Peste soit des drows | Haldren

Eté - 1e jour de la 7e ennéade de Verimios
10e année XIe Cycle
Après un passage à Ardamir

Le voyage de retour avait été court. Bien plus que ce qu'elle avait escompter. Bien plus que ce que qui que ce soit aurait escompter. Elle n'avait aucun bagage de plus que les vêtements qu'elle portait sur le dos, n'avait pris le temps que de manger et de se changer avant de prendre le chemin inverse d'Ardamir à Alëandir au côté de Fenris. La cité leur avait prêter une coursier de plus pour qu'ils n'aient pas a attendre la prochaine barge et que la monture du jeune cavalier ne soit pas épuisé par une charge double. Halya avait cessé de compter les heures.

Tout était sensé s’arranger depuis sa sortie du temple de Tari. Portant, depuis qu'elle avait appris la chute de Yutar, son monde se craquelait aussi rapidement que du temps ou elle parcourait les terres mortelles. Le charnier, Estiam, Haldren, et maintenant son père.

Peut-être pour la première fois, elle ne s'était posé aucune question avant de parler à Fenris de tout ce qu'elle avait sur le cœur. Elle n'avait rien caché, ni son histoire étrange avec Estiam, ni sa rencontre avec Haldren, ni l'horreur que lui avait inspiré le charnier, ni son aversion aussi grandissante que soudaine envers le métier des armes. Le seul métier qu'elle maîtrisait réellement. Elle ne lui cacha pas non plus les raisons de la survie du drow ni l'appréhension qu'elle avait envers lui. Plus que jamais, c'était le soutien de sa moitié qui lui permettait de rester au moins un minimum sereine face à ce qu'elle s'apprêtait à faire, même si l'état de son père la faisait se sentir terriblement seule.

Elle refusa même de s'arrêter dans la demeure qu'ils avaient occupé durant quelques temps à Alëandir, se dirigeant d'une traite vers le Haut-Temple pour voir l'hôte qu'elle y avait escorté. Elle confia ses armes à Fenris qui la retint une dernière fois pour lui assurer son soutien d'un regard. Qu'il comprenne ou non était secondaire. Il y avait fort à parier qu'il ne pense pas lui-même que cette visite puisse changer quoi que ce soit à l'état d'Eorim, mais quoi qu'il arrive, il était là.

Un initié accepta d'aller voir si "Hecil" était disponible pendant qu'elle faisait les cents pas dans la nef, sous le regard inquiet de quelques prêtres plus attentifs que d'autre. Pourtant cette fois, nulle aura meurtrière ne l'entourait. Désarmée et tendue, c'était son angoisse qui prenait le pas.

Ce jour-là, Hecil se trouvait dans la bibliothèque du temple. Rien à voir avec la majestueuse bibliothèque de l'académie de magie dont certains elfes lui avaient longuement vanté le nombre de volumes et la rareté de certains ouvrages, mais néanmoins il y avait déjà largement de quoi satisfaire le besoin de lecture de l'ancien eldéen qui regrettait amèrement sa propre bibliothèque du C'nros désormais inaccessible pour des raisons assez évidentes. Le temple de Kÿria se voyait hélas surtout doté de livres traitant de sujets théologiques pointus, toutefois les rayons sur l'histoire elfique avaient attiré Hecil qui se trouvait fortement intéressé par la possibilité de comparer ce qu'ils contenaient avec leurs équivalents côté drows.

Sans grande surprise, le récit de l'exil de ceux qui devinrent des drows différait assez largement entre les deux camps. Mis à part l'origine du schisme, à savoir la destruction du Linoïn par les hordes barbares d'Unvan, les chroniques elfiques ou drows ne s'entendaient sur rien. Amusé, Hecil lisait les pages narrant les efforts du roi Lindàl pour apaiser la colère des réfugiés du Linoïn, la patience infinie qu'il mit à les convaincre de ne pas sombrer dans la violence, puis au final son obligation de les exiler pour éviter un mal plus grand encore. Pour les chroniques drows bien entendu, Lindàl n'avait fait aucun effort tangible, saisissant le premier prétexte venu pour bannir ces encombrants exilés sans la moindre once de pitié.

Hecil discutait souvent avec la Haute-Prêtresse, la taquinant sur sa foi inébranlable en la véracité de ce qu'affirmaient les sources elfiques. Si l'ancien eldéen se doutait que les chroniques drows faisaient preuve de subjectivité afin de justifier la ligne politique agressive de l'Elda, il trouvait cependant un peu excessif l'attitude des habitants de l'Anaëh de ne jamais remettre en question leurs propres erreurs. A l'inverse de beaucoup, Hecil considérait que l'histoire n'était ni blanche ni noire, mais souvent grise... grise assez sale, d'ailleurs.

Les drows sont-ils donc toujours coupables de tout ? Doivent-ils tous porter les fautes de leurs dirigeants pour l'éternité ? Lindàl a probablement agit selon ce qu'il pensait être le mieux, mais est-ce juste pour autant de faire porter le poids du schisme uniquement sur les drows ? D'affirmer que cela les a entraîné dans une spirale de haine et de violence à l'encontre des elfes ?

