À la recherche des mémoires [ Aegden / Lyorindel ]

3e ennéade de Barkios
16e année du Onzième Cycle

Les doigts de ta main droite redessinent le pourtour des gourdes accrochées à ta hanche, comme pour s’assurer encore une fois qu’elles étaient bien là. Ton cœur s’accélère légèrement à l’idée de peut-être avoir à te servir de leur contenu. Tu aimerais autant ne pas devoir en arriver là. Que le fruit des recherches de ta mère ne reste qu’un puissant antidote aussi longtemps que possible. Même s’il avait été depuis le début aussi pensé en tant qu’arme.

- Chaque patrouille a son itinéraire, son avis de recherche et son faucon ?

Ta main vient flatter l’encolure de Vìrin, espérant calmer la Caëngal quelque peu agitée par la tension ambiante. Pour elle tout cela n’a pas l’air bien différent de la guerre. Ce n’est qu’à la guerre et à l’entrainement à la guerre qu’elle a jamais eu l’occasion de côtoyer tant d’autres Féliniers à la fois. Et avec la nuit qui tombait, l’obscurité vous serait autant un avantage qu’un inconvénient. Tes camarades seraient de plus en plus crispés au fur et à mesure que les Lunes monteraient, et que les Mirages approchent de leur seuil de tolérance à la fatigue. En réponse, Vìrin se prouverait certainement plus difficile à contenir plus les ténèbres seraient intenses.

Heureusement, ce soir les Lunes sont pleines.

Quand tous t’ont confirmé être prêts, tu appelles ta monture à faire un pas en avant, te séparant du lot le temps de quelques dizaines de secondes. Juché haut derrière les épaules de la féline, tu adresses un dernier regard à tes congénères, un dernier commandement silencieux. Rien ne devait leur échapper. Toute votre zone d’exploration devrait être passée au peigne fin. Revenir bredouille se devait d’être synonyme d’un clan s’étant empressé de quitter les frontières du Protectorat. Aux Protecteurs voisins par la suite de gérer leur présence.

- Vous, de votre côté, n’oubliez pas que les directives de Cinnaeth sont prioritaires sur les miennes. La recontre avec Peth’Idren se doit d’être concluante.

Une œillade discrète en direction de Lyorindel, une plus remarquable vers Aegden, qui guiderait ton escouade, et tu te replaçais en position de départ. Le bras levé haut, paume de main ouverte, tu prononces tes derniers mots.

- Qu’I Ëmel guide vos pas.

Ta main ouverte se fait poing, et ton poing descend à l’encolure de ta monture d’un mouvement sec. Les félins sont lancés.

Le destrier portant Aegden et son félinier vira brusquement vers la droite. Vìrin réagit instantanément, mais plutôt que de les suivre, d’instinct elle prit une trajectoire tangente, de manière à ce que vous avanciez dans une approximative parallèle, permettant à votre duo de couvrir le maximum possible de terrain. Le Mirage oscille entre eux et toi, s’autorisant à l’occasion à gagner un peu d’altitude pour garder l’œil sur ses congénères, véritables balises vivantes signalant la position de vos collègues.

Les dernières lueurs du crépuscule ont disparu. Les deux Lunes sont vos seules sources de lumière. Le battement des ailes de vos sentinelles ne s’étendra pas beaucoup plus longtemps. D’ici quelques heures tout au plus les faucons iraient chercher un sommeil que vous ne pourriez pas leur interdire, et si d’ici-là vous n’aviez pas encore repéré votre cible, alors vous ne pourriez plus compter que sur vos propres sens et sur ceux des Caengal pour vous repérer. Autrement dit, la communication entre vos différents groupes deviendrait soit extrêmement compliquée, soit extrêmement indiscrète.

Espérons que la grande découverte ne tarde pas.

Vìrin ne ralentit pas le pas, mais sa trajectoire se courbe légèrement. Décrivant un grand cercle, elle revient sur ses pas, t’emportant avec elle dans une  large révolution autour d’un point dont le mouvement lui allait dramatiquement décroissant. L’autre félinier s’était presque arrêté, certainement sur ordre d’Aegden. Le Mainyth devait soit reconnaître les lieux, soit fort de sa meilleure connaissance de la cible, avoir perçu un indice qui vous aurait échappé quant à la direction qu’elle aurait pu prendre.

S’il y a âme qui vive assez proche d’ici tu l’entendras.

Tes yeux scrutent, utilisant les rayons de Lune à leur avantage, alors que ta monture choisissait au contraire soigneusement votre position pour se fondre au mieux dans l’ombre des feuillages. Tes oreilles dansent contre tes tempes comme celles d’un chat, celles de ta partenaire s’en faisant le parfait miroir. Tes nasaux s’emplissent de l’air ambiant, se rêvant aussi sensibles que la truffe du Faïra. Mais là où les cinq… non… les six sens que tu partages avec l’animal ne te suffisent pas, il t’en est un septième bien moins faillible dans la mission que vous vous êtes donnés.
Tu souffles, tes doigts se serrant sur le sceptre dans ton dos. Tu défourailles ton focaliseur, tes yeux se ferment, et tu prends le temps d’entendre, de ressentir, de chercher, d’explorer ton environnement. Des pulsations allant du fébrile battement du brin d’herbe à la grosse caisse du grand félin s’entrecroisent dans un monde de rythmes vitaux dont tu t’appliques d’abord à trier les essences, pour ensuite les relier ensemble, et finalement te servir de leurs échos pour porter ton exploration plus loin. Le rythme des bonds de Vìrin change, le rayon de l’ellipse décrite autour de tes camarades de battue se resserre d’autant que ton univers s’élargit et s’enrichit en palpitants.

- Faites attention à vous. tu ordonnes aux deux autres, Vìrin arrivée tout près Il y a des présences non loin.

À cette distance, des pulsations de cette force pourraient être celles d’elfe comme celle de grands mammifères. Mais la sécurité prime. Aucune d’entre elle n’était une option que vous pouviez vous permettre de d’ignorer. Les premières ne s’étaient avéré être qu’un couple de Fanuë cherchant un abri pour la nuit. La seconde, tu étais loin d’avoir besoin de t’en approcher jusqu’à portée de vue pour comprendre qu’il s’agissait là d’un Kerkand en chasse. Les suivantes par contre… les suivantes il faudrait que vous vous en approchiez plus pour que tu puisses en identifier l’espèce.

- Une distance. Cinq distances. 20° Sud Est.

Le félinier hoche la tête, et dans le silence le plus profond, s’écarte avec Aegden et sa monture à travers les arbres. Vìrin et toi feriez de même à l’opposé, pour décrire une amande à travers la forêt.
Une distance pour la mesure de l’espace qui vous séparera à la plus grande largeur de l’amande.
Cinq distances pour l’écart à vol d’oiseau entre votre point de séparation et là où vous vous rejoindriez.
Encore quelques temps avec le Mirage pour vous aider.

Pour limiter la douleur, je faisais attention à garder une respiration égale. En quittant le camp, j'avais pris un moment pour laisser mon esprit courir le long des racines, des rhizomes, des branches, sauter de graine en graine et tendre l'oreille au moindre murmure. Localiser les déplacement de ces boules de colère et d'instinct bridé par l'asservissement était aussi facile que d'entendre un ours galoper en hurlant. Ils étaient encore loin, mais cela ne durerait pas. J'ai hésité un moment à retourner prévenir le clan, mais si j'avais pu le sentir, Lorna le savait avec plus de précision encore. Un regard échangé avec Alcariël et nous nous mettions en route à grand pas sans que je ne relâche ma concentration.

