De bons et loyaux services [Lohie]

Courant cinquième ennéade de Favrius; onzième année du onzième cycle

Les jours passaient à Diantra et ne semblaient vouloir différer les uns des autres. Quand bien même était-il vrai que la ville s'animait sans discontinuer des premières matines aux dernières lueurs, et qu'une fois la nuitée venue, l'on entendait les ivrognes chanter et se vouer à quelques bastonnades. Francesco reconnaissait que la cité n'était point adepte au changement et qu'icelle se laissait simplement rythmer par les cloches de Sainte-Deina comme une grande assistée. Ce train-train était là sa seule récompense pour avoir ramené le calme dans le royaume. A n'en point douter, cette vie n'avait plus rien à voir avec ses virées dans l'Olienne où Tyra avait semblé vouloir le ramener à elle chaque jours durant. Ce jour d'hui, c'était son épouse qui passait le plus clair de son temps à vouloir le ramener à sa couche.

Pour autant, la procrastination et le paraisse n'étaient point dans ses attributions. Comme un bon sujet du roi, il se levait à l'aube, puis mangeait quelques fruits mûres. Dès lors, après les au-revoirs à sa dame, l'Amiral s'en allait rejoindre l'escorte qui lui avait été attribué afin de se rendre au palais royal. Là-bas l'attendaient les valets de sa Majesté qui allaient et venaient comme des petites abeilles dans une ruche. Bien sûr, il y reconnaissait les hommes au corbeau dessiné sur leurs plastrons. Ceux là veillaient à la protection du régent et du Roi. Certains notables s'en étaient offusqués, prétextant que le nordien s'accaparait le petit Bohémond. Mais n'était-ce point pour cette raison qu'il avait été élu par ses pairs ? Toujours est-il que ces hommes n'étaient pas malpolis et n’omettaient jamais de le saluer.

Passé les salutations, Francesco s'en allait comme chaque matin dans l'un des recoins du palais dédié à l'amirauté royale. Malgré l'incendie qui avait ravagé le palais lors de la fuite du régent mervalois, les travaux de reconstruction avaient redonné un peu de panache, même s'il fallait reconnaître que la maison du Roy semblait toujours avoir salement dégusté. Avant qu'il n'ait pu se diriger vers ses bureaux, un héraut d'armes connu de la cour l'interrompit et l'obligea à s'arrêter.

– Messire de Castigliani, fit le dameret aux senteurs d'estrévent, le Régent est au regret de ne point pouvoir assurer ses entrevues quotidiennes et vous mande afin de le suppléer.

– N'y a-t-il guère d'autres conseillers mieux placés que moi pour accomplir telle tâche ?

– Nenni Amiral, l'un de ceux qui devait rencontrer le régent est un homme qui a œuvré dans le Médian, ainsi que dans le sud. Icelui vient du Vicomté de Papincourt en les terres royales de Scylla. C'eut été mal avisé de lui faire rencontrer un homme, qui sans être nommé au sein du conseil restreint, lui serait inférieur de rang.

– Savez-vous que je ne suis qu'un gentil seigneur ?

– Mais vous contrôlez les mers et les océans, rappela le mignon sans en démordre.

– Hum... Quel nom dites vous ?

– Brandevin, messire. Lohie de Brandevin.

– Oh,  je vois... murmura-t-il. Mon frère a déjà eu à faire à ce jeune freluquet. Qu'on me l'amène à mes quartiers, je l'y recevrai.

Plus tard dans la matinée, on mena le jeune homme, comme convenu, à son bureau. Il allait enfin pouvoir mettre un visage sur le fameux Brandevin. Pour sûr, son aîné n'en avait guère fait les éloges, car il se disait que le damoiseau avait usé de sa fougue chevaleresque sans rien savoir des graves enjeux qu'encouraient Soltariel pour venir au secours de celle qui avait été la duchesse de Soltariel. Lorsqu'il entendit frapper à la porte, Francesco croisa les bras et souffla seulement un "entrez" tout en gardant un oeil curieux à celui qui s'apprêtait à franchir le pas.

