[Forge de lave] Trame de l'Hydre :: Nuit et Ordalie

RPs précédents :

Premier jour de la quatrième ennéade de Favriüs, onzième année du XI° Cycle,
Demeure Al'Serat

Le silence. Toujours le silence. Elle avait beau parlé à nouveau, depuis ces quelques ennéades à garder le silence le son de sa voix ne se faisait plus beaucoup entendre. Que ce soit à la maison, dans les rues ou à l'école. Les heures défilaient, les évènements passaient, emportant avec eux une part d'elle-même à chaque fois. Chaque enfant grandissait différemment ; c'était ainsi que les dieux semblaient vouloir que ce soit le cas.

La gamine fit rouler du bout des doigts un dé à huit faces. Sur chacune d'elles se trouvait gravé un dessin qu'elle seule désormais savait lire, à ce qu'elle savait du moins. Il n'était pas impossible que Dren'Zess en connaisse le code ou bien encore des personnes avec qui Vaerian avait travaillé. Les dieux ne jouent pas avec les dés, dit-on. Mais rien n'interdit à ce qu'ils guident à travers eux. De cela, son père en avait toujours été persuadé. C'était un rituel qu'il lui avait expliqué quand il n'était pas sûr de lui ou que la situation devenait trop tendue : chaque symbole avait une signification et celui sur lequel il tombait lui indiquait la voie à suivre. L'enfant prit le dé de sa main valide et le porta devant ses yeux, de manière à bien voir quelle était la face qu'avaient décidé de lui montré les dieux. Elle fronça un instant les sourcils pour tenter de comprendre puis leva les yeux vers la statue du Père des Batailles puis vers le Gardien des Secrets. Sang et silence... comme dans son rêve. Que cela voulait-il dire, en fait ? Etait-ce en lien avec ce qui s'était déroulé la veille ou bien les choses allaient-elles continuer ainsi ?

"Driz'na ?"

L'interpellée tourna la tête vers la personne qui venait de l'appeler : un homme habillé de couleurs sombres et portant un masque de métal sur le visage. Le même que Dren'Zess. Si ses lèvres ne s'entrouvrirent pas, ses yeux demandèrent clairement pourquoi le repenti venait la voir là maintenant, alors qu'elle priait les dieux dans la salle aux statues. Elle aimait particulièrement cette pièce de la maisonnée. Plus que la bibliothèque encore. Bien plus, même. Alors pourquoi la déranger ?

"Shaar a demandé à ce qu'El'ghinn et toi soyez amenés à elle. Vous dormirez aux forges cette nuit. Viens, va prendre quelques affaires et on part."

Sans discuter, la gamine s'inclina une dernière fois devant les dieux, front collé sur la pierre froide, puis se leva. Discrètement, elle serra le dé dans sa main, restant tout de même quelque peu méfiante envers celui qu'elle ne connaissait pas vraiment.

~~~~~~~~

Les Forges de Lave

Driz'na regarda son demi-frère, qui se trouvait juste à côté d'elle. C'était la première fois qu'elle entrait dans cet endroit et elle se demandait si El'ghinn y était déjà allé. Ils arrivaient au bout d'un immense escalier, escortés par plusieurs personnes masquées ainsi que la panthère d'ombre qui protégeait essentiellement le jeune insolent. Elle n'avait pas réussi à bien comprendre ce qui se passait, plus des bruits de couloir qu'autre chose. Les Repentis s'étaient montrés très discrets, bien qu'elle avait pu comprendre qu'il y avait eu une bataille plus tôt dans la journée. Elle se demandait dans quel état était leur mère pour qu'elle demande à ce que ses enfants soient déplacés aux forges...

Dans le grand hall qui servaient jadis de devanture, d'échoppe, d'atelier et de lieu de partage pour les forge de lave, les Repentis s'affairait autour des blessés. Comme promis lors de leur arrivée, les Maîtres des forges et leurs compagnons pouvaient toujours aller et venir et s'occuper de leurs clients, mais ce soir et jusqu'au lendemain, plus personne ne passeraient. Les guérisseurs, érudits ou prêtres, s'occupaient des cinquante-six Repentis qui formaient l'Ordre. Les plus légèrement atteints vérifiaient les quartiers de vie et les entrepôts que les guerriers avaient ajouté à la structure des forges depuis plusieurs mois pour s'assurer qu'aucune mauvaise surprise n'y avait été dissimulée. Il fallait que pour une nuit, la moindre donnée soit contrôlée, car demain, c'était le grand jour.

Derrière le rideau à droite de la salle principale, là où les forgerons avaient jadis leurs quartiers de repos et leurs matériels de soin, deux corps sans vie avaient été entreposés. Nogg procédait déjà à la préparation des corps, laissant à peu de temps à ses congénères pour finir leurs préparatifs avant la cérémonie funéraire. Et dans le chaos organisé, une femme vêtue de cuir et de plate, un homme en maille et un colosse en armure complète avançaient d'un même pas, remontant des entrailles de leur complexe pour donner un ultime coup de main. Aucun des trois n'avait eu le temps de se débarbouiller, laissant le sang et la sueur imbibés leur être comme si de rien était.

- Parfait. Et les éveillés ?
- J'en ai déjà prévenu la majorité. Ceux qui peuvent se déplacer librement seront à leur poste, mais les gladiateurs ne seront pas mêlés à ça." Répondit Gorurh, le colosse, à la femme à son côté tout en aidant deux autres hommes à hisser deux énormes sacs de champignons sur un diable de fortune.
- Leur déplacement d'aujourd'hui a déjà couté bésef en explication et en pots de vins.
- Je vous fait confiance. " conclut Krish en ramassant quelques babioles tombée de la caisse qu'Eshk'Oroth, l'homme en maille, tenait à bras le corps. Elle n'avait pas encore prit le temps de se faire soigner, laissant ses hommes passer entre les mains des toubibs avant elle quitte à le regretter plus tard. Malgré la pulsation brulante qu'elle sentait au creux de son corps, elle redoutait le moment ou son armure ne comprimerait plus ses os et ses vaisseaux sanguins. Elle sentait qu'elle était en mauvais état, et son visage, bien que rapidement frotté à l'eau, portait encore des traces de crasse guerrière. Alors, tout en s'économisant un minimum, elle ne s'était pas posé un instant, tenant sur l'adrénaline jusqu'au moment ou elle s'écroulerait dans un coin.

Elle posait tout juste le butin de son sauvetage dans les bras d'Eshk', lorsqu'un petit groupe disparate franchit les lignes de défenses et de surveillances mises en place tout le long de l'escalier d'accès aux forges. Elle se tourna immédiatement pour voir distinctement Elghinn et Driz'na, suivis de T'Challa, pénétrés dans le Hall. Elle s'approcha d'eux et le visage d'Elghinn s'éclaira soudain.
- Mère ! " Il courut vers elle sans un instant d'hésitation et elle n'eut que le temps de poser un genou à terre pour le réceptionner entre des bras. Elle posa un baiser sur le haut de son crâne.
- Désolée de ne pas t'avoir emmener, mon petit guerrier. " lui susurra-t-elle à l'oreille, puis, avisant Driz'na, quelques mètres derrières, elle rouvrit un bras et lui adressa un sourire en une invitation à venir elle aussi participer à l'embrassade.

Driz'na regarda un long moment la grande salle dans laquelle on les faisait entrer, après un passage par des gardiens portant toujours le même uniforme. Elle avait l'impression que les adultes se préparaient pour un siège ou pour une attaque dont les préparatifs devaient être terminés durant la nuit. Plusieurs d'entre eux semblaient épuisés mais, en général, tout le monde s'affairait à ce qu'il devait sans s'occuper du petit groupe qui venait d'arriver plus que nécessaire. Qui s'intéresserait à des enfants en de telles circonstances, de toute façon ?

