Un Marcheur Austère à la rencontre du Duc d'Erac | Renaud

Julas de la Deuxième Ennéade de Karfias,
Année XVII du Onzième Cycle
Un château dans le Nord d'Erac, Duché d'Erac
avec Renaud d'Erac

Kolgrim arriva au château dans l'après-midi. Un voyage assez rapide, peu épuisant, et calme. Il était seul venu rencontrer une réunion de nombreux spécialistes de la guerre du Duché d'Erac. Prêtres d'Othar, tacticiens et peut-être des chevaliers et autres guerriers talentueux… du beau monde serait là réunis. Un chevalier des Marcheurs Austères, adorateur d'Othar et en quête constante de perfectionnement, ne pouvait pas rater une telle occasion de montrer l'étendue des capacités de l'ordre. Il pourrait savoir ce qui se faisait ailleurs, et apprendre de nouvelles tactiques, tout comme il pouvait apporter son savoir. Selon ses frères, cela fait plusieurs années que le Duc d'Erac avait mis en place ce genre de réunions pour tout les corps de métiers afin de trouver de nouvelles technologies pour améliorer la qualité des produits ou pour accélérer les processus de fabrication. Pour ce qui concerne la guerre, cela devrait sûrement concerner les entraînements et les tactiques de bataille en premier lieu. Cela dit, l'ordre avait été unanime lorsque le sujet a été abordé : l'idée du Duc d'Erac était une très bonne idée.

Kolgrim se présenta humblement aux gardes du château, et entra. La cour du château était plutôt bondée. Nombreux étaient ceux qui étaient venus, et c'est sûrement ici qu'auront lieu de nombreuses tractations, notamment celles sur l'entraînement des soldats et sur les armes de siège. Le nordien se sentirait presque gêné d'être venu tout seul, même si son entrainement était le même que celui de ses frères d'armes. Il salua tout le monde d'un poing sur le cœur. Visiblement, il était à l'heure, même si les discussions n'allaient pas tarder à commencer. Mais, une personnalité se dégageait du lot. C'était un homme qui avait une belle allure, et qui dégageait plus de charisme que toutes les autres personnes présentes. Sur le moment, Kolgrim ne l'avait pas reconnu, mais il comprit rapidement qu'il s'agissait du Duc en personne, Renaud de son prénom. Il ne l'avait pas vu souvent, donc il avait encore du mal à le reconnaître, mais la description qu'on lui en avait faite pour s'assurer qu'il reconnaisse le Duc correspondait. Cela prouvait l'intérêt qu'il portait à ses projets, même s'il devait tout de même garder un œil sur ce qui pouvait se passer. Comme tout bon chevalier qui respecte les règles, Kolgrim s'inclina devant le Duc afin de le saluer humblement. C'est là le respect dont doit faire preuve tout chevalier devant de tels personnages.

« Je vous salue, Votre Altesse. Je suis Sire Kolgrim Sastefor, Chevalier de Sainte-Berthilde et de l'Ordre des Marcheurs Austères. C'est au nom du second que je suis présent ici. » se présenta-t-il. Il avait un ton solennel et assuré, mais tout le monde le dévisageait. La présence d'un nordien dans le Médian pouvait gêner, même si les Marcheurs Austères prenaient l'habitude de venir jusqu'à Erac, notamment pour rencontre le Haut-Prêtre. Le chevalier garda tout de même son calme, son humilité et son assurance. « Je suis venu ici pour prendre part et mettre le savoir de mon ordre à votre disposition, si évidemment vous le désirez, la guerre étant un point auquel nous nous attachons particulièrement, nous qui sommes de fidèles chevaliers d'Othar. » Il leva la tête vers le Duc et vers d'autres personnes à proximité, s'assurant qu'il avait toujours son attention et que ses mots ne lui déplaisaient pas. Il était venu en toute amitié, le but n'était donc pas de froisser le Duc, ni personne d'autres d'ailleurs. C'est pour cette raison qu'il évitait les mots durs, déplacés ou même l'humour et le sarcasme. « Et qui sait, c'est peut-être nous qui aurons des choses à apprendre de vous ? » Cette question semblait sarcastique, pourtant le ton qu'il avait employé était d'une humilité remarquable. Kolgrim était resté incliné devant le duc, n'attendant plus que ses mots.

Il s'en était passé des choses ces cinq dernières années, et Renaud n'avait pas été inactif, loin de la. Il avait énormément voyagé entre ses terres de juré afin de créer, et d'entretenir les meilleures relations possibles avec elles. Diantra avait aussi été un lieu ou il avait passé beaucoup de temps, rencontrant son allié du Nord, mais surtout pour se rapprocher le plus possible de la Couronne et du jeune Roy. Malgré tous ces voyages, il n'avait pas négligé Erac, au contraire, beaucoup de choses avaient été mis en place. L'une de ses idées qui avait fait surface était la création d'un lieu qui rassemblerait des érudits en matière militaire. Stratèges et tacticiens de toutes les régions étaient la bienvenue, et en plus de converser pour s'améliorer et s'enrichir, il leur était demandé de donner des leçons, et d'entrainer la future élite. Une école militaire, ou une académie, peut importe le nom que ce rassemblement n'avait d'ailleurs pas encore. Renaud avait fournit un château abandonné dans le nord du Duché pour faciliter tout cela.

Ce n'en était qu'à ses balbutiements malgré le temps qui passait. Des hérauts avaient été diligenté aux quatre coins du Royaume afin de trouver des personnes intéressées, mais les querelles et préjugés avaient la dent dures. Fort de la présence du Haut Temple d'Erac, et de sa relation avec le Haut Prêtre, Renaud lui avait parlé de son projet, et demandé s'il était d'accord pour y participer. Néo avait acquiscé, et quelques prêtres d'Othar avait été diligenté pour aider le Duc. Petit à petit, d'autres personnes arrivèrent, d'abord curieux, puis intéressés. Renaud y faisait des apparitions, le plus régulièrement possible, il écoutait et lisait les comptes rendus qu'on lui faisait, afin de parfaire ses connaissances sur le domaine.

Ce jour la, justement, il était présent. Bien entendu, à chaque fois qu'il se rendait sur place, les tensions étaient plus fortes. Les "champions" et érudits avaient des opinions différentes, et elles étaient soit plus encline à la modération, soit plus animés pour défendre leur point de vue. C'était le début de l'après midi, et rien n'était encore commencé, les participants étaient présents dans la cour, un brouhaha de conversation multiples emplissant le lieu. Le Duc, pour une fois, ne s'était pas fait attendre, et il était déjà la, entouré comme on pouvait le deviner par quelques garde de l'Ordre du Merle, mais aussi des courtisans, ou personne désirant ses faveurs. Renaud avait murit depuis son accession au Trône d'Erac, mais les années passées n'avaient pas encore entièrement émoussé la gloire qu'il avait acquise, même si la routine avait reprit depuis un moment. Renaud avait gardé une prestance, et un charisme gagné par ses victoires, autant politiques que guerrières.

Un homme vint s'incliner devant lui, attirant son attention, et se présenta. Son nom ne dit rien au Duc, mais celui de son Ordre avait franchit les frontières, d'autant qu'ils étaient assez présent à Erac lors de leurs visites au Haut Temple. Le silence se fit autour du Duc, et l'attention se tourna vers le nouveau venu, lui qui avait attiré le regard de Renaud. Une fois qu'il eut terminé, le Duc s'avança, et il posa sa main sur son épaule

"Relevez vous, Sire Kolgrim Sastefor"

Un sourire invitant se trouvait sur les lèvres de Renaud

"Tout le monde est ici la bienvenue, quelque soit sa terre natale. Votre présence est donc désirée, le renommée de votre Ordre est bien ancré, et votre savoir est souhaité. Apprendre ou donné, voir les deux, est le but de ce lieu."

Après qu'il se soit redressé, Renaud l'invita à sa gauche

"Prenez donc place prêt de moi, j'espère que votre visite vous satisfera."

