En Anaëh, un pagne ne suffit pas [Halya, Aegden]

Les yeux d'émeraude de l'archimage parcoururent rapidement le fatras crasseux qui s'entassait dans la caverne : des restes de braseros, quelques couvertures miteuses désormais rongées par l'humidité, des sacs éventrés ayant du servir à amener du matériel, un seau encore empli d’excréments autour duquel tournoyait un essaim de mouches, mais rien qui n'indiquait une présence en ce lieu dans la dernière ennéade. Ceux qui s'étaient installés ici ne manquaient pas de courage car la capitale elfique se trouvait seulement à quelques jours de marche, dangereuse proximité pour ces intrus qui leur imposait sans doute de changer régulièrement de repaire avant qu'un éclaireur en goguette ne détecte leur présence. Cette discrétion à elle seule démontrait qu'il ne s'agissait pas de vulgaires amateurs mais d'experts en dissimulation et infiltration.

Abomination !

La voix dans son esprit portait en elle une colère et un dégoût qui emplissait de bile la bouche de l'elfe. Haldren en comprenait et partageait la source, car la caverne n'avait malheureusement pas servi que de lieu de campements. Plusieurs cadavres d'animaux rongés par les rats y pourrissaient encore, portant des traces qu'il avait appris à reconnaître à partir des descriptions que lui avait faites Elenwë. Des nécroses noirâtres, des veinules gonflées, des épanchements de pus qui correspondaient à des maladies n'affectant habituellement pas la faune de l'Anaëh. Des symptômes proche de ceux que l'ancien Triumvir eldéen avait également constaté plusieurs années auparavant sur les membres d'une ambassade dirigée par le père d'Halyalindë et empoisonnés par traîtrise lors d'une réunion fallacieuse avec de faux opposants au pouvoir drow.. Alors nouvellement arrivé en Anaëh, Haldren avait remué ciel et terre pour trouver un remède... quête couronnée de succès et ayant permis de sauver une Aigle, mais hélas le remède était arrivé trop tard pour le vieil elfe déjà affaibli par le mal de l'éternité et dont le Souffle s'était envolé vers les Terres d'Emeraude.

L'aide des chaotiques d'Abyssea leur avait également appris que cette maladie constituait une variante des fièvres hémorragiques de Faelia, transformée et renforcée par la sombre magie des prêtres de Leetha. Haldren avait souvent repensé à cette affaire depuis lors, persuadé que ces déments ne s'en tiendraient pas là mais tenteraient de mettre au point une nouvelle mouture de leur maladie dans l'espoir de décimer leurs cousins honnis. Une nouvelle mouture qui s'attaquerait non seulement aux elfes, mais aussi à la faune, si l'on en croyait les récentes tentatives comme celle de la grotte ? Voilà bien une idée digne d'un drow, et Haldren ne pouvait sans honte repenser à l'époque où lui-même prônait ardemment au sein des réunions de l'Olath Blada l'idée d'attaquer non pas les elfes mais l'Anaëh elle-même. Peut-être fallait-il voir dans cette vieille culpabilité la raison qui lui faisait traquer depuis des mois ce groupe mystérieux, hélas sans succès jusqu'à présent.

Caramba, encore raté, marmonna l'archimage en ressortant de la grotte pour échapper à la puanteur qui agressait son odorat délicat.

Lorsqu'il avait reçu le message d'Halyalindë lui indiquant la présence d'animaux malades dans ce secteur de la forêt, Haldren avait aussitôt quitté Malereg mais le temps perdu à mener des fouille pour remonter jusqu'à cette grotte avait permis à sa proie de lui demeurer inaccessible. Il restait à espérer qu'il trouverait d'autres indices dans la zone, peut-être une piste qui lui permettrait de reprendre sa traque. Toutefois ses talents en la matière demeuraient notoirement limités comparés à ceux des natifs de l'Anaëh et quelques recherches autour de la grotte confirmèrent l'inutilité de ses efforts. Rageant, Haldren constata qu'il se trouvait incapable de dire si une branche cassée sur un arbuste l'avait été par un renard, un cerf ou un drow. Ou par le vent peut-être même ? Bien qu'elfe dans son cœur, il demeurait un enfant pour la vie en forêt et cette solitude allait grandement ralentir ses recherches.

Un elfe n'est jamais seul.

Un fin sourire apparut sur les lèvres de l'archimage en constatant que ses vieilles habitudes s'avéraient décidément bien difficiles à perdre. Là où un drow doit avant tout compter sur lui-même pour s'éviter une dette ou une traîtrise, un elfe sait faire partie d'un peuple qui n'abandonne pas les siens et où une main tendue se trouve saisie. Une leçon malaisée à apprendre après un Cycle passé à suivre les préceptes de l'Elda, mais cela seul justifiait tous les sacrifices et toutes les épreuves endurées depuis la trahison d'Uriz.

Restait donc à tendre la main... métaphoriquement, du moins.

Chaque praticien des arcanes brille à travers la toile de la magie comme une flamme dans la nuit, et ce d'autant plus vigoureusement que son affinité avec le Grand Art s'avère forte. Habituellement cette signature se trouve camouflée par le magicien pour éviter que des confrères hostiles ne le détectent, mais par inadvertance ou par volonté il s'avère possible de libérer cette lueur. Concentré, l'archimage fit exactement cela et relâcha sa signature magique à pleine puissance, rugissant magiquement à travers l'éther comme un maelstrom. Certes il prenait ainsi le risque d'alerter également les prêtres de Leetha sur sa présence, mais le risque valait la peine d'être couru pour obtenir rapidement de l'aide. S'asseyant sur un rocher, Haldren attendit patiemment en espérant qu'Halyalindë ou d'autres elfes sensibles aux sortilèges de l'immatériel se trouveraient attirés par l'appel mental qui résonnait à travers l'Anaëh.

Hiver - 8e ennéade de Karfias 16e année du XIe Cycle
Nord ouest d'Alëandir

En passant par Alëandir pour voir un vieil ami, jamais Halyalindë n'aurait imaginé découvrir un tel message. Et pourtant... Tandis qu'elle se reposait chez Sandriel, déjà fébrile de retrouver son fils et son mari, une note discrète déposée de façon bien mystérieuse n'avait eu aucun mal à la trouver. A peine lu, la note en question avait finit dans le feu quelques instants plus tard, et c'était le regard sombre qu'elle avait embrasser Sandriel pour remonter jusqu'au QG de l'armée locale l'Alëandir.

Idéalement, sa couverture aurait demandé qu'elle attende un minimum, mais le sujet était trop grave et la touchait de trop près pour qu'elle risque de retarder les opération. Avant même de demander à voir Aegden, elle avait fait envoyé un faucon à Malereg pour prévenir Haldren de la nouvelle et un autre à Celimë pour informer son époux qu'elle ne pourrait finalement pas rentrer aussi vite que prévu... Et qu'il avait intérêt à être aussi sain et sauf que leur fils quand elle les retrouverait. Elle ne pouvait imaginer perdre encore quelqu'un à cause de cette... Maladie.