Francesco salua et fit signe au damoiseau de s'avancer en l'invitant à prendre place sur l'une des deux chaises à disposition. Ces dernières étaient identiques à tout point de vue et proposaient le même confort. A savoir, un cul endolori pour le reste de la journée. Il était vrai que l'Amiral n'était guère soucieux de disposer d'un bureau douillet. Plus habitué aux espaces étroits et vétustes des navires, le confort était un luxe dont seuls les notables terriens disposaient généralement. C'était là aussi, selon lui, la marque de quelques prétentions et narcissismes que l'on aimait afficher à ses invités. Rien à voir avec lui. Dès lors que le jeune Brandevin posa son séant, Francesco l'examina, cherchant à déceler par son physique quelques bribes de descriptions qu'on avait pu lui dresser. Malheureusement, Félipé n'avait point été avare de commentaires et s'était seulement contenté de lui faire une synthèse du conseil de guerre. Se sachant à la tête d'un office qui ne méritait d'avoir nul jugement de valeur sur les sujets de sa Majesté, Cortès s'abstint de commenter les actes passés du jeune vicomte.

– Sire de Brandevin, je vous prie d'excuser le seigneur de Brochant qui n'a pas pu vous recevoir, expliqua-t-il en sachant que le message était déjà passé. L'on m'a néanmoins mis aux faits de votre état et de tout ce qu'il était attendu pour cette entrevue. Ainsi, je commencerai par vous transmettre les remerciements de sa Majesté Bohémond Ier, pour avoir pris les armes contre les félons de Velteroc et ceux d'Ydril.

Il sortit une liasse d'enveloppes scellées du sceau de l'Amirauté et les posa en face du jeune homme.

– Veuillez accepter, seigneur, de prendre ses lettres et de les transmettre à vos capitaines de Scylla afin de leur adresser également les remerciements de sa Majesté, reprit-il en ne détachant pas son regard du vicomte. J'ai été mis au fait que vous aviez fait prisonnier le seigneur de Velteroc, Jesbel, et d'autres de ses gens. Sachant sans nul doute que vous désirerez les rançonner, sa Majesté le Roy souhaite vous récompenser et vous les prendra au prix demandé et ayant été déjà mentionné. Vous savez, tout comme moi, ce que représente ces prisonniers. Ce pourquoi, je ne puis que vous conseiller, seigneur, de ne point revoir plus à la hausse vos prix.

Les bras croisés, Francesco s'attendait à voir si le scylléen éprouverait un quelconque sentiment d'embarras où d'enthousiasme. Il avait été rapide et n'avait guère abreuvé le jeune de flagorneries et de roses. Ce n'était pas là dans ses manières. Si ce dernier était venu pour ça, pour sûr qu'il ressortirait de cet entretien bien déçu.  

– Souhaitez-vous y rajouter quelque chose, sire de Brandevin, avant que je ne poursuive ?

A cette dernière interrogation, l'Amiral souhaitait lui faire comprendre qu'il n'en avait point encore fini et que d'autres sujets, plus complexes, l'attendaient. L'un d'entre eux consistait d'ailleurs à veiller à la sécurité du Royaume. Rien que ça.

Il est vrai que s'occuper des règlements de rançons n'était guère dans ses prérogatives, où même dans ses motivations. C'était là pourtant les missions qu'il lui était possible de devoir accomplir, et ce même sans que l'envie ne soit présente. Adonc, le jeune Vicomte avait envie d'en rajouter, et par la même occasion en professant qu'il avait préféré voir ailleurs plutôt que de venir rançonner ses prisonniers directement à la couronne. Francesco resta indifférent, bien que sachant éperdument que la couronne s'était faite prioritaire dès l'annonce officielle des sentences encourues pour les ennemis du Royaume.  

– Votre générosité vous honore... ajouta-t-il. Néanmoins, permettez-moi de vous prodiguer un autre conseil.

Il posa ses mains sur son bureau et vint chercher une plume préalablement trempée dans l'encre.

