[MdO2019][Souffle prisonnier] Rassemblement 7 - L'espoir fait vivre

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FIN

Rp de rassemblement N°7

5e jour de la 6e ennéade de Favrius ~ automne
11e année du XIe Cycle
Quelque part près du Cercle de Pilier - lendemain de l'arrivée de Dunraël et Haldren

Règles spécifiques à ce RP :

• Pas de longueur de poste minimale
  
• Double posts acceptés
  
• Pas de tour de parole
  
• Aucun nouveau joueurs accepté

Une petite carte de la région et du trajet:

Les joueurs participant à l'évènement sont priés de ne pas ouvrir de RP se déroulant après la date de ce RP jusqu'à la clôture de celui-ci.

Sujet HRP de l'évènement

Attention : Tout personnage prenant part à ce RP prend le risque d'être gravement blessé, mutilé ou même tué en fonction des choix IRP qui seront faits.

Clôture de la 1ere phase: Dimanche 9 décembre à 23h

Froid sont les mains, les os et les cœurs;
Froid sont les voyageurs loin de leur demeure;
Ils ne voient pas quels mensonges sont cachés
quand le soleil et la lune sont couchés...

Le vent murmurait, déplaçant en de minuscule tourbillons le sel qui couvrait la surface du sol craquelé des terres stériles. La poudre blanchâtre, plus fine encore que du sable, flottait dans leur sillage en un nuage de poussière qui irritait la gorge et piquait les yeux. Pour se protéger, les voyageurs n'avaient d'autre choix que de porter une écharpe sur le nez et la bouche, étouffant un peu plus sous le soleil éclatant de la demie-journée.

Sur l'horizon, depuis le petit matin, de hauts piliers de pierre étaient visibles... Mais la perspective semblait se jouer des distances. Les montagne défilaient de chaque côté de la très large passe qu'ils empruntaient sur conseil du Zurthan qui les avait quitté la veille. Elles défilaient encore et toujours, noire et brunes sur le ciel bleu et le sol gris de sel, sans offrir le moindre recoin d'ombre. Il semblait que la soif guettait plus encore que dans le désert. Et pourtant, au loin, les piliers ne grandissaient pas. Ou si peu.

Portant son éternelle robe de lin blanc à capuche, défraichie et déjà deux fois reprisée, Cécilie n'hésitait plus à porter son pantalon d'équitation en dessous. Son poignard restait dissimulé sous la longue manche gauche. A sa taille, son livre pendait toujours malgré la discussion qu'elle avait eut avec T'sisra et elle était parvenu à mémoriser toutes les étapes du rituel d'appel qui leur permettrait de communiquer avec les esprits piégés par la fermeture des portes du monde des morts. Pour augmenter les chances du groupe, elle avait partagé ce savoir avec tous les mages de l'immatériel que leur compagnie comptait. Même l'étrange et taciturne illusionniste y avait eu droit. Ils s'étaient entrainés ensemble pendant des heures lors des bivouaques des dernières ennéades, pour finalement parvenir à produire un charme qu'ils estimaient suffisamment stable.

Ils n'avaient cependant pu s'exercer que hors des tourbillons magiques qu'ils pouvaient sentir poindre aujourd'hui. Et quels tourbillons. A chaque pas qui les rapprochaient des piliers, un bourdonnement agitait la trame d'une force inconnue et insondable. Un vrombissement vorace venu d'un autre monde. Lorsqu'à midi, les piliers commencèrent à se rapprocher significativement, il s'agissait encore d'une faible impression, mais lorsqu'ils surplombèrent le paysage de toute leur impressionnante hauteur, tous pouvaient sentir la magie s'agripper désagréablement à eux. Pour ceux qui connaissaient l'immatériel, il était clair que les Piliers attiraient à eux les esprits de ceux qui n'y prenaient pas garde. Les fantômes grouillaient autour d'eux, formes translucides apparaissant dans un rayon de lumière avant de disparaitre si vite qu'on doutait de les avoir vu. Qu'un inconscient s'approche trop près d'une des douze colonnes et il y perdrait la vie à coup sûr. Qu'il songe même à l'effleurer et nul ne pouvait prévoir ce qu'il se passerait alors.

Ce que le groupe ne savait pas, par contre, c'est qu'ils n'étaient pas seul alentours. Car depuis la veille, deux elfes et quelques hommes  d'arme couvraient les lieux d'une attention toute particulière...

HRP : Haldren et Dunraël sont arrivés la veille, ce qu'il s'est passé est raconté ici : https://miradelphia.forumpro.fr/t23626-il-y-a-ceux-qui-ont-un-bourdon-charg-et-ceux-qui-creusent-dunral.

Soigneusement dissimulé derrière un massif rocher situé au bord du plateau où se trouvait installé leur campement, Haldren observait avec attention le petit groupe qui approchait du Cercle de Piliers. Malgré la distance, sa vue perçante d'elfe lui permit de reconnaître la plupart des membres du groupe, même si certaines silhouettes lui demeuraient inconnues et laissait supposer que de nouveaux compagnons avaient rejoints cette bande de fous suicidaires. Mais une silhouette en particulier attirait son attention et à cette seule vue la main de l'archimage se crispa sur le manche de sa pelle : en robe de lin blanc à capuche et pantalon d'équitation, la traîtresse de Missède s'approchait. Effleurant la cicatrice qui courait le long de ses côtes, Haldren retint non sans mal sa colère et sa soif de vengeance envers celle qui l'avait poignardée quelques ennéades auparavant.

La vengeance est un plat qui se mange froid.

Le groupe continuant d'avancer en se traînant dans le désert aussi lentement qu'une chenille amorphe sur une feuille de cerisier au printemps, Haldren profita de cette attente pour repenser aux révélations faites par les deux prisonniers akadjis qui gisaient non loin de là, solidement attachés et bâillonnés. Capturés durant la nuit et cuisinés méticuleusement par les sondes mentales des deux mages elfes, ils avaient craqué et révélé tout ce qu'ils savaient...

...les deux prisonniers étaient frères et sœurs, issus de la tribu des akadjis. Jeunes et encore peu expérimentés, leur talent dans l'art des arcanes restait négligeable, leur permettant juste de jouer avec des forces qui les dépassaient et les dévoreraient un jour ou l'autre. Assez étonnamment car cela contredisait une partie des informations obtenues à Thaar par Dunraël, aucun des deux prisonniers ne semblait lié au Chetso, cette soi-disante créature se nourrissant des Souffles prisonniers entre les mondes. Non, les deux prisonniers haïssaient simplement la mort et possédaient simplement quelques rituels permettant de retarder le départ des esprits importants pour la tribu ou parfois d'interroger les esprits des glorieux ancêtres pour bénéficier de leur sagesse.

Hélas les deux prisonniers ignoraient tout de l'origine des troubles qui fermaient aux Souffles l'accès du royaume de Tari. En compagnie de leur tribu, ils s'étaient rendus à Naelis suite à la demande d'un étranger et en échange de moult promesses de richesse s'ils arrivaient à sortir un humain du "sommeil de la mort". Reçus au palais, ils avaient procédé à de nombreux sacrifices humains pur permettre à l'étranger de retrouver l'esprit de son ami dans les brumes de l'au-delà. Mais durant le rituel, quelque chose d'anormal s'était passé : une force inconnue s'était interposée et les zurthans avaient perdu le contrôle. L'étranger et son ami s'étaient réveillés bien vivants quoique ne paraissant plus vraiment eux-mêmes. Les zurthans n'avaient toutefois pas pu en apprendre plus car ils avaient été chassés de la ville, essentiellement du fait d'un vieil homme à barbe blanche.

Depuis cette histoire, leurs rituels de communications avec les ancêtres ne fonctionnaient plus.

Les deux akadjis ne connaissaient que le nom de l'étranger : Altiom, et ils savaient que son ami se trouvait être un roi. Bien au fait de l'identité des puissants de Miradelphia, Haldren avait deviné qu'il s'agissait de Glenn Hereon. Quand à Altiom... Altiom d'Ydril, selon toute vraisemblance, fort bien connu à Naelis depuis l'époque de l'assaut du IVème ost eldéen contre ce territoire et de la bataille de Ruven. Le vieil homme à barbe blanche se trouvait forcément être Nakor, cela l'archimage le savait fort bien depuis son passage à l'Aurore.

Tout en observant Cécilie et ses compagnons, Haldren ressassait en boucle cette histoire. Si les akadjis ne mentaient pas... et Haldren "savait" qu'ils lui disaient la vérité, ou à tout le moins ce qu'ils croyaient l'être... ce rituel effectué à Naelis avait éveillé ou attiré l'attention d'une tierce partie sur la nature de laquelle il s'interrogeait encore. Plus il y pensait, plus l'archimage soupçonnait qu'un simple clan zurthan n'aurait pas réussit à causer des dommages aussi terribles que de sceller la porte du royaume des morts. N'auraient-ils été que de simples instruments dans un jeu bien plus compliqué ? De simples marionnettes maniées par ce troisième joueur qui demeurait encore dans l'ombre ? Haldren aurait aimé pouvoir se rendre à Naelis en compagnie de Nakor afin d'y enquêter, persuadé qu'une partie de la réponse se trouvait là-bas, mais il souhaitait tout d'abord assister discrètement au rituel qui devait avoir lieu en ce jour, dans le secret espoir que cette mystérieuse force apparaîtrait et révélerait sa nature.