La Toile était de retour dans leur forêt.

Prétextant le fait qu'elle était mêlé à l'histoire par son père et que sa nature nouvelle de guérisseuse avaient poussé certains vieux amis à la mettre au courant de l'investigation du Commandant d'Alëandir, elle s'était mêlée aux recherches. Si elle ne portait plus qu'un couteau de chasse comme seule et unique arme, sa connaissance de la forêts, des bêtes, des plantes, des drows et du pistage fut grandement mise à contribution. D'autant plus lorsqu'ils s’aperçurent que la zone a couvrir était aussi grande que les terres ancestrales d'Alëandir et en comptant les effectifs réduits par la protection des routes pour sécuriser les migrations civiles.

Cela faisait longtemps maintenant qu'elle faisait le grand écart entre l'investigation et les missions données part Artion pour aider les Cités a faire le grand écart entre les nombreuses mentalités de leurs nouveaux habitants et les Noss alentours. Ce jour là, revenant de Solith en espérant pouvoir passer quelques jours avec son fils et son maris après 8ennéades de séparation, elle avait accepté de faire une courte pose à Alëandir pour participer sous le commandement de son ami Aegden à l'inspection d'une nouvelle piste, découverte la veille de son arrivée.

Le couvert des arbres s'était refermé sur eux depuis plusieurs heures lorsque l'ardamirie se plia soudainement, plaquant les mains sur ses propres tempes comme si son crâne risquait de s'ouvrir en deux. Un faible gémissement avait passé ses lèvres et il lui fallut quelques instants pour que sa respiration tremblante retrouve un semblant de normalité malgré tous les efforts des elfes présent.

- Pardon... " souffla-t-elle en se forçant à se redresser. Ses yeux verts aux pupilles curieusement étrécies cherchaient ou se poser, déboussolés. Elle tendit simplement la main dans une direction à la perpendiculaire de leur route. " Il y a un mage... par là-bas. "

Toutes proportions gardées, le flux d’elfes était impressionnant. Jamais, ô grand jamais le trop fier Lanthaloran que tu étais n’aurais imaginé que les choses soient un jour ainsi. Te l’aurait-on dit que tu ne l’aurais absolument pas cru, et pourtant, les faits étaient là. Toi qui aurais cru qu’à l’annonce de l’abandon de vos forteresses, les elfes se seraient naturellement rassemblés au sein des Primes-Cités de leurs Protectorats, voilà bientôt un an que tu constatais qu’en réalité, nombre d’entre eux, certains pourtant déjà habitants des Primes-Cités choisissaient d’abandonner leurs territoires de naissance pour rejoindre la première : Alëandir.

La tête perçant au-dessus du lot, ayant choisi pour des raisons que tu n’auras explicité qu’à quelques rares individus de confiance de rejoindre les miliciens chargés d’assurer la sécurité du voyage, tu offrais aux Taledhels le regard bienveillant de leur Aran. Et force est de constater qu’en réalité, malgré tes quelques années déjà passées sur le Trône Blanc, et tes obligatoires visites dans les forteresses destinées à être rendues à l’autorité de Kÿria, ils étaient nombreux les Citadins ayant encore du mal à se faire à l’idée que tu sois le Seigneur-Protecteur d’Alëandir. Et par là ce n’est pas à ceux qui pensent que tu n’y as pas ta place que tu fais allusion, mais à ceux qui semblent surpris chaque fois qu’au détour d’une conversation avec les soldats qui t’entourent ou avec quelques migrants, ils entendent s’adresser à toi en tant qu’Aran Lîn.

Pour rien au monde cependant tu n’échangerais leurs visages à ceux-là, lorsqu’à la surprise se succédait la tranquillité que leur inspirait ta présence. Chaque fois que l’un d’entre eux en te regardant s’était senti relaxé, qu’un enfant était venu s’amuser à courir entre tes jambes ou s’était impressionné de ta présence, chaque fois que tu avais même juste pu servir de mirador à un elfe peinant à se retrouver au milieu de la petite foule de voyageurs, à tes yeux ton geste avait pris tout son sens.
Tu te sentais inconfortablement à l’étroit dans une tenue au départ pensée parmi les rares de tes toilettes qui se voulaient relativement amples, même après qu’elle ait été reprise une fois par Edraëla. Une feinte douleur diffusait en permanence à travers ta chair et tes os. Mais devant la satisfaction que tu tirais de ces regards, devant la satisfaction du sentiment d’avoir les épaules assez larges pour que tous ces elfes puissent compter sur toi… que pouvaient représenter ces quelques maigres désagréments ?

Les choses se mettaient en place. Le futur prenait forme. Ton monde ne pouvait pas être plus parfait.

Pour le temps que durerait l’accalmie du moins.

- Je dois m’absenter. Prévenez les Aigles, tu lances autoritairement à un des miliciens en t’écartant de la Trace ils comprendront.

Tu souffles trois sons courts dans la corne pendant à ta hanche, et tu commences ta course en direction de la source de la perturbation. Au moment où ta main gauche vient défourailler ton focaliseur,  ta compagne de voyage perce à travers les fourrés, calquant son pas sur ta course, afin que d’un bond, tu puisses trouver ta place sur son dos. Et puis elle prend de l’élan et accélère, direction le transect d’enquête de tes camarades. Si quelque chose clochait, peut-être en sauraient-ils plus que toi. Au contraire, s’ils n’en savaient pas plus, ton expertise en tant que mage se révélerait probablement précieuse.

Tu fais une arrivée fracassante auprès du groupe d’investigation du Mainyth, Vìrin ayant choisi pour mieux attirer leur attention de tout simplement leur couper le passage. D’une courte révérence depuis le dos de ta monture, tu leur fais de rapides salutations, puis c’est sans tarder que tu t’enquières de la situation.

- Du nouveau de ce côté ? tu ramènes tes cheveux en un chignon précaire en même temps que tu leur parles Une idée de pourquoi Haldren dévoilerait sa signature ?

Tu termines de nouer ton chignon, t’assurant de ce que quitte à ce qu’il ne soit pas très esthétique, il ait au moins le mérite de tenir tes mèches loin de ton visage. Te retrouver en tenue de ville en mission était déjà un inconvénient suffisant.

Au loin, une corne. Mon oreille s'est dressée dans la direction du son qui faisait remonter un frisson le long de mon dos. Trop de souvenirs. Trop tension associées. Mon corps réagissait plus vite que mon esprit à ce son auquel il avait été habitué pendant de très longues années, perçant la douleur pour reprendre le dessus. La corne était semblable à celle que j'utilisais pour appeler Randil et Unmiriel. Pas tout a fait semblable... Mais suffisamment. Une corne de guerre. Une corne d'appel.

Le genre de son que je n'ai jamais oublié.

Je m'obligeais à prendre une longue inspiration et me redressais tout à fait, profitant du sursaut d'adrénaline. Une mais sur la tempe, l'autre se tendait légèrement en direction d'Aegden, en signe d'apaisement. Dans mon approximation, je finissait par rencontrer le bras du militaire sur lequel je m'appuyais un peu.

