[Ellipse] Ensemble, nous sommes plus forts | Nera & Maliss

Fin Karfias
An 14:XI

Les mois étaient passés… Tellement de mois… Et pourtant si peu pour des elfes.
Ciryië était portée disparue depuis deux ans déjà. Maliss était déjà revenue à Ardamir pour attendre les nouvelles du groupe de recherches qui était parti de Tethien. Et puis, l’annonce avait été faite officiellement à la suite d’une missive du Telsorn Nöldorion. Olorin et Seregon n’avaient même pas eu le temps de quitter la frontière pour aller la voir qu’un membre du Conseil de la cité lui rendait visite pour lui offrir son soutien.
Au début, Maliss avait été effondrée et le Conseiller ne pouvait que la comprendre et éprouver de l’empathie à son égard. Elle avait perdu sa fille cent ans plus tôt, son époux en était mort de chagrin après plusieurs décennies. Le corps de son fils assassiné lui avait été rendu l’an passé. Il ne lui restait plus que Ciryië et voilà qu’elle lui était enlevée de nouveau. Le Conseiller lui rendait visite tous les jours et le voisinage fut rapidement mis à contribution, se proposant de bon coeur d’aller frapper à sa porte, de lui apporter à manger, de lui faire sa lessive… Une véritable organisation d’entraide s’était mise en place autour d’elle alors qu’elle peinait à sortir de chez elle. Olorin était resté avec elle afin de lui apporter un soutien de tous les instants.

Et puis, après près d’un an et demi, les volets de sa chambre s’ouvrirent à nouveau. Maliss sortit faire ses courses elle-même. Elle recommença à prendre un minimum soin d’elle et de sa maison, sans que plus personne n’ait besoin de l’aider. Le Conseil et ses voisins continuaient de veiller sur elle mais en prenant un peu plus de distance pour la laisser se relever d’elle-même. Après quelques temps, Olorin avait décidé de partir, non sans s’être assuré que la mère des Las’Danir tiendrait le coup seule dans cette demeure vide.
Le temps s’écoulait à nouveau normalement… Et puis l’anniversaire des deux ans de la disparition de Ciryië menaça de sonner. Maliss se sentait capable de les endurer. Ce n’était que deux ans. Elle avait déjà eu à compter bien plus que cela. Elle l’avait seule les derniers temps mais son époux était avec elle au début. En revanche, il y avait une personne pour qui c’était la première fois et qui se trouvait seul.
Peut-être pourrait-elle être son soutien ? Ou peut-être pourraient-ils se soutenir mutuellement ?

Quelques jours plus tard, Maliss partait pour les terres ancestrales d’Eteniril. Elle se présenta au palais de la cité et demanda à s’entretenir avec celui qui partageait très probablement sa peine. On lui répondit qu’elle avait de la chance car il se trouvait justement en ville. Elle trouva cela curieux : un Seigneur-Protecteur qui s’absentait souvent de la cité dont il avait la charge ? Elle espérait que ce n’était pas pour aller se morfondre seul… Même si elle était bien placée pour le comprendre. On la conduisit dans un salon plutôt confortable. On lui apporta du thé. Et elle attendit, redoutant de revoir l’homme qu’elle avait si souvent fusillé du regard et à qui elle avait interdit de s’approcher de sa fille. Elle craignait sa réaction, qu’il refuse de la voir et, plus encore, elle avait peur de constater à quel point il avait sombré de chagrin…
Elle entendit le mécanisme de la porte derrière elle et elle se retourna pour faire face à celui qui était en train d’entrer. Elle sourit en découvrant de qui il s’agissait, à la fois timidement et sincèrement. Il pouvait être décontenancer de la revoir. Après tout, Eteniril n’était pas à côté d’Ardamir… Elle avait forcément fait la route juste pour le voir. Pour quelle autre raison aurait-elle pu quitter sa cité qui était pourtant le meilleur endroit pour espérer le retour de son enfant ?

-Bonjour Neraën.

Elle savait qu’il se faisait appeler Telenwë depuis avant son départ de l’île du Sanctuaire mais Ciryië ne l’appelait que par son ancien nom. Et elle l’avait si souvent utilisé qu’il lui était venu le plus spontanément du monde…

-J’imagine que vous devez être surpris de me voir ici... étant donné la teneur de nos derniers échanges.

