[Forge de lave] Trame de l'Hydre :: Il te faudra tôt, payer tes dettes

Aux forges, la mélopée des marteaux frappés n’avait plus tinté depuis l’arrivée précipitée des blessés et des valeureux, qui ce jour-là, firent un pas de plus vers la rédemption de leurs péchés envers les Dieux. Plutôt, ce furent les élégies des moribonds, dans une funèbre ode à Kiel, qui enivra les lieux. Ils avaient vaincus, s’étaient complut dans l’extase procurée à pourfendre et occire ces renégats, mais en payèrent désormais le prix fort. L’adrénaline, cette drogue incroyable, qui n’avait sur le champ de bataille que de bienfaits, se montrait bien traîtresse lorsqu’elle s’évaporait. C’était d’autant plus véridique pour ceux atteint grièvement, ceux qui comptaient les secondes avant de pousser leurs derniers râles d’agonie. Mais les sauveurs du Vatna, les purgeurs d’oppresseurs, méritèrent les soins les plus adéquats : voilà pourquoi, à l’instar des prêtres d’Uriz, les prêtres les plus aguerris se massèrent dans le vaste atelier que formaient les forges, afin de stabiliser les plus mourants. Ici, entres repentis, chaque vie valait autant, et c’est pourquoi, il fallut parfois, faire montre de moult patience afin que l’on en vienne à s’occuper des plus souffreteux. Pour preuve, aucuns de ces faiseurs de miracles ne fût officiellement réservé à la dirigeante de cet illustre groupe. On assigna seulement un médecin, porté dans les premiers soins, pour s’assurer de l’état d’icelle, à analyser ses blessures, afin évidemment, d’accélérer le processus une fois qu’un des prêtres n’en viennent à s’occuper d’elle.

Au fil du temps, Kiel devait certainement s’en voir peinée, que cesse enfin les lamentations prolongées des repentis. Tous ne purent espérer hériter de douillettes couches et s’en voir alités, mais au moins, c’est la presque totalité de leurs heurts qui furent apaisés. Ah, il resta bien quelques bonhommes en possession de certaines contusions ou estafilades mineurs, mais pour l’heure, il y avait mieux à faire : les rites funèbres. Au compte de deux, s’étaient mobilisés des prêtres de la Gardienne ; qui iraient inciter la Voilée à porter l’apaisement sur ceux qui trépassèrent.

La cérémonie se déroula dans le plus grand des respects, mais pouvait-on en attendre moins de ceux qui s’étaient affublés du nom de repentis ? Officialisant la fin des sacrements, la foule se dispersa et même la chef de cette troupe d’élite, ne s’en échappa guère. De manière précipitée, on l’avait formellement incitée à gagner ses appartements, là où un prêtre viendrait assez tôt pour prendre enfin soin d’elle. Et c’est qu’elle en avait rudement besoin, la bougresse!

Ainsi, seule une poignée de minute se succédèrent avant que quelques cognements bien auditifs à sa porte, n’en viennent à déranger la quiétude de Krish. « Il est temps! Vous vous êtes défilée suffisamment longtemps de nos soins ! » Piqua le prêtre à la chef de groupe, au travers l’épais portail de fer. Il ouvrit la porte et constata qu’icelle n’avait pas encore prit le temps de dévêtir ses protections, ni même de débourber son faciès abondamment beurré de sang séché. Ainsi maquillée, le prêtre dût admettre qu’icelle avait bien l’étoffe d’une chef de guerre ; c’est doutances aucunes qu’icelle avait foulé le champ de bataille du début jusqu’à la fin.

Devant elle, c’est un Drow de sombre allure qui se tint devant elle, tenant entre ses cinq doigts un havresac bien potelé de matériel. Ce dernier, encapuchonné de pieds en cap, d’une toge tout aussi sombre que les ténèbres qui léchaient les recoins des appartements, resserra de sa main libre une panoplie de colliers qui tintamarraient autour de son cou. Celles-ci, retenant un sigle de bonne grandeur, laissait apercevoir les détails d’un visage hurleur, criant et maudissant les supplices qui pouvaient lui être affligés. C’est donc sous le couvert de l’anonymat, typique marque de commerce de certains fidèles de Kiel, que s’approcha le dévot de la douleur.

