Mon papa à moi c'est le plus fort de la terre [Kerath]

Un peu avant les évènements potentiellement horribles de la deuxième de Karfias, an 17, cycle XI

Même les noirelfes ont parfois besoin de repos. Même les sombres ont parfois besoin de laisser leurs manigances derriere eux. Shyn'tae ne manigançait pas beaucoup, mais en cette belle journée ensoleillée, elle s'était trouvée à cours de travaux. C'était étonnant et elle avait du verifier par deux fois qu'elle ne faisait pas erreur: La conclusion avait été sans appel, et sans doute possible. Il ne lui restait rien de particulier à faire.

De plus, ses mages étaient soit en mission, soit eux-mêmes en repos. Elle était allé discuter avec ceux en alerte en cas de quelque coup dur, puis, lorsque chacun s'en était allé de son coté attendre que l'impossible n'arrive, elle s'était retrouvée sans occupation. Il ne lui restait plus qu'une seule chose de raisonnable à faire dans ces circonstances.

Le regard brillant, elle avait décidé de reprendre ses recherches magiques. Un cercle de terre dénudé, un tapis, des parchemins vierges, des mines de plomb, une plume et son encre, sa pile d'ouvrages théoriques. Il y avait tant d'idées nouvelles qu'elle voulait éprouver, tant d'idées à évaluer, à ajuster, à éliminer.

Elle s'arrêta au milieu de ses travaux. Sa plume s'était brisée, usée probablement par le volume de paperasse qu'elle complétait chaque jour. Couchée à plat ventre sur le tapis, elle envisagea les options à sa disposition. Elle pourrait envoyer un esclave lui en procurer une nouvelle… Mais il y avait de bonnes chances qu'elle ne convienne pas, la daedhelle préférait tester la dureté avant d'acheter. Et il ne reviendrait pas tout de suite.

Shyn'tae soupira, puis se leva. Elle n'était jamais retournée à frontière depuis le départ d'Irulan, surtout parce que sa raison principale d'y aller avait disparu. Satané Dante. Abruti de Kerath, et ce même si elle classait l'humain largement au dessus du second dans l'échelle de la crétinerie. Et ce n'était pas peu dire.

***

La jeune drow déambulait entre les étals. Les éclats de voix humaines et drow emplissaient l'air en une cacophonie rugissante. Des enfants couraient au travers de la foule des acheteurs, des vendeurs et des simples passants. Elle ne portait aucun signe distinctif de sa fonction, mais les humains n'en prenaient pas bien garde, pour la plupart, à éviter de bousculer une elfe noire armée. Quand bien même ils n'avaient supposément pas l'autorisation de sortir les armes sans avoir été provoqués d'abord, les accidents arrivaient parfois. Le peuple d'Uriz n'avait pas la réputation de faire preuve de retenue.

Elle avait déjà trouvé une plume qui lui convienne. Le marchand avait tenté de lui vendre de magnifiques specimens ornés d'or ou du moins d'un metal qui y ressemblait, pour un pris censément defiant toute concurrence, mais somme toute incroyablement élevé. L'animal dont provenait ladite plume était censément rare et lointain. Mais la drow ne cherchait pas une plume rare et lointaine. Elle ne cherchait pas une plume cerclée d'or. Elle cherchait une plume avec laquelle écrire. Faire comprendre cela avait été difficile, elle pensait que l'humain avait failli mourir de peur lorsqu'elle s'était agacée, mais le résultat en valait la peine.

Son regard fut attiré par un étal un peu particulier. Elle s'arrêta, les oreilles tendues, le visage surpris. Puis elle s'approcha lentement, mue par une curiosité implacable. Un sourire malicieux apparut sur son visage.

- Qu'est ce que c'est? D'une voix douce, son Oliyan teinté de l'accent du Puy, elle pointait du doigt sa trouvaille. Le commerçant se tourna vers elle.