Au beau milieu des grandes colonnes de pierre ainsi que des préparations, trois personnes se détachèrent du lot : un immense guerrier bardé d'armure, un de taille normale portant de la maille et une femme à la fois vêtue de cuir et de plate. Cette dernière, malgré la crasse qui peignait son visage, la jeune fille n'eut aucun mal à la reconnaître : Dren'Zess. Ce fut de même qu'Elghinn dont le regard s'éclaira. Heureux de revoir sa mère, il courut pour se réfugier dans ses bras. Driz'na eut un pâle sourire qui s'effaça immédiatement : elle aimerait vraiment pouvoir montrer ou demander une affection similaire à celle qu'elle avait pour son père mais... elle ne se sentait pas encore suffisamment à l'aise auprès de sa mère. Elle n'était pas sûre qu'elle avait le droit d'aller dans ses bras sans que cela ne soit pris pour une marque de faiblesse. Elle n'était pas non plus sûre que sa mère voudrait qu'elle ait ce genre de geste. Elle avait encore beaucoup à découvrir concernant Krish Al'Serat, pour pouvoir s'adapter à elle... En attendant son regard ne put s'empêcher de remarquer le moindre détail sur l'état de Dren'Zess : de la crasse, de nombreuses traces de sang, des plaies, une fatigue certainement plus poussée que ce qu'elle n'en laissait paraître... Lotha Suru avait déjà vu son père revenir dans un état similaire suite à une bataille au sein du Puy il y a une dizaine d'années et elle se rappelait la difficulté que ça avait été de panser ses blessures. Dans le quartier Doeb, trouver un médecin de confiance était parfois difficile. Surtout que Zess'Dren ne voulait aucune question quant à ce qui s'était passé. Alors elle s'inquiétait pour Dren'Zess, forcément.

Le bras de Krish se rouvrit, invitant sa fille à venir elle aussi l'embrasser. L'invitation n'eut guère besoin d'être réitéré : un grand sourire des plus sincères se dessina sur le visage de l'enfant qui courut avant de s'arrêter doucement contre le corps chaud de la forgeronne. Bien que son demi-frère lui avait dès le début fait comprendre que de toute façon, ce serait toujours lui le préféré, Driz'na se réjouit intérieurement de pouvoir ressentir le bras de sa mère entourer sa fine taille et sa tête se poser contre son cou aux restes de guerre. Elle attendit d'avoir profité de ce moment familial avant de se reculer et de regarder sa mère dans les yeux.

"Vous êtes blessée... Que s'est-il passé ? Est-ce pour cela que vous avez demandé à ce qu'on passe la nuit ici ?"

Elghinn jeta un regard mauvais à la jeune fille mais ne tenta rien pour s'interposer et profita plutôt de la demi étreinte de sa mère. Depuis que les entrainements de Driz'na avaient commencé, les deux enfants semblaient assez régler leurs comptes les armes à la main pour que cela dérape peu une fois hors des sessions. Krish posa un baiser sur la tempe de la gamine, la serrant contre elle sans se soucier des tâches qu'elle pourrait bien occasionner à ses vêtements. Puis les deux enfants reculèrent, l'une plus volontiers que l'autre. T'Challa offrit pourtant une distraction bienvenue en s'allongeant, grondant pour obtenir sa dose de caresse de la part du petit bonhomme.

- Ce n'est rien d'insurmontable, " répondit Krish à l'apparente inquiétude de la fillette. " Certains mages de l'Etude Noire ont fomentés une révolte contre notre dernier Triumvir, mais aussi contre les Dieux. On est allé calmer tout ça.
- Ouais... A seize contre plus de trois-cent ça c'est bien passé. " ricana Eshk'Oroth en passant près de son ancienne patronne.
- Va t'occuper de tes caisses de viande séchées toi ! " gloussa Krish en envoyant au passa une petite tape sur le flanc de l'homme qui était passé trop près, lui arrachant un glapissement. Elghinn leva un œil pour demander plus de détails croustillants et emboita finalement le pas à Eshk'Oroth pour aider tout en en apprenant davantage. Krish se releva en serrant stoïquement les mâchoires et invita Driz'na à la suivre vers des salles un peu plus profondes, mesurant son pas pour qu'elles puissent marcher côte à côte.

- Je voulais que vous soyez là pour éviter les mauvaises surprises. Demain, nous en finirons avec les dirigeants décadents du Puy. J'ai demandé une Ordalie contre la Haute-Prêtresse d'Uriz et invité tous les croyants à se rassembler sur l'esplanade des Neuf pour aller demander des comptes à Malag'eyl. Je compte aussi révéler mon identité. " raconta-t-elle en ramenant régulièrement son regard sur la jeune fille. " Tu sais ce qu'est une Ordalie je suppose ? "

Rien d'insurmontable... en effet, sinon elle ne serait pas là à leur faire un câlin. Driz'na en fut un peu rassurée mais elle ne pouvait que détailler du regard sa mère. Et elle était loin d'être dans le meilleur état possible. Elle préféra donc rester sur le fait qu'à seize contre plus de trois cents personnes, des hérétiques qui plus est, sa mère en était ressortie vivante. Et rien que pour cela, la petite admirait celle qui l'avait fait naître. De plus, elle l'avait fait pour protéger les dieux... une pointe de fierté éclaira les yeux violacés de l'enfant. Elle ne dit pourtant rien, se rappelant très bien l'enseignement de Krish : ne pas laisser aux autres voir ceux qui font sa fierté, afin de se protéger soi-même comme ces quelques personnes.

Une claque sur le flanc d'Eshk'Oroth et un serrage de dents plus tard, Elghinn suivit l'homme à la recherche d'anecdotes guerrières alors que sa demi-soeur suivait leur mère vers des salles plus profondes. Quelles étaient belles les deux femmes de la famille... Une adulte ayant du mal à tenir du fait de ses blessures et une enfant au bras bandé collé contre son corps. Un beau point commun est qu'elles avaient désormais toutes les deux du sang sur les vêtements, ce qui semblait ne déranger ni l'une ni l'autre.

"Je voulais que vous soyez là pour éviter les mauvaises surprises. Demain, nous en finirons avec les dirigeants décadents du Puy. J'ai demandé une Ordalie contre la Haute-Prêtresse d'Uriz et invité tous les croyants à se rassembler sur l'esplanade des Neuf pour aller demander des comptes à Malag'eyl. Je compte aussi révéler mon identité. Tu sais ce qu'est une Ordalie je suppose ?"

La gamine hocha affirmativement la tête. Vaerian comme ses professeurs s'étaient évertués à lui faire comprendre ce que c'était, au point d'avoir amené plusieurs enfants de la classe à se défier de la sorte. Comme ça ses anciens camarades de classe avaient en même temps appris à garder tête basse devant les dieux et à ne pas invoquer leur justice pour des broutilles. Dans le fond, le principe était simple : un duel sous le regard des dieux, raison pour laquelle un prêtre de Meingal y était forcément présent. L'ordalie s'arrêtait généralement au premier sang ou jusqu'à ce qu'un combattant ne puisse plus se battre mais il arrivait que ça aille jusqu'à la mort... Quoi qu'il en soit, le vainqueur avait forcément gain de cause puisque les dieux lui avaient permis de gagner.

"Pourquoi avoir demandé une ordalie contre la Haute-Prêtresse d'Uriz ? Elle suit mal le Père ? Et pour le Triumvirat, vous pensez mettre d'autres personnes à la place ?"

Des questions aussi enfantines que pointues. Driz'na faisait avec ce qu'elle comprenait et ce qui se passait depuis la veille l'intriguait grandement. Demander une ordalie contre une haute-prêtresse, en plus celle d'Uriz... ce n'était pas rien, notamment d'un point de vue religieux. Et elle se doutait que s'ils allaient "demander des comptes" au dernier triumvir, ce ne serait pas juste pour l'écouter faire un discours. Ce n'était pas ainsi que ça marchait en politique.

Krish sourit à la fillette, s'arrêtant une seconde, la main sur la poignée de la salle suivante. C'est qu'elle avait sacrément de la suite dans les idées la petite.