« J’ai bien cru que jamais vous ne vous laisseriez examiner. Selon ce qu’on m’a narré, vous n’êtes guère, de surcroît, de celles qui ont pris peu sur le champ de bataille. Compte tenu de ce qui vous attend demain, nous avons gros à faire. Êtes-vous prête ? » Ce dernier avertissement, il l’avait lancé comme un ultimatum, à une femme qui n’avait désormais plus avec elle les grâces de l’adrénaline. Les soins de Kiel étaient de ceux qui savaient opérer au mieux ; mais qui avaient en retour, un pesant coût.

Celui de la souffrance.

- Je te préviens, si tu ressors avant d'être soignée, je t’assomme." Et Uriz savait qu'il en crevait de trouille ! Mais il le ferait. Car il était hors de question qu'elle y passe devant la berserker le lendemain matin. Et aussi parce qu'a force d'agir comme elle le faisait, il commençait vraiment à y croire à son histoire de rédemption...

Tirant son bras de l'emprise de la main tout juste remise à neuve d'Eshk'Oroth, Krish affronta le regard de l'ancien second de sa Capitaine de la garde. Le sous-officier du IVe ost en frémi, mais il ne baissa pas les yeux. Il avait raison, et elle le savait. Alors finalement, soupirant et retrouvant son rictus de chat, elle capitula.

- Si j'avais su qu'à un Cycle passé on m'enverrait dans ma chambre..." ricana-t-elle avant d'ajouter un peu plus sérieusement " Veille à ce que mes enfants ne rodent pas alentours.
- Compte sur moi.

Sans plus tergiversé, elle traversa le dortoir creusé à même la roche et pénétra dans sa 'chambre'. Un clapier à lapin plus qu'une chambre. Peut-être un cagibi dans lequel tenait un lit simple, un râtelier d'armes, un étendoir pour son armure, deux lampes et une grosse caisse qui devait servir de table de chevet sur laquelle étaient posés une tunique et un pantalon de toile propres. En tout cas, elle avait le droit à un peu d'intimité et c'était plus que la quasi totalité des Repentis. Un égare du à la provocation qu'elle avait lancé à la Haute-Prêtresse plus qu'à un quelconque ordre hiérarchique immuable.

Cette fois, elle avait tiré sur la corde et elle le sentait. Elle retira la capeline qui lui servait également de capuche, arracha son gorgerin et s'assit sur sur le bord du lit. De toute façon, il y avait de fortes chance qu'elle doive changé les draps après s'être fait soigner, alors à quoi bon faire de chichis. Elle s'obligeait à se relever une fois de plus, pour aller se débarbouiller, lorsque des coups retentirent à la porte. Un homme portant une toge aussi noire que sa peau entra dès qu'elle le lui permit. Elle leva immédiatement un sourcil.

- Il a rien trouvé de mieux qu'un prêtre de la douleur... Sans vouloir t’offenser, tu es sûr que Nogg ou Rid'Ik ne sont pas disponibles ?

Vu ce qu'ils avaient déjà du faire, elle était prête à parier qu'ils n'avaient plus une once d'énergie à dépenser. Quant à savoir pourquoi il ne restait plus qu'un prêtre de Kiel pour s'occuper d'elle, elle imaginait assez bien pourquoi...

Devant la mise en garde de son visiteur, elle soupira une ultime fois en roulant de la tête pour décoincé son cou nouvellement libre, avant de poser ses yeux de lave sur lui.

- Très bien. Ferme la porte. Je suis prête. "

Toujours debout, elle attendit les instructions.

« Ce n’est pas moi que tu offenses, c’est Elle. » Dit-il pieusement envers l’Al’Serat, alors qu’elle geignait à propos de la présence du prêtre de la douleur. C’est qu’en personne, devant ses membres, elle jouait aux fiers à bras, mais une fois dans le feutré, elle se permettait d’houspiller les soins qu’on lui attribua! Eh bien, elle lui faudra bien s’en contenter ! Elle lui somma de refermer derrière lui, chose qu’il fit de suite après avoir tiré une bassine de flotte encore chaude. Devant elle, alors que certains en auraient eu le derme hérissé face à une telle figure d’autorité, le prêtre, lui, n’en démontra rien. Il s’affaira à préparer ses affaires, déposant son pesant havresac contre la couche aux draps d’ores et déjà souillés de sang. Prudemment, il la guida de cinq doigts à l’épaule de la souffrante, puis la dirigea jusqu’à son lit, afin qu’elle s’y assoit au pied, faute d’avoir une chaise à proximité.

