[Esplanade des 9] Trame de l'hydre :: L'Ordalie des Flammes

Automne - 2e jour de la 4e ennéade de Favrius
11e année du XIe Cycle

Après de long traitements magique mais une nuit trop courte pour récupérer entièrement, Krish avait profité des quelques instants avant de traverser les Profondeurs jusqu'à l'esplanade des neufs pour se glisser jusqu'aux dernières extrémités du complexe des forges. Eshk'Oroth était loin, rassemblant Elghinn, Driz'na, T'Chala et la garde qui veillerait sur elle jusqu'à son arrivée à l'esplanade. Les autres n'entraient pas dans la salle même des forges, un accord passé avec leurs hôtes et scrupuleusement maintenu par le respect de Krish envers ce lieu sacré pour tout artisan du métal.

Aussi, lorsqu'elle avait traversé l'atelier pour emprunter un étroit escalier à peine dégrossi dans la roche du Vatna, elle était certaine de n'avoir que ses pensées pour seule compagnie. Lorsqu'elle travaillait ici, elle appréciait l'endroit dans lequel elle se rendait aujourd'hui pour le symbole qu'il représentait, mais elle n'y avait mis les pieds qu'une poignée de secondes et ne pensait pas y retourner un jour. Pourtant, aujourd'hui, elle s'y sentait attirée, appelée. Un ordre impérieux qui emplissait son être d'une douloureuse plénitude.

Au bout du boyau, elle poussa une première porte de pierre monté sur un mécanisme complexe et se retrouva dans une étuve. Lorsqu'elle poussa la seconde, ce fut une fournaise. Elle avança sur le petit promontoire dépourvu de tout garde fou et respira à pleins poumons. Plusieurs dizaines de mètres en-dessous d'elle s'écoulait indéfiniment une rivière grumeleuse tâchée de sang et d'or, rayonnante comme un soleil fissuré de quelques plaques mouvantes de pierre noire. La chaleur était si étouffante que se tenir sur le promontoire occasionnait des brûlures en quelques minutes. Les gaz crachés par le Vatna asphyxiaient l'observateur en quelques secondes. Le son qui résonnait sur les parois agressives était celui d'un océan en pleine tempête poussé à un volume tel qu'il pouvait en crever les tympans.

Tout était fait par les dieux pour qu'un être de chair ne puisse supporter le spectacle d'une telle puissance. Et pourtant, aujourd'hui, Krish se sentait vibrer face à la rivière de lave. La lumière qu'elle dégageait transperçait ses yeux jusqu'à venir taquiner sa Flamme. Ses poumons la brulait sans la faire tousser. Ses longues oreilles guettaient les variations dans le tonnerre et les hurlements. Elle s'agenouilla là dans son ample tunique sans manche et son pantalon de cuir noir, ses pieds nus contre la pierre cycléenne des entrailles du Vatna.

Bercée par la tempête, détendue par la chaleur insupportable, les prières et les chants guerriers à la gloire d'Uriz se déversèrent de ses lèvres en un mantra étouffé. Son attention glissa entièrement vers cette autre présence qu'elle sentait au creux d'elle-même depuis des mois. Une puissance telle qu'elle ne pouvait être appréhendée dans sa totalité. Au départ, même une infime partie de ce tout lui donnait le vertige. Maintenant, elle acceptait dans une certaine mesure, admirant et craignant tout à la fois. Avec cet impression de plénitude passionnée, c'était imposée une sensation étrange, une conviction profonde. Elle sentait que son refus de remettre totalement sa vie entre es mains d'Uriz et l'obstination qu'elle montrait à user de sa volonté propre était la clef qui lui permettait de supporter sa présence. Un esclave exécutant des ordres sans volonté aurait été rendu fou par la douleur et la puissance écrasante de son hôte, consumé jusqu'à la moelle en quelques secondes comme elle avait failli l'être. Elle se dressait et usait de la force et de la liberté apporté à tous les drows par Uriz pour suivre la voie dans laquelle il l'a poussait. Ce paradoxe, elle l'acceptait à présent. En refusant d'être un simple outil, elle devenait une Lame bien plus tranchante entre Ses mains.

Elle se laissa sombrer dans ces émotions si pures qui faisait parti d'elle cette soif de défi, cette fureur de vivre, cette façon de continuer le combat quoi qu'il arrive et d'accomplir ses vengeances quoi qu'il en coute. Durant un long moment elle ne fut plus que colère et passion, accordant les pulsations de son cœur au rythme guerrier émanant de cet être digne d'adoration. Jusqu'à ce qu'une nouvelle évidence ne l'emplisse.

* Il est temps. *


...


Une heure plus tard, entourée de vingt hommes et femmes portant armure et masque d'argent, suivit de deux enfants encapuchonnés, Krish posait sa botte sur l'Esplanade des Neuf. Dans l'ombre des rues, T'Chala restait à hauteur du cortège, observant de ses yeux d'obsidienne ce que les bipèdes pouvaient bien manigancer. La foule était déjà là, pressante et bien plus nombreuse que prévue. Elle se déforma peu à peu pour offrir un espace suffisant pour que les Repentis arrivent à hauteur du petit groupe de prêtres de Meingal qui n'avait pas manqué de venir. Derrière les prêtres de Meingal, les suppôts d'Uriz étaient déjà présent. Le regard de Kel'Zora tenta de heurter celui de de celle qui l'avait défié mais ses compagnons étaient là pour l'empêcher de se jeter dans la bataille avant l'heure. En bure, portant les livres de loi et les registres d'ordalie, les garants de la justice observèrent la seule masquée dépourvue d'armure avec froideur.

- C'est vous la chef des Masque d'Argent ? Vous qui avez demander une Ordalie contre la Haute-Prêtresse Kel'Zora ?
- C'est moi. " acquiesça-t-elle en avançant d'un pas. " Cette femme a assassiner traitreusement certains des prêtres d'Uriz sous son commandement lors de la bataille qui a eu lieu hier devant les portes de la Chambre Magmatique. Elle a commencé par ordonné que mes hommes soient combattus au même titre que les rebelles. Pour assoir sa domination sur le clergé en déroute, elle a relever le corps d'un héros de guerre sans l'avis des prêtres de Teiweon, et ce faisant... " Elle retira son masque d'un mouvement ample, le laissant tomber sur le sol dans un fracas métallique. " ... Elle a profaner le corps de feu mon mari. Velkyn Xaran. Dernier véritable Haut-Prêtre d'Uriz. " Un frisson parcouru l'assistance. Si Krish elle-même n'était plus tant connue de tous, la femme artisane et non-prima du récemment assassiné Velkyn Xaran allumait quelques souvenirs chez ceux qui ne la connaissaient pas. L'incrédulité et une surprise glaçante se lisaient sur la plupart des visages en découvrant l'identité de celle qui était à la tête des Repentis. Une artisane... Une vulgaire artisane. Certes douée et adulée en son temps. Mais qui depuis s'était roulée dans la fange Doeb. Revenue comme une semi-mondaine embourgeoisée depuis quelques mois comme elle le faisait de temps à autre depuis des siècles pour essayer de raviver une gloire passée. " Moi, Krish Al'Serat, Maîtresse des Forges de Lave, je demande une ordalie au couteau et au premier sang contre Kel'Zora Xaran. " Parmi les plus jeunes, des rires moqueurs rivalisaient avec une incompréhension persistante. Parmi les mieux renseignés, un doute s'insinuait lentement. Krish tourna ostensiblement son regard de lave vers la jeune femme. Elle avait épargné sa vie et l'avait confiée à son frère pour en arriver à ce moment précis. Elle ne voulait pas simplement la voir mourir. Non. Cela aurait été bien trop simple.
- Puisse les dieux rendre leur Justice. "

Les prêtres de Meingal se réunirent au centre des deux camps, discutèrent quelques instant, avant de se tourner de nouveau vers les intéressées.

- La demande nous semble valide. L'Ordalie au couteau est accordée. Les deux parties combattront avec un kukri sanctifié devant Meingal, sans armure, sans protection, sans aide extérieure. Il n'y aura pas de limite de temps. Le sujet nous semble cependant trop grave pour un simple premier sang. Le vainqueur sera désigné par renoncement de son adversaire ou incapacité à poursuivre le combat. " Il se tourna vers les repentis, laissant à l'accusée la possibilité de savoir qui serait son opposant avant de faire son propre choix, comme la coutume le voulait. " Krish Al'Serat. Souhaitez-vous du temps pour trouver un champion ?
- Non. Je combattrais moi-même. "

Un nouveau frisson remonta dans l'assistance, déclenchant quelques rires, mais bien moins que la première fois. Une artisane face à une Haute-Prêtresse d'Uriz. Même si sa jeunesse et le contexte de sa monté au pouvoir étaient étranges, elle avait tout de même soumis le culte à son bon vouloir.

- Kel'Zora Xaran, souhaitez-vous du temps pour trouver un champion ? "

Organisation HRP de l'Ordalie:

"Tiens, mets ça. Tu n'as pas encore le masque mais vaut mieux pas que les gens de la foule te reconnaissent. Entre ceux qui voudraient s'en prendre à ta mère et ceux qui te cherchent... c'est pas le moment de faire des conneries."

Driz'na laissa la femme faire, ne rétorquant rien quant au fait qu'on posait une cape sur son dos et en rabattait le capuchon sur sa tête. Effectivement, il valait mieux qu'elle ne soit pas reconnue... Elle avait déjà assez souffert ces dernières ennéades pour en rajouter une couche. Ce n'était pas parce qu'elle avait pris sa première vie qu'elle était plus douée que les adultes... elle avait juste eu de la chance et de l'instinct. Et un peu de savoir-faire, certes. En plus, elle avait toujours mal à la tête, bien que ça lui lançait nettement moins que pendant la nuit. Son réveil nocturne n'avait pas aidé à ce qu'elle soit en forme ce matin-là, en attestaient les cernes bien marqués sous ses yeux violacés. Elle avait beau ne rien dire, aussi muette que l'ombre qu'elle devait être, son esprit jugeait que ce réveil avait été nécessaire. Sang et silence. Elle ne l'oubliait pas...