- ça va... Je vais bien. " Je retrouvais peu à peu mes sens et croisais réellement le regard inquiet du lancier. Un léger sourire rassurant me vint aux lèvres sans effort malgré la douleur - plus proche d'une simple migraine à présent - qui pulsait sur le côté droit de mon crâne. J'avais vu tellement pire que ce n'était pas ça qui allait m'inquiéter outre mesure... " Ne t'en fait pas. C'est rien. Vraiment. Une simple séquelle de guerre. " Mon sourire s'est un peu plus étiré en guettant ses yeux gris. " L'équivalent de ta figure, mais au niveau magique je suppose. " Humour d'ancien militaire obligeait... A force de me côtoyer, il devait être habitué à ce genre de tentatives fulgurantes. J'enchainais en reprenant mon sérieux, de nouveau campée sur mes deux jambes.  " Depuis Eraison, quand quelqu'un utilise de la magie immatériel, ça me travaille. Et je peux t'assurer qu'il y a un mage de l'immatériel dans cette direction... "

J'ai à nouveau pointé la même direction, revenant à Aegden pour attendre confortablement son ordre... Servir, voilà quelque chose qu'elle n'avait pas fait depuis bien longtemps...

Quelques pas plus tard dans la direction choisie par notre commandant, un bruit dans les branches ! Mon oreille se dressait. Je me repliais d'un pas à l'intérieur de la formation des quatre militaires.

- Stop ! " Je pointais l'origine du bruit. Juste à temps ! Quelques secondes et un immense félin s'écrasait devant nous... et Artïon nous saluait de toute sa hauteur, comme si de rien était.

Passée la première surprise, je faisais mon possible pour réprimer le sourire amusé qui tentait de poindre malgré mon expression mécontente... Durant à peine quelques instants cela dit. Ses mots m'ont glacé le sang.

- Haldren... ? Tu es sûr que c'est lui ? " Autant je l'avais prévenu dès que la nouvelle de la maladie m'était parvenue. Autant, nous ne nous étions pas revu depuis près de cinq ans. Plus peut-être... Et pas forcément en meilleur termes. Aegden ne savait même pas qui il était exactement et je n'étais pas certaine qu'Artion en ai jamais saisi toute l'ampleur, mais c'était le jeu. Il fallait oublier...

J'ai repoussé ma longue tresse rousse derrière mon épaule d'un geste mécanique, tout en scrutant son visage. Je ne savais pas trop quoi espérer, mais la réponse ne tardait pas à venir de toute façon. Et à cela je n'avais qu'une réponse. " Aucune idée... "

- Il n’est pas bien difficile à reconnaître. ton regard se tourne en direction de la Source… vers laquelle ils se dirigeaient eux aussi Que je me trompe et j’en serai le premier étonné.

Comme tu te trouvais finalement étonné, pour une raison que tout bien réfléchi tu ne t’expliques pas toi-même, qu’Halyalindë n’ait aucune idée des raisons qui pourraient pousser l’Archimage à agir ainsi. Quoi qu’il en soit, s’il s’amusait à jouer les flambeaux au milieu de la forêt, il devait avoir ses raisons, alors quitte à faire un écart à l’enquête sur laquelle tu savais tes camarades travailler, autant aller jeter un œil. Pour autant que tu aies choisi de le relaxer, l’existence même de l’ancien Eldéen te laisse perplexe, et c’est bien parce que tu as presque choisi de l’oublier qu’elle ne t’empêche pas de dormir la nuit. Haldren semblait en tous points un repentant sincère. Voilà plusieurs années qu’il vivait en Anaëh, et de ce que tu en savais il commençait enfin à réellement s’y intégrer. Seulement Haldren était un mage extrêmement puissant, et un être ayant dépassé le millénaire, dont la patience ne serait donc certainement plus à prouver. Et si cet appel était un piège ? Et si c’était là enfin la mise à exécution d’un plan machiavélique échafaudé depuis la chute d’Ellyrion ?

Tu préfères ne pas y penser ; priant La Très-Sage qu’il ne s’agisse que d’un appel à l’aide.

Naturellement donc, tu te joins au groupe, suivant sans sourciller l’ordre lancé par Aegden. À cela près que par plusieurs fois tu te retrouvas à légèrement faire pression de la corpulence de Vìrin pour rediriger la marche. D’entre tous ici c’était certainement toi le plus sensible à la magie. La signature et son origine, au vu de la puissance qui venait d’être déployée, t’était à toi ce qu’est une fleur à une abeille ouvrière. Contrairement à une abeille ouvrière cependant, tu te méfiais de l’araignée crabe qui guette déguisée en pétale.
Force de courses matinales à travers les forêts d’Alëandir, d’exercices militaires et de voyages, les forêts du Protectorats commençaient à te devenir familières. Celà d’autant plus que même au plus fort de l’hiver, les sempervirentes Lëandrines restaient presque aussi majestueuses qu’à l’été. Approcher de votre cible en profitant de l’abri d’abord d’épaisses futaies, puis de hauts contreforts, en profitant de la proximité et donc du bruit d’un ruisseau ou d’une colonie d’oiseaux, traverser un cours d’eau là où des racines offraient un pont naturel, c’étaient là des choses dans tes cordes. Plusieurs fois donc, plus que de simplement corriger la trajectoire, tu auras proposé ces petites étapes. Détours pour les uns, raccourcis pour les autres.

- Il ne devrait plus être bien loin.

Tu prends une grande inspiration, et fais danser ton sceptre entre tes doigts. Et les flux malgré la perturbation que représentait le Mage d’Ombre te répondaient avec comme chaque fois, cet imperceptible gain d’aisance que l’on ne finissait par remarquer qu’après que les siècles ne soient passés. Les inflorescences lumineuses caractéristiques de ton usage de la magie eurent tôt fait d’étreindre ton focaliseur, et alors, ton Souffle plongea par-delà la distance, à la recherche de pulsations qu’il reconnaisse comme elfique.

La Trame en elle-même le pointait du doigt de manière bien assez évidente, mais ne dit-on pas que prudence est mère de sûreté ?

- Par là ! tu confies, visiblement détendu C’est bien lui.

Tout près, juste lui et personne d’autre. Pas de piège. Apparemment pas de catastrophe magique en prévision. Juste le dos d’un « elfe » assis sur un rocher. Tu prends les devants, érigeant l’air de rien la chimère que vous étiez Vìrin et toi en barrière implicite entre l’Archimage et le reste du groupe.

- Haldren ! ta voix claire perce dans son dos alors que la Faïra continue d’approcher d’un pas lent Que se passe-t-il ? Pourquoi ce signal ?

