Curieux... | Grayle & Modeste

3ème jour de la 5ème ennéade
Karfias de l'An 17:XI

Il est des étals où on laisse volontiers un peu de marchandise dehors pour appâter le client. Mais ces commerces là vendent des produits qui ne coûtent pas bien chers. D'autres sont contraints de s'enfermer dans leur établissement qui sert souvent d'atelier au passage. Mais alors, comment faire entrer le passant dans son échoppe ? Pour tout ce qui a une utilité, il suffit d'installer une pancarte sur laquelle est dessinée l'icône représentant le mieux son métier. Du linge pour la blanchisseuse, du cuir pour un tanneur, du marteau pour le forgeron... Et qu'en est-il pour ceux qui ne vendent que le superflus ?

Dans cette rue commerçante de Thaar, une boutique avait fait preuve d'inventivité pour se faire reconnaître du passant, attirer son regard et lui donner envie de passer au-delà de cette jolie devanture hors du commun. Ici, nul écriteau et nul icône. Seulement des éléments incrustés dans le bois encadrant les fenêtres et des détails peints avec précision. Les éclats arboraient des couleurs brillantes et chatoyantes qui ne pouvaient que retenir le regard de celui qui y prêterait un tant soit peu attention. Rien de très précieux là-dedans, il ne s'agissait en aucun cas de pierres ou de joyaux. Cela ressemblait plus à un mélange entre la terre cuite et le verre.
En regardant par la fenêtre, on pouvait découvrir un grand comptoir qui faisait toute la largeur de la pièce et bloquait visuellement le passage vers l'arrière de la boutique. Derrière se trouvait quelques établis mais impossible d'en voir plus sans entrer... Là, le visiteur découvrirait alors un homme et une femme œuvrant chacun de leur côté. L'un semblait plutôt porté sur la peinture de petites pièces et l'autre sur une sorte de joaillerie assez atypique. Les murs de part et d'autre de la pièce disposaient d'étagères sur lesquelles étaient disposés vaisselle décorative mais aussi bijoux pour tus les goûts et toutes les bourses.

La porte s'ouvrit et quelqu'un entra. Un visage se releva vers le visiteur. Le peintre s'occupait visiblement d'une cliente et il n'y avait plus que la jeune joaillière de disponible. Elle étira un sourire en découvrant le visage du nouveau venu et abandonna son travail, reposant soigneusement ses outils avant de se lever. Elle retira son tablier orné de poudre de milles couleurs afin de se rendre plus présentable et s'avança vers le comptoir.

-Bonjour. Je peux vous aider ?

Afin de dégager son visage, elle avait attaché ses cheveux en un chignon facile à réaliser et élégant. L'épingle qui les maintenait en place était visiblement ornée avec le même matériau que sur la devanture. Même si une mèche avait réussi à s'en échapper, elle la laissait tranquille car elle trouvait que cela lui donnait un certain charme. Elle aimait se sentir belle sans pour autant en faire des tonnes. C'était une jeune femme qui était tout en finesse et en simplicité. Elle portait une robe légère cintrée à la taille dont le rouge foncé se mariait très bien avec ses cheveux et faisait ressortir la fraîcheur de ses yeux bleus foncés.

-C'est pour offrir ? Ajouta-t-elle avec douceur et gentillesse pour aiguiller le jeune homme.

La joaillère eut un sourire espiègle à la première question du jeune homme. Elle se pencha légèrement en avant et parla à demi-voix.

-C’est mon travail. Lui dit-elle, tel un secret.

Elle se redressa avec un petit rire amusé. Elle ne se moquait en aucun cas de lui, elle semblait insouciante et rieuse, heureuse de vivre tout simplement. Elle remarqua bien vite l’accent étranger du nouveau venu mais elle ne pouvait malheureusement pas l’aider. Elle ne parlait que l’elfique et l’oliyan et ne saurait traduire un mot venant d’une autre langue. Elle dut donc le laisser chercher ses mots jusqu’à ce qu’il parvienne à exprimer son idée. Elle ne fut guère surprise lorsqu’il lui parla d’une femme. Après tout, il n’y avait que peu de raisons pour lesquelles un homme entrait dans ce qui avait tout l’air d’une bijouterie. Cependant, elle continua à jouer la carte de la clairvoyance propre à la vendeuse qui savait anticiper les besoins de ses clients.

-Je m’en serais doutée. Un bel homme comme vous, il ne pouvait y avoir qu’une femme là-dessous. Rétorqua-t-elle avec un sourire espiègle. Puis elle réfléchit un peu plus sérieusement à sa demande. Quelque chose de discret et de pratique en somme ? Nous avons un certain nombre d’articles qui correspondraient mais si vous voulez vraiment lui faire plaisir, il faudrait être sûr de ce qui pourrait lui convenir. Les épingles comme la mienne sont très bien mais il faut être assez statique pour que ça tienne dans la durée par exemple. Joignant le geste à la parole, elle la retira d’un simple geste pour montrer à quel point il était facile de la perdre et de devoir se recoiffer dès que l’on bougeait un peu trop. Elle ne chercha cependant pas à se recoiffer et posa l’épingle sur le comptoir devant elle, sa chevelure aux reflets cuivrés cascadant désormais dans son dos. Parlez-moi un peu d’elle. Je vais vous aider à trouver le cadeau parfait. Lui assura-t-elle avec sincérité, un peu comme l’aurait fait une amie qui aurait voulu l’aider à séduire ladite femme.