Les murmures et les chants m'apaisaient. J'espérais que Faelwen ne tenterait pas de nous suivre, mais je n'avais qu'un espoir mesuré. Entre mon savoir et celui d'Alcariël, fondues parmi les créatures de l'Oeuvre, les deux Noss que nous étions ne provoquions pas le moindre murmure. Nos frères de sève nous regardaient passer avec leur bienveillance silencieuse tandis que nous nous rapprochions en lacet de nos cibles mouvantes.

Qu'allais-je leur dire ?

La nuit se refermait sur nous. Tout en marchant, récupérais dans ma besace l'une des cornes dont je m'étais emparée dans les affaires de Lorna. Du bout du pouce, je traçait un cercle sur ma gorge avec l'étrange huile blanchâtre que contenait le petit récipient avant de le ranger. Le contact froid me fit frissonner, mais nous avions d'autre choses à faire. Avançant toujours d'un pas égal, je récitais en un murmure continue les paroles du rite de la lune de printemps. Ce serait le strict minimum... Et peut-être la Mère du Monde se pencherait à mon oreille.

Le groupe le plus proche était tout a fait réduit. Ils semblaient attendre, hésiter près de l'étang où nous nous étions rencontré durant l'après-midi. Tant mieux, ils m'écouteraient plus facilement... Mais leur mouvement changea brusquement. Ils venaient dans notre direction avec une précision anormale. De quelques signes, j'informais Alcariël et l'entrainait dans une direction que nous avions interdite aux jeunes lors de notre installation dans le secteur. J'avais promis de faire attention et si nous devions finir par nous enfuir, ce serait bien plus simple avec l'aide de la Forêt... Et sans leur supériorité numérique, ils seraient peut-être moins enclin a faire couler le sang.

En haut d'une butte abrupte, nous les attendrions donc dans une trouée au centre de laquelle une source rocheuse glougloutait en un bassin à peine assez grand pour qu'une personne se plante au milieu avec de l'eau jusqu'à mi-mollet, avant de ruisseler en un fil luisant jusqu'aux racine d'un énorme cerisier.

Les deux battements de cœur en rejoignaient donc trois autres, tout aussi large et forts.

Trois cœurs qui nous accueillir avec curiosité, puis avec bienveillance. Un front contre le mien. Des mains curieuses caressant les cheveux d'Alcariël. Le ronronnement sourd de la créature de frottant amoureusement contre sa hanche. Et nous étions autorisés à rester.

En attendant que les Citadins n'arrivent jusqu'à nous, je retirais mes chaussures et me plongeais plus profondément dans la Symphonie et la magie alentours. Je sentais la lumière des lunes couler entes les feuillages jusqu'à ma peau et les pousses invisibles caresser la plante de mes pieds.

Lorsque les elfes de pierre arriveraient, ils verraient tout d'abord une haute femme couronnées de bois de cerfs, assise de dos, en train de caresser le ventre d'un énorme léomenis ronronnant sur le dos. Elle jetterait un œil aux arrivant, mais ne réagirait vraiment que s'ils se montraient menaçant. Un œil curieux pourrait rapidement remarqué que les jambes de cette femme au torse nu peint de circonvolutions bleues, étaient couvertes d'une fourrure très semblable à celle de la créature qu'elle dorlotait... et qu'une épaisse queue de serpent frétillait en continuité de sa colonne vertébrale.

Près d'elle, à quelques pas, je me tenais debout, appuyée sur mon bâton, prête à faire tout ce qu'il faudrait pour pouvoir parler sans que les armes ne soient tirées, que ce soit en obéissant aux autres que les étrangers me donneraient ou en m'interposant de tous mes maigres moyens.

Les oiseaux c'étaient tus, et ton cœur avec eux. Courant, concentrée, tu avais parcouru les alentours immédiats du campement, le ruisseau où vous vous étiez abreuvés, les coins à baies... Tous ces endroits que vous aviez à peine eu le temps de fouler de vos pieds. Nulles traces ne demeuraient. Mais alors... Le temps t'avaient manqué. Car tu l'avais senti. Ce frisson indicible, quelque chose approchant. Quelque chose qui ne se mêlait que maladroitement à la Symphonie, comme une partition décalée. Si vite. De pièges, tu n'avais pu en poser. Si vite. Tu ne pouvais qu'espérer que le camp avait été levé. Si vite... Tu ne pouvais pas les laisser approcher.

Alors que tu prenais de l'altitude, grimpant, bondissant, te raccrochant aux branches tendues vers toi, tu l'avais perçu : leur nombre. Sur le dos de faïra. S'avançant tels des prédateurs sur les traces d'une proie. Une bouffée de colère te vient, que tu réprimes. Tu n'as pas le temps. Il te faut réfléchir... Mais cela ne t'aide guère, car tu ne vois qu'une option : les détourner.

La chute ne t'es plus permise. Profitant de ton seul atout - être dans les hauteurs -, tu montes encore, agile et légère, comme dans ton enfance où ce n'était qu'un jeu pour toi et les autres. Cependant, il n'y a plus de jeu, ni de rire si une branche t'accroche où que tu manques glisser. Le temps presse. Quand les mètres qui te séparent du sol te semble assez, tandis que ton cœur bat avec une violence contenue, luttant contre la panique, tu rejoins le groupe le plus proche... Et te laisse voir. Un bruit de feuillage que l'on déplace et, dans un creux de la végétation, les surplombant, tu apparais. Nul mot ni expression, rien que ta silhouette silencieuse, le cuir qui te couvre et te protège, l'arc dans ton dos, tes boucles où se mêlent les feuillages accrochées dans ta course, et ton regard de cuivre, silencieux. Tu reconnais l'un des citadins, le premier à avoir parlé près de l'étang. Il te semble contempler ta mort...

Quand les premiers regards se lèvent vers toi, tu leur laisses un instant. Puis tu te mets à courir. Bondir, les mains libres pour écarter et se raccrocher dans la voute végétale, le cœur dans la gorge mais ton esprit décidé. Courir. Loin du camp. Là où les racines surgissent du sol et s'entremêlent, dans un dédale où leur faira s'épuiseront davantage et devront ralentir la cadence. Toi, tu vas jouer à un jeu dangereux du chat et de la souris. Tantôt visible, tantôt disparaissant dans les hauteurs pour leur échapper un temps... Au risque qu'une branche trop fine se brise sous ton poids. Peu importe.

L’une d’entre elle est calme et puissante, apanage des grands prédateurs de la forêt. L’autre est imposante d’une bien étrange manière, d’une manière que tu n’as que bien trop peu souvent eu l’occasion d’observer. Deux d’entre elles essaient d’évoluer à l’unisson, seulement il est clair que d’entre les deux il en est une plus forte – car elle n’a pas été arrachée à son équilibre. Deux, deux, et une dernière, se détachant de l’étrange cortège par sa légèreté. Le dessin des pulsations vitales se précise au fur et à mesure que les bonds de Vìrin te rapprochent d’elles, et petit à petit, tu finis par te trouver capable de conjecturer une image de ce qui t’attends là-bas, au prochain croisement.

Au moins l’une d’entre elle est celle d’un elfe, probablement deux. Au moins l’une d’entre elles est celle d’un grand animal. Les autres tu peines encore à les identifier. Mais à défaut d’une, elles sont d’une régularité traduisant d’une certaine plénitude, au moins dans le corps. Lorsque la distance serait assez courte, il faudrait qu’Aegden, Nirophen et toi fassiez attention à contenir vos bêtes. Parce que si le calme régnait, les sentiments qui te prenaient à la gorge étaient partagés. Vous étiez sur la bonne voie, tu le sentais, tu en étais convaincu. Les choses allaient s’arranger. Seulement, ombrageant cette conviction, de sombres pressentiments te tailladaient l’estomac.
Vìrin fait un bond de côté, puis deux, et elle et toi sortez légèrement de votre trajectoire pour vous mettre en vue du Mirage. Quelques signes en direction de la bête, des signes qu’elle avait l’habitude de voir, et elle filait à travers les hauteurs en direction de tes camarades, alors que toi tu prenais un peu plus d’altitude, loin des racines les plus hautes, mais sous le fourmillement des plus basses branches de la canopée, dans cet entre-deux où Vìrin aurait toute la place de se lancer à pleine vitesse.