- Tu réfléchis vite. C'est bien. " commença-t-elle en poussant le battant. " Du Triumvirat qui avait gagné le respect du Puy, l'une a fuit lâchement quand la menace s'est fait trop pressante et le Baenfere a bafoué le Père au point de s'être réfugié chez les elfes. " Elle cracha au sol pour ponctuer sa phrase. Le simple nom de ce salopard lui écorchait l'âme. Elle se baignerait dans son sang. Elle ne savait pas quand, mais cela arriverait un jour ou l'autre. " Malag'eyl est le dernier qui reste et s'il a été infoutu de prendre les armes contre les rebelle aujourd'hui, c'est soit qu'il est mort, soit qu'il est devenu fou. J'ai bien quelques idées à proposer pour le remplacer, mais il faut encore que j'en discute avec les intéressés et l'un d'eux à du mal à cause d'un poumon percé. " Elle leva une épaule en signe de dépit.  " De toute façon, avec les incendies et la rébellion, nous en sommes rendu à un tel point de chaos que tout est mieux à prendre qu'une illusion de sécurité. "

Passant derrière la grande table de réfectoire et évitant de justesse l'un de ses hommes, elle fouilla dans quelques caisses de transport pour en sortir une sorte de cageot remplit à ras-bord de bandages et de flacons. Elle la hissa dans ses bras avec un grondement du au poids visiblement colossal de l'ensemble. Donnant un coup de menton vers des affaires entassées non loin, elle lança à Driz'na.

- Prend la bouteille d'alcool. On va porter ça aux blessés du hall. " plus qu'une bouteille c'était une véritable bombonne qui lui donnerait certainement un peu de fil à retordre mais pas plus que la caisse n'en donnait à sa mère, et rien qu'elle ne puisse supporter à une main. Du moins c'est ce qu'estimait la daedhel. Une fois la gamine chargée, elles reprirent le chemin en sens inverse.

- Et pour répondre à ta question sur l'Ordalie, Kel'Zora Xaran, la fameuse Haut-Prêtresse, a à peine trois siècles et je l'ai vu mettre à mort ses propres hommes sur le champ de bataille sans aucune raison. Elle les a paralyse de peur. Faisant d'une troupe de Faern, de simple chiens à sa botte. Il faut remettre une bonne fois pour toute le culte d'Uriz sur la bonne voie et je ne lui laisserai pas le temps de gaspiller une seule vie de plus." Elle ouvrit une porte d'un coup de pied et la maintint pour laisser la gamine passer en premier avant de s'y engouffrer à son tour. " Et puis j'ai des comptes personnels à réglés avec elle. Elle a donné la charge sans faire de différence entre nous et les rebelles, entrainant la mort d'Umkir. Et elle s'est servit de la dépouille de l'ancien Haut-Prêtre Velkyn, mon mari, pour ses petites magouilles, obligeant Valsrik à détruire son cadavre alors qu'il aurait du être honoré pendant les prochains siècles. "

La gamine écoutait sa mère, la suivant sans rien dire, juste en mémorisant le plus d'informations possibles. Pour cela, tout était bon : les noms donnés, le mouvement associé au souvenir, tout ce qui relevait du visuel... Du Triumvirat, l'une des personnes avait lâchement pris la fuite ; Baenfere s'était mis à mal vis-à-vis du Père - au point de se réfugier chez l'ennemi honnis ?! - et le dernier était soit mort soit fou. Effectivement, à ce stade il valait mieux placer d'autres drows...

"Prends la bouteille d'alcool. On va porter ça aux blessés du hall."

Sans prononcer un mot, la fillette alla chercher la bouteille que lui désignait Krish. Une grosse bouteille... Driz'na regarda un instant la bombonne, se demandant sincèrement si elle arriverait à la prendre correctement avec seulement un bras. Commença alors un duel singulier entre la bouteille et elle, la première ne voulant pas se laisser prendre et la seconde jouant avec main, bras, jambe, tête et ventre pour essayer de la caler contre elle. Finalement, après moult accrobaties, c'est avec le dos à moitié penché vers l'arrière que l'enfant réussit à marcher avec l'alcool pour blessés. C'est que c'était lourd cette bestiole-là... Sans se plaindre elle suivit Dren'Zess, l'écoutant parler de la Haute-Prêtresse Kel'Zora Xaran. En même temps elle essayait de comprendre tous les rouages de ce problème mais quelques questions naissaient à son esprit. Elle avait l'impression que Dren'Zess ne se présenterait pas pour faire partie du Triumvirat... mais elle allait profiter de cette histoire pour donner son nom au peuple. Et elle n'était pas contente après Kel'Zora. Mais vraiment pas. Alors jusqu'où irait l'ordalie ? Y avait-il un lien entre le duel et le pouvoir ? Son père aurait déjà compris, lui.

"L'ordalie ira-t-elle jusqu'à la mort ? Ou jusqu'au premier sang ?
Elle attendit d'avoir la réponse à sa question avant de reprendre.
- Vous ferez partie du Triumvirat, s'il n'y a plus personne ? C'est pour ça que vous révélerez votre nom ?"

- J'espère qu'elle sera accepter jusqu'au renoncement ou à l'incapacité de combattre. " Elle changea la prise sur sa caisse et ajouta avec un sourire perçant " Et j'aimerais que tu sois là pour y assister. " Elghinn viendrait. Elle pourrait l'attacher à la roche mère du volcan qu'il trouverai quand même un moyen de venir. Elle était prête à parier que T'Challa ferait la même chose et elle allait d'ailleurs devoir discuté avec les deux énergumènes pour s'assurer qu'ils ne sauteraient pas au milieux de leur zone de combat si elle se faisait un peu chahuté.

Et puis la gamine posa une seconde question. Elles étaient encore dans un escalier ressemblant à un boyaux de pierre, creusés par les Repentis depuis leur installation quelques mois plus tôt. Elle s'arrêta, dominant involontairement la gamine quelques marches plus bas de toute sa hauteur.

- Je ne sais pas encore quelle place je jouerai officiellement, mais qui te dis qu'il s'agira nécessairement d'un triumvirat ? " Elle soutint le regard abâtardit de sa fille avant de reprendre la marche.

Arrivées de nouveau dans le Hall, elle se dirigea vers un petit groupe de drows largement dévêtus qui s'occupaient eux-même de coupures à désinfectées et à recoudre. Elle déposa près d'eux son chargement dans un concert d'approbation et se posta dans le dos d'un jeune gaillard dont le torse et le bras gauche étaient blanchi d'un large tatouage entremêlant de nombreux symboles religieux pour recoudre une profonde entaille hors d'atteinte.

- Hey... C'est votre gamine cette ravissante demoiselle ?
- Et oui. C'est ma fille. Driz'na.
- Content de te rencontré, Driz'na. " puis avisant son bras, l'un des autres Repentis ajouta.
- On a déjà affaire à une casse-cou.
- Ouais. Si le Père le veut, elle deviendra une sacré guerrière. Comme sa mère !
- Oh je crois qu'Il n'y verra pas d'inconvénient. " ne put s'empêcher de marmonner la forgelâme en sentant gigoter la force brute qui couvait dans ses entrailles.
- Hein ?
- Rien. Et bouge pas sinon la couture ne ressemblera a rien. D'ailleurs Driz'na. Comment va ton bras ? "

Elle resta là à regarder Krish avec de grands yeux, concevant à peine le fait qu'il puisse y avoir autre chose qu'un Triumvirat pour diriger le Puy. Quand l'adulte reprit sa marche elle fit de même, ne voulant pas se perdre dans des couloirs qu'elle n'avait jusque là jamais empruntés. Autant qu'elle vienne voir l'ordalie lui paraissait logique, de plus que sa mère lui demandait de venir, ce qui la mettait en joie, autant qu'Elda soit gérée d'une autre manière... Non, son esprit d'enfant avait du mal avec cette possibilité. Elle suivit donc Shaar jusqu'au hall où se trouvaient quelques adultes en train de panser leurs blessures. Ils accueillirent leur chef - ou le contenu de sa cargaison - avec de grands sourires avant que l'un d'eux ne s'attarde sur la petite qui l'accompagnait.

"Hey... C'est votre gamine cette ravissante demoiselle ?
- Et oui. C'est ma fille. Driz'na.
- Content de te rencontrer, Driz'na."