Combien d'heures s'étaient écoulées depuis l'appel à travers la trame de la magie ? Une question à laquelle Haldren aurait été bien en peine de répondre tant il se trouvait plongé dans une intense réflexion sur la grotte et sur ce que cela pouvait impliquer. Les intrus possédaient désormais plusieurs jours d'avance et faisaient preuve d'un luxe de précaution qui rendrait leur traque malaisée même pour les meilleurs pisteurs d'Anaëh. Toutefois se morfondre ne servirait à rien, il fallait les suivre en espérant une erreur de leur part. Dans un milieu aussi hostile envers les intrus que l'Anaëh, même les meilleurs espions formés par la Doktha ou tout autre organisme du même genre finiraient par commettre une faute, oublieraient un détail ou sous-estimeraient la présence d'un indice.

Telle était le rythme naturel de la chasse, de la danse éternelle entre les prédateurs et les proies. En ce jour, Haldren comptait bien être le prédateur de ceux qui profanaient son foyer.

Un brusque mouvement dans les fourrés derrière lui l'amena à se retourner pour se trouver face-à-face avec... avec rien de moins que le suzerain de l'Anaëh en personne (qui plus est habillé, ce qui constituait déjà une caractéristique remarquable), glorieusement juchée sur un grand félin de toute beauté qui attira immédiatement son regard en faisant métaphoriquement briller des étoiles dans ses yeux d'émeraudes.

Ton fairä est vraiment adorable, un jour il faudra que je passe voir les élevages de Tethien. Moi aussi j'adore les félins, dans le temps j'avais comme compagnon une panthère d'ombres nommée T'challa mais malheureusement je l'ai perdue peu avant mon arrivée en Anaëh.

L'une des caractéristiques assez surprenantes des vieux archimages tels que l'ancien Trimvir provenait de leur incapacité chronique à prioriser les sujets lorsqu'un stimulus externe attirait leur attention. En l’occurrence, Haldren venait de mettre plusieurs longues secondes à remarquer qu'Artiön se trouvait accompagné d'autres elfes parmi lesquels une vieille connaissance avec qui ses rapports demeuraient assez compliqués, faits de méfiance et de reconnaissance à la fois.

Salutations, Halyalindë.

Voilà, ça ne mangeait pas de pain d'être poli. Tout en atténuant de nouveau sa signature magique pour cesser de hurler sa présence à tous vents, Haldren parcourut du regard le reste du groupe. S'il commençait à relativement bien mettre des noms sur les visages à Malereg, ses rares passages dans d'autres cités ne permettaient pas au repenti d'y connaître grand monde et il ne put que déduire qu'il s'agissait de militaires d'Alëandir au vu de leur accoutrement. Satisfait en tout cas de recevoir une aide bien plus importante qu'espérée, l'archimage se leva, se frotta vigoureusement le postérieur et l'entre-jambe pour en ôter brins d'herbe et poussière, puis désigna l'entrée obscure s'élevant dans la paroi rocheuse non loin d'eux.

Cette grotte là-bas. Elle a servi de repaires à un groupe d'intrus qui s'y adonnent à des activités sur la faune locale, des activités... comment dire... peu ragoutantes. Je n'ai pas de preuve mais je soupçonne des adeptes de Leetha, peut-être le même groupe que ceux qui ont sévi voici plusieurs années. Regard appuyé à Halaylindë en prononçant ces derniers mots.

Tout en parlant les elfes s'étaient approchés de la caverne et l'odeur nauséabonde agressa leurs narines. Une odeur de décomposition et de charogne, rappelant un peu celle des champs de bataille lorsque les masses de cadavres restaient à pourrir au soleil. Mais au delà de l'odeur détestable, une impression de malveillance imprégnait le lieu, des pulsations désagréables qui donnaient envie de se racler les dents à s'en faire saigner les gencives. Le fairä royal semblait d'ailleurs particulièrement mal à l'aise et sans la présence de son cavalier sans doute aurait-il fichu le camp à grandes foulées.

- Bonjour Haldren. "

J'ai répondu avec un sourire que je voulais attentionné. Il avait.... changé. Quelque chose de beaucoup plus profond, de beaucoup plus net que ce que j'avais pu voir lors de notre dernière rencontre... Et nos yeux d'un vert si semblable s'accrochèrent un instant. Puis il fallait en revenir à des considérations plus pratiques. La Grotte.

L'endroit était... révulsant. L'odeur, les carcasses, l'humidité. Tout y était étrangement écœurant.

Tandis que le faïra s'en allait à grands bons craintifs, je remontais mon foulard vert sur mon nez pour éviter les potentiels miasmes. Depuis que Sandriel me l'avait offert pendant ma captivité au temple de Tari, il ne me quittait plus.

- Si ce sont bien des drows comme ceux d'il y a cinq ans, ça a pu être très rapide. "

Ma voix était un peu plus catégoriques que je ne l'aurais souhaité, mais comment penser autrement lorsqu'on voyait ce qu'une nuit avait suffit à faire... Je m'approchais malgré tout de celui qui nous avait implicitement amené ici et de l'antre nauséabonde. Mes yeux dansaient alentours pour en trouver des marques, des pas, des signes de toute sorte. L'activité autour de la grotte était manifeste. Le fait que ce n'était pas une activité elfe également.

- Tu es sûr qu'ils ne sont plus dans les environs ? Que la grotte est vide ? Et que nous pouvons entrer sans crainte ? "

C’était inattendu. Et au même moment trop peu surprenant. En réalité, venant d’Haldren rien ne pouvait plus être surprenant. C’est pour cette raison que tu t’étais contenté de hausser les sourcils après qu’il ait abandonné l’air grave qui semblait l’avoir poussé à appeler à l’aide pour une fascination enfantine envers Vìrin. La pauvre Vìrin d’ailleurs, elle n’avait pas attendu qu’il vous pointe du doigt le sujet de son trouble pour s’en inquiéter. Elle avait l’odorat plus fin que le vôtre, et elle, elle l’arôme des lieux l’avait déjà révulsé avant que vous ne vous en soyez approchés. Si bien qu’il avait fallu que tu abandonnes la selle pour te mettre à son chevet dans un premier temps, et qu’arrivé quelques pas plus proche des lieux, quand à ton tour tu t’étais retrouvé les narines agressées à ne plus pouvoir le supporter, tu avais dû la congédier.

- Ne t’inquiètes pas Melui. Tout ira bien.

La féline n’y croyait certainement pas plus que toi. Et pour cause. Tout semblait dire le contraire. L’odeur de mort, les carcasses difformes, l’horreur dans laquelle la forêt elle-même tenait ce macabre spectacle, rien n’était pour vous rassurer. Ton cœur ne s’emportait pas au point de battre vite, mais il battait fort. Ton esprit était tenu alerte par de sombres pressentiments, qui n’en devinrent que plus intenses lorsqu’Halyalindë confirma partager l’avis d’Haldren, et par extension le tien, sur une situation sur laquelle tu priais La Très-Sage de te donner tort.
Ces « prêtres de Leetha » dont Haldren parlait, tes voyages dans sa mémoire, à défaut de te dévoiler les subtilités de leur ordre, te laissaient tout à fait imaginer ce dont ils étaient capables. Quant à la mention de la rencontre d’il y a cinq ans… ton impuissante devant le mal ayant touché Eörim, tu l’as toujours en travers de la gorge.