– Le temps de feu le seigneur d'Angleroy est révolu. La couronne ne souhaite plus être redevable de quelque manière que ce soit envers ses vassaux, grands où petits, expliqua-t-il en prenant son temps et en choisissant ses mots. C'est là ce qui a pu causer par le passé bon nombre de mécontentements et de déçus en tout genre, ayant pu provoquer aussi quelques guerres dont le Royaume aurait pu se passer. Adonc, sire Brandevin, je ne puis, malgré vos bonnes et louables intentions, vous répéter mes mots concernant le paiement de la rançon au montant souhaité et non revoir icelui à la hausse, ou dans le cas présent, à la baisse.

Conscient que ses mots pouvaient avoir été abruptes, il tâcha de garder un ton calme et apaisé. Après tout, il conseillait seulement au Vicomte de prendre ce qui lui revenait de droit.

– D'autant que d'après les échos que j'ai reçu, le dit Jesbel a été fait prisonnier après un combat dont l'issue marqua l'arrêt définitif de la guerre. Alors n'ayez point de gêne à demander ce qui vous incombe. Il existe, après tout, de nombreuses autres manières de prouver votre attachement et votre générosité à sa Majesté, si vous y tenez.

Il griffonna quelques mots sur son vélin et y apposa sa signature ainsi que son sceau.

– Cela m'amène à un autre sujet, reprit-il en se levant pour aller chercher une petite pile de parchemins posés sur un buffet. Un autre sujet qui préoccupe la couronne, plus que les rançons des velteriens. Il retourna à sa place et posa la pile qu'il tenait entre lui et le Vicomte. Je ne vous demanderais point si vous connaissiez le chancelier de Wenden, car je connais déjà la réponse. Et vous ne l'ignorez sans doute point non plus, mais cet homme sans qui la guerre n'aurait pu être gagnée, a été retrouvé mort. Bien évidemment, l'on a soupçonné un assassinat.

Il y eut un changement bien palpable dans son attitude. Sa lassitude concernant les rançons avait laissé place à de la ténacité.

– Hors, ses soupçons sont peu à peu devenus des certitudes lorsqu'on apprit que sa sœur, Aliénor de Wenden, et son fils, Karl de Wenden, furent également retrouvés morts. Vous imaginez donc bien, Vicomte, que la couronne ne saurait laisser de telles exécutions impunies. Ce serait là l'apanage d'un royaume sans honneur et sans reconnaissance envers ceux s'étant battus afin que la paix du Royaume revienne.

Il prit un nouveau vélin qui n'avait point encore vu l'ombre d'une lettre.

– Que connaissez-vous de cette sinistre affaire, seigneur ?

Francesco devina bien vite la gêne apparaître sur le visage du jeune homme. Sans savoir si la douleur était véridique ou mensongère, il comprit aussi que le sujet ne le laissait guère indifférent. C’était pour cette raison que le régent avait acquiescé pour le rencontrer. Dans la demande qui lui avait été faite de reprendre l’entrevue, les mots du Brochant n’avaient point lésiné sur l’insistance qu’il aurait eu à appliquer. Ce pourquoi, l’Amiral ne perdit pas d’un œil les réactions diverses et variées du scylléen et tâcha d’y déceler la moindre faille. Chose qu’il ne vit pas, hormis de la tristesse lorsqu’icelui se mit à évoquer la sœur du chancelier. Certaines rumeurs enflaient à la cour royale. Irrémédiablement, Francesco ne pouvait qu’en entendre quelques-unes malgré sa haine farouche à l'encontre de ces commérages de dames en mal d’amour. Que le scylléen ait eu alors quelques liaisons avec la demoiselle de Wenden, ne le regardait aucunement. Qu’icelui ait été le premier sur les lieux en la découvrant de la sorte, devenait tout de suite bien plus étonnant. Mais une seule chose l’intéressait véritablement et le Vicomte allait bien vite l’apprendre.

-Des coupables, hum… reprit-t-il en se touchant la barbe. Nous savons de manière certaine que le chancelier s’était fait quelques inimitiés en gagnant la principauté mervaloise instaurée par l’Angleroy. Nous présumons que l’arrivée d’un nordien au sein du gouvernement royal ne passa point inaperçu dans l'entourage du régent.