« À voir votre armure, j’ai bien quelques réserves à propos de votre état général de santé … » Dit-il tout bas, pratiquement pour lui, tant il l’imaginât mal-en-point. Il posa un genou à son dos, puis s’affaira à l’aider au retrait des ganses qui retenait ses protections. Gantelets, épaulières et même son buste : il la voulait dans ses plus simples habits, car c’était ainsi qu’il pourrait lui prodiguer le meilleur des diagnostiques.

« J’imagine que pour le reste, vous saurez l’enlever vous-même ? » Lança le prêtre, sans trop considérer tout le mal qui pouvait l’élancer. Décidemment, il aima à la piquer subtilement …

« Si tu veux bien, j'aimerai m'assurer que mes poumons soient intactes avant de faire monter mon rythme cardiaque de quelques façons que ce soit... À moins que tu ne sois pas suffisamment confiant en ta médecine pour garantir que je respirerai encore après ? » Et si le prêtre se montra taquin, elle, monta le tout d’un cran. C’est que la douleur ne lui avait guère fait perdre de son caractère joueur! Elle continua à se dévêtir sans aucuns chichis, se doutant bien que pour guérir des blessures, il fallait, de toute évidence, les avoir en vue.

Comme il s’y attendit, son âge avancé l’avait munie de moult stigmates du passé (cru-t-il); douces caresses de quelques rixes antérieures … Mais pas que. Durant tout le long de cet affront envers les rebelles, si Krish pensa que ses plus précieux alliés furent les repentis, elle était loin de se douter qu’iceux n’arriveraient jamais à la cheville de sa bonne vieille armure. C’est que la drôlesse avait le corps non seulement zébré de vieilles cicatrices, mais était aussi marbré d’une panoplie d’ecchymoses, preuve qu’elle avait hérité de nombreux impacts non létaux. À sa nuque, il constata du côté gauche, d’un passage concis du bout des doigts, que sa chevelure immaculée fut entachée plus que de raison, laissant présager qu’un impact l’avait fait saigner du crâne.

« Tu sens une pression à ton crâne ? Ou une douleur persistante ? »

« Une pression côté gauche. Mais ça ne fait pas mal. » Assuma Krish, bien qu’elle ne sut réprimer une grimace douloureuse, alors qu’elle gigota du bassin au même moment. Quoi que le visage loin d’être entièrement perceptible, le drow capta avec attention la dernière mimique, se bougeant aux devants de la guerrière pour mieux la voir de face. Dommage pour elle, elle ne put voir la grimace agacée du prêtre, qui après l’avoir épiée, pensa silencieusement : « La garce … Mille ans et toujours aussi bonne. » Ce ne fût que par après, qu’il vit comme elle était amochée. Une saillie tirait sur la peau de ses côtes, tandis que deux entailles majeures avaient lacérées sa chair au niveau de la cuisse et de la rate. Il fronça en apercevant que les blessures ne suaient guère de sang, comme si quelqu’un avait opéré un sortilège stabilisateur pendant l’affrontement …

« Mhmm hmhm. » Dit seulement le prêtre après s’être fait un tableau bien clair de tout ce beau bordel. Il l’esseula un instant pour venir farfouiller le sac qu’il avait posé tantôt sur la literie, puis en sortit une guenille ainsi qu’un étrange flacon rondouillard. « Commence par boire ça. Tu te sentiras mieux, déjà. » La mixture épaisse, possédait une étrange teinte dorée et dégageait, comme à peu près chaque potion, de désagréables flagrances. Ah certes, le liquide n’augurait rien de bon, mais si Krish osa s’en envoyer le contenu sans chigner d’avantage, elle put sentir couler tout le long de sa gorge, une sensation forte agréable de chaleur. Un peu comme un alcool fort durant une froide nuit hivernale …

Le prêtre posa un genou au sol, ne permettant toujours point à Krish d’apprécier les reliefs de son faciès assombri, noya son haillon dans la flotte puis commença à éponger les souillures qui bordaient chacune de ses blessures. Aussi bien dire qu’il en aurait un moment pour s’assurer que chacune d’elles étaient assainies de toutes saletés. Cherchait-il à gagner du temps avant d’opérer à sa magie tortueuse, ou était-ce le liquide, qui offrirait à son contenant d’atroces douleurs curatives ? C’était, sans doute, un plaisir pour le prêtre que de voir Krish appréhender le moment où elle souffrirait à nouveau pour le bien de sa santé …