Renaud haussa ensuite le ton pour être entendu aux alentours

"Nous allions commencé il me semble"

Beaucoup de regards se portèrent sur Kolgrim, certains moins amicaux que d'autres, aigri de s'être vu passer en second plan.
Une fois que le calme, et un simili de silence fut instauré au sein de la cour du château, un vieil homme rabougri, sans aucun doute un érudit vu sa posture, et son aspect on ne peut plus frêle, s'avança

"Votre Altesse, nous avions convenu en ce jour, de débattre sur les sièges. Certains ne pensent que par des assauts répétés jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'ennemis à affronter, d'autres par la famine en attendant la reddition de la place forte. Il y a également discussion sur les meilleures armes à employer pour les faire tomber. Du trébuchet aux sapes, en passant par les catapultes."

Renaud se tourna vers Kolgrim

"Vu que vous avez fait le voyage jusqu'ici, est ce que cela vous dérange d'être le premier à donner votre point de vu ?"

Kolgrim ressentait toute l'animosité autour de lui. Le simple fait de réunir des personnages issus des quatre coins du Royaume suffisait pour que le ton monte entre eux. Mais le chevalier du Nord n'en avait cure, tout comme Renaud. Convié par ce dernier, il s'approcha et s'installa à ses côtés, sans oublier de le remercier. Kolgrim restait impassible, malgré ceux qui pointaient une certaine jalousie pour s'être fait devancé par un chevalier venant de si loin.

Renaud fit reprendre alors les tractations, et c'est un vieil homme qui prit la parole devant le duc. Il ressemblait plus à un stratège, un conseiller de guerre, plutôt qu'à un véritable soldat. Au sein de son Ordre, Kolgrim apprenait aussi les rouages de la stratégie martiale, et ne se contentait pas de commander bêtement ses hommes.  Lui comme aucun autre Marcheur Austère d'ailleurs, sauf quelques uns qui ne savaient que commander et dont penser les stratégies n'étaient pas leur point fort. Le nordien écouta le vieil homme exposer les divers idées concernant les sièges de forteresses et autres places fortes. Une étape quasiment incontournable quand on fait la guerre. Le Duc se tourna vers Kolgrim, qui fut étonné d'être le premier à être interrogé. Le siège n'était pas sa spécialité, mais, s'il avait été choisi parmi ses frères, c'est qu'il était un homme compétent et polyvalent.

« Absolument pas, votre Altesse. » répondit-il avec un sourire humble. Il se leva.

« Le déroulement d'un siège dépend évidemment des capacités de la place ou du lieu que l'on attaque. Dans le cas d'une grande forteresse placée sur une colline, les assauts répétés sont inutiles, si ce n'est stupide. Dans tout les cas, en vérité, il vaut mieux éviter ce genre d'assaut. Cela sacrifient beaucoup d'hommes pour souvent trop peu d'efficacité, car les soldats adverses seront beaucoup mieux protégés et mieux placés. »

Le chevalier marqua un court temps d'arrêt. Il baissa le regard, pensant à ce qu'il allait ajouter à cela. Et il releva la tête comme s'il avait vu la lumière.

« Un autre facteur vient modifier certains points : le temps. Affaiblir l'ennemi par la faim est une excellente stratégie si vous avez le temps de la mettre en place et de tenir le siège plusieurs mois en étant sûr qu'aucun renfort ennemi ne viendra vous prendre en tenaille. »

Kolgrim s'arrêta à nouveau. Il savait que ce qu'il avait exposé ne répondait pas totalement à la question.  Mais il avait suivi une réflexion et il allait bientôt l'achever.

« Les armes de siège sont primordiales. Trébuchet, bélier ou autre. La sape demande elle aussi beaucoup de temps, comme la faim. Une arme de siège affaiblit une forteresse ou une autre place, c'est un fait. Lorsque la victoire est acquise, la place est moins facilement défendable et nous ne pouvons le nier. Mais la guerre exige une certaine rapidité et un siège qui dure trop longtemps n'est pas un bon siège. Il faut savoir que l'ennemi ne va pas attendre que vous preniez sa forteresse. L'ennemi va rassembler ses troupes, va contre-attaquer. Plus vous mettrez du temps à affaiblir la place que vous assiégez par la faim ou par les sapes, plus vous laissez à l'ennemi une marge impressionnante pour réagir. Alors, de mon point de vue, nous ne pouvons pas assiéger une place forte sans arme de siège, et il faut sans cesse essayer de disposer d'armes à la pointe de la technologie pour que les sièges soient les plus efficaces possible. »

Kolgrim conclut son discours d'une voix solennelle. Il salua humblement les autres personnes réunies ici qui l'avaient poliment écouté, même s'il se doutait que certains n'attendraient pas pour vertement critiquer ses dires. Mais le chevalier avait donné son avis, comme le Duc le lui avait humblement demandé. Il remercie le Duc puis se rassit, fier d'avoir réussi à tenir un discours clair et d'une tonalité assurée et solennelle.

L'assemblée, étonnement, écouta sans intervenir durant le discours de Kolgrim. Pourtant, à peine avait il terminé, que les voix s'élevèrent, neutres ou fortes, en un brouhaha indiscipliné

"Tout le monde sait qu'un bon trébuchet amène la reddition de la place forte, les dégâts occasionnés sont trop importants, et l'issue inéluctable"

"Mais oui, c'est ça, et si y a pas de bois, tu le fais comment ton trébuchet ? et pour les pierres, tu les trouve sur place, avec de la sorcellerie ?"

"Attaquer tous les points en même temps est la clé, le défenseur ne peut pas tout protéger, cela l'affaiblit, et une fois une tour ou une poterne prise, c'est terminé pour lui"

Et il y en eu bien d'autres à parler en même temps, jusqu'à ce que Renaud ne se lève et lève sa main pour faire taire tout ce beau monde

"Messieurs, voyons, s'il vous plait."

Il attendit que le silence ne s'installe, répétant sa demande de calme

"Que chacun donne son avis en temps voulu, et pas tous en même temps, je vous prie."

Renaud se tourna vers Kolgrim

"Voila un beau discours, messire, il va de soit qu'il faut savoir s'adapter à la place forte, et que la stratégie diffère à chaque fois. Merci pour votre contribution. Quel est votre avis, Sire d'Orfe ?"

Le Sénéchal d'Erac était aussi présent, et avoir l'avis de l'homme qui commandait les armées éraçonnes était intéressant

"Tout comme il vient d'être dit, le lieu ou se trouve la place forte à une grande importance. Il sera inutile de faire des sapes sur un terrain trop rocailleux, par exemple. Chercher la reddition n'est pas qu'une question de savoir quel type d'arme de siège utiliser, ou de savoir si nous disposons d'assez d'hommes pour attaquer en masse, en sachant que les pertes seront lourdes. C'est un subtil mélange de tout ce qui se trouve à notre disposition.

Déjà il faut savoir, comme l'a dit messire Sastefor, si l'ennemi peut lever des troupes pour attaquer à revers, ou harceler nos positions. Dans ce cas, alors le siège est perdu d'avance. Un bon espion à l'intérieur, ou la corruption d'un adversaire peut s'avérer une très bonne chose pour empoisonner un puits, ou ouvrir les portes"

Il y a eut de vives réactions, autant pour approuver, que ceux qui s'offusquaient de telles pratiques

"Voyons, messieurs, arrêtons de nous voiler la face. La rapidité est des plus importante lors d'une campagne. Affamer son ennemi coute beaucoup de ressources pour approvisionner nos propres troupes, et cela sans parler des maladies. Aussi avoir la capitulation de la place forte le plus rapidement possible et la meilleure solution. Ainsi, il ne faut renoncer à aucun moyen pour abattre son ennemi. L'honneur est une chose que nous chérissons, nous autres éraçons, mais ça n'empêche pas qu'un duel et une guerre sont deux choses différentes."

Le Sénéchal n'avait pas été surnommé "la brute" pour rien, il faisait une fois de plus honneur à son surnom en rejetant l'héritage chevaleresque du Duché. Renaud reprit la parole à son tour

"Voila qui est très intéressant. La chevalerie opposée à la froide résolution d'une personne prête à tout pour gagner. Qu'en pensez vous, sire Sastefor ?

