Un nouvel angle de vue | Libre

3eme ennéade de Barkios de l'an 16:XI

La Symphonie t'es une douce présence, alors que tes pieds légers foules les mousses qui parsèment de vieilles souches. Les Iarin'Dath ont continué leur errance, et les Fanuës les ont guidés jusque sur les terres d'Aléandir. Le campement a été installé et... Malgré toi, tu n'as pu résisté à l'appel de la chanson de la Mère. Donnant d'énièmes directives, connus sur le bout des doigts par bien des aînés, tu t'étais élancée à la suite des éclaireurs et des jeunes, à la découverte des alentours. A chacun de vos passages, tu redécouvrais la parure de la terre, aux milles couleurs de vie, de renouveau. T'oubliant un temps, tu as perdu de vue tes semblables, seulement guidée par les battements enfiévrés de ton coeur, et les innombrables pistes que tu lis dans les entrelacs végétaux. Nombreux seraient ceux qui s'amuseraient de voir l'ombre d'un sourire d'enfant fleurir sur tes lèvres.

Ta démarche attentive s'est transformée en trot curieux, puis en envolée joyeuse. Sans y réfléchir, tu bondis au dessus d'un cours d'eau, tes yeux attrapant les reflets sur les peaux humides de de batraciens. Puis tes pieds reprennes contact avec le sol herbeux et tu repars de plus belle... Légère. Si légère. Ton chemin est celui de vieilles racines, ton souffle, le murmure des feuilles que caresse une brise. C'est futile et joyeux, ne mène nul part et pourrait durer éternellement. Une fuite coupable dans la splendeur végétale de l'Anaëh. Agile, grimpe le long d'un vieux tronc effondré et passe, sans hésitation, dans les strates supérieures. Il te faut à présent te glisser entre les branches, avoir le pas sûr sur les branches tortueuses... Ta mémoire est celle des chemins, et tu sauras sans hésitation comment t'en retourner. Alors, cela t'es un délice que de te perdre. Même si ce n'est que pour jouir d'une illusion.

Soudain, une nouvelle vision s'offre à toi, dont le reflet illumine tes yeux cuivrés. Ta course se fait moins voltige, alors que tu ralentis, admirant les nuances de l'étang où plongent moult végétaux assoiffés. Leur variété est pareille aux nuances que tu vis dans le secret de pierres précieuses, alors que ta mémoire se gorge de pareille vision de paix et d'harmonie. L'Anaëh est ta maison. Ton monde de rêve.

Soudain, ta gorge se noue et tes sens se hérissent. T'accroupissant, tu fais de petits pas précipités pour ralentir sans finir en salto avant, emportée par ta vitesse, et arme ton arc. Aussitôt, tu te sens honteuse de la violence de ton approche, et abaisse l'arme, face aux crocs d'un tatzelworm, dont le sifflement parvient enfin à tes oreilles distraites. Quelques pas de plus et tu le piétinais, sur cette liane couleur de mousse mais à la dentition bien en vue. Sans te démonter, tu n'en recules pas moins respectueusement, attentive à ne pas faire le moindre geste brusque... Et, concentrée comme tu es sur les mires courroucées de la créature, tu ne sens que trop tard le végétal sous ton pied qui se dérobe.

Ton souffle se suspend alors que tu bascules, tes sens se font plus aiguisés et tes réflexes prennent le relais. Tes jambes s'entortillent dans ta chute dans les lianes traîtresses, alors qu'une main tient ton arc et l'autre retient tes flèches dans le carquois. L'instant de vide s'achève dans un claquement sourd alors que les lianes se tendent, enserrant tes jambes. Tu sers les dents. Idiote. Les yeux écarquillés de tension, tu contemples le sous-bois d'un tout nouvel angle, la tête en bas. Sous toi, l'étang se pare de milles reflets, alors que tu tournes lentement sur toi même. Il te semble que la Symphonie elle-même a retenu son souffle, à la vue de ta déconvenue... Mais ce ne doit être que les battements de ton cœur qui t'emplissent les oreilles, assourdissant le reste.

Cependant, tu ne manquas pas d'entendre un *Ploc* distinct. Levant la tête - ou la baissant, cela dépend du point de vue -, tu découvris la lame blanche de ton couteau en os qui coulait à pique. Le silence se fit plus pesant alors que tu réalisais. Ajouter une sangle qui retienne ma lame dans son étuis. J'y penserai la prochaine fois.

Le citadin a à peine terminé sa phrase que l'une de tes flèches se plante à ses pieds dans un claquement sourd. Une autre prend aussitôt sa place dans ta main, la tête glissant jusqu'à la corde, prête à prendre, elle aussi, son envol. Tel est ton avertissement, alors tu te balances doucement après ton geste instinctif, alors que tu découvres toi-même être capable de viser dans cette position, la tête à l'envers. Ce pourrait être un exercice intéressant pour les jeunes... La satisfaction que tu en tires disparait vite face à ton problème : tu es coincée, cible offerte aux piques de toutes sortes de vulgaires elfes de pierre. Inacceptable.

Et pendant ce temps où tu t'offusques, le carquois se vide tranquillement de son contenue qui finit après quelques tournoiements, dans l'eau, plusieurs mètres plus bas. Levant la tête, tu le constates, puis revient sur la petite troupe de citadins. Un simple soupir est ton seul commentaire. Fichus réflexes.

Déterminée à ne rien laisser paraître de ton agacement, tu les fixes avec froideur, ton arc armé de ta dernière flèche. Leurs armures, leurs armes de métal... Cela te crispe de mépris, à la vue de ces trophées arrachés à la chair de la Mère, qu'ils arborent comme si cela allait de soi. Leurs attitudes te semblent des plus puériles, les bras ballants, amusés par ta situation. Des enfants.

Qu’il y ait des ornedhels en Alëandir n’était pas un problème, c’était même normal, c’était comme ça depuis si longtemps, mais ça n’empêchait en rien de les surveiller. Ces elfes sauvages ont la manie de ne pas vouloir laisser les taledhel en paix. De ce que savait Lyorindel les citadins n’allaient pas forcer les sauvages à adopter la civilisation, pourtant ça ne leur ferait pas de mal, loin de là. Mais ils s’y refusaient, leur doctrine religieuse s’y refusait. Si seulement tout le monde pouvait avoir la même interprétation des textes sacrés se lamenta l’elfe alors qu’il réfléchissait à cette histoire d’elfes sauvages, ça serai tout de même bien plus simple.

Il était question aujourd’hui de s’assurer qu’ils ne causent pas de problèmes, en tout cas pas plus que d’ordinaire et avec un groupe en déplacement les chances qu’ils causent des problèmes augmentait significativement. De plus, pourquoi bougeaient-ils ? Dans un grognement Lyorindel se leva, il ne pouvait pas les laisser sans surveillance, c’était bien trop dangereux, ne serait-ce que pour les cueilleurs. Une fois debout il se dirigea vers sa penderie et en l’ouvrant il observa pendant quelques secondes son ancien uniforme de telarcar. C’était un peu comme regarder dans les yeux un vieil ami qu’on avait délaissé, il se sentait un peu coupable de l’enfiler que lorsqu’il en avait besoin, c’est-à-dire pas souvent. C’est donc en ressentant un frisson lui remonter le long de la colonne vertébrale qu’il enfila l’uniforme qu’il n’avait pas touché depuis plus d’un siècle. Cela dit il était soulagé qu’il lui aille encore, ça voulait dire qu’il ne s’était pas vraiment empâté depuis qu’il avait quitté l’armée royale pour changer de carrière. Il attrapa ensuite la cape qui faisait la renommée des éclaireurs et avant de la mettre il regarda une dernière fois le blason de l’armée royale brodé à l’intérieur ; le voir lui rappelait des souvenirs et pas toujours des bons malheureusement. Ensuite il plaça sa dague dans sa botte droite et attacha son carquois à son ceinturon d’arme puis vint le tour de la pièce maîtresse : l’arc, qu’il plaça en bandoulière.