Un des chaotiques se glissa à ses côtés pour lui demander à voix basse, les sons portant loin dans le désert :

Que fait-on ?
Pour l'instant rien, on observe.

Une brusque bourrasque tenta d'arracher le tissu qui protégeait la tête de la naine. Sans même y penser, cette dernière le retint, ayant depuis longtemps cessé de grommeler à l'encontre des éléments : là où ils allaient, nulle mansuétude n'était à espérer. La vieille dawi devait préserver ses forces.

Ses nuits n'avaient pas été de tout repos : faute de chariote, elle ne disposait que du temps d'arrêt alloué au repas et au sommeil pour préparer ses runes. A vrai dire, concilier temps de repos et gravure s'était avéré de plus en plus aisé, le sommeil la fuyant fréquemment. Les rides de la dawi s'étaient creusées au fil des jours, son teint avait pâli. Du moins n'avait-elle pas à souffrir l'échine raide de sa monture quand elle s'installait à l'écart, pour une bonne partie de ses nuits, afin de préparer le nécessaire dans une intimité toute relative. S'était d'abord imposées pour elle des runes visant à stimuler son métabolisme antique, afin de palier à la fatigue et à la rudesse du voyage. Puis elle avait réfléchi aux cas de figures les plus probables - du coup de chaud à l'hémorragie mortelle, en passant par des os brisés - pour choisir les runes qui, avec l'aide du Grand-Forgeron, soigneraient les maux du groupe, sans oublier leur contraire bien sûr, afin de les infliger à leurs potentiels ennemis. De chairs et de sang, de préférence.

Car, à l'approche des Piliers, alors que les mages de l'immatériel poursuivaient leurs propres préparatifs, Grimeldha connaissaient de nouvelles appréhensions liées à ses perceptions de la magie : la magie était concentrée en ces lieux de manière disproportionnée et des esprits erraient. Ce qui n'étaient le plus souvent que des "fils" d'énergie prenaient des dimensions de jeunes troncs d'arbres, tant et si bien que chaque nouvelle nuit de gravure se révélait plus exigeante en matière de précaution afin d'imprégner les runes de ce flux anormal. Et cela ne faisait office que de mise en garde, à l'image des premières silhouettes qu'elle entrevit un éphémère rayon de lumière. Demandant à la cantonade, il lui fut certifié qu'elle n'était pas la seule à les percevoir. Les souffles prisonniers...

Inquiétude et impatience se partageait le coeur de la vieille dawi. Elle grattouilla l'encolure du Joufflu qui avançait avec entêtement. C'te brave bête. Méritera du repos de retour d'ce voyage.

"Tudieu, avec c'qu'y a dans l'air, manqu'rait plus qu'les pets des élémentalistes prennent feu. se fit-elle comme réflexion. Et pourquoi donc qu'ces Piliers s'rapprochent pas plus ? Sont pas connus pour être mouvants, si ?"

L'instant d'avant, Grimeldha maugréait sur les Piliers, l'instant suivant elle ouvrait des yeux ronds à la vue de Suri qui prenait la poudre d’escampette. Mais qu'est-ce donc qu'elle...?! L'alerte du guss prit soudain sens et la naine se crispa, ses mains serrant les rênes de son âne. Un destrier guère taillé pour la vitesse.

Sans savoir ce qui était passé par la tête de la demi-sang, Grimeldha n'en pressentie pas moins une folie. Sans réfléchir, elle fit volt-face et attrapa la jambe du mercenaire, qui la dévisagea, fort interloqué.

"S'cuze moi garçon, mais la p'tite va pas bien." fit-elle.

Tout en disant cela et sans autre forme d'avertissement, la p'tite vieille ayant deux siècles de gravure dans les bras le tira violemment à elle. Le guss, n'ayant pas franchement prévu d'être assailli par la naine du groupe, vida les étriers et atterrit dans la poussière non sans quelques jurons bien sentis. Le Joufflu fit un écart pour l'esquiver mais Grimeldha  se servit de l'animal - Méritera vraiment son r'pos. - pour mieux, mi-sautant mi se hissant, finir sur le dos du cheval. C'était quelque peu ridicule et elle avait voulu éviter cela, mais la dawi n'eut d'autre choix que de - tenter de - talonner maladroitement sa monture tout en l’exhortant à coup de rênes et de voix à s'élancer.

Et il faut croire que ses Dieux étaient de bonne humeur, car le canasson s'exécuta à vive allure.

Pestant contre l'avance de Suri, Grimeldha réfléchit à toute vitesse. Sa - nouvelle - monture devait être aussi éreintée que celle d' l’oreilles pointues mais bénéficiait d'une cavalière plus légère. Vraiment ? La naine n'en était même pas sûre, tant la fillette elfe lui avait parut maigrelette, une vraie brindille. Et Grimeldha n'était pas franchement une cavalière émérite, s’agrippant comme elle le pouvait de ses membres courtauds à la crinière et aux flancs du canasson. En un sens, elle n'avait guère d'avantage... Tous à moitié crevés et à moitié fous... Fin' crevés... J'ai d'quoi corriger ça !

Fourrant sa main dans l'une de ses sacoches, malgré le rythme effréné du galop de son équidé, la naine parvint sans trop savoir comment à reconnaître au touché la forme de la pierre qui l'intéressait et sa gravure. Une rune qui t'stimule corps, va donc galoper mieux qu'ça l'cheval ! Et la naine de plaquer la pierre contre l'encolure de sa monture et de lutter pour l'y maintenir. Et l'animal de retrouver bientôt une nouvelle jeunesse.

Quand elle arriva au niveau de Suri, Grimeldha n'implora ni ne prévint. Elle se contenta de sauter du cheval, de toute la force de ses courtes jambes et de son envie d'arrêter cette sornette, percutant violemment la jeune elfe avant de mordre le sable un instant plus tard.
Contusionnée et étourdie, la vieille naine ne parvint pas à se relever tout de suite. Le nez enfoncé dans le sol, elle marmonna quelque chose avant de réussir peu ou prou à le beugler, face contre terre.

"Bouffeur d'herbe de MERDE."

Elle parlait bien entendu du cheval.

Les trois être en avant du groupe pouvaient sentir sur leur peau le contact froid d'une aura inconnue. Qu'ils entendent bourdonnement, voient des lumières tremblotantes ou sentent une démangeaison, la magie était bien là, comme une vision toujours dans leur angle mort, prête à refermer ses doigts osseux sur leur épaule. Proche. Toute proche. Ils pouvait sentir le tiraillement magique que les piliers exerçaient sur le plus profond de leur esprit. S'ils estimaient pouvoir passer sans crainte entre deux d'entre eux sans risquer de perdre la vie, tout leur être réagissait à leur puissance.

A une cinquantaine de mètres à peine des hautes masses de pierre d'un noir d'obsidienne, le cercle de pilier était écrasant par sa taille aussi bien que par sa présence. Chacune des douze dents de cette gueule béante était large comme un homme les bras écartés et s'élevait vers le ciel sans que l'on arrive à définir parfaitement sa hauteur. Au centre, quelques traces de pas pouvaient être aperçues dans le sel.

En entendant la chute du cavalier, l'état de Suri et le départ au galop, Cécilie avait brusquement relevé la tête. Son cœur se serra douloureusement. Ils étaient trop près pour jouer à ça. Beaucoup trop près.

- NE LES SUIVEZ PAS ! " s'exclama-t-elle à l'intention de ceux qui étaient en train de bondir. Le seul qui ne sembla pas s'en préoccuper - ou qui n'avait peut-être tout simplement pas entendu - était Jennad. " Nous sommes trop près des pilier pour risquer quoi que ce soit. Nous ne savons pas comment ils réagiraient à un combat, une blessure ou pire, une mort. "

Cela pouvait paraitre fort peu charitable pour Suri, mais il y avait bien d'autres vies que celle de la jeune elfe en jeu. Son geste était, plus qu'une terreur passagère, une trahison de plus pour la péninsulaire qui l'avait sentit se renfermer ces derniers jours. Elle avait cru que la jeune elfe avait besoin de solitude pour affronter la peur de ce qui la rongeait. La noble dame lui avait laissé l'espace dont elle semblait avoir besoin. Et pourtant, égoïste, Suri se laissait aller à un désespoir si grand qu'elle prenait le risque de condamner tous ceux avec qui elle voyageait.

La troupe s'arrêta à bonne distance de la chute brouillonne de la naine et de l'elfe. Jennad cria et insulta la jeune elfe. Le son retentissant de coups martelèrent son discours.

- JENNAD, IL SUFFIT ! " rugit Cécilie comme elle n'avait jamais crier auparavant. La jeune femme ne montait jamais le ton, modulant la sonorité simplement pour se faire entendre de loin, sans s'énerver, comme les chanteurs savent si bien le faire. Mais cette fois, c'était une véritable colère qui couvait dans sa voix. Une colère froide. Il n'était plus temps de faire dans la compassion, mais frapper une femme n'était pas plus acceptable que de risquer a vie de ses camarades.