J'aimerais également, de mon côté, vous poser une autre question qui n'est pas à l'ordre du jour, j'espère messieurs, que vous me pardonnerez cette incartade. Lequel, entre un stratège, et un tacticien, faut il privilégier ? Et je vous prierais de ne pas me dire les deux"

Renaud rit, indiquant qu'il n'y avait pas d'entourloupe dans sa demande. Il connaissait la différence entre les deux, et il espérait que Kolgrim ne se contenterait pas dire un pour avant, et l'autre pour pendant. Il était évident que les deux étaient importants, et complétement aires, et que la question était on ne peut plus complexe, voir un peu ridicule, mais si on devait "choisir" entre les deux ?

Face aux réactions aussi soudaines qu'agitées, Kolgrim se contenta de sourire. Un sourire animé d'une joie mélangée à une forme de moquerie. Certaines réflexions manquèrent de peu de le faire rire aux éclats. Tout le monde parlait sans s'écouter, soutenant ou pas les propos du nordien. Ce vacarme dura quelques minutes, jusqu'à ce que le Duc ne réussisse à rétablir le calme. Une fois que le silence reprit sa domination, Renaud remercia Kolgrim avant de se tourner vers son sénéchal.

Kolgrim l'écouta avec attention. Le sénéchal semblait en accord avec le Marcheur Austère. Chaque tactique doit s'accorder avec la situation. Aucune n'est parfaite pour telle ou telle place forte, et il faut donc subtilement mélanger tout ce que les Hommes connaissent en matière de stratégie et de technologie pour obtenir le meilleur résultat. Cependant, la fin de l'intervention de Sire d'Orfe fit tiquer Kolgrim. Empoisonner un puits ? Ne renoncer à aucun moyen ? Le nordien se mit à rougir de nervosité. Il n'était pas d'accord avec de telles manières. Pour lui, il fallait au mieux éviter les dommages collatéraux. La guerre n'est pas une destruction massive de l'environnement et des hommes, ne serait-ce que pour l'intérêt qu'ils peuvent représenter, mais surtout parce que cela n'aurait rien d'honorable.

« Votre Altesse, je suis un chevalier, et, en tant que tel, mon honneur m'est primordial. Ceux qui n'ont pas de limite morale sont souvent considérés comme des barbares, et pas uniquement par les chevaliers. Comme il l'est si souvent rappelé dans des écrits : changez vos tactiques et vos stratégies, mais jamais vos principes. »

Kolgrim marchait désormais sur des œufs car il venait de critiquer les mots d'une personne renommée à Erac. Si Renaud ne dévoilait pas trop son opinion en restant impassible, la cour, elle, n'hésitait pas à scander leur approbation ou leur réprobation. Mais, dans tout les cas, le chevalier devait être honnête. Une réunion de ce genre ne pouvait dévier vers un cirque de démagogie pour plaire à tel seigneur ou à tel chef de guerre.

« En ce qui concerne votre deuxième question, Votre Altesse. »

Kolgrim garda le silence un court instant. Il avait sa définition du tacticien et celle du stratège, et n'avait à l'esprit qu'une seule différence entre les deux. Toujours assis, il croisa la jambe gauche et posa le pied sur son genou droit, levant la tête d'un air assuré.

« J'aimerais vous poser une question en retour. Vous êtes Duc, et vous avez de nombreuses victoires à votre actif. Entre gagner une bataille et gagner la guerre, que choisiriez-vous ? » Il étira un léger sourire. « Personnellement, j'aurais tendance à choisir de gagner la guerre. »

Le chevalier nordien se frotta les deux extrémités de la bouche avec son index et son pouce. Il n'était pas nerveux, mais il espérait avoir cerné le Duc et surtout, il voulait savoir ce qu'il avait en tête. Il arrivait tout de même à garder son sang-froid et un visage neutre.

« Le stratège fait gagner la guerre tandis que le tacticien fait gagner la bataille. Étant donné les sacrifices et les ressources que nécessitent la guerre, il serait peu ambitieux de ne vouloir gagner que quelques batailles, plutôt que d'obtenir la victoire finale. Et si les batailles aident à gagner la guerre, nous savons tous que d'autres facteurs peuvent nous aider à l'emporter. Ces facteurs, c'est le stratège qui saura les déceler, et non le tacticien. » acheva-t-il.

Kolgrim jeta un coup d'œil au reste de la cour, examinant chacun des visages qui le regardaient. Il n'était pas difficile de distinguer ceux qui le réprouvaient de ceux qui s'accordaient sur ses dires. Mais le chevalier voulait surtout savoir ce que le Duc en pensait. Y avait-il une bonne réponse ? Le chevalier en doutait, Renaud n'avait fait que le mettre à l'épreuve, sûrement.

Kolgrim ne manqua pas de relever que les principes du Sénéchal n'étaient pas les meilleurs, avançant son statut de chevalier. Ah qu'il était beau ce titre, malheureusement nombre d'entre eux n'en avaient justement que le titre, et ne manquaient pas de se livrer à des actes de pillages et de viols lors des campagnes. Renaud sourit ouvertement aux remarques, et à la question du chevalier, non pas un sourire moqueur, mais plutôt franc, car il n'y avait en effet pas de véritable réponse à sa demande. Le Duc répondit à son tour pour marquer cet état de fait

"De mon point de vue, vous avez à la fois raison et tord. Raison car un stratège peut décider de perdre une bataille pour en gagner d'autres, et en définitif la guerre. Tord, car pour gagner une guerre, ne faut il pas justement remporter les batailles ?

La question était de toute façon faussée dès le début, car tout le monde sait qu'il faut s'entourer des deux, si c'est possible. C'est toutefois une question qui revient souvent, et cela m'amusait de connaitre votre point de vue."

Renaud aurait pu passer sur les premiers mots de Kolgrim, mais il avait une soudaine envie de répondre, et de voir les réactions des gens autour de lui. Erac était pleine de chevaliers, mais la guerre était ce qu'elle était, et pouvait on réellement garder les mains propres en la faisant ?

"L'honneur est une chose importante, peu de gens ici vous diront le contraire. Pourtant, il se pose la question de l'homme qui se bat pour lui même, et qui peut avancer des principes, à celui qui doit décider pour tous. C'est beaucoup plus compliqué lorsque vous commandez, et encore plus quand vous vous trouvez tout en haut de la chaine de commandement.

Dites moi, préféreriez vous sacrifier des milliers d'âmes pour une guerre honorable, ou user d'un acte de barbarie qui en tuera une centaine, mais permettra d'épargner les autres ?"

Il se garda bien de donner son opinion, laissant le mystère planer. Toutefois la charge qui reposait sur un dirigeant était tellement importante qu'il était bon d'y réfléchir.
L'assemblée retenait soudainement son souffle, et l'on entendait plus de mot, tous étant muet dans l'attente de la suite de cet échange entre les deux hommes.

Kolgrim gloussa discrètement. C'était bien ça : une question sans réelle bonne ou mauvaise réponse. Mais, en guerre, les choix ne se montrent que très rarement totalement bons ou totalement mauvais. À défaut, il faut faire au mieux. De toute façon, le nordien s'attendait à ce genre de questions, qui servaient à cerner les personnes à qui on les posait. Au moins, le Duc Renaud se montrait subtil. C'était appréciable.

Quand le Duc revint sur le discours qu'il eût à l'égard du sénéchal, Kolgrim se crispa. Il avait ouvertement critiqué les dires et la personnalité d'un personnage talentueux et respecté à Erac. Et, force est d'admettre que, venant de la bouche d'un Berthildois, cela pouvait faire débat. Mais, grâce à Othar, le nordien se montrait honnête, même s'il aurait pu trouver d'autres moyens que de sous-entendre que Sire d'Orfe était un barbare. Le but n'était pas de lui jeter la pierre.

Dans tous les cas, le Duc était un homme intelligent et réfléchi. Cela changeait de certains incompétents que le Royaume a pu connaître à travers son histoire. Kolgrim n'avait jamais eu l'occasion de commander, contrairement à certains de ses frères d'armes. Il est vrai que c'était quelque chose de difficile, surtout pour les plus hauts-gradés. Chaque réussite est très bien récompensée, et chaque échec est chèrement payé. Avec une question telle que celle posait le Duc, Kolgrim n'arrivait pas à savoir si c'était, là encore, un piège.