Le silence se montra bien lourd. Le prêtre n’avait, semble-t-il, pas pour lui d’être le plus bavard. Bien que, il se permit de briser les chaînes muettes dans un commentaire qui très certainement, trouverait moyen de piquer la curiosité de Krish.« Mille ans … Et encore aussi belle qu’à ses jeunes années. Comme quoi les Dieux ont vraiment de leurs enfants quelques préférés … »

Elle leva la tête un poil trop brusquement pour avaler la potion d'un trait et s'épargner le gros du mauvais goût contre une pointe de douleur à la nuque. On avait rien sans rien...

Maintenant qu'elle était libérée de son armure, nue sur le bord du lit, ses cheveux tressés maculés de sang reposant sur son épaule, la fatigue la gagnait. Heureusement que le complexe des forges de lave bénéficiait de la chaleur de la lave non loin car elle se sentait prête à frisonner à la moindre brise, fusse-t-elle tiède. Pour éviter de s'endormir sur place, elle s'empara du second chiffon qui reposait sur le bord du baquet d'eau et s'occupa de ce qu'elle pouvant sans trop bouger le dos ou les côtes. Lever le bras droit était incroyablement douloureux, mais au moins, ses soins prendraient un peu moins de temps. L'idée que ce soit un prêtre de Kiel lui était à demi sorti de la tête.

Une fois ses bras et ses cuisses assainis, elle constata qu'elle ne pouvait pas atteindre plus sans tirer sur ses flancs et laissa retomber la lavette dans l'eau pour se contenter de profiter du contact piquant du prêtre qu'Eshk'Oroth lui avait envoyé. Les coudes appuyés sur ses genoux, elle soupira dans le silence occasionnant une quinte de toux et un pic de douleur qui lui bloqua la respiration.

- Il faut savoir le mériter. " sourit-elle au constat du prêtre concernant son âge. " Je..." Une seconde. Comment ça mille ans et aussi belle qu'à ses jeunes années. Tout son corps se raidit, décuplant la douleur dont elle se fichait éperdument dans l'état d'alerte mental qui venait de la frapper. Les Repentis fondateurs connaissaient sa véritable identité. Shaar n'était qu'une présentation extérieure pour protéger l'anonymat de celle qui avait encore une position à tenir au Puy jusqu'à ce que ce ne soit plus nécessaire. Certains de ceux qui avaient été recrutés pendant son absence étaient sûrement au courant. Peut-être tous. Mais le commentaire que venait de faire cet homme... Ce n'était pas simplement un constat étonné concernant l'absence des traits de l'âge sur sa personne. C'était autre chose. Eshk'Oroth avait-il choisi cet homme parce qu'elle le connaissait ? D'où ? De quand ? Assez loin pour qu'il parle de sa jeunesse ? Pourtant la plupart de ceux qu'elle avait connu alors étaient morts. Son instinct lui disait que quelque chose clochait. La force bouillante dans ses entrailles lui ordonnait d'agir.

Elle se releva d'un bond, faisant volte face pour saisir au vol le poignet du prêtre dans le même mouvement. La torsion la fit tousser par deux fois. Tandis que se yeux se posaient enfin sur le visage de l'homme avec toute l'attention qu'il méritait, elle cracha une tache rouge sur le sol, essuya le sang sur ses lèvres d'un revers de la main... Et s'arrêta un instant au milieu de son geste avant d'en venir à bout. Ce quel voyait n'avait rien de rassurant...

- Si je suis toujours en vie alors que j'ai bu quelque chose que tu m'as donné, je dois partir du principe que tu n'es pas ici pour moi ? " interrogea-t-elle, suspicieuse, sans lâcher le poignet de l'homme en toge noire.