S’il y avait bien une chose qu’il appréciait dans les cités, c’était l’idée de pouvoir prendre un bon bain tranquillement sans avoir besoin d’être sur le qui-vive. Peut-être la seule idée qui pouvait un tant soit peu contrebalancer ce manque lié à l’éloignement de la Symphonie. A l’extérieur, si proche des Frères de Sève et comprenant de plus en plus quel pouvait être son rôle en ce si vaste monde, il avait fini par trouver une forme de sérénité. La magie lui donnait l’espérance d’un jour retrouver celle qu’il aimait, le combat lui permettait d’exprimer la rage qui subsistait encore en lui et le chant des Linwë l’aidait à se calmer en redirigeant ses émotions là où il fallait. Mais il n’aimait pas y repenser : bien qu’il ait agi comme il se le devait, en privilégiant son devoir à son coeur, il ne pouvait se pardonner le fait de ne pas avoir tout fait pour aller la chercher à son connard de maître sombre. Il lui avait promis de la protéger… et voilà comment il avait tenu sa promesse. Il s’était haï ce jour où il avait appris sa disparition, avait même haï tous ceux qui l’avaient empêché de partir tête baissée jusqu’au Puy d’Elda. Mais ils avaient raison, tous : il ne fallait pas qu’il parte, d’autant plus qu’avec sa sensibilité à la Symphonie il n’aurait jamais tenu plus de quelques heures en Aduram avant de mourir ou, encore pire, de devenir fou. On ne le répétait jamais assez mais… toutes responsabilités entrainaient forcément à un moment donné des sacrifices. Voilà qu’il en avait payé un, et pas des moindres.

“Néën ? Hum… oui ?
- Une femme est venue d’Ardamir pour vous voir, Seigneur-Protecteur.
- Qui ?
- Elle dit se nommer Maliss Las’Danir.
Il y eut un instant de silence avant qu’il ne finisse par répondre à l’elfe qui venait de toquer à sa porte.
- Fais-la patienter dans le salon des invités… j’arrive dans quelques minutes.”

Las’Danir… Maliss… mais que pouvait bien faire la mère de Mac ici ?! Leur dernière conversation ne s’était pas vraiment bien passée… il espérait que ce ne serait pas par rapport à ça. Pour le coup, là dans les derniers mois, il ne voyait pas en quoi il pourrait se faire écharper par sa belle-mère. A moins qu’elle ne se réveille deux longues années après les faits ? De toute façon, il n’allait pas la refuser, au contraire même. Avec un soupir de résignation il sortit de l’eau et se sécha dans un tissu blanc épais. Par la suite il s’habilla le plus simplement du monde avec une robe basique d’un bleu très clair, tout en chantonnant des sons n’ayant aucun sens. Cela l’aidait juste à retrouver de la sérénité. Un coup de peigne, ses bottes, sa ceinture serrée à la taille avec accrochée dans un sac son focaliseur et le voilà prêt. Certains s’attendraient certainement à des habits plus évolués de la part d’un protecteur, l’évocation d’un titre et d’une prestance toutes particulières, mais lui s’en fichait éperdument. Etre lui-même était la seule chose dont il avait envie. Et ce en toute simplicité.

Doucement il actionna la poignée, ouvrant ainsi la porte qui l’amènerait à Maliss. Celle-ci l’attendait debout, femme brune à l’élégante robe bleue, affichant un sourire tout aussi timide que sincère. Sans rien dire pour autant, Telenwë fut frappé par la ressemblance entre la mère et la fille. La plus grande différence entre elles deux étant les traits marquant leur visage, témoins d’histoires et d’âges bien différents. Sans avoir pris le temps de refermer la porte derrière lui il inclina respectueusement la tête, saluant humblement sa visiteuse.

“Bonjour Neraën. J’imagine que vous devez être surpris de me voir ici... étant donné la teneur de nos derniers échanges.
Relevant la tête, il sourit sincèrement avant de lui répondre.
- Je dois avouer que ta visite me surprend. Je ne m’attendais pas à ce que tu viennes.
- Je sais… Il y a plusieurs sujets que je voulais aborder avec vous. Deux, en vérité.
- Lesquels ? Mais avant, peut-être veux-tu t’asseoir ? Et tu peux me tutoyer, les gens ont l’habitude me concernant."