Un petite boucle vers le haut. Vers les hauteurs. Un elfe. Là était le message passé par l’animal à Nirophen. Le corps du félinier se pencha un peu plus en avant, à la recherche d’équilibre, tandis que ses bras se rapprochaient de son arc. L’archer aurait autant aimé ne pas avoir à décocher de flèche, mais on ne le prendrait pas à se présenter complètement désarmé… pas après l’épisode ayant lancé cette chasse à l’elfe. Un élan vers l’avant. Ta direction. Tes camarades au moins sauraient que s’ils changeaient de direction, toi tu continuerais.

Ton cœur bat la chamade. Celui de ta fidèle monture lui fait écho. Vos propres pulsations à cause de leur intensité manquent de t’arracher à ta cible, mais heureusement la dissonance entre les elfes jumelles est comme un phare au milieu de la nuit. Un phare dont la lumière de la pleine Lune ne saurait dissimuler l’éclat. Parce que ce genre de dissonance, tu ne le connais que trop bien. Si l’une des deux pulsations elfiques traîne ainsi, ce n’est pas le signe d’une distinction particulière. Ce n’est pas la signature personnelle de son détenteur. C’est une blessure.
Tu pestes, et claques sans retenue de la langue au moment de prendre une décision que tu espères ne pas regretter par la suite. Tu prends une grande inspiration, et te penches en avant pour approcher ta tempe de la nuque de ton alliée. Ta main libre flatte le cou de Vìrin, et dans ce geste, tu cherches la force de te calmer en même temps que tu invites la Faïra à ralentir la cadence. Et elle obtempère sans questionner ton geste, laisse même échapper un ronronnement rassurant, comme si rien ne pouvait t’arriver. Et toi tu lui fais confiance. Entièrement.

La cadence retourne au pas, et sans que votre avancée ne s’arrête complètement, tu quittes la selle et prends les devants. Les volutes de magie dansent autour de ton sceptre, témoignages de l’intensité de ta concentration, lumières brillante comme le soleil pour celle sur le territoire duquel tu t’apprêtais à marcher. Engoncé dans tes cuirs sombres, ta cape donnant presque un air fantomatique à tes grandes enjambées, tu as pourtant bien conscience que voilà longtemps déjà qu’il ou elle doit te savoir proche. Mais il ou elle a définitivement plus besoin de toi qu’il ne voudrait bien l’admettre.

Tu arrives au clair, jaugeant enfin de tes yeux la situation, Vìrin à ta droite, ta main posée contre son encolure. Une trouée baignée par les rayons lunaires. Un tableau merveilleux dont les personnages présents auraient dû t’appeler au rêve. Mais au lieu de cela, tu retirais ta capuche de la main auparavant contre le félin pour dévoiler un visage à la mine concernée, à mi-chemin entre l’anxiété et la méfiance.

- Tu es blessée… la dernière syllabe tu la vocalises à peine Je peux aider. ton regard glisse sur les autres présents Si vous le voulez bien.

Vìrin est calme. Et c’est bien parce que Vìrin est calme que tu te permets de laisser ainsi parler le Cœur en oubliant la Guerre. Tu as gagné le surnom d’Enda’Otha en tant que guérisseur après tout.

Ma posture était beaucoup plus évidente que celle d’Ungwë, je le sentais. En quittant le camp on m’avait retourné mes armes que Faelwen m’avait retiré. S’ils devaient reposer le destin de l’apprentie de Lorna sur des armes, il valait mieux qu’elles soient les extensions des membres de la gardienne, et le risque que j’aille à l’encontre des intentions de ma compagne d’aventure avait été jugé assez faible. Maintenant je n’avais plus qu’à l’accompagner et la défendre si sa conception du monde était défiée par ces citadins qui venaient chercher une réparation.

J’avais été enveloppée de cette Symphonie jusqu’à ne faire qu’une avec elle, j’avais observé Ungwë et son rituel, j’avais écouté ses conseils, je m’étais mêlée à ces formes magnifiques de la forêt. Elles me l’avaient rendu par leur curiosité très particulière et je leur avais confirmé par mon inaction que je les acceptais autant qu’elles m’acceptaient. L’Anaëh serait de notre côté, nous qui n’étions que là pour œuvrer dans son sens, et ça me rassurait.

Les premières formes qui étaient apparues à travers les arbres me tendirent légèrement, félins et elfes de pierre avaient coopéré pour arriver en ce lieu aussi vite qu’ils l’avaient fait. Celui qui semblait mener était gigantesque et irradiait d’une prestance que je n’avais pas vue chez ses semblables. Pour la première fois un doute s’insinua dans mon esprit. Une forme de gloire était à portée de main si conflit il y avait, mais pas la gloire que j’avais rêvée, une qui pour laisser la vie à Ungwë devrait ôter la mienne. Etais-ce pour la protéger de celui là que Faelwen… J’étouffai ces pensées dangereuses aussi vite qu’elles étaient arrivées. Aucune décision ne m’appartenait, je devais simplement réagir.

Et je réagis lorsqu’il prit la parole. Comme si parler lui avait donné une tangibilité et que je pouvais désormais le considérer comme quelque chose sur laquelle j’avais un pouvoir. Je m’interposai doucement et sans agressivité entre Ungwë et le colosse en murmurant à l’intention de tous les deux, pour appuyer mon rôle. « Si tu lui fais confiance, je lui fais confiance. » Je n’attendais qu’un seul mot pour me pousser et lui laisser le droit d’approcher ma protégée, mais de la même façon, tant que ce mot n’était pas prononcé, je ne bougerais pas, opposant ma frêle stature à ce qui pouvait venir.

J'observais le citadin. Les deux autres s'étaient brusquement détournés. Il était seul. Il ne portait qu'une armure de cuir et sa monture semblait aussi calme que ravie d'être à ses côtés. S'il m'avait connu avant de poser son regard su moi ce soir là, il aurait su que la couleur verte des mes yeux n'était pas habituelle. Mes iris semblaient réfléchir la leur des lunes et leur teinte chlorophylle était particulièrement soutenue malgré la pénombre. Je ne pouvais les voir, mais je me connaissais assez pour le savoir aussi sûrement que je sentait le cercle huileux devenir de plus en plus froid sur mon cou.

Pourtant ce n'est ni la Symphonie ni la magie qui me rassurent le plus ce soir. Ce sont les mots d'Alcariël... Je n'avais pas envie de faire confiance à un citadin. Je n'avais pas envie de lui laisser manipuler mon corps... et j'avais peur. Mais la peur, c'est la mort assurée.

- Il a fait le premier pas. A quoi bon être venu si nous ne faisons pas l'effort de le croire à notre tour ? " Un accord aurait suffit, mais par ces quelques mots et un sourire engageant, j'essayais de me justifier... Ou d'obtenir de la part de ma gardienne une raison de ne pas le laisser approcher. Mais elle s'écarta. Il fallait le faire. Bâton en main, je n'ai pas bougé lorsque l'immense géant s'est approché... J'ai seulement levé les yeux. Encore et encore... En mesurant ma respiration, toujours plongée dans la magie qui m'unissait à la flore environnante. Il me surplombait d'un bon demi mètre... J'ai dégluti en tentant de cacher ma frayeur. La Symphonie me murmurait que tout allait bien. Les Nymphes alentours étaient calmes. Mais avec sa carrure à contre jour de la lumière du ciel, il ressemblait bien plus à un monstre qu'à un elfe...