Une question fort bien intéressante, alors que certains des Marcheurs Austères s'illustraient par une certaine brutalité lors des combats. Il le savait peut-être ? Le nom de l'Ordre semblait déjà un bel indice concernant ce point, même s'ils avaient eu certaine tendance à calmer leurs ardeurs. Et puis, certains chevaliers se montraient moins brutaux, ou alors ils essayaient de se "racheter" par des actes plus honorables. Cela dit, la brutalité ne dépassait pas le cadre des batailles, et ils évitaient de se comporter ainsi face aux religieux et aux civils.

« J'aurais tendance à penser que votre question est légèrement faussée aussi, puisque les actes de barbarie ont tendance à être plus meurtriers que les actes plus honorables. » répondit-il Kolgrim avec un demi-sourire nerveux. « Je ne suis pas sûr que la barbarie soit un moyen de sauver des vies. Je pense même qu'elle supprime encore plus de vie. » avançait-il alors que ce silence l'oppressait plus que les précédents. « Et, même si, à court terme, la barbarie pourrait épargner d'autres vies, ce dont je me permets d'émettre quelques doutes, je ne suis pas sûr qu'à long terme, ce ne soit le cas non plus. Brûler des champs, piller des maisons, massacrer des civils… Cela peut épargner nos soldats, mais, une fois la guerre gagnée, le gain semble très amer. Le victorieux récupère une terre brûlée, rongée par les vautours et par les épidémies et sans aucune ressource. » Le chevalier berthildois s'arrête, comme s'il voulait que les autres prennent un peu de temps pour comprendre son raisonnement. « Un manque de nourriture et des maladies qui mettront en danger ceux que la barbarie aura épargné, n'est-ce pas ? Et puis, dans tous les cas, il ne faut pas estimer l'influence de l'honneur. L'ennemi saura sûrement réfléchir à une reddition s'il sait qu'il ne peut gagner face à un ennemi honorable, éloquent et intelligent. Et même s'il s'entête à vouloir se battre, certains meneurs et les plus humbles soldats chercheront à rejoindre le camp des honorables vainqueurs, ne serait-ce que pour éviter une mort vaine. »

N'importe quel commandant pensait à sa vie avant celle de son supérieur, et chaque vassal pensait d'abord à lui, quelque soit son serment, avant de penser à son suzerain. C'était la nature des hommes. Et le commun des mortels pensait à sa morale, à sa religion, surtout quand sa vie était en danger. Un ennemi raffiné vaudra toujours mieux que le barbare. Kolgrim en était convaincu.

« La barbarie ne doit être qu'un ultime moyen de gagner quand nous n'avons plus le choix, et non pas le premier auquel nous pensons. Elle suppose de trop nombreuses et imprévisibles conséquences pour y recourir régulièrement. Alors, si jamais je devais choisir, je pense que je ne m'abaisserais pas à des actes barbares, même si je sacrifierais plus de vies. Même si je réitère mes doutes sur le fait que des actes barbares puissent éviter la mort de nombreuses personnes. »

Kolgrim ne se défila pas, et il se mit en devoir de répondre au Duc, qui devait bien avouer être surpris du répondant, et de l'entrain, de son interlocuteur. Le débat était devenu un dialogue entre deux personnes, le beau monde présent en ce lieu se trouvant réduit à écouter l'échange. La moindre des choses à dire était que les mots de Kolgrim atteignirent Renaud, l'amenant à se questionner intérieurement, au moins ultérieurement. Car le Duc, même s'il n'en avait rien montré jusque la, suivant les osts bien plus nombreux que lui lors de la dernière campagne, était homme à ne pas reculer derrière un acte de barbarie si cela lui permettait d'arriver au but qu'il s'était fixé. Et pourtant, pleins de contradiction comme il était, Renaud pardonnait aussi assez aisément, s'il avait la preuve de la sincérité du quémandeur. Les six dernières années l'avaient amené de troisième fils, et fugueur, à Duc d'Erac, avec toutes les responsabilités que cela entrainaient. Et ne parlons pas des grossières erreurs qu'il avait commise au tout début de son accession à ce rang prestigieux.

Un brouhaha d'assentiment parcouru la foule, toujours encline à mettre leur "honneur" en avant, même si c'était de la pure hypocrisie pour un certain nombre.

"Vos idées vous honorent, Messire, et elles ne sont pas dénuées d'intérêts à mes yeux."

Kolgrim venait de recevoir un compliment du Duc d'Erac, ce qui ne manqua pas de faire le tour de la cour. Les commérages se répandraient rapidement sur cet homme, inconnu de tous, qui s'était attiré les faveurs du Duc. Déjà certains le détestaient, et d'autres se demandaient s'ils ne devaient pas s'acoquiner avec lui pour approcher Renaud. C'était tellement pathétique, toute cette politique exécrable manipulée par quelques hommes serviles, et obséquieux.

Renaud n'avait cure de tout cela pour l'instant, happé par la conversation du moment. Il désirait aller toujours plus loin, et sans méchanceté aucune, pousser Kolgrim dans ses retranchements, et voir jusqu’où il allait être honnête, si bien sur il l'était.

"Comment pouvez vous expliquer, dans ce cas, que par pure ambition, l'on arrive à orchestrer un massacre ?"

Renaud n'avait pas précisé, mais tous avaient compris qu'il parlait ici de Nimmio, et du massacre des champs pourpres

"Et comment parvenir à être suivit par autant de monde dans cette idée des plus farfelues ?"

Car Renaud n'oubliait pas la torture qu'avait subit son paternel, pourtant Duc, ni le fait que deux baronnies avaient suivit, ainsi que tous les nobles de ces dirigeants. Ajoutez à cela que Langehack avait fait parti du lot avant la fin de son éphémère Marquis, et l'on pouvait se questionner sur les serments trahit lors ce dette rébellion.

Kolgrim fut complimenté par le Duc. Non, ce n'était pas un sarcasme. Cela n'était ni le lieu, ni le moment. De toute façon, Renaud ne semblait pas être un homme sarcastique. Le nordien saurait sûrement les reconnaître, lui qui côtoie des garçons qui le sont parfois un peu trop. Quoi qu'il en soit, un tel compliment ne manqua pas d'alimenter les murmures entre les autres personnages ici présents. Kolgrim ne savait pas ce qu'ils avaient en tête, d'autant plus qu'il n'était pas un chevalier eraçon. Nul doute que certains auraient des réactions identitaires. Néanmoins, d'autres seraient sûrement autant intéressés par le personnage berthildois que ne l'est le duc.

Décidément, le Duc Renaud ne lâchait pas le chevalier nordien… pour son plus grand plaisir. Cela amusait Kolgrim, car il intéressait le Duc, et certains commenceraient à s'impatienter, voire à le jalouser. Qui eut crut qu'un simple chevalier, étranger qui plus est, puisse avoir une telle conversation avec Renaud d'Erac. Le nordien lui-même ne s'y attendait pas. Alors que l'objet d'une telle réunion était la stratégie martiale, il dérivait complètement vers un dialogue entre deux hommes cherchant à se comprendre. Mais les réponses à ses questions devenaient de plus en plus dures à trouver.

« Autant qu'il existe des hommes bienveillants et honorables, il existe des hommes monstrueux et exécrables. Certains sont prêts à tout pour satisfaire leurs ambitions quelles qu'elles soient. » répondit Kolgrim, qui abaissa rapidement le regard sur le sol. « Et nombreux sont ceux qui perdent en s'essayant à de tels actes. » s'empressa-t-il d'ajouter en regardant à nouveau le Duc.

“Nombreux” ne veut pas “tous”, hélas. Le berthildois pensait à la suite de la question. La plus importante, en soi. Le problème n'était pas celui d'être fou ou sanguinaire. Le problème, c'était que certains les suivaient presque aveuglément. La peur du châtiment peut-être ? Ou la peur de la honte ? Qui sait ce qui traverse l'esprits des vassaux à ce moment. Et surtout, quand les choses dérapent, comment réagissent-ils ?