L’arme en question mesurait cent soixante centimètres avec un dos parfaitement équilibré et un ventre plat, il était fait à partir de bois, d’os d’animaux -notamment de baleine- et de tendons ; c’est ce qui le rendait si léger. De plus les poupées avaient été spécialement modifiées pour permettre de changer rapidement de corde afin d’en utiliser une en soie pour des tirs de précision ou en chanvre pour les tirs plus classiques. L’arc était suffisamment puissant pour qu’une flèche file sur soixante-quinze mètres en un clin d’œil et à la moitié de cette distance un animal non protégé par une quelconque armure naturelle était traversé par le projectile ou bien cloué à l’arbre qui se trouvait derrière. Être épervier avait ses bons côtés, notamment l’accès aux meilleurs arcs de l’Anaëh. Ce qui était un peu du gâchis entre les mains de Lyorindel qui était loin d’être un des meilleurs archers d’Alëandir alors ne parlons pas de toutes les cités réunies et encore moins de la Première Œuvre dans son ensemble.

Dans sa panoplie de guerre le tel’soril s’en alla donc de la cité à cheval dans l’espoir de trouver ces Noss nomades et les garder à l’œil. Lorsqu’il découvrit les premières traces de passage Lyorindel abandonna sa monture et continua à pied, désormais il se devait d’être aussi discret que les ornedhels pouvaient l’être, si ce n’est plus ; l’ancien éclaireur comptait sur son uniforme et sa cape de camouflage pour compenser ces longs siècles qu’il avait passé sans pratiquer. L’épervier avançait dans les arbres, de branches en branches, sautant lorsque c’était nécessaire. Passer par la canopée avait ses avantages comme ses inconvénients mais en étant seul c’était plus sûr que de passer par le sol même si c’était plus lent ; c’est la mémoire musculaire qui prit le relais, il n’eut pas à penser à comment poser son pied pour faire le moins de bruit possible, l’entraînement enraciné en lui et l’expérience refit surface pour le guider sans qu'il n'ait besoin de les solliciter. Certes il était moins discret qu’il ne le fut jadis mais c’est toujours ça.

C’est lors d’un saut d’une branche à une autre qu’il entendit quelque chose chuter et la déconcentration faillit bien lui réserver le même sort. Ne sachant pas si la personne tombée était une citadine ou une sauvage Lyorindel s’approcha doucement. Dans le temps il aurai sorti son arc mais maintenant il n’était plus capable de se déplacer dans les arbres avec une flèche encochée. En approchant il entendit une voix qu’il connaissait, pas suffisamment pour la nommer mais tout de même, et au vu du discours ce n’était pas ladite voix qui était tombée. Alors, d’une branche voisine de celle dont la Noss chuta, l’épervier observa la scène et reconnu Aegden. L’image d’une ornedhel prisonnière de lianes fit sourire Lyorindel qui était tenté de descendre de son perchoir. Révéler sa présence était une mauvaise idée car s’il y avait une éclaireur il y en avait sûrement d’autre dans le coin ; après tout si les éclaireurs des elfes des cités fonctionnaient ainsi il n’y avait pas de raison que les Noss s'organisent différemment. Cependant l’épervier ne passerait pour rien au monde à côté d’une occasion d’humilier une Noss.

Alors il s’assura d’avoir une position stable avant de sauter, car terminer comme la Noss serait regrettable, puis il rangea sa dague, ça serai tout aussi dommage de se blesser durant le saut, et de se réceptionner avec une roulade aux côtés de ladite Noss. Lyorindel se dépêcha de reprendre sa dague au cas-où l’ornedhel tente de se retourner pour lui mettre une flèche dans le ventre, sait-on jamais, mieux vaut être prudents avec ces gens-là. Il aurai bien dit quelque chose mais il préférait attendre que tout danger soit écarté avant de fanfaronner.

Hérissée par la présence d'un énième taledhel, tu ne peux qu'assister à la démonstration de surprise de ses semblables. Hésitant encore quant à qui tenir en joue - cinq citadins pour une flèche, cela fait un peu de monde -, tu vois soudainement une lance filer dans ta direction. Par la Mère...! Sans que tu n'ais pu répliquer, un claquement organique retentit. De nouveau, tu chutes. Cette fois, le miroir vient à ta rencontre et se brise en mille reflets aqueux. L'onde se referme sur toi sans que tu n'ais lâché un son.

Dans le silence qui succède aux multiples vaguelettes, qui deviennent ridules puis s'évanouissent, des murmures se font entendre, et soudainement, les masses végétales des hauteurs se hérissent de pointes en os. Depuis le sol, les citadins voient là un visage qui s'esquisse entre les feuilles, ailleurs un arc qui se devine, jusque-là fondue parmi des branches dénuées de mousse. Depuis combien de temps sont-ils là ? Difficile à dire, pour qui n'est pas à l'écoute des murmures de l'écorce.

Ah, cette enfant... L'un a suivi sa jeune cheffe depuis le début, d'autres l’ont rejoint en silence. Observateurs amusés des déboires de celle qui les guide, puis tendus à la vue des citadins, et perplexes face à celui qui prit ses aises pour sauter, manquant de peu de finir à l'eau. Néanmoins, à la vue de la lance filante, l'un des jeunes leva son arc brusquement, prêt à tirer... Mais son aîné retint son geste, le gardant dissimulé, avant de coordonner deux autres, qui rendirent ainsi leur présence perceptible.

"Merci de l'avoir décrochée, la lance n'était peut-être pas la réponse la plus apaisante, qu'en pensez-vous ? clame une voix profonde, avec une pointe d'amusement. Qui êtes-vous ?"

Alors que les éclaireurs Iarin'Dath surveillent le moindre fait et geste des citadins, l'ainé qui a prit l'initiative observe les bulles finir d'éclater à la surface de l'étang, si paisible avant leur arrivée. La chute de l'ornedhel semble avoir remuer les fonds, rendant l'onde nacrée plus trouble. Que fait-elle ?

Le saut s’était bien passé, en tout cas vu tout ce qui aurai pu aller de travers c’était pas mal car au final Lyorindel fit une roulade au bord de l’étang, mouillant et heurtant malheureusement son épaule droite, ça lui apprendra à rouler à moitié sur un cailloux humide. Il se tenait prêt, dague en main, à tuer la noss si jamais elle présentait un quelconque danger même si sans couteau ni flèches et dans sa position c’était assez peu probable. Alors, avec un sourire triomphal il s’apprêtait à déclamer que c’était bien beau de se dire plus proche de la nature et de Kÿria si c’était pour se retrouver dans cet état mais l’exclamation d’Aegden le coupa dans son élan. Evidemment que c’était lui ! Bon pour sa défense la surprise du commandant était légitime, ce n’est pas tous les jours que des diplomates tombent, ou du moins sautent d’une branche, contrairement aux noss.

