[Ellipse]Enchanté Lina | Solo

Karfias
An 12:XI

Cela faisait maintenant plus d’un mois qu’Azza avait repris l’école de l’Aigle Blanche. Après qu’Hashar ait réussi à faire entendre raison à Sauveur, celui-ci n’avait plus fait montre de la même rage que lorsque les gardes étaient revenus les chercher, Courtois et lui. Mais s’il ravalait sa colère, elle se lisait toujours dans son regard. Chaque fois qu’il posait les yeux sur sa maîtresse, sur le dornien ou sur l’un de ses gardes qui le bousculait, la personne visée pouvait sentir toute la noirceur qui se déversait sur eux. Azza et Hashar ne se laissait pas vraiment atteindre mais cela était moins vrai pour certaines chiffe molle de gardes. Sauveur les haïssait tous. Pour être encore ici. Pour lui rappeler qu’il valait moins qu’eux. Pour le contraindre à être réduit à un simple divertissement, quitte à ce que sa mort soit le clou du spectacle. Pour le forcer à jouer le jeu en espérant qu’un jour tout ceci lui permettrait d’être à nouveau libre…

Ce jour-là, un garde était venu le chercher à la fin de sa journée, lui demandant de le suivre. Le jeune homme ne chercha même pas à comprendre et, après avoir fusillé le gars du regard, il le suivit en direction des bâtiments qui, d’ordinaire, lui étaient interdits en tant qu’esclave gladiateur. S’il connaissait de ce fait assez mal les lieux, il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu’on ne l’emmenait pas vers les pièces habituelles où il rencontrait Azza ou n’importe quel membre de son personnel qui voulait le voir pour une raison ou pour une autre. Il ne connaissait pas l’aile du bâtiment dans lequel il déambulait depuis quelques minutes déjà.
Finalement, le garde s’arrêta devant une porte, l’ouvrit et attendit que le gladiateur entre dans la pièce. Après une seconde d’hésitation, Sauveur s’exécuta pour s’arrêter sur le seuil. Aussitôt, il entendit les gonds grincer derrière lui. Il se retourna à demi pour voir le pan de bois se fermer et entendre le mécanisme de fermeture s’enclencher. Il haussa un sourcil intrigué. Qu’est-ce qu’ils lui préparaient encore ?...

Dans un soupire, il fit de nouveau face à la pièce dans laquelle il se trouvait. Elle était plutôt cossue… De belles tentures séparaient les espaces. Ici, un amas de coussins entourait une table basse, faisant office de salon plutôt agréable. Là, se trouvait une table sur laquelle reposaient deux bouteilles d’alcool et deux verres retournés. Il flottait dans l’air un parfum qu’il ne connaissait pas vraiment.
Sauveur avança de quelques pas. On ne l’avait pas enfermé là par hasard et la présence de deux gobelets sous-entendait qu’il ne devrait pas s’y trouver seul. Il inspecta donc les lieux pour voir si son interlocuteur était déjà arrivé. Il n’avait fait que quelques pas lorsqu’il perçut un mouvement sur sa droite et s’arrêta. Entre deux tentures rouges, une fine silhouette avançait dans sa direction, vêtue de bleu et de blanc. Deux mains graciles écartèrent les rideau pour laisser le passage libre à une jeune femme aux cheveux blonds encadrant un beau minois.

-Bonjour. Lui dit-elle, un doux sourire aux lèvres et du miel dans la voix.

Si sa robe était d’assez belle facture, elle était loin d’être celle d’une noble. L’échancrure de son col avait été élargie afin de laisser nues ses épaules. Son jupon était fendu jusqu’à mi-cuisse de telle manière qu’il laissait entrevoir un peu de peau lorsqu’elle marchait. Dans l’embrasure des rideaux, il aperçut une couche derrière la demoiselle. A la posture qu’elle prenait et au regard qu’elle lui lançait, il comprit rapidement qui était cette femme.

