C'est un beau roman, c'est une belle histoire [Nessys]

5ieme jour de la 3ieme enneade de Karfias 17, Xieme cycle

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Camp sud de Soldorn, tente de la Phord'ur, deux énneades plus tôt

Reprenons, Top'kek…. Pourquoi as-tu besoin de vingt souverains exactement?"

Parmi les nombreuses responsabilité du Phord'ur se trouvait l'attribution de moyens aux mages pour l'execution de leur mission. Shyn'tae ne se croyait pas pingre: Elle prêtait seulement grande attention à ce que les ressources du C'nros soient attribuées à bon escient. Evidemment un intendant se chargeait des dépenses habituelles, mais ce que l'arcaniste réclamait sortait justement de l'ordinaire

C'est pourquoi il était devant elle et l'observait présentement comme si elle était une demeurée. Son expression quant à elle oscillait entre désabusée et flegmatique. Elle hésitait à se frotter le front avec la paume.

- C'est pourtant simple, j'ai besoin de tapis blancs… Pour l'aménagement intérieur, vous voyez." Le drow s'était tut. Il leva finalement la main et reprit soudainement. Il venait de s'apercevoir qu'il avait oublié l'argument phare de son argumentation. "L'installation est comprise."

C'était dans ces moments là que la jeune daedhelle se demandait si toute cette histoire n'était pas qu'un bizutage particulièrement élaboré. Son regard ne vacilla pas, impassible. Tout au plus posa-t-elle la main sur le bureau. Mais pourquoi diable cet imbécile voulait-il que le C'nros achète un tas de tapis. Elle n'avait pas le temps pour ces bêtises.

- Non." Avait-elle simplement répondu. Le drow avait haussé les épaules et s'en était allé, le regard de la daedhelle posé sur son dos.

C'était bizarre.

***

Camp sud de Soldorn, tente de la Phord'ur, quelques heures après la disparition de la Phord'ur

Xy'thloryth était assis devant le bureau et parcourait du regard un des nombreux documents éparpillés sur le meuble. Il était perplexe.  La précédente Phord'ur avait laissé tout cela dans un état lamentable, du moins c'est l'impression que ce foutoir donnait. Il existait une logique en réalité, mais le drow ne faisait pas parti des individus à qui la daedhellle l'avait expliquée.

De son point de vue, il n'en existait donc aucune. Il soupira. Le rôle d'un Phord'ur était de mener le champ de bataille, accomplir la destinée que leur avait confié les dieux. Le reste, c'était pour les faibles. Il confierait ca à quelqu'un d'autre,  du moins lorsque les choses se seraient stabilisées.

Top'kek ferait cerainement l'affaire. L'arcaniste était peut-être parfois étrange(1), mais son perfectionnisme était en général le bienvenu. Xy'thloryth était certain qu'il saurait écrire des rapports convaincants et bien meilleurs que ceux de la gamine. Mais il ne serait pas de retour avant quelque temps. Il faudrait faire autrement en attendant.

D'ailleurs, il était regrettable que l'aspirante soient ainsi partie en laissant tout derriere elle. Les jeunes ne respectaient décidemment rien. Son regard se leva lentement des documents pour se tourner vers l'esclave qui se tenait dans un coin de la piece. Ce dernier était immobile depuis son arrivée, si bien qu'il ne l'avait qu'à peine remarqué. C'était un bon point pour le demi drow, qui, s'il se rappelait bien, était au service de la gamine. Comment elle avait obtenu un esclave le dépassait. Tout fichait le camp.

- Viens-ici. Le drow libre parcouru l'esclave du regard, avant que ses yeux ne se fixent dans les siens, comme deux braises rougeoyantes.
- Ta maitresse est partie.. C'est une triste nouvelle, mais c'est ainsi. Nul ne sait pourquoi. Je prends sa place. Il parlait par phrases courtes, car il savait par experience que les esclaves étaient rarement malins. Vu la mollesse de ladite maitresse, il y avait de plus de bonnes chances qu'il soit élevé n'importe comment. Heureusement, Xy'thloryth saurait remedier à cela.

- Contrairement à elle, je n'accepte que la perfection. J'attend aussi le complet dévouement. C'est important le dévouement. Une idée surgit soudain dans son esprit. "Dis-moi, tu l'as vue remplir les formulaire?"

Il se pencha vers lui et posa un doigt sur son menton pour le soulever.

- Et sais-tu pourquoi elle aurait voulu s'enfuir?" Qui sait, peut-être quelqu'un voudrait lui poser des questions. Il était improbable que quiconque s'intéresse au devenir de la gamine, mis à part peut-être L'Renor, qui n'aurait d'autre choix que de se soumettre au fait accompli. Mais Xy'thloryth n'avait aucune envie de laisser quoi que ce soit au hasard.

(1): Il s'agissait d'un euphémisme. Les loisirs de Top'kek étaient variés, mais il les pratiquait tous d'une façon maladive qui mettait habituellement mal à l'aise son auditoire. Il pouvait parler des heures de macramé et de patisserie.

Qu'avait-il vu... Tout, depuis l'arrivée du mage du C'nros. Ne lui ayant jamais parlé, le connaissant de nom pour l'avoir vu croisé sa maîtresse, ne sachant rien d'autre de lui... A présent, le sombre étranger s'était approprié la tente de la Phord’Ur - figé, se fondant parmi les meubles, Nessys n'avait rien manqué du petit geste à l'attention de la statue, ni celui de mettre la main sur la dague - et se tournait vers ce qu'il y avait d'autre. Sans un mot, un son, l'esclave demi-drow subit le regard du drow pur sang, malgré les vagues de malaise le parcourant.

