Nombre de messages : 95 Âge : 29 Date d'inscription : 13/12/2016
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Sujet: Tous mes souvenirs d'elle. Lun 19 Nov 2018 - 14:48
Neuvième ennéade de Karfïas, De la onzième année du onzième cycle.
Il y avait une fine brise ce jour-là, secouant les fines ramures des cimes des rares résinifères d'Hardancour. Les moineaux, pigeons et autres volatiles avaient délaissés leurs nids pour venir se poser sur la plus haute bâtisse des environs : le haut donjon du castel local, dont la cour paraissait désormais bien calme, à l'image du village en contrebas. Pourtant, on y avait pleuré longtemps durant la matinée. Les bannières de la famille régnant sur le castel furent placées en berne quelques jours auparavant, alors que la triste nouvelle s'était répandue au sein du village, fuitant les murs sombres de pierre : Rémond, jeune frère de Charles, avait rendu l'âme.
La nouvelle avait volé à dos de canasson jusqu'à Cantharel, où Charles et Henri, informés, s'étaient retrouvés l'un et l'autre avant de s'en revenir vers le bourg qui les avaient vu naître. Le corps avait été exposé à la petite chapelle locale, bercé dans l'encens et la myrrhe. La pâle lueur, peu réconfortante, des nombreuses chandelles et lustres allumés à l'occasion des obsèques, était l'unique rayon de clarté qui perçait l'épais nuage. On s'était amassé sur les massifs bancs de bois de la petite chapelle, et les malchanceux et autres retardataires s'étaient pressés aux vitraux et aux portes afin d'assister à l'office de loin. La belle-sœur de Charles, Marie de la Tourelle, s'était parée de noir, et séchait de nombreuses larmes à l'aide d'un mouchoir brodé d'or. Quant à son fils, Henri, il était étonnamment silencieux, les yeux sans cesse rivés vers le sol, à l'image de son oncle, Charles, qui n'avait pipé mot de tout le trajet. Il avait demandé à voir son frère, et avait veillé et prié toute la nuit un corps sans vie.
Alors que tous avaient délaissés le château pour se gorger d'air frais et se changer les idées, seul Charles demeurait au castel, à son sommet, sur le seul balcon de la forteresse, privilège de ses quartiers privés. Assis sur une large cathèdre, il y fumait la pipe, la main doucement posée sur l'accoudoir en chêne finement travaillé. Ses yeux étaient perdus vers l'horizon, et léger déclic lui fit tourner le regard. Son épouse, Séraphine de Navier, se glissa sur le balcon d'un pas léger, souriant à son époux, prenant place à ses côtés sur une chaise tout aussi belle que celle où siégeait le vieil homme. Le regard de la vieille femme était empli d'empathie et de douceur. Avec le calme légendaire qu'on lui prêtait, et silencieusement, elle prit ainsi place, posant sa main sur celle de Charles.
« Comment te portes-tu, mon ami ? »
Charles la regarda quelques instants, puis plissa les lèvres, ne retenant pas un soupir. Séraphine avait toujours été là. Elle l'avait soutenu dans les moments difficiles, et Charles le lui avait rendu à maintes reprises. Ils n'avaient eu, ensemble, qu'une fille, mais c'était bien suffisant pour combler le cœur de Charles. Et, fidèle à elle-même, Séraphine accompagnait son époux sur les chemins les plus difficiles.
« Je ne mentirai pas. Il me manque déjà. »
Un silence et un sourire doux, accompagnés d'un regard compatissant, accueillirent la confession du vieux Charles. Ce dernier releva ses doigts, les glissant dans ceux de Séraphine. Leurs mains étaient froides. Il faisait frais ce jour-là, et Charles s'était prit à frissonner dans la chapelle. Il n'avait su dire, cependant, s'il s'agissait de la température frileuse, ou de l'émotion. Séraphine ne relevait pas. Charles avait sans doute envie de parler. Aussi, elle se tut, attendant qu'il reprenne. Elle avait toujours été là. Elle l'avait soutenu dans les moments difficiles, et Charles le lui avait jadis rendu à maintes reprises. Ils n'avaient eu, ensemble, qu'une fille, mais ce fut bien suffisant pour combler le cœur de Charles. Et, fidèle à elle-même, Séraphine accompagnait son époux sur les chemins les plus difficiles.
« Quand...quand nous étions jeunes...c'était un jour d'été, et nous jouions dans la cour. Il y avait...le vieux palefrenier, et un berger avec lui, qui avait amené son troupeau pour le montrer à mon père. On courait, avec Rémond. Et puis l'un des chevaux avait déféqué. Quelque chose de colossal ! Alors pour rire, Ildegarde s'était jointe à nous, et elle avait poussé Rémond dans la bouse. Il empestait la mort, et ma sœur et moi-même étions en train de rire à gorge déployée... »
Séraphine et Charles sourirent ensemble. La première, heureuse de voir que son mari se rappelait les bons souvenirs d'un temps désormais révolu. Le second, parce que tout cela lui manquait. L'insouciance, les jeux, le plaisir de rire. Il regarda Séraphine, et elle comprit. Comment en était-il arrivé là ? Le cynisme était-il la récompense de la droiture ? Elle le savait peut-être. Elle qui avait toujours été là. Après tout, elle l'avait toujours soutenu dans les moments difficiles, et Charles le lui avait jadis rendu à maintes reprises. Bien qu'ils n'aient eu, ensemble, qu'une fille, ce fut bien suffisant pour combler le cœur de Charles. Et, fidèle à elle-même, Séraphine accompagnait son époux sur les chemins les plus difficiles.