-Euh… Je crois qu’il y a erreur sur la personne.
-Tu es bien le dénommé Noble Lame ?

Au silence de Sauveur, elle eut sa réponse.
Il lui lança un regard perplexe. Elle était vraiment là pour lui ? Comment ?... -Azza. Pesta-t-il pour lui-même. N’arrivant pas à apaiser sa colère, elle avait fait appel à une professionnelle en espérant que cela aurait raison de ses humeurs ou qu’elle gagnerait des points dans son appréciation. Ce qu’elle pouvait mal le connaître…

-Je suis désolé mais on vous a fait déplacer pour rien. Je ne suis pas ce genre d’homme.

Il fit aussitôt demi-tour avec pour ferme intention de frapper à la porte et demander à ce qu’on le laisse sortir. Il n’était pas intéressé par une passe, même gratuite. Du fait de son statut et de l’intérêt que certaines nobles pouvaient avoir envers de jeunes gladiateurs ayant un tant soit peu de renommé, il n’aurait peut-être pas le choix de la première femme avec qui il passerait la nuit mais il était hors de question que celle-ci soit, d’une manière ou d’une autre, elle aussi contrainte. Seulement la demoiselle n’avait pas l’intention d’en rester là. Elle prit une voix suave et continua.

-Alors tu pars ? Sans même jeter un oeil à la marchandise.

Sauveur s’arrêta pour avoir au moins la délicatesse de la regarder dans les yeux mais il ne cacha pas vraiment son agacement devant cette situation et l’idée qu’Azza ait pu penser que ce serait une bonne idée…

-Je suis déjà considéré comme un sac de viande dont on dispose comme on l’entend. Je ne ferais pas la même chose avec vous.
-Si tu t’en vas, on ne me paiera pas et je ne trouverai pas d’autre client. J’aurais perdu ma soirée. Dit-elle pour l’arrêter alors qu’il lui tournait à nouveau le dos. Cela eut le mérite de le stopper dans son élan. Je comprends ton point de vue mais il faut bien que je gagne mon pain.

Sauveur resta quelques instants immobile, de nombreuses pensées traversant son esprit. Il était hors de question qu’il la touche mais il ne doutait pas qu’elle disait vrai à propos de son salaire. On n’allait pas lui verser un écu pour lui avoir à peine adressé la parole. Il la regarda à nouveau, sondant son regard. Elle avait abandonné sa posture aguicheuse, à plier sa jambe pour lui permettre d’apercevoir un bout de peau, à tourner légèrement sa tête sur le côté pour laisser voir son cou, à jouer de l’épaule pour éveiller son appétit. Elle se tenait droite, ses cheveux retombaient sur ses trapèzes, l’expression de son visage était sincère. A bien la regarder, elle n’avait pas l’air d’être une mauvaise fille. Juste d’être quelqu’un qui faisait ce qu’elle pouvait pour gagner sa vie.
Le gladiateur soupira profondément en laissant sa tête basculer vers l’arrière. Il ne voyait qu’une seule solution pour qu’ils obtiennent tous les deux ce qu’ils voulaient.

-Bon, commença-t-il en baissant à nouveau les yeux sur elle. Voilà ce qu’on va faire. Il ne va rien de passer mais je ne vais pas sortir avant plusieurs heures, comme ça ils n’en sauront rien. Vous n’avez qu’à vous offrir une soirée payée à ne rien faire. Ca vous va ?

La jeune femme se montra assez surprise de la proposition mais sa stupéfaction laissa place à un sourire doux et sincère. Il était prêt à s’en aller à sa simple vue, elle ne pouvait pas douter qu’il était sérieux en cet instant. D’autant qu’elle était bien placé pour savoir ce qu’un homme avait dans la tête… Et elle lisait dans ses yeux qu’il disait vrai.

-D’accord.