Modeste écouta le jeune homme parler de la belle Miriel avec un sourire doux et attendri aux lèvres. Celle trouvait cela curieux qu'il veuille acheter quelque chose pour une femme qu'il ne reverrait peut-être jamais... Il devait vraiment tenir à elle, à moins qu'elle n'ait tout simplement marqué son esprit de manière indélébile. Dans tous les cas, elle le trouvait touchant et ne chercherait pas à le dissuader de renoncer.

Lorsqu'il eut fini sa description, la jeune femme sembla se mettre à réfléchir. Elle se fit un résumé des informations transmises par son client afin de mieux entrevoir quel cadeau pourrait convenir à une femme comme elle.

-Une guerrière, dans les tons blancs et gris... Donc, déjà, ça... dit-elle en levant son épingle à cheveux devant elle, on oublie. Il faut quelque chose de pratique mais aussi de solide et de discret.

Elle laissa l'objet sur le comptoir et se dirigea vers une étagère, se rendant directement devant le présentoir qu'elle cherchait. Elle le ramena et le posa devant le péninsulaire.

-Quand je danse, j'utilise celles-ci. Elles fonctionnent plutôt sur le principe des broches. Une fois que l'on a maîtrisé la technique pour les mettre, ça ne bouge plus. Sinon, dans le même esprit... Elle se tourna de nouveau vers ses étals, prit deux autres présentoirs et les plaça à côté de l'autre. Ça, ce sont des broches pour maintenir une cape et ça des boucles pour des ceintures ou des sangles. Etant donné ses cheveux et ses yeux, je vous recommande plutôt des couleurs douces. Les tons rouges, roses, oranges seront trop criards. Ça ne se mariera pas bien avec son teint, sans parler de la discrétion... On va éviter un gris qui ne se verra pas, autant lui apporter un soupçon de couleur... Peut-être un bleu ou un vert foncé ?

Tout en réfléchissant à voix haute, elle désigna les objets qui correspondaient aux couleurs auxquelles elle faisait référence sur les trois présentoirs. Puis elle releva les yeux vers le client afin de sonder son regard et voir si quelque chose lui convenait ou non.

-Si vous ne trouvez pas votre bonheur, nous pouvons aussi créer quelque chose rien que pour elle.

Modeste lui autorisa à prendre une broche dans ses mains comme si cela allait de soit. Les prix étaient indiqués sur de petites étiquettes suspendues sur chacun des objets. Ils variaient en fonction du type d'article et de la matière utilisée comme support. Les bases en or et or blanc étaient évidemment plus chères que celles en argent ou en étain. Ces dernières étaient d'ailleurs plutôt abordables.

-Hum... Si elle ne porte pas de cape, inutile de partir sur une broche pour la maintenir. Mais ça fonctionne aussi sur les robes si elle en porte des comme ça. Elle posa une main sur son épaule. Ça s'accroche ici en général. Il peut y en avoir à la base de la nuque aussi. Vous l'avez déjà vu en porter ?

Si elle connaissait son travail de vendeuse, elle ne tenait pas non plus à vendre absolument tout et n'importe quoi. Il était inutile que cet homme achète quelque chose pour que cela ne plaise pas, c'était à l'opposé du principe même d'offrir un bijou.

-On peut aussi s'en servir de broche tout de qu'il y a de plus normale si elle a l'habitude de s'habiller autrement qu'en guerrière et de se faire un peu jolie. Sinon, on peut aussi penser à quelque chose de totalement personnalisé...

Se faisant, elle sembla chercher quelque chose autour d'elle puis attrapa une feuille vierge et un fusain. Elle se décala de quelques pas pour s'asseoir sur un tabouret et invita son client à prendre face sur celui qui se trouvait de l'autre côté du comptoir, en face d'elle. Elle se mit aussitôt à crayonner d'un geste habile et précis. La curiosité du jeune homme l'amusa et elle étira un nouveau sourire.

-Ma mère est prêtresse d'Arcam, je danse un peu de tout. Elle m'a aussi appris la musique même si je préfère le chant. Un de ses amis m'a enseigné les arts plus... matériels : le dessin, la peinture, la poterie... et la confection de bijoux.

Ce n'était pas la seule chose à laquelle il l'avait initiée mais elle avait déjà plus que répondu à la question du péninsulaire. Cependant, puisqu'ils n'avaient rien de mieux à faire le temps qu'elle achève son croquis et qu'il avait entamé la discussion...

-Et vous ? Pourquoi êtes-vous venu jusque dans nos chaudes contrées ?

Modeste ne voyait pas l’incohérence dans ses paroles car elle avait trop peu d’informations pour comprendre la situation de son client. Ici, on ne manquait pas d’esclaves et jamais l’ancien servant des eldéens n’avait évoqué le Puy avant ces dernières explications. Cependant, lorsqu’il évoqua la chose, elle releva la tête de son croquis, surprise de le voir en parler de la sorte… Avec un tel détachement et sans la moindre honte ni le moindre complexe, pas même une censure pour les jeunes oreilles d’une inconnue. Fort heureusement pour lui, la bijoutière n’avait pas toujours eu la vie facile et, même si elle n’avait pas souffert autant que lui, elle savait tout comme lui que le monde regorgeait de monstruosités.