Dehors, c'était la foule. L'esplanade pouvait accueillir les concernés par l'ordalie, c'est-à-dire Krish, Kel'Zorah, des membres du culte d'Uriz, d'autres de celui et Meingal et les Repentis. Si la panthère alla se cacher dans l'ombre, Elghinn et elle furent conduits avec les adultes masqués, pour au final se retrouver non loin derrière leur mère. Driz'na gardait la tête relativement basse pour ne pas trop montrer son visage mais, discrètement, elle ne pouvait pas s'empêcher de porter tantôt ses yeux sur la foule, tantôt sur celle qui se révélait à tous. Pourquoi se moquaient-ils ? Pourquoi des rires ? Ils ne la prenaient pas au sérieux ? Ou bien y avait-il quelque chose qu'elle ne comprenait pas ? L'enfant se mordit l'intérieur des joues pour s'empêcher de montrer les questions et émotions qui la tourmentaient. Elle avait peur pour sa mère... elle avait peur que l'ordalie se passe mal, bien qu'il n'y avait aucune raison. Elle ne voyait pas pourquoi le Père et le Juge ne lui donneraient pas raison. Dans le fond, c'était surtout de l'extérieur qu'elle avait peur... quelque chose au fond d'elle lui donnait le sentiment que tout ne se passerait pas aussi bien qu'espéré.

Alors elle ferma les yeux et, lèvres fermées, pria de tout son coeur les dieux qui régissaient sa Flamme. Puissent-ils laisser l'ordalie se faire comme elle se devait et protéger celle qui, à leurs divins regards, méritait d'être reconnue par tous.

Les visages étaient nombreux. Sombres et magnifiques, lisses comme marqués, colériques comme songeurs. Et parmi toutes ses figures expressives, il y en avait une qui s'était figée dans un rictus de pure béatitude carnassière. Ses lippes contractées en un sourire dément, le Haut-Prêtre du Prime Dragon ne passait pas vraiment inaperçu dans la masse, dominant la plupart d'une demi-tête si ce n'est une tête entière. Très proche de l'esplanade - rares étaient les sots ayant risqué de ralentir son avancée -, le noirelfe attendait, ses bras massifs croisés, ses jambes plantées telles les colonnades d'un temple. Sa respiration quasi-imperceptible et son expression faciale statique ne laissaient rien supposer de ce qu'il se passait derrière ses globes sanguins.

A la vue des prêtres et de la procession, le drow avait frémi, son corps se remémorant semblable procédure, semblable énergie dans l'air. Humant ces centaines de respirations, écoutant ces innombrables voix susurrantes, le Gobelin y percevait d'innombrables nuances, en savourait une en particulier : l'appel à la violence. Contenu, maîtrisé... Les traditions plusieurs fois cycliques faisaient leur office, exigeant le respect dû à pareilles circonstances. Le grand noirelfe se muselait donc, malgré la sensation que ses crocs s'allongeaient, réclamant une morsure. En temps venu, les lames seront tirées... En temps voulu, les Dieux poseront leurs yeux sur celle qui sera digne... Ce n'était pas le combat d'Urgoll'Ven. Il en bouillait de frustration.

"Le vois-tu ? murmura-t-on près de lui.
- Non. Même pour cela, notre dernier dirigeant ne daignerait pas se montrer ? Par Tessos..." cracha une autre.

Une large paume s'abattit sur l'épaule de la drow. Urgoll'Ven avait tourné la tête, son faciès toujours figé en un masque extatique et bestial.

"Ma soeur... susurra-t-il d'une voix grave. J'ai peur que tu n'ais pas complètement... Saisi l'importance de ce qui se déroule sous nos yeux. Deux enfants du Puy vont offrir leur existence au regard du Créateur. Ainsi advient le plus pur jugement du Père des Batailles : dans une ordalie. Une sentence à la fois. Sa voix baissa encore d'une octave. Clos donc tes délicieuses lèvres avant de te les faire arracher."

Sur ces mots, il la lâcha, et ramena son attention sur l'Esplanade des Neuf. Les formules rituelles furent prononcées... Et la chef des Masques d'Argent révéla son véritable nom. Était-elle souillée d'avoir quitté le Puy pendant si longtemps ? Était-elle indigne de pouvoir comparaître devant le Peuple Sombre ? Urgoll'Ven rejeta ces questions, ayant de Krish Al'Serat la vision de son sang versé et de celui de ses gens, ainsi que tous les cadavres qui s'étaient couchés devant leurs lames, aux portes de la Chambre Magmatique. En ce lieu, devant les prêtres, il n'y avait pas lieu à davantage de tergiversations : si elle était définitivement bannie, alors la Haute-Prêtresse du Destructeur n'aurait aucun mal à purifier le Puy de son existence.

Urgoll'Ven ne demandait qu'à voir. Et à admirer.

Un bout de chair taillé en biseau par la propre morsure de ses dents, voilà l’outil avec lequel la Haute-Prêtresse devait négocier pour s’exprimer. Elle baragouina avec la même fougue qu’on lui connaissait, seulement, mit à part le fait qu’on la devina furibonde, courroucée à outrance, de ses mots crachés personne n’en comprit le sens. C’est bien lorsqu’elle empoigna le pommeau de son épée, que les dévots comprirent qu’ils se devaient de déguerpir au triple galop, s’ils ne voulaient pas finir étendus contre le sol, à l’instar de leurs défunts frères. Tous désormais savaient ce dont la furie d’Uriz était capable … Même amochée telle qu’elle l’était, pas un seul ne trouva courage à l’affronter, à l’exception faite de son frère qui l’avait du champ de bataille raccompagnée jusqu’à son bureau, tout en prenant soin d’agripper par le bras deux prêtres au passage afin de la rafistoler. Deux ne serait de trop, car il y avait moult à faire : les cotes de la furie étaient ou bien déplacés ou bien fracturées, sa langue était sectionnée, l’un de ses poumons lui provoquait de laborieuses respirations et pour finir, elle sentait sa cuisse si gonflée, qu’elle se demanda si elle n’avait pas été empoisonnée d’une quelconque substance …

Après avoir chassé du bras la paperasse et les babioles qui décoraient l’un des grands bureaux de pierre garnissant le bureau de la prêtresse, on l’installa avec moult précautions sur le dos, de sorte à ce que les guérisseurs puissent œuvrer en paix. Le silence, tiré de ceux des macchabés, flottait dans cette même salle, sans qu’aucuns gémissements n’en viennent perturber la quiétude. Vazdran n’était pas dupe, il connaissait mieux que quiconque sa sœur : sa victoire était totale sur les rebelles, mais son état, aussi lamentable puisse-t-il être, était une défaite en soit. C’était une lourde bouchée qui prendrait bien du temps à avaler, avant qu’ils ne puissent en discuter à tête reposée.

Cinq coups furent fracassés contre l’imposant portail de métal qui séparait le restant du temple à la salle d’opération. Sans un mot, l’aîné de la fratrie se dirigea vers la porte pour mieux accueillir l’homme qui s’y présenta. C’était un des guerriers, dont le sang et a sueur maculait encore autant son harnois que sa vilaine bouille. Son souffle manquait à l’appel, mais la chose sembla simple à expliquer : le pauvre s’était faite mission d’accourir jusqu’au chevet de la Haute-Prêtresse afin de s’assurer qu’icelle fusse au jus des derniers nouvelles. Vazdran hérita de la très lourde charge d’annoncer à sa sœur les prétentions de la chef des repentis …

« Uhne quoi ?! » Hurla Kel’Zora tout en perturbant brillament la concentration de son duo de guérisseur.

« Une ordalie, Kel’Zora. »

« Je ssfais che que s’fait. » Répliqua-t-elle laborieusement, toujours la gueule munie d’une langue de serpent à moitié arrachée.

« Elle veut te faire payer ta fougue sur le champ de bataille et te reprendre les rênes du Culte. » Affirma Vazdran, le tout ponctué de son fidèle sang-froid. Et si lui, était aussi calme que sérieux, sa sœur, elle, bouillait littéralement de l’intérieur. Et si certains affirmèrent qu’il n’y avait en ce monde d’endroit plus ardent que les entrailles du Vatna, eh bien, c’est qu’ils n’avaient jamais vu la cadette des Xaran en cet exacte état … Une veine menaçait d’exploser à sa tempe et la pression de son poing droit était si prononcée, que sa peau noire d’ébène virait désormais au blanc.

« Calme-toi, imbécile. Tu donnes des misères à ceux qui te permettront de gagner ton combat de demain, alors je te répète : détends-toi. » Affirma Vazdran à sa cadette, l’air cette fois plus sérieux encore. L’avertissement ne fit point immédiatement mouche, mais après quelques longues et pénibles secondes à lutter contre l’envie d’arracher la tête d’un des toubibs, la furie d’Uriz se détendit complètement, jusqu’à en fermer ses yeux pour mieux se concentrer. C’est que sa colère maladive lui empoisonnait tant l’esprit, qu’elle sembla devoir se parler elle-même pour contrôler ses envies meurtrières.

À tous coups, la soirée s’annonçait bien joyeuse …


…


Tôt avant que se réunisse cette masse de spectateur, la cadette de la famille Xaran s’y était présentée entourée d’une flopée de ses meilleurs guerriers. Plus que pour faire belle figure à ses côtés, ces rustauds servaient d’abord et avant tout à freiner, sinon stopper les élans coléreux de la jeune Kel’Zora avant que le début de l’Ordalie ne soit déclaré.

On entendit ses dents crisser les unes contre les autres quand elle vit les repentis gagner l’espace principal. N’eut été de cette fichue Ordalie qu’elle avait clamé haut et fort, elle se serait bien permise de lui ouvrir le ventre par le haut, là toute suite sur la place publique! Et même, elle en montrait toute son envie en jouant du coude avec ses protecteurs, qui s’affairaient brillamment à la contenir de tout excès de rage. Et comme cela n’avait rien d’un procès, on ne donna pas même occasion à Kel’Zora de s’exprimer. Autrement, elle se serait bien donnée à tous leur expliquer comment ceux qu’elle avait occis avaient mérité leur sort tant par leur manque de férocité que leur incompétence. Elle leur aurait expliqué que les repentis, un groupe de clampin sorti de nulle part, firent preuves d’autant de professionnalisme qu’un groupe de jeunes drow pré pubère …

Mais elle n’aurait eu d’argument à fournir, lorsque la chef des repentis fit voler son masque, dévoilant à tous sa véritable identité : elle était la belle-sœur de Kel’Zora. Alors plus que jamais, elle rudoya ses gardes pour s’approcher d’elle, comme pour démarrer le combat tout de go, mais ne parvint pas à franchir le moindre pas. S’il était un moment où la Haute-Prêtresse dut garder son sang-froid, c’était bien maintenant, alors que chacun de ses faits et gestes seraient jugés par les prêtres de Meinghal.

