[MdO2019] Fern, je te choisis! | Urgoll

Favrius de l’an 13 : XI

Lentement, avec la souplesse d’un chat, Myr’Hennis s’étira et la grâce toute féline qu’il avait jusque-là s’évanouit alors que son problème de dos se rappela douloureusement à lui. Décidément il avait besoin de faire quelque chose à ce sujet, mais quoi ? Il rejeta la question d’un mouvement de tête agacé, il avait déjà tout tenté et rien n’avait marché, en tout cas rien de durable. Il referma l’épais volume d’urbanisme troglodyte qui trônait magnifiquement sur un lutrin et il retourna s’asseoir sur un siège de la table centrale de son bureau. Mais il n’y resta pas longtemps, ayant du mal à visualiser un des nombreux projets sur lesquels il travaillait il alla regarder directement la maquette qui attendait paisiblement, posée sur une lourde table de bois. Malheureusement aujourd’hui il n’avait pas envie de travailler, tant pis, la rénovation de l’Ecole de Service attendra quelques heures qu’il se vide la tête, ou quelques jours ; de toute façon ce n’était pas vraiment son problème. Il se tourna pour regarder les outils de sculpteur posé derrière lui et fit la moue, il n’avait pas envie d’attendre que quelqu’un ramène un monolithe et il n’avait pas envie de réfléchir à quelle pierre prendre, surtout qu’il n’avait aucun sujet en tête. Alors au lieu de créer, Myr’Hennis se plongea dans ses souvenirs, revisitant un musée de ses créations avec une certaine fierté teintée de nostalgie.

Il était visiteur et guide, chaque œuvre avait sa place, tout était harmonieux. Jusqu’à ce qu’il tombe sur ses souvenirs de la statue en marbre noir de Zhak’Bar qu’il avait offert à Urgoll. Contrairement à ses autres œuvres il ne savait pas où elle était, dans son musée imaginaire elle flottait donc dans le néant ce qui le mettait particulièrement mal à l’aise. Pour échapper à cette vision ô combien désagréable il sortit de son musée et se dirigea vers son bureau, en s’asseyant suite cette rencontre avec l’abysse il se sentit d’un coup particulièrement seul. Certes Plynnil était dans la pièce avec lui mais ce n’était pas vraiment une personne, elle ne comptait pas. Il lui manquait quelque chose, une présence rassurante. Alors, il se leva, marcher aidait souvent pour sa réflexion. Il déambula donc dans les couloirs de sa villa ; malheureusement personne n’était là pour l’écouter, sa garde n’avait pas que ça à faire et puis pour le reste il n’y avait que des esclaves.

Myr’Hennis avait besoin de sortir, de parler et quoi de mieux que de mêler l’utile à l’agréable ? Alors l’architecte s’en alla vers le temple de Zhak’Bar pour voir Urgoll. Arrivant au temple avec une garde réduite, une dizaine de soldats, il demanda à voir le haut-prêtre pour prier avec lui.

Les gueules se tendent et se dévorent, les griffes dévirent et se heurtent aux écailles. Au concert de sifflements et de grondements bestiaux, se mêlent les chants rauques des prêtres, et le murmure des croyants, dont les regards graves et vibrants observent, en contrebas, dans la fosse de roche sombre, marquée par d'innombrables combats, deux dragons de perrelin, couturés de blessures, plus ou moins anciennes, dont la rage n'a de cesse de les jeter l'un contre l'autre. La rage, ainsi que le savoir-faire des prêtres : des fluides d'une femelle en chaleur ont été répandu, rendant d'autant plus fous les mâles, qui rugissent et s'entre-dévorent pour une conquête qui ne leur est même pas acquise. Guidant le chant, la voix puissante et basse du Haut-Prêtre entame un nouveau couplet, tandis que le plus massif parvient à saisir la patte de son adversaire, et le renverse.

"Haut-Prêtre..."

Avec une plainte rageuse, l'animal vulnérable se débat, griffant son ennemi, tendant de le mordre à son tour. Dans ses tentatives pour s'arracher à la gueule carnassière, sa queue sifflent et claquent sur la roche obscure, écrin de leur combat à mort. Malgré la petite voix nerveuse, celle du Gris ne change pas, poursuivant son chant solennel et sombre.

"Haut-Pr- rh !"

Un instant où le regard sanguin dévie du spectacle bestial qui se déroule, en l'honneur du Prime Dragon, afin de faire taire le novice, par le poids de l'attention se porte soudain sur lui, comme la pression du battoir qui s'est refermé sur sa gorge. Un instant où le jeune sombre panique en sentant sa jugulaire se faire broyer... Avant que la poigne ne se relâche. Juste assez pour le laisser respirer.
Sans autre avertissement, Urgoll'Ven retourne à son chant et à a lutte des dragons ivres de violence, sa main toujours détentrice du souffle du novice. Son débit vocal n'a en rien changé. Aucun prêtre n'est intervenu, tous concentrés sur la pulsation de vie dans la fosse, qui se fait effrénée.