Son discours grandiloquent, et tout à fait objectif, sur la supériorité des citadins concernant l’agilité et la dextérité désormais ruiné, l’épervier se tourna vers Aegden pour lui répondre, c’est bien la moindre des choses. En se retournant il eut à peine le temps de voir le commandant lancer sa lance pour couper les lianes qu’il comprit les conséquences immédiates ; il faut dire qu’avec une épaule droite déjà humide il n’en fallait pas plus pour se rendre compte qu’un corps plongé dans un liquide ça fait splash et un gros d’ailleurs, un trop gros au goût de l’ancien éclaireur. S’il ne se trouvait pas à portée dudit splash Lyorindel aurai volontiers laissé un sourire fleurir sur ses lèvres voir échapper un gloussement cristallin mais ce n’était malheureusement pas le cas. Dans une tentative vaine de se protéger du tsunami qui déferlait, semblait-t-il, expressément sur lui, il se couvrit de sa cape de camouflage. Bon, avec le recul, c’est sûr que ça paraît stupide, sans recul aussi d’ailleurs, mais il faut vous mettre à sa place : imperméabiliser sa cape ça s’oublie bien plus facilement qu’on ne le croit. Une erreur de débutant certes mais ça démission de l’armée royale datait de près de trois siècles, ce qui laisse du temps pour oublier les bases. Il est ensuite facile de se demander comment est-ce qu’il a bien pu réussir à devenir épervier mais alors on en viendrait de fil en aiguille à se demander qui a bien pu nommer Aegden commandant de la milice d’Alëandir et on en sortirai plus. Mais pour le moment concentrons-nous sur ce qui importe vraiment, non pas la compétence des deux citadins mais bien l’apparition de sauvages dans les buissons. Au final tout ça est encore une fois est la faute d’Aegden, ses élucubrations et l’éclaboussure de la noss a empêché Lyorindel de faire attention à la Symphonie.

N’ayant évidemment pas envie de terminer en shish kebab il était bien sûr hors de question pour Lyorindel de dégainer son arc et d’encocher une flèche. En effet même s’il pouvait le faire en un mouvement et mettre en joue un adversaire, quel était l’intérêt s’il finissait avec plusieurs flèches dans le corps ? C’était justement la question que se posait l’épervier et il y répondit très succinctement par un « rien » laconique. Alors il leva les mains doucement en lâchant sa dague qui partit rejoindre celle de la noss dans l'étang. Mais ce n’était pas une raison pour se laisser capturer ; sinon il n’aurai pas fait long feu chez les éclaireurs. Au contraire, il comptait sur le fait qu’aucun des noss présents n’étaient des mages pour commencer à accumuler de la lumière dans ses poings fermés afin de les ouvrir au moment propice pour éblouir tous ceux qui jetaient un coup d’œil dans sa direction ; et vu qu’il avait lentement levé les mains pour montrer à tous qu’il n’était pas armé et qu'il était au centre, juste à côté de l'étang, c’était sans doute tout le monde. En tout cas tout le monde qui encerclait le petit groupe.

Il restait à voir si les elfes, citadins comme noss, allaient remarquer la légère surbrillance de la broche que portait Lyorindel et si c'était le cas, s'ils allaient faire le lien avec le sort qu'il préparait.

Il se croyait discret, l'elfe de pierre. Avec son arc et sa cape de camouflage, les yeux passent facilement à côté... Mais les oreilles et la peau, c'est une autre histoire. Une toute autre histoire.

Mes sandales aux semelles fines se glissent sur la terre chaude parmi les jeunes pousses qui jettent leurs plaintes. Écrasées, pliées, brisées. Elles ont vu passer un prédateur silencieux l'espace d'une seconde avant qu'il ne grimpe dans les hauteurs. Elles ont sentit la morsure de son dédain. J'ai craint qu'il ne soit en train de pisté l'un des enfants parti exploré les environs, vu qu'il en a suivi les traces pendant un temps, mais au final, il se dirige plutôt à l'azimut... Et vers notre camp le coquin.

Le fait qu'il passe par les branche m'a encouragé... Un sourire amusé sur les lèvres, je siffle une stridulation aérienne et mon pouce se pose sur l'anneau de bois qui cercle mon annulaire. Plusieurs fois, mine de rien, la forêt change légèrement, les arbres se penchent, tournent ou se ploient presque imperceptiblement pour le perdre. Mes amis de bois m'aident à l'éloigner en douceur, comme me l'a apprit Lorna. Et moi, je le guette de loin. Je tends l'oreille. Au sol, je suis son chemin à travers le réseau de sève qu'il foule au pied.

Un sifflement d'oiseau. Je souris et m'arrête. Mes yeux passent d'un vert chlorophylle à un bleu céruléen. Les éclaireurs viennent de prendre le relais. Je peux reprendre la chasse aux plus jeune et aller les débusquer dans les buissons. Deux se trouvent à quelques dizaines de pas... Mais un bruit de chute et un frisson me font faire volte face. Une incompréhension. L'oreille qui crève ma crinière ondulée se dresse. Les citadins sont plus nombreux. Beaucoup plus nombreux. Et il y a un mage parmi eux !?

Légère, je file de racine en racine. Les arbres défilent. Je saute un rocher, dérape sur une mousse, évite un chêne tout juste sorti de terre. Mon sari de de tissus colorés tranche sur les couleurs de la forêt et flotte légèrement autour de moi, dévoilant de temps à autre le pantalon de cuir que je porte en dessous ou la peau de mon ventre nu. Derrière un un tronc trois fois plus épais que moi, je m'immobilise et glisse un regard. La présence des éclaireurs happe l'attention des citadins.

En plus de l'homme seul qui nous cherchait, toute une équipée se trouve de l'autre côté de l'étang dans lequel surnage Faelwen. A leur tête, un grand homme à la peau aussi pâle que la mienne est sombre. Sur son visage scarifié, ressortent deux yeux sombres. Il n'a pas l'air vraiment plus âgé que moi, mais son maintient et sa position le désignent comme le chef de son groupe de guerriers... Même si ses cheveux me font pensés à ceux de Iurnin. C'est d'autant intriguant que ce n'est pas une couleur que j'ai déjà vu chez les citadins...

Mais reprend-toi ! Malgré ses paroles apaisantes, le chef a manqué percer de sa pointe l'écorce du grand cupiuba qui trônait derrière les lianes comme si de rien était Et l'homme qui avançait seul accumule de la magie que je ne reconnait pas.

Je jette un regard là ou est tombée Faelwen... Elle n'appréciera certainement pas que je m'en mêle.

- Non, nous ne souhaitons pas que cela s'envenime."

La voix du vieil Ilweran sonne au-dessus de ma tête. Au moins s'il est là, les choses ne risquent pas trop de dégénérer... Mais avec les autres dans le secteur et le campement non loin, il n'y a pas de raison de se détendre pour autant. Pourtant les arcs se détendent dans le chuintement feutré des flèche caressant le corps de corne de Fanuë...

- Mettre des noms sur des visages, cela les rend plus sympathique."

Mauvaise idée... Il faut que je fasse un choix. Vite. Rester à ma place ou prendre un risque avant qu'ils ne descendent. Un frémissement de feuille. Je serre les dents. J'inspire.

La main toujours sur le tronc de l'arbre rescapé, je fais les deux pas qui me séparent de la vue de tous. Droites sur mes jambes, le visage paisible, calme sans être froid ou distant.