Sauveur hocha la tête, comme pour sceller leur accord. Au moins, il devait reconnaître qu’Azza n’avait pas si mal choisi. En d’autres circonstances, elle aurait pu lui plaire. Elle n’était pas vulgaire, ni trop inspirée par son travail. Elle semblait douce et fragile avec un visage aux traits réguliers. Il aurait pu être troublé… Si elle ne l’avait pas payée pour être là.

-Je m’appelle Opale.
-Hmhm, dit-il, du bitatif. Et ton vrai nom ?

La jeune femme resta perplexe une seconde. Personne ne lui avait sans doute jamais demandé jusque là. S’il n’aimait pas qu’on l’appelle Noble Lame en dehors de l’arène, sûrement qu’il en était de même pour elle lorsqu’elle ne travaillait pas. Et ils venaient de convenir que ce serait sa soirée de repos.

-Lina.
-Enchanté Lina. Fit-il en inclinant légèrement la tête. Je m’appelle Sauveur.
-Sauveur ? Tu es sérieux ?

Il écarta son regard. Visiblement amusé par la réaction de la jeune femme, il laissait enfin de côté son attitude renfrognée. Il n’avait plus de raisons se vêtir de sa colère à présent. Même s’il n’avait pas l’intention de dormir avec cette femme, il serait un peu plus confortable ici. Et puis cela faisait longtemps qu’il n’avait pas passé une soirée à discuter avec quelqu’un pour faire connaissance.

Après plus d’une heure de discussion, l’ambiance avait bien changée dans cette pièce de taille modeste où se trouvaient enfermés Lina et Sauveur. Plutôt que de rester là à se regarder dans le blanc des yeux, le gladiateur avait souhaité apprendre à la connaître un peu plus et elle joua le jeu. Ainsi, il apprit qu’elle était fille de servante pour un homme autrefois important de Thaar. Sa mère percevait un maigre salaire mais, en compensation, elle logeait chez son employeur avec sa fille, cette dernière n’ayant jamais su qui était son père. Lina avait commencé à aider sa mère très jeune car la maison était grande et il n’y avait qu’elles deux et un homme d’un certain âge pour tout faire. Un jour, leur employeur fit faillite et mit tout le monde à la porte. Du jour au lendemain, les trois domestiques se retrouvèrent sans toit et sans un sou en poche, l’homme n’ayant même pas pu leur verser leurs derniers salaires. Les deux femmes avaient cherché un travail longtemps et avaient fini par mendier pour subsister. Après plusieurs ennéades, la mère de Lina tomba malade et elles n’avaient pas les moyens de payer un docteur. La jeune fille d’alors quatorze ans prit la décision de se proposer pour une maison close. Elle était encore vierge, ce qui lui donnait beaucoup de valeur à leurs yeux. Elle obtint une avance qui lui permit de soigner sa mère avant de commencer son nouvel emploi.
Lina avait bien choisi son établissement. Ils proposaient un service de qualité et soignaient leurs filles. Aussi, ils ne l’avaient pas jetée dans la gueule du loup tout de suite. Elle était passée par une période où on l’avait initiée à la chose sans pour autant percer son hymen. Elle prit ainsi goût au plaisir, le sien et celui des autres. Elle ne détestait pas son travail, même si elle préférerait pouvoir choisir ses clients parfois.

Lorsqu’elle eut fini son récit, elle retourna les questions de Sauveur vers lui et, après un trait d’humour dans lequel il la qualifiait de traîtresse, il eut l’honnêteté de lui répondre. Après tout, elle lui avait avoué une part particulièrement humiliante de son passé, il serait malvenu pour lui de ne pas lui rendre la pareille. Il lui parla de sa famille, de leurs prénoms étranges, de leur domaine et des circonstances dans lesquelles ils l’avaient perdues, faisant de lui un gladiateur doublé d’un esclave. Lina s’intéressa à cette fameuse “Azza” et le rôle qu’elle avait joué dans leurs rencontres, ce qu’elle avait cherché à obtenir à lui offrant une passe sans qu’il la demande, ni même qu’il la veuille.