- Il n’y a personne dans les environs. tu réponds avec assurance J’aurais senti leurs pulsations sinon.

Mais s’ils n’étaient pas dans vos environs directs, ils ne pouvaient pas être bien loin. Le triste spectacle semblait bien trop récent pour ça. Il vous suffirait de retrouver leur trace et alors là… là ils paieraient pour la mort du Yasairava en même temps que pour le carnage laissé dans leur sillage.

- Halyalindë !

Tu t’approches avec manifeste dégoût d’une carcasse dans un moins piètre état que celle que tu devinais tapisser les profondeurs de la caverne, remerciant Arcamenel par la même occasion de ce que ta tenue du jour ait comporté une bande de tissu décorative qui puisse te servir de protection improvisée. La cape d’épaule se sera vite retrouvée transformée en un foulard de fortune couvrant ton nez et ta bouche.

- Viens voir ! tu appelles d’un signe de la main l’épervier, pointant de la pointe du pied de ton sceptre les chairs tuméfiées une fois qu’elle en fut à portée de vue Tu te souviens des essences toxiques dont je t’ai parlé ? La forme des plaies est typique d’un contact avec des secrétions de Distride. Quant à l’odeur, je pourrais me tromper, mais il y a de fortes chances que ce soit dû au contact de l’organisme avec un sumac jaune.

Ces monstres ne s’étaient pas contentés de ramener leurs propres essences. Ils ponctionnaient l’Œuvre elle-même pour détruire l’Œuvre… mais au moins ce faisant ils se rendaient plus vulnérables.

- Avec un peu de chance, il devrait rester des résidus des substances avec lesquelles ils se sont amusés dans se capharnaüm. ton regard se tourne vers les profondeurs de la caverne Pour peu qu’on soit capable d’identifier un schéma logique dans leurs recherches d’essences, il devrait être possible de deviner à peu de choses près quels pourraient être leurs prochains points de récolte.

Et s’assurer qu’ils ne récoltent plus rien.

- Une autre idée ?

-Ne vous avancez pas trop loin. A l’instar de ses camarades, Aegden avait lui aussi protégé son visage à l’aide de son col.  On ne sait ni ce que c’est, ni à quel point tout ça peut être dangereux. On ne devrait pas rester ici trop longtemps d’ailleurs.

Il recula machinalement d’un pas, il avait l’impression que plus ils avanceraient dans l’affreuse caverne, pire l’atmosphère serait.  Il n’avait vraiment pas envie de voir qui que ce soit rentrer là-dedans. Il se retourna vers l’un des soldats.

-Saren. Va trouver la capitaine des éclaireurs. Dit lui que j’ai besoin d’un peu de renfort. Au mieux j’aimerais qu’il dépêche ceux qui ont déjà participé à des missions comme celle-ci. Sinon qu’il se débrouille comme il peut. La protection des zones de migrations restent prioritaire.

Un hochement de tête plus tard, le soldat tourna les talons et disparu entre deux arbres par le chemin d’où ils venaient. Il mettrait un peu de temps à revenir, et hors de questions qu’ils attendent passivement.
Le commandant se retourna ensuite vers les trois autres elfes.

-En soit l’idée de récolter des… résidus, ou peu importe quoi sur ces choses pour essayer de trouver un schéma et avoir une chance de les intercepter, est une bonne idée.  Mais je ne veux pas que vous touchiez ça tant qu’on n’a pas plus d’information. Je suis plus d’avis de remonter leur piste par un moyen ou un autre et de faire ces recherches en parallèle, histoire de ne pas perdre de temps.

Plus ils mettraient de temps à neutraliser la menace, plus celle-ci aurait le temps de devenir importante. Et c'était tout bonnement inacceptable.

Accroupis sur un détail à l'entrée de la grotte, les oreilles tournées vers mes camarades, je me relevais à la dernière proposition d'Aegden en frottant mes paumes pour en décoller la poussière.

- Je suis d'accord. Les traces ne sont pas fraiches, mais ils ont tracté quelque chose de lourd hors d'ici. Plus lourd qu'un corps. Et vu les entailles dans la pierre, soit c'était en métal, soit il passait extrêmement souvent. Et dans les deux cas, vu qu'il n'y a aucune trace de traine, ils ont du le porter à partir de l'entrée. " Je revins de quelques pas vers le petit groupe, ma besace pourtant peu remplit pesait lourd sur mon épaule. Si je ne combattais plus, la vision que j'avais de mon environnement restait intacte et traquer une proie était une chose qui ne s'oubliait jamais vraiment, surtout quand on vivait à Celimë entouré de trappeur surveillant la frontière et sans grande ressource alimentaire mis à part les rations qui arrivaient de l'arrière.

En franchissant les quelques souches abattues et les mousses blanchies, je laissais comme toujours mon regard courir sur une foule de détail. Mes oreilles dressées semblaient guetter le moindre son distant. Les buissons, les boutures, les traces dans la terres et de l'humus, l'odeur de sève. Je m'approchait jusqu'à dépasser Haldren dans l'autre sens pour s'adresser directement aux deux elfes.

- Artiön, si tu penses pouvoir tirer rapidement quelque chose des essences qui sont là, reste peut-être ici avec Haldren. Aegden, Le plus grands nombre de passage semble aller par là-bas. " Elle indiqua un pan de forêt plus radieux que celui qui entourait l'antre infecte. " Si tu veux, nous pouvons rapidement les suivre jusqu'à ce que nous la perdions, au moins nous verrons si la direction change... Parce qu'honnêtement, si je ne me trompe pas, en continuant tout droit de ce côté, on finit par arriver droit sur la Trace. Et aussi loin de la Capitale, je ne sais pas si les patrouilles de garde sont particulièrement fournis...

Vers la Trace… en réalité s’ils s’étaient dirigés vers la Trace, vous seriez à votre avantage. Ce ne serait pas grand-chose, mais au moins, c’était mieux que rien. Effectivement les patrouilles aussi loin de la Cité n’étaient pas bien nombreuses, mais avec les migrations en cours, les alentours des rues étaient scrupuleusement surveillés durant tous les temps aménagés de voyage, et après que les milices s’en soient éloignées, pour beaucoup force de surveillance intense ils avaient fini par en imprimer le moindre brin d’herbe.  

- Avec les migrations même jusque-là les patrouilles sont peu fournies mais régulières. À défaut de trouver quoi que ce soit de plus concret aujourd’hui, les soldats mobilisés dans les derniers jours devraient pouvoir nous renseigner un minimum.

Tu approches légèrement ta main droite de la carcasse, donne une impulsion de la gauche contre le manche de ton focaliseur, et de ta paume libre, tu couvres le cadavre d’une douce lumière. Les tendons d’énergie se glissent à travers les chairs et les muqueuses nécrosées, glissant à travers les moindres lymphes comme autant de sondes immatérielles.