***

La drow franchit sans difficulté le périmètre du camp nord. Les gens d'ici ne l'appréciaient pas, mais savaient respecter la hiérarchie et l'autorité. Nombreux sont ceux qui la prenaient pour une opportuniste, un peu moins pour une lâche depuis qu'Uriz s'était abstenu de la tuer. A la place, elle était certaine qu'on la murmurait hérétique: Elle ne s'était pas agenouillée devant le dieu. Qu'elle importance, ils pourraient croire ce qu'ils désiraient, car on pouvait voir le mal en toute chose, il suffisait de bien chercher. Elle n'avait fait que ce qu'elle avait à faire.

Mais en traversant le camp d'un pas decidé, elle n'en salua pas moins ceux qu'elle croisait avec le respect qui était du à des hommes qui pour beaucoup avaient déjà affronté la mort pour l'Elda.

Derriere elle flottait une caisse qui l'accompagnait comme un animal docile accompagnerait son maitre. C'était un exercice d'endurance et de concentration intéressant. Et si quelques gouttes de sueur brillaient sur sa peau d'ombre, elle était plutôt satisfaite de sa performance.

Quelques minutes plus tard, elle était introduite avec sa cargaison dans les quartiers de l'Obok du 2ieme Ost. On ignorait si le mâle serait disponible immédiatement, et la Phord'ur informa les soldats qu'elle pouvait attendre. Nul doute que la rumeur de la présence de la fille de Kerath et de la drôle de cargaison se diffusait peu à peu au travers du camp.

Shyn'tae s'accroupit pour entrouvrir la caisse. Avait-elle eu vraiment une bonne idée? Non, probablement pas, mais elle n'avait pas pu resister non plus.

En effet Kerath n’était pas disponible immédiatement et ne le serait pas tout de suite car il supervisait un exercice. Il faut dire que les sièges c’est très ennuyeux et que les soldats ne savent pas forcément pourquoi ça prend autant de temps, étant donné que la majorité n’a pas le grade pour être autorisé à en savoir plus il fallait les occupés sinon ils se mettent à réfléchir et un soldat qui réfléchit ça fait forcément des conneries. Alors c’était justement ce que faisait le Senger : occuper ses troupes. L’exercice du jour se passait en dehors du camp nord, à une petite heure pour être précis, dans une ancienne seigneurie qui avait dû être pacifiée peu avant de monter le siège. Cependant aujourd’hui l’exercice n’était pas seulement pour les troupes, les officiers étaient aussi visés même si ce n’était pas pour la même raison. En effet même si le problèmes est quelque peu différent avec les gradés, encore que, pas tous, il fallait bien les tenir en état de commander sinon ça risquait d’être compliqué au cas d’attaque.

Dans un camp de fortune, l’exercice ayant été planifié la veille l’infrastructure laissait donc à désirer, Kerath n’était là qu’en simple observateur et il regardait un éclaireur faire son rapport : l’ennemi approchait par l’ouest et serait ici sous peu. Un autre éclaireur entra au galop dans le camp et le Senger haussa un sourcil en voyant qu’il ne faisait pas partie du premier régiment, le soldat ne s’arrêta pas devant Gor’Vel contrairement à ce que cette dernière attendait mais il stoppa son cheval devant son général, il mit pied à terre et après un bref salut Kerath l’autorisa à parler.

« La Phord’ur vous demande. »
« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »
« Aucune idée, elle n’a rien dit. »
« Alors elle attendra. »

L’éclaireur salua une fois de plus avant de ressauter en selle pour repartir au camp nord. Kerath se tourna vers Gor’Vel qui disait à une poignée d’éclaireurs de transmettre l’ordre aux escouades dans les environs de revenir sur le champ. Mais ils n’arrivèrent pas à temps, la force ennemie se trouvait déjà au camp, du moins si on pouvait appeler ça un camp, alors la veldruk fit ce qu’elle pouvait avec ce qu’elle avait, c’est-à-dire pas grand-chose. L’objectif étant de tenir le temps que les renforts arrivent et ils arrivèrent au compte-goutte ce qui ne fut pas suffisant ; en grave infériorité numérique les forces de Gor’Vel se firent rapidement encerclées, il y eut bien quelques drows qui, consumés par la frénésie du combat, n’avaient pas reconnu leur général. Pour leur défense il ne portait pas son habituelle armure rouge mais ça ne l’empêcha pas de repousser ses assaillants, il aurait simplement quelques bleus dans l’heure qui allait venir.