Suri, sur le flanc, tentait de s'éloigner maladroitement de l'homme qui venait de la jeter violemment sur le sol, encore sonnée par la force de ses coups. Elle ne cherchait même plus à atteindre les piliers ou à s'en éloigner. Seulement à fuir, sa peau de pierre raclant pathétiquement sur le sol aride.

- Ramenez-la par ici. " laissa tomber la péninsulaire sans une once de compassion sur le visage avant de se tourner légèrement. " Ambe-Lance ! Si vous avez un somnifère, administrez lui. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre des risques. On s'arrête ici. Inutile d'emmener les bêtes plus prêt. Que quelqu'un rattrape les deux chevaux avant qu'ils ne déclenche quelque chose. Une fois que tout sera sous contrôle, il sera temps de trancher sur la conduite à suivre. " Prier ? Accomplir le rituel ? Les deux ? Ils avaient eu de longues discussions à ce sujet pendant le voyage mais chacun avait sa façon de voir les choses et les deux solutions se valaient. Ils étaient certains d'avoir assez de magie pour le rite de communication à présent, mais était-ce la bonne solution ? Et qu'étaient-ils sensé réellement contacter ?

La jeune femme vida ses étriers et se laissa glisser sur le flanc de sa cavale blanche en attendant que quelqu'un s'occupe de rassembler les animaux, encore plus nerveux après ce qu'il venait de se passer. " Grimeldha ? Vous allez bien ? "

Mais ils foutent quoi, ces crétins ?

Vu du haut de la colline, la scène aurait pu paraître à tout le moins burlesque si les circonstances n'avaient pas été aussi sérieuses. Voir un des compagnons piquer un sprint soudain vers les Piliers, suivi presque aussitôt par deux autres lancés à sa poursuite comme dans les histoires d'enlèvements de demoiselle que chantent les bardes le soir au coin du feu, donnait à la scène une impression de surréalisme. Après plusieurs ennéades de voyage, le groupe de la traîtresse de Missède semblait toujours aussi désorganisé et peu apte à élaborer une stratégie commune.

Et ça voulait sauver le monde...

Tout en se disant que le monde semblait décidément assez mal barré si la compagnie des pieds-nickelés continuait ses aventures, Haldren vit Jenaad attraper Suri pour la relever et lui flanquer une beigne, puis une seconde qui suivit sa grande sœur presque aussitôt. Un petit sourire ironique naquit sur les lèvres fines de l'elfe face à cette démonstration de violence intracommunautaire qui lui rappelait une certaine scène à laquelle il s'était malencontreusement trouvé mêlé peu après leur départ de l'Aurore.

Tiens, ils continuent à se tabasser entre eux. C'est bien, je me sens solidaire d'un coup.

Cette fois-ci cependant, Cécilie n'alla planter personne avec sa dague mais se contenta de leur gueuler dessus. Remarquable capacité à tenir ses nerfs chez cette psychopathe adepte de la lame et qui utilisait ses compagnons comme pelotes d'épingles ambulantes lorsqu'elle paniquait ou s'énervait. Tout en se taillant un bout de saucisson car le spectacle s'annonçait long et amusant, l'archimage se fit la réflexion que la traîtresse aurait pu faire une assez bonne drow : elle en possédait l'arrogance, la violence et le manque total de remords.

L'heure n'étant pas encore venu d'agir, Haldren fit signe aux chaotiques de demeurer bien camouflés, envoyant simplement le prêtre du Chaos Na'rkaas et deux soldats près de la piste par laquelle tous étaient arrivés dans l'arène naturelle du Cercle de piliers afin de pouvoir être prévenu si d'autres gugusses tentaient de les rejoindre. Les éclaireurs akadjis n'avaient pas pu indiquer si le reste du clan viendrait à la rescousse en ne les voyant pas revenir, mais dans le doute mieux valait prendre ses précautions afin de ne pas laisser un intrus s'avancer trop près des lieux du rituel sans être détecté par les yeux perçants des drows d'Abyssea.

Dans la confusion qui suivit, Grimeldha eut vaguement conscience des beuglements de Jennad puis de l'arrivée de Cécilie et des autres. Au premier, elle ne parvint pas à transmettre ses pensées qui étaient de l'ordre du "En r'mettre une couche près d'l'aberration magique, t'en a d'autres d'bonnes idées comme ça, gamin ?!", en moins ironique et plus coup de pied au cul... Mais elle était définitivement trop sonnée pour s'exécuter. A la seconde, la dawie dût s'y reprendre à deux fois pour formuler, ses sens l'assaillant de la douleur de son corps secoué sans douceur par la cavalcade ainsi que la pression exercée par la "mélasse" magique dans laquelle ils s'étaient précipités. Ce n'étaient plus d'agaçants voire douloureux tiraillements, mais presque une nausée qui lui venait, à se sentir ainsi oppressée, comme si elle avait brusquement chue dans les profondeurs terrestres, sans respecter les paliers... Bon, la brusque chevauchée folle et le manque de sommeil ne devaient pas aider non plus.

"J'savais les elgi idiots, mais à c'point la... maugréa-t-elle, avant de s'éclaircir la voix à l'attention de la nobliaux. Ça va, fillette, ça va... Tu vois, j'suis bien contente d'avoir préparé mes runes, même si j'pensais pas en avoir b'soin si tôt." dit-elle avec un amusement forcé.

Disant cela, Grimeldha réalisa qu'elle tenait encore sa pierre gravée dans sa main crispée. Sans oublier de remercier en pensée ses Ancêtres, la vieille dawi la rangea dans sa sacoche pour en prendre une autre, dédiée cette fois aux soins de la chairs. Elle la serra contre son ventre, en appréciant les effets qui apaisèrent bientôt, ne serait-ce qu'un peu, les douleurs de son corps. Ainsi prostrée, la dawi prêta à peine attention à l'apothicaire qui s'occupait de la demi-sang ainsi qu'aux cavaliers qui ramenaient les deux chevaux. Quoique, la naine finit par relever le nez et avisa le mercenaire dont elle avait "emprunté" la monture, juché derrière l'un de ses comparses, l'un comme l'autre n'ayant pas l'air franchement ravis par la situation.

"Hmmm j'crois qu'j'lui en dois une à lui. souffla Grimeldha. En tout cas, j's'rai on n'peut plus ravie d'quitter c't'endroit quand on aura régler l'problème. Cécilie, jusqu'où qu'vous d'vez vous rapprocher des Piliers pour vot' rituel ?"

Et bah... ça promettait du lourd pour la suite, pensa Kurt en voyant la scènette se déroulait devant lui. Déjà bien emmerdé par ces foutues rafales de sables qui l'empêchaient de bien voir, vl'à qu'ils rajoutaient une couche de connerie impactant ainsi son humeur déjà bien pourrie. Mais ses gars avaient bien réagi au moins, sans compter celui qui s'était retrouvé le cul par terre à cause de la dawi. Comme par hasard, c'était l'houlier qu'avait fini par bouffer le sable. Barbier l'avait repris sur sa selle après coup et faisaient maintenant face à la naine qui venait lui rendre son canasson bien usée par la course.

Roublard fustigea Silex du regard. L'air méchant et bien en pétard, il cracha un gros mollard devant lui qui vint s'abattre sur la gueule de son cheval à cause du vent contraire.

– Bordel... beugla-t-il. Dis-le si t'as envie d'crever Silex, j'peux t'foutre ma dague droit au cœur et tu pourras pioncer autant qu'tu veux.

Là, son regard se reporta sur la dame de Missède qui venait de demander que la compagnie poursuive la route à pied.

– Allez on s'bouge le derche les gars, z'avez entendu !

Sa voix, toujours aussi gueularde, parvint à recouvrir le souffle du vent qui semblait se faire de plus en plus puissant en se rapprochant des piliers hauts comme des montagnes.

– Craignez rien m'dame, moi et mes gars on vous emmène là-bas, dit-il à la missédoise pour cacher ses craintes. Mais comme la dawi, j'serai plus tranquille une fois qu'ous aurez fait vôt p'tit tour.

- Je vous remercie, Kurt. " lança-t-elle très sincèrement au mercenaire tout en sachant que la suite n'allait pas lui plaire. Grimeldha ne le serait sans doute pas plus remarque... "Si nous voulons maximiser nos chances en utilisant la partie que nous avons réécrite pour attirer l'attention des esprit volontaires sans nous focaliser sur une seule cible... Nous devrons être au centre, j'en ai bien peur. " Elle s'accorda un instant de réflexion avant de finir. " Je ne m'attendais pas à ce que les piliers influent à ce point sur la Trame. Pour être honnête, je ne pourrais pas tenir le rituel tout en interagissant avec ce que nous contacterons. Vous allez devoir faire la conversation vous-même. "

Ils en avaient déjà parlé au cours du voyage mais ce n'était alors qu'une possibilité parmi tant d'autres. Maintenant c'était une certitude. Plus les mages participant au rituel - quelque soit leur Voie - seraient nombreux, plus elle pourrait le stabiliser et manipuler de grande quantités de magie pour que les Piliers ne balaient pas leurs efforts. Elle servirait de point focal au rituel, donc pour les autres, cela ne provoquerait qu'une certaine fatigue et une concentration moyenne. Mais elle, elle devrait dévouer sa concentration pleine et entière au sortilège avec une telle anomalie magique. Elle permettrait la communication mais ne pourrait pas parler, peut-être même pas entendre ce qui se déroulerait.