C’est la Caëngal fait le premier pas, se plaçant sans hésitation au niveau de la jeune apprentie shaman, tandis que celle qui t’apparaît comme une guerrière t’ouvre le passage vers la blessée. Comme une mesure de la louabilité de vos intentions, la Nymphe proche continue son petit jeu avec le félin à son chevet en toute innocence, et t’appliquant à ne pas trop perdre de ton attention à la contempler, tu suis le mouvement. Ton sceptre fait un tour, puis deux entre tes doigts, la magie court de manière de plus en plus intense à travers les veinules de pierre de Yutar, et tu t’approches. Elle a peur, tu n’aurais pas besoin de ton don pour le percevoir, mais ton accès à son cœur ne rend la chose qu’autant plus évidente. Elle a peur, et sa peur se répercute dans la pulsation de la flore à ses pieds.

Elle a peur, alors ton approche tu ralentis un peu ton approche, ta main droite se levant en la direction de la petite mage dans un geste qui se veut rassurant. Sans succès. C’était l’un de ces jours. L’un de ces jours où tu aurais presque souhaité ne pas être aussi grand. L’un de ces jours où tu aurais aimé pouvoir te poster dos à la Lune sans que ton ombre ne dévore celle à qui tu faisais face. Mais ainsi tu étais fait et ainsi tu t’étais fait, alors tu feras avec.
Les volutes lumineux s’ouvrent autour de ta main et autour de ton sceptre comme autant de fleurs s’épanouissant pour mieux faner dans le même élan. Les lierres que sont les énergies que tu manipules se glissent et rampent sur le corps de la jeune Ornedhelle. Tu soupires longuement, et enfin, avant que ta patiente d’un jour n’ait à se briser la nuque tu poses genou à terre, portant ton visage approximativement à hauteur du sien. Tes yeux clignent lentement l’espace de quelques battements de paupières, et les coins de ta bouche se soulèvent légèrement. Tu te veux rassurant. Tu te veux moins impressionnant. Mais assez adoucir des traits aussi coupants que les tiens pour relaxer quelqu’un qui ne te connait pas…

- Ça va, ta blessure n’est pas bien grave. ta magie lui traverse le corps alors qu’avec une délicatesse qui n’est habituellement pas la tienne, tu aides l’hématome à se résorber, et guide la reconstitution des tissus lésés Si mon intuition ne me trompe pas, c’est bien toi a essayé de t’opposer à ce que mon soldat soit blessé. les doigts de ta main gauche dansent autour de ton focaliseur, tandis que ceux de la droite semblent guider une force pas-si-invisible autour du torse de la jeune femme Je te remercie. ton visage s’attriste Désolé que tu aies toi aussi dû le payer.

La pulsation de ta patiente retrouve un rythme s’approchant, toutes influences de sa psyché mises de côté, de la normalité. Quelques dizaines de secondes encore et elle serait débarrassée tant de la sensation gênante qu’est un celle d’un corps en rapide guérison que celle que représente une aussi puissante magie que la tienne.

- Tu devrais pouvoir respirer tranquillement maintenant.

Tu te relèves, et en un signe de paix de plus, la jeune elfe guérie, tu ranges ton focaliseur dans son fourreau. Tous les mots que tu prononces, ils te traversent les lèvres avec une prosodie aussi apaisée que l’est maintenant ton visage. Et leur dureté n’en est finalement que plus apparente.

- Je m’appelle Artiön. tu penches la tête en signe de révérence C’est moi qui suis à la tête du contingent à la recherche de votre… chef ?

- Ça va, ta blessure n’est pas bien grave.
- Je sais. " Je me suis efforcé de sourire... De façon bien peu convaincante.

Je sentais sa magie rampé sur ma peau... et dessous. Ce n'est pas la première fois que je faisais l'expérience d'une magie de guérison. Personne ne s'inquiétait d'un bleu, il y avait bien d'autres bobo à gérer. Lorna guérissait aussi bien qu'elle manipulait les plantes, tout comme l'Ami des fanuës. Mais ils faisaient tous deux parti des miens et me connaissaient depuis ma naissance. Là... C'était un étranger, et qui plus est, un citadin dont j'acceptais l'inspection. Ma volonté se tendait malgré moi, l'empêchait de faire son travail, de prendre réellement prise. Nous luttons un instant. Moi pour contenir mon instinct sans relâcher mon emprise sur la végétation environnante, lui pour maîtriser sa puissance. Le fait que je ne sois pas seulement attentive a ses soins doit lui couter plus d'énergie qu'il en aurait normalement dépensé, mais je ne peux abandonner toute prudence.

Même lorsqu'il m'a remercié... Et même lorsque son visage tranchant a laissé transparaitre une véritable sollicitude. La bienveillance qui luisait dans ce regard dont je n'arrivait pas à déterminer la couleur me touchait... C'était un guérisseur, pourtant il portait l'armure et avait un regard si proche des vieux chasseurs, ou de certains vieux guerriers que nous avions croisé dans nos voyages. Cette constatation était aussi terrifiante à mes yeux que son énorme stature. Comment pouvait-on en arriver là...? Comment quelqu'un qui avait un amour de la vie suffisamment grand pour user d'une magie qui la préservait pouvait participer à une traque et finir par avoir ce regard...  Et c'est en scrutant ces yeux immergés dans rien de moins que mon corps, que je tentais d'ignorer la sensation  étrange qui pulsait sur et autour du point d'impact que Faelwen avait choisi.

Une inspiration un peu plus ample est venue souligner le départ de cette pression dérangeante. Il avait fini. J'ai souri. Je n'avais plus mal. Plus la moindre gêne... Et tout c'était bien passé.

- Merci... Je ne m'attendais pas à trouver quelqu'un aussi enclin à parler... et à aider. " avouais-je sincèrement.

J'ai même faillit me sentir à mon aise... mais c'était sans compter sur le fait qu'il n'était pas debout. Je faisais rapidement un pas en arrière, autant pour pouvoir le regarder sans me briser le cou que par réflexe de survie. Quelques instants m'avaient suffit à oublier comme il était grand... Si je regardais droit devant, j'avais ses pectoraux au niveau de mes yeux et ses épaules devaient bien faire le double de la largeur des miennes. Malgré tous les clans que j'avais croisé au long de nos voyages, je n'avais jamais vu un tel colosse...

Tandis qu'il se présentait, j'inspirais profondément et envoyait un regard doux à Alcariël, la remerciant silencieusement d'avoir respecter mon choix. L'absence de toute douleur me réconforta. Il n pouvait être si féroce et inconscient... Et il était le chef de leurs chasseurs. Alors il devait bien y avoir un moyen.