Une fois que la totalité des deux régiments qui participaient à l’exercice furent dans le camp, en réalité il ne manquait que les escouades que Gor’Vel avait rappelé et que les dernières bribes d’agressivité c’étaient dissipées, il fut temps de déterminer ce qui avait mal tourné. Shyn’tae avait donc attendu longtemps avant que Kerath ne rentre et lorsque ce fut le cas il n’alla pas directement dans sa tente, en effet il fallait prier. La grosse majorité des prières au sein du Second Ost se faisant en commun quel Senger serait-il s’il ne les faisait pas avec ses troupes ? Lorsque finalement il entra dans sa tente sa très chère fille avait eu le loisir d’attendre quelques heures et Kerath la salua d’un hochement de tête.

« Tu voulais me voir? »

L'ouverture de la boite, et l'examen attentif de son contenu confirma à la Phord'ur qu'il était arrivé en bon état. C'était un soulagement car le contraire aurait certainement mené à une situation quelque peu dérangeante. A tout bien réfléchir, la situation serait dérangeante quoiqu'il arrive, mais c'était justement ce qui faisait le sel de la vie. Au moins n'aurait-elle pas dépensé cette somme folle en pure perte. Shyn'tae savait depuis longtemps que l'argent servait à quelque chose. A exactement ce genre de trucs.

La daedhelle était à peu prés certaine que son père la ferait attendre. C'était un moyen simple et efficace d'instaurer un rapport de force. L'un disait à l'autre qu'il était important, puisqu'il désirait le rencontrer. L'autre répondait en le faisant attendre, démontrant ainsi que le premier ne l'était pas. Dans la mesure où Shyn'tae avait déjà une idée assez claire de ce que son paternel pensait d'elle et qu'elle pensait n'en avoir rien à fiche, cela tenait plus lieu de la figure de style que de l'insulte. Et qui sait, peut-être était-il véritablement occupé. C'était même assez probable. Et elle devait bien avouer qu'elle s'en voudrait s'il devait interrompre ses activités pour une chose aussi triviale.

Premiere heure

Elle déplaça sa cargaison avec douceur, puis parcourut la tente. Elle admira les détails de chaque armure que l'Obok gardait dans sa tente.  Des ouvrages de qualité dont la structure portait parfois les marques de chocs violents, en particulier son emblématique armure rouge. Puis les armes. Le marteau d'abord sur son piédestal. Une belle pièce qu'elle n'avait jamais eu l'occasion d'observer de prés jusqu'à présent. D'un pas léger, elle fit le tour de l'arme, les doigts de sa main glissaient sur l'acier. Bien forgé. Ses yeux scrutaient les motifs. Métal globalement homogène. Quelques lignes de fractures pendant le refroidissement, comme c'était à attendre. On ne le briserait pas facilement.

Puis un léger sourire au lèvre, elle passa à l'épée bâtarde. L'arme qu'il avait fait forgé à partir de celles de la despote et de Dante? Ses doigts fins glissaient sur l'acier froid en une caresse sensuelle. Son corps svelte se tendit, puis coula tel celui d'un chat. Ses pupilles se rétrécirent plus encore. Elle reconnu les matières, fondues en une seule masse. Le forgeron avait fait un bon travail, compte tenu des contraintes qu'on lui avait imposé. Faire une lame à partir de plusieurs lingots était toujours ardu. L'artisan avait du pester, mais il l'avait vraiment fait. Quel gâchis toutefois. Elle aurait pu l'aider à faire tellement mieux. C'était du bon acier.