La concernée eut un sourire tout à fait innocent. C'était rare que quelqu'un parlait ainsi d'elle. Et en plus sa mère l'avait présentée comme étant sa fille. Donc, forcément, elle ne pouvait qu'avoir le sourire aux lèvres. La bombonne toujours dans le bras, elle hocha de la tête pour signifier qu'elle était également contente de cette rencontre. En fait, elle avait l'impression qu'elle allait bien aimer rencontrer les Repentis dans leur ensemble. D'un regard, elle demanda à Krish où elle pouvait poser son lourd fardeau. Ce ne fut qu'une fois débarassée de tant d'alcool qu'elle revint à la discussion. Visiblement, les autres avaient bien envie de la voir devenir une grande guerrière, comme sa mère. Enfin si le Père le voulait. Ce à quoi Krish répondit quelque chose d'inaudible.

"Hein ?
- Rien. Et bouge pas sinon la couture ne ressemblera a rien. D'ailleurs Driz'na. Comment va ton bras ?
- Le guérisseur a dit que j'ai eu de la chance hier, que mes os avaient tenu le choc. Le mois prochain je pourrais peut-être à nouveau le bouger, mais pas encore l'utiliser.
- Que t'est-il arrivé hier ?"

L'enfant regarda rapidement sa mère avant de répondre quoi que ce soit, lui demandant discrètement son assentiment. Une fois que la guerrière eut hoché de la tête, Driz'na posa son regard violacé sur celui flamboyant de l'adulte.

"Des maisons ont explosé alors que j'allais au temple d'Uriz.
- Et ?
- Et... Elle regarda à nouveau sa mère. Visiblement il y avait quelque chose qu'elle ne lui avait pas dit... Quelqu'un m'a sortie des gravats puis des gens nous ont suivis. On a dû se défendre. Les enseignements de mère sont très utiles."

Elle ne savait pas trop comment l'annoncer. Les prêtres du temple où elle avait si souvent classe l'avaient laissée annoncer elle-même à sa tutrice ce qui s'était passé mais elle n'en avait pas eu le temps. Elle n'avait aucune honte de son geste, et n'en tirait de fierté que ce que cela signifiait : elle n'était plus vraiment une enfant. Elle ne savait tout simplement pas comment l'annoncer, d'autant plus avec des inconnus autour.

Les mains de la forgeronne s'arrêtèrent lorsque sa fille commença son explication. Elle était présente lorsque le quartier avait pris feu... Elle était suffisamment proche pour être piégée sous les gravats... Elle avait du combattre... Et ni elle ni les prêtres du temple d'Uriz ne lui avait dit quoi que ce soit ?! Elle en resta - une fois n'est pas coutume - hébétée.

- Alors tu t'es battue avec un bras immobilisé ?
- Qu'est-ce que je disais ? Une sacré guerrière." s'esclaffa son voisin en lui bourrant l'épaule d'une claque qui fit rugir l'intéressé de douleur. Les autres rirent de bon cœur avant de se rappeler qu'ils étaient eux aussi de guingois, grimaçant de concerts. Derrière le dos des Repentis, Krish leva les deux pouces à l'intension de la fillette. La fierté se lisait sur ses traits et jusque dans son regard. La petite n'avait pas fuit. Alors qu'elle parlait de fuir et de rester invisible l'ennéade précédente. C'était une sacré victoire !
- Vous l'avez sacrément éduqué en tout cas.
- je sais même pas ou vous trouvez le temps...
- Pour l'instant je lui ai surtout apprit a mettre à mort de façon efficace. Je... Driz'na. Est-ce que je dois comprendre que tu... ? "

Un demi sourire faisait briller ses yeux étrécis. La petite ne lui aurait quand même pas caché ça...?

A la première expression de sa mère, Driz'na se sentit encore plus gênée. Normalement elle aurait dû lui dire ce que s'était passé, ou bien les prêtres. Et ils l'auraient fait si sa dague n'avait pas autant été tachée du sang d'un autre. Alors ils lui avaient laissé annoncer la bonne nouvelle à Krish. Elle aurait vraiment dû le faire plus tôt mais, sans comprendre pourquoi, à aucun moment elle n'avait été à l'aise pour le faire le soir-même. Puis elle ne l'avait plus revue. En fait, la petite n'avait aucune envie de crier sur les toits son exploit, contrairement à tous les autres. C'était comme un secret, quelque chose d'intime qu'elle ne voulait partager avec Dren'Zess qu'en privé. C'était son moment à elle, si important que le révéler ne devait se faire qu'aux personnes qu'elle portait vraiment dans son coeur. Et Uriz seul savait à quel point Driz'na tenait à sa mère, sans qu'il n'y ait eu d'évènement particulier pour qu'un tel lien se crée.

"Alors tu t'es battue avec un bras immobilisé ?
- Qu'est-ce que je disais ? Une sacré guerrière."

Le deuxième drow donna une forte accolade au premier qui hurla de douleur. Tous rirent à en grimacer à leur tour. Celui qui avait posé la question finit par relever les yeux vers l'enfant qui haussa l'épaule avec un faible sourire. Oui elle l'avait fait ; de toute façon elle n'avait pas eu le choix, c'était ça ou mourir. Mais cela avait valu le coup, bien plus que simplement survivre. Cet acte lui valait la fierté de la seule personne à qui elle pouvait se rattacher. Et c'était avec cette fierté que Lotha Suru comprenait que désormais, elle pouvait arrêter de fuir. Qu'elle pouvait affronter l'adversaire, même avec un bras en moins.

"Vous l'avez sacrément éduquée en tout cas.
- Je sais même pas ou vous trouvez le temps...
- Pour l'instant je lui ai surtout appris à mettre à mort de façon efficace. Je... Driz'na. Est-ce que je dois comprendre que tu... ?"

La concernée se mordit les lèvres, toujours aussi gênée par la situation, puis finit par acquiesser en silence. Sans jamais perdre des yeux sa mère, dont elle redoutait à moitié la réaction. Comme si elle avait besoin de s'expliquer, elle finit par prononcer à voix basse :

"Les prêtres ont décidé de me laisser vous l'annoncer moi-même... mais je n'ai pas pu hier soir..."

Les mots de Driz'na sortirent de sa bouche plus comme un couinement de souris que comme de véritables mots, mais le fait d'être concentré sur son visage et le mouvement de ses lèvres permis à Krish d'en saisir l'essentiel. Et quel essentiel ! Elle souffla un mot au voisin de l'homme qu'elle était en train de recoudre pour qu'il finisse le travail malgré la plaie qu'il avait au flanc et contourna les blessés en deux enjambées pour se baisser à la hauteur de sa fille. Yeux dans les yeux, elle repoussa les mèches brunes derrière ses oreilles effilées, dégageant totalement son visage enfantin et s'attardant sur sa joue tandis que l'autre de ses mains allait cueillir celle de la fillette.

Un puissant rire rebondissait dans les entrailles de a daedhel, agitant son cœur d'une joie féroce. Driz'na s'était battue. Elle avait gagné. Elle avait tué. Pour la première fois, Driz'na avait ôté une vie. Et elle l'avait vécu si intimement qu'elle n'avait même pas ressentit le besoin d'en parler immédiatement. Krish tira la paume de sa fille jusqu'à elle pour y poser un baiser.

Les Repentis alentours, malgré les sourires - moqueurs ou non - qui venaient de fleurir sur les visages, ne cherchèrent pas le moins du monde à intervenir et redoublèrent d'attention pour leurs blessures. Chacun ici avait expérimenté la chose et tout eldéen normalement constitué savait que c'était un moment important de leur apprentissage à tous. Que ce soit sur un esclave, lors d'un entrainement, d'une guerre ou pour sauver sa vie, chacun expérimentait le fait de donner la mort et chacun le vivait d'une façon différente. Généralement, cela avait quelque chose de grisant, mais pas toujours. Et les morts qui comptaient vraiment, ce n'était pas quelque chose dont on parlait à tort et à travers. Pas de façon franche en tout cas.