-Vous ne devriez pas crier sur les toits que vous vous êtes enfui. Lui glissa-t-elle un peu plus bas. Techniquement, vous êtes toujours un esclave et les gens ici sont toujours à l’affût d’une opportunité.

Elle lui adressa un sourire rassurant. En ce qui la concernait, elle ne dirait rien. Elle l’observa un instant, semblant le détailler pour la première depuis son entrée dans la boutique. Son passé n’était définitivement pas inscrit sur lui, jamais elle n’aurait deviné qu’il avait connu la servitude. Il semblait si heureux et insouciant…
Finalement, elle reprit son ouvrage. Sur le papier, le dessin commençait à prendre forme. Il s’agissait d’une dague dont elle travaillait l’ornementation du fourreau à travers quelques éclats d’émail incrustés dans le cuir. Il n’y avait certes pas de couleurs mais elle ne pouvait le choisir à l’avance de toute manière. Pas sans la forme ou la couleur de l’objet qu’elle devait décorer. Et il n’y avait pas d’armes dans cette boutique.

Une série de compliments suivie d’une question fit relever une nouvelle fois la tête de la jeune femme. Un peu surprise, elle étira finalement un sourire amusé. Il était rare que l’on se montre aussi direct avec une vendeuse... A moins de lui faire du charme, ce qui ne semblait pas être le cas de cet homme. Après une hésitation, elle allait lui répondre lorsque Grayle se présenta. Elle s’arrêta dans son élan pour lui adresser un sourire chaleureux.

-Et moi Modeste, mais mes amis m’appellent Maud. Enchantée également. Et, pour vous répondre : non, je ne suis pas engagée dans une relation amoureuse pour le moment. Les derniers n’avaient qu’une chose en tête… Je me contente de m’amuser en attendant de tomber sur l’homme qui me donnera envie de reprendre un peu les choses plus sérieusement. Dit-elle avec désinvolture, n’éprouvant apparemment aucune gêne à dire qu’elle se contentait de la brève compagnie de la gente masculine. C’était normal ici après tout.

Ceci fait, elle fit pivoter la feuille d’un geste et lui présenta sa proposition.

-Voilà. Si vous nous amenez une dague, je peux en décorer le fourreau. Plutôt en émail qu’en peinture pour que ça tienne et qu’elle puisse l’utiliser. Il ne faut pas qu’elle se sente encombrée avec un accessoire qui ne lui sert à rien. J’ai pris une dague d’un modèle standard mais il y a en de toutes les formes dans la région. Qu’est-ce que vous pensez de l’idée ?

Modeste avait l’habitude que son prénom interpelle. En revanche, c’était bien la première fois qu’on lui demandait s’il s’agissait d’une tradition familiale. L’expression interloquée sur son visage disparut après quelques instants pour céder la place à un sourire bienveillant.

-Je suis fille unique. Répondit-elle simplement. Et j’ignore pourquoi ma mère a choisi un tel prénom. Elle-même s’appelait Nadea.

La jeune femme rit à la réaction de Grayle concernant sa proposition qui le mettait dans l’embarras. Il était vrai qu’il devait trouver une dague à présent… Elle lui adressa une mine faussement contrite en réponse puis, lorsqu’il lui demanda de mettre le dessin de côté, elle le poussa vers lui.

-Prenez-le avec vous. Vous le montrerez à l’armurier afin qu’il vous conseille.

Pensant en avoir terminé, Modeste se mit debout dans l’idée de saluer son client -qui devait sans doute s’apprêter à partir- avant de retourner à sa tâche. Cependant, celui-ci l’arrêta dans son élan en lui faisant une demande tout à fait singulière et qui ne manqua pas de l’interpeller. Derrière elle, elle sentait le regard mécontent de son collègue et ami mais préféra l’ignorer. Il avait tendance à se montrer trop impliqué alors que la proposition de Grayle ne le concernait en rien.
Sans un mot, elle étudia l’homme qui se tenait devant elle comme si elle essayait de déterminer ce qu’il voulait. Mais, finalement, elle choisit de ne pas s’en préoccuper. Que risquait-elle ?

Finalement, elle lui sourit.

-Oui, pourquoi pas. Nous pourrions sortir un soir, je vous ferais découvrir la vie nocturne de Thaar, autre que celle du quartier des lanternes. Quand êtes-vous disponible ?

Modeste avait regardé son client partir avec un sourire bien heureux et cela étira ses propres lèvres en écho. Elle le trouvait sympathique avec son air un peu gauche. Et son histoire avec cette femme qu'il aimait et à qui il achetait un cadeau sans même savoir s'il aurait un jour l'occasion de le lui offrir le rendait touchant. Mais il lui semblait également un peu perdu et seul dans cette ville immense dont il ne maîtrisait pas encore totalement la langue et où il ne connaissait manifestement personne. Alors elle lui prépara une jolie soirée, ignorant les regards et les commentaires que son collègue un peu jaloux lui fit durant les trois jours qui s'écoulèrent.

Le jour J, elle s'était présentée au point de rendez-vous qu'ils s'étaient fixés plutôt joliment apprêtée. Elle était vêtue d'une robe dans les tons violets tirant sur le rouge par dessus un jupon blanc. Le vêtement était fait d'un tissu fin et de voiles ce qui le rendait léger, accompagnant les mouvements de la jeune femme avec fluidité. Ses cheveux étaient laissés libres mais soigneusement coiffés. Un pendentif de sa confession pendait au bout d'une simple chaîne. Il s'agissait d'une goutte blanche en émail orné d'un motif floral de la même couleur que sa tenue.