- Vous semblez sincère, et je vous en remercie, mais acceptez que nous ne prenions pas de risque avant d'en être certains. " Mes grands yeux bleus soulignés de fines dentelles de peintures rouges se posent sur l'homme qui, sous prétexte de lâcher son arme en a préparée une bien plus retorse. " Laissez allez à son gré le don que la mère nous a fait. User de magie ne sera pas nécessaire à notre encore... S'il vous plait, Heru. " L'homme n'était déjà pas loin... Et tout en parlant, j'avançais encore à pas comptés, rassemblant tout mon courage pour ne pas craindre le coup que l'homme pouvait tenter de me porter.

En réponse à l'annonce de pareille fourberie, les oreilles se dressent et les arcs sont de nouveau bandés, cette fois avec une colère froide. Depuis les ombres végétales, l'aîné observe avec de grands yeux la jeune elfe s'avancer, inquiet de la voir ainsi à découvert. Et ces citadins, qui daignent lui répondre pour mieux gagner du temps...

Est-ce leur cas à tous ? Il s'interroge, car celui qui a parlé a semblé surpris de la présence du dernier venu. De plus, impossible de connaître les capacités du mage démasqué tant qu'il n'en aura pas fait la démonstration... Une perspective qu'il souhaiterait éviter. Cette pensée, cependant, le décide à agir. Rangeant son arc sur son épaule sous les regards perplexes de ses camarades, l'aîné file soudain à travers les branchages et bondit. C'est avec une agilité centenaires qu'il atterrit devant Ungwë et lève aussitôt les mains en signe d'apaisement, à l'attention des citadins. Entre les citadins et la jeune Noss, il y a donc un elfe de petite taille, basané et tout sourire, au visage légèrement marqué par l'âge.

"Juste des visages, c'est déjà bien." ajoute-t-il, dissimulant allégrement son inquiétude sous ses traits d'esprit.

Alors que cette scène se jouait, une onde s'est répandue sur l'étang. Remontant à la surface après avoir fouillé les fonds boueux à la recherche de ton couteau, sans succès, tu as pu néanmoins retrouver des flèches... Et assister, en toute discrétion, à l'arrivée de ta cadette. Concentrée sur tes mouvements, pour attirer le moins possible l'attention sur toi, tu n'en as pas moins ressenti une furieuse envie de bondir pour te jeter sur la troupe ennemi... Furieuse envie, que l'étreinte aqueuse calme sans mal, te contraignant à assister aux acrobaties d'Ilweran. Cet aîné... ! Des émotions conflictuelles te traversent, et tu te concentres sur l'instant présent, sur ce moment suspendu. Deux des tiens sont vulnérables. Ce sont déjà deux de trop. D'une poussée tu replonges, et te rapproches du bord où se trouve les citadins.

Quand tu remonte à nouveau, trempée, tes boucles cuivrées et le cuir qui te vêtit parsemés d'herbes aquatiques et de boue plaquées contre toi, c'est la tête haute, surgissant de l'onde avec un regard de défi. Ton carquois a retrouvé ses flèches mais ton arc est à ton épaule. Tu t'arrêtes face aux citadins, les dévisage chacun leur tour en silence, avant de t'arrêter sur celui dont la lance te fit chuter. Après une profonde inspiration, que certains pourraient interpréter comme un signe de colère, tu finis par lâcher, d'une voix profonde et froide.

"Merci. Puis tu te tournes vers l'agile maladroit. Cette fois, ton timbre se fait glacial. C'est à vous."

Sur la paume humide que tu lui présentes, au creux d'une poignée de glaise et d'entrelacs végétaux détrempés, est nichée sa lame, dont l'éclat métallique attira ton regard pendant ta remontée. Tenir un tel objet te révulse, mais tu y consens, si cela permets d'apaiser cette soudaine tension qui te fait craindre pour les tiens. Tu frémis sous leur regard, sans n'en rien laisser paraître.

"Partez. Cela vaudra mieux pour nous tous."

Aegden avait raison, ce n’était pas vraiment comme s’il avait eu un autre choix. Cependant Lyorindel leva un sourcil à la réponse du commandant. Un haut gradé qui participait aux patrouilles ? Il ne restait plus qu’à prier I Emël que les noss ne sachent rien de la position qu’occupait Aegden, à condition qu’ils comprennent le concept, sinon ils risquaient de se poser des questions et pourraient en venair à des conclusions malheureuses.

L’idée de garder sa peau intacte plut particulièrement à Lyorindel qui fut soulagé d’entendre que les deux côtés ne cherchaient pas à faire couler le sang. Pendant un temps l’ancien éclaireur resta tendu en ne voyant que les citadins rengainer et même si les noss débandèrent leurs arcs il n’empêchait pas que ces derniers pouvaient toujours tirer bien avant que quiconque ait le temps de réagir. Son cœur rata un battement en détectant un mouvement à sa vision périphérique et sans la voix fluette il aurai lâché son sort ; à sa grande surprise l’elfe qui sortit de la nature luxuriante n’était pas armée. A en juger par son visage encore enfantin cette dernière devait être dans un âge transitoire, plus vraiment une enfant mais pas encore tout à fait une adulte. Pourtant son maintien pouvait faire penser le contraire. Pendant un instant il voulut croire que c’était une adulte. Il restait sur ces gardes, croyant à un piège malgré les mots enrobés de miel.

Puis l'éclaireur se sentit honteux, celle qui s'approchait de lui n'était pas une adulte, en tout cas pas encore et voilà qu'il était prêt à user de sa magie contre elle, contre eux, contre d'autres elfes, contre d'autres taledhel. Il se rendit compte avec une certaine tristesse que sa cape de camouflage et à plus forte raison l’uniforme qu’il portait lui pesait bien plus que ce qu’il pensait. Lorsqu’il les portait il était quelqu’un de différent, un Lyorindel plus jeune de trois cent ans. De trois cents seize ans pour être exact. Avec cet uniforme il redevenait un éclaireur apeuré sur les berges du lac Uraal. Un éclaireur qui tentait vainement de sauver la vie d’Idranel alors que son Souffle s’échapait lentement de son corps ; il redevenait un soldat perdu qui n’arrivait plus à contrôler ses tremblements en contemplant ses mains couvertes de sang ; un soldat indécis alors que ses trois subordonnés attendaient anxieusement qu’il donne un ordre, n’importe lequel ; un soldat qui n’arrivait plus à faire la différence entre allié et ennemi.

La petite elfe venait de lui ouvrir les yeux. Les noss n’étaient pas des drows, avec ceux il était possible de discuter, de faire quelque chose autre que de s'entre-tuer. Alors Lyorindel fit quelque chose. Il changea la nature de son sort, ignorant le sauvage qui était sorti de sa cachette. Il ignora l'autre qui était sorti de l’étang et qui lui rendait sa dague, la laissant avec l’objet qu’elle abhorrait dans la main. Alors avec une lenteur délibérée l’épervier fit un pas vers la jeune adulte et mit un genou à terre, faisant fi de la boue qui s’accrochait à son uniforme. Toujours avec la même lenteur il leva ses deux mains au niveau de la jeune elfe puis il les plaça l’une à côté de l’autre avant de desserrer les poings avec un sourire triste. En lieu et place des deux explosions éblouissantes prévues ce fut d’abord une paillette de lumière ambrée qui s’échappa de sa main comme si elle était dotée d’une volonté propre. La seconde suivante, une autre paillette, puis une autre mais la quatrième était différente ; la quatrième était plus développée, comme si deux paillettes s’étaient retrouvées collées, ressemblant à s’y méprendre à un papillon bâtant des ailes. Puis Lyorindel ouvrit complètement les mains et laissa s’échapper une nuée de papillons de lumières qui s’éloignaient frénétiquement de leur créateur avant de disparaître.