- Je suis fière de toi, Driz'na. " murmura Krish à destination de sa fille et de nulle autre. " Tu as affronté ta peur et tu as fait honneur au Père. Si j'avais su, nous aurions marqué le coup dignement. Tu as envie de manger quelque chose ou tu as déjà diné ? "

L'eldéenne souriait, mais derrière un soupçon d'amour maternel et une montagne de fierté brulait... autre chose. Elle se redressa pour saluer les combattants et parti d'un pas guilleret au côté de Driz'na, vers le coin qu'ils avaient dévolus au réfectoire et proposa à la fillette de s'asseoir au bout d'une longue table. Deux ou trois autres drow discutaient en mangeant ou buvant un peu sans se préoccuper des affaires des autres groupes. Cherchant dans les coffres et sur les étagères où étaient stocké la nourriture, l'eldéenne finit par ramener de la viande séchée, une purée de poivron froide, deux gobelet d'étain et une bouteille de verre mauve surmontée d'un bouchon de liège.

- Prend ce qui te fait plaisir. " dit elle en débouchant la bouteille pour en verser une bonne quantité dans les deux verres. Le liquide était épais et d'une couleur rubiconde. Une odeur d'épices, de miel, de Zat'kyr et de cuivre s'en échappait. " Ce n'est pas le meilleur Shyk'na, mais il est tout a fait correcte. Et puis l'occasion est trop belle. " expliqua encore la forgelâme en proposant les deux verres à la petite pour qu'elle choisisse le sien. Enfin, elle s'assit près d'elle et tendit son propre verre. " Trinquons. A ton courage et à ta force. Puisse Uriz toujours être aussi content de toi que ces derniers jours" Les verres se heurtèrent, Krish adressant à sa descendance un regard complice.

S'enivrer d'un rien. Juste saisir l'instant présent, le vivre pleinement avec toute la joie que les dieux pouvaient nous offrir. Un moment anodin pour beaucoup mais qui, pour l'enfant debout auprès de sa mère, valait toute la lave du Vatna. Un repas, ensemble, juste toutes les deux. Entre mère et fille. Driz'na n'avait pas très faim, si bien qu'elle aurait pu décliner l'invitation de Krish et ne pas manger, ce n'aurait pas été la première fois qu'elle ne mangeait pas le soir. Mais là... l'occasion était trop belle, aussi avait-elle juste fait signe à la forgelame qu'elle acceptait volontiers le repas. Se trouvait-elle donc assise, jambes trop petites pour toucher terre, à une table du réfectoire. Autour se trouvaient quelques adultes mais personne ne faisait attention à elles. Du moins pas suffisamment pour que leur conversation en soit troublée.

"Prend ce qui te fait plaisir. Ce n'est pas le meilleur Shyk'na, mais il est tout a fait correcte. Et puis l'occasion est trop belle. Trinquons. A ton courage et à ta force. Puisse Uriz toujours être aussi content de toi que ces derniers jours."

La petite ne se fit pas prier. Elle posa un regard curieux sur le liquide qu'avait servi sa mère tout en prenant un gobelet, puis trinqua avec une joie à peine dissimulée à sa propre santé. Déjà, sans avoir encore touché à rien, Lotha Suru se régalait. Elle se régalait juste de cet instant, d'avoir Dren'Zess là assise à la même table qu'elle, d'être sa fierté, de l'avoir rien que pour elle. Mais cet attachement enfantin, elle se garda bien de trop le montrer. Aussi répondit-elle, assez bas pour que seule sa mère l'entende.

"Et puisse Uriz vous guider sur le champ de bataille comme il l'a fait aujourd'hui. Vos conseils ont beaucoup aidé."

Son sourire était sincère mais pas aussi prononcé que pouvait être celui démontré la grande joie innocente d'un enfant. Non, cette joie-là, elle la réfrénait. Elle n'était vraiment pas sûre que Krish resterait longtemps auprès d'elle si elle montrait ainsi ce qu'elle avait compris comme devant être caché. Tout en buvant de la mixture qui, finalement, s'avérait être super bonne, Driz'na repensa à ce qui s'était déroulé le matin des explosions. La poussière, la découverte du bras arraché, le feu, la libération improbable, les tire-laines (ou pas), son duel... La petite trempa un morceau de viande séchée dans la purée de poivrons et en mangea un morceau. Elle regardait Krish dans les yeux, se rappelant une lueur qu'elle avait aperçue quand elle s'était baissée pour la féliciter. Une lueur qu'elle ne connaissait pas chez les autres. Elle se demandait bien ce que c'était... mais préféra pour l'heure poser une question qui lui venait à l'esprit, tant qu'elle était en intimité avec Dren'Zess.

"J'ai repensé à la personne que j'ai tuée hier... enfin à l'acte en lui-même. Je n'ai même pas pensé aux gestes, juste au fait qu'il fallait frapper deux fois. Je n'ai pas eu peur, c'était... comment dire... comme si c'était normal, que c'était la chose à faire. Comme si c'était au fond de moi. Est-ce normal ? Les autres enfants vivent-ils leur première mort comme ça ?"

Driz'na était devenue des plus sérieuses. Dans ses questions, aucune peur. La seule raison de son balancement de jambes était qu'elle avait du mal à trouver ses mots pour décrire exactement ce qu'elle avait ressenti lors de l'épreuve. Elle se doutait qu'à ce moment précis le Père avait dû habiter son coeur. Cela s'était trop bien passé et trop rapidement pour qu'il en soit autrement. Mais comme c'était une première fois à laquelle elle ne s'était pas attendue, elle préférait demander à sa mère. Avoir l'avis de celle qui avait déjà vécu cet évènement singulier et qui était au courant du rêve que lui avait envoyé Uriz.

Krish profita de la liqueur forte au sang de morgal et piqua un bout de viande séchée du bout des griffes. Elle la mastiqua longuement avec un soupire d'aise. Le bout caoutchouteux n'était pas des plus intéressant pour son palais, mais manger un brin lui faisait du bien. Sans parler de la rasade d'alcool qui lui éviterait peut-être certaines douleurs jusqu'à ce qu'elle prenne le temps de se faire soigner.

C'était décidément un grand jour. Pour elle, pour Elda et pour sa fille. Si elle ne se montrait pas à la hauteur le lendemain, elle aurait au moins eu son lot de bonnes nouvelles avant d'y passer. Faudrait qu'elle se trouver un amant pour la nuit et tout serait parfait.

Partageant des regards avec Driz'na, elle l'écoutait avec attention. Cette petite pause avec la jeune fille lui était plutôt agréable. Elle n'était pas particulièrement à son aise avec les enfants, mais la petite faisait preuve d'une telle rapidité d'apprentissage et d'une telle maturité qu'elle n'était pas vraiment à catégorisée dans le groupe 'enfant'. Non, elle était bien trop intéressante et volontaire pour ça. Finalement, interagir avec elle n'était pas différent que de sortir un potentiel brute de la gangue dans laquelle sa prime éducation l'avait placé. La gangue était seulement plus fine que pour des adultes butés.

- Je ne sais pas si c'est normal, mais c'est tout à ton honneur. Que tu aies senti ça comme naturel, ça veut dire que tu étais prête. Cette force fait partie de toi. " Avoir conscience que donner la mort ne devait pas être un acte redouté et qu'il faisait parti du processus d'évolution de tout être était rarement saisit par des personnes aussi jeunes. Chaque chose faible devait être détruite pour qu'une forte puisse prendre sa place. Avoir la puissance de prendre une vie était une preuve de force et de bravoure dont on pouvait apprendre à profiter, l'intégrer était parfois difficile.

Elle déglutit proprement pour pouvoir répondre à la petite avec toute l'attention que méritait la question mais sans pour autant l'alourdir d'un sérieux disproportionné.