Modeste aborda Grayle avec un sourire radieux et donna très vite le ton de la soirée.

-Bonsoir. Tu vas bien ?

Par le tutoiement, elle tenait à lui signifier que ce n'était pas la bijoutière qui se tenait devant lui et qu'il n'était plus son client. Ce soir, elle voulait sortir en bonne compagnie afin de passer un agréable moment. Et elle ne concevait pas cela possible en mettant un telle distance entre son cavalier et elle.

-Je pense que la soirée que je t'ai concocté va te plaire. Nous n'en sommes pas loin, viens.

Sans même lui demander la permission, elle lui prit la main à la manière d'une amie et l'attira à sa suite. Elle avait conscience que son côté très tactile ne convenait pas à tout le monde mais l'emprise de ses doigts sur la main du jeune homme était douce et il n'aurait aucun mal à s'en défaire gentiment si cela le gênait. Elle l'entraîna ainsi à travers le quartier qu'elle semblait si bien connaître. Il n'y avait que quelques pâtés de maisons à traverser ou contourner pour arriver à destination. Après quelques minutes, ils débouchèrent dans une rue où l'activité était étonnamment importante en cette fin de journée. Pourtant, ils étaient bien loin des Lanternes... Ici, la journée de travail commençait seulement.
Dans les allées, au milieu des passants, de nombreux artistes étaient à l'oeuvre. Des jongleurs, des acrobates, des cracheurs de feu... Tous s'étaient éparpillés dans la rue ou évoluaient dans la foule comme si de rien n'était. Comme si tout était normal. Les gens observaient un homme perché sur des échasses de plus de deux mètres passer près d'eux d'un air ébahi ou riaient devant la comédie jouée par un mime qui se moquait de ce qui ressemblait à un passant mais qui faisait partie du spectacle en réalité. L'ambiance était très festive et c'était ce que Modeste avait voulu pour Grayle. Son histoire à lui était si sombre... Elle souhaitait y apporter de la lumière.

Dès qu'ils eurent mis un pied dans cette rue, la bijoutière ralentit le pas et avança au rythme du jeune homme pour le laisser admirer les différentes scènes qui se présentaient à lui. Même si le spectacle n'était pas aussi nouveau pour elle qu'il l'était pour l'ancien esclave, elle l'appréciait tout autant que lui, admirant avec envie la maîtrise de ses artistes dans leur art. Malgré son agilité et ses compétences, elle n'était pas capable d'en faire autant qu'eux dans certaines matières...
Tandis que Grayle souriait tel un enfant admirant une merveille du monde pourtant si anodine aux yeux d'un adulte, Modeste le guida peu à peu à travers les passants et les représentations qui avaient lieu autour d'eux, s'arrêtant lorsque quelque chose attirait le regard de l'un ou de l'autre puis reprenant leur route après un moment.

Au milieu de toute cette agitation, on en oubliait presque les tavernes qui parsemaient la rue. Ce fut pourtant vers l'une d'elle que la jeune femme se dirigea, sa main tenant toujours celle du jeune homme qui avait décidé de ne pas la lâcher. Il y avait la queue le long du bâtiment qui commençait à l'entrée de l'établissement, elle-même gardée par un homme d'assez bonne stature. Cependant, Modeste ne les conduisit pas à l'arrière de la file d'attente et aborda directement l'hôte de ses lieux.

-Bonsoir Yaël.
-Maud ! Comment tu vas ? Dit-il en la laissant s'approcher pour l'embrasser sur la joue. Tu es toujours aussi belle.
-Attention, je te vois venir. Fit-elle d'un air faussement suspicieux.
-Non, pas quand tu es accompagnée. Je ne voudrais pas te mettre dans l'embarras.

La jeune femme rit à la plaisanterie tout en saisissant doucement le bras de son cavalier pour le faire s'approcher.

-Je te présente Grayle.
-Enchanté. Puis il reporta bien vite son attention vers Modeste. J'imagine que c'est pour vous que Samson et Mirabelle ont pris une table pour quatre ?
-C'est ça. Répondit-elle avec un grand sourire.
-Alors allez-y, ils sont déjà arrivés. Dit-il en s'écartant pour leur laisser le passage tout en bloquant la file d'attente.

Sans plus attendre, Modeste entraîna une fois de plus le jeune homme, son bras ayant enroulé le sien.

Modeste sentit bien vite Grayle se tendre comme un arc, coinçant son bras contre lui avec une force qu’elle ne lui soupçonnait pas mais sans pour autant lui faire mal. Elle l’observa quelques instants et posa sa main libre sur son poignet.

-Eh… Détends-toi, tout va bien.

Elle accompagna ses paroles d’un sourire rassurant. Elle ignorait si cela eu un impact ou non mais elle sentit son bras peu à peu libéré de la pression qu’il exerçait dessus. Il l’interrogea évidemment sur les deux personnes qu’ils venaient retrouver. Cela ne semblait pas l’inquiéter outre mesure mais il était vrai qu’avec tout ce qu’ils avaient eu à voir et partager dans la rue, elle n’avait pas eu le temps de l’avertir.