S'il avait bougé lentement c'était certes pour montrer qu'il n'était pas une menace mais aussi pour avoir le temps de changer de sort, pour le désarmer.

Tout en m'approchant, je ne quitte pas le citadin des yeux... Et sursaute lorsqu'Ilweran touche le sol un pas devant moi. Je m'attendais à un geste inattendu de sa part, pas de la part des miens ! Ses mains vides s'écartent, à la fois pour dissuader le citadin de réagir et pour s'assurer que je ne le contournerai pas en moins de deux. Comme si je pouvais ne pas le remarquer !

Agacée, je pose la main sur le bras de l'éclaireur, soutenant le regard qu'il me lance par dessus son épaule. Ne puis-je jouer les intermédiaires ?! J'enseigne à nos jeunes et je partage la plupart des décisions de Lorna. Je sais quels risques je peux me permettre de prendre et celui-ci était calculé ! Ce n'est pas parce qu'il me portait sur ses épaules pendant les migrations quelques décennies plus tôt qu'il doit continuer à me traiter comme une enfant... Même si objectivement, ma peau dénuée de toute marque prouve qu'il a raison. Mais n'ai-je pas le droit à quelques contradictions ?!

Et comme si cela ne suffisait pas, Faelwen sort de l'eau pour se mettre entre Ilweran et l'étranger. Cette fois on peut dire que je ne suis plus du tout en danger... Et comme c'est elle, que pourrais-je bien avoir à y redire ?

Pour marquer le fait que je refuse de me cacher, je fait deux pas sur le côté, m'éloignant du bouclier vivant que forment mes deux aînés sans tenter de franchir la limite qu'ils m'imposent silencieusement... Ce que le citadin fait allègrement en glissant d'un pas dans ma direction, les mains toujours fermées sur une magie étrange. Je frissonne, mon estomac se tordant soudainement. Pas pour moi. Pour lui.

- Maïn... "

M'attendant à voir Faelwen retourner le couteau qu'elle tient contre son propriétaire, je lui lance une supplique et lève la main pour empêcher Ilweran de mettre plus que son bras entre moi et l'étranger... Qui met un genou en terre sans me quitter des yeux. Debout il n'était pas tellement plus grand que moi. Petit pour un elfe de pierre. Ainsi à genou, il n'était plus menaçant... Et son visage est si triste malgré son sourire. Ma gorge se serre malgré moi, au diapason d'une émotion qui ne m'appartient pas. Pourquoi ?

Puis ses mains s'ouvrent, doucement. Il montre par chacun de ses geste que ce n'est pas pour essayer de nous prendre par surprise. Et toujours ses yeux dans les miens semblent vouloir dire quelque chose. Seul un éclat de lumière blanche me fait détourner les yeux. Qu'est-ce que ?!

La surprise fait place à un sourire sincère en une fraction de seconde. Les papillons glissent dans l'air en projetant leurs étincelles sur les feuilles et les branches. Le visage humide de Faelwen et l'arc poli d'Ilweran en réverbèrent quelques éclats. Un éclat de rire m'échappe à demi malgré l'attention de mes aînés qui n'aiment surement pas ça.

Lorsque mon regard trouve celui de notre chef, je suis un peu plus détendu. J'ai fait ce qu'il fallait, j'en suis convaincue et même elle ne peux pas me... Bon peut-être pas en fait. Je ravale mon sourire éclatant et mes épaules se tendent sous son regard automnal. C'est tout juste si je ne déglutit pas en reportant mon attention sur l'étranger.

Pendant que le citadin à la chevelure flamboyante attrapait l'attention de ma chère supérieure, j'en profitait pour sourire une fois de plus à l'éclaireur, articulant à mi-voix un " Merci. " qu'Ilweran semble hésiter à me reprocher malgré sa bonhomie de façade.

Le chef en armure rutilante propose encore à leur compatriote de les rejoindre dans leur patrouille... et cette fois, c'est à mon tour d'arborer un sourire mêlé d'un certain malaise, une fraction de seconde avant de me détourner du citadin. D'un pas je me rapproche de Faelwen pour lui glisser hors du champ de vision et d'audition des elfes de pierre :

- Excuse-moi, mais avant de les laisser partir je crois qu'il est important d'interroger le solitaire. Je l'ai suivi pendant un temps avant qu'il arrive jusqu'ici. Il suivait nos traces. Il nous cherchait. " Et elles savaient toutes deux qu'une personne qui cherche quelque chose à toujours une raison... Et cette raison en l’occurrence, pouvait conditionner la sûreté de leur clan, aussi était-ce à leur chef de décider comment gérer la situation.

Lexique:

L'intervention de sa ta cadette suspend ton geste alors que, d'une rotation, tu as logé la lame honnie dans ta main de telle sorte que tu puisses la planter au moindre geste dans le dos de l'odieux mage. Cela, finalement, n'arrive pas, et ton souffle reprend, alors que la possibilité d'abattre ainsi un citadin avait gelé ton cœur. Prendre ainsi une vie, pour protéger une Noss dont tu as la garde...

Tes frémissements s'atténuent alors que tu abaisses ton bras, le regard étréci vers l'elfe agenouillé. Son geste, tu ne le comprends pas, ni aucune de ses actions d'ailleurs. Tu sais seulement que tu as encore la gorge sèche. Ton regard froid glisse sur l'éclaireur et Ungwë, pour se planter entre les omoplates du curieux. Lentement, la colère se loge en ton cœur.

Un geste que tu adresses aux éclaireurs dont on entend les cordes se tendre à nouveau. Quelques pas suffisent pour que le tranchant glacé repose dans la nuque du "Lyorindel" dont tu surveilles le moindre geste. Ilweran te regarde non sans une lueur d'inquiétude dans ses mires, mais arme son arc néanmoins, déterminé.

"Retournez dans votre labyrinthe de pierre, patrouille. souffles-tu, avec un coup d'oeil vers les citadins. Il vous rejoindra... Après qu'il nous ait dit ce qu'il recherchait. Ce qu'il a vu. Tu ajoutes, avec des lames dans ton timbre. Nous sommes à notre place, citadin. Rappelez-vous la vôtre."

De leurs bâtisses, ils défigurent la création de la Mère, puis en foulent le sol comme s'ils en étaient encore digne. Ta poigne se crispe sur le couteau immonde. Plus tard, tu discuteras avec Ungwë de sa folie, à se mettre ainsi en avant, en danger. D'abord... Il te faut éclaircir la situation.

Laisser une combattante, l’arme à la main, avec le désir profond et évident de planter ladite arme dans son dos n’est pas spécialement une bonne idée. Cependant Lyorindel l’avait fait. Ce n’était pas un acte réfléchi, loin de là ; ce n’était pas un risque calculé non plus, il avait arrêté d’en prendre depuis longtemps au vu de son piètre niveau en mathématique. C’était un saut de l’ange, un geste de confiance dont il avait désespérément besoin. Qu’il reçoive le couteau entre les omoplates et il aurait eu la confirmation, durant les quelques secondes qui lui aurait resté à vivre, que les ornedhels ne valaient pas mieux que les daedhels. Pourtant rien ne se passa, enfin presque rien. Le sourire de la petite noss valait bien le risque encouru.