- Mais tu sais, je crois que chaque personne vit son premier meurtre différemment. Par exemple, je me rappelle que Ren, mon petit frère, en a été malade pendant des ennéades. Vaerian devait être à peine plus âgé que toi quand il a tué un esclave à l'entrainement, et il semblait s'en moqué comme de son premier couteau... Mais je le suspecte d'avoir bien cacher la vérité. " Quand à elle... C'était différent. Les yeux curieux de la jeune fille la guettaient. Elle se rendait bien compte que parler de sa propre expérience était la suite logique de ce préambule mais... C'était différent. Son sourire se montra moins léger et moins désinvolte. " J'étais beaucoup plus jeune que toi lorsque j'ai pris ma première vie. J'étais même trop jeune pour vraiment le comprendre alors ça m'a pris du temps. Je suis passé par des sentiments très violents avant que cela prenne la normalité qu'il convient. Un outil de plus à ma portée. " Elle but une nouvelle rasade d'alcool " En tout cas rappelle toi de ce que tu as ressenti. Tu as de quoi être fière. Et garde ce sentiment de chose qui se déroule naturellement dans un coin de ta tête. Tu pourra toujours t'y fier pour savoir si tu es sur la bonne voie. Par exemple pour ton dépucelage ou lorsque tu choisiras ton métier.
- Le dépu... quoi ? "

Visiblement, la petite ne comprenait pas le mot employé, mais un sourire amusé fleurit de nouveau sur les lèvres de sa mère en remarquant qu'elle descendait sa boisson à grande vitesse.

- La première fois que tu coucheras avec quelqu'un. " expliqua-t-elle avec la plus pure simplicité avant de reprendre un bout de viande.

Driz'na eut un petit sourire. Au moins, la voilà rassurée : si elle ressentait l'épreuve ainsi, cela signifiait qu'elle était prête à la passer. Rien de plus étonnant, quand on pensait à ce qu'elle avait vécu jusque là. Elle avait toujours écouté, retenu puis fui le danger. Elle n'avait jamais vraiment appris à se battre, son père n'ayant de toute façon pas suffisamment le temps pour lui inculquer ce savoir-faire avant qu'elle ne l'apprenne en classe. Son expérience d'enfant traquée l'avait laissée perdue, pratiquement dans un état catatonique. Dans le fond, ce qui lui avait permis de vraiment remonter la pente était sa foi, bien que la réapparition de Dren'Zess y soit également pour quelque chose - de toute façon, les deux étaient liés. Alors comment avait-elle pu trouver la ressource en elle de survivre face à un adversaire ? C'était peut-être cela : une question de survie. Elle avait toujours appris à survivre et prendre une vie s'était révélé être le seul moyen de préserver la sienne. Driz'na restait dans le fond tout de même étonnée de s'être découvert les qualités et les réserves qu'il fallait pour ce genre d'acte.

Le fait de connaître le vécu de sa propre famille, même si ce n'était pas en détails, lui fit également du bien. Son sourire se fit nostalgique à l'évocation de son père : il lui manquait. Vraiment. Et qu'il ait caché ses sentiments ne l'étonnait pas... il avait toujours été une personne différente en fonction de ceux avec qui il discutait. Au point qu'elle s'était un jour demandé si son père était le vrai Vaerian ou s'il n'était pas un visage parmi tant d'autres. Cela ne l'empêchait pas de l'aimer comme aucun être au monde mais il restera toujours une personne pleine de mystère. Et elle aimait bien savoir et comprendre, pas juste se satisfaire de paraître. Jouer de ce paraître, elle l'apprendrai en temps et en heure, certainement.

"... Et garde ce sentiment de chose qui se déroule naturellement dans un coin de ta tête. Tu pourras toujours t'y fier pour savoir si tu es sur la bonne voie. Par exemple pour ton dépucelage ou lorsque tu choisiras ton métier.
- Le dépu... quoi ?
- La première fois que tu coucheras avec quelqu'un.
- Ah ça ! Ce sera avec les prêtres d'Isten, c'est ça ?"

L'enfant piocha à son tour dans la purée de poivrons, se servant de la viande séchée comme d'une cuiller. Elle aimait bien ça. Et ça s'arrangeait bien avec la boisson. Le miel et les épices éveillaient les papilles de bonheur... par contre il y avait une sorte d'arrière goût bizarre, fort, elle n'arrivait pas à déterminer quoi. Et ça donnait chaud à la gorge. En tout cas à petites gorgées ça ne se sentait pas trop et ça restait très bon !

"Comment ça se passe, la première fois ? Le... le dépu... celage."

- Ah ça ! Ce sera avec les prêtres d'Isten, c'est ça ?
- Ce n'est pas une obligation, mais c'est probable oui. " acquiesça Krish qui commençait à avoir du mal à cacher son amusement. Elle en connaissait une qui allait avoir sa première gueule de bois. Après son premier meurtre, c'était dans l'ordre des choses. La noire-elfe en était assez attendrit d'une certaine façon. La perspective de partager ce genre de petit moment n'existait pas vraiment avec Elghinn. Non pas qu'elle s'en plaigne, mais l'expérimenter une fois n'était pas désagréable. Laissant Driz'na trouver un bon rythme de descente, elle se resservit un godet... et un sourire cynique crispa son visage à la question de l'enfant.

Les grands yeux de Driz'na, si semblables à ceux de son père, coupèrent le premier réflexe de la drow qui aurait été de l'envoyer sur les roses en lui disant qu'il y avait des questions qu'il fallait mieux ne pas poser. Non mais sérieusement, qu'est-ce qu'elle en savait, de ce que ça faisait ? Elle leva un sourcil face aux regard innocent de la gamine, ennuyée, et avala trois bonnes gorgées de Shyk'na tout en décalant le curseur de sa mémoire de quelques années. Lorsqu'elle posa son gobelet, elle avait retrouvé un air qui prouvait à lui seul à quel point le souvenir qu'elle avait choisit était bon. Elle se pencha vers l'enfant, comme pour une confidence.

- La première fois c'est seulement une première fois. Un peu brouillonne, inutile. Comme tous les apprentissages. Mais quand tu commenceras à te connaitre et que tu choisiras les personnes qui te plaisent, tu te sentiras à la fois belle, invulnérable, vivante et paisible. Sentir une autre personne au creux de sa propre chair c'est à la fois sans conséquence et infiniment intime. Durant quelques secondes tout peut arrivé et tu puises en l'autre ce dont tu as besoin. "

L'oubli. Le plaisir. Le pouvoir. L'abandon. Le repos. La liberté. L'amour. La confiance. La vengeance. Chacun différait en la matière. Si elle prenait un jour conscience des mauvais côtés du sexe et de la destruction qui pouvait y prendre racine, inutile que ce soit la première chose dont on lui parle.

* Alors c'est lui... * ronronna le feu en elle. Oh oui c'était lui qui lui avait mis le feu de la vengeance au cœur. C'est lui qui lui avait apprit à toujours se relever. C'est lui qui lui avait appris à survivre peu importe l'humiliation, la destruction et le désespoir. C'est lui qui lui avait appris à ne jamais abandonné. Ou plus exactement, elle lui avait arraché tout cela. A ce bâtard qui avait prit Kiel pour maîtresse et Tesso pour guide. Elle lui avait arraché jusqu'à la dernière parcelle de ce qu'elle pouvait lui prendre, puis elle l'avait laissé derrière elle. Et elle l'avait dépassé. Dépassé de si loin qu'il en était devenu insignifiant. Il était la première pierre du long chemin qui l'avait conduite à être celle qui, aujourd'hui, méritait l'attention d'Uriz. Et elle ne laisserait personne lui retirer ce chemin qu'elle avait choisi et emprunté pour le réduire à une poignée d'années passées aux mains d'un fou. Fut-il drow ou dieu. Comme une réponse, la brûlure s'intensifia, se répandant dans ses membres avec une volonté farouche. Elle accueillait et supportait stoïquement la sensation qui mêlait en elle terreur et exaltation.

Elle ajouta à l'attention de Driz'na avec un sourire effrayant de douceur forcée :

- Et surtout, si tu ne te sens pas à ton aise ou que la personne prétend que tu n'as pas le choix. Fait lui bouffer ses propres tripes.

Dans l'instant de silence qui suivit, elle reprit contenance, le feu se retirant pour crépiter à la place qui lui était désormais acquise. Elle attrapa la bouteille et resservit la jeune fille.

- Une fois les choses clarifiées, c'est surtout beaucoup de plaisir et de jeux délicieux qui s'offriront à toi. Et tu peux me croire, ce ne sera qu'un début. " reprit-elle en poursuivant sa confidence amusée, de nouveau pleinement elle-même.