-C’est la première fois que je rencontre un homme qui réagit comme toi. Même s’ils ne m’ont pas demandée, ils ne rechignent pas à la chose quand on la leur propose. Surtout s’il n’a pas souvent l’occasion d’avoir de la compagnie dans son lit, et j’imagine que c’est ton cas.
-C’est vrai… Mais c’est pas pour autant que je vais “sauter” -si tu m’excuses le jeu de mot- sur l’occasion pour une fois qu’elle se présente.
-Pour une fois ? Releva-t-elle avant de marquer une courte pause. Me dis pas que tu…
-Tu quoi ? Couché avec une femme ?

Au regard qu’il posa sur elle, elle comprit que la réponse était non. Elle écarquilla alors les yeux, réalisant qu’on l’avait fait se jeter sur un homme vierge. Pourtant, il n’avait pas l’air d’être un gamin non plus…

-Attends, tu as quel âge ?
-Je vais avoir vingt-deux.
-Tu sais que la plupart des hommes ont donné leur premier coup de rein avant leur dix-sept ans ? Plaisanta-t-elle.
-Que veux-tu que je te dise. Je dois être un romantique.
-Hm… Je dirais plutôt que tu appartiens à une espère rare.

Leurs regards se croisèrent sans pouvoir se quitter pendant quelques instants jusqu’à ce que Sauveur tourne la tête avec un sourire à demi gêné. Elle rit observant à sa réaction. Si elle l’avait trouvé impressionnant et sombre à son arrivée, à présent elle le trouvait drôle et attendrissant. Elle devait bien admettre qu’il lui plaisait assez… Et elle voyait dans son attitude qu’il n’était pas insensible.

Si Sauveur n’était pas vraiment un buveur, il n’avait pas compté le nombre de verres qu’il avait avalé jusque là. A deux, ils avaient largement descendu la première bouteille. L’alcool commençait à faire son effet. Ils n’étaient pas saouls mais l’inhibition était à présent bien installée. Ils discutaient de tout avec une simplicité et une liberté déconcertante. Et aucun d’eux n’étaient gênés par les sujets qu’ils évoquaient. Les rires fusaient au contraire. Si le gladiateur n’avait jamais pratiqué la chose lui-même, il avait assisté à des scènes plutôt coquaces lorsqu’il servait de garçon à tout faire pour l’Aile Blanche. La plus drôle fut la fois où deux gladiatrices et un de leur collègue avaient été oubliés dans les bains. On l’avait envoyé y faire le ménage et ne s’était pas rendu compte de leur présence jusqu’à ce qu’il entende les gémissements de l’une des deux femmes. Et le plus curieux (à ses yeux) c’était que ce n’était pas l’homme qui lui donnait du plaisir. Lui s’occupait de la deuxième tandis qu’elle veillait au bien-être de sa partenaire. Ce qui expliquait qu’un seul gémissement raisonnait dans la pièce vide. Il s’était bien vite éclipsé et était passé près dès garde, le visage rouge cramoisi. Si la scène aurait pu choquer, cela n’avait rien de laid. Ils étaient tendres entre eux, contre-coup sans doute de la violence de leur quotidien.

-Et y repenser de t’a jamais donné envie de franchir le pas ?
-Je n’ai pas dit que je n’en avais pas envie. Je veux simplement pouvoir choisir avec qui. Au moins la première fois.