Un hurlement animal salue la réussite du plus petit. Bien qu'ayant une patte tordu dans un angle étrange, ses mâchoires se sont refermées sur la gorge de son adversaire. Celui-ci a eu le temps de lâcher un râle de douleur, avant que l'air ne lui manque, ses griffes labourant le flanc de son rival, y ouvrant de profondes blessures. Le chant atteint son paroxysme, se répercutant sur les parois aveugles et obscures, qui ont vu tant couler, tant périr... Et un énième rend son dernier soupir, s'effondrant sur celui qui l'a tué, et qu'il a condamné.

Des spasmes agitent encore son corps quand le Gobelin relâche le novice, saisit la lame sacrificielle qui lui est tendue et quitte le rang, bondissant dans la fosse. Les volutes sonores et sombres couvrent le bruit de ses pas, alors qu'il s'approche des deux bêtes. Coincé sous le mort, le survivant siffle à sa vue, sa gueule sanglante prête à remettre le couvert. Vif, le sombre lui frappe le museau, et s'approche encore pour nicher la lame dans sa gorge, puis recule aussitôt. Alors, les grognements se noient dans le fluide rouge qu coule de ses trop nombreuses plaies, et bientôt, le dragon de perrelin périt, sans que les prêtres n'aient cessé leur ode à leur dieu bestial.

Les sens saturés de sang et de musc, le Gobelin finit par éventrer la créature victorieuse, cherchant dans le carcan de sa chair épuisée le cœur encore chaud, perçant la protection des écailles, des muscles et des os. Dans un froissement organique, l'organe est arraché à sa gangue de chair, et brandi. Rugissant le nom de Zhak'Bar, repris en écho par les prêtres, le Haut-Prêtre embrase le cœur sanglant. Encore et encore, le nom du Prime Dragon est scandé, tandis que la masse de chair brûle et grésille, dans la paume du drow gris.

◘ ◘ ◘ ◘ ◘

Plus d'une demi-heure après son arrivée, le Grand Architecte et sa garde purent voir, parmi la petite foule de prêtres qui se répandit dans l'enceinte du Temple, une haute silhouette vêtue du cuir et du plastron habituel. N'ayant pas pris la peine de se changer, le Gobelin avant un bras entier encore rouge et poisseux des fluides du dragon perrelin, son visage et son épaule en étant même mouchetés. Le novice ayant porté la nouvelle le suivait, la gorge encore douloureuse. A l'approche de l'Architecte, le Haut-Prêtre de Zhak'Bar se mit à sourire : voilà un visiteur qui ne lui donnerait pas mal à la nuque. Renvoyant le novice d'un geste du poignet, Urgoll'Ven salua d'un geste de la tête le drow qu'il pouvait regarder en face, tout sourire et crocs saillant.

"Grand Architecte Vect... fit-il de sa voix grondante, tandis que ses mires, encore plus sanglantes que son bras, se posaient sur la dizaine de gardes. Votre garde va-t-elle honorer le Prime Dragon par sa chair et son art du combat ?"

Les bras tranquillement dans le dos, le coeur posé après avoir honoré son dieu, le Haut-Prêtre observa ces combattants, venus dans l'enceinte de Son temple, comme sur le pied de guerre. Quel ennemi... ? Une once d'amusement se glissa dans son rictus.

L’architecte détestait qu’on le fasse attendre. Il était patient, là n’était pas le problème mais pour lui, faire attendre quelqu’un avant de le recevoir était tout sauf subtil. Je savais que j’aurai dû l’inviter. Il tournait en rond dans l’enceinte du temple, dérangeant les prêtres et fidèles mais personne n’osa lui dire quoi que ce soit, si son rang n’intimidait pas les plus courageux, les soldats à son service s’en chargeaient. Ce qu’il trouvait d’ailleurs particulièrement amusant parce qu’aujourd’hui sa garde prétorienne se composait de neuf soldats, des hommes qu’il avait recrutés cette année, et le second ancien veldruk à son service : Tath’Phyn ; c’était surtout lui qui intimidait les autres. Bon il faut dire que si Myr’Hennis était pénible c’était un peu par caprice. Une demi-heure ! C’est très long une demi-heure, bien trop long, surtout pour ceux qui ont dû supporter le Grand Architecte durant leurs dévotions.