« Et, je suppose que pour s'assurer de la confiance de leurs vassaux, ces hommes sanguinaires et cruellement ambitieux y vont de leurs menaces. Avec quelques espions bien placés, il est facile de dénicher des informations compromettantes sur chaque vassal pour s'assurer de sa loyauté ? »

C'était une proposition comme une autre, mais il est probable que tout le monde comprendrait son point de vue. Par tous les moyens possibles et imaginables, les suzerains s'assuraient de la loyauté de leurs sujets et de leurs vassaux. Nul besoin d'être un fin politicien pour savoir cela. C'est la tristesse du monde de la politique et de la noblesse. Le Noble Jeu comme on l'appelait.

« Mais, je vous le concède, il est aisé de conjecturer. Certains n'ont pas peur de s'abaisser à la barbarie, surtout si c'est pour obtenir le respect de quelqu'un qui peut vous apporter influence et richesse. Il y a autant de raisons que d'hommes, et chacune est propre à chacun. La peur, l'ambition, et aussi triste soit-il de l'admettre, la loyauté peuvent pousser un homme à suivre son seigneur, même s'il s'abaisse à la barbarie. »

Tout chevalier qu'il est, Kolgrim n'hésiterait pas à bafouer son serment si son seigneur s'oppose à toutes les valeurs d'un chevalier. Mais, il est plus difficile d'agir ainsi quand une armée s'agite autour de son territoire telle un assassin qui guette la moindre occasion pour tuer sa cible. Kolgrim n'était pas un seigneur, mais un chevalier. Ses choix n'engageaient que lui et il est donc plus facile de décider. Chaque seigneur a des vies entre ses mains, et il en était conscient.

Une fois de plus, Kolgrim défendit son point de vue, énonçant toutes les possibilités pouvant pousser quelqu'un à suivre un Seigneur barbare. Renaud écoutait attentivement, et en même temps, il jaugeait ce qu'il se passait autour de lui.

"Vos arguments se tiennent, c'est indéniable. Je reviendrais uniquement sur la loyauté. Les serments sont importants dans notre monde, et ceux qui ne suivent pas leurs Seigneurs sont désignés comme des parjures. Dès lors, il est difficile de leur faire confiance, même si leur manquement est louable. Dans un même temps, s'ils suivent leur suzerain, ne commettant eux même pas d'acte de barbarie, alors l'on louera leur loyauté, n'est il pas ?"

La question était ardue, et Renaud ne s'offusquerait pas si Kolgrim ne lui répondait pas. Sans parler de barbarie, récemment encore, le problème s'était posé. En effet, Néris, vassal de la Baronne de Hautval, avait décidé de faire allégeance à Renaud, se parjurant, au titre que la Baronne s'était elle même parjurée en capturant, et enfermant son suzerain, Léandre, le père de Renaud. Ce dernier avait rendu le vasselage quand le Régent avait remit Hautval sous la coupe d'Erac, mais les Seigneurs de la Baronnie pardonneraient ils à Néris sa défection ?

Renaud était las, même si la conversation de manquait pas d’intérêt, il désirait donc passer à autre chose. Curieux de cet ordre duquel Kolgrim dépendait, et connaisseur des prouesses martiales des suivants d'Othar, il vint une idée au Duc

"Dites moi, j'ai une requête. Accepteriez vous de vous battre en duel, amical bien entendu, afin de partager votre savoir avec nous ? Je suis certain que les volontaires ne manqueront pas, c'est une chance que de croiser le fer avec un adorateur d'Othar"

La tension était montée durant les échanges entre les deux protagonistes, et Renaud savait, par expérience, qu'un combat déridait tout le monde.

Kolgrim ne sut réellement dire si le Duc Renaud appréciait le fait qu'il défendait son point de vue avec une certaine passion ou tout simplement parce que, dans le fond, il était en partie d'accord avec ce qu'il disait. Peut-être un peu des deux ? Certaines personnes aimaient les gens qui s'en tenaient à leurs idéaux et qui les défendaient corps et âme. D'un autre côté, l'honneur était important pour les éraçons, et, forcément, le discours de Kolgrim leur plaisait. Mais, Renaud d'Erac était réfléchi et savait trouver la faille dans chacun des mots du Nordien. Personne n'est parfait, et aucune conviction ne l'est non plus.

« Je… je pense que, s'ils ne commettent pas d'actes de barbarie, certains comploteurs pourraient s'amuser à faire croire qu'ils traînent des pieds ou même qu'ils ne sont pas assez loyaux pour combattre comme les autres ? » répondit-il d'une voix plus hésitante. Il soupira tel un homme impuissant et résigné face à son destin. « Mais, dans toute cette histoire, nous ne sommes plus dans le cadre de l'objectif. Les serments, la loyauté, l'honneur, l'ambition… Tout cela varie en fonction des caractères de chacun. Aucune personne n'en a une idée commune à celle d'un autre. »

Kolgrim avait déjà admis que tous ces discours n'étaient que des conjectures. Il n'était pas dans l'esprit de ceux qui s'adonnaient à la barbarie ou à ceux qui avaient le goût de la trahison pour satisfaire leurs ambitions. Les actes étaient justifiés par des raisons propres à chacun, certaines parfois compréhensibles, d'autres non. Le débat pourrait durer une éternité, car il a pour base quelque chose de variable, de subjectif, donc de difficile à appréhender objectivement et d'en dégager une certaine concrétude.

Le Duc d’Erac changea brusquement de sujet, comme s’il était barbant ou qu’il était las de ces discussions, alors même qu’écouter le chevalier berthildois semblait l’intéresser. Dans tous les cas, il n’était pas le mieux placé pour l’empêcher de faire cela, si tant est que quelqu’un dans ces lieux pouvaient se le permettre sans risquer une remontrance de la part de l’un des personnages les plus puissants du Royaume. En plus, la proposition de ce dernier n’avait rien d’intellectuel comme l’était cette réunion jusqu’à maintenant. De toute façon, le débat devait cesser.

Un duel ? Avec une personne de son choix parmi tous ceux qui étaient présents ? Ils étaient aussi nombreux qu’inconnus du chevalier. À quoi bon ? Voulait-il aussi mettre à l’épreuve les talents de combattant de Kolgrim ? Ce dernier devrait se sentir honoré. Il avait l'occasion d'impressionner le duc, d'autant plus que les Marcheurs Austères aimaient se battre et se perfectionner. Il passa le regard parmi tous les hommes qui étaient présents, comme s'il cherchait à savoir lequel serait le plus coriace ou le plus faible.

« J'accepte de relever le défi, votre Altesse. » dit le chevalier avec un sourire. Il se leva et se dégourdit rapidement les jambes et les bras. Ceux qui savaient se battre s'étaient déjà manifestés, pour certains, mais Kolgrim ne les connaissait pas. Il ne savait pas lequel serait le plus appréciable à affronter.

Ils étaient assez nombreux à s'être levés, soit par envie de se montrer devant le Duc, soit par volonté de lui faire fermer son caquet au nordien. Quoi qu'il en soit, Kolgrim avait à cœur de montrer qu'il savait y faire. Il n'était, certes, pas le meilleur de son Ordre, mais il faisait tout pour, et était un guerrier talentueux, compensant ses lacunes par l'esprit, car un bon combattant est aussi quelqu'un de réfléchi. Relativement proche de Renaud, un chevalier qui devait avoir entre trente et quarante ans retint l'attention du nordien. Il était à peine plus grand que Kolgrim mais plus massif et imposant. Il avait une cicatrice sur la joue et il ne portait aucune barbe accompagnant ses cheveux blonds attachés en queue de cheval. Vu son allure, il semblait être un pur éraçon.