- Étant donné le point ou nous en sommes, si vous le permettez, je vais prier avant de tenter quoi que ce soit..."

Vivifiée par la magie de sa rune, Grimeldha parvint à asséner un regard guère sympathique au dénommé Roublard.

"T'crois pas qu't'as mieux à faire qu'planter une fillette, mon grand ? Dans les vapes, d'surcroit ? fit remarquer la naine peu amène en haussant un sourcil glabre, avant de grimacer aux propos de l'umgi. Ca s'saurait si les Dieux ménageaient leurs enfants... Fort bien, on f'ra la causette à c'qui vous répondra. Priez donc, ça f'ra pas d'mal. Dites-nous quand vous s'rez prête à r'partir."

Anticiper ne parut pas une mauvaise idée à la naine qui, bien qu'ayant bénéficié de l'aide de Jennad pour se redresser, devait encore se remettre debout. L'affaire ne paraissait pas compliquée, ce n'est pas comme si elle avait à s'élever bien haut... L'antique dawi n'en lâcha pas moins un - discret - râle en se relevant, sentant tout ses muscles se rappeler à son bon souvenir. Tudiou, quand j'pense à mon p'tit pisseux qui m'disait d'poser mon marteau et mes fesses dans un fauteuil... J'bien fais d'le renvoyer d'mander l'avis des Ancêtres. songea-t-elle non sans un sourire crispé, avant que son regard ne se pose sur la demi-sang assoupie. L'autre guss avait dit que ses yeux avaient viré au noir...

La démarche un peu raide, la naine s'approcha de la frêle silhouette et s'agenouilla - Bast ! Mes genoux... - pour mieux l'examiner. Tout en tâchant de la protéger des rafales de sable, Grimeldha lui souleva une paupière et constata l'avancé de la "maladie". Maugréant, son attention se porta ensuite sur son bras le plus atteint, lui remontant la manche. Un frisson glaçant lui parcourut le corps. Par les Ancêtres ! Pauvre inconsciente... Pourquoi donc t'en a rien dit ? Malgré elle, la naine ne put retenir une bouffée de honte à la pensée qu'elle ne s'était pas suffisamment enquise de la malade au cours des dernières ennéades, tout en ayant conscience que la situation n'était pas la plus adéquate pour se préoccuper du bien être d'une désespérée. Mais qu'est-ce t'avait en tête, fillette ? Rabaissant le tissu sur le membre noirci, Grimeldha releva le nez vers le reste de la troupe.

"Votre décoction f'ra pas d'mal à la p'tiote, Ambe-Lance. dit-elle sombrement. Cécilie ? L'un d'vos hommes pourrait rester 'vec la p'tite ? Après c'qui s'est passé, ça m'semble pas conseillé d'la rapprocher des Piliers."

Dès lors que Cécilie avait montré son livre, et demandé le concours des mages de l'immatériel, Shematt s'était métamorphosé. Boulimique en matière de magie, il s'était attelé à lire encore et encore le rituel, fasciné, et avide de ce savoir. Rapidement, il avait connu par cœur les lignes qui recouvraient les pages du livre, et il se les répétait en boucle, cherchant le sens de chaque mot, et s'il y en avait un caché. Durant les entraînements de groupe, sa taciturnité disparaissait, terriblement curieux, et perfectionniste. Sa concentration était totale, exercée depuis plusieurs siècles.

Aujourd'hui, ils arrivaient au bout de leur voyage, l'hybride, au lieu d'avoir des craintes, était surexcité comme jamais. La magie autour d'eux était palpable, gigantesque, il apercevait les âmes en errance, qui ne parvenaient pas à rejoindre le Royaume de Teiweon, et cela l’enivrait étrangement. Il prenait sur lui de ne pas étendre sa psyché plus avant, conscient qu'il pourrait se perdre dans les flux énormes qui parcouraient les lieux. Intérieurement, il pouvait s'apparenter à un enfant à qui l'on avait promis un somptueux cadeau s'il était sage. Un sourire était d'ailleurs imprimé sur ses lèvres, témoin du bonheur qui était le sien en ce moment. Et dire qu'il avait pensé ne pas suivre la troupe jusqu'au bout, vu la réputation des terres stériles, heureusement qu'il ne s'était pas écouté sur ce coup.

Quand tout s'accéléra, avec la course en avant de Suri, Grimeldha, et Jennad, puis les ordres de Cécilie, Shematt ne réagit pas du tout, d'une concentration absolue, se préparant à ce qui les attendait. Il savait qu'il aurait besoin de toutes ses ressources, alors qu'ils s’apprêtaient peut-être à converser avec une Déesse, car qui d'autre pourrait empêcher les âmes de rejoindre son Royaume sans s'attirer ses foudres ? Il attendait maintenant les instructions qui les amèneraient à mettre en place le rituel requis.

Laissant derrière eux bagages, animaux et blessée, ils passèrent en cohorte jusqu'à l'intérieur du Cercle, là, le vent tomba totalement. Les silhouettes errantes qui les entouraient semblaient plus facile à apercevoir. La magie les baignait tout à fait.

Cécilie, répétant intérieurement les mêmes prières, laissa Shematt l'aider à s'asseoir, comme prévu, au centre de la couronne. Puis le mage dut encore placer chaque participant à égale distance, pour former un cercle suffisamment restreint pour que chacun puisse attraper la main de son voisin, même s'ils n'en avaient pas l'obligation. Debout ou assis, le seul impératif était de rester en place. Pour le reste, la concentration était minime. Quelques lignes furent tracées dans la couche de sel qui recouvrait le sol aride, reliant chaque mage au point central que formait la présence de la péninsulaire. Puis Shematt pris sa place.

Cécilie inspira un grand coup. Elle savait ce qui lui restait à faire et la peur était étrangement minime par rapport au danger. Elle avait parfaitement conscience de ce qu'elle risquait mais elle se rendait compte qu'une partie d'elle savait qu'elle en arriverait là depuis le moment où Dunraël avait quitté leur groupe. Elle n'avait rien dit aux autres sur les détails qui leur permettrait d'obtenir la puissance magique suffisante pour un rituel d'une telle intensité... Ils n'auraient pas comprit.

En soufflant paisiblement, elle sortit de sa sacoche, non le livre dans lequel était écrit le rituel et quelques autres notes des prêtres et des savants de l'Aurore, mais un vieux livre rabougri. Sa couverture en palme séchée semblait prête à tomber en poussière et sa reliure craquait dans le silence. La jeune femme l'ouvrit à une page apparemment blanche, dégaina son poignard sans se cacher et en appliqua le tranchant sur sa paume.

- Oh Tari, par ce sang offert a ta gloire, permet nous de frapper humblement aux portes de ton royaume. " Commença-t-elle. Seul Shematt avait de quoi être surpris car cela ne faisait pas parti de l'incantation finale qu'ils avaient définis. Mais dès que la jeune femme eu poser sa main empoissée de sang sur la page vierge, elle embraya au mot près sur le rituels qu'ils avaient tout deux apprit par cœur. Peut-être n'était-ce qu'un acte de foi bien étrange ?

Dans tous les cas, à chaque mot de plus prononcé par la jeune femme, un étrange serpentin constitué de lettres d'encre aux couleurs bariolées remonta du livre à la peau, disparaissant sous sa manche. Une accalmie magique eu soudain lieu, puis un léger courant de magie pure commença a tracer des arabesques autour de leur cercle de rituel. Le sel s'éleva par rafale, retombant de façon chaotique dans des mouvements que le vent n'aurait pu créer. Puis ne retomba plus du tout. Le rituel formait comme une bulle autour des participant, quelque chose d'invisible et pourtant de tout a fait tangible, trouble comme les effets de chaleurs au dessus d'un feu. Il s'étendait pour les englober tous, les coupant de la sensation écrasante des piliers, créant une sorte d'entre deux à la limite des mondes. Les oreilles sifflaient, les frissons couraient sur la peau des mages qui sentaient une part de leurs forces happées par le sortilège pour passer à travers le corps et le livre de la jeune rouquine.

Le serpent d'encre formant des phrases incompréhensibles apparu subrepticement sur le cou de la jeune femme qui continuait à psalmodier. Il monta sur sa joue, barra son nez, sa paupière close et disparu sous sa chevelure sans qu'elle ne paraisse ni en souffrir ni s'en soucier.

Le sel et la poussière étaient comme en suspension autour d'eux, créant un épais rideau entre l'extérieur et l'intérieur du cercle de piliers. Les silhouettes diaphanes apparurent plus nettement. Un froid glacial envahit l'espace au point de condenser les souffles en nuages de vapeur.