Ces informations ne venaient pas des espions de la couronne, mais bien de tout ce qui avait pu être témoigné après la mort du sire de Wenden. Son entourage, quoique peu loquace, n’avait pourtant pas lésiné sur le récit des derniers mois de la vie de l’arétan. Dès lors, en réunissant ces informations, l’on avait vite fait de concentrer toute l’attention sur les énigmatiques contrées mervaloises.

-Il est très probable aussi, qu’à la mort de l’Angleroy, certains aient eu suffisamment de raisons pour en vouloir au chancelier. Dès lors, sire de Brandevin, tout nous amène à croire ce jour d’huis que les assassins s’y trouvent et se cachent désormais dans leur nouvelle secte hérétique. Ne prenez pas cette probabilité comme une simple supposition évoquée dans une taverne, mais bien comme celle émise par les conseillers et agents royaux de sa Majesté Bohémond.

Cela voulait tout simplement dire que l’on savait Merval suffisamment impliqué dans l’affaire, sans pour autant avoir encore eu le temps et l'opportunité de le prouver. Pour cause, aucun homme officiel de sa Majesté n’était encore retourné dans la principauté mervaloise depuis le départ du chancelier. Comme délaissée et ignorée, Merval avait vécu sa guerre dans son coin sans demander son reste à quiconque. Bien plus que des rumeurs maintenant, personne n’ignorait qu’une nouvelle religion prenait le pas sur la leur et que l’on se mettait à adorer quelques divinités draconiques. Il fallait que la chose cesse, mais le gouvernement royal ne souhaitait aucunement y employer la manière forte pour commencer. Etant en charge de l’Amirauté, on lui avait alors donné les moyens d’utiliser les cotes pour glaner d’autres renseignements.

-De quelle manière procéderiez-vous afin de trouver toutes les preuves suffisantes ?

De la réponse dépendrait beaucoup de choses. Francesco était tout ouïe, prêt à griffonner de nouveau son vélin dorénavant à moitié plein.

Il vit l'attitude du jeune sire changer brusquement, passant ainsi de la mélancolie à la torpeur. L'énervement n'étant point l'allié de la raison, Francesco le laissa glapir avant de marquer une courte pause afin que l'esprit du Vicomte refroidisse et recouvre le calme. Là, bien évidemment, ce dernier s'était lancé tête baissée dans la mêlée tel un rustaud dans l'arène. Comprenait-il seulement qu'il se mouvait sur de sinueux chemins et qu'en demandant des réponses, il lui serait bien impossible de rebrousser chemin ? C'était là le moment pour le jeune homme de perdre son innocence et ses rêveries de jouvenceaux pour s'immiscer dans la cour des mystères. A moins qu'icelui ne freine ses ardeurs, Francesco sentait l'occasion poindre pour s'engouffrer à son tour dans une brèche qu'il n'avait cessé de créer.

– Votre soif de savoir est bien légitime, sire, professa-t-il en arrêtant de gesticuler sa plume. Mais vous vous apprêtez maintenant à rentrer dans le secret du Roi, alors il ne tient qu'à vous, dès maintenant, de garder vos connaissances pour vous et vous seul. Est-ce clair ?

Par là, d'aucuns n'auraient eu l'audace de demander des explications en prime. En apprenant ce qu'il en était de Merval, le jeune scylléen s'engagerait à le garder pour lui seul où ceux que la couronne choisirait, les secrets évoqués séant. Dans le cas contraire, la couronne saurait se rappeler d'un tel manque.

– Depuis la mort de l'Angleroy, Merval s'est refermée sur elle même, ne laissant sortir que quelques échos. Ces derniers, de plus en plus obscurs, tendent à prouver désormais que la mort des Wenden n'est qu'une petite partie apparente d'un drame à venir.

Il croisa de nouveau ses bras, tout en continuant à scruter les réactions du Vicomte.

– Je ne vous cache pas que la situation est bien plus grave que la couronne ne le laisse paraître. Et au sortir de la guerre, il est bien normal de ne pas susciter de nouvelles terreurs envers la populace. Néanmoins, il incombe aux représentants du Roy d'y trouver une issue et de tout faire pour qu'une action armée ne soit pas la seule solution. Pour autant, il est très probable que cette dernière soit en réalité inévitable. Et pour cause, le mutisme de Merval envers les demandes répétées de la couronne est révélateur d'une situation qui a dégénéré sans que quiconque ne s'en préoccupe. Voyez donc cela, la principauté mervaloise est organisée sous forme de consistoire, réunissant les fidèles conseillers de l'Angleroy, et aussi quelques notables bien connus. Parmi eux, un seul ressort du lot et semble tenir le gouvernail. Son nom est Lévantique.