C’est lorsqu’on lui demanda si elle désirait un champion, qu’on lui laissa enfin sa pleine liberté, alors qu’elle s’était défaite de ses armes qu’elle avait balancé sans ménagement contre le sol de l’esplanade. Là, fichée devant Krish, elle affirma sans relâcher des yeux une seule seconde la cause de ses maux, qu’elle combattrait elle-même. Le feu, tel que la forgelâme l’avait autrefois constaté dans le regard de son mari, brûlait ardemment dans les billes de sa cadette. Autant dans son attitude que dans son regard, on comprenait comment elle avait conquis son titre de Haute-Prêtresse.

Maintenant, tous verraient comment elle le préserverait.

Alors que la challenger avait fixer le rendez-vous après la première cérémonie d'Uriz pour que les prêtres les plus importants puissent faire leur office dans les temples qui dépendaient d'eux, ces prêtres étaient déjà là depuis longtemps lorsque les préparatifs de l'ordalie commencèrent véritablement. Le détail d'un foi bien secondaire par rapport aux ambitions personnelles de ces serviteurs des dieux. Krish aurait préféré ne pas relever car le tambour de guerre qui battait en elle au rythme de son cœur lui intimait déjà de faire couler le sang.

Le grondement de la lave encore plein l'esprit, la forgeronne soutint le regard de sa jeune belle-sœur avec un sourire mauvais. Puis elle se détourna de l'Urizienne pour obéir aux deux prêtres de Meingal qui étaient arrivés à sa hauteur, laissant l'autre combattante se préparer de même avec deux autres prêtres. Sans crainte des regards de la foule, l'eldéenne retira ses vêtements, dévoilant les restes de la révolte de la veille et de sa vie dans les Ombres sur un corps étrangement peu marqué par l'âge. Ses hanches larges et sa poitrine opulentes restaient galbées comme celles d'une guerrière et ses côtes saillantes souffraient de la sècheresse des privations que les dernières ennéades n'avaient pas encore totalement fait disparaitre. Elle laissa les arbitres du combat à venir lui passer autour des reins un long pagne de toile blanche. Elle mis genou en terre pour réciter une prière au Général de concert avec les prêtres qui lui remirent un long couteau à la larme tordue particulièrement ouvragée.

Des mots sacrés, tirés de l'Eda Vengeur, étaient gravés sur la lame entre autres symboles. Testant le tranchant sur le bord de son poignet, elle constata avec satisfaction qu'elle n'aurait pas pu mieux affuter l'arme. Elle la fit tourner plusieurs fois entre ses doigts, testant son poids, son étrange point d'équilibre. Peu habituée à ce genre d'arme, bien que ce ne soit pas la première fois qu'elle en tienne une, Krish savait que Kel'Zora aurait l'avantage de l'entrainement et de la maîtrise militaire. Restait à savoir si la fureur brute lui ferait perdre la finesse qu'un bon bretteur acquérait au fil des batailles, et si la forgeronne saurait exploiter ses failles. Combattre dans une mêlée, soutenue par des mages et des compagnons n'avait rien à voir avec un duel.

Enfin, on les mena face à face, à vingt pas d'écart. Les prêtres de Meingal reculèrent, obligeant la foule à laisser suffisamment d'espace sur le sol poli et parfaitement égal de l'esplanade. C'était du granite pur, une arène qui ne pardonnerait aucune chute.

- Que Meingal départage ces eldéennes ! Que son sens de la Justice désigne la méritante et fasse ployer la faible ! Combattez !"

La masse musculeuse de la jeune prêtresse s'élança en hurlant, chargeant droit sur la forgeronnes. Plus grande d'une demi-tête que son ennemie d'une taille tout à fait moyenne et d'une stature ne laissant aucun doute quand à son lien de sang avec Velkyn, Kel'Zora porta un premier coup d'une puissance redoutable, atténuée par le changement d'appui de l'autre guerrière. Krish accusa tout de même le choc avec un grondement essoufflé, esquivant au dernier moment le retour de lame. Puis, calquant son rythme sur celui de la jeune femme et ignorant les insanité que déversaient la curieuse langue grisâtre qui lui pendait dans la bouche, elle tenta d'esquiver, encore et encore. Elle n'était pas plus endurante, mais combattait d'une façon fondamentalement différente. Elle regardait. Elle sentait. Elle comprenait. Elle anticipait. Elle ne plaçait une attaque que lorsqu'elle remarquait une fissure dans la fluidité des mouvements, un changement dans le souffle.

Quelques coups, une lèvre éclatée. Quelques estafilades, des tâches rouge sombre sur leur peau noire. Ce petit jeu de harcèlement ne faisait que rendre Kel'Zora plus folle de rage. Elle devenait plus rapide, plus féroce. Invectivant la foule autant que son adversaire, elle attaquait sans cesse, faisant preuve d'une endurance et d'une obstination magnifique à voir. Peu à peu, un rictus venait aux lèvres de Krish. Elle sentait sa respiration vibrée au tempo de leurs pas à toutes deux. Elle regardait moins, vivait l'instant, sentait les mouvements comme un flux naturel qui réchauffait tout son être jusqu'à sa Braise. Le risque de cette lame non loin de sa chair enflammait le monde de couleurs vives.

Soudain, elle plongea sur le côté pour éviter un coup de plus, ignorant la douleur de sa hanche sur laquelle une ligne rouge était déjà creusée, pour se relever dans l'angle mort de son adversaire. Juste derrière son épaule. Un coup de pied à l'arrière du genou de la jeune femme. Krish profita de son déséquilibre pour se retourner et passer son bras autour de sa gorge, vrillant la lame de son couteau entre deux cotes, prête à frapper. Une goute de sang perla... mais elle n'eut pas le temps de prononcer le moindre mot pour l'enjoindre à abandonner.

Kukri:

Cette petite arme, quoi que bien preste, ne lui octroya que peu de chances de touche face à une adversaire aussi agile. Par dix fois au moins, elle crut être en mesure de lui percer le gras, de l’entailler jusqu’à la voir saigner comme la truie bornée qu’elle était. Mais par glaive d’Uriz, elle n’arriva qu’à marbrer sa peau de quelques blessures mineures. Ah, tout de même, ce coup de poing en pleine figure, celui-là même qui lui fit éclater sa vilaine lippe, fut pratiquement orgasmique tant elle s’était complut à la voir souffrir, mais n’avait qu’ébranlé en surface la millénaire sombrelfe. Son adversaire combattait avec une fougue semblable à la sienne, mais sa clairvoyance dépassait de loin la sienne. Elle bougeait pratiquement son bras avant le sien, son jeu de pied était étourdissant et par-dessus tout, elle poussait même l’audace à parer ses attaques de son propre couteau, comme si elle se considéra plus forte encore du bras que la Primas.

Point qu’elle allait s’épuiser de sitôt, mais si le combat s’allongeait encore de trop, il n’était pas improbable que Krish prenne décidemment le dessus. Alors, elle s’élança derechef avec toute la fougue qu’on lui connaissait, venant à deux reprises entailler la cuisse de Krish. Deux estafilades d’une précision remarquable, pratiquement emboîtée l’une sur l’autre de sorte à en aggraver l’état. Elle remonta ensuite au corps, lança un coup d’estoc croyant sa vitesse suffisante pour qu’elle ne voit venir son coup … Mais hélas, encore, la chef des repentis avait vu juste et son pas d’avance fait de travers, lui permit de soumettre à sa botte son adversaire en lui faisant plier le genou douloureusement. L’occasion était trop belle pour la laisser filer : Krish n’attendit pas même que la Primas foule le sol pour la première fois du genou et s’empara de sa gorge d’un biceps, la privant aussitôt d’arrivée d’air et la menaça de son kukri aux côtes. Elle voulait la soumettre, là, devant le publique.

Bon courage pour y arriver …

Comme un animal en cage, elle tenta le tout pour le tout. Rudoyant la cuisse de Krish sans relâche du coude, cherchant à lui agripper la jambe d’une manière ou d’une autre, ou de lui déloger son bras qui l’étranglait … Elle sentit l’air lui manquer, la douleur de la strangulation lui incendier la gorge et son crâne qui se plaignait du manque de sang. Devant ses yeux, elle commençait à se noyer, tant sa vue se flouta. Ses paupières s’alourdissaient et elle pensait bien que la défaite lui pendait au nez. Elle avait devant elle trop peu de temps … Son coude vola, encore et encore contre sa cuisse, comme si elle chercha à lui faire perdre son appuis ou la pousser à l’acte. Et du coin de l’œil, elle vit l’arme inquisitrice enfin se déplacer vers elle pour la poignarder. Prête à l’attaque, c’est tout ce qu’elle attendit d’elle : elle chercha à intercepter son arme en vol d’un coup de son autre coude et profiter de cet instant d’égarrement pour retrouver sa liberté.

Et comme tout bon assaillait profiterait de cet instant de faiblesse, c’est ce que notre fauve fit aussitôt. Au travers une quinte de toux effroyable, elle bondit tout en cherchant l’atteindre d’un crochet à la mâchoire. Cette fois atteinte bien plus sévèrement que le coup à sa lippe, Krish vacilla d’un pas ou deux vers l’arrière avant que la lionne ne lui saute carrément dessus, l’emportant contre le sol de marbre. En montée totale, elle ne comptait plus que sur sa force pour lui faire perdre connaissance, faisant déferler contre la chef des repentis une pléiade de coups de poings. Sa voix étranglée par le manque d’air ne l’empêcha guère de rugir comme l’animal qu’elle était devenue. Cette fois, si Krish ne faisait rien, elle la tuerait très certainement à force de coups contre son crâne.

Et elle n’avait intention d’arrêter que lorsqu’elle pourrait admirer les premiers bouts de sa cervelle.