- Je m'appelle Ungwë fille de Gaileth des I... " Je m'arrêtais soudain, cherchant dans mes souvenir sans trouver quoi que ce soit. Il ne connaissait pas le nom de ma Noss. Et s'ils nous traquait margé tout... Je ne pouvais pas... Je détournais un instant le regard comme l'apprentie que j'étais avant de me forcer à lui faire de nouveau face. Je devais être sûre... " Pardon, mais je ne peux pas vous dire le nom que nous portons. Je ne peux risquer leur sécurité. Ce n'est pas pour vous manquer de respect, Chef Artiön. Et c'est bien notre chef que vous chassez. " Mon regard hurlait l'espoir que j'avais. Je priait pour qu'il ne se braque pas et continuait courageusement. " Je suis ici pour tenter de trouver une solution pacifique à tout cela... Ce qui aurait du être le cas depuis le début si les miens n'avaient pas eu peur de votre approche. " Je les excusais... Bien sûr que je les excusais. Comment faire autrement ? " Je... J'étais là quand notre chef à attaqué l'un des vôtres. Et c'est de ma faute. Je savais que ma présence la mettrait à cran et qu'elle ferait tout pour nous protéger encore plus farouchement. Et je lui ai dit que Lyorindel tentait de trouver notre camp car je le pensais sincèrement. Sa monture est un peu plus loin au sud d'ailleurs. Je crois que vos battues ne sont pas encore allées par là-bas." Je me suis tu, soudain consciente que mon débit de parole s'était brusquement accélérer. Je respirais un grand coup avant de reprendre. " Excusez-moi... Je suis ici pour faire en sorte que le sang ne coule plus... Mais avant tout j'ai besoin de savoir si celui que vous appelez Lyorindel a survécu... Je vous en prie... " Il fallait que je reprenne le cours de mes pensées. Mon plan coulait entre mes doigts comme de l'eau. J'avais besoin de quelque chose pour mettre de l'ordre dans les problèmes et les questions. Celle-ci - malgré la dangerosité qu'elle représentait - m'obsédait plus que toutes les autres. Les main crispée, la tête rentrée dans les épaules malgré moi, je regardais toujours le géant qui m'avait soignée malgré la traque qui s'opérait en ce moment même.

Derrière-toi, les branches claquent et frémissent sous le poids du chasseur, tandis que ta course t'entraîne toujours plus haut pour lui échapper. Si le faïra ne peut monter aussi haut que toi du fait de son poids et de sa stature, cela ne te met pas moins en danger, t'obligeant à demeurer dans le réseau haut et fin de la voute végétale. Chaque pas, chaque saut se fait sur des cordes plutôt que du bois, et tu ne comptes plus les instants où il t'a semblé que seule ta vitesse te prévenait de perdre l'équilibre ou de briser ton élan dans une chute risquée. Peu importe. La panique a reflué, sous le coup de la concentration et de la colère. Il y en a d'autres, tu le sais, et n'y peut rien. Tu espères que, d'une manière ou d'une autre, il puisse rameuter les siens. Loin, aussi loin que tu peux les emmener du camp. Plus loin, plus vite.

Une brusque inspiration alors que tu t'élances dans le vide. Tes mains, une branche. Ton bassin, une impulsion. Tu lâches et est projetée sur une autre, où tes pieds poursuivent leur course folle. Un détour à faire pour lui. Un maigre temps gagné, que tu mets à profit, cherchant des yeux une nouvelle idée. L'accueillir d'une flèche... Tes mains se portent vers ton arc... Et tes mires découvrent une fleur, atypique. Oh... Un mouvement de tête et tu en vois d'autre. Alors, entendant ton chasseur revenir, tu t'élances dans cette direction, cherchant toujours plus de ces végétaux.

Ton répit n'a été que de courte durée, et ta voie, encore, se fait aérienne et dangereuse. Ton regard accroche des éclats pâles, que tu vois de plus en plus nombreux, tandis que la canopée se referme sur vous. Plus dense, offrant plus de prises, demandant plus de contorsion. Finalement, enfin, tu la vois : la colonie. C'est risqué, mais ton entreprise l'est depuis le début. Alors, inspirant profondément, tu t'élances au sein de cette multitude de couleurs, qui semblent t'observer, surprises de ta présence. A tes oreilles, la Symphonie frémit de leur multitude, et il te semble t'y perdre un instant... Un jet de spore te ramène dans l'instant, et tu t'en protèges d'un bras. Le cuir qui te protège fait son office, mais la pression est grandissante. Alors, tu t'y risques : tu tombes dans une trouée, au milieu des falafeor qui s'égaillent ou se braquent. Cependant, ta vitesse t'évite bien des sports, et tu te raccroches à une branche. La douleur t'avertit : trop haute la chute. Serrant les dents, tu poursuis ta course, passant en dessous de la colonie pour ensuite remonter, espérant distraire, si ce n'est y perdre, ton poursuivant.

Tu fais un pas en avant. Elle fait un pas en arrière. Et puis tu fermes les yeux et te ravises. Elle ne te fait… Elles ne te font pas assez confiance pour que tu te permettes ce genre de familiarités. Pourtant lui offrir ton étreinte était si tentant. Après tout une étreinte signifiait tant de choses. Prendre quelqu’un dans ses bras était autant un acte de tendresse qu’un acte protecteur, et autant une marque d’affection qu’une démonstration de contrôle. En acceptant que tu la prennes dans tes bras, elle aurait accepté de prendre appui sur toi, et d’une certaine manière, autant qu’elle se serait servi de toi comme contrepied, elle t’aurait accordé un certain pouvoir.

- Lyorindel va bien, rassure-toi. tu souris tendrement Et à moins qu’il ne fasse quoi que ce soit d’inconsidéré, son dos et ses jambes aussi.

Tes pupilles quittent un instant la direction de tes deux hôtes pour aller chercher la direction d’une lointaine pulsation. Animale. Connue. Le Mirage d’Argent. S’il s’est autant éloigné de tes deux camarades, il ne peut y avoir qu’une seule raison. Tes pensées vont au fidèle animal, qui a bien gagné sa nuit de sommeil. Aegden et Nirophen ont retrouvé la piste de la Chef de Clan. Ce n’est plus qu’une question de temps maintenant avant qu’elle n’ait plus d’échappatoire.

- Mais toi, ton regard retourne à la jeune Ornedhelle tu n’as pas à prendre responsabilité pour les actes de ta Chef de cette manière. Tu as eu peur pour l’intégrité des tiens alors tu as parlé, c’est à elle normalement qu’il aurait dû revenir de garder son calme plutôt que de s’en prendre à un homme désarmé. tes mâchoires se serrent malgré toi. Même les Noss de Daranovar, réputés être vindicatifs et même violents ne s’en prendraient pas à un elfe désarmé. Un chef se doit d’être assez sûr de lui et de ses hommes pour ne pas avoir à en arriver là. tu fais un pas en arrière Et ta Chef en s’en prenant à Lyorindel vient de prouver le contraire, et par la même occasion de devenir un danger pour la fragile cohésion entre Noss et Cités d’Alëandir. Nous ne pouvons pas nous permettre, surtout durant une période aussi sensible que celle-ci qu’une Tête de Clan ne crée la moindre tension entre nos deux communautés. tu forces ton visage à se détendre Mais rassure-toi, nous ne comptons pas plus faire couler le sang que toi. Si nous sommes à sa recherche, c’est pour la soumettre au jugement du Conseil des Noss de la région, qu’elle prenne conscience de l’ampleur de son geste, et que mon ami puisse espérer faire le deuil des événements. Et si j’en crois ce que je perçois, ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne s’y retrouve contrainte.

Patience et colère cohabitent en toi. Désirs de justice et de vengeance se poursuivent comme chat et chien. Egoïsme et empathie se livrent une bataille acharnée. Lyorindel est ton ami. Lyorindel est comme ton petit frère. Et elle n’avait pas seulement attenté à sa vie. Elle n’avait pas même eu la décence de se tenter à l’achever. Elle l’avait soigneusement condamné à survivre, à se souvenir de l’humiliation qu’elle lui avait infligé pour le reste de l’éternité, à subir son inutilité alors qu’il avait été arraché trop tôt à son rôle au sein de sa communauté. Elle l’avait consciemment condamné à la folie et à la dépression… et Calimenthar seul sait combien tu aurais pu le lui faire payer. Les souffrances que tu aurais pu lui infliger en retour. La macabre utilité que tu aurais pu trouver, toi le Guerrier Vitaliste, à un corps vivant de la même espèce que toi.
Mais contrairement à elle, tu avais appris ce que c’était qu’être un dirigeant et un protecteur digne de ce nom. Contrairement à elle, tu avais appris à reconnaître qui sont tes véritables ennemis.