La surface mouvante de leur abri se rida comme la surface d'un lac. Les silhouettes s’agglutinaient. Mais à parmi tous ces visages, une ombre indistincte, avançait pour venir à eux. Elle poussa sur la barrière, jusqu'à ce qu'un bras la traverse, puis une épaule, une jambe, un corps. Un visage paisible.

En regardant la Chose, chacun voyait le plus cher des êtres dont il avait porté le deuil. Ses traits, son comportement, ses expressions, sa façon de parler, tout était là. Juste devant ceux qui ne pouvaient normalement pas bouger de leur place sous peine d'affaiblir l'enchantement. Juste un peu hors de portée.

Chacun voyait la Chose le saluer avec affection puis prononcer à sa façon et dans sa langue un message commun :

" Tu as fait un long voyage pour arriver ici. C'est courageux. Mais les portes du Royaume des morts ne se rouvriront pas. Les vivants ont trop de fois défié la Déesse. Ils la haïssent et la Ridiculisent. Alors elle réserve son royaume aux Souffles/Braises qu'elle juge suffisamment reconnaissants. " Une tendresse toute particulière se lit soudain sur le visage de l'être aimé. " Je suis là car Elle reconnait tes efforts. Tu as traversé le monde pour honorer et aider les disparus, alors Elle veux que tu saches que je vais bien. "

Précisions HRP:

Musique:

Ainsi le groupe poursuivit-il plus avant, la naine espérant que l'inconscience protégerait la blessée, et atteignit le cœur du maelström magique. Le cœur et l'esprit tiraillés par une telle énergie, l'antique dawi prit place non sans peine, mais résolue à tenir bon. C'était là une occasion d'obtenir des réponses qu'elle ne pouvait laisser lui échapper. Ayant saisi les mains tendues, Grimeldha observa Cécilie réaliser le rituel. Faute d'être une mage de l'esprit, son procédé échappait à sa compréhension et elle ne put que placer sa foi en la dévotion de l'humaine en son devoir.

L'accalmie la surprit quelque peu, les innombrables grains cessant de lui attaquer les yeux et de lui griffer la peau. Regardant autour d'eux, elle constata la présence toujours plus présente des "souffles" égarés. Son regard se fixa alors sur un qui, parmi tous les autres, prit forme et s'approcha des vivants. Sa vision guère performante tarda à faire le point sur la silhouette mais quelque chose l'alarma. L'est bien p'tit. C'rait pas un umgi adulte, donc c's'rait un enf-... ? Les pensées de la dawi furent soufflées par une bourrasque glaciale, alors que ses mains perdaient toute force.

"Qu'les Ancêtres aient pitié... Qu'est-ce que... Comment...? frémit-elle, en clignant fébrilement des yeux. Céc... Cécilie... T'm'avais dit qu'c'était qu'les souffles humains. T'm'avais dit qu'c'était qu'les ugmi qu'étaient là... Alors comment... Comment la p'tiote peut-elle être... Oh non... Non... Pisse-lait... Ma p'tite... Ory..." La voix rocailleuse de Grimeldha se brisa sur ce nom alors qu'elle tombait à genoux, son souffle suspendu.


Car devant elle se tenait une naine dans la fleur de l'âge, le port fier et énergique d'une assurance naissante, au visage encore délicat de la prime jeunesse et le sourire serein. Comme si qu'elle v'nait d'rentrer dans l'atelier, la tête pleine d'idées, sûre qu'j'lui donnerai mon aval pour les plus folles... Étonnamment, son nez était aussi court que celui de sa grand-mère était long, ayant beaucoup plus pris sur le plan physique de son parent non Long-Nez. Une source de taquineries, auxquelles elle avait toujours répondu avec le même esprit que ses proches. Si fière d'toi p'tiote... Si fière... La naine trembla quand un regard disparu depuis plus d'une décennie trouva le sien et la regarda avec douceur, comme si la dernière vision qu'elle en avait n'était plus.

"Eh beh, c't'une sacrée route qu't'as fait Grima' ! Faudra qu'tu la contes aux aut' ! T'sais bien com' ils sont friants d'tes histoires, s'en lasseront pas d'celle-la, j'suis sûre ! Ton bout d'chemin 'travers l'Zagazorn, les Wandres, l'Péninsule, l'Irthri'Vaan ! J'crois pas j'mentirai si j'disais qu't'es là première Long-Nez à l'faire, ha !" fit la naine avec enthousiasme dans un khazalide roulant et doux pour une oreille dawi.

Chaque mot, chaque intonation, chaque expression était un coup porté à la naine figée par l'émotion, ranimant des souvenirs qu'elle avait enfoui, faute de pouvoir se les remémorer sans ressentir un désespoir abyssal. Une nouvelle blessure se rouvrir alors que le regard de la disparue se faisait désolée. Qu'est-ce qu'y a p'tiote ? Parle p'tite, y a rien à craindre. T'as rien à t'faire pardonner... C'ta Grima' qui te d'mande pardon... Sur l'antique visage, des larmes se mirent à couler.

"Grima', faut qu'j'te dise... L'Gardien du Pont laiss'ra p'us passer d'âme jusqu'aux Derniers Halls. Mogar l'a ordonné, les vivants l'ont trop défié. Y l'honorent p'us, y lui ont tourné l'dos, ces Fils d'la Forge. Y peut pas accepter ça d'Ses enfants, t'penses bien. Seuls ceux qu'l'auront pas oublié pourront atteindre l'Mogankordum désormais. la jeune naine regarda son aînée avec une grande tendresse. Y m'ont laissée v'nir t'revoir pour c'que t'as fait. T'as traversé toutes ces terres jusqu'ici, pour aider ceux qu'sont plus. Mogar estime ça. Avec les Ancêtres, dans les Derniers Halls, on chante ton nom. Y voulait qu'tu saches qu'j'y suis bien."

Les larmes tressautaient sur le visage l'antique dawi hoquetant de reconnaissance, à la pensée qu'Heidum avait laissé passé sa petite-fille en son temps. Tes runes 'taient magnifiques ma p'tiote... Pouvait pas t'laisser sur le seuil... L'a pas fait... T'festoie avec les Ancêtres maintenant... Des sanglots s'arrachaient désormais à sa gorge sous le déluge d'émotions qui la ravageait. La culpabilité, la peur, le désespoir... Dans ses cauchemars, la naine ne pouvait étouffer la terreur que lui inspirait l'idée que les proches dont elle avait pris la vie trop tôt erraient depuis lors dans le Grand Puit, soumis aux tortures de l'Esprit de l'Eau... Des âmes innocentes que la folie du Voile avait emporté, par la main de Grimeldha qui n'avait repris ses esprits que trop tard. Elle ne voyait plus le crâne d'Ory défoncé par son propre marteau mais son visage souriant d'avoir passé tout ce temps aux côtés de leurs Ancêtres. Elle en tremblait de soulagement et de joie.

Mais une pensée s'insinua, prit de plus en plus de place, ravivant la peur dans le vieux coeur et troubla Grimeldha. J'pourrais pas t'rejoindre, Ory ? J'ai jamais renié not'e Créateur, j'ai pas écouté ces Fils de la Forge... La Folie d'Mogar qu'y lui r'prochait... Disant qu'y c'était détourné d'nous, qu'y nous avait renié... Mais pourquoi donc qu'l'aurait fait ça ? Tous l'révéraient alors, c'qu'après la chute d'Kirgan qu'y ont douté... La chute où on vous a perdu... Où qu'j't'ai tué ma p'tiote...

"Mais Ory, ma p'tite... lui répondit dans la même langue et avec difficulté la runiste, luttant pour reprendre le contrôle de sa voix. Personne l'remettait en question avant l'Voile... C'tait pas lui, si... ? souffla la naine, confuse. Qu'est-ce qu'on a fait qu'lui a déplu ?... Qu'on s'allie 'vec les umgi, l'Alliance d'Lumière ?... Mais les prêtres ont rien dit !
- L'doute était là, Grima'. répondit avec tristesse la disparue. - Peut pas trompé c'lui qui nous a créés.
- Peut s'faire pardonner... ? Qu'est-ce qu'on d'vrait faire ? Qu'est-ce qu'y voudrait ? Qu'on lui r'batisse un Temple ?" s'étrangla la vieille dawi désespérée.

Elle mourrait d'envie d'aller saisir sa cadette par les épaules et de la secouer, elle qui avait pu cotoyer le Gardien du Pont, elle qui devait être plus proche d'avoir des réponses que Grimeldha ne pensait le pouvoir de son vivant. Cependant, sa faiblesse physique lui rendait la tâche difficile, et la confusion laissait place à l'incertitude, face au discours vagues de l'âme d'Ory. Qu'avait dit l'Umgi, qu'elle allait tenté de contacter sa DameDieu et l'implorer... ? Pourquoi Mogar serait aussi à l'origine de ce chaos ? Toutes les races auraient-elles fauté en même temps ?
La dawi lutta pour s'arracher à la vision de sa descendante. Ce qu'elle aurait donné pour l'étreindre, pour la ramener auprès des siens... Ce qu'elle aurait donné pour la rejoindre, aller chanter avec les Ancêtres, laisser derrière elle ses remords... Ce qu'elle aurait donné pour ne pas avoir l'impression que quelque chose clochait...