Pliée en deux d'un coup sur la profonde blessure de sa cuisse, sonnée d'un crochet à la mâchoire, Krish lâcha sa lame. Malgré les blessures qui s'accumulaient sur le corps de la Haute-Prêtresse, elle ne faiblissait pas. Pour une artisane, la forgelâme résistait vaillamment, encaissant les coups qu'elle ne pouvait éviter que pour les rendre de la façon la plus vicieuse possible. Le choc sur le sol de granite lui coupa la respiration. Elle tenta de rouler sur le côté pour se relever, repoussant son assaillante d'un coup de pied en pleine rotule qui produisit un craquement sinistre. Elle ne gagna qu'une seconde de répit. Une goulée d'air avant que la masse de sa belle sœur ne s'abatte sur elle pour la marteler à coups de poings.

Très vite, elle ne vit plus rien, ne sentant qu'une douleur diffuse prête à lui faire perdre connaissance avant de répandre sa cervelle sur le sol. Son crâne vibrait, pulsait, criait. Elle n'arrivait plus à reprendre suffisamment d'air, que ce soir pour rugir ou crier. Mais elle continuait à s'accroche à la conscience. Ses bras libres cherchaient à attraper la gorge de son assaillante. Elle ne trouvait qu'un vague contact de peau qu'elle n'arrivait ni à saisir ni à griffer, alors elle avait finit par tenter de se protéger comme elle pouvait. Ses jambes battaient l'air sans réussir à déstabiliser la jeune femme.

Non.

Non non et non.

Elle ne crèverait pas comme ça.

Elle se sentait perdre pied, la chose en elle guettant sa reddition et approuvant son acharnement. Le dangereux fil de paradoxe sur lequel dansait sa condition n'était pas prêt de céder. Cette force qui n'était pas entièrement la sienne, elle la refusait toujours et par là même, s'en montrait digne. Une tentative. Juste une de plus. Avant que la forme flou du poing qui s'élevait au dessus d'elle ne lui percute sa tempe. Elle rassembla ses forces pour ruer une dernière fois, soulevant ses hanche suffisamment pour que le poing de Kel'Zora s'écrase sur le sol de pierre près de son oreille avec le cortège de craquement qui allait avec. La prêtresse poussa un nouveau beuglement de rage depuis les tréfonds de son état second, insensible à la douleur. Elle se prépara de suite à porter un nouveau coup.

Mais la manœuvre avait surtout permis à Krish de libérer l'une de ses jambes. Si elle réussissait à atteindre sa lame... Elle le pouvait encore...

Un coup de plus et sa mâchoire cédait dans une explosion de douleur aiguë. Le seul œil encore ouvert de l'entêtée ne lâchait pas le regard fou de son bourreau. Elle ne renonçait pas. Son pied venait de toucher un objet métallique. Tandis que le poings qui la menaçait remontait une fois de plus pour prendre de l'élan, elle parvint à inspirer une longue goulée d'air chargé de sang. Sa main fusa en même temps que celle de la Prêtresse pour intercepter son coup et tenter de reprendre le dessus. Un nouveau cri de rage concurrença ceux de la prêtresse. C'était là. Maintenant ou jamais.

Les phalanges de Kel'Zora se logèrent au creux de la paume de la forgeronne... Et s'y arrêtèrent. L'autre main de Krish poursuivit jusqu'à son épaule, forçant des jambes et des bras pour la repousser centimètre par centimètre. Ses muscles lui brulaient. Encore un peu et elle pourrait placer une clef de jambe. Encore un peu...

Des veinules rougeâtres gonflèrent sa peau noire, de plus en plus contrastée, de plus en plus lumineuses. Des fissures se creusèrent, comme dans du charbon craquelé par la chaleur d'un feu trop intense. De la lave qui coulait dans ses veines. Elle ne s'en préoccupait pas, continuant de bander toute sa volonté pour continuer son effort. Plus que quelques centimètres. Elle n'était pas consciente de la lumière bouillonnante qui roulait dans son oeil à demi-clos. Pas plus qu'elle ne sentait la chaleur brulante que dégageait son corps au point de marquer lentement la peau de celle qu'elle combattait.

Enfin, elle parvint à placer sa clef de jambe, immobilisant Kel'Zora qui continuait pourtant à s'attaque à son genou... Et qui ne tarderait pas à le faire céder. Un bref coup de talon dans l'estomac et Krish se libéra pour bondir sur le couteau non loin. Le sien ou celui de Kel'Zora ? Quelle importance. Elle se retourna comme une furie pour réceptionné une nouvelle charge. Cette fois, elle s'enroula autour de son adversaire, usant de sa souplesse et de la puissance brute de l'autre pour la faire rouler au sol. En quelques secondes, le couteau se retrouva sur la gorge de la prêtresse qui ne pouvait plus bouger. Toute fatigue semblait s'être envolée du corps de la forgeronne dont les muscle ne semblaient plus vouloir bouger.

- Renonce ! gronda une voix rauque si profonde qu'elle n'était plus qu'à moitié celle d'une drow.

Un tunnel. Sa vision n’était désormais plus qu’un étroit chemin d’où seule le visage de son adversaire n’avait d’intérêt. Elle en oublia les acclamations de ce publique en liesse, autant ses hurlements que ceux de celle qui luttait contre la mort et elle en oublia même ses jointures qui s’ouvraient sous la pression de ses coups. C’est à se demander de quoi étaient faites ses cordes vocales pour qu’elles sachent tenir le coup suite à autant de bestiaux beuglements. Elle sembla être encore en possession de sa toute sa tête, lorsqu’elle s’était ruée sur elle … Pouvait-on cependant en dire autant lorsqu’elle abbatit son vingtième coup en direction de la millénaire ? L’écume lui était monté aux lèvres et son jugement était désormais bel et bien bâillonné par la rage et la hargne. La douleur, qu’était-ce seulement que ce sentiment une fois entré dans cet état second ? Chaque coup qu’elle reçut en retour des siens lui apparaissait comme les caresses d’un poupon –bien que les plaies ouvertes à quelques occasions sous l’impact en témoignèrent l’inverse-, et elle continua à se ruer sur elle, toujours dans l’espoir d’étendre sur le sol le contenu de son crâne. Sourd et lointain, un souffle caverneux, tout au plus ; le cri de Krish supplanta le sien si tant bien qu’elle sut en distinguer la férocité, même sous l’effet de l’hypnose furibond dans lequel elle était plongée. Son poing fût intercepté et plutôt que de répondre de n’importe laquelle des manières ; elle se contenta de lutter, de lui prouver comme elle lui était supérieure autant en technique qu’en force.

Elle cessa de respirer, forçant à point tel qu’elle en avait les yeux qui cherchaient à sortir de leur orbite. Sa langue grisâtre –nouvellement reconstituée par les prêtres- chercha pratiquement à trouver refuge dans le fond de sa gorge tant la pression de sa mâchoire menaçait d’en faire éclater les chicots qui s’y trouvaient. Et elle sentit, contre son poing, une chaleur qui lui était inconnue. Et enfin, quelque chose la ramena à la réalité : l’œil unique de Krish, boursoufflé et luttant pour resté vaillamment ouvert, brillant d’une étincelle qu’aucun Drow en ce monde pouvait se targuer de posséder … Était-ce l’œuvre de la magie, ou simplement qu’elle commençait à divaguer ? Après tout, elle commençait même à s’imaginer que Krish se fendait comme les parois d’un volcan près à cracher ses entrailles.

La furie d’Uriz secoua la tête, comme pour s’enlever cette sorcellerie du crâne, puis commença à s’acharner de l’autre bras sur le genou déjà entamé de Krish. Coup sur coup, elle se demandait de quoi était fait ses os pour qu’il n’ait céder encore sous les assauts … Puis … Elle perdit sa proie d’une clé de jambe maître en réceptionnant son talon droit dans l’intestin. Son souffle se coupa net, crachant aussitôt un glaviot sanguin sur le sol empoissé de sueur, le tout en preuve de la brutalité de l’impact. Avait-elle seulement reçu un coup aussi puissant depuis le début du combat ? Voyant que Krish s’était ruée contre le poignard recourbé, Kel’Zora se propulsa d’une dernière poussée d’adrénaline et manqua sa cible de peu du poing, se retrouvant immobilisé dans un tour de bras par son adversaire. Et si l’arme aurait eu la qualité de pouvoir la paralysé, ce ne fût guère elle qui lui glaça le sang, mais cette voix double qui lui hurla « renonce. »

Au publique, une voix ténor et aggravée par l’effort physique … Pour Kel’Zora, une voix qui lui fit pratiquement exploser les tympans, tant elle avait résonné fortement entre ses deux esgourdes. Une voix caverneuse, impétueuse et … maléfique. Ça n’avait plus rien de magique … Mais de Divin … Et c’était obligé, parce qu’après avoir été sommée à abandonner, la Primas ne montra plus guère de signe de rage tel qu’on lui connaissait l’habitude. Non, elle s’était même empressée à acquiescer à la demande de Krish, s’immobilisant comme une catin de chair et de sang, aux ordres de son créateur.

Sort injuste qu’était celui de perdre à deux contre un, mais de croiser le fer contre Lui, elle lui sembla savoureuse la défaite …

Sous le regard du Haut-Prêtre de Zhak'Bar, elles s'élancèrent. Sous le regard des Dieux Sombres elles s'affrontèrent. Sous le regard du Destructeur, elles mirent leur vie dans la balance. Urgoll'Ven sentait son sang rugir dans ses veines, son souffle se faire plus profond, dans l'attente de la moindre occasion... LEUR combat. Déchainées, leurs coups délivraient son doux message de domination, exigeant l'abandon de l'autre, proclamant son juste droit. Enfin, les imbéciles s'étaient tus, enfin les noirelfes étaient unifiés dans cette seule attente, lancinante : qui leur Père jugerait-il digne de son nom ? Après tant de déconfiture, après la destruction de son Temple-même, sur quelles épaules mettrait-il la lourde tâche de redonner sa gloire à ses servants ? Plusieurs fois, la conclusion sembla se hâter, plusieurs fois la rage des combattantes la remit en question. Le Peuple sombre scrutait, observait, guettant la moindre faiblesse, par les yeux de la foule et des prêtres...

