Naelis n’a qu’une parole, amiral. De plus, j’ai également en ma possession une lettre d’Aléandra di Systolie dans laquelle elle reconnaît n’avoir pu prendre aucune de ses décisions librement, étant totalement sous l’emprise de son oncle. »

Même s’il venait de l’apprendre, Altiom ne réagit pas. Damons et Raymond lui expliquèrent pourquoi Glenn avait pris de telles décisions, pourquoi il s’était retourné contre l’homme qui l’avait auparavant aidé. On le lui avait expliqué, mais il ne comprenait toujours pas. La trahison était trop grande, trop récente. Avait-il vraiment perdu son âme dans le royaume des morts ? Si c’était vraiment le cas, il savait que Glenn aussi était en danger. Car tous les deux étaient porteur de la marque ! Mais ce qu’Altiom ne savait pas, c’était que quand lui reniait les dieux de plus belle, Glenn s’ouvrait, lui, à une religion qu’il avait délaissé jusque là.

- Je dois néanmoins vous avertir d’un problème technique… Une fois que nous serons sur la terre ferme, nous ne pourrions pas monter en selle. Je veux dire que nous ne pourrions pas prendre de chevaux. Oui c’est difficile à croire mais croyez moi, aucun animal n’ose s’approcher d’Altiom Zadar. Ça nous a causé énormément de soucis... »

Traverser Ydril pour rejoindre Valméro avait été un enfer. Évanoui, ils avaient pu le faire monter à dos de cheval et c’est comme ça qu’ils quittèrent la capitale. Mais après plusieurs milles, quand le comte se réveilla, cela causa un chaos sans nom parmi la troupe. On se résolut à la porter tel un sac de patate jusqu’à la Ciéna où les centaures purent utiliser une embarcation jusqu’à Valméro. Il s’en souviendrait longtemps… Mais Damons n’était pas fier de tout cela. Il avait appliqué les ordres de son Roi avec pragmatisme. Sa raison comprenait, mais sa passion elle, était déchirée. Il avait tant fait pour ces gens que de devoir les jeter ainsi lui fendait le coeur. A son retour, il demanderait à Glenn de se retirer de la légion. Il avait trop donné, trop perdu.

Hrp:

Dernier jour, première ennéade de Karfias, an X du XIe cycle

C’est aux basses matines du troisième jour que l’on se fit rapporter les échos de la ville. Des hommes partis la veille au soir afin d’y guetter l’activité, rapportèrent que les portes étaient dorénavant ouvertes. Adonc Ydril s’en était allé sur les chemins de la repentance après avoir appris que leur fol souverain était désormais captif. Ignorant encore ce qui s’était dit et fait dans la cité pour capituler de la sorte, Francesco entreprit tout d’abord d’y envoyer des émissaires afin de prendre la température. Lorsque ceux-ci revinrent en fin de matinée, les rapports étaient fort bien précis. Après avoir eu connaissance de la lettre, les fidèles d’Altiom s’en étaient allés par une porte dérobée afin d’y gagner l’un des rivages non surveillés par les forces royales. Pour ce qui était de la milice, les hommes avaient lâché leurs armes, préférant s’éviter un funeste destin. En voyant le sol se dérober sous leurs pieds, la noblesse du cru, ainsi que leurs hommes liges, capitulèrent eux aussi. Faut-il rajouter que la population, forte réfractaire à la guerre, fut la première à exercer une pression ? A partir de toutes ses nouvelles rassurantes, Francesco entra dans l’estuaire accompagné des navires royaux et péninsulaires, et fit accoster une partie de l’armada sur les quais encore disponibles du port ydrilote.

-Qui l’eut cru… qu’Ydril se serait soumise si facilement... ? plaisanta l’un des capitaines qui l’entourait.

-Il peut être aisé de s’emparer d’une cité, observa Francesco en franchissant les hautes portes. Avec une force suffisante et disciplinée, de la témérité et de l’audace, prendre une ville est à la portée de tous.

Cette remarque eut pour effet de provoquer de l’amusement chez ses comparses. Il était sûr qu’à l’image du capitaine Tolossi, l’entrée dans la cité d’Ydril alimenterait bon nombre de récits au près du feu l’hiver. Mais comme à son habitude, l’amiral ramena tout ce beau monde sur le plancher des vaches en usant de quelques mots seulement.

-Pour ce qui est de la garder, maintenant… Qu’aucun d’entre vous n’aient jamais à connaître pareille sanction.

Une fois à l’intérieur de la cité, les royaux gagnèrent la grande place afin d’y rejoindre – comme leur avait rapporté les émissaires – les notables, prêts à redonner les clés de la ville à l’autorité royale. Leur arrivée se fit sans heurts, ni acclamations. Etonnement calme, le peuple d’Ydril semblait appréhender l’avenir. Tiendrait-il sa parole en épargnant la populace où commencerait-il par ordonner que l’on exécute tous les séditieux ayant rejoint par loyauté où opportunisme le fol Sans-Terre ? Faisant fi de toutes ces incertitudes, Francesco trouva le notable possédant la clé et s’y déplaça en prenant son temps. Derrière, les bannières arborant le Lys royal commencèrent à couvrir la place de sorte que nul badaud ne puisse venir interrompre la passation symbolique.

-Nous vous remettons les clés de la cité, gueula haut et fort le nobliau. Acceptez notre reddition et notre demande de pardon pour le Roy.

Francesco récupéra la clé et regarda brièvement le notable qui ne lui disait fichtrement rien.

-Pour ce, signore, il vous faudra attendre que notre Roy vous le donne, clama-t-il avant de se retourner pour faire face à la populace, mais surtout à ses hommes. Parcourez le comté et dites à tous qu’Ydril s’est rendu et que son prince est tombé.