-Ce sont des amis. Tu voulais faire des rencontres, non ? Lui dit-elle avec un sourire amusé alors qu’elle ne faisait que réaliser son souhait. Elle est un peu possessive avec lui mais sinon ils sont très gentils. Je ne leur ai pas dit grand chose sur toi, tu pourras leur parler de ce que tu veux. Si tu trouves le temps de parler. Fit-elle dans un petit rire.

Ils arrivaient justement devant un rideau que deux serviteurs écartèrent pour les laisser passer. Apparus alors sous les yeux de Grayle une grande cour carré entourée de tables. Ces dernières étaient disposées de manière à libérer un espace central vers lequel tous les convives étaient tournés. Des arbres de petites tailles voyaient leurs branchages arrangés afin de recouvrir les places assises et ainsi les protéger du soleil ou d’une fine pluie. Des lanternes étaient accrochées un peu partout dans les feuillages, sur les tables et aux murs. Un orchestre dans un coin de la pièce jouait une mélodie plutôt guillerette.
A peine étaient-ils arrivés dans la cour qu’un homme vêtu d’un costume écarlate les aborda. Modeste lui donna le nom de la personne qui avait réservé et on mena les deux jeunes gens jusqu’à leur table. Un couple déjà installé se leva pour les accueillir chaleureusement et la joaillère fit les présentations.

Samson était un bel homme dont il était impossible de définir l’âge. Il était évident qu’il n’était pas aussi jeune que Maud mais il n’avait que quelques rides d’expression et rien de plus. S’il était plutôt discret et posé dans son comportement, il n’en restait pas moins jovial et d’agréable compagnie.
Sa compagne Mirabelle avait une petite vingtaine. Blonde aux cheveux très bouclés, elle avait discipliné sa tignasse dans une queue de cheval serrée dans la nuque. C’était une jolie femme mais qui manquait un peu d’assurance. Cela se voyait notamment à sa façon de conserver presqu’en permanence une main sur son compagnon, comme si elle voulait s’assurer que l’on comprenne bien qu’il était à elle. En dehors de cela, c’était une personne charmante et un peu curieuse.
Les deux s’intéressèrent bien évidemment au nouveau venu dont leur amie ne leur avait que très peu parlé. Tout ce qu’ils savaient, c’était qu’ils s’étaient rencontrés à la bijouterie. Ils voulaient évidemment savoir qui il était, d’où il venait, quel âge il avait, ce qu’il faisait dans la vie, comment il était arrivé à Thaar… Modeste laissa Grayle libre de répondre mais n’hésita pas à venir à son secours si elle le trouvait embarrassé. Elle estimait que ses amis n’avaient pas à tout savoir de lui. Leur interrogatoire était digne de celui que l’on tiendrait à un nouveau petit ami mais ce n’était pas ainsi qu’elle avait voulu le leur présenter.

A aucun moment on ne vint prendre leur commande.
Avant que le repas ne commence, la musique s’arrêta brièvement. Tous portèrent alors leur regard vers le centre de la cour où se tenaient deux femmes, visiblement en attente. L’orchestre reprit alors sur une mélodie des plus entraînantes, rendue stridentes par les violons et rythmées par des tambours. Les danseuses se mirent alors en action et s’activèrent sur scène mais aussi au sein même de leur public. Elles étaient belles et gracieuses, ainsi qu’un brin voluptueuses par moment.

-Ce qu’elles dansent bien… Fit Mirabelle, admirative.
-Et encore, elles n’ont pas la grâce de notre Maud. Corrigea Samson.

La blonde ravala bien vite sa jalousie et soupira, résignée.

-Oui, tu as raison. Confirma-t-elle avant de reporter son attention sur le spectacle.

Modeste, de son côté, n’avait pas entendu ce qu’il venait de se dire à son propos, trop absorbée par le ballet des danseuses. Lorsque ces dernières eurent terminé, la musique s’arrêta de nouveau et les deux femmes s’éclipsèrent sous des applaudissements auxquels elles prirent à peine le temps de goûter. Et les serviteurs apportèrent les premières assiettes.

La suite de la soirée se déroula ainsi, entrecoupée par de multiples représentations. Si les danseuses en étaient le plus souvent l’objet, il s’agissait parfois d’anonymes qui n’étaient autres que des convives abandonnant momentanément leur table pour se donner en spectacle et montrer leurs talents. La plupart d’entre eux étaient plutôt doués mais certains étaient des novices qui voulaient se soumettre à l’appréciation d’un public averti. Assise à côté de Grayle, Modeste était souriante et chaleureuse, participant visiblement à l’animation du moment et à la bonne humeur qui régnait à leur table. Son rire joyeux se révélait des plus communicatifs et respirait la joie de vivre.

Alors que le dîner approchait de son terme, l’homme en costume de l’entrée aborda Modeste et lui glissa un mot à l’oreille. Elle hocha la tête et le laissa s’éloigner avant de se tourner vers Grayle. Elle lui saisit la main dans un sourire espiègle tandis qu’elle retirait sa serviette de ses genoux pour la poser sur la table.

-Tu viens avec moi ? Dit-elle, le visage radieux.

Allait-il comprendre ce qui était en jeu ?... Peu importait. Une confusion de sa part l’amusait par avance et ne la tourmentait guère.

Grayle accepta avec enthousiasme et un sourire radieux se dessina sur le visage de Modeste. Elle se leva, l’attira à sa suite en lui tenant toujours la main. Connue et reconnue, quelques applaudissements tintèrent autour d’eux tandis que le nom de “Maud” était prononcé à une table ou deux -autre que la leur-. Sur la piste, elle se plaça face à lui et sembla attendre. Le temps que les musiciens s’accordent sur ce qu’ils allaient jouer, elle glissa quelques mots à son partenaire.