Plongé dans cette attente insoutenable, Urgoll'Ven sentit soudainement une odeur des plus étranges. Indéfinissable, reconnaissable et pourtant inconnue... Par delà les centaines de souffles assemblés, par delà les gerbes de sang qui enrichissait l'air de leur substance, cette flagrance s'affirmait. Reniflant avec circonspection, le noirelfe ressentit le besoin de la chercher, regardant de ci- de là... Il se rendit à l'évidence : elle provenait de l'estrade. Et alors, son regard sanguin accrocha un détail, celui des veines rougeoyantes qui naissaient sur le faciès blessé de la fondatrice des Repentis. Un sentiment de malaise naquit dans son ventre, s'étendant avec sa perplexité... Jusqu'à ce qu'il l'entende. l'entendre.

La voix.

Un indescriptible frisson lui remonta le long du corps, faisant se hérisser chaque follicule pileux de son être et grincer ses dents sous le coup d'une peur millénaire. Ô Prime Dragon, que signifie...!? Comme s'étant figé, son esprit s'emballa soudainement, comme une bête retenue dans la tourmente dont on a lâché la bride. La peau, la voix, cette pression dans ses tripes... Jusqu'à sa perception de la magie s'emballait, alors qu'aucune des deux femmes sur l'estrade n'étaient renommées pour des performances magiques. Deux de ses Enfants s'affrontèrent en son nom et dans l'ardeur de leur affrontement, Sa voix se fit entendre. Le visage du drow, qui avait perdu son masque de jubilation pour afficher une mine stupéfaite, vit s'allumer dans les profondeurs de ses mires une lueur folle. Était-ce seulement possible ?

A la vue de la Furie d'Uriz qui perdait soudainement toute combativité, Urgoll'Ven explosa d'un rire franc et retentissant, ouvrant ses bras vers la Choisie du Destructeur.

"UL'NUSST LUETH L'AMITH DALHAR, DOSST ILHARN ZHAH WUND DOS !"
Pleurez et réjouissez-vous, enfants, car votre Père est parmi-vous !

Alors que ses plus proches voisins sa plaquaient les mains sur les oreilles, le Haut-Prêtre de Zhak'Bar enchaîna, bondissant et se contorsionnant, attirant la magie avec euphorie. Dans une dernière contraction de son corps entier, le noirelfe fit naître une large langue de feu vers le plafond de la grotte. Cette vague de flammes prit une forme reconnaissable entre mille, celle d'un dragon dont les ailes étendues éclairèrent l'estrade alors que sa tête rugissait au dessus des combattantes.

Le dragon cracha ses flammes sous la voute haute des profondeurs du Puy, mais Krish ne se redressa pas. Le couteau dessina une ligne rouge sur la gorge de la prêtresse à force de trembler d'excitation contre le derme noir. Elle voulait prendre cette vie, cette faible vie qui avait cessé de se débattre. Elle en avait envie. Pire, elle en avait besoin.

Consciente de cette force irrépressible qui montait en elle, la forgeronne se mordit la langue, luttant pour garder un minimum de lucidité. Sa voix était encore double et audible de tous lorsqu'elle murmura d'une langue pâteuse :

- Plus jamais tu ne prendras la vie de fidèles méritant. Plus jamais tu n'attaqueras tes propres hommes dans le dos. Tu rendras grâce aux dieux et tu les serviras plus que tu ne sers tes propres intérêts. Jure le si tu veux vivre.

Mais Uriz ne pardonnait pas. Une soif inextinguible craquelait la gorge de son vaisseau de l'intérieur. Une écume rouge lui vint aux lèvres dans un hoquet douloureux. Le couteau se planta en un mouvement sec dans la paume de la prêtresse, traversant sans mal la chair, l'os et la pierre qui se trouvait dessous. Sa voix se fit plus profonde encore, couvrant la douleur et la surprise. Le timbre de Krish avait presque entièrement disparu.

- Tu as échoué. Tu as affaiblis ton propre peuple. Mes fidèles. Tu paieras. Sacrifie ton frère à Ma gloire.

Qu'elle refuse l'une ou l'autre des conditions et elle mourrait d'un coup de lame. Qu'elle accepte et son titre serait maintenu, mais sa main gauche ne guérirait jamais totalement. Puis ce serait fini. Il fallait que ça soit fini...

Tétanisée, c’était là le mot juste pour qualifier l’état de la Haute-Prêtresse en déroute. Immobilisée comme une chatte qu’on aurait saisie au cou d’une patte autoritaire, la cadette Xaran ne dégagea plus rien d’intimidant et plus une once de férocité ne l’animait. Elle n’était aux mains de Krish plus qu’une poupée de chair qu’on manipulait ou torturait à convenance. Et bien qu’elle fût autant paralysée par l’effroi que par la titanesque force qui la tint au collet, elle trouva courage à tordre le cou pour tenter d’apercevoir le visage qui de celle qui la tenait en laisse.

Lorsqu’elle l’aperçut enfin, jamais pareil visage d’épouvante ne s’était imprimé sur la bouille de Kel’Zora. Elle n’avait plus rien d’une consœur Drow : ses joues et son front étaient marbrés de fissures rougeâtre, une paire de bille d’encre lui servait d’yeux et que dire de sa voix ? Une tonalité qui intime l’obéissance. Un ton à vous conchier les braies! Et tandis que certains jubileraient à voir leur créateur en face, elle, qui était maintenue par son juge et bourreau, n’entendait plus qu’à chialer tant elle se montrait impuissante face à lui. Elle allait jurer, vraiment, mais elle n’en eut guère l’occasion.

Elle ne vit pas le coup venir qu’elle sentit une douleur plus cuisante que toutes les autres ; comme si le poignard qui transperça sa main était chauffé à vif sous l’impact. Krish aurait pu lui redonner liberté, qu’elle n’aurait pas plus bougée d’un poil, compte tenu de la profondeur que la lame s’était fichée dans la pierre. Son hurlement, sa douleur et sa souffrance passèrent inaperçu sous le vrombissement de la voix du vaisseau d’Uriz. Elle suait à grosses gouttes, tant elle paniquait : martyrisée, réduite à néant par cette défaite des plus amères et maintenant, prise entre le marteau et l’enclume sous le choix qu’elle se devait de prendre. Les mires de la pauvresse étaient maintenues closes ; incapable d’affronter la réalité qui était désormais sienne. Pas plus qu’elle ne désirait voir la mort en face, elle n’avait plus force de soutenir le regard de son frère, qui très certainement devait tenir belle place face à ce combat. Or, c’en était trop.

« TUES-MOI!!! » La supplia-t-elle en hurlant si férocement, qu’il fut improbable que le publique n’en entende pas la détresse. Un seul coup, unique, et la sauvage combattante en avait été anéantie. Dotée d’une once de lucidité, possible que la berserk aurait choisi la vie plutôt que la mort. Du peuple, ces gens réalisaient-ils seulement leur chance, de voir l’un des leurs subir le jugement de leur père et créateur ?

Il était temps, sous les yeux ébahis des fidèles, que sentence tombe.

Uriz ne laissait pas deux fois une même chance aux faibles. Krish ne pardonnait pas. D'un mouvement rapide, le kukri ouvrit la gorge de la prêtresse d'une oreille à l'autre. Dans le même temps, a main libre de Krish transperça l'abdomen de la prêtresse, passa sous ses côtes et en arracha son cœur. La chose rouge et tendue battait encore à grands coups précipités, rougeoyant de l'intérieur jusqu'à tomber en morceau de charbon sur la poitrine d'où il sortait. Agar, les mains vides, Krish se remis debout. Sa peau était tâchée de son sang mêlé à celui de son adversaire. D'un pas incertain, elle se tourna vers les prêtres de Meingal, son visage tuméfié souriant comme un prédateur en devinant les symboles de foi qu'ils portaient sur leurs bures.

Sous le dragon flamboyant, un rire sauvage s'échappa de la gorge de la forgeronne.

Elle leva le poing en guise de victoire, respirant à grand coups tandis que la joie carnassière quittait les traits boursoufflés de son visage. Les énormes cicatrices sur son bras gauche, celles qui avaient craquée les premières comme la pierre s'écarte sur une coulée de lave, se ternirent à nouveau, retrouvant un noir fumant. Puis, chacune de ses cicatrices retrouva son état normal, ses blessures recommencèrent à saigner. Elle se plia violemment en deux, prise d'une quinte de toux. Une flaque de sang mêlée de salive et de bile s'étala à ses pieds mais elle resta debout.

Elle avait mal. Des pieds à la tête. Ses oreilles sifflaient. Mais c'était son corps. Krish posa un regard trouble sur le corps de Kel'Zora. Morte. Non... Ce n'était pas comme ça que c'était sensé se passer. Elle avait gagné, mais seul un goût amer lui roulait dans la gorge.

Elle n'avait rien gagné. Elle n'avait pas choisit. Elle avait été moins qu'une drow. Un outil. Un outil divin, empli, salué, adulé, élu entre tous. Mais un outil. Le revers de la médaille l'avait frappé en même temps que ce rire qui faisait vibrer sa propre gorge déjà ravagée.

A présent, le monde lui paraissait lointain, déformé par se oreilles ensanglantés, sa mâchoire brisée, son coquard. Quelqu'un posa une sorte de cape sur son dos. On l'invita d'une pression à avancer dans une certaine direction.

Elle fit un pas.

Sa jambe martelée à la cuisse et au genou céda.

Avant de toucher terre, elle avait perdu connaissance.

Suite:

De nouveau, Sa voix se fit entendre, de nouveau, un sombre frisson s'empara du corps du géant noirelfe, qui l'accepta avec un délice et soumission. Quand l'enfant implora, le coeur du Haut-Prêtre de Zhak'Bar frappa avec violence. Celui de l'Indigne lui fut arrachée. Le servant du Prime Dragon rugit avec satisfaction. N'y tenant plus, il se mit en mouvement.

La densité de la foule cacha son approche alors que les prêtres de Meingal se rapprochaient de la Choisie, rendu confus et hésitants par la tournure qu'avait prise l'Ordalie. Urgoll'Ven, lui, ne douta pas, il fendit la masse d'indécis à grand pas, bondissant presque sur l'Esplanade des Neufs. A nouveau, son visage avait pris des allures de masque dément, amenant les témoins à sortir leurs lames, ne sachant ce qu'annonçait pareille approche.

"Le Vaisseau de notre Père doit être confié aux mains des servants de Kiran. gronda une voix grave et profonde. MAINTENANT."

Les épées se firent moins menaçantes et le Haut-Prêtre n'en demanda pas plus. S'abaissant, il glissa ses bras sous le corps malmené avec une soudaine révérence et le souleva de même, un certain trouble nuançant ses traits. Mais quand il releva les yeux, la fureur y brûlait de nouveau.