« Vous êtes un chevalier, n'est-ce pas ? Un lige du Duc ? » lui demanda-t-il d'une voix neutre, ne trahissant aucune moquerie.
« Oui, Sire. » répondit simplement le garçon d'une voix tout aussi neutre que celle de son interlocuteur.
« Comment vous vous appelez ? »
« Emeric, Sire. »
« Sire Emeric, j'accepte de vous défier en duel. »

Ils se sourirent mutuellement et se placèrent au milieu de l'assemblée. Pas d'armure, et une épée chacun. Leur épée, d'ailleurs. Nul doute qu'ils sauraient échanger plusieurs passes d'armes sans se blesser. Dans le cas contraire, cela voudrait dire qu'ils ne sont que de piètres guerriers. Kolgrim voulait se mesurer à un chevalier du Duché d'Erac, l'une des grandes caractéristiques de ces terres. Il voulait confirmer ce qu'on disait des Marcheurs Austères. Des chevaliers travailleurs, acharnés et talentueux. Il défendait sa réputation et celle de ses frères d'armes.

À quelques pas l'un de l'autre, les deux chevaliers le signal d'une tierce personne pour qu'ils puissent s'approcher. Après quelques secondes à observer leur posture respective et à se jauger, c'est Emeric qui engage véritablement le combat, avec une attaque verticale rapide. Une attaque basique, pour commencer, que Kolgrim dévia tranquillement avant de tenter une série de trois attaques en usant de ses jambes et de mouvements amples, étant donné qu'il n'est pas en armure et que son adversaire non plus.

Le combat dura plusieurs minutes, les deux adversaires se renvoyant coup pour coup, oubliant même que ce combat était supposé amical et que le but n'était pas de s'entretuer. Pourtant, les deux guerriers se battaient comme des diables et chacun de leur coup se faisait plus puissant, plus rapide ou plus précis, comme si leur survie dépendait de ce combat. L'intensité s'accrut d'un cran, donnant lieu à un véritable combat de gladiateur. Emeric se montrait solide en attaque, pouvant enchaîner plusieurs attaques puissantes d'une rapidité étonnante avec sa claymore. Kolgrim, lui, était plus svelte donc plus agile, rapide et mobile, et il en profitait pour asséner des coups plus rapides et imprévisibles avec son épée longue. La fin du combat approchait quand le chevalier eraçon montra ses premiers marques de fatigue, et Kolgrim n'hésita pas à s'engouffrer dans la brèche. Il enchaîna de nombreux coups rapides, achevant cette belle série par deux attaques puissantes qui surprirent le chevalier eraçon épuisé. Sire Emeric finit alors par être désarmé, symbole de sa défaite. Au moins, les deux auront lutté jusqu'au bout de leurs forces.

Son adversaire le salua humblement, et salua aussi la foule qui était partagée entre acclamation et dédain. Mais le nordien n'en avait cure. Son adversaire était talentueux, et nombreux sont ceux qui auraient lâché face à ses attaques dévastatrices. Seul un entraînement adéquat et intensif peut permettre à un soldat de faire face à ce genre de guerrier lui-même entrainé, ce que sa carrure prouvait. Kolgrim avait maintenant la preuve que les chevaliers d'Erac ne volaient pas leur réputation. Ceci étant dit, il ne savait toujours pas pourquoi le Duc l'avait convié à se battre. Nul doute qu'il avait ses raisons, bonnes ou mauvaises.

Pour la toute première fois, Kolgrim marqua une hésitation en commençant sa réponse, il fallait dire que la conversation n'avait plus guère de sens, le Duc contredisant quasi systématiquement le pauvre chevalier d'Othar qui défendait son point de vue bec et ongle. Renaud se disait intérieurement que si la discussion avait été inversé, et que c'était à lui de se défendre de la sorte, alors l'homme en face de lui l'aurait bien agacé. Il était donc temps de cesser de torturer le pauvre Marcheur, et c'est en lui proposant ce duel que le dirigeant d'Erac trouva une issue. Il savait que tous les servants du Dieu guerrier étaient des hommes entrainés, et prêts à se battre, alors quoi de mieux que cette "exhibition" afin de clore le sujet, et d'en profiter pour voir les talents de ces parangons guerriers. Beaucoup de chevaliers se levèrent pour relever le défi, touchés dans leur orgueil, ou encore avides d'en découdre devant le Duc, voir de remettre à sa place cet homme qui n'était pas éraçon. Après avoir évaluer tout ce beau monde, Kolgrim choisit Emeric, un homme faisant parti de la cour ducale.

Renaud ne manqua pas une miette de ce duel, avide des combats individuels. Habitué lors de son séjour à Thaar à regarder ce genre de défi, il comprit rapidement qu'Emeric, bien que faisant montre d'un grand talent, n'avait pas l'étoffe pour inquiéter Kolgrim. Le duel se termina d'ailleurs sur la victoire de ce dernier, démontrant une fois de plus à quel point les guerriers d'Othar étaient redoutables, quelque soit leur ordre. Tous étaient entrainés avec acharnement, et il fallait beaucoup de talent, ou d'efforts, pour atteindre le niveau des meilleurs éléments. La foule avait donné de la voix, chacun encouragent son favoris, presque unanimement Emeric, de part le fait qu'il était du cru. Une fois le combat terminé, les regards changèrent, allant de ceux qui méprisaient encore plus Kolgrim, à ceux qui saluaient son talent, et avaient changé d'avis face à son coup d'éclat.

Renaud souriait, il était temps de passer à autre chose. Il se dirigea donc vers Kolgrim, l'homme étant en sueur après son combat, et il lui désigna un escalier montant sur les remparts du château

"Si vous voulez bien me suivre ?"

Il n'attendit pas de réponse, étant habitué à ce qu'on ne discute pas ses mots, et encore moins refuse une invitation. Il s'adressa dans la foulée à tout le beau monde de la cour

"Continuez sans nous messieurs, je vous prie"

Le silence marqua le début de cette nouvelle conversation, deux hommes de l'Ordre, garde personnelle du Duc, suivant à une distance respectable

"Dites moi, depuis le début, nous nous sommes perdus en conjectures, mais nous avons oublié la raison de votre présence ici même, qu'en est il ?
Vous avez dit vouloir mettre votre savoir à ma disposition, voir apprendre. Comptez vous rester au sein de ce château pour converser avec vos semblables, et échanger vos savoirs respectifs, ou avez vous une autre idée derrière la tête ? je vous écoute"

Renaud ne connaissait pas la volonté de cet homme, ni de son ordre. Il savait que la présence de la foule avait pu l'empêcher de dévoiler un message privé pour le Duc, ou plein d'autres choses.

La tournure des évènements échappait totalement à la compréhension de Kolgrim. Le sujet qui aurait sûrement voulu se cantonner à quelque chose de purement martial avait alors totalement dérivé sur des sujets tels que morale et l'honneur. Certes, ces deux notions avaient de l'importance, comme tant d'autres, mais les brandir comme des égides à tous les étages ne rimait à rien. Tout chevalier qu'il était, Kolgrim se devait de rester pragmatique : la guerre ne laissait pas toujours place à la justice et à la morale. Les hommes pouvaient peut-être raréfier ces situations, mais en aucun cas les annihiler pour de bon. Il suffisait de savoir le dédain que certains portaient à son égard simplement parce qu'il venait de Sainte-Berthilde.

C'est hésitant que Kolgrim suivit Renaud sur les remparts. Il n'hésitait plus à penser que le Duc voudrait le mettre à l'épreuve. Seule la manière pouvait différer. Il n'avait eu cesse de défier le nordien, pourquoi cela changerait-il maintenant ? Le chevalier rétorquait du mieux qu'il pouvait à chaque occasion, ne démordant pas ses idéaux tout en restant au mieux dans les clous de la réalité. Ce n'était pas simple. Le Duc se montrait retors et le chevalier n'avait pas le cœur à ne pas rentrer dans son jeu.

Pour une fois, le Marcheur Austère ne put déterminer si la question du Duc était encore une épreuve ou une “réelle” question. Pourquoi la raison de sa présence serait-elle différente pour lui ? Erac était la terre des chevaliers, et de surcroit la terre du Haut-Temple d'Othar. Le simple fait d'y venir est un grand honneur pour n'importe quel chevalier des Marcheurs Austères. Ils n'avaient que faire de ce que pensaient les autres au sujet de leurs origines Berthildoises. Kolgrim ne saurait dire si c'était une majorité ou une minorité, mais ce qui importait était l'opinion du Duc. Et fort heureusement, il était plus intelligent.