-On ne choisit pas la mélodie, l’objectif est de s’adapter. Il y aura seulement quelques notes pour nous donner le ton avant de commencer.

Il avait sans doute déjà observé ce point lors des représentations précédentes mais elle préférait autant l’avertir au cas où. Elle l’observa, guettant la moindre marque d’inquiétude, se tenant prête à reprendre ses mains dans les siennes pour le rassurer. De son côté, la jeune femme était parfaitement paisible, habituée à cet exercice depuis des années déjà.

Enfin, la musique commença. Un fragment de mélodie fendit à peine l’air, doux et vivant à la fois. Là où tous avaient eu quelque chose d’assez rythmé, les musiciens avaient choisi de corser un peu le jeu pour elle. Elle leur adressa un regard faussement sévère avant de porter de nouveau ses prunelles bleues sur Grayle, un sourire amusé en coin.
Un silence… Et la véritable aubade commença.

Debout à un pas du péninsulaire, elle leva une main et l’invita silencieusement à agir en miroir. Elle remonta droit devant elle puis éloigna son bras, accompagnant son geste de délicats mouvements du poignet. Elle fit ensuite de même de l’autre côté, s’imprégnant doucement de cette mélodie qu’elle ne connaissait pas. Ses bras dessinaient des arabesques dans les airs avec une grâce peu commune. Peu à peu, elle commença à se mouvoir un peu plus, laissant le haut de son corps se joindre à la danse, puis ses jambes. Elle recula, le temps de prendre un appui pour basculer son buste en arrière alors que ses mains traçaient toujours des volutes imaginaires dans les airs, puis elle se redressa pour revenir à sa position initiale.
Après un long moment durant lequel quelques instruments supplémentaires s’étaient joint à l’orchestre, elle perçut quelques notes qui appelaient la fin d’un couplet et elle glissa une phrase discrète à Grayle.

-Ne recule pas.

Elle n’avait pas le temps de lui en dire plus. Tout en dansant, elle fit un pas dans la direction du jeune homme pour continuer leur jeu du miroir. Elle immisça ses mains dans celles de son partenaire et recommença son balai du début, son corps entrant cette fois en contact avec le sien. D’abord, seuls les bras bougèrent… Puis le haut du corps… Puis les jambes. Elle le laissa libre de faire ce qu’il voulait lorsqu’elle bascula en arrière pour son balai de mains.
Alors qu’ils achevaient le second couplet, elle amena une main de Grayle au-dessus d’elle et fit comme s’il l’invitait à pivoter sur elle-même. Elle s’arrêta pour se retrouver dos à lui… et recommença son jeu, mais avec quelques nuances. Sa tête était presque en permanence tournée sur le côté comme si elle essayait de le voir. Ses doigts s’entremêlèrent aux siens pour donner à leur danse -jusque là douce et apaisante- un peu plus d’émotions… Une touche de tendresse qui s’associait à merveille avec la musique.

Au moment de se pencher en arrière, elle changea un peu la chorégraphie. Elle posa ses mains -toujours mêlées à celles de Grayle- sur son ventre et bascula sur le côté, semblant se livrer entièrement à ses bras qui devinrent bien vite son seul appui pour ne pas tomber. Dans son mouvement, elle se tourna à demi vers lui pour que leurs visages se fassent de nouveau face. Ils tinrent la position quelques instants puis, sentant la musique toucher à sa fin, Modeste eut un élan qui invita le jeune homme à l’aider à se relever. Une fois debout, elle pivota sur elle-même dans un mouvement rapide et s’arrêta soudain face à lui. Elle marqua un temps de pause et, sur la dernière note maintenue, vint se blottir dans ses bras telle une femme qui demanderait la marque d’une affection sincère née de l’histoire qu’ils venaient de décrire à travers leur danse.

Le silence se fit et les applaudissements suivirent bien vite. Maud se redressa et sourit à Grayle. Puis elle vint se placer à côté de lui, une main dans la sienne, pour saluer leur public. Après un petit moment, elle attira de nouveau son partenaire vers leur table.

-Désolé, la musique m’inspirait une histoire romantique. J’espère que ça ne t’a pas dérangé.

-Tout le temps, non. Mais plusieurs fois par ennéade. On se trouve souvent entre artistes, à l'extérieur ou chez l'un ou l'autre, pour partager ce qu'on aime. Maud est amatrice de toutes les formes d'art donc on la croise dans presque toutes les soirées.

S'en suivit une discussion essentiellement centrée sur la jeune brune alors que l'on n'avait que très peu parlé d'elle depuis le début du repas. Elle avait déjà pratiqué bon nombre d'arts différents, qu'ils soient manuels, musicaux, chorégraphiques... Elle excellait surtout dans la peinture, le dessin, l'émail et la danse, même si elle n'était pas mauvaise dans la poterie et le chant pour ne citer qu'eux. Il s'agissait pour elle de différents moyens d'expression et elle s'en servait pour extérioriser ses émotions. En dehors des commandes qu'elle recevait, ce qu'elle représentait évoquait majoritairement la joie, la douceur, la tendresse ou le romantisme. Il était si rare de la voir triste... Mirabelle ne se souvenait pas de l'avoir déjà vue de mauvaise humeur...