2ieme heure

Le bruit de la toile qu'on tire sorti la magicienne de sa contemplation. Quelqu'un entrait dans la tente. Déjà? C'était étonnant. La magicienne se retourna pour accueillir celui qu'elle imagina un instant être le maitre des lieux. Non, son pas était trop léger. Devant elle se trouvait Na'ri, accompagnée d'un plateau de biscuits. Un sourire apparut sur les lèvres de Shyn'tae

"J'ai entendu dire que tu étais ici, et j'avais quelques biscuits à partager." La prêtresse de Kiran était vraiment mignonne. La magicienne ne put que la remercier.

3ieme heure
Na'ri était partie accomplir, laissant derriere elle suffisamment de biscuits pour la tenir occupée. Shyn'tae commençait à se sentir agacée. Quoiqu'il eut à faire, s'il avait prévu que cela prenne autant de temps, il aurait pu au moins la faire prévenir. Elle avait séparé les biscuits en deux tas. L'un prévu pour elle, l'autre pour Kerath.

Elle hésita quelques instants, puis préleva un biscuit sur son tas à elle, et le glissa sous la couverture qu'elle avait placé sur le mystérieux contenant qu'elle avait amené avec elle. Penchée en avant, sa chevelure tombant par dessus son épaule, elle resta immobile un long moment, puis finalement se redressa, sa curiosité satisfaite. La drow glissa un second biscuit sous la couverture.

Saisissant alors Eveil, elle fit quelques pas de danse au travers de la petite tente, mais s'aperçu que l'exiguïté du lieu compromettait sérieusement tout projet d'ampleur. Pousser les murs serait certainement mal vu. Elle se sentit d'autant plus agacé, et, avisant l'autel dédié à Uriz, la daedhelle s'agenouilla et entama une longue prière, sans prendre pour autant la peine de se placer devant, car c'est ce que son père aurait fait. Uriz n'avait pas besoin d'un endroit dédié. Il était libre. Shyn'tae se dit que c'était un peu gratuit.

4ieme heure

C'était son dernier biscuit, mais il restait encore la pile de l'Obok. S'il ne se dépêchait pas, elle y passerait à son tour, et le vieil abruti serait privé de succulentes friandises. Penchée devant la boite, dos à la porte, elle le glissait du bout des doigts sous la couverture, attentive, un sourire aux lèvres, le regard pétillant.

Lorsque soudain quelqu'un entra dans la tente. La daedhelle, s'apercevant de sa posture possiblement gênante, se redressa aussitôt pour se retourner vers lui avec la souplesse d'un félin. Enfin, Kerath était là. Elle lui rendit son salut avec entrain.

- Oui, je suis tombé par hasard sur quelque chose à Frontière, et lorsque je l'ai vu, j'ai pensé à toi. Je n'avais jamais rien vu de tel auparavant." Difficile à dire s'il y avait de la malice dans ce qu'elle venait de dire. En tout cas elle avait l'air sincèrement enthousiasmée.

Sa main valide vint se poser sur la couverture, qu'elle arracha d'un mouvement sec. Sous la couverture se trouvait une cage, et dans la cage, une petite créature ronde, équipée d'ailes et d'yeux en soucoupe, observait alternativement les deux sombres.

La petite créature frémissait dans sa cage. Pour tout dire, elle avait l'air particulièrement fâchée.



Shyn'tae observa quelques instants la créature, puis se tourna vers Kerath, la mine pensive.

- Je lui trouve comme un air de famille. Non? Il aime les biscuits. Et il m'a mordu le bras tout à l'heure. Je voudrais te l'offrir en cadeau. Ah, Na'ri t'offre des biscuits aussi." Et en effet, bien qu'elle n'ait pas l'air de s'en soucier trop, une série de vilaines marques de dents minuscules ornaient son bras droit.