« Il y a beaucoup de choses à faire, dans de telles réunions, votre Altesse. » répondit-il alors, passant un regard par-dessus son épaule pour vérifier la distance qui les séparait des deux gardes personnels du Duc. « Discuter stratégie, combat, technologie ou autre, certes, mais c'est aussi l'occasion rêvée pour se montrer et monter sur ses grands chevaux. »

Aucun de ses mots ne trahissait moquerie ou ironie. Au final, il n'avait pas tout à fait tort, si on se rappelait de ce qu'il avait rétorqué à Sire d'Orfe. Il n'avait pas eu besoin de hausser le ton pour partager ses idées, même si le Duc l'y avait bien aidé pour cela. Peu importe, ce qui est fait est fait. Il avait fait preuve d'audace, mais nombreux sont ceux qui apprécient cela… autant que ceux qui détestent d'ailleurs.

« « À dire vrai, participer à une telle réunion est une première pour mon Ordre. Personne ne savait réellement à quoi s'attendre. Le simple fait de rencontrer des grands personnages d'Erac est vivifiant, et tous les moyens sont bons pour faire parler d'un Ordre de chevaliers dont les membres souhaitent constamment faire partie des meilleurs. »

Le nordien fixa l'horizon en prononçant ses derniers mots, laissant son regard voguer entre les arbres, plaines et collines qui ornaient le paysage. Il était venu sans raison particulière, mais cette réunion s'était montrée intéressante, y compris les questions du Duc. Elles étaient rudes et trompeuses, mais Kolgrim avait fait le choix de faire travailler son esprit. Il en vint à se demander comment aurait réagit n'importe lequel de ses frères d'armes… Aurait-il choisi de refuser de répondre parce que les questions étaient piégeuses ? Ou aurait-il fait mine de devoir choisir, comme l'a fait Kolgrim ? Peut-être aurait-il choisi une autre voie ?

« Et mon Ordre sait faire parler de lui en mal, et il est maintenant temps de faire parler de lui en bien. »

Kolgrim ne put dire si le Duc attendait vraiment une réponse précise. Les réunions de ce genre n'étaient pas coutumes partout dans ce Royaume, et ce sont sûrement les récentes guerres qui ont poussé certains seigneurs à en organiser. Les Marcheurs Austères y ont participé, et y ont perdu des membres qui leurs étaient chers. Leurs successeurs étaient pétris d'ambitions, et elles devaient désormais se concrétiser.

En entendant la réponse, Renaud devait s'avouer qu'il fut un brin déçu. Pas en raison de son interlocuteur, mais en tant que Duc, il avait l'habitude que tout se rapporte à sa personne, du moins au sein de son Duché. Alors savoir que la venue de cet homme n'était pas pour lui délivrer un message privé, mais bien en raison de l'organisation qu'il avait mis en place, lui laissa un arrière gout amer. Cela ne l'offusqua aucunement, c'était même encourageant de voir enfin venir plus de monde en provenance d'ailleurs qu'Erac. Les germes avaient pris racine, et enfin, cela commençait à prendre forme, ce qui était plutôt encourageant pour l'avenir.

"Il y a en effet beaucoup à faire lors de ces réunions, c'est pourquoi j'ai insisté pour mettre en place ce genre d'organisation. J'espère que ce qu'il s'est passé depuis votre arrivée ne vous à pas désabusé ?

Ma présence ne favorise pas les échanges sains, mais j'aime venir voir par moi même comment cela prend forme. J'apprécie aussi les discussions comme nous avons eu, et votre sincérité me touche. Il est plutôt rare de voir des gens conserver leurs idées, et les défendre face à un Duc, c'est tout à votre honneur."

Il avait vaguement entendu parler de l'ordre des Marcheurs Austères, bien que ne s'y intéressant pas jusque maintenant

"Votre ordre se trouve à Sainte-Berthilde, c'est exact ? Si tous vos confrères ont votre verve, et votre esprit, je ne doute pas qu'il saura se mettre en valeur. Et sinon que vous avez l'autorité pour les remettre sur le droit chemin que vous semblez arpenter."

Renaud avait vu beaucoup de chevaliers, vu qu'Erac en abritait tellement, mais il savait en son fort intérieur que les beaux mots n'étaient justement souvent que des mots, et que les actes ne suivaient pas forcément. Autant de conviction était donc à relever

"Expliquez moi donc en quoi votre ordre à fait parler de lui en mal ? voulez vous lui racheter une conduite ?"

Kolgrim ne put retenir un sourire lorsque le Duc lui demanda si cette réunion ne l'avait pas désabusé. Désabusé n'était pas le mot qu'il aurait employé, mais cela ne changeait rien au fait que l'accueil auquel il eut droit ne fut pas celui auquel il s'attendait. Pour autant, cela ne le rendait pas plus désagréable, bien au contraire. Cet accueil était rude, mais il y avait sûrement pire, au-delà du Médian.

« Je ne m'attendais pas à toutes ces questions, je dois bien l'admettre. Mais j'ai apprécié nos discussions. Cela me rappelle pourquoi j'ai prêté serment, et défendre des valeurs telle que l'honneur m'est appréciable. »

Si le Duc Renaud appréciait et félicitait cela, le chevalier ne pouvait que s'en enorgueillir. D'autres pairs du Royaume n'auraient pas réagi ainsi. Certains avaient trop d'égo et d'outrecuidance pour se laisser ainsi répondre par un chevalier. Kolgrim n'avait certes pas fait preuve d'agressivité, mais il était solennel et confiant de ses mots. Il n'avait pas hésité à affronter le Duc plutôt que de se plier à ses arguments.

« Vos compliments me vont droit au cœur, votre Altesse. Hélas, moi-même je n'ai pas d'autorité au sein de mon Ordre. La seule chose que je puisse faire, c'est montrer l'exemple. »

Il ne cherchait pas réellement à prendre du galon, d'ailleurs. L'autorité était nécessaire pour co-ordonner l'action des chevaliers, mais dans l'ensemble, l'égalité était de mise. Trois chevaliers avaient plus d'autorité, et deux autres hommes les assistaient sur les questions financières et logistiques. Cette organisation n'a pas empêché quelques déboires, cependant.

« Durant les récents conflits, notamment ceux de l'An X, nombre de mes frères d'armes ont fait preuve de… d'une brutalité et d'une violence assez prononcées. Non pas qu'ils sont égoïstes ou sans pitié, ou qu'ils exècrent leurs serments, mais ils furent emportés dans le feu de l'action et ces actes ont entaché notre réputation. Othar ne s'intéresse pas à ses choses-là, vous me direz, mais nous demeurons des chevaliers. Nous devons respecter tout nos préceptes. » répondit franchement Kolgrim, qui n'avait pas plus le droit de mentir aux yeux de ses serments. « Fort heureusement, ils n'étaient qu'une minorité, et les conséquences auraient pu être bien plus malheureuses. Mais nous préférons faire preuve de bienveillance, de justice, et de miséricorde. Un soldat, bien que notre ennemi, ne mérite pas moins la pitié que n'importe qui d'autre. » ajouta-t-il, avant de marquer un instant de pause. Il reprit. « La guerre reste l'un de nos domaines. Si se battre est quelque chose qui nous tient à cœur, il y a des manières de faire. Cela ne nous empêche en rien de progresser en matière de stratégie, formation, tactique ou que sais-je encore. Il est important pour nous de rappeler qu'il ne faut pas dépasser certaines limites. »

Le pauvre Kolgrim avait du digérer pas mal de choses, entre une animosité de la part de jaloux, et les questions toujours plus pressantes du Duc, la tension était montée. L'engagement et la foi qu'il avait démontré envers son code était on ne plus louable, et il l'avait défendu de bien belle manière, forçant le respect, sans nul doute également de ceux qui lui étaient hostiles. Il n'était pas fréquent de voir quelqu'un tenir tête à un Duc, même sans agressivité

"Montrer l'exemple est déjà une bonne chose, et vous gravirez sans nul doute les échelons de votre ordre si vous restez sur le chemin que vous êtes en train de tracer."