Lina respectait ça, même s’ils savaient tous les deux qu’un jour viendrait où une femme réclamerait sa compagnie. Aimé était passé par là et n’avait jamais eut la chance de pouvoir partager le lit d’une femme qui l’aurait réellement attiré. Celles avec qui il avait couché avaient toujours payé pour ça. S’il continuait dans sa lancée, le jeune Hadjaoui finirait probablement par recevoir la même attention de la part de ses admirateurs.
De son côté, Lina avait eu la chance de pouvoir choisir le premier homme avec lequel elle avait passé la nuit. C’était un client, bien sûr, mais elle avait eu plusieurs propositions avant de finir par en accepter une. C’était la politique de la maison afin qu’elle ne vive pas mal sa première fois. Pour se décider, elle avait passé un peu de temps avec ses “prétendants” pour voir si leurs tempéraments étaient compatibles. Elle avait choisi un homme qui lui semblait patient et doux. Elle avait passé un très bon moment et la préparation à laquelle elle avait eu droit lui avait été des plus utiles.
Sauveur se montra curieux de cette fameuse initiation et Lina ne lui cacha rien. On lui avait appris comment donner du plaisir, bien sûr, mais comment prendre le sien aussi afin de ne pas vivre son travail comme une contrainte et aider ses partenaires à jouir elle aussi. Elle donna même quelques exemples qui ne parlèrent hélas pas beaucoup à son interlocuteur inexpérimenté.

Les rires fusèrent à plus d’une occasion tandis que les deux jeunes gens se rapprochaient peu à peu sans vraiment s’en apercevoir. Et puis, un silence s’installa. Leurs regards se croisèrent sans parvenir à se quitter cette fois. L’épaule de Lina frôlait presque celle de Sauveur. Elle se sentit soudainement attirée, tel un aimant, et ne chercha pas à lutter. De son côté, le gladiateur la regarda s’approcher lentement, immobile et incertain. Lorsqu’elle fut trop près pour pouvoir encore la voir, ils fermèrent tous deux les yeux. Quelques secondes passèrent… et les lèvres de la douce se posèrent sur celles de Noble Lame. Ce premier contact était à la fois chaud et tendre mais il fut loin d’être unique. D’autres baisers suivirent auxquels Sauveur répondit avec la même intensité que Lina. Elle se rapprocha pour venir se coller à lui et il l’éteignit. Il avait parfaitement conscience de ce qu’il se passait mais il ne l’empêcha pas. Après tout, ils ne faisaient que s’embrasser.
De son côté, la jeune femme porta une main sur la joue du gladiateur, l’invitant à continuer. Ni l’un ni l’autre ne voulaient que ce moment s’arrête. L’alcool aidant, les baisers se firent progressivement moins chastes, réveillant des appétits que Sauveur ne connaissait pas encore. Lina les sentait dans sa façon de l’étreindre, dans la langueur de ses baisers, dans son souffle qui se raccourcissait. Alors elle laissa ses doigts glisser depuis la joue du guerrier jusque dans son cou pour commencer à se glisser sous sa tunique. La main de l’esclave vint l’arrêter tandis que ses lèvres quittaient les siennes.

-Lina…
-Je sais. L’interrompit-elle. On n’avait dit qu’on ne ferait rien.

Elle marqua une pause, mêlant son regard aux yeux si atypiques du jeune homme. Il y avait certaines choses qu’elle ne lui avait pas dites… Et elle se disait soudainement que c’était le bon moment pour les lui avouer.

-Nous sommes parfaitement honnête l’un envers l’autre depuis le début, alors il faut que je te confie une chose. Je ne serais pas payée ce soir si nous ne faisons rien mais à cette heure-ci, je m’en fiche. Je ne veux pas coucher avec toi pour de l’argent. Je veux passer la nuit avec toi parce que j’en ai envie… Et je suis prête à refuser leur argent.

Au début de sa déclaration, Sauveur fronça les sourcils, ayant soudainement l’impression de faire l’objet de abjecte manipulation depuis des heures. Lui qui avait le sentiment que le courant passait bien entre eux jusque là… Elle avait donc orienté habilement la conversation pour en arriver à ce moment ? Mais ce sentiment de trahison s’évapora aussi vite qu’il était apparu, la jeune femme ne s’arrêtant pas dessus avant de passer immédiatement au sujet qui la préoccupait réellement. Pourtant, son aveu ne lui semblait pas logique. Elle était sur le point d’obtenir ce qu’elle voulait, pourquoi tout lui dire ? Surtout au risque de perdre et sa paie et lui ?