- D’ailleurs, vous devriez venir vous aussi. ton regard se perd vers le lointain, en tangente entre la position approximative de tes camarades et du Siège du Conseil Votre Chef aura besoin de Voix qui viennent des siens s’il on veut qu’elle entende raison.

Je m’étais fiée à la passivité des Nymphes et aux réactions de la blessée face à cet étranger. Rarement je n’avais été aussi terrorisée qu’au moment où je sentais qu’il avait une emprise totale sur le corps d’Ungwë. Il lui aurait fallu un instant pour me faire briser ma promesse à Lorna et détruire aussi bien le frêle corps que tout ce qu’il me restait. Mais je ne pouvais pas bouger et devais patienter en espérant que tout s’arrangerait. Le regard d’Ungwë après qu’il l’eut soignée me confirma que nous avions toutes deux eu raison de lui faire confiance cette fois-ci et je pus me calmer de nouveau.

Je me rendais compte peu à peu qu’il avait eu à peu près ma position dans ce conflit, et n’était arrivé en tant que support qu’après que Faelwen ne commette son erreur. On ne lui avait que rapporté les faits alors qu’il n’avait pu en être témoin. Malgré cela, il semblait si sûr de lui, beaucoup plus que je ne l’étais moi-même. Ce devait être facile pour des taledhels de faire confiance à quelqu’un qui semblait si fiable… Moi, je ne pouvais qu’être cynique, et penser que ce qu’il faisait n’était que fait pour nous amadouer et nous utiliser contre Faelwen. Mais il ignorait tellement de choses, que ce soit le lien de sang entre les deux elfes, l’importance qu’avait un seul membre des Iarin’Dath pour tous les autres, même s’il venait à devenir un monstre, ou bien cette rancune éternelle des Iarin’Dath envers les siens.

Quelque part dans le dos de l’elfe, mes mots s’élevèrent en réponse aux siens. « Ne nous insultez pas en décidant pour nous qui doit prendre quelle responsabilité. Nous sommes là pour aider à réparer les erreurs des nôtres, pas pour vous jurer allégeance. Nous avons accepté depuis bien longtemps que nos guides puissent être faillibles, mais celle que vous poursuivez reste notre guide et notre sang, surveillez vos mots. » Ma voix siffla légèrement. J’aurais pu, et peut-être dû, rester silencieuse mais le poison qu’étaient ses mots m’irritait trop. Il semblait penser qu’il avait autant de pouvoir sur nous que sur ses hommes, que nous allions boire ses paroles comme si elles étaient la vérité brute. Je me rapprochais d’Ungwë d’un pas vif autant pour lui apporter un soutien que pour obtenir le sien, alors que le colosse n’avait plus aucune raison de rester près d’elle.

Puis je pensai à ce que ma protégée devait penser de mon accès d’humeur, et je me rappelai à quel point elle avait l’air d’être bouleversée par la blessure de ce citadin. Je regardai le citadin en levant la tête, les mains jointes en signe d’appaisement. « Malgré toutes ces différences que nous ne pouvons pas effacer, je suis heureuse de savoir que la mort de votre ami ne soit pas une conséquence de cet incident regrettable. » Ma voix s’était énormément radoucie et se voulait plus conciliante.

« Nous viendrons. » Je dis, lentement, pensant qu’Ungwë ne pouvait pas vouloir autre chose. J’avais retenu une dernière pique inutile à l’intention du géant, qui lui aurait rappelé que ce n’était pas parce qu’il nous le proposait mais parce que c’était notre intention depuis le départ, alors qu’il agissait comme si le monde ne se mouvait que grâce à lui.

- Oui, bien sûr. " appuyais-je après la déclaration enfiévrée d'Alcariël. Ma main s'était posée sur son bras lorsqu'elle s'était approchée tout en prononçant les dures phrases adressées aux citadins. Le ton m'avais tendu, mais le fond n'était pas mauvais... Et le rattrapage acrobatique qu'elle avait opérée en essayant d'adoucir son propos à la fin était louable. Plus cette histoire avançait, plus j'avais l'impression que mes plus grandes alliées étaient ma jeunesse et mon inexpérience. Quel orgueil mal placé aurais-je pu mettre dans la balance alors que j'apprenais quotidiennement de toutes les personnes qui m'entouraient ?

Pourtant, je ne pouvais pas plus que mon aînée, laisser les choses en l'état. D'un côté, la survie de Lyorindel me rassérénait au-delà des mots et j'en avait lâché un soupire de soulagement. De l'autre, les paroles du citadins étaient difficiles à avaler, surtout en sachant qu'il n'y avait finalement ni mort, ni blessure irréversible.

- Mais avant, il est important que je comprenne... Nous ne vous reconnaissons pas le droit de juger les nôtres, pas plus que nous ne le reconnaissons à un conseil de clans avec lesquels nous ne nous sommes pas entretenus depuis des dizaines d'années. " Je lâchais le bras d'Alcariël de peur de m'y accrocher avec trop de vigueur. " Je venais vous dire que nous avons déjà rendu justice et notre chef a été temporairement exilée pour accomplir une quête qui lui permettra de mesurer toutes les retombées de son gestes. Et je venais vous demander de renoncer à la soumettre à votre propre justice, ce que d'après vos dires, vous avez déjà fait en faveur des clans de cette région. Alors pourquoi j'ai trois questions. Pourquoi organiser une traque vous-même ? Traquez vous tous les nôtres ou seulement notre Chef ?  Et cette erreur condamne-t-elle à vos yeux mon clan à ne plus pouvoir accéder à votre cité de pierre et à ses environs ? "

- C’est l’un des nôtres qui a été la première victime. Aucune décision prise par les vôtres sans qu’il n’ait été présent pour le voir n’aurait eu valeur d’amende à ses yeux, et par extension à tous ceux qu’il côtoie.

Même toi, après avoir de tes arcanes sondé les entrailles de la jeune Ornedhelle, tu ne pouvais que te contenter d’avoir envie de la croire. Que pourrait-elle apporter pour preuve de l’exécution d’une sentence ? Que pourrait-elle apporter pour prouver que c’était là une sentence suffisante et pas juste une simple formalité ? Vous ne saviez pas assez d’eux ni pour en juger, ni pour leur accorder votre confiance. Voilà pourquoi la traque, et voilà pourquoi tu n’aurais jamais accédé à cette requête.

- Et comme je sais ce que la majeure partie des Ornedhels pense de notre société Citadine, je ne m’attendais pas à ce que vous vous soumettiez d’une quelconque manière à un jugement que nous aurions rendu. C’est pour cela que j’ai décidé de me tourner vers les Clans d’Alëandir. Ils tiennent autant que nous à la paix qui règne sur ce territoire, alors je leur fais confiance pour décider de la meilleure manière pour votre chef de rendre compte de ses actes. Quant à la traque tu lèves un sourcil en direction de la petite pensez-vous vraiment notre relation avec les Noss d’ici assez intime pour qu’en plus de servir d’arbitres ils soient d’accord à jouer les chiens de chasse ? Et quel genre de témoignage aurais-je rendu en tant que Seigneur-Protecteur d’Alëandir si je m’étais présenté comme incapable d’assurer avec les forces à ma propre disposition la protection des miens ?