L’appel d’Aegden attira l’attention de l’épervier qui se leva, chacun de ses gestes étaient faits avec une lenteur délibérée, après tout il était toujours à côté de la jeune adulte. Il acquiesça évidemment, si un commandant voulait lui parler qui était-il pour refuser ? Mais Lyorindel se figea en plein milieu d’un pas, son pied à quelques centimètres du sol. Puis il reposa sa jambe vagabonde à côté de la seconde, les arcs bandés ne donnaient pas envie d’avancer et même s’il avait eu l’envie il n’aurait pas eu le courage de le faire ; sentir la pointe de sa propre dague, qu’il savait avoir affûté il y a deux jours à peine, en ferait réfléchir plus d’un. Il leva les mains pour montrer pour la énième fois qu’il n’était pas une menace mais cette fois il n’était plus question d’user de magie, il n’en aurait pas le temps de toute façon, alors ses paumes étaient bien visibles de tous ; il n’y avait plus qu’à espérer que les sauvages comprennent qu’il n’allait rien tenter cette fois-ci pourtant l’idée d’un tête-à-tête avec des noss ne le comblait pas de bonheur.

Qu’était-il passé par la tête de leur chef pour qu’elle foule au pied les efforts de conciliation de tous ceux présents ? Une question à laquelle Lyorindel n’avait, malheureusement, pas la réponse. Alors, pour la première fois depuis son arrivée, il se décida à prendre la parole.

« Pas la peine de s’entre-tuer, je vais répondre à vos deux questions : je cherchais ma Gobe'Line… » Il regarda Aegden dans les yeux, l’épervier avait bien vu son inquiétude car il partageait la même. « mais je n’ai trouvé qu’un magnifique tatzelworm. »

- Non ! " Je me suis agrippée au bras de Faelwen en voyant la lame de métal se rapprocher bien trop vite du dos du citadin. Sans réfléchir. L'intervention de d'Ilweran m'empêcha de commettre l'irréparable en m'opposant physiquement à l'action de mon chef sous les yeux d'étrangers. Ses bras cueillirent les miens, m'éloignant d'un geste ferme avant de me relâcher. Mon cœur battait vite.

Ce qu'il baragouina n'avait pas de sens. On aurait dit un code. Mais pour signifier quoi ?! Il venait d’aggraver son cas du point de vue de Faelwen, j'en étais certaine. Je savais aussi qu'Ilweran ne me laisserait plus approcher d'un pas.

- Si nous ne trouvons pas un terrain d'entente, nous serons obligé de démonter le camps et de partir. " Nous voyagions depuis plusieurs ennéades maintenant, et nous espérions pouvoir profiter d'un mois ou deux, peut-être un peu plus comme nous le faisions parfois. Mais ce n'était pas la principale raison qui me faisait redouter la tournure des choses. Certes, aucun des citadins présents n'avait mon respect en tant que personne, mais malgré leurs erreurs, ils faisaient partie de l’œuvre et leur vie battait aussi fort que n'importe quelle autre. J'avais déjà du mal à poser les collets pour les lapins alors, oui, ce couteau à la lame luisante m'effrayait profondément. " Nous n'avons rien à gagner à une bataille d'orgueil. Nous risquerions seulement nos souvenirs. Pardonne-moi... Je souhaitais seulement connaitre ses raisons. Mais rien ne pourra forcer Lyorindel à nous dire la vérité dès maintenant s'il ne le veut pas. " Le nom des citadins m'est venu naturellement. Je ne l'avait entendu qu'une seule fois pourtant. " Ses frères de ville ne nous laisserons pas l'emmener sans verser le sang. Après tout, ils n'ont pas découvert notre camp. Nous sommes prudents. Et maintenant qu'ils savent que nous sommes par ici, ils veilleront à ce qu'aucun d'eux ne s'aventure aussi loin de leurs murs de ce côté-ci. "

Sans chercher à m'éloigner d'Ilweran, je faisait en sorte de garder la tête haute. Mes yeux bleus scrutaient le grand homme roux qui semblait aussi prompt a protéger les siens que Faelwen elle-même.

- Nous veillerons à ne pas nous croiser et tout ira pour le mieux. " Le couteau de métal attirait irrémédiablement mon regard. " Je t'en prie... Faelwen... "

Tels les nuages précédant l'orage, tes mires se rivent sur ta cadette, dont la langue est si déliée. Tu veilles à ce que ta respiration ne s'emballe pas, malgré les forces qui te tiraillent. Les intentions d'Ungwë sont louables, et ses déductions bonnes... Cependant, qu'elle les expose ainsi, aussi aisément, est dangereux,  au même titre qu'offrir sa gorge aux lames ennemis, en priant la Mère pour qu'ils n'en fassent rien. Tes paupières mi-closes dissimulent à peine le déplacement de tes mires, entre les soldats, le curieux, et ta cadette.

"Non, nous n'avons rien à gagner à verser le sang... Aujourd'hui. Tu souffles. Que proposes-tu, hén* ? Suggères-tu de les laisser repartir en comptant sur leur bon sens et leur bonne foi... ? Laisser ce mage libre d'espionner encore tes frères et sœurs, au gré de sa curiosité ?"

Ta voix est froide comme l'hiver, alors que le maelstrom de craintes se gèlent en ton coeur, en un noyau résolu. Tu ignores le regard d'Ilweran, les commentaires et remarques tantôt évidentes tantôt abscons des citadins, invitant seulement à poursuivre son raisonnement jusqu'au bout. Le tenant et les aboutissants. Les risques... Et les menaces.

Lyorindel voulut confirmer ce que disait la jeune adulte mais il ne voulait pas acculer leur chef, mieux valait lui laisser une porte de sortie. Cependant c’était un pari qu’il était prêt à prendre, soit la dirigeante de la Noss allait reculer pour sauver la face ou au contraire elle allait le blesser ou le tuer pour montrer à tout le monde qu’elle avait encore le contrôle de la situation. L’épervier ne la connaissait pas, c’était donc risqué, stupide même, pourtant c’était une option qu’il envisageait assez sérieusement après tout il faut bien prendre des risques, même des risques inconsidérés. Pourtant la jeune Noss n’avait pas tout à fait raison, la menace pouvait le forcer à avouer, si seulement il n’était pas un épervier entraîné justement pour ce genre de situation.

-Sa magie est celle de la lumière. Nos esprits et nos mémoires n'ont rien à craindre de lui sur ce plan. Quant à savoir s'il nous espionne... Nous l'avons repéré et intercepté bien avant qu'il se rende jusqu'à notre camp. N'est-ce pas la preuve que nous n'avons rien à craindre de lui ? "

La phrase toucha Lyorindel en plein cœur. Certes il n’avait pas paru très efficace jusqu’à présent mais c’était tout de même cruel.

« Alors… » Lyorindel prit une longue inspiration avant de continuer sa phrase : « si je puis me permettre, l’enfant à raison. » Ça lui faisait mal de le dire mais plus ses adversaires le sous-estimait mieux c’était pour lui. « Je suis un mage de la lumière, un type de magie qui n’est pas spécialement réputé pour sa discrétion. De plus si j’étais un espion, je ne me serais sans doute pas fait repérer par une hén, comme vous le dites si bien. »

Ton regard se pose sur le dénommé Lyorindel, étrangement froid et vide. Leurs paroles sonnent creuses à tes oreilles : Ungwë, naïve, sous-estime l'adversaire; le citadin, menteur, tente de se faire oublier. Cependant, tu ne peux accepter de fermer les yeux sur ses intentions. Laisser libre, tu présentais qu'il ne manquerait pas de revenir, de les chercher encore... Vous, ou d'autres Noss. Un imbécile à la curiosité dangereuse, en somme. La mort exceptée, tu ne voyais pas d'autre moyen d'en être définitivement libérée qu'en le rendant inoffensif. Définitivement.