Ainsi parlait l'hybride, sans vraiment être écouté ni compris, mais cela lui importait finalement assez peu. Au fond, quelle importance de savoir ce qu'il s'était exactement passé huit cycles plus tôt ? Que Lindàl ait tout fait pour ressouder le peuple elfe suite à la destruction du Linoïn ou qu'il ait cédé à la facilité d'exiler les réfugiés ne changerait pas le cours des choses. Ce qui attristait bien plus Hecil était de constater que les elfes avec qui il discutait considéraient les drows... tous les drows... comme des êtres vils et perfides, incapables d'agir autrement que par esprit de vengeance. Aucune nuance, aucune pondération, aucune prise en compte de la complexité pourtant bien présente au sein de la société eldéenne, une attitude finalement assez proche de ce qu'il avait entendu pendant des siècles dans la bouche des prêtres d'Uriz si on y enlevait les appels aux massacres dont les serviteurs du Coléreux se trouvaient férocement friands.

Bref, tout cela n'a rien à voir avec le post précédent, n'est-il pas ? Revenons en donc à nos moutons.

Lorsqu'un initié vint lui dire que dame Halyalindë Yasairava l'attendait dans la nef, Hecil s'y rendit séance tenante. L'elfe avait promis de revenir le voir mais il ne s'attendait pas à ce que cela se produise avant de longues ennéades, voire mois. La haine qu'il engendrait chez sa meurtrière en puissance s'était-elle donc éteinte aussi rapidement ? Peu probable. Ou alors venait-elle le menacer, lui dire qu'à son procès elle ferait tout pour qu'il finisse sur l'échafaud ? Possible mais Hecil ne pensait pas qu'Halya soit venue simplement pour une raison aussi bassement méprisable.

Lorsque le mage arriva dans la nef et la vit, il comprit immédiatement qu'il s'agissait d'autre chose. L'elfe ne portait pas d'arme, n'irradiait aucune colère et ne le fusillait pas d'un regard meurtrier. Elle ressemblait presque à un animal aux abois, torturé par l'angoisse. Des cernes sous les yeux indiquaient un sommeil agité ou insuffisant et Hecil sentit l'inquiétude poindre. Que pouvait-il donc s'être passé pour transformer ainsi la fière et hautaine guerrière ? S'avançant, il la salua avec la politesse en vigueur dans ces lieux.

Ma dame... que puis-je pour vous ?

Halya prit à peine le temps de saluer le drow d'un signe de tête, les bras serrés autour de sa poitrine et les doigts crispés sur sa tunique brune.

- Je peux te parler en privé ?

Elle n'ajouta rien pour le convaincre. Son regard se voulait froid comme au premier jour, mais sa préoccupation y retirait beaucoup de morgue. Il était visible qu'elle n'avait sur elle aucun moyen de tuer un mage en pleine possession de ses moyens et elle avait suffisamment confiance en son expérience pour s'échapper si c'était lui qui dérapait. Mais plus encore, elle ne pensait pas à une telle éventualité. Elle se laissa donc conduire dans le temple jusqu'à ce qu'ils se retrouvent aussi seul qu'on pouvait l'être dans un tel endroit.

- Que sais-tu de la demande de rencontre diplomatiques prévue au début du mois dernier entre les tiens et les elfes des cités ? " Elle marchait, s'arrêtait, se retournait, faisait de grands gestes avant de croiser de nouveau les bras. " Tu étais un homme de pouvoir et de savoir. Tu dois forcément être au courant du piège qu'ils nous ont tendu et avoir entendu parlé de d'un remède, d'une médecine capable de l’enrailler ou de la guérir. "

Halyalindë demanda à pouvoir lui parler à l'écart, ne souhaitant apparemment pas que leur discussion puisse être entendue par des oreilles indiscrètes. Comprenant que le sujet qu'ils allaient évoquer risquait d'être sensible, Hecil la guida jusqu'à un coin des jardins peu fréquenté, où l'absence de buissons et les allées larges permettait de voir venir les gens de loin. Aussitôt qu'ils furent seuls, l'elfe attaqua d'un coup en lui demandant abruptement ce qu'il savait à propos d'une mystérieuse rencontre diplomatique émanant du Puy d'Elda au début du mois précédent.

Le visage d'Hecil fut un masque de perplexité en retour... car il ne comprenait tout simplement rien à la question.

Il n'y a eu aucune demande de rencontre diplomatique en provenance des instances dirigeantes de l'Elda.

Ni l'Olath Blada ni aucun des principaux cultes n'aurait autorisé une telle rencontre, des ordres clairs ayant été émis pour la poursuite des opérations militaires. Oser entreprendre des pourparlers avec l'ennemi de toujours ne pouvait se faire sans l'accord à minima des Triumvirs, et un tel changement diplomatique aurait eu de profonds échos à travers tout le Puy.

Tu veux dire que vous avez été approché par un émissaire de l'Elda ? Et que c'était un piège ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

La gorge d'Halya se serra, mais plutôt que de se laisser aller à l'abattement, elle se cacha derrière la colère.