- Je ne devrais pas avoir trop de soucis soit à déterminer les points communs entre elle, soit à conjecturer les effets recherchés s’il y a combinaisons. À partir de là je pourrai m’atteler à chercher un moyen d’obtenir un contre-effet… et proposer une liste d’ingrédients manquants potentiels, s’il en est. tu es aussi écœuré que tu n’as de la chance de constater que tous les composants jusque-là sont connus et natifs d’Anaëh Je reste.

Des corrosifs, de l’hémotoxine, un agent irritant huileux… et pour l’instant au vu de l’état des cadavres, tu n’as pas le moindre moyen de connaître la méthode d’inoculation. À cela près que tu peux presque certainement affirmer qu’il ne s’agit pas d’un aérosol.  

- Haldren ? tu tournes ton regard vers le repenti Une idée de ce qu’aurait pu être le mode opératoire ?

Travailler avec Haldren. La voilà l’occasion de faire de lui une présence moins menaçante, et au même moment, celle de mettre au service d’Anaëh les savoirs qu’il avait ramené du Puy.

Tandis que les autres elfes se penchaient sur les cadavres mutilés, Haldren examinait avec attention les murs de la caverne, cherchant ce qu'il craignait d'y trouver et qui confirmerait ses premières suppositions sur l'origine des troubles. Sa recherche fut couronnée de succès lorsqu'il aperçut au fond de la grotte une grosse pierre à peu près plate qui aurait pu servir d'autel de fortune, et juste au-dessus un symbole qu'il reconnut aisément pour l'avoir souvent croisé lorsqu'il vivait au Puy d'Elda ou plus récemment sur d'anciennes ruines abandonnées dans le marais de Faelia.

Venez voir !

Ses compagnons le rejoignirent et regardèrent ce que l'archimage leur désignait : bien que gravé grossièrement dans la paroi par un artiste malhabile, il était relativement aisé de deviner que le symbole représentait un os autour duquel s'enroulait un serpent. Le tout avait été barbouillé de charbon de bois pour donner une teinte noirâtre à l'oeuvre. Bien qu'il ne s'agisse que d'entailles dans la roche, de l'ensemble émane une sensation de malaise bien perceptibles, un gout de bile dans la bouche que l'on ne pourrait recracher. A côté de la pierre se trouvait un tas d'ordures devant avoir servi de dépotoir pour les objets abîmés du culte : un couteau usé, des bouts de cordes, des restes de chiffons sales, un morceau de miroir, des bricoles en apparence inutiles qui n'attiraient nullement les regards.

Vous voyez ce symbole ? Il s'agit de celui du culte des déesses jumelles de  la maladie et de la vermine : Leetha et Kiran. Le serpent et l'ombre enroulés autour d'un fémur. Seuls des prêtres peuvent ainsi avoir apposé la marque du culte. Bien que leurs clergés aient tissé de nombreux liens, ils ne collaborent que pour des projets d'envergure et leur présence en Anaëh n'est pas à prendre à la légère. La haute hiérarchie drow, militaire ou religieuse, a tendance à manquer d'imagination et je commence à craindre qu'ils n'aient réactivé le programme mené par Tebryn voilà deux décennies lorsque l'Uraal fut empoisonné et que la peste ravagea Diantra. Les récents échecs militaires et en particulier la perte de Yutar a du les persuader de revenir à des tactiques plus insidieuses.

Ancien membre de l'Olath Blada, Haldren connaissait mieux qu'aucun autre des présents le goût quasi sexuel des eldéens pour une belle trahison, pour un coup de poignard dans le dos, pour un empoisonnement que nul n'a vu venir. Rien d'étonnant dès lors que des démentes comme cette catin de Cécilie ait parti noué avec eux comme l'en soupçonnait Haldren depuis longtemps. Mais Cécilie ne comptait pas dans l'immédiat car soudain la peur s'empara du repentant. Pas la peur envers son propre destin ; il possédait dans sa manche suffisamment de cartes pour échapper à bien des dangers ; mais la peur de voir son roi se tenir quasiment sans escorte dans une récent repaire drows, à tripatouiller des cadavres sur lesquels avaient longuement travaillé des prêtres du clergé de Leetha ou de Kiran. Par les couilles atrophiées d'Uriz le Mille Fois Maudit, personne n'avait donc pris en compte les risques encourus ? Haldren se tourna vers Artiön et aucune étincelle narquoise ne se lisait dans les yeux si souvent railleurs de l'archimage, juste un immense sérieux allié à une grande inquiétude.

Aran, vous ne devez pas rester seul ici. Voici cinq ans, lors de notre première rencontre au palais, vous m'avez dit que votre tête n'avait aucune valeur en Elda. Déjà à l'époque j'en doutais car vous sous-estimez terriblement le prix que même un nouveau roi peut atteindre là-bas, mais aujourd'hui le risque est mille fois pire. Ne sous-estimez pas les espions eldéens car je parierais qu'ils ont passé beaucoup de temps à ramasser toutes les informations disponibles sur vous... entre autre votre fichue habitude de sous-estimer l'importance des mesures de sécurité élémentaire pour une cible politique de premier choix ! Dois-je vous rappeler que nous sommes en guerre ? Dois-je vous rappeler les destins de Telrunya et d'Orelindë ? Tout ceci est peut-être la marque de la préparation d'un acte aussi odieux que l'empoisonnement de lac d'Uraal. Ou peut-être n'est-ce qu'un piège destiné à attirer le suzerain d'Anaëh hors de la sécurité des murs d'Alëandir !

Haldren était en colère, furieux même, au point de quasiment engueuler le roi avec toutes les conséquences que cela pouvait avoir. Mais la colère lui faisait omettre toute règle de respect. En colère contre Artiön qui continuait à négliger sa sécurité, en colère contre les autres elfes qui ne prenaient pas les mesures suffisantes pour protéger le roi, mais surtout en colère contre lui-même qui n'aurait à la base jamais du laisser Artiön pénétrer dans cette caverne. Et si le piège se trouvait ici même ? Et si des toxines flottaient dans l'air pour empoisonner les idiots osant s'approcher ? Devenu elfe, il lui manquait désormais la fourberie qui autrefois l'enveloppait en lui donnant des réflexes de survie nécessaires pour tenir la distance en Elda. Jamais il n'aurait du laisser ses alliés pénétrer dans cette caverne sans avoir auparavant bien veiller à ce qu'aucune menace n'y subsiste.

Alors qu'il parlait encore, un gargouillement se fit entendre derrière eux. Les elfes pivotèrent d'un seul mouvement, et virent avec horreur la carcasse près de laquelle le suzerain s'était agenouillé un peu plus tôt se mettre à bouger, comme animée de l'intérieur par quelques hideux remous. Ce qui avait autrefois été un sanglier se releva mais il ne possédait plus rien d'une créature de la Mère : sa peau était recouverte de cloques purulentes d'où suintait un liquide noirâtre et les chairs à nues ne se trouvait animées par aucune vie si ce n'est celle des sombres arts eldéens. Réalisant trop tard les implications qu'il aurait du tirer en constatant la présence d'un reste de miroir, Haldren ne put que constater les résultats de sa fâcheuse inattention.