Ilweran a à peine le temps de lire la résolution sur ton visage avant que tu ne plantes la lame d'acier honni dans le bas du dos du citadin.

Ce qu'il porte n'est qu'un uniforme. Nul bois, écaille, acier pour protéger sa chair, rien que du tissus. A vrai dire, tu es même surprise par l'efficacité de la lame, comment elle coupe nette la corde de l'arc, à quelle point elle s'enfonce, glisse à travers le vêtement, la peau, la chair... Ton coup n'en est que plus précis, efficace. Le bas du dos. La colonne vertébrale. Sans la maîtrise de ses jambes, il ne pourrait plus jamais s'approcher discrètement des tiens. Par précaution, tu te permets même une torsion du poignet.

Retirant la lame presque aussi vite que tu l'as plantée, tu la lâches, aussitôt dégoûté par ton geste. Non, cela ne peut être, tel est ton choix, cela est pour le mieux. Saisissant ta victime par le col, avant qu'elle s'effondre, tu la jette sur ses camarades et te recules aux côtés de ton aîné et ta cadette. Sans les regarder. La priorité est de chasser les citadins à présent. Avec une efficacité glaçante, tu armes à nouveau ton arc et en menace les soldats. Tes yeux sont peut-être trop écarquillés, ton visage trop vide... Pourtant, ta voix se fait entendre, ferme, décidée... Insensible.

"Partez et emmenez-le. Vous pouvez le sauver si vous ne tardez pas. Ainsi blessé, il ne pourra plus rôder là où il ne doit pas sans que nous ne le sachions."

HRP:

Le regard de Faelwen a transpercé ma peau et s'est répandu dans mes chairs jusqu'à geler mes os. J'aurais pu me brisé au moindre choc. Et pourtant je me suis forcé à garder un ton égale en appuyant sur les soit-disant faiblesses de l'étranger pour calmer ma sœur. Il serait toujours temps d'en reparler plus tard. Il fallait qu'elle lâche ce couteau, je n'avais que ça en tête... Seulement qu'elle le lâche.

Heureusement, le citadin a compris mon manège ou accepté son infériorité. Dans tous les cas, il n'a pas cherché à se montrer sous un meilleur jour que celui que je venais de dépeindre, au contraire. J'aurais aimé le remercier d'un sourire, mais seul son dos était visible et j'avais toujours la lame luisante d'eau en ligne de mire.

Et je n'ai vu le tressaillement d'Ilweran que trop tard. Il avait essayé de maintenir le statut quo. Il ne voulait pas plus que moi que les choses dégénèrent, mais pris entre son devoir envers son chef et son opinion personnelle, il avait hésité. Et l'instant avait suffit.

Sous mes yeux, le couteau s'est enfoncé dans le cuir et le tissus. Je ne me suis pas vraiment rendu compte du cri que j'ai poussé. J'étais tétanisée au point de ne pas réussir à me jeter sur Faelwen pour lui arracher le couteau des mains. Il était déjà trop tard. Elle le tenait par le col... Et mon esprit demeurait blanc. Je pense ne jamais avoir été plus choqué par quelqu'un de mon clan. Elle venait de l'attaquer de sang froid alors qu'il était sans défense et qu'il ne demandait qu'à partir. Malgré tout ce qu'il pouvait y avoir de non dit entre nous, nous restions liées par le sang. Ma propre sœur. Elle venait... de... Les larmes me sont montées aux yeux en une fraction de seconde et je ne pouvais que les retenir maladroitement. J'avais détourné le regard des actes horribles que pouvaient faire les chasseur du clan. De la chasse et de la mort. On m'avait toujours dit que personne ne pouvait faire autrement. Mais ça... Je n'avais pas de mots.

- Nous n'attaquons pas les premiers. Ce n'est pas... " Pas quoi ? Pas juste ? Pas nos traditions ? Pas ainsi que nous protégions nos mémoire ? Pas bien ? Pas digne de la Mère ? Pas la bonne solution ? Pas ainsi que nous resterons les bienvenus dans toute l'Anaëh ? Ilweran n'a jamais fini la phrase qu'il venait d'adresser à sa chef.

Et comme si cela ne suffisait pas, elle a balancé Lyorindel en avant. Il n'était rien. La façon dont ses jambes se sont dérobées sous son poids est restée gravée dans ma mémoire. Chaque étape. Chaque mouvement se déroulait au ralentis. L'onde qui s'est propagée dans la mousse au moment de l'impact est remontée jusqu'à mon dos pour me sortir de la torpeur.

Je n'ai plus hésité. En me voyant bouger Ilweran s'est retourné pour tenté de m'arrêter. Fluette, je passait sous sa garde pour me jeter en avant, occasionnant un nouveau mouvement d'arme de la part des deux camps et  heurtant au passage l'épaule de Faelwen. Avant que le grand homme aux cheveux roux l'ai accompagné jusqu'au sol, j'étais déjà près d'eux, à genoux. Le chef aux cheveux roux s'est tourné vers moi, près à me frapper.

- Laissez-moi voir sa blessure...

Il ne s'est pas plus intéressé à ma présence mais je ne pouvais pas prendre le risque de relever ou d'enlever sa tenue de cuir pour m'occuper de la plaie sans penser à l'emplacement du coup. Connaissant Faelwen, c'était même celui-ci qui me glaçait le sang. Je l'avais vu recentré le couteau et le coup avait été violent. Le Chef citadin menaçait verbalement les miens et le restes des clans Noss. Et je n'ai rien dit. Je ne pouvais rien dire. Le plus doucement possible à travers les diverses couches de vêtements, j'ai commencé à palpé les contours de la blessures... C'est bien ce que je pensais... Pile entre deux vertèbres. L’hémorragie n'était pas tant à craindre que les séquelles sur le mouvements. Kÿria nous gardes.

Posant les mains à terre, je fermais les yeux et laissais aller mes sens le long des tiges et des herbes pour plonger dans la terre. Connectée au rythme lent et fluide de la sève, la Symphonie n'en était que plus forte... Et plus agitée. Cela n'a pas pris beaucoup de temps. Quelques jeunes pousses à proximité feraient l'affaire. Le chef de venait juste de se tourner vers son camarade pour s'assurer qu'il allait bien quand j'ai rouvert les yeux.

- Partez ! " Ma voix habituellement posée malgré son timbre haut, est partie dans des aiguës en se brisant à moité au passage. Le regard que je leur est lancé... J'ai pu voir la surprise dans les yeux d'Ilweran à défaut de ceux de la responsable de cet acte barbare. Ce n'était pas vers les citadins que je m'étais tournée. Je regardais les miens dans les yeux et ils ne pouvaient pas douter de ma résolution. " Dit à Lorna, Tuo et Alcariël que le Première fera ce qu'il faut. " Par mégarde, j'ai croisé le regard vide comme l'oubli de Faelwen en me retournant vers le blessé. Ce vide abyssal... J'ai serré les dents, mais la bile me montait dans la gorge. Je ne pensais pas pouvoir émettre un grondement aussi haineux... " Tu viens de bafouer la Voie la plus basique de notre Mère. C'est comme pour Alcariel... Une femme qui laisse sa peur la guider ne devrait pas être chef. " J'essuyais mes larmes d'une main rageuse pour me tourner à nouveau vers le Chef aux cheveux roux, me baissant pour attraper son regard.