-Et toi, Samson ?

Ce dernier fit une moue accompagnée d'un hochement négatif de la tête. Cela ne lui disait rien à lui non plus.

La soirée s'acheva une demie-heure plus tard et les deux couples se levèrent avant de se séparer devant l'auberge. Grayle et Modeste reprirent la rue qu'ils avaient emprunté à l'aller mais en sens inverse. Sur le chemin, il découvrirent de nouveaux spectacles, jouant davantage sur la lumière et l'usage du feu de manière plus spectaculaire. Ils s'arrêtèrent dès que quelque chose attirait le regard de l'un ou de l'autre avant de reprendre leur progression lorsque leurs yeux étaient rassasiés. Ils rejoignirent ainsi le lieu de leur rendez-vous à un rythme lent. La nuit était bien avancée et les deux lunes hautes dans le ciel. Les alentours étaient bien calmes en comparaison de la rue qu'ils venaient de quitter, c'en était presque étrange et agréable à la fois.
Après un énième rire, la jeune femme s'arrêta en se postant devant le péninsulaire.

-Je suis contente que tu aies passé une bonne soirée. Je me suis bien amusée aussi. On pourra se refaire ça quand tu voudras.

La lèvres de Maud s'étirèrent dans un sourire sincère alors que Grayle la remerciait simplement pour ce bon moment qu'ils avaient partagé. Puis elle s'approcha, se hissant sur la pointe des pieds pour venir déposer un baiser sur sa joue. Elle laissa ses talons revenir toucher terre et recula lentement.

-A bientôt alors.

Alors qu'elle s'éloignait, leurs bras se levèrent peu à peu tandis que leurs mains étaient toujours unies l'une à l'autre. Finalement, elles se séparèrent et, dans un dernier sourire, Modeste se retourna et s'enfonça dans la même rue que celle par laquelle elle était arrivée.

-Tu es prête ?
-Oui, presque. Répondit une voix étouffée.

Comme souvent le jour d'Arcam, Modeste accompagnait sa mère pour les festivités qui se tenait au Temple du quartier et ses alentours. Il ne s'agissait la plupart du temps que d'animations mineures opérées par les membres du culte. La jeune femme y était toujours la bienvenue pour faire démonstration de ses talents en matière de danse mais aussi de peinture. Elle avait aussi fait partie des quelques chœurs, sa voix n'étant pas assez belle pour réaliser un solo mais suffisamment juste pour se mêler à un accompagnement. Elle se faisait chaque fois une joie d'y aller et se paraît des couleurs du Dieu pour l'occasion. Ainsi, elle avait choisi ce jour-là une robe faite de voiles rouges. Quelque chose de léger et suggestif sans être impudique pour autant. Ses cheveux étaient maintenus par une fine et élégante broche dorée qui se mariait à merveille avec ses cheveux bruns. Deux foulards transparents dans les tons jaunes et orangers accompagnaient le tout tels des accessoires destinés à virevolter autour d'elle durant sa danse.
Lorsqu'elle sortit de sa chambre et entra dans la salle à manger -qui servait aussi d'entrée-, elle s'arrêta à la porte et adressa à sa mère un sourire radieux. La prêtresse la regarda d'un œil appréciateur.

-Tu es magnifique, comme toujours.
-Merci. C'est dommage que milyë ne puisse pas être là, encore une fois.
-Je sais. Mais je suis sûre qu'elle serait de mon avis. Répondit Akila dans un doux sourire.

Elros avait dû s'absenter pour le travail, un contrat la conduisant à Baaz'Hima. Maud l'avait alors chargée d'une petite mission sur le ton de "pour te faire pardonner..." même s'il n'en était rien. Chaque fois que l'une d'entre elles passait dans cette ville faisait la même chose. Elle passait dans l'un des cimetière de la cité pour prendre soin d'une tombe chère au cœur de la jeune femme. Et les deux femmes qui l'avaient recueillie s'y pliaient volontiers pour elle.
Après un échange silencieux qui en disait long sur ce qu'elles ressentaient toutes deux quant à l'absence de la mercenaire, Akila s'avança pour prendre la main de sa fille. Cette dernière étira un grand sourire joyeux en comprenant son message et elles se dirigèrent alors vers la porte d'entrée. En l'ouvrant, la prêtresse tomba nez à nez avec un homme qui avait descendu les quelques marches qui menaient à leur maison et s'apprêtait à frapper. Elle fut autour surprise par sa présence que bouche bée par l'état dans lequel il se trouvait. Il était couvert de poussière blanche, ses pieds étaient nus et son visage tout comme son corps présentaient quelques blessures sans gravité.
Se décalant pour voir ce qui avait ainsi paralysé sa mère, Modeste découvrit son ami dans ce bien piètre état et fut bien plus réactive qu'elle.

-Grayle ?! Par les Cinq, mais que t'est-il arrivé ?

Grayle était touchant, comme toujours. Par ses hésitations, par sa maladresse, par ses petites pauses dans ses phrases comme s'il ne savait pas comment les finir, elle le trouvait mignon. Elle se retint à moitié de sourire lorsqu'il chercha le mot le plus approprié pour définir leur relation. Cela faisait des ennéades qu'ils passaient du temps ensemble, qu'elle lui faisait découvrir son univers plein de musique et de couleur, qu'elle lui montrait comment la vie pouvait être plus douce. Parce qu'elle ne le lui avait jamais dit, mais sa vie n'avait pas toujours été aussi belle.