Fallait-elle qu’elle soit six pieds sous terre, morte et enterrée, pour qu’enfin elle cesse de montrer les crocs ? Plus étonnant encore, la vieille bougresse trouva encore suffisamment de forces pour se montrer convaincante, alors qu’elle lui avait saisit le poignet avec une fermeté à toute épreuve. Se cambrant au gré de la torsion à son poignet, Kah se soumit aux désirs de cette poigne inquisitrice. Pas qu’il n’aurait sut s’en départir, mais plutôt, il l’avait amenée à agir tel qu’il l’avait espéré. L’assassin roula des épaules, de même qu’il secoua légèrement le chef pour faire chuter sa capuche. Ainsi, sous les quelques lueurs dansantes des candélabres, se dévoilait pleinement devant les yeux de sa tourmenteuse, le profil d’un homme au faciès trahissant son âge. Sa peau s’était éclaircie, s’acoquinant quelques teintes charbonneuses, voir même de suie, tandis que quelques subtiles ridules en arpentaient le relief. À tous les coups, l’assassin faisait bien d’avantage son âge que celle qui chercha à jouer devant lui les fiers-à-bras. Pour autant, son regard n’en était pas moins vif et brillant de malices, même devant ce danger latent.

« Tu as toujours sut faire montre d’ingéniosité pour survivre … Aujourd’hui, ne fait pas le seul faux bond de ta carrière, lâche mon poignet et assied-toi sagement, tu veux ? » Lui lança à la figure Kah, d’une froide menace ponctuée d’un sourire plus qu’assuré. « J’ai craqué : je voulais vraiment te faire croire en mes dons de guérison. La potion jouait le rôle de mes faux pouvoirs, tu m’as démasqué. » Assura-t-il toujours d’un ton porté sur la plaisanterie plutôt que sur de sérieuses affaires. Il se souvint d’elle plutôt joueuse, mais sa poigne, toujours bien agrippée contre son poignet, le fit douter soudainement. Alors, pour la rassurer, il poursuivit en expulsant l’air de ses poumons en un soupire exagéré : « Ça va … Personne ne va mourir aujourd’hui. Trop ont déjà péris. »

Il apprécia la liberté qu’elle lui offrit en venant frotter de sa patte libre son poignet légèrement empourpré par la pression. « Je sais que tu as besoin de repos, mais autant je me devais de satisfaire ma curiosité depuis que j’ai su ta double vie, autant je me devais de t’entretenir quelques mots. » [i]Et tout ça, il l’avait affirmé tout en se rinçant l’œil de sa nudité la plus totale. C’est qu’en plus d’être toujours toujours bien conservée, les blessures qu’elle arborait n’étaient pas pour le laisser indifférent, lui avait toujours eu un certain penchant pour ces décorations sanguines pendant ses coquins jeux …

« Me reconnais-tu seulement? » Cette fois, il se pencha et s’approcha d’un pas afin de lui rendre son pantalon, qu’elle couvre au moins sa pudeur. Et s’il se permit de balayer ses soucis de santé comme s’ils eurent été de simples bagatelles, c’est que la potion devait très certainement bientôt lui faire découvrir ses meilleurs bien faits. Les plaies n’élançaient plus qu’à peine, refermées comme si on les avait cousues à l’aide d’un fil de fer … Et, le comble de tout ceci, c’est qu’elle pouvait à nouveau respirer normalement. Sa côte n’était pas rafistolée, mais le mal qui l’empêchait de profiter de pleines bouffées d’air n’était plus. Elle pouvait pleinement apprécier ce répit, qui, de surcroît, ne l’avait pas fait souffrir d’avantage que le mauvais goût qui devait lui coller au palais.

Méfiante, ses doigts lâchèrent pourtant le drow. Sa posture restait aussi farouche que lorsqu'elle sentait qu'une ombre allait frappée dans le désert de cendre, quoi que bien moins souple qu'alors à cause de ses cotes en vrac. Bon... Au moins, il n'était pas là pour la tuer elle ou l'un de ses hommes. Tandis qu'il lui expliquait qu'il était venu pour la prévenir que quelque chose, elle se força à se redresser, calculant tout de même dans un coin de la tête le temps nécessaire à attraper un machin assez pointu pour en finir s'il devenait agressif. Elle croisa le bras sous son opulente poitrine, la mettant plus encore en valeur sans en éprouver le moindre malaise... Hey mais c'est que ses côtes ne lui faisaient plus si mal que ça.

Retrouvant un peu de mobilité, elle retrouva également un sourire de chat en voyant les yeux de son visiteur s'égarer sur elle avec une flamme qui n'avait jamais rien eu de professionnelle.