Il ne savait pas vraiment ce qu’elle voulait mais en la voyant réagir ainsi il craignait le pire mais pour une fois il pouvait bien lui laisser le bénéfice du doute avant de lui dire de partir de sa tente parce qu’il avait des choses à faire. En réalité il n’avait pas grand-chose à faire, rien de bien pressant en tout cas, mais il détestait perdre son temps, et il détestait encore plus le perdre à cause de sa fille. Kerath suivit des yeux, de son expression neutre habituelle, le mouvement de Shyn’tae pour révéler le mauvais coup qu’elle préparait.

Le Senger regarda la cage pendant un moment sans rien dire, ne réagissant ni à l’animal qui sauterait bien sur les deux drows s’il le pouvait, ni à ce que disait sa fille. Cela dit elle n’avait pas tort, il y avait bien un air de famille. En effet il n’y avait qu’à lui griser la peau et lui rougir les yeux pour donner une version bagronnesque de Kerath, il avait déjà les cercles jaune autour des yeux et des petites tâches grises sur le corps ; le général se disait qu’en allant voir Na’ri peut-être qu’il y avait quelque chose à faire pour modifier ça. Et même s’il se méfiait de tout ce qui venait de Shyn’tae, il aimait déjà énormément cette bestiole parce qu’il l’avait mordue alors il ne pouvait pas s’agir là d’une mauvaise bête. Il se retourna vers les biscuits de Na’ri avec une certaine solennité et en prit un pour le briser en deux et s’agenouilla devant la cage pour observer son nouvel animal de compagnie puis après avoir mangé la première moitié il donna à l’animal la seconde. Il faisait comme Malal lui avait montré lorsqu’ils étaient allés chercher le chaton à pointe qu’était Murrpau, si ça marchait avec un félin à pointe ça devait bien marcher avec une petite créature comme un bagron. Il chercha le mécanisme pour ouvrir la cage et lorsqu’il le trouva il découvrit que la prison qui retenait l’animal était déjà déverrouillée alors il l’ouvrit. Le bagron en sortit en crachant des flammèches pour gagner de l’altitude et Kerath recula brusquement pour éviter de se faire roussir le visage tombant à la renverse, emportant ce qui se trouvait derrière lui dans sa chute.

Flottant dans la pièce en battant parfois des ailes, le bagron poussa un couinement triomphal en voyant qu’il avait terrassé le grand daedhel. Ce dernier se releva en grognant quelque chose puis il tendit une main secourable à Shyn’tae pour l’aider à faire de même, une fois sur ses deux pieds, Kerath en profita pour serrer sa fille dans ses bras ; peut-être un peu trop fort mais quand on a pas l’habitude de faire des câlins c’est pas si facile qu’on le croit de contrôler sa force.

« Merci. » Souffla-t-il en lui frottant le dos d’une de ses grosses mains calleuse.

Shyn'tae s'attendait à beaucoup de choses. A des mots durs déjà, éventuellement à une insulte ou deux, à du mépris peut-être. Elle s'y était même préparé mentalement, même si elle savait que c'était inutile. Ses mots, même si elle aurait du y être habituée, parvenaient toujours à provoquer en elle une colère bien trop difficile à contrôler.

Le silence envahit la tente, entrecoupé seulement par le vent qui soulevait légèrement les toiles. Shyn'tae observait le drow impassible. Puis il s'avança jusqu'à la cage, la dépassant. Avait-elle fait une erreur en achetant cette drôle de créature? Il fallait bien admettre qu'elle l'avait fait sur un coup de tête.

Le drow massif se pencha sur la cage, elle s'écarta légèrement pour lui laisser de l'espace. Devait-elle lui dire de se méfier? Sur son bras, la vilaine trace de bec et la brulure laissée par le crachat de l'adorable créature la faisait toujours souffrir. Heureusement, Kerath n'avait apparemment pas remarqué qu'elle avait vidé son broc sur son bras pour éviter de plus substantiels dégâts.

Kerath ouvrit la cage, Shyn'tae se poussa légèrement sur le coté. "Atten..." Soudain, une flammèche s'échappa de la cage, le bagron en colère également, et Kerath bascula en arrière. Le bras du drow percuta avec tendresse la mâchoire de sa fille, qui fut précipitée au sol par la même occasion.