- Il n'y a rien à faire maintenant. Sa colonne de vie est touchée. Il faut le transporter rapidement dans votre antre de pierre. Je peux faire en sorte  de comprimer sa blessure et que son dos ne bouge pas... " Il me fallait uniquement l'autorisation de procéder.

Lyorindel allait ajouter quelque chose, il avait laissé sa phrase flotter dans l’air pour que les noss s’en imprègnent bien. Pour qu’ils la digèrent. Mais au moment d’ouvrir la bouche une peur primale enserra son cœur dans sa poigne glacée, le broyant sans autre forme de procès ; un peu comme lui n’avait pas eu le droit à autre chose qu’une exécution sommaire de la sentence. Un éclair de douleur traversa son dos pour remonter sa colonne vertébrale, son premier réflexe fut de bouger, de s’éloigner tant que possible de cette douleur aussi sourde que soudaine mais déjà ses jambes ne lui répondaient plus. Ses genoux, privés de leur force, se dérobèrent sous son poids qu’ils étaient maintenant incapables de porter et l’épervier s’effondra. Ce fut une chute longue, très longue, trop longue ; une chute qu’il ne tenta pas d’amortir avec ses bras, certain qu’il était de pouvoir la contrôler ou rebondir. Ses yeux écarquillés regardèrent pendant longtemps Aegden alors qu’il ne comprenait pas encore ce qui se passait puis la réalisation d’avoir perdu le contrôle de ses jambes le heurta en même temps que le commandant d’Alëandir. L’air quitta ses poumons à l’impact et il se retrouva à essayer de respirer, paniqué, comme un poisson hors de l’eau. Sauf que Lyorindel n’avait pas le loisir de sauter dans tous les sens. Alors il resta au sol. Il y était bien, il ne souffrait pas, le sang qui quittait son corps commençait à imprégner son uniforme puis sa cape et la chaleur le réconfortait plus qu’elle ne l’effrayait. Ainsi, sous le choc, incapable de parler, il se mit à penser.

Au final s’il y avait bien une chose qu’il regrettait, c’était bien sa décision. Il se sentait infiniment stupide, il savait qu’il aurait dû lancer son sort, éblouir tous ceux présents et dégainer puis bander son arc. Faire confiance à des ornedhels, à des sauvages, quelle blague ! Mais au final c’était lui la blague, désormais il se rendait compte, même s’il aurait préféré ne pas l’apprendre à la dure, que son uniforme pesant était un mécanisme de défense et non une quelconque punition qu’il s’infligeait ; s’il se souvenait d’Uraal avec tant de clarté ce n’était pas que par honte mais aussi pour qu’il en tire des leçons, une chose qu’il avait visiblement été incapable de faire. Les noss étaient comme les drows : stupidement violents et sans aucune considération pour les autres. Même si l’ancien épervier ne s’en était pas encore rendu compte, en le privant de ses jambes la chef venait de le priver de sa vie. Que pouvait-il faire sans sa mobilité ? Rien. Tout ce pourquoi il avait été entraîné, préparé, absolument tout incluait des déplacements. En le privant de ses jambes la noss s’était assuré qu’il ne vienne plus les espionner mais elle avait au passage détruit sa vie. Pire encore qu’une mort. S’il avait été tué, il aurait été honoré, oublié vite certes mais on l’aurait peut-être loué pour son sacrifice, un épervier mort dans l’exercice de ses fonctions. Là il allait devenir un fardeau, incapable d’aider sa communauté comme il le faisait avant. Il ne savait pas s’il pouvait continuer à vivre en étant inutile, en ponctionnant les ressources de l’Anaëh sans aider, sans donner quoi que ce soit en retour. Mais ça c’était une réflexion qu’il allait avoir plus tard, à condition de survivre, chose qu’il n’était pas certain de vouloir.

Pour le moment il se demandait simplement pourquoi, pourquoi est-ce qu’elle avait fait ça ? Fermant doucement les yeux Lyorindel sombra paisiblement dans l’inconscience.

Des cils cillent sous l'accusation, tandis que ton regard se fait trouble, un infime instant, avant de reprendre sa fixité de cristal. Naïve, si naïve... Une lance de colère te frappe, face à Ungwë et ses belles idées, au chevet de ta cible. De quelle voie de la Mère parles-tu, hén* ? Songes-tu, avec une ombre de tristesse. Face à toi, il y a cette enfant qui t'évoque la Mère sous la forme d'I Emël; le citadin flamboyant, lui, se présente comme Hiril Lothren, de même qu'Ilweran; et toi, toi... Tu te sens sombrer et prendre les atours d'Hiril Lothren.

"Ignores-tu que les voies de la Mère sont multiples ? souffles-tu doucement, si doucement. Que dois-je penser d'une Première qui n'a de cesse de mettre ses Souvenirs en danger... ?"

En disant cela, ton regard se porte sur le taledhel couché au sol, désormais inconscient. L'idée même qu'il eut pu tenter de s'approcher du camp à votre insu t'est insupportable. C'est pourquoi la pensée qu'il ne le pourra plus devrait t'être un soulagement. Devrait. Pourtant, tu as si froid, sous les regards de tes semblables. N'attend pas d'un ennemi irrespectueux qu'il garde ses distances quand tu l'en sommes. Lentement, tu baisses ton arc.

"Ungwë..." dis-tu.

En quelque pas souples, subitement détendus, tu te rapproches et te mets à son niveau. Le corps à tes pieds, tu n'en as cure. Tu ne vois que cette jeune Mémoire, en proie au trouble, choquée... Si jeune... Tu ne comprends pas. Tu ne vois pas. De ton côté, tu te sens plus légère. Ton bras n'a pas tremblé. Tu as fait ce qu'il te semblait juste. Les voies de la Mère sont multiples... A osciller entre l'une et l'autre, tu doutais, hésitais. A présent... Ton choix est fait.

"Comment peux-tu croire qu'il ne reviendrait pas ?" souffles-tu doucement.

A peine t'es-tu accroupie qu'elle te gifle. Cela te surprend, mais te laisse sinon de marbre. Sans importance.

Quand son regard se lèves vers toi, cela te vient sans hésitation, malgré ta joue endolorie, car tu sais : le refus, son abnégation, son incompréhension... Elle est un danger pour elle-même. Si inconsciente. Cela te parait si simple : tu dois l'emmener à l'abris. Ton poing la frappe au plexus solaire, rapide et puissant. Dans un même temps tu l'enlaces et la mets sur ton épaule, tout en te relevant. Souple, fluide, décidée. Les mires que tu portent sur le groupe de soldats et leur camarade à leurs pieds est triste. Tu regardes tout particulièrement le premier a avoir parlé.

"Vous aviez respecté les limites. Lui, les a franchit sans hésitation ni respect. déclares-tu, froide et légère.. Telle est son châtiment, notre avertissement. Si vous n'en tenez pas compte, c'est que sa conduite ne vous semble pas si déraisonnable."

Déraisonnable... Ce que ce mot est faible.