- Je n'oublie jamais le visage de ceux qui veulent me tuer... Ni de ceux qui y ont renoncer au bon moment. Même si, je dois l'avoué, je ne m'attendais pas à te voir ici. " ajouta-t-elle en dédaignant majestueusement le pantalon que le faux prêtre lui tendait pour s'asseoir de nouveau au coin du lit, les jambes croisées, n'arborant que ses blessures et ses cicatrices pour parer sa nudité. Ses pupilles félines se moquaient de l'assassin, hurlant qu'il était un peu tard pour couvrir le chef d’œuvre qu'il avait sous les yeux. " Si tu voulais me mettre a nu, il y avait plus simple comme approche, tu sais ?" Elle ne se gênait pas pour le dévisageant également. Ainsi révélé, il reprenait son maintien droit et l'air fier qui faisait remonter des souvenirs particulièrement lointains. " L'âge te bonifie, mon sombre Serpent. Par contre j'espère que tu as intercepté le vrai guérisseur qu'Eshk'Oroth m'a envoyé, sinon nous allons rapidement être interrompu. " Appuyée sur un bras, elle ne s’embarrassait plus de distance de sécurité, le laissant s'asseoir à son tour ou la couver du regard en restant debout. Ce n'était pas ça qui allait la mettre mal à l'aise de toute façon. " Raconte moi. "

« Tu as raison, j’aurais dû te demander de but en blanc. » Affirma le drow, ne sachant désormais plus dévier ses yeux vermeil de ce tableau antique, quoi que préservé comme lorsqu’elle fut peinte … « Mais j’aurais misé gros ; que tu déclines et qu’alors, jamais mes yeux ne se posent sur pareil œuvre. » Alors là, oui, il en mettait gros, mais ses yeux admiratifs ajoutèrent à sa dernière phrase un petit quelque chose de tangible. Comme si le sadique personnage s’était imaginé lui faire subir lui-même ces nombreuses marques d’affection. C’était là le propre des drow ; ils arboraient pour la majorité leurs blessures comme les éphémères décoreraient leurs corps de tatouages ou de parrures. Ici, pour Kah, rien n’était plus séduisant qu’une femme qui arborait fièrement les marques d’une rixe passée. Les cicatrices étaient du velours et le sang, des diamants pour les yeux.

Il arbora l’un de ses sourires les plus amusés, non seulement lorsqu’elle rejeta le pantalon, mais surtout lorsqu’elle fit allusion au soigneur, dont il s’était chargé plus tôt de lui trouver un endroit discret, où il pourrait gigoter à sa convenance comme le gigot de porc qu’il était devenu, tant il l’avait ligoté. Toute féline qu’elle était, même blessée, elle ne sorti guère de son personnage, s’allongeant de tout son long pour mieux s’appuyer contre son bras. À ce moment, pas même la plus fraîche et jeune des Primas Sanguis ne lui aurait parue aussi désirable. Alors, il s’approcha d’elle, mais ce ne fût que pour mieux apprécier la courbe de ses hanches rebondies, qu’il s’interdit de toucher même d’un doigt.

« Tu as fait belle impression, vraiment … Et ce discours, à la fin … » Il acquiesça quelques fois, tout en pinçant des lèvres. « Bravo, vraiment … Et maintenant ? Tu comptes occire Kel’Zora ? » Cette fois, il quitta les douceurs de son corps flambant nu, pour mieux la fixer droit dans les yeux, comme il avait habitude de faire lorsqu’il reprenait un peu de son sérieux.

« Par que combat au premier sang, avec une Berserker … Ça ne peut que mal se terminer, ça, tu le sais, n’est-ce pas? »

« Il y a de grandes chances pour que ça finisse mal pour au moins l'une d'entre nous, oui. » Elle en perdit son côté malicieux pour le troquer avec un air sérieux et concerné. Chose qui, selon toute attente, devait être vachement rare chez elle. « J'aurai pu l'achever dans la mêlée ou demander un champion, mais ce n'est pas le message qui doit être envoyé aux Eldéens. Je ne compte pas y rester, mais si c'est le cas, au moins je ne verrai pas le Puy péricliter définitivement. »

Décidément, elle ne comprenait pas le rôle qu’elle avait entre les mains. C’était peut-être involontaire, ou bien était-ce quelque chose qu’elle avait calculé depuis le premier jour de son retour ; mais Krish Al’Serat, était, au Puy d’Elda, destinée à un destin qui la dépassait. Et pour cette organisation qu’était la Dotkha, maîtresse et reine des secrets, elle veillerait à ce que ce destin se réalise. Après une pause menue, il ajouta :

« Ne te fait pas toucher sous aucuns prétextes. »

« Tu ne pense quand même pas qu'elle utiliserait du poison ? » Ricana la doyenne Drow, alors qu’elle reprenait ses aises et ses airs de chatte.