Tu daignes enfin te montrer, les sourcils de Myr’Hennis se froncèrent. Bon au moins il s’était déplacé au lieu de lui dire de le rejoindre, c’était toujours ça. Cela dit Urgoll n’avait pas pris la peine de se laver avant de venir. Au sourire dentelé du haut-prêtre, le Grand Architecte répondit par un visage impassible et plus inexpressif qu’une flaque de goudron. Ils ne s’abaisseraient pas à faire plaisir à ton dieu, voulut répondre Myr’Hennis dans un grognement mais il n’était pas là pour ça.

« Haut-Prêtre Urgoll. » Il hocha la tête en guise de salutation. « Non, je crains que mes gardes ne soient bien trop occupés à honorer Uriz, je ne suis pas venu pour ça. Cependant ma venue concerne directement le Prime Dragon : je voudrais le prier dans l’espoir qu’il m’accorde sa bénédiction et j’espère que vous allez pouvoir m’aider, qui d’autre que son haut-prêtre pour convaincre Zhak’Bar ? »

Si le rictus ne se défie pas d'un iota, le regard, en revanche se fit plus acéré. Jaugeant la stature des gardes, le Gobelin en apprécia la puissance contenue, tout en déplorant qu'ils servent le monceau d'orgueil mal placé du Grand Architecte. Quel piètre croyant vient demander une faveur à un dieu d'une telle manière ? A un prêtre arrogant, il aurait brisé la mâchoire. Pour le sombre qui lui faisait place, c'était plus compliqué. Cela dit, au lieu d'en être agacé, le vieux drow se surpris à apprécier ce défi, et les réflexions qu'il faisait naître dans son esprit, habitué à la perfection pure des bêtes et des cataclysmes. La subtilité... Certainement pas l'apanage du Prime Dragon. Cependant, difficile de ne pas en faire usage, à l'occasion, après des siècles d'existences au sein de la société eldéenne.

"Bien... Gardes, rendez-vous au Temple d'Uriz. Là est le lieu où vous lui rendrez au mieux hommage." Si le premier mot fut tranquille, le reste claqua, ordre sans ambage d'un Triumvir en son domaine.

Autour d'eux, bien que l'activité se poursuive, une certaines tension se fit sentir. Prêtres et fidèles, déjà peu ravis par la présence intrusive du Grand Architecte et de ses hommes, se firent plus attentifs à ce timbre familier. Certains regards écarlates s'attardèrent plus que de coutume sur ces croyants peu révérencieux. Tous les gardes obéirent... Sauf un. Urgoll'Ven sourit de plus belle, commençant à considérer le sombre comme une offrande potentielle... Avant que le concerné ne se ravise et s'exécute, après un infime temps d'hésitation. Alors, le faciès au rictus si facile, presque affable présentement, se tourna de nouveau vers le Grand Architecte.

"On ne convainc pas Zhak'Bar, Grand Architecte. On le nourrit. Sa bénédiction n'est pas accordée, elle se mérite. souffla avec révérence le Gobelin, d'une voix grondante et base, son regard sanglant rivé dans celui de son vis-à-vis. Tendant son bras couvert des fluides du dragon en une invitation à marcher, il poursuivit. Pourquoi requièrez-vous Son attention ?"

La tentation avait été grande de tenir tête à Urgoll, elle était particulièrement plaisante mais voilà : Myr’Hennis avait quelque chose à lui demander et il ne préférait pas se le mettre à dos, en tout cas pas tout de suite. Alors lorsque Tath’Phyn avait hésité il lui avait fait un geste discret de la main pour lui dire que c’était bon. Il ne savait pas ce qui avait motivé l’ancien veldruk, était-ce parce qu’il ne voulait pas laisser le Grand Architecte seul ? Était-ce parce qu’il préférait obéir à son supérieur direct au lieu d’un triumvir ? Peu importe la réponse, elle plaisait à Myr’Hennis. De plus il ne pouvait pas se permettre de perdre ses recrues, tant pis, sa vengeance prenait le pas sur le reste.

Le Grand Architecte avait beau être deux fois moins imposant que le Haut-Prêtre de Zhak’Bar et il savait très bien que ce dernier aurait pu le tuer sans effort mais il ne s’était pas départit de son assurance coutumière malgré le départ des seuls individus qui se seraient interposés entre lui et Urgoll. Déjà parce qu’il n’avait pas peur mais surtout parce qu’il n’aurait pour rien au monde donné ce plaisir à son interlocuteur. Myr’Hennis attendit que ses soldats quittent le temple pour répondre à la question qui lui était posée en avançant lentement jusqu'où Urgoll voulait bien le mener.

« Soit, on le nourrit, qu’il en soit ainsi. Cependant, avant de vous révéler pourquoi j’aimerai sa bénédiction je voudrais me recueillir, lui adresser une modeste prière afin qu’il daigne au moins tourner la tête vers moi. Si possible, j’aimerai prier devant une de ses représentations, j’aime visualiser les dieux avant de prier et y’a-t-il plus impressionnant qu’une statue de Zhak’Bar ? »

Le visage toujours impassible, Myr’Hennis regardait avec insistance Urgoll, se demandant si ce dernier allait comprendre où il voulait en venir. Il ne se posa la question que peu de temps, même s’il n’appréciait guère le Haut-Prêtre il ne doutait pas de son intelligence ; après tout n ne survit pas aussi longtemps sans déceler l’implicite.