"V-vous autres ! glapit-elle en olyian à la cantonade. Vous aussi qu'on vous dit qu'les âmes passeront p'us ? Qu'votre dieu vous fait p'us confiance ?!"

Ce qu'elle aurait donné pour se prendre une gifle qui la réveille ailleurs... Ce qu'elle aurait donné pour ne pas s'être sauvée pendant le Voile, pour être plutôt restée et être morte face à l'inévitable...

"Oh ma Ory... s'étrangla-t-elle en khazalide. Pardonne-moi ma p'tiote... J'voulais pas... J'controlais rien...
- T'en fais pas Grima', j'suis avec les Ancêtres maintenant. lui sourit tendrement la disparue. Les Derniers Halls sont plus glorieux qu'dans nos légendes !"

Ce que Grimeldha aurait donné pour croire que ce qu'elle avait en face d'elle n'était que vérité.

A ce moment-là, Kurt n’en menait pas large et peinait à contenir le malaise qui le gagnait petit à petit. Car contrairement aux autres cocos qui semblaient savoir ce qu’ils foutaient, lui et ses gars ne faisaient qu’attendre tout en voyant la situation devenir de plus en plus merdouilleuse. De tous les contrats qu’il avait signés, celui-ci devait potentiellement obtenir la palme du plus chaud-patate. Encore une fois, c’eut été mal le connaître que de se dire que le Roublard se chierait dessus avant de se liquéfier et fuir à toute berzingue. Oh que non, le sergent resta fier et statique et poussa un juron afin de donner du cœur à ses zouailles. Pour l’occaz, les compaings s’étaient aussi sifflés quelques rasades de monte-à-l’assaut, histoire de se donner du courage en prime. Quelques-uns en avaient un peu abusés et suintaient la gnôle à plusieurs pas à la ronde.

Puis, il se passa un truc que Kurt ne sut point trop identifier. Ce fut d’abord une forme étrange, qui prit bientôt forme humaine. Pour sûr qu’on avait atteint le paroxysme de l’étrangeté, Kurt se rendit compte que cette dernière n’était autre que sa maman revenue d’entre les morts.

-Oh p’tain d’merdouille ! souffla-t-il. Par tous les seins de s’monde, viens m’faire une bisouille M’man !

Sa mère, il ne l’avait pas vu depuis Nebelheim où il l’avait vu marcher parmi les morts. Encore avant, la dernière fois qu’il l’avait vu bien en vie datait de temps où son village natal possédait encore des âmes et que la taverne marchait suffisamment bien pour que sa mère gère encore le marché des putains. La nostalgie le gagna et Kurt se mit à sourire comme un gamin en lui tendant les bras.

-T’as fait une sacrée route gamin. T’as dû en chier pour v’nir jusqu’là.

-M’en parle pas M’man, j’ai presque plus de gnôle pour le chemin du retour. Tu m’fais pas l’béco ?

-Nan gamin, les portes de là, elles sont complètement pas ouvertes pour toi et tes gars. Ça sert p’u à rien, elles se rouvrivront pô.

-Pas mon problème, M’man. Et l’béco ?

-T’écoutes quand j’te cause ? Z’avez trop poussé mamie dans les horties, alors la drôle fait son choix qu’pour les plus sympas ‘vers elle. Mais toi, elle r’connait tout le mal qu’tu t’es donné mon gars, alors elle m’envoie t’dire que j’vais bien !

-J’men cogne de c’que tu m’dis m’man, protesta Kurt. Mon béco ?

Le souffle devant lui, qui avait l’apparence de sa mère, eut l’air quelque peu désappointé. De son côté, Roublard tendait toujours la joue pour recevoir le baiser.

Tout le monde prêt, la troupe s'était avancée pour pénétrer dans le cercle. Shematt était une fois de plus partagé entre son instinct de survie qui lui criait de fuir, et sa passion pour la magie qui était en effervescence en ce lieu. L'étrangeté de la situation, pour l'hybride, était qu'on lui avait confié une mission, ce qui n'était absolument pas dans la norme le concernant. Lui, celui qui était un solitaire, toujours aux abois, voilà qu'on lui faisait confiance, et pas pour n'importe quoi, car ce qu'il allait se passer, c'était du lourd. Malgré sa concentration, il avait le cœur gros du mensonge qu'il avait proféré en intégrant la troupe. Aussi, lorsqu'il amena Cécilie à l'endroit prévu pour l'asseoir, il ne peut s'empêcher, au risque de la déconcentrer, de briser le secret.

"Avant de commencer, je voulais vous remercier pour votre confiance. Sachez que mon vrai nom est Shematt, et non Melchior, je tenais à ce que vous le sachiez."

Voilà, c'était dit. Peut-être qu'ils n'allaient pas s'en sortir, et mourir avec un mensonge sur la conscience, envers des gens qui l'avaient accueilli, il ne l'aurait pas supporté. Il se mit en devoir de mettre en place tous ceux qui faisaient parti du rituel, prenant bien soin à ce qu'ils soient à bonne distance pour se tenir la main. Une fois cela fait, il traça des lignes dans le seul, puis il s'installa à son tour, conservant sa concentration, et même plus si cela pouvait servir à soulager Cécilie. Il la regardait, attendant qu'elle débute avec impatience, s'imprégnant de la magie alentour, avide des flux suspendus dans l'air.

Enfin, Cécilie commença, mais les premiers mots qu'elle prononça n'étaient pas ceux que l'hybride avait enregistrés. Que se passait-il donc ? Il n'eut pas le temps de vraiment analyser, car aucun temps mort n'était prévu, et d'ailleurs, le rituel continuait exactement comme cela avait été appris. Heureusement que Shematt avait plusieurs décennies de pratique, car ce qu'il se passait aurait facilement pu le déconcentrer. Il ne manquait pas une miette, enrichissant ses connaissances de cette expérience extraordinaire. Lorsque des frissons arrivèrent, ponctionnant sa force pour l'envoyer au travers de Cécilie et de son livre, il décida d'oublier son entourage pour entrer dans une nouvelle phase plus profonde encore, focalisant tout son être, prêt à payer plus cher que demander pour aider la noble dame qui risquait tout.

Une ombre se détacha, s'avançant vers Shematt à son étonnement. Il la dévisagea, puis il la reconnut, il s'agissait de sa mère. Un pincement au cœur le saisit, menaçant de le briser. Voilà plus de cinq cent cinquante ans qu'elle était décédée, battue par son père, et pouvoir la revoir était inespéré. C'était la première fois que sa concentration était autant mis à l'épreuve, mais l'entraînement, et la répétition lui avait permit de se contrôler, bien que difficilement. Il regardait l'apparition avec amour, sentiment qu'il n'avait plus ressentit depuis aussi longtemps qu'elle avait disparue. Heureusement que personne ne faisait attention à lui. L'instinct refaisant surface très vite, la suspicion arriva au galop, se demandant si ce n'était pas la un piège qui leur été tendu. Il ne fit donc rien, se répétant le rituel, mais ne lâchant pas l'apparition des yeux, se disant que même si c'était un traquenard, il pouvait profiter de cette vision pour se remémorer le visage de celle qui l'avait mis au monde. Quand elle arriva assez proche de lui, tout en restant à distance, ne permettant pas de la toucher, elle s'adressa à lui

"Fils, Teiwon m'envoie te délivrer un message."

Normalement, elle croyait en Tari, mais il semblait que les mots étaient adaptés à Shematt, lui qui avait les croyances des sombres.

"Cela fait trop longtemps que les vivants se détournent de la Déesse, la défiant. Elle a donc fermé les portes de son Royaume à ceux qu'elle ne juge pas assez méritant pour y entrer. Elle reconnaît toutefois ton courage, et tes efforts, elle m'a envoyé pour te remercier de l'honneur que tu as porté aux défunts, et pour te dire que je vais bien."

Les mots étaient dit avec tendresse, mais ils étaient très durs pour le monde des vivants. Mais Shematt s'en moquait un peu, car il ne tenait à personne en ce bas monde, et lui-même craignait Teiwon, et il ne l'avait jamais ridiculisé, plein de dévotions pour les Divinités. Il ne lâchait pas sa mère du regard, tout en n'oubliant pas que Cécilie était en train de lutter, et qu'elle avait besoin de la force de ceux qui composaient le cercle. Il ne répondit pas, mais Gwingnith reprit, avec un message plus personnel.

"Fils, n'oublie pas ta promesse, tu dois la tenir."

Shematt, malgré son jeune âge, et toutes les années qui avaient défilé, se rappelait très bien de la promesse qu'il avait faite à sa mère alors qu'elle s'éteignait dans ses bras. Il ne répondit pas, mais les larmes qui coulèrent sur ses joues étaient une preuve suffisante de son amour pour sa mère. Il avait peur de ce que sa parole signifiait pour lui, mais une nouvelle résolution le saisit. S'il survivait, il ne repousserait plus la quête qu'elle lui avait demandé.

Malgré les réaction disparates et l'esprit vif de la vieille naine, chacun semblait happé par sa propre réalité. Les mille visages qui observaient les membres de la compagnie continuèrent, chacun dans leur langue et à leur façon.