Tu t’éloignes légèrement de tes interlocutrices, sans pour autant briser le contact visuel, lançant le premier pas dans la direction qu’elles avaient accepté de suivre avec toi, et les y invitant implicitement.

- C’était votre Chef notre seule cible, mais à savoir ce que cela voudra dire pour le reste de votre clan, ce sera en majeure partie au Conseil de le décider. D’ailleurs en se dépêchant, nous devrions arriver à temps pour l’entendre.

Tu défourailles ton focaliseur, pour occuper tes doigts durant la marche plus qu’autre chose, et tes foulées s’allongent. Ton regard se pose sur celle qui est paradoxalement à la fois la plus ancienne et la plus effacée d’entre les deux. Et tu soupires, avant de briser un désagréable silence à la faveur d’une désagréable discussion.

- Je suis désolé si vous vous êtes sentis offensées par ce que j’ai pu dire de votre Chef Mais tu n’en penses pas moins et n’allez pas croire que j’attends de vous une quelconque forme de soumission ; mais le fait est que j’ai foi en la parole de mes hommes, et de ce que j’ai pu entendre, votre Chef me fait l’effet d’une elfe n’ayant ni le tempérament ni l’expérience nécessaire à détacher autorité et oppression, respect et peur. ce qui était beaucoup dire venant d’un Daranovan ayant connu la Cité des Garnat Je ne remets pas en cause votre capacité à la reconnaître comme étant faillible, je crains seulement que dans le contexte actuel, elle ne puisse pas se permettre d’être à ce point faillible. tu ralentis, les laisse arriver à ton niveau pour pouvoir leur parler « véritablement » face à face Ecoutez, actuellement nous abandonnons des Cités, et beaucoup d’entre nous se sentent arrachés à leur foyer sur un simple désir des Seigneurs-Protecteurs de faire plaisir aux Noss. ton expression se métamorphose en une d’une glaciale sévérité Quel que soit les territoires sur lesquels vous marcherez, la tension est trop forte pour qu’elle puisse se permettre d’attenter à la vie d’un elfe lui aussi chargé de la sécurité des siens, pour un motif aussi stupide qu’un regard passé trop près de votre camp.

Et si vous saviez exactement où se trouvait leur camp ? Après quoi ? Que pouvaient-ils bien penser qu’il arrive ? Dans presque tous les Protectorats les emplacements des camps des résidents étaient au moins approximativement connus, et ce ne servait généralement qu’à justement éviter de trop perturber ces zones. Par respect pour les Ornedhels, et pour la sécurité de tous.

Courir. Bondir. Sauter. T'accrocher. Tes poumons te brûlent. La seule satisfaction que tu as pu tirer de ta manœuvre, alors que la peau de ta main te démange, c'est de constater que l'un des cavaliers à dû descendre de sa monture. Mais c'est tout. Tu les éloignes encore et encore du campement, en ayant douloureusement conscience que tu n'as pas pu détourner les autres de poursuivre leurs recherches. Faites qu'ils soient partis... Tu sers les dents, alors que tu commences à sentir la brûlure d'une respiration trop rapide, les élancements de tes muscles que tu ne laisses pas reposer...

Combien de temps ? Des jours. Des ennéades. Des mois. Tu sers les dents, alors que la vanité de ta course te saute au visage, alors que ton pied se réceptionne douloureusement sur une branche, te faisant vaciller, avant de poursuivre encore. Encore. Sans succès. De même, surgit la volonté de faire volt-face et de décocher des flèches. Ce qui ne ferait qu'empirer les choses. A nouveau. Tes mains t'élancent quand tu t'accroches encore. Vain. Qu'ils me trouvent, et c'en sera fini. Soit. Tes paupières se ferment, douloureuses, sur cette résolution. T'accrochant à une branche, tu fais demi-tour en un instant, et fonces vers tes poursuivants, si lents, si lourdauds, mais qui ne lâchent pas. Des flèches... De rage. Une rage inutile. Une boule froide au ventre, tu les vois qui progressent sur tes traces, bondit, et atterrit à quelques mètres devant eux.

"Je me rends. Menez-moi à votre chef." dis-tu d'une voix atone, le visage fermé, le regard franc.

Ton seul espoir reste que les siens aient pu fuir à temps, malgré ton échec.

Je ne connaissais probablement pas grand-chose en politique taledhel mais je tiquai lorsque le colosse dévoila être le Seigneur-Protecteur d’Alëandir. Ce titre n’était-il pas réservé à la personne la plus influente de leur peuple ? C’était ridicule, comment pouvais-je croire ça ? Il aurait pris lui-même les commandes d’une telle traque et se serait avancé seul face à nous s’il avait été leur roi ? Tout semblait correspondre, cependant, et je me demandai si ça changeait quelque chose. Roi ou non, il se disait important, et son intérêt personnel dans cette traque devait être trop grand pour qu’on le convainque facilement. Je posai une main sur le bras d’Ungwë avant d’y exercer une très légère pression en guise de soutien. Peut-être était-elle déçue de cette réponse, peut-être s’y attendait-elle.

J’emboitai les pas du géant, essayant de me positionner entre lui et Ungwë à moins qu’elle ne montre le désir de s’en approcher. Je lui faisais de moins en moins confiance, et s’il ne risquait probablement pas physiquement de nous faire du mal tout de suite, ses seules paroles pouvaient être un poison insidieux. J’étais heureuse de n’être qu’avec Ungwë et personne de plus sanguin ou malléable. Un Iarin’Dath convaincu par ses mots ou plus virulent aurait pu tous nous mettre en danger.

Il parlait beaucoup, beaucoup trop, et c’était très désagréable. Tout ce discours qu’il m’adressa m’agaçait au plus haut point, d’autant plus qu’il en remettait une couche exactement là où je lui avais demandé de faire attention. Je l’ignorai aussi simplement que je le pouvais, lui répondre n’aurait jamais mené à rien, il semblait entrainé à décrédibiliser les interventions des autres pour y répondre comme si elles étaient totalement idiotes. Ou étais-ce simplement cette différence de monde, il ne pouvait peut-être juste pas comprendre nos doutes.

Je me demandais un instant si toute cette discussion avait seulement un sens. Peut-être n’allaient-ils jamais rattraper Faelwen. Et surtout, nous utiliseraient-ils comme des appâts si c’était le cas ?

Les mâchoires crispées, j’obéissais à Alcariël qui me demandait silencieusement de le suivre. Si elle pensait que c'était la meilleur solution, alors soit... Mais ce qu'il commença a caqueter était bien différent...

En répondant aux questions que je lui avais posées, il avait fait preuve d'orgueil et de lâcheté en même temps. Peut-être que cela faisait parti de sa culture, mais pourquoi ce n'était pas lyorindel qui demandait ce qu'il voulait pour réparer l'affront ? Et a quoi servait un chef s'il n'arbitrait pas cette demande, ni l'application des sanctions ? Avaient-ils comme nous des anciens pour seconder la prétention absolue dont il faisait preuve ? Ou les citadins n'avaient pas le droit de demander une compensation honnête ? ça n'avait pas de sens. Je m'attendais à ce qu'il demande une compensation, pas à ce qu'il renvoie la balle à des gens qui n'avaient rien à voir...