Révélant davantage sa dentition carnassière, Urgoll'Ven regarda son cadet tout en marchant à ses côtés, de l'amusement dans ses mires sanguines. La statue. Ce n'était pas n'importe quelle représentation que voulait voir le Grand Architecte, mais celle dont il avait fait don, au moment des purges. Un cadeau fort bienvenu, en cette période troublée où les Indécis et les Indignes avaient été traqués dans tous le Puy, afin de faire face au jugement de Meingal, arme à la main. Quelle jolie babiole, de la part du Grand Architecte excentrique. Urgoll'Ven avait particulièrement gouté l'ironie du geste, de la part du civil dont les préoccupations s'étaient si souvent heurtées à l’œuvre des servants du Maître des Cataclysmes.

"Soit." répondit-il simplement.

C'est ainsi, côte à côte, que le Grand Architecte et le Haut-Prêtre de Zhak'Bar franchirent les portes du Temple proprement dit, au milieu d'autres prêtres et fidèles. Là, le sombre si dévoué put contempler la vision demandée : ce n'était pas là l’œuvre tout en finesse qu'il avait offert, mais unecréation plus massive encore, plus ancienne, plus brute, qui surplombait quiconque franchissait les portes du Temple. Comme s'arrachant dans une explosion de violence et de roche à la paroi du ventre du Puy, une créature on ne peut plus draconique emplissait la grande salle. C'est face à une gueule obscure, et garnie de crocs aussi noir qu'une carcasse brûlée que les fidèles se prosternaient pour les uns, scandaient des prières pour les autres. D'autres encore se scarifiaient, leur sang s’écoulant dans un dédale de rigoles aux destinations incertaines. Parmi les litanies, l'une s’accompagnait même d'une subtile complainte, celle de l'esclave, maintenu au sol par sa maîtresse qui, avec application et prière, faisait couler son sang en un débit qui ne pourrait que lui être fatal.

Rares furent ceux qui se détournèrent pour leur prêter attention, si ce n'est un novice qui s'avança, le regard enfiévré, un pan de sa tête sanglant. Sa crinière blanche absorbait le rouge d'une plaie tout en la dissimulant. L'air hagard, le novice voulut tendre sa dague sacrificielle vers eux... Avant de papillonner des yeux face au haussement de sourcil du Haut-Prêtre. S'inclinant prestement, il s'en retourna, laissant quelques gouttelettes carmines comme traces de son passage.

Son cœur vibrant au même rythme que les psalmodies sombres qui se répercutaient dans la grande salle, se mêlant aux échos de plaintes animales venues des profondeurs du Temple, le Gobelin observa le Grand Architecte, l'invitant, de sa main sanglante toujours, à procéder.

Si seulement ce n’était pas le temple de Zhak’Bar, Myr’Hennis lui aurait apporté le soin qui convenait au sanctuaire d’une divinité mais un dieu qui prêche activement la destruction n’a pas le droit au même traitement que les autres ; glorifier le temple aurait transmis un message que le Grand Architecte n’avait pas envie de voir se répandre, il avait déjà assez de travail avec la Cité Magmatique dans son ensemble, il n’avait pas besoin que sa population se mette activement à la détruire. Toutefois le bâtiment, sans pour autant faire peur à voir, avait bien besoin d’une rénovation, il faut dire que l’architecte ne s’en était pas occupé depuis longtemps mais le clergé n’en avait pas fait la demande alors il ne comptait pas faire quoi que ce soit. Et le peu de sympathie qu’il pouvait avoir pour le temple et ses habitants, disparut lorsqu’il se rendit compte qu’Urgoll n’avait pas du tout l’intention de lui accorder ce qu’il demandait. Est-ce tant te demander ? Myr’Hennis ne dit rien, il avait suffisamment insisté comme ça mais il découvrit ses dents et laissa briller un éclat d’animosité dans son regard. Le dragon doit être nourri et il le sera, l’architecte s’avança vers le novice à l’air perdu et attrapa la dague par la lame, grognant sous la douleur alors que l’acier entamait sa chair. D’un coup sec il s’empara de l’arme, entaillant toujours plus profondément sa main, il défia le novice du regard d’avoir quoi que ce soit à y redire et, sans attendre l’invitation du haut-prêtre, il s’avança jusqu’à être au pied de la statue. S’il devait faire couler le sang il le ferait en étant le centre de l’attention, comme tout ce qu’il faisait. Il prit la dague correctement et de sa main gauche desserra ses ceintures puis d’un coup d’épaule sa toge blanche tomba, étant désormais habillé qu’à partir de la taille il tomba à genoux dans du sang en train de coaguler et d’un mouvement souple, solennelle et surtout sans hésitation, retourna l’arme contre lui.