- A présent, tu ferais mieux de partir. Nous nous retrouverons quand ton heure viendra." et à ceux qui s'entêtent et souhaitent rester ou accomplir leur mission " Souhaites-tu réellement risquer ta vie pour des inconnus ? "

À mesure que le groupe se rapprochait de sa destination, la daedhel s’était faite de plus en plus taciturne. Moins causante, plus sérieuse, plus inquiète. Elle qui avait, tout au long de sa vie, fuit les dogmes religieux, et à peu près tout ce qui touchait aux dieux, comme la peste, la voilà qui allait droit à la rencontre de l’une d’elle. Tout du moins, c’était ce qu’ils espéraient. Et Tari était loin d’être la plus juste et la plus clémente. Il n’y avait plus qu’à espérer que tous ces maux ne soient qu’un affreux coup du sort, une situation qui échappait au contrôle de la déesse de la Mort et pas l’une de ses décisions immuables.
Son estomac se nouait plus fort à chacune des foulées de sa monture, chaque jour et chaque nuit passée dans les Terres Stériles. De facto, son sommeil fut plus agité qu’à l’accoutumée, ponctué de cauchemars et de visions désagréables, que la noiraude gardait pour elle. Le reste du temps, elle s’efforçait d’afficher un air serein, comme d'habitude. Si elle ne parvenait pas à se convaincre elle-même, au moins elle trompait son monde, ou presque.

Leur arrivée fut aussi mouvementée que leur départ. Entre celle qui talonna sa monture pour se ruer jusqu’aux piliers, et le zurthan qui l’avait rattrapé et « gérée à sa manière », tout ce petit monde ne semblait pas au bout de ses peines. La fin de leur voyage lui rappelait son début tout aussi chaotique.
Cécilie prit les choses en main sans plus attendre, et s’occupa du rituel qui avait mené le noyau dur de cette troupe jusqu’en ces lieux évités et isolés. Au cœur du rituel, les uns et les autres observaient ses effets à la fois tangibles et intangibles, logiques et illogiques. La concentration de magie se faisait de plus en plus forte, le rituel demandait de lourds efforts. La daedhel ne put s’empêcher de remarquer les écritures qui filèrent sur le visage de la noblionne. Et cette présence, elle l’avait déjà ressentie une fois, des ennéades auparavant, tard dans la nuit lorsque l’humaine était venue lui rendre visiste.

Elle chassa néanmoins cette idée de sa psyché, ce n’était, de toute manière, pas le moment de s’y attarder, d’autant qu’une étrange apparition se dessinait au centre des mages.


Son sourcil s’arqua. Tel un miroir vous renvoie fidèlement votre image, la forme qui lui était apparue n’était autre qu’elle-même. T’sisra resta pantoise durant une bonne poignée de seconde, tandis que son double la saluait.

- Tu as fait un long voyage pour arriver ici. C'est courageux. Mais les portes du Royaume des morts ne se rouvriront pas. Les vivants ont trop de fois défié la Déesse. Ils la haïssent et la Ridiculisent. Alors elle réserve son royaume aux Souffles et aux Braises qu'elle juge suffisamment reconnaissants.

C’était sans appel. Le pire scénario qu’on pouvait s’imaginer était en train de se réaliser. La daedhel secoua la tête de dépit.

- Toi qui ne gardes la mémoire d'aucun disparu, sache qu'aucun au-delà ne t'attend.

- Qu’est-ce que ça change ? Demanda-t-elle en redressant le menton dans un haussement d’épaules. Si la légende du wagyl est vraie, vous m’entendez sûrement à travers ce… « moi-même ». La décision est prise et sans appel, j’imagine. Ça me consterne, votre manque de foi est plutôt ironique. Je puis comprendre le choix de la punition, mais si vous ne leur expliquez pas, à quoi bon ? Quels enseignements peuvent-ils bien tirer d’une déesse qui fait silence s’emmure ? Vous êtes la gardienne de la dernière demeure des vivants, l’ultime destination. Vous n’avez rien à envier à personne. Vous êtes la fin, le bout du chemin. Pourquoi choisir la facilité ?

La nécromancienne marqua une courte pause, les mains sur les hanches. Son estomac s’était dénoué d’un coup, tout le stress et la pression étaient retombés comme un soufflé.

- Je vous le dis sans détour, je n’ai aucune foi en les dogmes existants. Vous devez déjà le savoir. Avoua-t-elle en se regardant droit dans les yeux. Le seul espoir que j’ai, ma seule foi, se trouve en ce que vous pourriez incarner et être. Vous comprendrez ma déception de voir les choses finir ainsi. Pourquoi ne pas leur parler ? Pourquoi pas une apparition ? Ou par le biais de vos hérauts, les prêtres, les avatars, les gardiens ou que sais-je encore ? Demanda-t-elle dans un geste ample de la main, comme si elle jetait une bouteille à la mer. Pensez-vous réellement que faire régner l’incertitude et la crainte sur leur au-delà va changer quoique ce soit ? Oh ça, oui, ils vont vous craindre. Et donc vous respecter, courir dans vos temples et vous prier sans conviction aucune. Alors que si vous leur parliez… Si vous pouviez aiguiller vos plus fervents croyants pour approcher les foules qui se sont fourvoyées, et que vous vous montriez miséricordieuse, vous pourriez éveiller en eux une foi inébranlable, indéfectible et par-dessus tout sincère. C’est en cela que j’aimerais croire, moi. Pas autre chose. Et là, là seulement, le choix de faire entrer dans votre Royaume les fervents et refuser l'entrée aux autres serait acceptable et coulerait de source. Combien des vivants se sont éloignés des croyances depuis le Voile ? Combien ne se sont jamais remis des dégâts causés ? Il y a beaucoup de choses à réparer. Mais ce n’est pas comme ça que ça se fera. La foi ne peut exister que dans les deux sens. Un acte de foi sincère est un aveu de confiance aveugle, s'il n'est pas mutuel, je ne vois pas comment vous pourriez l'espérer. Quant à ceux qui continueront à vous bafouer, qu'à cela ne tienne, ce sera leur problème. Vous leurs aurez tendu la main, il auront choisi de ne pas la prendre.

- Souhaites-tu réellement risquer ta vie pour des inconnus ? Coupa son double.

- Si vous étiez vraiment moi, vous le sauriez. J’ai croisé deux souffles un soir de pleine lune, j’ai juré d’essayer, je ne vais ni revenir sur ma parole ni tourner les talons maintenant.

"Faut qu'tu partes maintenant Grima. fit le spectre de la jeune dawi avec un pauvre sourire. Mais t'en fait donc pô, on s'retrouv'ra d'vant l'Gardien du Pont.

De ses yeux ronds et larmoyants, la vieille contempla le doux visage de sa descendante. La simple idée même de la quitter était une nouvelle blessure, la où la pensée de plus en plus présente qu'elle n'était qu'une "poupée" entre les mains de quelque entité était une blessure purulente. La naine était déchirée entre l'envie de chérir l'apparition ou au contraire de la déchirer pour mettre fin au subterfuge. Une part d'elle-même parvint à garder son sang-froid, lui remémorant la situation. Le rituel, les souffles prisonniers...

"J'peux... J'peux pô ma fille. dit-elle avec difficulté, la gorge serrée.
- T'voudrais mourir pour des inconnus ?"

La vieille dawi fit non de la tête, redoublant d'effort pour parler. Les mots qui suivirent furent entrecoupés de sanglots, alors que lui parvenait confusément les propos de ses voisins.

"Quoi... Quoi qu'je fasse... Si j't'écoute et qu'tu dis vrai... J'vivrai mais c'tout les nains qu'en pâtiront... Si j't'écoute et qu'tu m'mens... Alors j'vivrai en ayant laissé quelqu'un joué 'vec ton âme... Ou ton image... Et si j't'écoute pas... Grimeldha lui rendit un sourire attristé, alors qu'une expression de défi naissait sur son faciès. C'pas comme si m'restait des siècles à vivre, t'sais ? P'tiote, j'suis v'nu aider les souffles humains. Tu m'dis qu'les âmes naines sont bloquées aussi ? Qu'les Ancêtres m'préservent ! J'vais pas m'détournée d'eux ! Alors, Créature, qu'tu sois ma p'tiote ou non, arrête don' d'jouer 'vec les souvenirs d'nous autres et cause clair."

La mère de Kurt soupira.

- T'auras ton béco quand tu s'ras foutu de t'laver les esgourdes bien comme j'te torchais l'cul, gamin. R'tourn' par chez toi au lieu d'risquer ta peau. "

Gwingnith, bien que plus tendre et posée, encouragea également son fils à partir. Mais cela ne dura que quelques instants avant qu'un coup de tonnerre silencieux ne retentisse, jusqu'à faire le corps et l'esprit des mages participant au rituel. Un froid étrange leur attaqua les mains et les orteils sans en être vraiment douloureux, au contraire du grognement de douleur que poussa Cécilie. Ambe-Lance venait de faire un pas hors du cercle, l'air suspicieux et incertain. Son épaisse barbe crépita une seconde. Les limites de la bulle que formait le rituels vacillèrent un instant sous la pression des créatures à l'extérieur. Le sable et la poussière tourbillonnèrent à nouveau. Puis tout se figea, dans un râle d'effort de la part de la jeune noblionne dont la pâleur naturelle reparaissait à la place du hale que lui avait couté la traversée du désert.