Allongée par terre, une bosse à l'arrière du crane, les maxillaires douloureuses et à moitié étouffée par la masse de Kerath, Shyn'tae admit qu'elle ne s'attendait pas à ca. La bestiole les observait, triomphante, de deux grands yeux qui contenaient toute la plus mignonne colère du monde.

Puis Kerath la libéra. La daedhelle était sur le point de se relever lorsqu'entra dans son champs de vision la main de l'Obok. Elle était tendue vers elle. Elle en resta interdite quelques secondes. Était-ce un piège?  Finalement, à moitié couchée sur le dos, elle la saisit. Son père la releva comme si elle ne pesait rien.

L'instant d'après, il la serrait contre lui de ces grosses pattes. La drow resta interdite, incapable de comprendre ce qui était en train de se produire. Du moins jusqu'à ce qu'elle s'aperçoive qu'il l'écrasait et qu'elle risquait d'étouffer sous peu. Elle hésita, puis, hésitante et maladroite, le serra contre elle quelques instants. Quelques secondes de plus.

- De rien. J'ai seulement fait ce qui me paraissait... bien." Elle se sentait stupide. Il y avait quelque chose d'autre qu'elle voulait demander, ce qu'elle fit d'une voix plus faible en tapotant son flanc, car elle avait du mal à atteindre son dos. "Tu.. pourrais serrer un peu.. moins fort?"

Lorsqu'il s'exécuta, elle se libéra doucement, et lui sourit sans malice. Le bagron les observait, manifestement très désapprobateur devant une telle effusion de tendresse. " Merci. " Peut-être fallait-il mieux changer de sujet. Elle était gênée.

- Je.. vais vous laisser faire connaissance." Elle le salua, puis s'apprétait à partir lorsqu'elle se ravisa soudain. "J'ai vu l'épée que tu as fait forgé avec les armes de la despote et de l'ombre. C'est une belle pièce. Mais… pourrais-je te demander un service? Je pense que je pourrais la renforcer. Tu serais prêt à me la prêter pour cela?"

Kerath avait voulu un bagron depuis… depuis très longtemps. En effet avec un ost aussi proche de Zhak’Bar on développe des goûts pour les créatures ressemblants plus ou moins à un dragon mais malheureusement il n’avait jamais trouvé la créature qui lui rappelait le Foudre de Guerre alors voir ce simulacre de dragon avait suffi à conquérir le cœur bien caché sous la tonne de muscle pectoral du Senger. D’ordinaire il lui aurait dit que pour une fois elle faisait effectivement ce qui était bien mais ce n’était pas vraiment le moment et puis pour une fois il n’y pensait pas trop. Ne sachant pas trop quoi répondre aux remercîments de Shyn’tae, il fallait admettre que ça n’arrivait pas tous les jours alors il resta silencieux, indécis. Il fut presque soulagé qu’elle change de sujet et il la regarda s’en aller. Il sentait qu’il devait dire quelque chose mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Il n’avait pas l’habitude de complimenter qui que ce soit et le merci qu’il avait donné à sa fille était déjà beaucoup pour lui, surtout à Shyn’tae. Non pas qu’il refusait de voir ou d’admettre quand elle faisait quelque chose de bien mais c’était tellement rare que Kerath s’attendait toujours à ce qu’il y ait un truc pour tout ruiner. Comme c’était souvent le cas.