« Non, non, grands Dieux, non. Pas elle. Elle se contentera de te foncer dessus tête première, sans jamais trouver fin à son souffle, vu la bénédiction qui la couve. » Il faisait ici référence à sa tendance de berserker. « Mais Vazdran, lui … Vu le respect qu’il témoigne à nos Dieux … Je suis bien prêt à parier ce que tu veux qu’il pourrait le faire à l’insu de sa cadette. »

« Et c'est pourquoi je apprêtais à demander une ordalie au couteau.»

« Futée… » Kah s’en amusa de plus belle, alors qu’il constata que Krish avait d’ores et déjà pensé à cette avenue. L’expérience parlait, il fallait croire. La vieille bique se montrait plus sage qu’elle ne le laissait paraître.

« Cela dit je risque encore plus de me prendre un sale coup. »

« Faudra en finir rapidement, alors. Tu sais comment t'y prendre, je ne t'apprendrai rien. » Termina l’assassin, quittant cette fois l’âtre de ses yeux de lave pour parcourir derechef cette toile de chaire sanguinolente, exposée gratuitement devant ses mires admiratives.

Il la regardait le filou. Il en oubliait presque ce qu'il était venu faire là. Et comme de bien entendu, cela amusait follement la blessée qui, a défaut de pouvoir bouger librement, pouvait au moins profiter du regard qui parcourait ses courbes.

- Et donc ? Tu es venu jusqu'ici t'infiltrer dans un endroit lourdement gardé, seulement pour me demander de faire attention ? " Son ton et son sourire hurlaient qu'elle n'y croyait pas une seconde et son visage amusé s'approcha légèrement de l'oreille de son improbable visiteur. " C'est très attentionné de ta part.

Ça l'agaçait visiblement, d'être chaque fois prit la main dans le sac. L'homme ne bougea pas d'un poil ; comme si l'être millénaire qui se trouvait à ses côtés était une œuvre intouchable. La distance qu'il y avait physiquement entre eux n'était rompu ni par l'un ni par l'autre. Dire qu'il avait accès aux plus fraîches créatures du Puy, des pucelles Drow aux plus expérimentées des prêtres d'Isten ... Alors pourquoi elle ? Pourquoi se pâmait-il autant devant une femme aussi mûre ? Enfin, il soupira. " Ta dette s'est alourdie, hier soir. "

Le nez de la forgelâme se retroussa, retrouvant le si rare sérieux qu'il lui avait déjà tiré une fois dans leur courte conversation. Ce n'était pas avec la plus folle bonne humeur qu'elle l'entendait revenir sur leur ancienne relation. Méfiante, quoi qu'elle ne soit pas encore sur la défensive, tout cela ne lui disait rien qui vaille.

- Qu'est-ce que tu as fait ?
- J'ai sauvé ta petiote. Une fois des gravats et une fois des rebelles.

Il était désinvolte dans sa façon d'en parler, laissant poindre tout le savoir qu'il avait accumulé que la complexe situation familiale de l'eldéenne. Elle ne se cachait pas d'être la mère de Driz'na, mais ce n'était officiel que depuis deux ennéades. Quand à reconnaitre l'enfant, on ne pouvait pas dire qu'elles se ressemblaient beaucoup. Et plus important, cela voulait dire qu'il était là la veille. Lorsqu'elle avait fait coulé son premier sang... Et que tout cela n'était peut-être pas fortuit.

- Elle m'a dit qu'elle s'était retrouvé au milieu des maisons incendiées, et qu'elle avait pris la vie de quelqu'un. Tu la suivais ?
- Non, je l'ai vue chassée par le vent de l'explosion d'une des maisons.

Elle soutint le regard de l'espion un moment. Encore peu convaincue. Elle n'aurait pas été étonnée d'apprendre que ses hommes avaient prit part à la mission qui avait fait exploser les maison du quartier ou même que c'était l'un d'eux que Driz'na avait tué. Elle n'avait aucune confiance en les membres de la Doth'Ka. Ils voyaient toujours deux crans plus loin que tout le monde et sortait trop rarement perdant au goût de celle qui avait été leur proie durant des siècles. Heureusement, il n'était en aucun cas question de confiance.