Trop tard, les apparitions s'étaient effritées en de longs lambeaux de fumée. Ou peut-être était-ce un bien ? L'ombre d'un sourire aiguë apparut sur les traits familiers au moment de disparaitre. Les souffles des vivants se condensèrent soudain dans l'air devenu froid. La bulle du rituel se couvrit d'une toile de givre. La glace fine craquait à bas bruit dans le silence des respirations inquiètes.

Cette fois il n'y eu pas de brume, pas d'ombre, pas de visages connus. A forces de guetter, les vivants purent poser les yeux sur une silhouette, debout au centre de leur cercle, là où Cécilie aurait du se trouver. Nimbée d'un étrange brouillard dissimulant ses traits, la femme fit elle-même un geste pour s'en défaire. Débarrassée du Voile, une simple tunique noire semblable à une toge sans manche, glissait sur sa silhouette famélique jusqu'à ses pieds nus et rejoignait l'impressionnante cascade de cheveux noirs qui s'étendait jusqu'au sol. Ses épaules osseuses tendaient une peau pâle sur un unique bras décharné, l'autre se terminant en un moignon trop court. Surmontant un cou squelettique, le visage de cette femme entre deux âges ne parvenait pas à être attirant malgré une finesse de trait qui aurait du la rendre belle. Ses lèvres et son front étaient barrés de cicatrices. Figés dans neutralité glaciale, ses yeux voilés d'un blanc laiteux se posaient sur un néant lointain, tout en donnant l'impression aux vivant de transpercer leurs Souffle. Son orbite gauche, tranchée d'une vieille blessure obligeant sa paupière à rester mi-close, ne rendait son regard que plus insoutenable. Sans rien dire, l'aveugle leur arrachait ce qu'ils avaient de plus intime, les clouant sur place sans possibilité de bouger ne serait-ce qu'un cil.

Les larmes de joies ou de peine qui venaient d'être versé s'élevèrent dans l'air en de minuscules sphères aqueuses. Ambe-Lance fut jeté à genoux, suffoquant soudain sans pouvoir s'écarter de plus d'un pas de ce cercle qu'il avait brisé pour tenter d'arrêter les autres dans leur fol envie de contacter un pouvoir qui les dépassait. Aucun son ne sortait de sa gorge, il restait là, sans bouger, aux portes de la mort sans pouvoir les franchir.

L'unique main de la femme aux longs cheveux noirs était appuyé sur un bâton de marche gravés de runes inconnues. Bâton qui se retrouva pointé vers la Daedhel sans que les vivants n'aient put percevoir le moindre mouvement. Une voix rauque et profonde fit vibrer les esprits en suivant vaguement le balai des lèvres tordues qui ne bougeaient qu'à peine.

« À toi qui souhaite tant me voir révéler ma présence à ton monde.
Toi qui souhaite dévoiler la vérité à la lumière du jour.
Toi qui trouve que l'effort que j'ai fourni n'est pas suffisant.
Tu l'éprouveras dans ta chair.

Le jour durant, ta voix sera celle des morts. Semblable au silence de leur tombeau,
Jusqu'aux ombres de la nuit, lorsque le sommeil prive les Souffles de leur dernière conscience.
Alors tes paroles pourront jaillir, mais elles tomberont dans l'oreille de sourds,
comme il en a été de mes avertissements. »

Un froid glacial se déposa dans la gorge de T'sisra. Un froid qui devrait perduré chaque jour de sa vie, du levé au couché du soleil. Un froid qui éteindrait tout son qu'elle aurait put produire, du cris le plus perçant au murmure le plus langoureux.

Le bâton gravé s'évapora, libérant la main de la femme en noir, tandis que les billes liquides formées par les larmes convergeaient vers sa paume. Les longs doigts osseux se refermèrent sur elles.

« J'accepte cependant d'écouter tes doctes conseils. »

La voix aurait put sembler ironique mais la puissance qui la faisait vibrer la rendait surtout douloureuse. La femme rouvrit le poing, libérant, dans un nuage de buée, une fiole de verre de forme irrégulière et d'une taille comparable à celle d'un pouce. L'instant suivant, la fiole dépourvue de la moindre ouverture se trouvait dans le poing de la jeune drow. Le liquide qu'elle contenait flottait à l'intérieur comme si la gravité n'avait pas prise sur lui.

« Ceci te revient comme un cadeau de ma part.
Les larmes que tes compagnons ont versés à la vue de leur disparus sont ton unique chance.
Prouve moi que les humains peuvent encore entendre.
Rassemble autour de toi ceux qui ne croient plus.
Ceux qui hésitent.
Ceux qui ne peuvent t'entendre.
Que leur nombre surpasse celui des vies que tu as prises.
Amène-les a penser à leurs disparus, puis brise mon présent.
Des sentiments puissants de ceux qui vivent encore pour ceux qui ne vivent plus naîtra un miracle.
Je ferai ainsi que tu le voulais, je me montrerai à eux dans toute mon éternité et galvaniserai leur foi.

S'ils m'entendent, ils t'entendront aussi, à nouveau.  »

Puis, sans que les yeux laiteux de la femme ne bougent, son regard se posa de tout son poids sur Grimeldha.

« Grimeldha fille de Wulga du clan Long-Nez et mère de bien des défunts.
Je vois. Je sais. Je marche parmi eux.
Mais sache que le choix de la dernière demeure des tiens ne me revient pas.
Les vivants qui se dévouent à un autre, c'est à cet autre de les juger.
Mais souviens-toi que la mémoire est absolue. Accepte-là et transmet là.
Fuit la, et elle ne détruira pas que toi. »

Les visages des défunts qu'elle voyait sur ceux des survivants. La douleur du deuil et des morts données dans la plus grande violence. Le passé. Avant le Voile. Avant l'ouverture vers les humains et les elfes. Avant que le monde ne perde la raison. Le changement qu'elle avait vu venir sans en avoir pleinement conscience. Ce changement que les livres d'histoire réduits en cendre par la lave et les temples mis à sacs ne pourraient plus transmettre aux jeunes génération aussi fraichement qu'il existait encore dans la longue mémoire de la dawi.

Droite, la main de nouveau posée sur son bâton de marche, la femme en noir tourna doucement la tête. Dans le silence absolu, le frôlement de sa crinière de jais sur sa tunique retentit aussi fort le vent d'une tempête dans les voiles d'un bateau. Son visage s'immobilisa face à Kurt et toisa chacun de ses hommes avec un semblant de sourire qui n'avait rien de chaleureux.

Puis elle reprit, sa voix tonnant de telle façon qu'elle ne pouvait que s'adresser à chacun des vivants présents. Tous retrouvèrent leur liberté de bougée, excepté le guérisseur et T'sisra.

« Vous qui venez quémander mes faveurs,
Vous qui rampez jusqu'aux portes de l'Autre-Monde alors même que votre foi n'est pas sûre,
Prosternez-vous devant Tyra.
Invoquez mon nom.
Suppliez moi pour que je rouvre les portes de mon royaume.

Implorer ma clémence.
Car c'est l'unique chose qui sépare les Souffles de l'errance éternelle



Et c'est l'unique fil qui vous sépare de la mort.»

HRP:

Son regard était lourd. Son regard était glacé. Son regard faisait se sentir vieille de bien trop de siècle la dawi. Le jugement était sans appel : qu'elle périsse loin des siens, et des siècles de connaissances, aussi bien sur les runes que sur l'histoire même des nains, pourrait être perdu. C'était là un poids que Grimeldha avait refusé depuis plus d'une décennie : elle n'était pas la seule survivante, il y en avait d'autres, elle pouvait leur laisser cette tâche. Laissez-moi oublier...

Comment à présent le refuser, alors que le spectre de sa petite-fille lui avait souri ? Comment le refuser alors qu'une déesse-même énonçait la sentence, qu'elle emporterait bien plus qu'elle-même dans la tombe ? Par les Ancêtres, c'que j'suis fatiguée... La vieille dawi ne souhaitait que s'oublier dans le mouvement du burin sur la pierre, s'oublier dans le cahotement de sa chariote sur les routes, s'oublier dans la tendresse qu'elle avait pour son bélier quand celui-ci baissait sa garde en acceptant une caresse...

Lentement, la naine posa un genou à terre. La divinité n'était peut-être pas la sienne, mais l'heure n'était pas à la fierté mal placée... Quelle fierté ? La vieille dawi venait de se faire remettre à sa place par un être dépassant sa compréhension ! Qu'm'a laissée voir ma Ory...

"J'implore, Tyra. J'implore pas pour moi, mais pour eux. Les enfants f'ront toujours des erreurs, c'comme ça qu'ils apprennent. Les laissez pas sur vot' seuil. Les laissez pas s'perdre loin des leurs. dit la naine avec solennité, le cœur lourd, avant de rajouter plus bas, comme pour elle-même. J'trouv'rai not' Créateur. Ses enfants ont peur, peur de son silence..."