Lotha Suru but littéralement les paroles de Shaar, ou plutôt but-elle tout ce qu'il lui restait de Shyk'na en même temps que l'adulte continuait ses explications. C'était beau, les paroles étaient emplies de miel avec un petite touche d'arrière-goût fort épicé. Ou quelque chose comme ça. Tout en se laissant plus que volontiers resservir de boisson, l'enfant répondit au conseil qui lui était donné.

"C'est pas bon les tripes. Mais j'y penserai !"

Un sourire plus enfantin et joyeux qu'à l'accoutumée ornait le visage de la petite qui, vraiment, était heureuse de pouvoir avoir cet instant avec Dren'Zess. Un moment comme elle n'en avait eu que très rarement avec son père et qu'elle aurait certainement encore plus rarement désormais. C'était qu'entre l'habituel dans les familles - pour ce qu'elle en savait - et Elghinn, ce n'était pas simple ! Mais bon. Autant essayer d'imaginer ce qui lui était raconté sur les "après la première fois", bien que c'était difficile de vraiment s'imaginer la chose. Elle n'était pas bien sûr de tout saisir... Par contre, dans le corps d'un drow, elle savait très bien où se situaient les tripes. Elle savait aussi que ça ne sentait pas bon. Vraiment pas bon.

"Mais les tripes, il faut les faire manger crues ou cuisinées ?"

L'enfant se pencha en avant pour se rapprocher, en toute confidence, du visage de sa mère. Son regard était des plus sérieux, peut-être même trop.

"Parce que papa m'a fait goûter des tripes... et c'était vraiment pas bon."

Puis elle posa ses yeux violacés sur son verre, dont le liquide s'était à moitié échappé. Elle reprit une gorgée, plus prolongée que celles du premier verre. Le drôle d'arrière-goût avait disparu, par contre celui de miel et d'épices...

"Bah, il est parti où le goût ?"

Comme pour essayer de trouver réponse à sa question, Driz'na prit son godet et but le restant de son verre... cul sec.

- C'est pas ce qui a de meilleurs, non. " ricana Krish à la remarque de la gamine. Elle était plus que cuite. A son âge, elle était encore innocente comme une elfe. C'était à ce demander ce qu'avait foutu son père pendant toutes ces années.

Sans pouvoir s'empêcher de rire, Krish tira le godet vide des doigts gourds de la fillette.

- Et bah toi... Si tu te souviens de ce que s'est passé aujourd'hui, tu auras de la chance... "

Puis, avant que la petite puisse protester d'une quelconque manière, la forgeronne se leva et la prit dans ses bras, coinçant son bras blessé entre elles-deux pour éviter qu'elle tente de faire quoi que ce soit d'inconsidéré avec. Sans prêter grande attention à ce que disait exactement la jeune fille, elle posa un gros baiser sonore sur son front et quitta le réfectoire pour errer un moment dans le complexe, soutenant la conversation d'ivrogne  avec un amusement sincère jusqu'à tomber sur celui qu'elle cherchait.

- Eshk'! " L'homme en maille se retourna et fronça immédiatement les sourcils. " Pas de remarque. Je t'expliquerai plus tard. Tu saurais me trouver un coin tranquille où la rouler dans un tapis ?
- Oui. Attend. " Il fit signe à quelques autres et en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, un cagibi fut transformé en... cagibi mais avec deux paillasses pour qu'Elghinn, T'Challa et Driz'na puissent avoir un peu de tranquillité.

Une fois les déménageurs partis, Krish ferma la porte d'un coup de pied et s'assit en tailleurs dans l'espace infime qui existait entre les deux couchages. C'est fou ce que la petite pouvait être... petite.

"Mais le goût ! La bouteille, elle est dans le goût ! Il faut ouvrir le goût !"

Krish prit son enfant dans ses bras, de sorte à ce que le bras blessé ne puisse plus bouger, et déposa un baiser sur son front. La petite, avec une moue boudeuse, finit par se laisser faire tout en babillant des mots tout aussi drows qu'incompréhensibles. Elle ne marchait pas spécialement droit, si bien que l'adulte dut plusieurs fois la remettre dans la bonne direction pour qu'elle ne marche pas sur ses pieds.

"Papa il dit qu'il faut jamais trop boire. Après on raconte n'importe quoi ! C'est comme les tripes : une seule ça a pas d'goût mais plein, c'est pas bon... Les oeufs, c'est meilleur. Dis maman, tu sais faire des oeufs brouillés ? Avec du piment c'est bon ! Mais faut pas mettre la pointe, heu... oui c'est la pointe qu'il faut pas mettre... juste un peu... sinon c'est pas bon non plus. Papa une fois il a rapporté des herbes de dehors, pour la cuisine. Il y avait du thym et... et... Oh regarde maman ! Là ! Elle tendit sa main vers une colonne un peu différente de la majorité de celles se trouvant dans le coin. C'est comme sur le dessin de papa ! Mais y a pas la croix barrée. Dis maman, pourquoi le mage qui m'a chassée il avait une croix barrée au cou ? Ca veut dire quelque chose ?
- Eshk' ! Pas de remarque. Je t'expliquerai plus tard. Tu saurais me trouver un coin tranquille où la rouler dans un tapis ?
- Non ça c'était pas sur le dessin... C'était une porte, pas un tapis.
- Oui. Attends.
- Les tapis c'est bien pour rouler une bouteille ! Y a des gens qui cachent des choses dessous. Mais chuuuuut ! faut pas le dire, fit-elle tout en plaçant son index en travers de sa bouche."

La gamine continua comme ça le temps que des adultes s'occupent de placer quelques paillasses dans un cagibi, racontant une histoire de saucisson, de troll, de pommes et d'elfe. Une chansonnette où il manquait la moitié des mots et où les notes dégringolaient sur la partition sans avoir eu le temps de demander quoi que ce soit. Quand les deux femmes entrèrent dans la minuscule pièce l'enfant s'arrêta de suite, et ce fut dans le silence le plus complet qu'elle resta assise, lovée contre sa mère. Son corps était chaud et sa poitrine se soulevait doucement à intervalles réguliers, la berçant tout en la renvoyant des mois auparavant, voire même peut-être des années, lorsque Vaerian la prenait ainsi contre lui pour lui faire profiter de sa présence avant qu'il ne s'en aille. C'était leur rituel : la nuit après son retour, et celle avant son départ. Le matin, quand elle se réveillait, il n'était souvent plus là.

"Je peux avoir une chanson... s'il-te-plaît ?"

Elle aimait beaucoup les chansons. Et l'alcool commençant à tomber, Driz'na commençait à profiter de l'instant présent. Commençait seulement, puisque son cerveau se trouvait encore dans un brouillard assez épais. Krish chanta alors une vieille chanson que la petite connaissait. Une ancienne chanson drow datant d'il y a bien longtemps, avant même la chute de Nisetis. Au début la petite puce se contentait d'écouter, fermant à moitié les yeux, se laissant bercer par toutes les vibrations corporelles qu'entraînaient ce chant chez sa mère. La respiration de Driz'na se fit au fur et à mesure de plus en plus douce et réguilère. Seules ses lèvres bougeaient au rythme des paroles, montrant qu'elle ne dormait pas encore. Alors que la chanson touchait à sa fin, Krish put entendre une petit voix la continuer, couplets originellement absents ou, peut-être, oubliés avec le temps.

"Avec le temps oubliés
Dans l'heure réprouvés
Acteurs du doute
De la fille sous la voûte
Suite à la colère de la Mère
Dans les profondeurs elle partait...

L'enfant sous le feu du Père
Ne pouvait que fuir la guerre
Sor'o'en, Sor'o'en !
Et sous la Force du Père
Avec bravoure partit en guerre
Sor'o'en, Sor'o'en.

De son nom la lettre oubliée
Comme les coeurs des damnés
Pour mener à la liberté
Savoirs du passé
Nisetis oubliée...
Près de l'oeil fermé... est entrée..."