Il plaça la pointe acérée au sommet de la cicatrice qui lui zébrait le torse, elle n’eut aucun mal à traverser la peau et après un grognement Myr’Hennis continua à faire descendre l’arme en suivant sa cicatrice. Faisant rentrer la lame de quelques centimètres il lâcha un râle de douleur en sentant l’acier gratter contre ses côtes. Lorsqu’il arriva au bas du sternum il commença à faire zigzaguer la lame afin d’imprimer un éclair dans sa chair. Une fois arrivé jusqu’à ses ceintures il remonta au niveau du sternum pour continuer de se scarifier, créant des branches à l’éclair sanglant. Lorsque ce dernier frappait les hanches de Myr’Hennis en cinq endroits il posa la dague à côté de lui et se mit à psalmodier les rares prières à Zhak’Bar qu’il connaissait. La peau de l’architecte passa lentement du gris cendré au gris pâle tandis que son pouls s’accélérait tout en diminuant. Le sang qu’il perdait coulait lentement, attiré par la gravité, et venait rougir ses toges brisant leur blancheur virginal habituelle.

Sans un mot, le Haut-Prêtre de Zhak'Bar avait observé les gestes du Grand Architecte, prêtant l'oreille à ses râles comme au son de la lame tranchant la chair. Cependant, quand il débuta ses prières, le Gobelin s'avança, suffisamment pour découvrir 'l'oeuvre' du sombre gris... Et en froncer les sourcils de perplexité. Le rictus disparu alors qu'il s'agenouillait, attirant l'attention sans s'en inquiéter, entièrement concentré sur l'être dont la chair était exposée d'une manière aussi théâtralement... Mortelle.

Rejetant cette confusion qui ne le menait à rien, le Géant posa une main sur l'épaule de son vis-à-vis. A vrai dire, il s'amusait presque de la situation : rare étaient ceux qu'il pouvait regarder dans les yeux sans avoir à se casser la nuque à l'usage. Et celui-ci venait peu ou prou de s'ouvrir le torse comme le Haut-Prêtre l'aurait fait pour un sacrifice. Curieux comportement.

"En réalité, Grand Architecte, de qui te protège ta garde ? dit Urgoll'Ven posément, tout en arborant un sourire amusé. De tes ennemis, ou de toi-même ?... Dans tous les cas, il te faudra être vivant pour faire ta demande au Prime Dragon."

Tout en disant cela, l'autre bras du drow s'était animé, indépendamment, attirant par ses arabesques l'énergie arcanique. Ses mires sanguines se portèrent sur les plaies ouvertes, dont le précieux liquide s'enfuyait en un flot régulier. Il lui eut suffit de ne rien faire, et le sombre serait mort en quelque minute. Cependant... Il avait une demande à faire. Urgoll'Ven n'allait pas le laisser mourir avant cela, quoique cela eut donné un sacrifice des plus plaisants, sans doute.

Avec la tranquillité de l'habitude, l'élémentaliste enfonça un doigts dans la plaie. Au détail près que cette appendice brûlait comme un fer chauffé un blanc, chauffé par la mage attirée dans son corps. Sa poigne empêchant le sombre d'échapper à la brûlure immonde qui cautérisait sa chair, le Gobelin suivit l'éclair, l'étoile tracée dans le torse du daedhel. Ses sens ne percevaient plus que l'odeur délicieuse de la viande brûlée, tandis que son doigts à la caresse de brasier suivant les pans ouverts. Cela n'était pas beau, cela était certains. Cela avait pour seul intérêt que d'arrêter l'hémorragie. La morsure du feu... Son propre épiderme frémit, sans que cela ne l'interrompe.

Avec la fin de l'écoulement, cessa le bruit du grésillement. Sans surprise, Myr'Hennis s'était évanoui... Et Urgoll'Ven soupira. Il ne respirait plus non plus. Grondant après cette imbécilité, inconscience, tentative de suicide ou peu importe de quoi il s'agissait, le sombre agita de nouveau une main, faisant délicatement rentrer de l'air dans les poumons du drow, tout en levant la tête vers le prêtre le plus proche, que ce manège avait attiré.

"Va chercher un prêtre de Kiran. MAINTENANT." tonna le triumvir.