Elle se détendit un peu, souriant de nouveau avec cette désinvolture de façade qui la caractérisait si bien. Demander plus de précision aurait été un aveux de l'intérêt qu'elle portait à ses actes. Se braquer était hors de question dans une telle situation. Quand à le faire taire à jamais, par mesure de précaution, si elle n'y pensait pas pour la première fois, elle savait que cela resterai un délire sans fondement ni intérêt.  

- Et tu comptes me demander quelque chose de particulier ou tu entasse seulement les services que je te dois pour le plaisir de les compter avant de t'endormir ?

Une chose restait toujours certaine : le savoir membre de la Dotkha, le privait automatiquement de tous liens de confiance. Il n’en restait pas moins que, pour certaines personnes, il réussissait encore à faire passer quelques messages sans que l’on ne doute de trop de leur véracité. Ce fût, pour cette occasion, bien le cas. Driz’Na s’était retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment et cela lui avait pratiquement coûté le prix fort de sa vie. Et comme rien n’est fruit du hasard, il fallait que cette nuitée-là, précisément, alors qu’icelle s’annonçait comme catastrophique, que Driz’na trouve le moyen d’enlever sa première vie. Un beau moment, assurément, qu’il aurait bien aimé partager à Krish.

Mais pour l’heure, il se devait de terminer ce pourquoi il était venu : taper sur ce clou, enfoncé jadis par Krish lorsqu’elle avait demandé aide à Kahveka et qui, aujourd’hui, avait pratiquement été oublié.

« C’est là tout le défaut de notre longue vie, ma délicieuse Krish. Nous avons le temps d’attendre. Le moment viendra ou je te dirai le prix de ta dette, ne t’en fait pas. » Raison de plus pour lui de la voir s’élever, plutôt que de couler. « Pour le moment, concentres-toi plutôt sur ton combat à venir pour demain. Ça m’embêterait que la doyenne de l’Elda y passe aux mains d’une jouvencelle. » Et s’il s’attendit à une réponse d’elle, elle préféra se tenir muette, tout en tâchant de lui faire montre d’une certaine provocation et d’un regard goguenard.

A ce stade, il ne lui en faudrait pas bien d’avantage pour qu’il lui saute dessus afin d’achever le repas déjà entamé par les rebelles. Elle était déjà bien amochée, et ce n’aurait été guère cadeau que de l’abîmer d’avantage. Si seulement elle savait à quel point il aurait aimé la faire saigner à son tour …

« Je pense tout t’avoir dit … Avant de te renvoyer ton guérisseur pour finir le boulot, je te fais mander autre chose ? » Assure-t-il, cette fois non sans un sourire complice, après avoir dévié une dernière fois ses billes incandescentes contre le relief marbré de sang et de blessures. Il lui sembla bienveillant, mais c'était pour l'heure, le meilleur moyen d'assurer son investissement sur le long terme.

Elle l'écoutait. Elle le regardait. Silencieuse avec son sourire de chatte et la flamme d'un ancien mécontentement dans l’œil. Même après sa mort, son père lui pourrissait encore la vie... Et lui apportait un soutien des plus improbable. Cette dette en faisait la proie de cet homme, et une possibilité d’accroitre encore la qualité de son investissement si elle s'élevait. C'était... frustrant. Et agréable.

Elle ne parla pas plus lorsqu'il la taquina sur le combat qui s'annonçait pour le lendemain que lorsqu'il lui rappela qu'il n'oubliait rien. Elle reçu son sourire complice, presque bienveillant, avec un frisson le long de l'échine. Il était toujours aussi crispant lorsqu'il se montrait trop attentionné.

- Inutile. Mais si je suis toujours en vie à la fin de l'ennéade, vient boire un verre. On parlera du bon vieux temps. Je ne pense pas avoir à te dire ou me trouver... "

Un clin d’œil n'aurait pas été plus éloquent... Et pourtant ils savaient tous les deux parfaitement ce sur quoi était basé leur relation. Elle le laissa partir, refermer la porte, et s'étendit de tout son long dans un grommellement de douleur, prenant conscience de la tension dans laquelle cette visite l'avait mise.

- Ne t'inquiète pas... " murmura-t-elle en repensant à la façon dont il semblait attendre une réponse lorsqu'il lui avait demandé de ne pas mourir aux mains de Kel'Zora. " Je compte vivre assez longtemps pour danser sur ta tombe. "