J'avais l'audace de penser encore qu'il avait voulu se montrer relativement ouvert en demandant l'aide d'un conseil de Noss, mais il présumait beaucoup. Et il n'écoutait pas. Que le jugement vienne des Cités ou de ces Noss auxquels ils nous balançaient sans réflexion ne changerait rien... Et si je n'avais pas l'intention de répandre une telle nouvelle, qu'un groupe de Noss s'improvise juge et bourreau sur les ordres de citadins plutôt que de régler ça de Noss à Noss serait pire que tout... Non pas tant pour les Iarin'Dath, car s'il fallait que nous nous battions pour sauver les nôtres des Noss de cette région, nous le ferions et même moi n'en éprouverai aucune honte. Mais pour chaque nouveau clan auquel ils épingleraient une étincelle de haine. Et dire qu'il lui aurait suffit d'être moins orgueilleux et de me poser la question pour savoir que ce qu'il avait ordonné était le cœur même de ce que nos anciens avaient décidés... et qu'en nous soumettant de notre plein gré, nous aurions assainit la situation, là ou il venait de risquer la paix a une échelle encore plus grande que ce que je craignais...

Et arriva la marche. Marche pendant laquelle il n'était plus seulement orgueilleux et dangereux d'inconscience, mais également insultant... Et curieusement attendrissant. Cette douce migration leur semblait être un tel sacrifice qu'on sentait la peur dans ses mots. Ils avaient tant perdu depuis qu'ils s'étaient eux-même emmurés que marcher librement sur les routes les mettait dans un état d'angoisse aussi irrationnel que celui de Faelwen les concernant. Une idée me vint soudain. Ce n'était pas tant par bienveillance ou par respect que parce qu'ils marchaient sur des œufs qu'ils avaient choisis de s'en remettre à un conseil de Noss. Cela paraissait beaucoup plus logique. Cela expliquait aussi pourquoi il n'écoutait pas.

Puis cela dérapa encore plus franchement. Il voulait choisir notre chef à notre place, ne prenant même plus de gants pour la traiter de femme stupide sans se rendre compte qu'il parlait de notre sécurité et considérait que jamais l'un des siens n'aurait pu attenté à nos vies. Il nous ordonnait avec toute la nonchalance de l'évidence de nous comporter selon ses désirs.

C'était si triste... Il y avait tout... enfin presque tout. Je voyais ici beaucoup plus de peur et de faiblesse que de méchanceté. Mais pour le reste, les histoires des anciens et des chasseurs tombaient assez juste. Méprisant et hautains jusque dans leurs tentatives de faire le bien, certains de savoir sans même écouter. Il se comportait exactement comme ces être ignorants et un peu stupides décrits aux enfants. Il était si sûr de lui et de la prévalence de ses principes qu'il nous rabaissait et nous donnait des ordres sans rien savoir de nous, de ce qu'il risquait de provoquer ou de ce qu'il aurait put apprendre sur la situation. Il tentait de contrôler d'une voix autoritaire ce sur quoi ils n'avaient aucune prise tout en traitant de tyran une femme qui avait accepté de se mettre en chemin. Si habitués à lever des murs et à ranger les choses au même endroit depuis des cycles... même en essayant de leur parler, les citadins étaient donc tous si prompt à juger sans savoir ?

Soudain reconnaissante de ressentir sa présence avec autant de clarté, je me plongeais plus encore dans les murmures de mes frères. Son soutient. Sa force. L'Anaëh était capable de supporter et d'accueillir tout ce qui ne tenait pas à l'intérieur de moi. Une alliée et une Sœur de tous les instants. Une guide et une amie. Oui. Maintenant je constatais l'assurance enfantine des citadins. Mais ce n'était pas mon rôle de les changer et je ne le pouvais pas plus que la forêt elle-même. Mes épaules retombèrent d'un cran. Me souvenant soudain que je pouvais de nouveau respirer sans mal, je gonflais mes poumons jusqu'à leur limite et soufflait toute la tension que ces quelques échanges avaient placée en moi. Maintenant que j'étais certaine qu'aucune vie n'avait été perdue, j'étais seulement là pour éviter que ça ne dégénère. A présent, c'était des Noss qui tenaient la barre. Si ce conseil acceptait de juger l'un des nôtres alors que le litige ne concernait pas l'un des leurs, sans demander quelles sentence était déjà tombée et sans même avoir contacter sa Noss d'origine de leur victime, je ne pourrais plus rien contre la folie de ces lieux. Mais en attendant, il y avait toujours une chance pour que tout se termine pour le mieux et sans même que je n'ouvre de nouveau la bouche. Peut-être pourrait-on régler les choses, peut-être pas. Mais au moins, je serais aller jusqu'au bout de mes principes.

A ces mots froids, tes mires s'étrécissent. Du sentiment du citadin, tu n'as cure. Ce qu'il annonce en revanche, ce qu'il sous-entend, te hérisse. Tu n'avais pu prendre contact encore avec les Noss voisines, afin de les informer de la situation. Visiblement, ils vous avaient pris de cours... Tu ne réagis pas à son impulsion, tes mires cuivrées s'étrécissent plutôt, alors que tu tentes de mesurer les conséquences de son propos. Informer les autres Noss étaient une chose, mais les amener à te juger... Ta respiration se fait plus ample sous l'assaut d'une colère, rebelle à cette autorité que tu ne reconnais pas.

"Mon jugement ne concerne que les miens, qui ont rendu le leur. Ainsi que votre chef, puisque j'ai attaqué l'un des siens. Ton ton est sec, ta posture tendue, malgré tes armes qui t'ont été retirées. Les autres Noss n'ont pas à intervenir. De quel droit les avez-vous rassemblées ?"

Sa poigne est dure sur ton bras, de même que ta résistance. Le sait-il seulement ? Tu attends, ne voyant qu'un soldat sous tes yeux. A-t-il seulement conscience du poids de ce qui se trame ? Quelque part, tu espères te tromper. Ton geste ne concernait que la protection des tiens, et elfes de pierre dont tu avais attaqué l'un des leurs. Une telle prise d'initiative n'annonçait rien de bon. Irrespectueux. Ta gorge se noue, à la pensée des Noss qui auront répondu présent. A quelle ordre, promesse... ? Si l'intervention des citadins avaient pris l'une de ces formes. Tu n'aimais pas ça.

Tes yeux se vrillent dans les siens, alors que tes oreilles frémissent sous ses accusations. Peut-être y avait-il une part de vrai, peut-être... Mais ton cœur n'était pas de cet avis, et se contracta avec violence pour faire entendre ta voix. Non, garde-le pour tes semblables. Tes paupières s'étrécissent sous la dureté dont tu t'imprègne, te restreignant au calme.

"Mon avertissement, tu l'as écouté. Lui non. En plus de cela, il cherchait notre camp, et a préparé un sort à notre insu. Ses intensions n'étaient pas claires. Je n'ai vu en lui qu'un individu sournois duquel il n'y avait aucun respect à espérer. Rien qu'une menace à neutraliser. Tu frissonnes, en réalisant qu'une once de ton doute, de ta peur, sont parvenus à se glisser dans ton timbre. Face aux Anciens, tu tins bon, et te voilà qui faiblit face à un ennemi ? Inspirant profondément, tu tâches de te ressaisir, de mettre à mal cette crispation de bête acculée. Cela est fait, et ne peut être changé. A contrario... Vous mêlez-vous de toutes les altercations des autres cités ? Tu laisses ta question en suspens, avant de reprendre, plus doucement. Nos Anciens ont tranché, et j'ai accepté leur jugement... Allons entendre ce que les Noss ont à dire."

Tes viscères se serrent d’appréhension, mais tu ne laisses pas ce sinueux sentiments te soumettre à son emprise, lui préférant l'action. Montrant que tu souhaites t'exécuter, tu te défais de sa poigne et descend, te raccrochant d'une branche à une autre jusqu'à retrouver le contact de la terre. Là, tu constates la présence d'autre cavalier, que tu observes froidement, avec la sensation de plus en plus impérieuse que les conséquences de ton geste prennent des proportions dramatiques.