Répondant à l’invitation de Neraën, Maliss prit place sur un siège avant même qu’il n’ait terminé son propos. Elle sourit intérieurement à la question du tutoiement. Sans se faire prier, son interlocuteur prit un siège et fit de même.

"J’allais y venir… Parce que je voulais m’excuser.
- T’excuser ?
- Tu as bien entendu. Ma réaction envers toi a été excessive. Tu aimes ma fille mais j’ai quitté une enfant que je n’ai pas pu voir grandir. J’ai voulu protéger une enfant…
Il baissa la tête un instant, avant de la relever.
- Je comprends… j’aurais peut-être eu la même réaction que toi à ta place. Je te pardonne. Mais… avant de partir sur autre chose, j’aimerais également te demander pardon. J’aurais dû essayer de chercher Mac… Ciryië quand j’ai appris sa disparition mais je n’ai pas pu ; ou plutôt ai-je pris le parti de placer mon devoir de protecteur avant la vie de ta fille."

Maliss fut d’abord surprise par la requête de Neraën, ne voyant pas en quoi il avait commis un impair à son encontre. Mais alors qu’il lui expliquait, elle ferma les yeux et une larme perla immédiatement sur ses joues. Dans un sanglot, elle commença à lui répondre.

"Tu sais aussi bien que moi que, lorsque tu l’as appris, il était déjà trop tard. Personne ne peut aller la chercher là où elle se trouve… Et sacrifier ta vie ne m… ne nous la rendra pas. Tu n’as rien à te faire pardonner.
- Pourrais-je seulement oublier le fait de ne pas avoir essayé ? Mais je te remercie."

Maliss lui adressa un sourire certes triste mais sincère. Il avait fait un choix et se reprochait à lui-même sa décision… Son affection pour Ciryië était donc bien réelle. Elle essuya l’une de ses joues avant de reprendre.

"J’en viens donc à la seconde raison de ma présence ici… Je voulais savoir comment tu allais et si tu avais réussi à surmonter son absence.
Il réfléchit un moment avant de répondre. La question le laissait pensif…
- On va dire que oui. Et je vais bien. Et toi ?"

Maliss garda le silence un instant et l’observa plus attentivement. Il allait bien, ou voulait le laisser entendre. Un peu comme elle. Mais, entre eux, avaient-ils vraiment besoin de montrer cette façade ?

"Je vais mieux… Mais j’ai eu la chance d’être bien entourée. Je peux remercier le Conseil et mes voisins. Sans oublier Olorin, bien sûr. Ils m'ont permis de ne pas tomber trop bas. Mais je ne suis parvenue à me relever vraiment que grâce à toi… J'ai réalisé que tu avais raison. Tu sais mieux que moi ce que Ciryië a traversé… Et elle a su se relever, commencer à se reconstruire… Elle est forte. Elle est revenue une fois…"

Maliss n'acheva pas sa phrase mais la conclusion était évidente. Si elle l'avait fait une fois, elle pouvait le refaire. Et c'était ce qui lui avait permis de se lever à nouveau de son lit pour recommencer à vivre. Elle faisait de cette conviction un espoir de pouvoir un jour revoir sa fille et qui rendait sa disparition un peu moins pénible. Telenwë ne répondit pas tout de suite, se contentant de regarder la mère garder tant d’espoir en elle. Puis, doucement, il bougea sa main pour la poser sur celle de Maliss et la serra, sans grande force. Il esquissa un sourire se voulant rassurant.

“Tu as raison : elle reviendra. Son esprit est bien plus fort qu’elle ne le laisse à penser."

Une nouvelle larme perla sur la joue de Maliss. Elle ignorait s’il était sincère ou s’il lui disait cela pour ne pas détruire la seule chose qui lui permettait de garder la tête hors de l’eau mais elle préféra s’accrocher à la première option. Elle lui répondit d’un sourire de connivence. Dorénavant, l’un et l’autre ne seraient plus seuls face à cette tragédie...