"L'on ne saurait perdre Sa Servante car Ses enfants hésitent. souffla-t-il avant d'ajouter avec un rictus. Sa Haute-Prêtresse."

Sans prêter davantage attention aux prêtres, Repentis et aux deux silhouettes encapuchonnées qui avaient suivi Krish Al'Serat, le noirelfe fit volte-face et repartit à pas de géant, le corps pulsant d'une énergie impatiente qu'il bridait néanmoins, juste ce qu'il fallait pour éviter d'aggraver l'état de la Haute-Prêtresse. Notre Père a choisi un nouvel enfant... Ô Prime Dragon ! Une impulsion impérieuse le guidait, le poussant de nouveau à travers les drows assemblés qui, cette fois, décidèrent de s'écarter. Redoutaient-ils de L'entendre à nouveau ? Redoutaient-ils de connaître le même jugement qu'avait connu l'Indigne sur l'Esplanade ? Urgoll'Ven n'en avait cure... Jusqu'à ce qu'il entende son titre, prononcé par un cavalier dans les rues du Labyrinthe.

"Haut-Prêtre ! appela avec soulagement un jeune novice en guidant sa monture vers lui. Je vous cherchais ! Votre présence est requise pour..."
- Tebtar ! Tu tombes à point nommé ! répondit Urgoll'Ven avec un sourire de franc plaisir.
- C'est vrai ?! hoqueta le jeune drow en arrivant à sa hauteur.
- Bien sûr ! Met pied à terre !
- Euh... Tout de suite ?"

Quelque peu stupéfait, le novice ne s'en exécuta pas moins mais s'emmêla les pieds dans ses étriers. Réalisant qu'il prenait trop de temps, le Gobelin déposa donc son précieux chargement, saisit le jeune par la tunique et le jeta au sol sans retenue. Sa rencontre imprévue avec le sol sonna quelque peu l'intéressé, qui n'eut pas le temps de questionner son supérieur que celui-ci s'éloignait déjà, tenant les rênes de sa monture d'une main de fer tout en retenant la Haute-Prêtresse d'Uriz d'une main de soie. A vitesse redoublée, Urgoll'Ven l'emmena au temple le plus proche des Jumelles.

Les prières s'enchainaient les unes après les autres, son coeur criant pour ses lèvres qui bougeaient à peine dans un silence total. La tête toujours à moitié baissée, Driz'na regardait la scène tout en tenant son fameux dé qu'elle gardait pour les prières. Chaque attaque était un battement au creux de sa poitrine. Chaque coup porté à sa mère était un souffle qui s'étouffait dans ses poumons. Elle avait confiance en le Père... et pourtant, la crainte de perdre sa mère, son foyer si peu de temps après avoir perdu son père la hantait. Son esprit voulait douter mais son coeur lui rappelait ses rêves et la volonté d'Uriz de la réunir avec sa mère. Alors Dren'Zess, Krish ou encore Shaar, quel que soit son nom, ne pouvait qu'être celle qui serait choisie. De cela, l'enfant encore naïve en était persuadée... sans savoir que celle qui l'avait mise au monde avait déjà été choisie par le Créateur, et ce depuis longtemps.

Enfin arriva, après moult coups de poings et tentatives de suffocations, l'heure du jugement. La petite elfe noire releva un peu la tête, ses prières s'arrêtant au profit d'une bouche bée. Pouvait-elle seulement croire ce que ses yeux voyaient ? Pouvait-elle pleinement comprendre la scène qui se déroulait sous ses yeux, qu'une avatar d'Uriz se révélait à tous ceux venus assister à l'ordalie ? La voix caverneuse, la fin du duel... Driz'na resta plantée sur place, incapable de détacher son regard des deux combattantes. Incapable de réfléchir, comme prise dans une torpeur. Il fallut que quelqu'un ne la bouscule par erreur alors qu'un géant s'approchait joyeusement de Krish pour qu'elle ne se réveille et qu'elle pose ses yeux violacés sur son demi-frère. Elghinn semblait ronger son frein de toutes ses forces pour ne pas aller s'en prendre à quiconque toucherait sa mère, répondant à la demande que la concernée lui avait faite. Quand le géant se baissa pour prendre l'élue dans ses bras la gamine voulut courir vers sa mère mais quelque chose la retint, un mélange de sentiment et de souvenirs.

Sang et silence. Si le chemin de sa vie se traçait dans le sang, ce devait être en silence. Si son chemin ne s'éloignait jamais du Grand Guerrier, c'était visiblement sous la tutelle du Maître des Secrets qu'elle devait être. Aussi ne bougea-t-elle pas, baissant à nouveau la tête pour que les drows stupéfaits de la foule ne la reconnaissent pas. Ses lèvres se fermèrent et elle retint les mots du géant : Dren'Zess devait être confiée aux servants de Kiran donc la retrouveraient-elle certainement au temple des Jumelles. L'enfant se laissa faire par les Repentis qui reprirent leurs esprits et fit signe à Elghinn : ils devaient y aller. Retrouver leur mère.




Le prêtre les fit entrer dans une chambre d'une relativement belle taille mais spartiate. Pour une Elue du Père, ils avaient fait l'effort de la placer à part et de prendre grand soin d'elle. La gamine, le capuchon toujours rabattu sur sa tête, entra dans le plus grand silence. Elghinn, lui, ne se fit pas prier pour se poster à son chevet avec T'Challa. Il avait la chance d'avoir le même type de lien qu'elle avait pu avoir avec son père... Driz'na resta donc en arrière, ne se sentant pas encore à l'aise pour se rajouter à ce lien si rare et si précieux. Elle se décala pour ne pas rester devant l'entrée et détailla tout ce qui se trouvait dans la pièce, comme si chaque élément avait son importance. Lorsque ses yeux violacés tombèrent sur le très grand sombre qui s'était empressé d'amener là Krish avec joie, Lotha Suru releva la tête pour mieux voir son visage et resta ainsi, à le détailler sans trop forcément y penser. Il était vraiment trop grand cet adulte... et étrangement heureux aussi. Bizarre.

Urgoll'Ven veillait, observant les servants des Dames des Marécages, leurs gestes, leurs murmures, les soins qu'ils prodiguaient à la drow inconsciente.. Aussi inconfortable lui fut-il que d'aller "rendre visite" aux Jumelles, ses obligations l'y avaient trop souvent mené pour qu'il hésite encore. Sa venue avait attiré bien des regards, dont certains s'étaient levés d'agacement en le reconnaissant, avant de venir à sa rencontre alors que le cavalier mettait pied à terre, sa précieuse passagère dans les bras.

"Haut-Prêtre... avait prononcé une voix familière, par delà un tissus noir et bleu. Que nous vaut le... Plaisir ? Pas de griffures, ni de bout en moins aujourd'hui ? Ah, cela ressemble à une mâchoire cassée..." avait-il ajouté en s'approchant.
- Ilmryn Mlezziir ! l'avait reconnu l'intéressé avec un grand sourire, avant de poursuivre dans un grondement sévère et pourtant joyeux. Prépare une salle de soins céans, la Haute-Prêtresse et Avatar du Destructeur en a le besoin.
- L'Avatar de... avait-il été hoqueté. L'ordalie...?"

Un hochement de tête et un regard appuyé avait décidé le prêtre de Kiran. Dans un tourbillon de tissu sombre, il avait fait volt-face, précédant et guidant le duo tout en appelant des confrères, quand il n'envoyait pas des novices les quérir, jusqu'à atteindre la salle dans laquelle ils avaient oeuvré, dévétissant la combattante, examinant ses plaies, murmurant et scandant leurs sorts de Vie. Comme apaisé par la sensation de la magie attirée dans le but de soulager les maux de la drow, le Haut-Prêtre de Zhak'Bar s'était soudain fait discret, ayant pris place là où il pouvait observer les servants de Kiran comme tout nouveaux venus, une expression d'attente et de joie fiévreuse sur le visage.

Quand ceux qu'il cru reconnaître comme les suivants de la Repentis pénétrèrent les lieux, il ne dit mot, surveillant toujours, les regards comme les gestes, humant l'odeur de tissu et de métal. Il eut conscience que des yeux l'observaient, ce à quoi il répondit par un regard direct et amusé. La petite chose était trop loin de lui pour qu'il en hume le fumet, restant comme timidement en retrait de la scène qui se jouait, les autres drows s'étant rapprochés du chevet de la blessée alors que deux prêtres de Kiran, dont le grand, mince et fébrile Ilmryn, oeuvraient encore. Gardant l'étrangeté dans sa vision périphérique, le Grand Gobelin ramena son regard sanguin vers la source de son impatience. Lentement, la poitrine dénudée se soulevait et s'abaissait. Lentement, le Vaisseau d'Uriz respirait encore.

PNJ:

Assise. J'ouvre les yeux et je suis bien assise sur un fauteuil à l'assise dure et inégale. Les scènes qui se déroulent devant moi, je les connais. Des cris, des coups, du sang et de la crasse. L'odeur des combats m'emplit les narines et à chaque parade, à chaque blessure, je me sens un peu plus vivante. Je souris presque malgré moi, admirant le jeu de massacre qui se déroule autour de moi, n'attendant qu'une occasion pour me joindre aux combattants. Je trépigne à l'idée de ressentir à nouveau le danger et la peur magnifier chaque battement de mon cœur. Voilà l'adversité dont j'ai si cruellement manqué. Voilà ce que je cherchais. Une raison de me battre et de trembler. Une raison de ne pas me reposer sur ce que je maîtrise déjà depuis bien trop longtemps.

C'est le moment. Je le sens dans mes tripes. Je me lève, prête à frapper... Et tous s'écroulent. Morts. En une fraction de seconde, il ne reste plus qu'un champ de bataille brûlé par un soleil dont la chaleur seule m'atteint. Ses rayons flattent ma peau nue mais ne parviennent pas à me réchauffer. Je me sens... vide.