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise de plus ?! Un esclave est venu porter au Trône Blanc un message de la part des drows de Sol'Dorn pour une rencontre diplomatique au sud de l'Annon. Un corps diplomatique a été envoyé. Sur place il n'y avait personne et deux des diplomates sont tombés malade quelques ennéades plus tard. MALADE ! Tu entends ss... ?! "

A bonne distance du drow, Halya s'était soudainement animée... et empourprée. Elle retint de justesse une insulte des plus basses et, après un léger blanc, elle asséna un violent coup du tranchant de la main pour ponctuer sa phrase.

- Je me fout des considérations politiques de ta chère cité natale. Je me fout de votre empire ou de votre soif de sang. " Elle pointa soudain un doigt accusateur sur le côté, comme si elle désignait quelque chose de précis. " Un homme est en train d'agoniser au moment ou je te parle. Il a perdu ses ongles. Il a les paupières tellement gonflées qu'il n'arrive plus à les ouvrir et chaque veine de son corps pourrie petit à petit jusqu'à en devenir noire alors que son cœur bat encore. Les drows ont créer cette monstruosité ! Encore une fois ! Alors je veux savoir où trouver le remède ! MAINTENANT ! "

Elle recula brusquement, évitant de justesse de le saisir au col. Elle regrettait de ne pas avoir pris ses armes. Ses yeux rougissaient malgré elle. Il représentait son unique espoir de réponse.

HALYA, CALME TOI !

L’ordre avait claqué sèchement dans l’air. Exprimé autant à haute voix que mentalement avec le poids psychique que pouvait faire peser un archimage de l’immatériel habitué à commander bien plus qu'à obéir. Métaphoriquement, cela revenait à avoir flanqué une sorte de baffe mentale, Haldren ayant toujours estimé qu’il s’agissait de la meilleure méthode pour calmer les crises de nerfs comme celle que l’elfe s’apprêtait à lui faire. Il fallait qu’elle se calme pour qu’il puisse mieux appréhender le sujet et en comprendre les ressorts cachés, tant qu’elle s’enfermait dans cette spirale de colère et de désespoir il n’y aurait rien à en tirer d’utile.

Du peu que l’ancien eldéen comprenait aux explications décousues de l'elfe, un messager venu soi-disant de Sol’Dorn avait proposé une rencontre diplomatique entre le Trône Blanc et de haut dignitaires eldéens… rencontre à laquelle aucun drow n’était finalement apparu mais dont deux diplomates elfes étaient revenus gravement malades. Au vu de la réaction quasiment hystérique de l’elfe, l’un au moins de ces diplomates devait lui être proche : un mari ? Un frère ? Un père peut-être ? Dans tous les cas, un lien sentimental fort devait exister pour expliquer un tel déchaînement de passion.

Je suis prêt à t’aider, mais il me faut plus d’éléments. Où est le messager ? Où est le message ? Il faut que je les voie. Tu dis qu’il y avait un corps diplomatique, donc certains ne sont pas malades ? Il faut que je les voie, qu’il me raconte tout ce qui s’est passé même les détails insignifiants. Et surtout il faut que je voie les malades, j’espère d’ailleurs que vous avez pensé à les mettre en quarantaine ?

Des soupçons sur l’origine de cette étrange maladie commençait déjà à naître dans l’esprit d’Haldren, qui toutefois se gardait bien à ce stade d’en parler tant qu’il ne serait pas sur de son fait. Les elfes étant comme les drows par nature très résistants aux maladies, un empoisonnement paraissait la piste à privilégier dans ses futures recherches, et cela pointait automatiquement du doigt certains acteurs du Puy d’Elda spécialisés dans ces domaines peu reluisants. Mais dans tous les cas, Haldren savait ne rien pouvoir faire sans que l’elfe n’acceptait clairement son aide en lui donnant accès aux éléments nécessaires.

Décide toi, Halya ! Je ne peux pas te promettre de réussir, mais tu as ma parole que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour sauver les deux malades.

La gifle fusa.

Violente.

Contrairement à celle de l'archimage, elle était bien physique celle là. Le but du mage était certes atteint, Halya avait repris ses esprits avec une rapidité surprenante, mais toute forme de laissé-allé avait quitté son maintien et son regard. Les derniers évènements lui avaient fait baisser sa garde, le drow en avait profité, ravivant le souvenir du début de sa déchéance dans les mouroirs d'Eraison. Il ne l'avait surement pas fait exprès mais deux ans ne suffisaient pas a oublier ce genre de chose.

- Ne t'approche jamais plus de mon esprit. " dit-elle sur un ton mesuré et froid qui tranchait totalement avec son emportement précédent.

L'action qu'elle venait de subir n'avait rien à voir dans les faits, mais la dernière fois qu'elle avait sentit une intrusion si soudaine sans y être préparer, Neraën lui avait infligé une telle douleur qu'elle avait perdu tout contrôle et tout sens commun, allant jusqu'à arracher la jugulaire d'un soigneur d'un coup de crocs. Beaucoup de souvenirs étaient flous depuis son entrevue avec le Pergaën. Celui-ci était limpide.

Aussi calme et concentrée que sur le champ de bataille, elle retrouvait une allure souple et des gestes économes. Elle écoutait avec attention et se retint in extremis de lui lancer que sa parole n'avait aucune valeur. C'était mesquin mais il lui semblait à cet instant qu'un homme près à renier ses dieux ne pouvait avoir aucune parole, tout comme il ne pouvait pas être sincère par sa seule nature de drow. Tebryn leur avait appris.

