Assise dans sa cellule, la petite elfe regardait ses doigts. Elle avait fini par accepter… Accepter ce qu’elle était. Accepter que ses mains ne puissent que faire du tort à ceux qu’elle touchait, et particulièrement à ceux auxquels elle tenait.
Ici, elle était suffisamment loin d’eux… Elle ne pourrait pas leur faire de mal. Sa place était ici.
De son pouce droit, elle frotta son index gauche pour en faire partir ces tâches rouges qui avaient finies par sécher et virer au noir. Don’dar était satisfait de son oeuvre et l’avait remise au travail. Elle avait du retard à rattraper et était si souvent de sortie… Puis elle revenait sagement dans sa prison.
Lui qui aimait le goût du spectacle, il avait amélioré la qualité des prestations de son esclave en lui fournissant une tenue, une perruque et un masque qu’il lui faisait mettre à chaque fois. Mais les gants ne la protégeaient pas toujours du sang suivant comment il lui demandait de tuer ses victimes…
Lorsqu’elle prenait une vie, elle ne ressentait rien.
Ni joie, ni satisfaction, ni soif étanchée, ni peur, ni horreur…
Rien…
Autrefois elle passait ses journées à attendre entre missions et séances de torture sans qu’aucune émotion ne la traverse, pas même l’ennui. Aujourd’hui, elle attendait toujours… Mais son coeur saignait. Il saignait de peine et de mélancolie mais aussi de regret devant tout le mal qu’elle avait fait à ses amis… Ou qu’elle était persuadé de leur avoir fait tant ses souvenirs étaient confus à cause des manipulations de Don’dar. Seraient-ils capables de la reconnaître à présent ? Tous ses os avaient été brisés plusieurs fois. Son corps étaient couverts de cicatrices aux origines si différentes les unes des autres. Elle n’avait plus rien de la beauté de la race sylvaine. Pourtant, pas d’amputations. Simplement de la peau tranchée, déchirée, arrachée. Un peu partout, y compris sur le visage…
Elle aurait du mal à se reconnaître elle-même si elle pouvait se voir.
La porte du bout du couloir grinça et la petite elfe releva les yeux de ses mains sales et observa les ombres se mouvoir. Ici, il n’y avait jamais aucune lumière mais cela ne la dérangeait pas pour voir clair. Ses yeux se tapissèrent de noir et c’était comme si elle était en plein jour. L’un des employés de son maître tirait un corps inanimé par le col. Il le jeta sans ménagement dans la cellule d’en face, ferma à double tour puis s’en alla sans même prêter attention à la frêle silhouette dans les ombres.
Le silence envahit la cave humide dès que la porte en fut fermée. Sans un bruit, Macabre se leva et se rapprocha de la grille ouverte de sa geôle. Elle posa son épaule contre le montant et observa chez sa voisine d’en face. Aucun mouvement… Mais ses oreilles percevaient les pleurs qui en émanaient.
-Miresgal. Appela-t-elle.
Depuis qu’elle était telle que Don’dar la voulait, Macabre faisait l’objet de bien moins d’intérêt. Elle était régulièrement torturée mais il s’agissait plus de rappels de sa condition que d’une réelle volonté de lui rappeler qui était le maître. A présent, la Noss était au centre de toutes les attentions… Si la petite elfe ne disait rien lorsqu’on lui faisait mal, c’était qu’elle y était trop habituée pour avoir une réaction. Elle savait ce qu’était la douleur. Elle pouvait crier lorsqu’elle était violente et brusque mais le son de sa voix était bref et se mourait aussitôt. L’ornedhel n’avait jamais autant souffert que depuis qu’elle avait découvert cette salle sans fenêtre et où il régnait une odeur nauséabonde. Et, malgré ce que l’on pouvait croire, Macabre était tout à fait capable de comprendre ce qu’elle endurait. Même si elle ne se souvenait pas de tout, elle savait ce qu’ils essayaient de faire. Et tout ce qui pouvait la sauver, c’était son prénom…
-Miresgal.Elle l’avait appelé au moins vingt fois mais la petite elfe continuait sans relâche, lui laissant le temps d’entendre chaque syllabe, de les intégrer, de les reconnaître, avant de l’appeler de nouveau. Cela prenait de plus en plus de temps à chaque fois mais elle avait toujours fini par lui répondre. Macabre y passerait une heure s’il le fallait mais elle n’arrêterait pas tant qu’elle ne lui aurait pas répondu.
-Miresgal.-Sss…La petite elfe releva la tête et prêta un peu plus l’oreille. La Noss ne pleurait plus. Elle attendit quelques secondes.
-Miresgal.-... Sssi…Elle se rappelait. Elle tattonait sur son prénom mais elle se rappelait. Ce n’était pas le moment d’arrêter.
-Miresgal.-Ci… Cir..yi-ë. Ciryië.Macabre soupira à demi, soulagée. Puis elle perçut le bruit des vêtements froissés. Après quelques instants, elle comprit que Miresgal se traînait jusqu’à la porte de sa cellule. Elle attendit, se plaçant de l’autre côté du montant de sa geôle pour la voir arriver au plus tôt. Elle finit par lui apparaître. Elle se tenait un bras, évitait d’utiliser une jambe, son visage était ensanglanté deci delà. La petite elfe connaissait suffisamment leurs méthodes pour savoir ce qu’elle avait subi.
Lorsqu’elle fut suffisamment en vue, la Noss se redressa pour venir s’appuyer sur le mur, à l’image de Macabre. Elle la regarda une seconde. Elle était épuisée et avait mal partout… Mais, contrairement à sa comparse avant elle, elle avait quelque chose auquel se raccrocher pour ne pas sombrer.
-Merci… Finit-elle par lâcher dans un souffle.
La petite elfe ne parlait toujours pas sa langue mais, pour une fois, elle n’en avait pas besoin pour comprendre ce qu’elle venait de lui dire. Elle lui répondit par un hochement de tête et Miresgal laissa sa tête venir se poser contre la pierre à son tour dans un long soupir. Sans cette fille étrange, elle ne serait plus que l’ombre d’elle-même.
Si elle avait enduré toutes leurs tortures sans broncher pendant plusieurs mois, l’esclave ne cautionnait pas pour autant ce qu’on faisait à la Noss et tentait de la préserver de ce qu’ils voulaient lui faire… La préserver du sort qu’elle-même avait enduré, car, elle en était sûre, Ciryië était déjà passé par là.Qui qu’elle soit et même si elle obéissait à ses maîtres aveuglément, Miresgal avait conscience qu’elle lui devait d’être toujours là…