Sur les derniers vers la voix de l'enfant s'était faite très faible et lente, accueillant pour toute fin des yeux clos et un soupir d'endormissement.

En douceur, Krish allongea la fillette saoule sur la paillasse et ajusta jusqu'à ses épaules une couverture plus symbolique qu'autre chose étant donné la tiédeur qui régnait de le complexe si proche de la lave. Puis, elle se faufila hors de la chambre. Une bonne chose de faites. Quoi? Des sentiments dans tout ça ? Mais oui. Mais oui...

Un frémissement. Il faisait froid, tellement froid... Elle tremblait, complètement recrouevillée sur elle-même, les yeux fermés. Plongée dans les limbes des rêves les plus étranges. Autour d'elle ce n'était qu'un noir des plus complets, un néant qui aspirait toute chaleur propre à l'Elda ou à une Flamme. Seul un brin de clarté bleutée éclairait l'enfant. Le silence, pesant, attendait... jusqu'à ce qu'un flottement dans l'air ne se fasse sentir, tel un voile immatériel dansant non loin de la fille endormie.

Un effleurement. L'enfant ouvrit alors des yeux terrifiés alors que les poils se dressaient sur sa peau. Sa main posée contre le sol glacé était humide. Ses expirations créaient des ondes sur le dallage, ondes plus ou moins arrêtées par la pointe de ses cheveux bruns trainant par terre. Quelque chose n'allait pas. Le silence, encore, était tellement sourd qu'il en devenait déstabilisant. La petite regarda peureusement autour d'elle, ne vit rien, puis finit par entreprendre de se lever. Dur de le faire sans aucun son pour s'assurer de la réalité. Debout, confrontée aux ténèbres, elle ne pouvait que voir qu'elle tenait debout sur une étendue d'eau. Pas de dallage. Le froid, lui, était bien réel. Un frisson malaisant lui parcourut l'échine alors que ses yeux violacés percevaient le ou les voiles qui l'entouraient. Elle hurla. Quoi ? Elle n'en savait rien. Peut-être appelait-elle sa mère, son père, ou un dieu en particulier. Ou peut-être criait-elle juste, sans prononcer de mot intelligible. Elle n'imaginait pas ce qui sortait de sa bouche ; elle ne l'entendait pas non plus. Tout ce qu'elle savait était qu'elle finit par accompagner ce cri muet par des larmes et ses mains qui agrippèrent ses cheveux à la racine. Elle cria jusqu'à ce que les forces la quittèrent et qu'elle ne tombe à genoux dans un éclaboussement. Elle avait peur. Elle ne savait pas pourquoi mais elle avait peur, était terrifiée même. Elle ferma les yeux, ressentant à nouveau ce frisson désagréable.

Le noir absolu. Le silence absolu. Au moins trouvait-elle cela plus normal les yeux fermés qu'ouverts.

Une main se posa sur son épaule. Une douce chaleur l'envahit, lui faisant rouvrir les yeux. Il était là. Il la regardait, à moitié penché vers elle. Ses larmes se calmèrent et, inespérant sa venue, elle se releva pour se réfugier dans ses bras. Les bras de ce père qu'elle aimait tant, ces bras qui lui manquaient, cette chaleur quasi millénaire qui l'avait toujours calmée lors de ses cauchemars. Vaerian enlaça doucement sa fille avant de déposer un baiser sur son front, puis se redressa pour lui montrer quelque chose de la main. Driz'na sécha ses larmes d'une main et prit la main de son père de l'autre, le suivant malgré le fait qu'ils entraient dans la pénombre. Tout autour d'eux la petite pouvait ressentir des choses bouger, comme s'ils la frôlaient, toujours sans rien entendre. Seul son guide lui permettait de ne pas se perdre.

Il se passa un moment extrêmement long avant qu'ils ne parviennent à une salle entièrement éclairée de cette lueur bleue, où l'eau sétendait à l'infini sous ses pieds et où tout autour des deux êtres se tenaient des miroirs. Contrairement aux véritables miroirs ils ne renvoyaient pas le reflet de qui se tenait devant mais des symboles que la petite connaissait bien : les tatouages qui lui parcouraient le corps. Elle se retourna un peu dans tous les sens, afin de voir et comprendre ce qui se passait, sans lacher la main de son père. Elle finit par remarquer que plusieurs symboles lui étaient complètement inconnus et que tous n'avaient pas la même lueur. Certains étaient presque éteints, d'autres au contraire semblaient être ceux qui éclairaient cette étrange pièce. Puis elle finit par se retourner pour être dans le même sens que son paternel disparu et s'arrêta, stupéfaite. C'était l'entrée d'une grotte. D'une grotte d'eau, avec des escaliers d'eau. Ces derniers formaient une cascade silencieuse avec, au fond, ce qui semblait être une autre salle. Vaerian s'arrêta là et regarda sa fille. De sa main libre, il lui fit signe de descendre. Lotha Suru refusa d'un geste de la tête. Il lui sourit et réitéra le geste. La gamine se rendit alors compte que cette main était couverte de sang, un sang qui coulait vers la terre comme si on venait de lui entailler les veines. Son souffle s'arrêta. Elle regarda à nouveau les yeux de l'être tant aimé et découvrit un visage aux traits froids et immuables, tels ceux d'un cadavre. Le mort se pencha à nouveau sur sa fille et elle ressentit non pas un baiser chaud sur son front mais comme si un voile glacé le caressait. Elle ferma les yeux un instant pour ressentir un doigt tracer sur son bras gauche un symbole qu'elle portait déjà en tatouage, exactement au même endroit. Elle rouvrit les yeux puis la chair qui avait permis sa naissance disparut, devenant un voile volant comme tous ceux qui gravitaient autour d'eux. Alors les voiles s'approchèrent d'elle, rapidement.

Sans demander son reste, comme si elle se laissait guider par son instinct, elle courut le long des escaliers.

La salle. C'était celle qu'avait dessinée son père et qu'elle avait dû mémoriser dans les moindres détails. Tout y était. Absolument tout. Y compris la porte et les quelques fissures qui se trouvaient dessus. Une lourde porte-double en bois, avec quelques ferrures, trônait au beau milieu d'un mur nu. Deux colonnes l'encadraient, fortement similaires à celles des forges, certainement par décoration. Au pied de ces colonnes, deux braseros éteints. Pas de serrure. Driz'na posa une main sur le bois, toujours plongée dans le silence perturbant. Inutile d'essayer de pousser la porte. Inutile non plus de chercher à partir ailleurs. Essayant de ne pas perdre pied, elle ferma les yeux et inspira profondément.

"Sor'o'en."

Le mot, prononcé en un chuchotement, se répercuta en un écho de plus en plus lointain. Ses yeux se rouvrirent au moment où les braseros s'enflammèrent. Devant elle ne se tenait plus la grande porte mais une glace de la même taille. Une fille était face à elle, en miroir, la main posée de sorte à ce que ses doigts touchent les siens. Cette fille était plus grande qu'elle, de quelques années certainement. Elle la dépassait d'une bonne dizaine de centimètres au moins et, bien qu'elle ait les mêmes yeux, avait des joues plus plates. De longs cheveux blancs détachés encadraient son visage adolescent. L'inconnue portait des vêtements de cuir souples et assez moulants, comme le faisait parfois son père. C'était la même fille que dans le rêve envoyé par Uriz, du moins le même visage. Fille qui mit sa main libre devant son menton, de sorte que sa bouche soit verticalement barrée par son index. Sans sourire. Sans rien. Juste le silence.

A grand fracas, la glace se brisa alors, blessant l'enfant. Les flammes s'élevèrent vers le haut, criant leur fureur aux oreilles désormais habituées au silence le plus total. Les flammes ; la chaleur ; la force ; la rage. Le déchirement.


Driz'na se réveilla en sursaut, haletante. Elle avait un mal de crâne atroce ! T'Challa leva la tête, intriguée, puis se rallongea tranquillement en voyant que ce n'était que l'autre petite de sa maîtresse. Petite qui se mit à pleurer et qui, plus tard dans la nuit, eut bien du mal à retrouver le sommeil...

{Fin}