- Les malades ont été placé en quarantaine pendant plusieurs ennéades. Nos médecins ont éliminer l'air des moyens de propagation. A priori ce serait dans leur sang et ne se transmettrait que par ce biais. Il n'en savent pas vraiment plus pour l'instant et aucun contrepoison ni aucun élément de poison que nous connaissons n'a été identifié. Personne n'a accepté de me dire qui faisait parti du corps diplomatique mais j'ai les noms des Ardamiris qui en faisait parti ainsi que d'une mage. " Elle réfléchit un instant avant de continuer. " Je peux faire venir l'un d'eux à Alëandir en deux jours. L'une des deux malades est déjà en ville mais placée en quarantaine..." Il n'y avait aucune chance qu'on puisse l'approcher facilement. C'était une Aigle après tout... Elle réfléchit encore " L'une d'entre eux est à l'Académie de mage. Si nous sommes là d'ici deux heures, cela pourrait  te convenir ? " Et elle pourrait chercher un moyen de faire entrer Haldren en douce dans le dispensaire ou était placée sous bonne garde l'Aigle qui avait servi d'escorte à son père.

Tout en se frottant la joue suite à la baffe qu’il venait de se recevoir -ce n’était pas la première fois en provenance de la gente féminine, mais d’habitude cela suivait une proposition plus intime- Hecil entreprit de classer mentalement ce qu’il venait d’apprendre. La présence d’une malade à proximité, dans l’un des dispensaires dépendant du temple de Kÿria, pouvait permettre d’avancer rapidement sinon vers une solution tout du moins vers un plan de bataille.

Allons voir la Haute-Prêtresse. Elle seule peut m’autoriser à voir la malade soignée ici.

La Haute-Prêtresse ne fit heureusement guère de difficultés à accéder à leur demande, l’état de santé de l’Aigle l’inquiétant tout autant que les autres même si elle ne faisait pas preuve de l’exubérance douloureuse de Halya. Moins d’une heure plus tard, l’ancien eldéen se trouvait ainsi au chevet de la malade, un calepin à la main pour noter avec une froide méticulosité les symptômes dont souffrait la malheureuse. Nul dégoût ne se lisait sur son visage à la vue du corps torturé par cette étrange mais épouvantable maladie, nulle compassion non plus… l’ancien Triumvir semblait fermé à toute émotion et son visage retrouvait les traits anguleux que les subordonnés du C’nros lui connaissait. Toute son attention se focalisait sur le problème qu’on lui soumettait : comprendre d’où venait la maladie et si un remède existait. Tout en griffonnant des notes et en marmonnant à voix basse, Haldren ne faisait plus attention à Halya et ne répondait que par des onomatopées lorsqu’elle ouvrait la bouche à son intention.

Les heures passèrent, le soleil monta au zénith puis descendit peu à peu vers l’horizon, et toujours Hecil observait la malade sans que le moindre signe d’impatience n’apparaisse chez lui, ne s’éloignant que pour discuter longuement avec les prêtres ayant tenté des soins. Par dessus son épaule, Halya pouvait voir qu’il revenait quasiment toujours à la même feuille de notes sur laquelle il avait écrit un certain nombre de lignes… en drow et en abrégé à la fois, malheureusement, donc incompréhensible pour une native de l’Anaëh. L’une après l’autre, ces lignes se voyaient barrées comme si les propositions qu’elles portaient ne convenaient pas à l’auteur. Parfois, quelques mots suivis d’un point d’interrogation venaient se greffer sur le côté avant qu’un coup de crayon ne les barre rageusement. Puis durant de longues minutes l’ancien eldéen posait son regard dans le vide, donnant le sentiment qu’il ne voyait plus ce qui l’entourait mais simplement de vieux souvenirs qu’il allait rechercher au fond de sa mémoire. Lorsqu’enfin une seule ligne perdura sur la feuille, Hecil réunit ses papiers éparpillés puis se tourna enfin vers sa compagne.

Nous pouvons retourner voir la Haute-Prêtresse.

Cette dernière accepta de nouveau de les recevoir, et ils se retrouvèrent tous les trois dans ses appartements qui donnaient sur le jardin intérieur du temple. Une vision de quiétude et d’apaisement, malheureusement totalement hors de contexte ce soir-là. Sans prendre de gants, Hecil aborda directement le sujet qui les intéressait :

Je suis persuadé que ces maladies ont été causées volontairement et qu’en effet vos diplomates sont tombés dans un piège qu’ils n’ont même pas suspectés dans l’instant. Les symptômes se rapprochent de certaines fièvres hémorragiques que m’avaient décrit des natifs du marais de Faélia. Toutefois, en comparant les symptômes avec ceux de ces fièvres, j’ai le sentiment que nous avons affaire à une version amplifiée de cette maladie, probablement rendue plus résistante pour empêcher les traitements habituels de fonctionner.