Plus tard, dans le Temple de Kiran

Cela n'était pas commun pour le Haut-Prêtre de Zhak'Bar que de se rendre au Temple de Kiran pour d'autres sombres que les servants de son dieu. Cela l'était d'autant plus qu'il revenait pour voir ce qu'il advenait du drow en question, quelques heures après l'y avoir déposé. Ce n'était pas non plus tout les jours qu'un croyant tentait d'offrir sa propre vie en sacrifice... Sans même avoir explicité la demande justifiant pareil acte. Traversant le temple, presque familier après les siècles de va-et-vient, le Gobelin retrouva Myr'Hennis dans l'une des salles de soins. Les prêtres avaient fini leur oeuvre. Ou du moins, avaient laissé leur auguste patient capable de respirer par lui même.

Sans un mot, Urgoll'Ven prit place dans la pièce, posant sur le Grand Architecte un regard des plus amusés.

La voix de Myr’Hennis s’était faite de plus en plus faible alors que le fluide qui permettait à son corps de fonctionner s’en échappait comme un prisonnier qui avait tant attendu sa libération. S’il en avait eu la force il aurait répondu « les deux » avec un sourire aux lèvres mais il s’était évanouit avant la fin de la phrase d’Urgoll.

Un sacrifice. Peut-être était-ce bien le cas. L’architecte avait beau s’être élevé très haut dans la société daedhelle, aussi haut que ça lui était permis d’ailleurs, il ne se sentait jamais accepté. Un être faible dans une société qui prônait la force. Il se voyait comme une erreur et même si son orgueil lui répétait sans cesse que c’était la volonté des dieux qui l’avait placé là où il était aujourd’hui, sa raison, une petite voix qui avait tant été étouffé au cours de ses trois derniers siècles d’existence, lui soufflait avec une justesse insupportable qu’il n’avait survécut qu’en possédant une chance hors du commun. Pourtant il avait tout fait pour qu’on l’accepte, il avait servi tant et plus dans l’espoir, qu’au moins dans le regard des autres, ses tares disparaissent, à commencer par sa mal-vue. Mais ça n’avait pas été le cas et à chaque fois il sentait de lourds regards accusateurs se poser sur lui. Pourquoi es-tu là alors qu’elle était pourtant bien plus douée que toi ? La question le tourmentait depuis plus d’un siècle lorsqu’il n’arrivait pas à s’occuper suffisamment l’esprit. Il n’avait pas la réponse et de toute façon il ne voulait pas savoir, c’était une injustice que Meingal n’avait pas jugé bon de réparer. S’il avait caché la maquette du Puy que Nahala avait faite c’était autant pour s’assurer qu’elle ne tombe pas entre de mauvaises mains que pour ne pas avoir constamment sous les yeux ce chef d’œuvre qui lui rappelait douloureusement qu’il ne méritait pas la place qu’il occupait, qu’il n’était qu’un usurpateur qui s’était trouvé au bon endroit au bon moment. Qu’il était passé entre les mailles du filet, la preuve vivante qu’une méritocratie peut avoir des ratés. C’était pour ça que Myr’Hennis n’était pas sorti de son nouveau bureau pendant un siècle après la mort de Nahala ; s’il était finalement sorti de cette isolation c’était parce qu’il s’était résigné, convaincu que jamais il n’arriverait à sortir de son ombre, il s’était mis au travail. Lorsqu’il se retournait pour regarder le souvenir qu’il avait d’elle, l’architecte se sentait toujours comme un enfant devant une statue d’Uriz : émerveillé et ressentant le désir ardent d’égaler le héros déifié tout en sachant que ce rêve est à jamais inatteignable.

C’était avec la rencontre de Nahala que Myr’Hennis avait développé cet égo surdimensionné, un simple mécanisme de défense pour qu’enfin se taisent les voix qui lui susurraient constamment qu’il ne serait jamais à la hauteur, malheureusement sa raison en avait payé le prix et fut enfermée dans l’abysse avec son complexe d’infériorité. Au fil des ans elle arrivait parfois à remonter, difficilement et jamais bien longtemps ; cependant elle savait parfaitement que Myr’Hennis n’avait pas sa place dans la société drow et à travers ses reprises de contrôle épisodiques et lacunaires, sa raison avait commencé à développer des tendances suicidaires dans l’espoir que le problème se règle tout seul. Myr’Hennis n’avait pas peur de souffrir, pas plus qu’il n’avait peur de mourir. Myr’Hennis avait peur d’être oublié.

Il ouvrit lentement les yeux. Le Grand Architecte ne reconnut pas la salle de soin, il pouvait compter sur les doigts d’une main les fois où il s’y était retrouvée et elles étaient suffisamment espacée pour qu’il n’ait pas eu le loisir de connaître toutes les salles à disposition. Sa respiration laborieuse ressemblait davantage à un râle d’agonie mais si les prêtres avaient jugé suffisant les soins qu’ils avaient apporté à quelqu’un d’aussi important alors ça devait être assez. Dans son champ de vision périphérique se glissa la silhouette ô combien reconnaissable d’Urgoll. Ça le fit sourire, il ne s’était pas attendu à voir le haut-prêtre à son chevet. Il ne s’était pas attendu à voir quiconque d’ailleurs, un médecin peut-être, et encore. Avec un effort visiblement douloureux il se redressa dans l’espoir de s’assoir mais il ne réussit qu’à se mettre sur ses coudes, toujours allongé sur la longue table tâchée de sang.