Et merde... ce truc devait attendre d'être analysé par magie pour s'activer.

Habile, au demeurant. Très habile, limite remarquable et il fallait reconnaître une ingéniosité notable dans la création du rituel. Cela évitait d'éveiller le monstre si un simple soldat passait par là. Activer ainsi un sort à retardement demandait un talent rare qui démontrait bien la présence parmi les intrus de praticiens plus que confirmés, des maîtres dans leur art. Trop tard pour pleurer sur le lait renversé, l'urgence imposait d'agir.

Aegden, Halya, protégez Artiön !

S'avançant d'un pas en direction de l'abomination, l'archimage tendit la main et y fit apparaître des Ombres qu'il condensa bien plus vite que les manuels de magie ne le recommandaient. Les filaments s'enroulèrent les uns sur les autres comme une pelote de laine ténébreuse jusqu'à atteindre la taille d'un melon. Sitôt la formation de l'orbe achevée, Haldren la lança au jugée en espérant ne pas louper sa cible qui bien que massive se redressait sur ses robustes pattes avec une agilité surprenante. Fort heureusement, la distance demeurait modérée et l'orbe d'Ombres vint s'écraser avec la violence d'un boulet de catapulte sur le flanc en loupant malheureusement le thorax, faisant chanceler le sanglier mais sans le faire tomber au sol. La magie compensant allègrement la chair défaillante, rien d'étonnant à ce que cela ne suffise pas.

'HRP':

Haldren s’était enfoncé dans la caverne, malgré le fait qu’Aegden ait demandé le contraire... Il hésita avant de finalement s’approcher. La pointe de ses oreilles s’inclina en arrière et ses sourcils se froncèrent à la vue de l’affreux motif sur la paroi. C’était moche. Aegden avait l’impression d’être encore plus mal à l’aise qu’avant à fixer le symbole.

Sensation grandement renforcée par les paroles de l’étrange elfe. Un court instant il se demanda comment ce dernier pouvait bien savoir tout ça… L’esprit rationnel du commandant eut cependant tôt fait de mettre tout ça sur le fait que le mage avait peux être aidé lorsque la maladie était apparue la première fois et appris pas mal de choses par ce biais. Il garda tout de même quelques observations pour plus tard avant de se focaliser à nouveau sur ce qui l’entourait. Il savait quand même beaucoup de choses...

De l’explosion de colère du mage envers l’Aran, il ne l’écouta que vaguement, au moins au début. Çà ne lui était pas adressé. Malgré tout il ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel. A l’entendre Artiön était seul au milieu de la dangereuse caverne… Certes Artiön n’avait pas un comportement prudent, mais   il était loin d’être voué à lui-même. Ils étaient un groupe de 5 elfes. 5 elfes qui savaient se défendre. 5 elfes qui  avaient en avaient l’habitude.  Aegden avait l’impression que l’autre les sous estimait un peu trop, et il hésitait entre s’en vexer ou s’en agacer alors même que le mage ne lui parlait pas directement.

De toute manière, il n’eut pas le temps de faire un commentaire qu’un bruit étrange résonna derrière eux.  Aegden vit avec horreur la bête déformée qu’examinait Artiön s’animer.  Ce qui se retrouva sur ses pattes n’était plus une bête. C’était une abomination ! 

-Cette horreur a été animée par magie ?!  s’écria-t-il.

En parlant de magie, Haldren tenta de lancer un objet sur la bestiole. L’orbe s’écrasa et fit chanceler l’énorme sanglier. Malheureusement l’abomination était toujours sur ses pattes. Bon, la magie ça ne marchait pas, la magie avait créé l’horreur devant eux. Au bout d’un moment il fallait se rendre à l’évidence et utiliser les méthodes conventionnelles.
A peine le sanglier s’était-il relevé que le commandant avait eu son arme en main. Il ne perdit pas une seconde de plus.

-Reculez ! 

Une prise d’élan, un bon sur le côté au dernier moment, et il se retrouva à prendre les devants contre la bête, légèrement décalé pour éviter un coup direct.  Il n’avait aucune idée si son arme aurait le moindre impact sur la créature, sans doute pas. Mais au moins ça pourrait le distraire le temps que l’un des autres elfes ait une solution plus efficace… Il faudrait juste espérer que ladite solution arrive vite.

Tu étais trop occupé à ton analyse pour rouler des yeux lorsqu’Haldren, à l’encontre des ordres d’Aegden, s’enfonça sans demander son reste dans la caverne. Mais lorsqu’il finit par vous héler comme ayant trouvé le plus grand des trésors maudits, et surtout lorsque la couverture que tu possédais en Halyalindë, Aegden, et les deux autres miliciens restants se resserra autour de l’archimage, tu dus bien te résoudre à les suivre. Abandonner ce qui te semblait être une piste concluante, tu ne le faisais déjà pas de gaieté de cœur, mais t’enfoncer dans ce bourbier obscur te donnait tout bonnement la gerbe. Entre l’odeur nauséabonde, les vieilleries jonchant encore le sol, et cette marque… voilà que tu t’en trouverais presque heureux de ne pas distinctement entendre les pleurs des arbres.

Le dégoût cependant ne t’aveuglait pas autant que l’inquiétude semblait faire oublier à Haldren le secret qui l’entourait. Certes, tu l’avais questionné sur les modes opératoires Drows, parce que sa couverture de mage venu d’Estrévent pouvait lui permettre de partager certaines informations sans craintes… mais là… Là il allait trop loin, et de manière trop évidente. Halyalindë et toi ne pourriez pas faire semblant d’ignorer la précision de ses remarques bien longtemps. Les autres finiraient par remarquer que quelque chose ne tourne pas rond.
Mais probablement était-il trop occupé à vous prendre pour des enfants pour le remarquer.

- Calme-toi Haldren, tu deviens paranoïaque. ton regard se pose sévèrement sur lui Si ce sont des Drows qui sont à l’origine de tout ça, ils doivent être un des exceptionnels, et je pèse mes mots, petits groupes à avoir réussi à se faufiler jusqu’à notre forêt. Je doute fort que le moindre espion Drow ait réussi à suivre leurs pas. Que des Eldéens aient réussi à se renseigner sur le nouvel Aran, ce qu’ils ont appris, ils l’ont appris de bouches extérieures à nos frontières, et alors ils ne doivent pas savoir grand-chose. tu soulèves un sourcil Et surtout pas la manière de gérer ma sécurité. tu soupires D’ailleurs, non seulement ce que tu racontes est insultant pour le soldat que je suis et pour les soldats qui nous accompagnent, mais je te signale qu’il t’avait été demandé à toi de ne pas t’éloigner de m…

Une pulsation erratique, une entité dont les énergies magiques et vitales étaient confondues. Un non-mort. Ce genre de signatures, tu les reconnaîtrais entre mille. Pas besoin que les gargouillis viennent te donner plus d’indice. Le Mage d’Ombre t’enlève les mots de la bouche, seulement contrairement à lui, ce n’est pas parce que tu crains la créature que tu es attristé, mais bien parce qu’il te faudrait la détruire… et le reste des preuves qu’elle porte avec elle.

