Elenwënas de la Première ennéade de Fävrius
Onzième année du Onzième Cycle
Ils comprendraient. Ils avaient toujours compris jusque-là, alors pour quelle raison devraient-ils s’en choquer maintenant ? Tu avais déjà, par le passé proche comme éloigné, quitté la Cité des Armes pour toutes sortes de raisons. Professionnelles souvent, personnelles parfois… et même dernièrement sous le couvert du secret. C’était le prix du secret d’ailleurs, que tu partais payer, le prix de l’échec que tu t’en allais contempler, et une belle-famille à qui tu as failli que tu t’apprêtais à accompagner dans un deuil qui était en partie ta faute. Et ça, tu ne pouvais t’en justifier de manière que parcellaire, parce que tes soldats ne savaient pas et qu’ils ne devaient jamais apprendre, qu’il y a quelques mois, tu partais vers la Cité Vaanie d’Iranion pour pactiser avec l’engeance d’Elda.
Tes soldats ne t’en voudraient pas d’aller accompagner celle que tu aimes et sa famille dans leur deuil. Tes soldats pour beaucoup t’ont même reproché de ne pas être resté avec elle, de t’être reclus dans ta forteresse natale, et de leur avoir donné de l’attention à eux quand c’est
elle qui avait le plus besoin de toi. Tes soldats ne t’en voudraient pas de t’en aller, comme ils ne te tiennent que trop peu compte des comportements exagérément rigides que tu as pu récemment adopter. Ils te font confiance. C’est pour ça qu’ils t’ont choisi. C’est pour ça qu’ils t’appellent le
Cœur des Batailles. C’est pour ça qu’ils ont besoin que tu sois au mieux de ta santé. Physique comme psychologique.
Tes soldats t’en voudraient par contre, s’ils savaient les raisons réelles de la mort d’Eorim, non pas parce que l’entreprise qui l’a emporté était démente, mais parce que non seulement tu t’y es jeté dans leur dos, mais qu’en plus, tu as gardé la vérité cachée jusqu’à ce qu’elle soit rance. Qui sait ce qui aurait pu se passer si tu leur avait laissé la possibilité de s’ériger en roue de secours ? Qui sait comment les choses se seraient passé si les hommes de science de la milice s’étaient penchés sur les probables conséquences d’une telle rencontre ? Qui sait ce que leur soutien aurait pu t’apporter si tu t’étais confié à eux plutôt que de trouver thérapie dans le travail ? Toutes des questions qu’il était trop tard maintenant pour se poser.
Alors tu t’efforçais de les oublier, réfléchissant plutôt à ce que tu pourrais dire à Halyalindë, ce que tu pourrais dire à Kaëlistravaë, au comportement que tu adopterais durant ton séjour, et surtout, durant la cérémonie. Parce qu’en l’occurrence, et c’est une chose qui te terrifie, car c’est une situation dans laquelle tu ne te retrouves que trop peu souvent, tu ne sais absolument pas quelles seront tes réactions.
Tu es tendu et Vìrin le ressent, la subit même. À cause de tes raideurs la Caengal se trouve forcée d’abandonner un peu de la souplesse de sa course, et ainsi sa frustration ne fait que renforcer la tienne. Ta monture a rarement galopé si vite sans que tu ne le lui demandes, mais au final, elle comme toi aviez besoin de voir la fin du trajet. La pire frustration est celle à laquelle on ne peut permettre d’entamer l’affection que l’on ressent pour celui qui la provoque.