Hecil n’avait pas voulu entrer dans le détail, mais les maladies infestant Faélia étaient devenues de vieilles compagnes pour les chaotiques qui résidaient là depuis des siècles. Toute patrouille dans la jungle exposait à de telles contaminations, qui causaient finalement la majeure partie des pertes au sein du culte. L’idée que les fièvres de Faélia aient pu servir de sujets d’expériences pour les rendre encore plus mortelles écœurait Haldren qui prisait peu de telles méthodes sournoises.

La question qui me turlupine est la suivante : pourquoi tout cela ? Voyez-vous, les dignitaires du Puy n’ont jamais envoyé de messages au Trône Blanc, ce qui indique qu’il s’agit de l’œuvre de quelqu’un jouant sa propre partition. Si je devais parier, j’accuserais la Doktha ou le culte de Kiran et de Leetha, ce sont les spécialistes en Elda des empoisonnements. Car enfin cela a du mobiliser beaucoup d’efforts pour obtenir seulement de maigres résultats… deux malades ? Pourquoi ne pas simplement les avoir abattu à l’arbalète avec le reste du groupe ? L’urgence est de soigner les deux malades mais je vous recommande de ne pas oublier cette question.

Remisant ses notes dans la poche de sa tunique, Hecil se tourna vers Halya. La suite n’allait pas être agréable à entendre pour l’elfe qui espérait sans doute que l’archimage sorte une fiole de sa poche en affirmant doctement « voilà l’antidote », malheureusement un tel prodige dépassait amplement les compétences dont pouvait faire preuve l’hybride. Si les prêtres de Kÿria s’avéraient impuissants à apporter des soins, un mage ne ferait guère mieux. Toutefois, l’aide pouvait venir d’ailleurs, d’autres personnes que de ceux qui approchaient actuellement l’Aigle.

Les moyens mis en œuvre jusque là ont été impuissants à juguler la maladie. Pourquoi ne pas récupérer des petites fioles de sang et les envoyer à des spécialistes ? Les herboristes d’Abyssea, les guérisseurs Noss ou de Naelis, les empoisonneurs Thaari… leurs toxines donnent la vie ou la mort, et même si les chances sont faibles nous pouvons espérer que l’un d’eux trouvera un remède.

Halya  n'avait en réalité que bien peu interrompu le mage sombre dans ses examens. Elle était restée là, silencieuse et attentive, debout, le dos appuyé contre le mur. La vue de cette femme était plus difficile pour elle qu'elle ne l'avait cru, et pourtant elle devait avoir été acceptée chez les Aigles après le Voile car ce n'était pas une soeur d'arme de l'ardamirie. Les choses auraient été bien pires sinon. En plus de Fenris, le Capitaine des auxiliaires était passé voir son amie alors qu'Haldren venait tout juste de commencer ses observations. Après quelques instants de discussions, ils étaient restés côte à côte un long moment, n'échangeant que quelques remarques, quelques phrases.

La Haute-Prêtresse leur avait obtenu le droit de passage, mais ni les Aigles ni les soigneurs ne comprenaient la présence de ce qu'ils pensaient être un hybride. Touchés dans leur orgueil, l'idée qu'un être de l'extérieur d'Anaëh vienne à sauver ce qu'eux-même ne pouvaient soulager leur était difficile. Pour la première fois, Halya avait l'impression d'être autant là pour contenir le dorw en cas de besoin que pour lui servire d'escorte et éviter une bataille rangée d'éclater entre lui et les elfes alentours.

San n'avait pas eut besoin de longs discours pour comprendre qu'il y avait plus que ce qu'Halya voulait bien lui raconter, mais par égare pour elle et pour toutes les personnes présentes, il ne posa pas la moindre question. Lui-même était guérisseur et il se sentait assez démuni face au spectacle qui se déroulait en ces lieux.

- Et le régent ?
- Il était déjà parti pour Holimion lorsque les symptômes sont devenus alarmants.

De temps en temps un râle ou une question troublait le silence et les concentrations, mais l'un dans l'autre, le temps s'étirait en de longues périodes creuses.

Quand Haldren se releva enfin, Halya le suivit avec empressement. Les yeux dans ceux du daedhel, elle écouta sa sentence. Alors même lui n'avait pas la solution... mais il restait de l'espoir. Thaar. Naelis. Abyssea s'il le fallait.Son père avait encore une chance.

- Bien s...
- Je suis navrée.

Coupée dans son élan, Halya se tourna vers la Haute Prêtresse, une incompréhension totale sur son visage. La femme aux longs cheveux bruns couronnés de branchages lui sourit tristement, mais il y avait autant de certitude que de compassion dans sa voix.

- Le Culte ne cherchera pas d'aide à l'extérieur d'Anaëh et nous ferons aucune demande dans ce sens. Si nous voulons que notre mode de vie perdure et retrouve la paix dont il a jouit si longtemps, nous devons refermer nos frontières. Le Trône Blanc n'avait envoyé aucune délégation à cette rencontre diplomatique car cela avait été jugé trop dangereux, ceux qui y sont allé l'ont fait à leurs risques et périls. Chaque prise de contact avec l'extérieur n'a fait qu'alourdir le tribu que nous devons aujourd'hui payer.

Halya en resta bouche bée. La religieuse s'approcha de la rouquine, percevant son agitation et sa peine mieux que quiconque. Mais elle ne pouvait changer les choses pour autant. Elle devait guider tout un Peuple. La haute-Prêtresse ne sous-entendait tout de même pas...