- Ne le touche surtout pas Aegden !

Ton sceptre s’imbue d’une lumière iridescente, les flux traversent les veinules de pierre de Yutar qui en tapissent l’intérieur comme le sang court à travers les veines d’un vivant. Tu t’écartes d’un bond à l’exclamation du Mainyth, lui laissant prendre les devants alors que tu profitais de sa présence pour un tour de sceptre. Six heures passées. Cadence mortelle. Tes doigts font un dernière démonstration d’agilité, retournant la poignée de ton focaliseur pour que plutôt que comme un sceptre, tu le tiennes comme un sabre.
Et puis tu tranches l’air, laissant dans le sillage du bâton une traînée arcanique comme des langues de feu. Et les langues de feu trouvent leur cible en l’abomination distraite par le lancier. Ce qu’il reste de nerfs à la créature s’emballe, s’emporte, se met en action avec une intensité que n’aurait supporté aucun vivant. Une étincelle, c’est tout ce dont tu avais besoin. Une minuscule étincelle, produit de nerfs surchargés, trouva le contact des gaz de putréfaction, puis des graisses corrompues, puis des chairs et des humeurs en entier.

Quelques secondes à peine avaient suffi à ce que l’animal non mort flambe complètement, ne laissant derrière lui que des cendres, et les extrémités de ses quatre membres.

- Et voilà comment perdre une source.

Agacé, tu l’es. Derrière ton visage contrit se cache pourtant une certaine satisfaction. Pour cette fois, ta magie aura été plus efficace que celle du destructeur d’Eraïson.

- Mais s'ils cherchent bien des toxines aussi virulentes que celles utilisées sur l'Uraal je pense avoir une idée d'où ils ont pu aller. tu regardes en direction de la sortieIl y a des cours d'eau non loin réputés abriter des Naïndal. Pour peu qu'ils en aient eu vent, le venin de ces animaux ferait une parfaite addition à l'émulsion qui suintait de ce pauvre sanglier.

Un coup de tonnerre silencieux. Mon regard s'est vrillé sur la menace. Mes muscles se tendaient, prêts à bondir, prêts à déchirer, trancher, tuer. L'appel de la chasse se faisait d'autant plus forte qu'elle n'avait pas été assouvie depuis des années. Je n'avais pas été confronté à une telle monté d'adrénaline depuis des années...

Sans mal, se sautait, sur le côté et dégainait mon couteau, a demi accroupie, une main sur le sol. Chaque pas de l'animal produisait une vibration qui se répercutait dans la terre jusqu'à mon corps. Prête à détourner le sanglier des autres elfes d'un coup, d'un bond, d'un cri, mes sens notaient à toute vitesse les emplacements des uns et des autres. Une pierre pour prendre appel. Un arbre couché. un bosquet de ronces hautes. La proximité de la créature m'était douloureuse. Les cicatrices de mon esprit protestaient. Mais la situation me demandait plus de concentration que la sensation désagréable.

Et en une fraction de seconde, ce fut fini.

Les mots agacés d'Artion me parviennent de loin pendant que je me relève, rengainant dans un mouvement fluide la courte lame qui me servait à équeuter des champignons. Il réfléchissait déjà à la suite, sans même prendre le temps de voir ce qu'il pouvait ramasser de l'animal mort-vivant. Me détournant de quelques pas, me penchait en avant, appuyée sur mes genoux, et prenais quelques instants pour souffler. Doucement... Les tremblements d'excitation refluèrent. Les battements de mon cœur redevinrent moins profond. Par les dieux... Un simple non-mort la mettait dans un tel état...

Une grand inspiration. Je me redressais. Une grande expiration. Je serrai les mains l'une contre l'autre pour en cacher les soubresauts avant de me tourner vers le petit groupe qui s'agitait, déjà sur le départ.

J'ai passé une main dans mes mèches rebelles pour me dégager le front, souriant à Aegden dont je croisais furtivement le regard.

- Je vais m'arrêter là. " C'était le meilleur choix à faire... " Artiön gèrera très bien les choses en cas de blessure, vous connaissez la zone mieux que moi, et je ne veux pas me retrouver face à des daedhels une nouvelle fois. Ce n'est plus mon rôle. " Elle avait raccroché l'épée pour ne pas succomber à la soif de sang... Et elle n'allait pas reprendre maintenant. " Athirlan et Fenris m'attendent. Vous êtres entre de bonne main, maintenant... Oh. Et pas la peine de vous en faire, je saurais retrouver le chemin d'Alëandir. "

Je les saluais, un sourire amical, puis je tournais les talons. Tout cela... Tout cela n'était plus ma guerre et elle ne devait pas le redevenir.

Haldren jeta un long regard blasé aux restes calcinés du sanglier qui venait de perdre sa seconde vie à une vitesse pouvant approcher celle d'un nain assoiffé vidant un tonneau de bière. Les prêtres drows en auraient surement pleuré de rage de voir ainsi leur créature encaisser le tir d'un archimage pour se faire ensuite cramer comme une merde sous le soleil, tout ça parce que ces andouilles oubliaient de mettre des protections magiques sur un piège nécessitant des heures de préparation. Et pardon pour le lecteur, mais comme duel nous sommes bien loin des jeux de Thaar où virilité et testostérone débordent gaillardement. Un air las posé sur son visage, Haldren s'approcha d'Aegden.

Dans le temps on avait un peu plus le respect des monstres, on ne les dégommait pas en un tir. C'est bien les jeunes générations ça ! Du consumérisme, de l'immédiateté, pour eux les ennemis ne sont qu'un acquis social pouvant être jeté dès l'utilisation. Aucun amour du combat ni du scénario, alors que pourtant les prêtres de Kiran venaient de nous offrir une belle situation pour de l'héroïsme. Ah tout fout le camp, tout va à vau-l'eau.

Halya intervint alors pour signaler qu'elle ne servait pas à grand chose dans cette quête et qu'elle retournait donc à Alëandir. Sage décision, elle avait déjà payé un lourd tribut aux empoisonneurs drows et méritait bien pour une fois de rester en dehors des problèmes. Quant à leurs recherches, il s'avérait évident que le sanglier ne pourrait plus leur être d'une grande aide vu son état, et qu'un peu de déductions allait s'avérer nécessaire s'ils voulaient retrouver une piste valable.

Artiön a totalement raison, fouiller les cours d'eau à la recherche de naïndals pourrait être la bonne méthode. Mais tout à l'heure vous parliez également de distrides et cette piste aussi peut s'avérer utile. Je vais aller voir du côté de l'Aduram si je repère quelque chose.

Sans attendre de réponse, Haldren quitta à son tour la caverne.