Lohie avait évoqué un certain Samsun et Lysandus. Hors, il s'avérait que ces deux hommes faisaient partie de la chancellerie et que le premier d'entre eux avait justement alerté la couronne quant au danger grandissant du pays mervalois. Là aussi, ce dernier les avait renseigné sur la raison qui avait poussé le sire de Wenden à quitté Merval pour rejoindre Scylla. L'on avait tout simplement craint pour la sécurité du jeune Roy.

– Nous ignorons quel véritable rôle tient ce Lévantique dans l'affaire des crimes commis contre les Wenden, mais il est fort certain qu'icelui ait encouragé l'émergence de ce mouvement de fanatiques vouant un culte aux dragons. Si la plupart d'iceux ne sont que de pauvres gens en quête d'identité, d'autres sont... plus instruits et donc... plus capables. Comprenez dès lors que si ce culte est parvenu à gagner une contrée entière, icelui n'aurait aucun mal à sortir de frontières seulement connues des seigneurs. Scylla, Langehack, puis le soltaar et enfin le Royaume entier pourraient connaître le même sort.

A bien y regarder, le problème des rançons paraissait désormais bien futile comparé à ce qu'il venait d'avouer au jeune homme, qui semblait encore peiner à savoir pour quelle raison on le mettait ainsi dans la confidence.

– La couronne cherche des hommes ayant fait preuve de loyauté, de courage et de témérité pour l'aider à affronter cet ennemi encore inconnu.

Chose qu'il omettait de dire, était que la couronne se permettait de choisir des hommes n'ayant eu que peu d'implications dans la politique et les intrigues du Royaume. Autrement dit, des immaculés.  

– Êtes vous l'un de ces hommes, sire de Brandevin ?

Calme et pensif, Francesco se demandait déjà si le damoiseau pouvait s'imaginer la charge qu'il s'apprêtait à recevoir. Le régent n'y était pas allé de main-leste et lui avait fait savoir, via une lettre, tout ce qu'il attendait de lui. Jugeant cela, l'Amiral s'était bien gardé de formuler quelques réserves en ajoutant que le jeune homme pouvait se montrer bien trop tempétueux et point assez raisonné pour ne pas foncer tête-basse dans la première brèche. Le Brochant lui aurait alors probablement mentionné que l'âge ne faisait point l'homme et qu'en grandissant, icelui pouvait gagner en sagesse. Il restait encore à savoir si le Vicomte accepterait la proposition royale où la déclinerait poliment dès lors qu'il visualiserait ses futures chaînes. Par les réponses, brèves et concises qu'il entendit, il n'eut aucun mal à prédire quels seraient les prochains mots qui sortiraient de sa bouche.


– Plusieurs choses, sire de Brandevin, prononça-t-il de manière solennelle. Vous recevrez dans un premier temps la charge de capitaine de l'armée royale.

L'armée royale... vaste chantier que cette dernière lorsqu'on savait qu'icelle n'existait, pour ainsi dire, presque plus. L'on comptait, certes, les hommes du guet de la cité, puis quelques autres ici et là du temps de la régente Arsinoé. Mais la fuite de la capitale et les multiples errances de la cour eurent raison de sa solidité. Dès son arrivée à la cité des Rois, Brochant s'était afféré à établir ses quartiers dans le fort de la vaillance, en y faisant pénétrer son ost par la même occasion. Il s'était adjugé la protection du petit Bohémond, mais savait ce jour d'huis que les notables du Royaume ne tarderaient point à s'offusquer d'une telle monopolisation. Dès lors, l'armée royale devait être reconstituée et la charge incomberait aux jeunes capitaines qui viendraient l'alimenter.