- Je suis désolée mon enfant... Les prêtres feront leur possible pour trouver un remède et nous enverrons des émissaires aux Noss par respects pour tes convictions et celles de ton père, mais nous n'irons pas plus loin.
- Pas plus loin...
- Il est temps d'apprendre et d'accepter que l'Harmonie des Cités ne pourra jamais se construire en bonne entente avec les races extérieures. Défendre notre autarcie, notre mode de vie, nous invite à rester cohérent avec nos croyances.
- L'autarcie... Vous accepteries de laisser ces deux personnes mourir pour préserver... l'autarcie ? " répéta-t-elle encore en se dégageant de la douce poigne de la Main de Kÿria. Elle n'en croyait pas ses oreilles.
- Tu l'as vu toi même. La paix est plus précaire que jamais et sans la paix, ce que nous sommes capable de faire... Il pourrait en témoigner aussi bien que moi.

La main de la Haute prêtresse désigna Haldren. Le regard d'Halya tomba sur lui comme par hasard avant de retourné sur la Haute-Prêtresse. Sa mâchoire serrée lui faisait mal mais son esprit était étrangement vide. Elle... Ne réalisait pas tout a fait.

- Je vais vous laisser et envoyer l'un des soigneurs s'entretenir avec le bureau diplomatiques des Noss au Trône Blanc. Si vous voulez que nous les contactions d'une autre façon, faites le moi savoir. Vous devriez aussi prendre le temps de retourner à Ardamir pour être auprès de lui. " conseilla-t-elle avec un dernier sourire alors qu'Halya se courbait pour la saluer respectueusement.
- Merci pour votre temps, Bienveillante Main.

Une fois seule avec Haldren, lui offrant son dos sans crainte tant les derniers instants l'avaient troublés, l'ardamirie laissa échapper quelque chose qu'elle n'aurait sans doute pas du offrir à un drow qui avait plongé l'Anaëh dans un tel chaos.

- Je suppose que je dois te remercier... " puis elle se tourna vers lui, prise dans d'intenses réflexions. " A ton avis, de Naelis, Abyssea ou Thaar, qui aurait le plus de chance de réussir à trouver un remède ? "

Hecil n'avait pipé mot durant la sentence de la Haute Prêtresse qui condamnait le père d'Halyalindë, puisque tel était donc l'identité du second malade. Faire appel aux guérisseurs noss constituait certes une avancée utile mais refuser de s'appuyer sur des aides extérieures constituait une vision rigoriste sacrifiant l'individu aux objectifs de la société. L'ancien eldéen comprenait la volonté qu'avait la Main de maintenir intacte l'autarcie de l'Anaëh en ces temps troublés où le danger guettait par delà l'orée de la forêt. Pour autant, l'hybride ne pouvait manquer intérieurement de redouter que ce choix ne se révèle funeste sur le long terme et n'amène les elfes à ignorer les réalités du monde qui les entourait.

Comment l'elfe encaissa-t-elle les paroles de la Haute-Prêtresse ? Ouvertement avec respect et soumission, mais Hecil voyait dans son regard perdu et dans le léger tremblement de ses doigts effilés qu'elle se trouvait profondément affectée. Le simple fait qu'elle le remercie de son aide et l'interroge sur le meilleur endroit au delà des frontières de l'Anaëh pour aller chercher de l'aide prouvait non seulement que ses idées de meurtre envers l'ancien eldéen se trouvait (momentanément ?) étouffées par l'inquiétude ressentie pour son père, mais également qu'Halyalindë ne comptait pas respecter le jugement de la Haute-Prêtresse. En d'autres circonstances, Haldren aurait fait remarqué avec ironie que les natifs d'Anaëh semblaient eux aussi éviter de s'astreindre aux respect des règles lorsqu'elles leur pesait trop.

Mais l'heure n'était pas à l'ironie et une nouvelle question se présenta à lui.

Abyssea.

Le mot avait passé ses lèvres sans même qu'il ait eu besoin d'y réfléchir.

Comme je te l'ai dit, les symptômes rappellent ceux des fièvres hémorragiques qui pullulent dans certains endroits des marais. Par ailleurs Faelia est le lieu où naquit autrefois le culte de Leetha, que je soupçonne d'être partie prenante dans cette sordide affaire. Les chaotiques qui vivent à Faelia depuis des siècles sont surement les mieux placés pour trouver un remède. Mais hélas cela ne sert à rien car nous n'allons pas pouvoir récupérer des flasques de sang de l'Aigle, seuls les guérisseurs y accéderont désormais et ils ne me laisseront pas revenir.

Haldren se trouvait mieux placé que personne pour savoir que l'ancienne bibliothèque de la Voix au château d'Abyssea ne manquait pas d'ouvrages sur les maladies infectieuses de Faelia, ni d'ailleurs que les herboristes du Chaos connaissaient bien les dangers que cachait les brumes du marais. Mais aucun herboriste, aussi doué soit-il, ne pourrait tenter de trouver un remède à une maladie sur laquelle il ne disposait que de vagues symptômes. Leurs chances de succès déjà bien minces venaient de diminuer encore drastiquement par cette interdiction de chercher le salut au delà de l'Anaëh.