-Pourquoi tu refuserais d’allier nécessité et plaisir ?
-Parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas ressenti un désir comme celui-là. Je me force à avoir envie parce que c’est mon travail ou je finis par me laisser aller aux attentions qu’un homme me prête mais ce n’est pas… naturel. Alors que quand tu m’approches… que tu me touches… que tu m’embrasses… Mon corps tout entier appelle à se mêler au tien.

La voix de Lina n’était désormais plus qu’un souffle effleurant son visage alors que leurs nezs se frôlaient. Du revers de ses doigts, elle caressait sa joue avec une douceur infinie. Le gladiateur ferma les yeux à ce contact.

-J’ai envie de toi, Sauveur. Et je sais que tu en as envie aussi.

Toujours sous l’emprise de ses caresses, il conservait les yeux fermés alors qu’elle le regardait, attendant sa réponse. Elle n’était qu’à quelque centimètres de lui et lui laissait le choix. Soit il acceptait et franchissait cette bien courte distance qui les séparait encore, soit il s’écartait et mettait un terme à tout ceci. S’il décidait de ne pas donner suite, elle comprendrait car elle était bien placée pour réaliser l’importance du choix de son partenaire la première fois. Elle serait une peu déçue et frustrée mais cela passerait et elle ne lui en voudrait certainement pas.
De son côté, Sauveur demeurait immobile, profitant du contact des doigts de Lina sur sa joue. Il avait pleinement conscience que rien ne le forçait à faire ça et que l’idée qu’il n’aurait peut-être plus jamais l’occasion de dire non n’était en aucun cas pour lui une raison de se forcer à quoique ce soit, bien au contraire. L’alcool libérait certes ses inhibitions mais son désir était réel.
Oui, elle avait raison. Il avait envie d’elle…

Après quelques secondes interminables, les lèvres de Sauveur retrouvèrent celles de la douce Lina. Bien vite, ils reprirent leurs baisers là où ils s’étaient arrêtés. Cette fois, les choses étaient sans ambiguïté entre eux et ils savaient vers quoi ils allaient. Assez rapidement, la jeune femme se redressa sans pour autant les interrompre et vint s’asseoir à califourchon sur les cuisses de son amant. Elle savait qu’elle devrait lui laisser le temps d’appréhender chaque étape de cet instant mais c’était sa façon de lui faire savoir qu’elle le guiderait aussi. De la même manière qu’elle avait été éduquée au plaisir, elle lui montrerait comment se servir de ses mains, de sa bouche et de sa langue pour décupler le désir d’une femme et la conduire à l’extase.
Elle n’avait aucun doute quant au fait de parvenir à faire de lui un excellent amant car il avait toutes les qualités qu’il fallait, à commencer par l’attention et l’altruisme. Des qualités qu’elle avait pas trouvé parmi ses prétendants, car ce genre d’hommes ne loue pas les services d’une professionnelle, et encore moins si c’est sa première fois.

Le jour se leva et inonda la pièce de sa pâle lumière sans que ni Sauveur ni Lina n'ouvre les yeux. Leurs vêtements se trouvaient encore dans le salon alors qu'ils dormaient paisiblement sous les draps dans l'espace lit. Devant leur porte, un garde avait veillé toute la nuit. S'il s'était un peu ennuyé au début, il n'avait pas eu de mal à tenir par la suite. Alors qu'Hashar s'approchait de lui, son visage était rouge et de la sueur perlait sur son front. Il lui tardait de retrouver sa gueuse pour se libérer de la tension qui le gênait dans ses guêtres...
L'eunuque s'informa sur la soirée mais, à la tronche du veilleur, il pouvait facilement deviné que ça ne s'était pas ennuyé là-dedans...

-Ils dorment encore ?
-Oui. C'est que... Ils se sont arrêtés un peu avant l'aube en fait. Elle a pas chômé la petite, j'ai bien entendu.