" Revancharde, indomptable et avide avec ça. "

Je sursaute et fait volte face. Une lumière insoutenable me vrille les yeux. Je retiens un grondement de douleur et tente de me protéger avec mes mains. Je ne distingue qu'une vague silhouette. Regarder est douloureux, j'ai l'impression que mes yeux risquent de fondre, mais au fur et à mesure que les secondes s'égrainent, je m’aperçoit que la lumière provint de la silhouette au lieu de la nimber. Peu à peu, la scène se fait plus clair. Cette silhouette masculine est installée sur le siège ont je viens de me lever. Pas un siège. Un trône dont chaque détail était réalisé dans des ossements humanoïdes. Cette silhouette, je la connais.

- Mais je ne veux pas ressentir ce vide ! Mes Victoires sont les vôtres. Je vous les offre avec joie. Mais ça... Je n'ai pas gagné.
" Non. J'ai gagné. Mes Victoires sont les tiennes et tu devras t'en contenter. " Grave ne suffit pas à qualifier cette voix. Elle résone au fond de mois comme un tambour. L'homme se lève et s'approche. Même en fermant les paupière, je le distingue douloureusement. Je frissonne de tout mes membres en sentant sa main se serrer sur mon cou pour m'empêcher de respirer. " J'ai assez attendu. Accepte-moi." Avec la puissance vient l'ennui. Avec l'ennui vient le vide. Cette horrible sensation de ne rien avoir accomplit. La lumière brûlante se fit plus insistante, enserrant tout son corps, désagrégeant sa peau pour la poignarder de part en part. " Garde ton ego pour les autres. Offre-le moi. " Résister était futile. Chaque monde, chaque pensée, chaque geste, chaque souvenir, il peut tout réduire en cendre. Le plus grand des alliés. La puissance à l'état le plus pur. Après un dernier sursaut de ma volonté, cela devient une évidence. Je peux choisir. Je peux aider. Mais cette puissance guide mon bras. A quoi bon lutter ? A quoi bon tenter de rester moi alors que je peux être tellement plus. Non pour moi, mais pour Lui. La brûlure se change peu à peu en chaleur.
" Les combats à notre hauteur seront rares, mais ils viendront. " gronde encore la voix. " Elle viendra. " Une cicatrice en forme de 'N' flotta un instant dans la lumière, puis s'effaça sous l'éclat trop important.

...


Krish se redressa soudain sous sa couche, prenant une grande inspiration. Tout son corps irradiait comme si elle était passé à travers un feu suffisamment chaud pour fondre l'acier. Un tourbillons de mouches insupportables vint se presser autour d'elle lui posant des questions qu'elle ne saisissait pas. Elle repoussa si violemment le premier qui tenta de la toucher que le pauvre prêtre de Kiran se retrouva au sol un bon mètre plus loin.

- Vos gueules ! " rugit-elle en se prenant la tête à deux mains. " Taisez-vous... " Puis le sens global des questions qu'on s'était empressé de lui poser jusque là arriva à son esprit. " Je vais bien. "

Elle prit une longue inspiration et se redressa plus sereine. C'était un rêve... Non. Bien plus qu'un rêve. Mais tout irait bien. Un sourire carnassier se fraya un chemin jusqu'à son visage. Puis elle posa les yeux sur les repentis qui l'avaient suivit. Ils portaient tous leurs masques mais elle sentait leur tension. Elle les rassura de quelques bons mots, puis avisa Elghinn. Le garçon lui sauta dans les bras sans plus attendre et les repentis sortirent pour leur laisser un peu d'intimité. Quelques uns jetèrent des regards peu amène au Gobelin depuis l'ombre de leurs visages d'argent, mais aucun ne lui demanda de quitter la pièce.

Krish enlaça son fils un moment, laissant les prêtres de Kiran œuvrer à leur convenance. Elle le remerciant et le complimentant pour le contrôle dont il avait fait preuve, puis elle l'envoya assister à l'Ordalie qui opposerait d'ici peu les prêtre de Teiweon, T'Chala sur ses talons. Une tâche primordiale pour la suite de leurs alliances. Puis elle passa la tunique propre qui reposait près de la table de nuit et, se cala en position assise contre la tête de lit.

- Pourquoi tu n'approches pas, Driz'na ? " lança-t-elle sans lui offrir un regard. " D'ailleurs, c'est toi qui m'a ramassé ou c'est le grand gaillard à côté de toi ? "

Sa mère se réveilla. Prouvant à tous les regards qu'elle était suffisamment en forme pour mettre une personne à terre malgré les séquelles physiques de l'ordalie, elle cria avant d'assurer qu'elle allait bien. A cet instant, Driz'na était plutôt contente d'être restée en arrière pour ne pas faire partie des personnes sur qui elle venait de crier. Puis Elghinn profita d'une acalmie pour câliner l'avatar, recevant une affection qui rendait la petite fille mélancolique. Puis les adultes comme le jeune enfant furent envoyés assister à la seconde ordalie, offrant par là même un repos bien mérité à la blessée. La petite s'apprêta à les suivre lorsque la voix de Dren'Zess s'éleva à nouveau, pourtant sans un seul regard pour la concernée.

"Pourquoi tu n'approches pas, Driz'na ? D'ailleurs, c'est toi qui m'a ramassée ou c'est le grand gaillard à côté de toi ?"

Lotha Suru jeta un oeil au dernier repenti qui sortait de la salle, repenti qui ne se retourna aucunement pour lui enjoindre de rester ou au contraire de rester avec sa mère. Elle s'approcha donc de la blessée et s'assit à côté d'elle, intérieurement plus qu'heureuse de pouvoir rester - en plus sans que son demi-frère soit présent.

"Il y avait déjà beaucoup de monde auprès de vous... Elle posa à nouveau ses yeux sur le géant. C'est lui qui vous a amenée ici."

Elle avait envie de poser plein de questions mais pourtant se retenait malgré ses lèvres qui la brûlaient. Pas devant un étranger.

- Alors il semblerait que je doive te remercier, Urgoll'Ven. Tu comptes rester planter là ou venir me renifler comme la dernière fois ? " ricana Krish en posant son regard sur sa fille. Ses yeux étaient très différents des siens, tout comme ses manières, mais elle sentait dans ses traits une similarité qu'elle ne pouvait ignorer. Au moins, la fillette n'avait pas hérité du nez proéminent de sa mère.

Elle caressa sa joue d'une main tendre mais son regard était quelque peu... différent. Ils semblaient plus clair que d'ordinaire, comme si une pointe d'or s'était mêlée au sang de ses iris. Et surtout, ils ne brulaient plus de fureur ou d'anticipation. Ils observaient la jeune fille avec attention mais ne semblaient pas tout à fait s'arrêter sur son visage. Comme si elle pouvait voir plus profond. Bien plus profond.

Elle sourit, à la fois attendrit et satisfaite, et posa un baiser sur le front de l'enfant.

- Tu as l'air troublé. " ajouta-t-elle à voix basse. " Parle. "

Alors que les prêtres de Kiran laissaient leur patiente à son repos, contre toute attente, le Haut-Prêtre de Zhak'Bar se surprit d'être perplexe face à ce qui se jouait. Le Vaisseau du Destructeur était revenu de l'inconscience et... Enlaçait ses rejetons, après avoir congédié ses suivants. Cette dernière action avait un sens politique, là ou l'autre n'en avait... Pas. Pourquoi de tels atermoiements ? Son rang conquit, n'avait-elle pas mieux à faire ? Ce fut la question de l'intéressée qui tira le géant noirelfe de ses réflexions, qui en ressortit avec un air amusé sur le visage.

"A quoi bon, Haut-Prêtresse ? J'ai eu plus de temps qu'il ne m'en faut pour sentir ton odeur en t'amenant ici. Ha ! Que l'on t'ensevelisse sous mille corps que je reconnaitrais ton fumet parmi les charognes ! Son léger rire s'acheva, révélant une figure anormalement grave. Ses yeux sanguins détaillèrent la peau de la nouvelle religieuse. Quel enfant ne serait pas troublée face à une manifestation de Notre Père ? susurra-t-il, n'ayant eu guère de difficulté à ouïr les propos de la noirelfe, grâce à son oreille fine. L'ordalie a révélé ton dévouement bien davantage que ta lutte devant les portes de la Chambre Magmatique. Le peuple sombre gronde, cela tu le sais, et voilà que tu reparais, revendique ce que ton allégeance-même ne pouvait qu'exiger, flamboie avec Sa présence... Et puis ? Qu'exige le Père des Batailles ? Qu'attend-t-il de ses enfants ?"

Ces mots étaient prononcés avec une retenue surprenante de la part du Gobelin qui, d'ordinaire, prenait tout avec bonhomie et sans pudeur. Là, voilà qu'il patientait, étudiait, observait, appréhendant... Quoi ? Mais dans son faciès se lisait une tension indescriptible, qui semblait pouvoir rompre dans une explosion comme un simple claquement de porte. De son rictus, nul n'aurait su dire s'il s'apprêtait à rire ou planter ses crocs dans quelque chose.

Elle était magnifique. Ses yeux l'étaient encore plus que quelques heures auparavant, comme si des feuilles d'or s'étaient déposées au fond de ses iris de lave. Sa main était chaude et agréable... mais Driz'na ne pouvait s'empêcher de revenir à ces yeux qui lui paraissaient désormais différents. Etait-ce le Père qui avait provoqué tel changement chez elle ? Ou bien ne l'avait-elle pas remarqué plus tôt ? Cela l'étonnerait, elle remarquait toujours ce genre de détail... Il y avait quelque chose, en plus de la couleur, qui n'était pas pareil. Mais elle n'arrivait pas à bien définir quoi, sans trop comprendre.

"Tu as l'air troublée. Parle."

Les yeux de la petite fille encapuchonnée restèrent accrochés à ceux de Krish alors que les mots restaient coincés dans son esprit. Ce qui la troublait ? Elle n'en savait rien. Tout et rien à la fois. Ou plutôt, elle sentait qu'une multitude de questions désiraient s'échapper de sa bouche sans savoir laquelle commencerait ni pourquoi. L'ordalie ; la lave dans sa chair ; le fait que les adultes parlaient d'avatar et de haute-prêtresse ; le désir brûlant d'être auprès d'elle comme elle avait pu l'être auprès de son père ; son rêve de la nuit dernière, qui s'était gravé dans sa mémoire malgré son mal de tête ; son mal de tête, d'ailleurs ; et pourquoi elle s'était réveillée dans une pièce qu'elle ne connaissait pas en ne se rappelant plus trop ce qui s'était déroulé la veille au soir... Elle entrouvrit à peine les lèvres que le dénommé Urgoll'Ven prit la parole avec emphase. L'enfant baissa soudainement les yeux tout en écoutant l'adulte parler. Ce n'est qu'après, avec une petite voix, qu'elle enchérit les propos du renifleur d'odeurs.

