Le coffre fût posé lourdement sur le sol marbré. Les deux chevaliers nérissois reprirent leur souffle sans rien laisser paraître. Ils venaient de se taper un dédale de couloirs et plusieurs volées de marches, soutenant la pesante malle comme des forçats.
- Le seigneur de Néris, ici présent souhaite vous faire don de son humble participation à...
Le Receveur au large sourire pu se lancer dans les louanges de la donation bienvenue, demandant à ce qu'on ouvre le battant afin d'exposer l'or aux yeux de la Baronne.
Sangarah se tenait là, debout derrière le coffre, faisant face à Bathilde. Sa sœur et le vieux Chevalier Adhémar à ses cotés, il se contenta d'acquiécer en silence en détaillant les expressions fugaces de la jeune Baronne. Assise dans son large fauteuil, quelques mèches brune caractéristiques des Ancenis venant frôler son visage ingénu, la jeune femme sembla se contenter d'écouter et d'observer la scène avec retenue.
Lorsque l'homme eut terminé son monologue, Sangarah s'inclina à nouveau, alors que son regard croisa brièvement celui de Bathilde.
Le lendemain, aux portes de la ville, le contingent sous bannière nérissoise reprit la route dans le frimas hivernal. La journée était entamée, et le ciel était gris.
Sangarah et sa sœur n'avaient pas reparlé de la réception de la Baronne. Sybine n'osait plus questionner son frère. Elle avait ressentit la tension évidente, dans la grande salle, et elle se demandait ce que son frère avait véritablement en tête lorsqu'il eut décidé d'acheminer lui-même le coffre. Adhémar et lui avait parlé, ensuite, jusque tard dans la soirée, et elle n'avait eu la force d'insister pour assister aux discutions.
- Nous pouvons longer le fleuve jusqu'à son coude, et traverser le bois de Fonrac, Sire.
Sangarah opina du chef, et le chevalier élança sa monture en éclaireur.
La petite colonne suivit donc le sentier, le long de la rive méridionale en direction du ponant. Ils quittèrent les abords du fleuve à la tombée de la nuit, avant de s'engager dans les collines boisées. Alors, voyant le soleil disparaître par-delà l'horizon escarpé et la température chuter d'avantage, Sybine s'inquiéta auprès de son frère.
- Nous allons camper dans les bois cette nuit ?
Sangarag leva le doigt vers les premières hauteurs.
- Il y a une auberge au sommet de ce col.
La jeune femme parvint à y distinguer une fumée s'élever au loin. Elle resserra son manteau de voyage, un peu soulagée. Il restait plusieurs lieues à parcourir cependant. Ils auraient dû partir plus tôt ce matin, songea-t-elle.
Alban, leur éclaireur les attendait à l'orée du bois. Il pénétra au pas sous les arbres, prenant moins d'avance. Il devait rester à portée de voix, sinon de vue. Les bandits de grands chemins affectionnaient les forêts montagneuses. Et entre Ancenis et Aspremont, les nérissois se trouvaient hors de leurs domaines. Ils ne savaient si la région était correctement sécurisée.
Les feuillus laissèrent bientôt place aux épineux. Et finalement, malgré la pénombre d'une nuit sans lune, l'équipée atteignit l'auberge.
Pieds à terre, Adhémar proposa d'entrer le premier pour annoncer leur arrivée au tenancier. Ils attachèrent leur monture à l’abri.
- Nourris les chevaux et attends ici avec les charretiers, ordonna Sangarah à son écuyer.
C'est un coup de pieds dans le sommier qui réveilla Sybine.
- On part.
Sangarah termina de sangler son attirail, avant de quitter la chambrée exiguë. La benjamine d'Orneyad voulait l'aventure, elle l'avait. Et encore, elle n'avait pas dormi à l'écurie, ou pire, dans les bois. La paillasse pourrie qui lui avait servi de lit l'aurait presque rendue malade. Courte et froide, la nuit laissait maintenant place à un jour timide.