La jeune femme n'avait pas été expressive plus que de raison mais ses gémissements étaient assez expressifs, d'autant qu'ils ignoraient l'un et l'autre qu'on les épiait à la porte. Ils n'avaient pas forcément fait l'amour en permanence comme le pensait le garde mais ils avaient pris leur temps. Après avoir ressenti l'extase, leurs gestes étaient toujours emprunt de douceur et de sensualité. Sauveur ne s'était pas révélé très timide, laissant ses mains et ses lèvres parcourir le corps de la belle tandis qu'elle se remettait de ses émotions. Lina en avait profité pour lui donner quelques conseils qu'ils avaient aussitôt mis en pratique et, de fil en aiguille, leurs appétits avaient fini par se raviver... Le garde exagérait néanmoins sur le temps que leurs ébats avaient duré car ils dormaient depuis plusieurs heures déjà.
Peu importait de toute manière. Il était temps que la prostituée et le gladiateur se remettent au travail, chacun de leur côté. Hashar entra sans discrétion, récupéra les vêtements dispersés sur le sol et les envoya valser sur le couple embrumé qui se trouvait dans le lit. Dès qu'ils furent habillés, les deux jeunes gens sortirent. L'eunuque se trouvait toujours là, les attendant près de la sortie. S'adressant à Lina, il lui désigna le garde d'un signe de tête.


-Il va vous raccompagner. Puis, se tournant vers Sauveur. Toi, je te conduis à l'entraînement.

La blonde s'avança vers la porte. Passant devant le dornien, elle s'arrêta et fixa la bourse qu'il lui tendait. Elle avait dit qu'elle refuserait et elle était bien décidé à le faire. Elle releva les yeux vers Hashar et allait le lui dire lorsque l'Hadjaoui apparut à son côté. Il prit l'argent et le plaça lui-même dans les mains de la jeune femme. Elle le regarda, surprise par son geste, et chercha à en déterminer le sens. Elle ne lui avait pas menti à lui disant qu'elle avait vraiment envie de lui. Il se passait quelque chose entre eux et elle s'apprêtait à le lui prouver avant son intervention. Elle craignait que lui n'ait pas été honnête avec elle ou qu'il revenait sur ses paroles... Mais non. Elle le lisait dans ses yeux, il ne voulait pas qu'elle soit payée pour la nuit qu'ils avaient passé ensemble. Elle devait cependant vivre, se nourrir, prendre soin de sa mère... Elle avait besoin de cet argent. On le lui donnait et, si elle estimait que cette nuit n'avait pas été une nuit de travail, elle pouvait toujours l'envisager comme un cadeau.
Son cadeau.

Lina lui adressa un sourire tendre et sincère. Elle avait eu raison... C'était un être bon et elle ne regrettait rien de ces dernières heures passées ensemble. Elle nourrissait le secret espoir de le revoir prochainement, même si ce n'était pas tous les jours qu'une école payait une passe à un gladiateur...
Hashar les observa sans rien dire. La prostituée s'en alla et Sauveur la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans le couloir, non sans lui avoir lancé un dernier regard. Puis il se tourna vers l'eunuque. Il n'eut aucun mal à comprendre que ce dernier venait de s'apercevoir qu'il s'était passé quelque chose entre eux. Cela n'avait pas été une simple passe à leurs yeux et ce n'était pas que les divagations d'un homme naïf, abusé par les charmes d'une demoiselle... Il n'y avait qu'à voir comment elle l'avait regardé alors qu'il lui donnait l'argent, l'ombre de la crainte qui avait traversé ses yeux, et puis l'ultime regard qu'ils avaient échangé. Ce n'était pas encore véritablement de l'amour mais il ne faudrait pas grand chose pour que ça en devienne.
Cela expliquait aussi que Sauveur ait tant profité d'une situation qui le répugnait... Même si tout avait été arrangé pour lui au départ, il avait choisi celle avec qui il avait sauté le pas.[/b][/b]