Un simple regard échangé avec Akila suffit à faire s'entendre les deux femmes. Modeste lâcha la main de sa mère et la dépassa pour s'avancer vers le jeune homme.

-Ne dis pas de bêtises. Bien sûr que nous sommes amis et je ne vais certainement pas te laisser ainsi. Elle lui prit la main et l'attira à l'intérieur avant de se tourner vers sa mère qui s'était écartée pour leur laisser la place. Maman, tu m'excuseras auprès des autres ?
-Bien sûr. Et fais attention à ta robe... Dit-elle en craignant que sa fille ne se salisse dans l'histoire.
-Ne t'en fais pas, je vais lui donner de quoi se laver et j'irais me changer.

Akila lui offrit un sourire pour toute réponse et sortit, refermant la porte derrière elle. Modeste se tourna alors de nouveau vers Grayle et lui adressa un de ses sourires chaleureux dont elle avait le secret.

-Viens, je vais te montrer ta chambre. Tu peux rester aussi longtemps qu'il le faut. Dit-elle d'une voix douce.

Puis elle l'entraîna à sa suite dans la pièce voisine. Ainsi, ils quittèrent la salle à manger pour traverser le salon et prendre un escalier qui montait au premier étage. Là, elle s'avança vers une porte qu'elle ouvrit. Elle lâcha la main de Grayle sur le seuil et entra en premier. Elle se dirigea vers la fenêtre qu'elle déverrouilla. Elle écarta les battants et repoussa les volets afin de laisser la lumière entrer. La chambre était de taille modeste et peu décorée. Elle disposait d'un lit deux places, d'une commode, d'un bureau et d'une petite table sur laquelle reposait une bassine et un pichet.

-Je vais te chercher de l'eau et des linges propres. Dit-elle en ressortant aussitôt. Elle se rendit dans la chambre d'en face, laissant la porte ouverte derrière elle. A la décoration plutôt coloré, il était aisé d'imaginer que c'était la sienne. Elle revint la minute suivante avec un second pichet, bien plus lourd, et une petite pile de linges pour la toilette sur laquelle reposait un savon. Voilà. Je crois qu'il y a des vêtements dans la commode. Tu pourras regarder si quelque chose te va, au moins pour te dépanner aujourd'hui.

Après avoir déchargé ses bras de tout ce qu'ils portaient, elle commença à s'éloigner, désignant sa chambre d'un geste.

-Je vais me changer. N'hésite pas si tu as besoin de quoi que ce soit. On s'occupera de tes blessures après. D'accord ?

A demie nue dans sa chambre, l'attention de Modeste fut attirée par un bruit fort reconnaissable et plutôt surprenant provenant du couloir. Celui d'un meuble lourd que l'on déplaçait. Elle se pencha et regarda par l'entrebâillement de sa porte qu'elle n'avait pas totalement repoussée. Elle fronça des sourcils intrigués en observa le battant menant à la chambre d'amis. Grayle venait-il vraiment de pousser un meuble devant l'entrée ?! Est-il si pudique ou avait-il quelque chose à cacher ? Quoi qu'il en soit, son attitude la surprit et elle ne manquerait pas de le lui faire savoir. Car la jeune femme était aussi douce qu'honnête, surtout envers les personne qu'elle appréciait. Elle se redressa alors et acheva de retirer sa robe de danse pour en passer une du quotidien, bien plus sobre.

Lorsque le péninsulaire vint frapper à sa porte, il ne savait pas qu'il s'adressait à une pièce vide. En entendant du mouvement à l'étage, Modeste remonta et se planta à quelques pas de l'escalier. Elle le regarda en train de parler à sa porte, les bras croisés et un sourire tendre et amusé aux lèvres. Grayle était décidément égal à lui-même et elle trouvait toujours cela aussi touchant. Mais, sur son visage se dessina aussi une expression plus proche du scepticisme. Il pensait réellement qu'elle allait le croire ?

-Tu es un bien mauvais menteur. Lui lança-t-elle afin de lui signaler sa présence à quelques mètres de lui dans le couloir. Elle ne poursuivit que lorsqu'il lui fit face. Un bâtiment complet s'est effondré sur toi. Tu n'as pas pu en sortir totalement indemne. Sans compter que j'ai vu quelques bleus sur toi tout à l'heure et que tu en as toujours un sur le front. Acheva-t-elle en désignant ce dernier du doigt.

Cependant, il n'y avait aucun reproche ni aucune rancoeur dans l'attitude de la jeune femme. Elle n'allait pas s'imposer à son ami si celui-ci ne voulait pas de son aide autre que celle qui consistait à lui offrir un toit le temps qu'il retombe sur ses pieds. D'ailleurs, elle croyait de plus en plus à sa pudeur entre la porte bloquée par une table et son attitude nouvelle. Si elle ne partageait pas ce trait de caractère, elle le respectait. Alors elle continua simplement, sans chercher à faire ressentir à Grayle la moindre contrariété ou culpabilité.

-Mais je ne vais pas te forcer. Si tu changes d'avis, je suis en bas, et sache qu'il y a un dispensaire à quelques pâtés de maisons d'ici. Repose-toi bien.

Sur ces mots, Maud décroisa les bras et fit volte-face pour descendre l'escalier qu'elle venait tout juste de remonter.