« Zhak’bar a-t-il été suffisamment nourri ? » Dans sa voix il y avait quelque chose d’étrange, comme si de ses yeux enfiévrés Myr’Hennis mettait au défi Urgoll de lui dire non.

"Ce n'est pas à moi de vous répondre." souffla le Gobelin, amusé, en réponse à la pointe de défi qu'il perçut.

Croisant les bras, il sorti de l'ombre où il s'était naturellement placé, baissant les yeux sur Myr, étendu, dont les vêtements avaient été laissés ouverts pour faciliter le travail des prêtres de Kiran. Sur le torse osseux, à la musculature aussi sèche que celle du Gris était massive, il y avait désormais un tracé de chair cautérisée, une étoile grossière et noircie. Le Haut-Prêtre de Zhak'Bar en avait encore l'odeur dans le nez, celle de la viande drow brûlée. Ses mire sanglantes se portèrent sur le visage émacié, encore pâle du sang perdu.

"Si votre requête était de périr pour son plaisir... dit Son Haut-Prêtre d'une voix grondante d'amusement, un rictus étirant ses lippes coupées au couteau. Ses bêtes seront ravies d'arracher toute chair à votre carcasse, avant d'en briser les os pour en sucer la moëlle. Cependant, à nouveau, je ne pourrais dire à vos restes si le Prime Dragon a été suffisamment nourri. Ses dents se firent voyantes. Je me plais à croire que son sourire n'est jamais aussi grand que face à des enfants d'Uriz ayant survécu à ses défis."

Que de paroles pour le servant de Zhak'Bar... La situation y était propice : un sombre, peu avenant envers le culte, le dépréciant même, quoiqu'il prit garde au cours de ses multiples altercations avec le Gris, suite à une dégradation, à conserver à l'abris de sa caboches les parole sans doute irrévérencieuses dansant en bordure de ses lèvres, dans les reflets de ses mires courroucées, tout en exprimant en propos acceptables quoiqu'agaçant, son déplaisir de Grand Architecte; ce daedhel donc, venant se sacrifier lui-même en Son Temple, sans même avoir formulé sa requête. Il semblait que cela rendait Urgoll'Ven plus loquace qu'à l'ordinaire. Désirant comprendre. Alors, s'opéra une subtile transformation. De prédateur se léchant les babines faces à une proie affaiblie, le grand sombre se fit simple drow demandant explciation, ses sourcils se haussant au dessus de ses mires sanglantes mi-closes, tandis que ses bras musculeux s'écartaient, paumes vers le haut.

"La question est donc... dit-il avec tranquilité. Désirez-vous mourir, Grand Architecte Vect ?"

La n'était pas la question la plus évidente, mais celle que soulevait son dernier geste. Présentement, bien que Haut-Prêtre du Prime Dragon, Urgoll'Ven se sentait tout particulièrement Triumvir, observant Myr'Hennis en se demandant s'il lui faudrait se pencher sous peu sur sa succession, afin de pérenniser la structure et le bon fonctionnement du Puy. Que le Prime Dragon le pardonne, il avait dû faire preuve de précautions afin de gonfler les poumons du drow sans les faire imploser. Cela n'était pas dans ses habitudes et, bien qu'il ne l'afficha nullement, cela l'agaçait quelque peu, de voir son plaisir tant chéri de destruction contrarié par le geste irréfléchi d'un drow vital à la survie du peuple eldéen. Mais ce geste, était-il si irréfléchi que cela ?

Il était un peu déçu, il aurait aimé une réponse franche, peu importe qu’elle soit affirmative ou non. Myr’Hennis ne s’était pas penché sur son torse mais il sentait, que ce soit via sa respiration difficile ou tout simplement la douleur qui suivait les cicatrices, qu’il n’était pas vraiment en très bon état. Le petit discours ne fit rien pour l’apaiser, il avait l’impression qu’Urgoll se cachait encore une fois derrière sa prêtrise pour ne pas avoir à répondre. Peut-être parce que même le haut-prêtre ne connaissait pas la réponse. L’idée lui arracha un sourire, pour quelqu’un qui s’applique tant à satisfaire ton dieu, c’est triste qu’il te laisse seul dans un silence de plomb.