S'avançant jusqu'à la fenêtre qui donnait sur les jardins, Haldren posa ses mains sur le rebord et serra les jointures jusqu'à ce qu'elles blanchissent. Que devait-il au fond à Halyalindë ? Que lui importait le sort du père d'une elfe qui avait tenté de le tuer ? L'image du grand elfe de ses rêves s'imposa alors dans son esprit, le regardant d'un air réprobateur... et Hecil compris. Ce qu'il restait en lui de drow ne devait rien à Halyalindë et s'en fichait totalement. Ce qu'il y avait d'elfe en lui ne devait rien non plus à Halyalindë, mais à l'inverse de son noir cousin cette partie de son âme n'avait pas besoin d'une justification pour essayer d'apporter son aide à une sœur en détresse.

Aider Halyalindë pouvait le mettre en danger si la Haute-Prêtresse apprenait qu'il n'avait pas respecté son verdict ou si la nature de ses liens avec le Chaos devenait trop évidente, mais Hecil comme Haldren autrefois suivaient ce qu'il leur semblait être juste. Or laisser des elfes mourir à cause des machinations d'empoisonneurs eldéen n'était pas juste aux yeux du repentant.

Supposons... supposons que je sois en mesure de contacter le culte du Chaos et de les persuader de nous aider. Pourrais-tu dans ce cas me fournir une flasque de sang d'un des malades ?

Abyssea...

Le moins accessible, évidemment.

L'Aller-retour prendrait facilement un mois, ci ce n'était plus. Eorim ne pouvait attendre jusque là. Elle devait trouver un autre moyen. Passant une main dans ses cheveux, l'elfe fit quelques pas de droite et de gauche. Naelis était plus envisageable. Glinaina ne lui refuserait pas son aide pleine et entière. Il y aurait surement des médecins humains à défaut de trouver des drows. Ils s'y connaitraient déjà plus en maladies. Et puis une route aérienne était déjà installée. quelques faucons avaient été offerts au jeune royaume pour pouvoir prendre rapidement contact avec Ardamir en cas de besoin. Les gens du palais l'aideraient pour sauver son père.

Elle n'avait pas besoin des détails que ce foutu drow lui donnait pour savoir que c'était presque foutu. Tout était dans le presque. Si elle commençait maintenant elle pourrait peut-être obtenir quelques résultats.

Ce qu'elle ne pouvait comprendre par contre c'était l'interprétation que faisait Haldren des paroles de la Haute Prêtresse. Ce qui était vrai chez les elfes ne l'étaient pas chez les drows et chaque organe du gouvernement elfique était on ne pouvait plus indépendant. les avis et les conseils s'échangeaient en permanence et chaque entité ne décidait que pour elle. La réponse de la Haute-prêtresse n'était donc pas tant un refus de sauver Eorim qu'un refus de mêler le culte, garant des tradition, à une entreprise aussi Arcaménenne. Inconsciente de la dualité qui enflammait l'esprit du drow à ce moment précis, elle s'apprêta à tourner les talons pour faire jouer ses relations.

La voix d'Haldren la retint in extremis. Elle avait déjà la main sur la porte.

Elle se retourna, lentement...

De liens avec le culte du Chaos... au point qu'il pourrait le prévenir et le convaincre de prêter main forte à des elfes...?

La suspicion se mêlait à la peur. Cet homme n'était pas seulement dangereux par son pouvoir en tant que Mage. Il l'était par sa longue vie, son mystère, ses mensonges... Mais ce n'était pas tant de lui qu'elle avait peur que de ce que cachait ce soudain altruisme. Elle avait l'impression d'entendre un esprit d'Aduram lui proposer un marché, comme dans les vieux contes. Une once de sang contre un vœux. Rien de plus simple...

Elle aurait du prévenir immédiatement la Haute prêtresse que cet homme n'était pas seulement adepte du panthéon sombre mais avait aussi des accointances avec la secte étrange que nourrissait les entrailles putrides de Faelia. Il risquait d'agir de façon encore plus délétère pour les elfes que la maladie de son père. Il fallait savoir quel était le prix de cet échange...

Elle aurait du...

- Je l'aurai avant demain matin.

Halyalindë quitta la pièce, laissant Hecil méditer sur la suite des événements. En agissant de manière un peu inconsidérée, il venait de dévoiler une partie de ses cartes à une adversaire en puissance, qui risquait à tout instant d'aller hurler au beau milieu de la nef du temple que l'hybride n'était qu'un sale hérétique au service des infâmes sodomites d'Abyssea. Certes, agir aussi traîtreusement envers quelqu'un essayant de l'aider aurait été la dernière action de l'elfe sur cette terre, mais au fond de lui-même Hecil soupçonnait qu'elle n'en ferait rien.

Tout du moins pour l'instant.

Ils ne me font pas confiance, mais puis-je moi leur faire confiance ? murmura-t-il à voix basse.