« Et puis notre père est arrivé. Il nous a mit à tous un soufflet. A Ildegarde pour avoir poussé Rémond dans le fumier. A Rémond pour avoir laissé Ildegarde le faire. Et à moi pour n'avoir rien fait pour les empêcher de salir les beaux habits de Rémond. »
Le fin sourire de Charles se transforma en un rire non retenu alors qu'il tenait la main de son épouse. Cette dernière se prêta également à une hilarité silencieuse. Puis son regard se porta sur l'horizon. Ils demeurèrent silencieux un long instant, avant que la vieille dame repose son regard sur Charles. Ses yeux étaient embués de larmes, mais elles n'étaient guère de tristesse ou de douleur. Il lui rendit son sourire.
« Il est temps, mon vieil ami. »
Il hocha la tête doucement. Il relâcha sa main. Porta un ultime regard sur l'horizon. Sur le teint de l'herbe, la couleur du ciel, la forme des nuages, et alors que des larmes coulaient sur ses joues, les mirettes du vieil homme se refermèrent progressivement. Séraphine lui caressait doucement la main, elle qui avait toujours été là. Elle l'avait toujours soutenu dans les moments difficiles, et Charles le lui avait jadis rendu à maintes reprises. Bien qu'ils n'aient eu, ensemble, qu'une fille, ce fut bien suffisant pour combler le cœur de Charles. Et, fidèle à elle-même, Séraphine accompagnait son époux sur les chemins les plus difficiles. Même le dernier.
Louis de Saint-Aimé
Humain
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Sujet: Re: Tous mes souvenirs d'elle. Mer 5 Déc 2018 - 20:38
« Votre Excellence, il nous faudrait vous entretenir quelques mots … » Chercha à briguer l’homme qui à prime coup d’œil, n’en mena guère bien large dans ses chausses. Il tint le cadre de porte d’une main et n’osa pas même y franchir le moindre pas. C’est qu’avant sa venue on avait prévenu le guignard que Louis ne manquerait pas d’être mal disposé à le recevoir, lui qui tout juste avait achevé une entrevue qu’on disait houleuse avec sa pléiade de comptables. Aussi dut-il prendre des pincettes en s’y appliquant, de peur de voir son maître se courroucer de trop.
« Il me semble avoir demandé la paix. Sont-ce là des paroles trop absconses que l’on en vienne à y saisir l’inverse ? Partez céans! La paix, je vous la demande! » Beugla Louis, déjà bien enfoncé dans une colère latente.
« Mais … Monsieur, c’est impor… » Comme vous vous doutez, le pauvre héraut n’eut temps suffisant pour s’exprimer que le colosse s’emporta en se redressant d’un mouvement sec, les lèvres pincées et prêt, pratiquement, à en venir aux poings.
« Là! S’il me faut te délester d’un poids sur les épaules, ça peut aussi s’arranger ! »
« Monsieur! Charles votre grand-père est décédé! » S’empressa de lancer le jeunot presque à s’en pisser les braies, dans l’espoir de désamorcer le conflit. Et la nouvelle fit mouche, car Louis s’arrêta net et son faciès perdit dare-dare son air acariâtre. Et l’air plutôt qu’il adopta, n’augura rien de bien plus avenant. Un silence s’installa entre eux deux jusqu’à ce que l’aîné des Saint-Aimé reprenne à son tour.
« Où est Judith, ma mère? »
« Dans sa chambre … Elle s’y est cloîtrée et refuse toute visite. »
« C’était aussi mon désir, mais voilà que nous devisons tous deux tout de même. »
Louis remercia silencieusement le messager, puis le dégagea d’un leste mouvement de l’épaule –qui ne se montra guère si doux, vu sa taille- afin de conquérir les couloirs qui menèrent jusqu’aux appartements tantôt mentionnés par le jeune freluquet. Une fois à hauteur de ladite porte, Louis cogna sans ménagements du poing et s’annonça de bonne voix, question que de doutes ne planent sur son identité. Il s’attendit bien à ce qu’on lui ouvre, mais non. Plutôt, les sanglots cessèrent et ce, seulement au profit d’une voix toute menue, à peine soufflée au travers le bois du battant.
« Louis, je m’occupe de mère … Je t’assure, tout ira … Et … Je pense que tu devrais aller te passer les nerfs, tu n’as pas l’air en état pour la voir … » Éléonore, assurément, couvrit les arrières de son frère en servant d’épaule pour accueillir le deuil de la belle Judith. Aussi bien vous dire que le Louis ne s’y fit pas prier par deux fois qu’il quitta céans le castel au profit d’un endroit propice à la solitude. Il avait grand besoin d’y expier sa peine, sa colère et sa déception en paix.