La question qui suivit le prit réellement par surprise, ses oreilles se haussèrent tout comme ses sourcils. Il prit un moment de réflexion, se murant dans un silence glacé. Pourtant la réponse était évidente mais il avait hésité, il avait eu besoin de réfléchir. Après un temps qu’il n’avait pas déterminé, trop accaparé par ses pensées, l’architecte sourit en regardant les paumes d’Urgoll puis il leva la tête pour le regarder dans les yeux.

« Nous mourrons tous un jour, non ? »

Si le haut-prêtre ne voulait pas répondre pourquoi le ferait-il ? Alors, il tenta de se lever, sur ses bras tremblants il s’assit au bord de la table et laissa ses jambes se balancer dans le vide puis il descendit. Ses poumons ne tinrent pas vraiment le choc, trop affaiblis par la blessure ils se vidèrent lorsque ses pieds touchèrent le sol et il tomba. Alors qu’il sentait ses jambes se dérober il commença eu l’idée de tendre la main vers celle d’Urgoll pour se rattraper mais se ravisa rapidement alors il tomba à quatre pattes sur les dalles de pierre du temple. Il voulait se relever seul et c’était un des efforts physiques les plus importants qu’il avait fourni ces deux, voire trois, derniers siècles. Une fois qu’il s’était mis à genoux il posa une main dessus pour prendre appui et se relever difficilement en grognant alors que ses plaies fraîchement refermées étaient malmenées, il en sentit même une se rouvrir, la croute de sang et la peau brûlée se fissura, laissant s’échapper encore un peu plus du peu de sang qu’il avait toujours en lui. Myr’Hennis plaqua sa main contre son flanc et avança difficilement, une fois devant la porte il se retourna vers le haut-prêtre.

« J’espère que vous avez raison… » il reprit une grande goulée d’air avant de reprendre : « car je vais avoir besoin de son aide. » Encore une fois il inspira profondément. « Je veux un fern. »

"Et moi que mes patients survivent. Mais nous n'obtenons pas toujours ce que nous désirons, n'est-ce pas ?" répliqua une voix au flegme assuré.

Sous le regard obscur d'Urgoll'Ven, un certain prêtre de Kiran rentra dans la pièce, tout en prenant soin de repousser, de gestes aussi doux qu'autoritaires, Myr'Hennis sur la couche d'où il s'était si difficilement levé. Le Gris eut aussi bien envie de le renvoyer pour poursuivre la conversation en paix que de saluer son initiative. Pour sa part il eut grin que son agacement ne prenne la forme d'une poigne qui aurait cassé quelque chose d'autre chez le Grand Architecte. Quelque chose d'autre que son instinct de survie, déjà endommagé.

"Prêtre Mlezziir... dit-il simplement.
- Triumvir. Permettez que je loue votre prévenance, néanmoins je vous assure que le Grand Architecte se portait bien... Jusqu'à votre arrivée. Les rechutes, cela arrive. dit le sombre altier avec une assurance polie, tout en ramenant Myr'Hennis dans une position couchée, tout refus lui valant des manipulations douloureuses mais nécessaires à son confort. Mes salutations, Grand Architecte, je suis l'un des prêtres de Kiran vous ayant soigné, Ilmryn Mlezziir, sur demande de notre auguste Triumvir ici présent. Vos plaies sont loin d'être guéries, comme vous avez pu le constater, et je ne souhaiterai pas que vos poumons s'effondrent à nouveau si vous vous rouvriez la cage thoracique. Qu'en pensez-vous ? s'apprétant à se mettre à l'oeuvre, il suspendit son geste. Je suis sûr que vous comprendrez l'importance du repos, pour un tel cas, Triumvir."

Son sourire se faisant à nouveau amusé face au manège du prêtre si familier, le Gobelin hochant simplement la tête. Oui, il était on ne peut plus familier des soins qui, certes, permettez de soigner une plaie dans des temps records, mais pompaient allégrement dans l'énergie du blessé. Ainsi, celui-ci l'était moins, mais était à l'inverse épuisé. Et visiblement, le prêtre n'en avait pas fini avec le Grand Architecte. Urgoll'Ven l'avait suffisamment côtoyé pour éprouver un certain respect pour le drow, allant de paire avec une certaine inclinaison pour lui être... A peu près supportable.

"Faites-le nécessaire, Prêtre. commenta-t-il seulement.
- Bien sûr. Triumvir."

Cela dit, le Gobelin sentit la magie être attirée par l'influence du soigneur. Cependant, juste avant de partir, il adressa ces derniers mots au Grand Architecte.

"A l'heure actuelle, aucun fern ne se trouve dans les fosses du Prime Dragon. Ses lippes s'étirèrent en un sourire narquois. Avez-vous déjà chassé, Grand Architecte ?"

Ne laissant de lui que l'éclat d'un sourire carnassier, le Gobelin s'en fut, traversant le temple avec l'aisance de l'habitude, laissant le Vect aux bons soins aux servants de la Jumelle.