Quand elle gagna le couloir, les hommes redescendaient déjà le barda à destination d'Aspremont, qu'ils avaient vidé la veille de la charrette. La plupart s'étaient entassés dans un dortoir tout aussi misérable, au même étage.
Dehors, le sol et les cîmes s'étaient couvert d'une fine couche de neige, mais le ciel semblait moins couvert. Alban se rinçait le visage à l'eau froide en guise de toilette. Il sourit poliment en croisant le regard de la seule femme du groupe.
- Madame.
Elle lui rendit un hochement de tête pudique. Le Chevalier réceptionna un paquet en plein vol. Adhémar ressortait le dernier de l'auberge, balançant à qui voulait des pitances préparées par l'hôtelier.
- En scelle !
La journée suivante se passa sans encombre. Le bois et ses collines obligeaient le groupe à la prudence et la charrette ralentissait leur progression. Mais Sangarah avait le temps. On ne l'attendait pas avec grande impatience.
A la nouvelle nuit tombée, cette fois nulle auberge pour les abriter. Seuls les contreforts des premières Dents-de-Veltres constitueraient leurs couches. Des toiles furent tendues pour le bivouac, les protégeant du vent et des éventuelles chutes de givre. Des peaux de moutons rembourrées de paillage feraient office de paillasse, et trois feux réchaufferaient les voyageurs.
Sybine guetta le ciel et sa lune partiellement couverte, alors qu'elle ne quittait plus la proximité du foyer rougeoyant. Elle observa ensuite les hommes qui s'installaient avec légèreté. Habitués qu'ils étaient, aucun ne semblait craindre les intempéries et la rudesse de la nuitée qui s'annonçait. Quelle idée de voyager comme celà en hiver, pensa-t-elle.
Une claque amicale dans son dos l'extirpa brusquement de sa contemplation.
- Alors, ça te plait ? Lui lança son frère avec détachement.
En vérité, elle comprit que c'était une pique. Depuis le temps qu'elle le surinait pour l'accompagner dans ses voyages, voila qu'il acceptait quand l'hiver était la, pour une cavalcade de plusieurs jours à travers l'ancenois humide et glaçant.
- Beaucoup, lui répondit-elle sans sourire. J'avais si hâte.
- Tant mieux. Demain, nous franchirons les alpages enneigés.
Elle le regarda fixer les flammes, impassible.
- Est-ce un teste ? Une leçon ? La suspicion se lisait dans son regard acéré.
- Biensûr, lui rétorqua-t-il naturellement. On apprend tous les jours.
Elle retint un juron.
- Tu l'as fait exprès, avoue-le.
Ce devait encore être une de ses farces sensées l'endurcir. C'est ce qu'il aimait tant justifier, comme leur père. Après tant d'années de corrections biens senties par le patriarche retiré des comptes de la seigneurie, Sangarah perpétuait donc la tradition, avec amertume et sadisme ?
Il soupira de lassitude.
- Tu voulais venir, te voila. Profites-en pour apprendre. Il frotta ses mains gantées au-dessus du brasier.
- Père n'aurait pas mieux dit ni mieux fait, lui cracha-t-elle avec une pointe de résignation.
- Tu me les brise, "petite princesse".
Sangarah s'en détourna, avec une exaspération contenue malgré tout.
Ils mirent une bonne journée pour traverser l'extrémité de la chaîne montagneuse qui les séparaient de l'Ouest. Ils passèrent par les vallées de poudreuse fraîche, suivant quelques sentiers drapés serpentant aux pieds des escarpements. Ils choisirent les détours plus plats, plutôt que d'engager les routes pentues et plus directes. Prudents car chargés de butin, les nérissois avaient ainsi évité les plus gros désagréments.
Depuis une hauteur clairsemée, le groupe fit halte pour embrasser la campagne d'une vue plongeante. Ils repérèrent un village, planté avant la vaste forêt.
- Nous y serons avant la nuit.