La confiance constitue une construction fragile, pareil à un pont enjambant un profond précipice. Que l'un des deux acteurs brise les piliers du pont de son côté et l'ensemble va choir jusqu'au fond du ravin. Sans peut-être l'avoir totalement deviné, Halyalindë se trouvait en mesure de briser le pont de la rédemption où s'était engagé Haldren quelques ennéades auparavant lorsque Kÿria lui avait offert le Choix. L'avenir seul dirait quel usage elle ferait de cette information, mais nul doute que l'ancien eldéen porterait une attention minutieuse au comportement de celle qu'il essayait d'aider.

Chassant ces sombres pensées de son esprit, Hecil entreprit d'écrire une missive à destination des hiérarques d'Abyssea, leur détaillant les symptômes de la maladie dont souffraient les deux elfes et leur ordonnant de placer les herboristes du Chaos sur la recherche d'un traitement. Nulle explication sur ses raisons bien évidemment, Haldren n'ayant jamais été connu pour justifier les consignes qu'il distribuait à ses sbires. "Agissez et magnez-vous le cul", tel était un assez bon résumé de sa pensée en pareils cas, qui s'apparentait à celui de la plupart des capitaines d'industries.

La deuxième action de l'archimage fut d'invoquer un corbeau d'Ombres, lointain cousin de T'challa et vivant comme elle dans ces contrées au-delà du monde connu, dans des lieux quasi-inexplorés fusse par les rares mages ayant réussi à déchirer la trame des univers pour entrer dans la dimension des Ombres. Totalement soumis à la magie de l'invocateur et ne nécessitant nul repos, le corbeau d'Ombres pourrait atteindre rapidement Abyssea, Hecil ayant abandonné l'idée de s'y téléporter lui-même. Outre le risque que son absence soit remarquée par les prêtres qui le surveillaient, un tel sortilège ne passerait probablement pas inaperçu des nombreux mages elfes de l'Académie dont l'hybride devinait au loin les bâtiments par delà la cime des arbres.

Lorsqu'au milieu de la nuit Halyalindë revint avec un fiole de sang, elle trouva Hecil en train de caresser soigneusement les plumes du corbeau tout en lui murmurant des instructions sur sa destination. La fiole et le message furent attachés à une des pattes de la créature invoquée avant qu'Hecil n'ouvre la fenêtre et n'indique la direction de l'Est.

Va, va...

Dans un croassement rauque, le corbeau déplia ses ailes et s'envola dans le ciel nocturne en direction des marais de Faelia. Diminuant rapidement de taille, il ne fut bientôt plus qu'un petit point disparaissant à l'horizon, portant le dernier espoir de l'elfe.

J'ignore combien de jours il faudra avant qu'un message ne nous revienne, ni même si ce message amènera un remède. Si tu as d'autres pistes, je t'encourage vivement à les explorer.

Elle n'avait plus aucune certitude... à l'exception de ce qu'elle allait faire.

Son devoir n'était plus aussi clair qu'il l'aurait du. La raison n'était plus suffisamment décorrélée du cœur pour qu'elle s’appuie sur elle sans que le doute ne l'assaille. Halya avait essayé de se dédouaner du destin de ce drow... Et pourtant, Kÿria semblait la pousser encore et toujours vers lui. A chaque fois qu'elle posait les yeux sur le visage de l'elfe noir, même aussi muté que ce qu'il était aujourd'hui, c'étaient le visage de des amis morts à Eraison et Ellyrion qu'elle revoyait. Les visages de ses subordonnés, des soigneurs, de Voronwë, de sa mère, des morts d'Eteniril. Et elle revoyait les entrailles du Lac des morts à Holimion. Elle revoyait...

Toutes les bonnes actions ne pourraient pas changer ça.

Et pourtant elle était prête à faire un trait sur le dégoût, la haine et la colère s'il sauvait son père. Elle n'avait pas confiance en cet homme, mais elle ne laisserait pas passer cette chance.

Au sortir du temple, elle alla directement rejoindre son ami Auxiliaire. Sans doute aurait-elle mieux fait d'en parler à Fenris, mais elle devait faire vite. Une fois dans le bureau du Capitaine, et pour la première fois depuis plus de dix ans, une véritable dispute éclata entre eux. Le ton monta. Elle était inconséquente. Faélia était une terre de mort et de perdition. Accepter un soit disant remède sans comprendre ses effets ni comment il avait été obtenu nuirait à Anaëh autant qu'au patient. Le remède pouvait être pire que le mal. La dette pire que la note. Elle ne devait pas faire confiance à des gens comme eux... Oui. Il avait raison. Mais c'était peut-être le seul moyen de sauver Eorim. Elle avait un moyen de le sauver lui alors qu'elle avait du elle-même condamner sa mère à une mort certaine...

Ce fut au nom d'une vieille douleur commune qu'elle obtint une once du sang de l'Aigle sans que personne d'autre que le Capitaine et le soigneur qui en avait prélevé deux pour examens ne le suspectent. Au cœur de la nuit, elle se retrouva avec le flacon de verre entre les mains et le rapporta sans explication au mage drow qui l'envoya en toute discrétion vers les contrés de Faelia.

- Je vais retourner à Ardamir. Si tu reçois quoi que ce soit, fait le envoyer là-bas. Je reviendrais si... " Elle se racla la gorge " Peu importe. Envoie moi ce que tu reçois. les prêtres sauront comment faire. "