Ecoutant le récit de la dernière campagne des Marcheurs Austères, et des débordements de certains éléments, Renaud n'en fut guère choqué, ayant lui même participé à la campagne du médian, et ayant pu voir de ses propres yeux ce que des hommes pouvaient faire à leurs semblables

"Il y a tellement de sentiments opposés lorsque l'on guerroie. l'angoisse de l'attente, ou juste avant une charge, la tristesse d'avoir perdu des proches, l'euphorie d'être toujours vivant, la camaraderie avec ses frères d'armes. Tout cela est très compliqué à gérer pour le commun des mortels. Il y a différentes façons de libérer toute cette pression, et parmi celles-ci, la violence en est une. Il faut surtout juger de l'ampleur de ce déchainement."

Renaud avait déjà vu des exactions lors du dernier conflit péninsulaire, et il savait que réprimer ces actions pouvait amener à pire encore. Toutefois, il pouvait comprendre, vu ce qu'il avait entraperçu du code d'honneur de Kolgrim, que celui-ci ne pouvait pas supporter de tels agissements

"L'entrainement, encore et encore, jusqu'à l'épuisement total, permettra de conditionner le comportement des hommes lors d'une bataille. Autant il est compliqué de mettre cela en place pour une populace armée, ou des soldats peu préparés, autant je pense qu'au sein d'un ordre tel que le votre, il y a le potentiel pour."

Etre un servant d'Othar amène forcément une discipline à avoir, et des entrainements poussés et quotidiens. L'on pouvait alors tenter de modeler les hommes comme on le désirait.

« Vous me flattez, Votre Altesse. »

Kolgrim apprécia de tels compliments venant de la part d'une personne telle que Renaud d'Erac, mais il demeura lucide. Il se devait de rester humble et clairvoyant : ce n'était qu'un compliment, rien de plus. Mais il venait tout de même récompenser un courage et une loyauté sans faille à ce qu'il avait jurer de défendre jusqu'à la mort. Qu'il en soit complimenté ou pas, cela était cher au cœur du Berthildois. Tant mieux si le Duc d'Erac appréciait cela.

Le Duc eut un raisonnement qui étonna Kolgrim quant au récit de la brutalité de certains Marcheurs Austères lors des derniers combats. Il était prêt à penser que tout le monde ne ferait que condamner ces actes sans chercher à pardonner, autant chez les nobles les plus prestigieux que chez les plus humbles paysans, sans oublier le clergé. Ce dernier s'était montré plus vindicatif que les autres, à juste titre, cependant.

« Nous sommes chevaliers, et de ce fait, la miséricorde fait partie de nos vies. Qui sommes-nous pour ne pas laisser une deuxième chance à ceux qui ont échoué une première fois ? Il y a toujours un moment où chacun de nous commet un faux pas. Je suis homme à croire que Néera accepte la rédemption de ceux qui se sont écartés du droit chemin. »

Il existe de nombreuses manières de suivre la voie de la rédemption. Kolgrim n'était pas concerné à l'heure actuelle, mais peut-être le serait-il tôt ou tard. Personne n'est à l'abri d'une erreur. Renaud avait raison sur un point : il fallait conditionner ces hommes pour éviter qu'ils ne fautent. Certains Marcheurs Austères ne l'étaient visiblement pas assez, même si, paradoxalement, les plus jeunes n'avaient pas été les plus violents.

« Un tel entraînement doit perdurer pendant des années et des années pour dévoiler ses premiers signes d'efficacité. Ceci étant dit, nous prônons de plus en plus des entraînements intensifs. Il n'y a que comme ça qu'un homme peut devenir un guerrier d'élite. Faire partie des meilleurs guerriers au monde est l'un de nos objectifs. »

L'Ordre aimait la guerre, le combat et les affrontements. Croiser le fer procurait un plaisir à tout adepte d'Othar, et les grandes et épiques batailles qui ont frappé le Royaume étaient de leur goût. La faim de victoire et de gloire n'était jamais rassasiée pour ces hommes qui ne vivaient que pour la bataille. Cela ne les empêchait pas de faire preuve d'honneur, de loyauté et d'humilité, autant au combat que dans leur vie quotidienne.

Renaud écarta "l'accusation" de flatterie d'un revers de la main

"Allons bon, ne soyez pas modeste, vous avez prouvé ce jour les valeurs que vous défendez avec assez d’opiniâtreté pour être soulevé."

Le Duc dissimula de son mieux son agacement à l'évocation de Néera. Cette déesse soit disant miséricordieuse qui avait frappé sans distinction lors du Voile. Sa première épouse y avait perdu la vie, et il avait gardé rancune envers la Damedieu, même s'il n'en avait jamais parlé à quiconque, conscient que ce serait vue comme un blasphème, et des risques qu'il encourait. Il ne pu toutefois s'empêcher de rétorquer

"Néera à sa propre façon de voir les choses, mais c'est surtout le regard que nous portons nous même sur nos actes qui importe. Il est plus aisé d'avoir bonne conscience en œuvrant pour le bien, avec des principes tels que vous les avez évoqué, qu'en laissant libre court à nos plus bas instincts. Tout le monde sait qu'il est toujours plus gratifiant de faire le bien que le mal, et de voir la gratitude dans le regard des gens que nous aidons."

Un discours un brin pompeux, mais qui pouvait avoir son effet, surtout sur quelqu'un de la trempe de Kolrgrim

"Vous avez raison, pour conditionner un homme, il faut des années de répétition, mais lorsqu'on entre au service d'Othar, l'on doit bien s'attendre à faire des exercices quotidien."

S'il était des hommes qui s'adonnaient à l'art de la guerre, c'était bien les prêtres d'Othar. Il fallait être fou de penser se reposer en intégrant un ordre de cette divinité. Renaud avait tiqué sur une parole de son interlocuteur, quand il avait parlé de leur condition de Chevalier. L'ordre ne devait pas être pauvre pour assurer le train de vie de chevaliers

"Tous les membres de votre ordre on été adoubé ?"

« Je suis d'accord avec vous, Votre Altesse. Mais, en tant que chevaliers religieux, les Marcheurs Austères ne peuvent pas ignorer le regard des Dieux. »

Garder les pieds sur terre, la tête sur les épaules et l'esprit frais : tel était le meilleur moyen d'être juste et serviable. D'une certaine manière, un prêtre ou un paysan fier du service rendu par le chevalier rendrait fier les Dieux. Cela signifiait que le chevalier avait complété sa quête par un succès. Parfois, une récompense pécuniaire pouvait être remise, mais l'Ordre n'en demandait pas tant, surtout lorsqu'ils avaient été une personne ou une famille très pauvre. Cela rappelait à tous que l'Ordre n'était pas une bande de mercenaires sans scrupules. Les chevaliers acceptaient gracieusement les paiements venant de personnes moins modestes, tels que les marchands ou artisans, ou même par les clercs.

« Nos exercices sont quotidiens, et, quand l'occasion s'y prête, nous nous entraînons deux à trois fois par jour. Athlétisme, corpulence, combat, tir à l'arc… nous ne délaissons aucun domaine afin de demeurer dans les meilleures conditions physiques et psychologiques à tout moment. »

Chaque nouveau venu avait alors transpiré de tout son être pour s'adapter à une telle exigence, mais ils s'étaient fait une raison et appréciait de tels entraînements. Kolgrim se souvenait des premières séances avec ses nouveaux frères d'armes. Le bougre se retrouvait essoufflé dès les premières minutes de l'entraînement, se demandant comment il tiendrait jusqu'au bout sans s'écrouler sur le sol d'épuisement.

« Oui, nous sommes tous adoubés, du Grand Maître jusqu'au plus humble membre. Seuls notre trésorier, notre scribe et notre intendant ne le sont pas. Pour ces rôles, nous avons préféré faire appel aux services de personnes spécialisées pour cela. Nous sommes donc vingt-quatre chevaliers aujourd'hui. » répondit Kolgrim, qui s'interrompit un instant. « Nous n'avons hélas pas les moyens de financer et recruter miliciens et hommes d'armes en tout genre. De plus, notre Sanctuaire est trop petit pour cela. Jusqu'à maintenant, nous avons au mieux compensé la quantité par la qualité. »