– Sur votre accord, la charge sera à effet immédiat. Mais avant que la nouvelle ne soit rendue publique, la couronne souhaitera vous envoyer à Merval sous couvert du titre d'ambassadeur. Ainsi, vous vous y rendrez avec d'autres hommes de la cour royale, et œuvrerez pour tenter de dénouer les tensions, expliqua-t-il en regardant de nouveau le vélin transmis par la régence. Par ailleurs, vous enquêterez sur les meurtres des Wenden et tâcherez d'en savoir plus sur... ces sectes « draconniques » afin d'y établir des points de convergence.

Il plaça un énième parchemin devant le seigneur où apparaissait l'authentification de la charge au sein de l'armée royale.

– Ce ne sera pas de tout repos, sire. Car dès votre retour, il vous sera demandé de reformer l'armée royale dans son intégralité. Pour cela, vous n'en référerez qu'au seigneur de Brochant qui officie également au sénéchalat en plus de la régence. Quant à vos rapports concernant Merval, vous nous les transmettrez à lui comme à moi.

Il eut un petit regard soucieux, comprenant bien que la charge de travail serait colossale. C'était pourtant cela qui attendait tous les serviteurs de la couronne : Œuvrer dans l'ombre et l'indifférence pour le bien du Roy et la paix du Royaume.

– Est-ce que tout cela vous paraît réalisable ?

HRP:

Francesco n'exprima nul signe de joie et ne fit montre d'aucune satisfaction lorsque le damoiseau acquiesça quant à sa nomination. Car s'il était vrai que ce dernier avait brillé durant le dernier conflit médiannais, il lui restait encore beaucoup à prouver comme d'autres. Faire confiance à la jeunesse était pourtant dans ses cordes, quand bien même la nouvelle génération lui semblait plus enclin à la destruction qu'à la paix. Et l'histoire lui donnait raison, puisque ces dernières années avaient connu un lot de guerres fratricides, d'invasions et d'assassinats ahurissants. Si le régent lui avait paru disposé à mettre un terme à toutes ces atrocités, il ne leur restait plus qu'à croiser les doigts pour que la relève ne soit pas dénuée de bon sens et d'un amour certain pour l'unité plutôt que la division.

– Vous ne serez pas complètement isolés, si c'est la question que vous vous posez... capitaine.

Il devrait s'y habituer, même si le jeune scylléen ne serait pas affecté directement sous son commandement.

– Vous trouverez un capitaine nommé Gianni Palozi. Ce dernier sera accosté avec son navire et son équipage et attendra vos rapports pour nous les transmettre. Vous pourrez également compter sur lui s'il advenait que vous courriez un danger de mort imminent. En guise de complément, vous saurez que le capitaine Gianni se trouve sous mes ordres et appartient à l'amirauté royale. Néanmoins, comme vous vous en doutez probablement, Sire Palozi n'aura nullement les couleurs où quoique ce soit d'autres pouvant l'identifier à sa Majesté.

Pourquoi rajouter cela ?

– S'il advenait que votre mission diplomatique soit compromise, sachez que le capitaine a d'ores-et-déjà reçu l'ordre de quitter les eaux mervalloises, avec où sans vous.

Autant avouer de suite que les chances d'échouer étaient grandes. Ce serait là une bonne épreuve pour le jeune scylléen ; lui que l'on connaissait surtout pour son franc-parler plus que pour sa discrétion.

– Capitaine, ai-je besoin de vous rappeler que vous êtes désormais un représentant direct de sa Majesté et que cela vous lie irrémédiablement à de strictes obligations comme celles de ne point étaler publiquement vos opinions personnelles où vos ressentiments à l'encontre du Roy et de ses premiers conseillers ? Ni même de remettre en question les décisions royales, si ces dernières vous paraissent être à l'encontre de votre logique ? s'enquit-il en insistant bien du regard. Ni vous, ni moi, ne sommes là pour ça. Seule la paix du Royaume importe, car là ou votre voix portera, ce sera celle du Roy qui sera entendu. gardez-le toujours à l'esprit.

L'on ne pardonnerait guère les écarts, les insoumissions où les tempéraments rebelles après tout ce que le Royaume avait vécu. Cela ne voulait certainement point dire que l'on interdirait, non plus, les initiatives personnelles où les critiques correctement exprimées.