Alors c’était avec des sentiments mixes qu’il la vit se retourner. Il allait préciser que ce n’était pas lui qui l’avait faite, il faut rendre à Keftil ce qui est à Keftil comme on dit, mais ça ne servait à rien, elle le savait sans doute ; Kerath savait se servir des armes mais pas les faire et ce n’était pas du tout un secret. Cependant s’il y avait justement un sujet sur lequel il ne plaisantait pas c’était bien ses armes et les prêter était une chose qui le répugnait, elles étaient à lui et si quelqu’un les prenait c’était parce qu’il avait vaincu le Senger et qu’il les gardait comme trophée, comme Kerath faisait en somme. Mais cette épée-là avait une particularité, non pas dans sa confection ou dans son ornement, le général était d’une austérité à pleurer, mais bien dans ce qu’elle représentait. Et puis il se méfiait un peu de sa fille, deux cadeaux à la suite ça cachait quelque chose…

« C’est un trophée et un symbole. » Il hésitait encore, regardant Shyn’tae en se demandant pourquoi est-ce qu’elle se montrait soudain aussi affectionnée qu’utile. Il se demandait également ce qu’elle demanderait en échange mais il céda finalement en poussant un soupir, c’était une façon comme une autre de la mettre sur la bonne voie. « Prends la. » Il supposait que préciser ce qui se passerait si jamais il retrouvait son épée en morceau, ou qu’il ne la retrouvait pas du tout d’ailleurs. Il se retourna pour en prendre la poignée et d’un mouvement du poignet il fit tournoyer la lame pour présenter à sa fille ladite poignée. La lame reposa pendant un instant en équilibre sur la paume de sa main avant qu’il n’aille prendre en tenaille l’acier de sa main nouvellement libre. Il attendit qu’elle s’en empare pour la bloquer avec la pince que formait ses doigts.

« Mais avant que je te la laisse... pourquoi est-ce que tu fais ça ? »

Shyn'tae avait émis sa requête avec grand sérieux, mais n'avait pas cru pour autant qu'il accepterait. Aurait-elle accepté de prêter Eveil? Aurait-elle était prête à lui prêter Eveil? Et d'ailleurs, lorsqu'elle l'entendit lui répondre, elle hocha la tête, et était prête à lui dire qu'elle comprenait qu'il ne souhaite pas s'en séparer. S'il y avait un sujet qui avait de l'importance pour elle, c'était celui là. Il y avait si peu qui valait plus que sa plus fidèle compagne.

Mais son père lui avait finalement répondu de la prendre. Cette journée était décidemment hors du commun. Elle l'avait sentit hésité, elle l'avait sentit soupirer. La demoiselle sourit avec sincérité. Elle aimait le metal.

Sa fille tendit une main fine, ses doigts vinrent caresser la poignet, qu'elle saisit avec douceur. Lui la retint du bout des doigts. Elle ne força pas, son regard quitta la lame pour se plonger dans le sien. Pourquoi?

C'était une bonne question, elle lui devait bien ca, réfléchit-elle. Il était méfiant, elle l'aurait été aussi à sa place. Leurs discussions témoignaient aisément du degré d'incomprehension qui régnaient entre eux. Pensait-il même qu'elle soit capable d'une chose qui le rende fier? La sombre déglutit, immobile, la main sur la poignet.

- L'épée? Celui qui l'a forgée est très talentueux. l'équilibre de la lame est excellent… Mais le forgeron a du être frustré par le résultat. Réaliser l'alliance d'aciers différents… C'est une tâche qui relève de l'impossible, et.. malgré tout je vois qu'il y a mis tout son art. Ce n'est pas vraiment pour toi. C'est pour lui… C'est pour elle." Il y eut un silence. "Je peux achever le travail, en faire quelque chose de plus grand que la somme de ses parties." Elle se sentait un peu idiote. En effet il avait raison, ca ne la regardait pas. Mais quand-même. "Je ne sais pas si c'est suffisant. Je veux seulement… faire bien, du moins autant que j'en suis capable. Et puis… c'est un beau défi à remporter." A la fois restructurer la lame et conserver l'art de l'artisan qui l'avait initialement travaillée. Ce serait honteux qu'elle échoue.

Avait-elle une seule fois parlé à Kerath sans le faire avec colère? Elle détourna le regard. "Pour une fois, je ne t'en tiendrai aucune rigueur si tu refuse. Comme tu l'as dit, c'est un trophée et un symbole. Cela lui donne toute sa valeur."