"C'était impressionnant... Est-ce vrai ce que les adultes disent, que vous êtes une avatar d'Uriz ?"

Ses yeux se posèrent à nouveau sur ceux magnifiques de sa mère, attentive à toute réaction qui servirait de réponse.

Elle émit un léger rire de gorge en entendant la description fantasque du Haut-Prêtre de Zhak’Bar sur la pile de cadavre sensée la recouvrir.

- Quel romantisme échevelé. »

Et les premières questions furent poser. Celles qui brûlaient sans aucun doute les lèvres de bien des eldéens à la même heure. Sa main passait doucement dans les cheveux de sa fillette. La chair de sa chair. Un sentiment d’appartenance qui aurait pu la surprendre mais qui lui paraissait à présent totalement naturel. Elle soutint le regard de l’enfant, le capturant dans le sien jusqu’à ce qu’elle la libère pour se tourner du côté d’Urgoll après avoir tout simplement murmurer « Oui. Je suis Son Feu. »

Elle aurait pu ajouter qu’elle l’était déjà lorsqu’elle avait rencontré la fillette pour la première fois, mais ça aurait été un mensonge.  

Un sourire amusé se peignit sur son visage lorsque ses yeux heurtèrent l’être derrière la peau blanchie et les dents pointue.

- Pourquoi tant d’empressement ? Aurais-tu peur de quelque chose, mon bestial ami ?

Comme animée d'une volonté propre, sa main chaude attirait peu à peu sa fille dans son étreinte.

Comme une ligne électrique qui le parcourt, se répand dans ses nerfs, crispe ses lippes. Son Feu... En cet instant il mémorise la vision : le femelle sans lame, étreignant son rejeton, un éclat doré troublant le rouge de ses yeux. Presque quelconque. Presque étrange. Presque sans attrait. C'est sans compter la vision qui ne l'a pas quitté : celle des veines rougeoyantes, du feu qui la transperce et irradie, tonnant et impérieux. Son Feu... Son faciès s'est figé, ses yeux fixes vrillés sur le visage transfiguré.

Jusque-là simplement adossé contre l'un des murs, le Haut-Prêtre du Prime Dragon se déploie. Son rictus annonce et menace, défigure et magnifie. Le Grand Gobelin se redresse de toute sa hauteur, déplie ses bras massifs distordus par des siècles de combats et de lutte, oppose à la roche la voute de ses épaules, reprend la stature qui est la sienne : celle d'un géant pâle s'approchant d'un cycle d'existence. Difforme, mais vivant. Doucement, ses enjambées le rapprochent du lit, sa tête se penchant sur ses occupants. La femelle, la fillette, le garçonnet...Son Feu... Si peu, et tout à la fois. Un sombre son rauque roule dans les profondeurs de sa gueule.

"Peur... Il savoure ce mot, en accentue les sonorités. ... ou Joie ? Il ajoute tout bas, comme dans un soupir. Ne sommes-nous pas nés pour brûler ?"

Dans un mouvement souple et cent fois répétés, le noirelfe plaque un poing fermé sur son torse, la tête basse, ses mèches pâles encadrant son visage à l'obscurité d'un autre temps. Ses mires sanguines exultent.

"Les armées du Prime Dragon luttèrent, mort après mort, bataille après bataille, cité après cité. Les armées périrent et les enfants du Destructeur surent : ils avaient remporté un défi. Le Maître des Cataclysmes était satisfait. récita une voix sombre en une ode funeste. Car Il n'était que Son Foudre de Guerre."

Dans un mouvement solennel et sans précédent, le daehdhel pose un genoux à terre, la visage toujours incliné, la respiration profonde, le regard fixe. Tel un temple qui ploie.

"Que les Flammes du peuple Sombre se remémorent le brasier dont elles sont nées. Tu es Son Feu. Je te servirai. Avec révérence, Urgoll'Ven relève son visage vers la Repenti. Son sourire exprime une joie fanatique innommable. Que la Lâcheté de la Traîtresse te consume et je te détruirai."

Dans un mouvement fluide et mille fois répétés, sa main trouve sa lame, et sa lame rencontre sa chair. Une faille carmine apparait le long de son avant-bras et le sang s'en écoule en un mince rideau. Le noirelfe n'a pas frémi. La plaie est nette. Son sourire, halluciné.

"Car Il est Son Foudre de Guerre et je suis son serviteur."

Que les flammes du peuple sombre se remémorent le brasier dont elles sont nées... Quelles douces paroles à son oreille. A chaque mot, le Gobelin semblait plus halluciné, plus vibrant, plus fanatique. Il portait la foi que ce peuple n'aurait jamais du perdre. Il craignait, respectait, admirait et obéissait à leur Père à tous.

Krish saisit le poignet du Haut-Prêtre avant qu'il ne rengaine son arme, son geste vif et net l'immobilisant sans effort.

- Driz'na, écarte-toi, s'il te plait. " souffla-t-elle en relâchant sa fille sans la bousculer. Puis elle se tourna doucement sur le bord du lit, s'asseyant puis se levant, encore chancelante de son affrontement. La tunique ample et dénouée qu'elle portait ne cachant que bien peu son corps piqueté de cicatrices. Elle affronta le regard empreint d'une adoration fanatique avec le même calme qu'elle arborait depuis que les Repentis et les prêtres de Kiran étaient sortis.

- Prend garde à ce que tu promet, Urgoll'Ven. Tesso ne sauve pas ceux qui prêtent serment sous l’œil des dieux. " Le retenant fermement d'une main pour qu'il n'abaisse pas son arme, elle vint tracer une ligne rouge sur son propre bras. Un frisson tout sauf douloureux remonta le long de son échine.  " Ne compte pas sur des ordres infaillibles. Je ne suis pas Lui. Je ne peux pas prévoir la façon dont il aura besoin de moi. " coulant jusqu'à son coude, de mince filets de sang commençaient à tomber, goutte à goutte, sur le sol pavé. " Mais je veux qu'Elda se souvienne. Je ne suis pas ici pour relancer une simple guerre ou pour prendre des décisions à la place des enfants dont il a garantit la liberté, loin de la Traitresse. C'est l'Eda Vengeur que je poursuis. Je ne veux pas Lui offrir que les cadavres de ses ennemis, mais surtout les cœurs vaillants de véritables fidèles. Car la foi de chaque Braise renforce le bras d'Uriz face à Kerhel. "

Tout en parlant, elle présenta son propre bras, face à celui d'Urgoll, attendant patiemment de le voir sceller son serment dans le sang... ou s'il rebrousserait chemin.

Des mots qui conseillent. Des mots qui nuancent. Des mots qui annoncent. Des mots qui doutent. L'appréciation du geste ferme, qui retient sa main armée, s'évanouit. La ferveur du Gobelin d'embrase, se tord et lui brûle le coeur, au son de la déraison. Qu'est-ce là ? Une hésitation ?

"Que le Silencieux prenne ma langue si j'en fais mauvais usage. J'ai vu Son Feu et je l'ai reconnu. J'ai entendu Sa Voix et j'ai tremblé." grogne le drow presque millénaire, ses yeux s'étrécissant.

Pour le daehdhel, il n'est pas question de projet, ni de futur. L'instant présent prime. L'instant. La certitude. La foi. Le poing fermé s'ouvre et frappe, se refermant sur le bras tendu et lacéré. Les deux noirelfes se jaugent, se contenant tous deux. La poigne du gobelin se fait étaux, sous le poids de sa rage, la pression grossit les rigoles rouges parcourant son bras, se glissant entre la peau pâle et celle d'ébène de sa semblable. Plier devant une Incertaine ? Ose-t-elle nuancer, ose-t-elle se dérober ? Le Maître des Cataclysmes sert le Destruteur, ravageant en Son Nom et imposant sa volonté....
Mais par dessus tout, éprouvant la volonté de Ses Enfants.

"Xun dos guu'lac udossta ilharn's detholir... Dalhar ?"
Doutes-tu du choix de Notre Père... Enfant ?

C'est là la langue du peuple sombre. C'est la leur haine pour celle des lâches de la Traîtresse. C'est leur ode à leur Créateur. Dans la voix du Haut-Prêtre du Prime Dragon se fait entendre l'écho des milles rugissements qu'il tira des créatures dominées en Son Nom, massacrées pour Sa Gloire. Une simple question, une importante réponse, car le peuple sombre se targue d'être manipulateur et dément... Mais sa Foi ne saurait être ambigü.

La main qui enserrait le poignet d'Urgoll se retrouva sans crier gare sur son cou. Celle qui maintenait leurs bras blessés en contact ne bougea pas, servant de point d'appui à son équilibre fragile. La paume de la forgeronne, a défaut d'être assez grande pour faire le tour du col massif du prêtre de Zhak'Bar, enserrait sa trachée avec la même force qui avait tordue le fer et battue l'acier durant près d'un Cycle.

- Ose seulement répéter ta question...

Doutait-elle de sa propre existence ? De la grandeur de ce monde ? Ou plutôt de la lueur flamboyante qu'elle distinguait à présent dans les yeux rouges de ceux de sa race et avec lesquelles elle sentait une connivence étrange. Les dogmes n'avaient plus cours. Les milles interprétations des légions de prêtres venus pendant des Cycles s'étaient tues.

Elle lui avait offert une bribe de vérité. Le début de réponse avec lequel elle s'était débattu pendant des mois. Des années. Des siècles. Les yeux de Krish, avec ou sans l'or qui y brillaient aujourd'hui, étaient ceux d'une survivante. Cet homme qui la dépassait d'un demi mètre portait encore des langes lorsqu'elle avait défié les ordres du Barra de la Doth'ka. ça n'avait été que la première pierre d'un bien long chemin qui l'avait rendue digne de ce qu'elle était aujourd'hui, et pour toutes les fois où elle était tombé, elle s'était relevée plus forte. Qu'il ose mettre en doute sa foi une fois de plus et il éprouverait dans sa chair les raisons qui avaient poussé le dieu de la Vengeance et de la Destruction à poser les yeux sur une indolente Thaarie plus que sur n'importe lequel de ses enfants puysards.