De nouveau, l'être dont dépendait son existence disparaissait... De son propre fait, celui d'autres... ? Ainsi il en allait bien souvent chez les drows, quoique Nessys lui-même n'ait connu que deux maîtres dans son existence, sans compter son service au sein de l'Etat-Major. Que la Vaen're ait disparu si vite ne lui disait rien de bon, pour lui-même. En plein milieu d'un siège... Le regard écarlate de l'esclave s'était voilé, mais il fut rappelé à l'ordre par la pression sur sa figure, le forçant à relever la tête, lui qui la gardait sinon toujours baissée. Il laissa faire, sans résistance, se bornant à n'afficher aucune expression notable, alors que chaque parole ancrait davantage une réalité difficile. Son 'maître' - sans doute ? - inspectait les meubles. Il lui fallait répondre...

Aux questions seulement. Il n'avait pas été invité à faire la discussion. A l'inverse du regard... Les mires écarlates de Nessys plongèrent dans celles de son vis-à-vis. Il n'osait pas regarder ailleurs, ni ciller des yeux.

"Je servais... Maîtresse Vaen'Re quand elle remplissait des formulaires, Maître. L'hésitation était une chose peu appréciée... Quoique cela était relatif, avec la disparue. Mais l'attitude de son nouveau Maître laissait entendre qu'il ne serait pas aussi souple. Pensez-vous à des formulaires en particulier ?"

Ses mains demeuraient sagement le long de ses flancs, son souffle demeurait régulier... Quant à son timbre, il était calme, posé... Peut-être trop pour être naturel. Mais il ne traduisait en rien l'agitation intérieur de l'esclave. Paniquer ne servait à rien, si ce n'est énerver les maîtres. Même... Quand le comportement du nouveau ne lui disait rien qui vaille. Est-il... Content ? Oui, sans doute. Mais à quel point ? Ses questions demeurèrent non formulées, derrière le voile imperturbable de ses yeux.

"Je ne sais pas, Maître. répondit l'esclave. Elle a perdu une ordalie contre l'Obok Senger Kerath'Elghinn. Aurait-elle eu peur du jugement des Dieux ?"

Le demi-drow n'avait rien lu de tel dans le comportement de la Vaen're, mais il ne savait encore quel comportement adopter face à ce nouveau Maître. Avait-il seulement un choix à faire ? Bien sûr que non, ainsi en allait-il chez les drows. Mais... Si elle est encore vivante...? Les paupières de Nessys clignèrent, naturellement, sans fausse mesure. Son maître avait déjà disparu des années durant, avant de reparaître le plus naturellement du monde. En rait-il de même avec la Vaen're... ?

Le drow se recula dans son siège et, d'une caresse, abandonna le menton du demi sang. Un sourire carnassier éclairait son visage. C'était parfait. Peut-être que certaines possessions de la gamine pourraient être utiles après tout. Mais il y avait tout le reste également.

- Bien. C'est en effet une des hypothèses les plus probables. Tu es un garçon intelligent je vois. Si quelqu'un te pose la question comme je te l'ai posée, le mieux pour toi serait que tu restes sur cette version. Ca t'évitera beaucoup d'ennuis. Clair? " Le Phord'ur l'observa quelques secondes de plus, le regard perçant, à la recherche de son assentiment.

- Je vais m'installer ici. Comme tu l'as dit, c'est une déserteuse. Elle a abandonné les Osts à leur sort, pendant un siège. Elle a fait honte à notre institution. Si on la retrouve, les prêtres de Kiel se chargeront de lui faire payer son hérésie. Il n'est que naturel que ses possessions reviennent au C'nros, j'en ferai la demande, d'ici là considérons que ce sera accordé." Xy'thloryth n'aimait pas perdre son temps, s'il y avait une justice, et tant que quiconque ignorait la réalité, il n'y avait aucune raison qu'on lui refuse ce qu'il demandait. Je veux que tu me débarrasses de toutes les cochonneries qui lui appartenait, et que tu fasses venir mes affaires à la place.

Il saisit la dague sacrificiel qui avait trôné sur le bureau à son arrivée.

- Et ca, tu sais comment elle l'a eu? Il devrait être au temple de Kiel. Un vol je suppose? Le Maitre avait un profond respect pour ce clergé et son oeuvre, et trouvait simplement répugnant l'idée même que la jeune aspirante ait pu obtenir l'objet. Il fallait reprendre les choses en main, ce cirque n'avait que trop duré. Toute trace de sourire avait disparu du visage du Maitre magicien.

S'il n'avait pu qu’acquiescer et obéir, Nessys eut pu se détendre, du moins en partie. Mais les réflexions s'accumulaient à chaque mot du drow pur sang. Tels des insectes lui remontant le corps, le doute se montrait vorace, picotant son être habitué à la régularité du quotidien comme autant d'insupportables insectes. Rejetant l'image qui tentait de s'imposait à son esprit, le demi-sang avait retrouvé sa posture soumise, tête baissée, signifiant sa compréhension de simples hochements de tête.

Pourquoi demander son avis à un esclave ? Pourquoi lui dire de garder une version ? Pourquoi ce maître est-il si satisfait ? L'ambition des drows, qui trouvent son content... Mais le hasard est trop beau, et l'esclave, trop perplexe pour accepter la chose facilement. Que faire ? Rien. Je ne pourrais que le servir. Vraiment ? La question - sa seule existence, dans sa tête - le laisse pantois, mais il n'en montre rien. La peau cicatricielle sur son front, souvenir de son service au coeur du Puy d'Elda, le gratte. Se taire, et obéir... Mais voilà qu'une nouvelle question le force à redresser la tête.

"Je ne sais pas, Maître. dit-il une fois encore, posément et distinctement. Une pause, le temps de réfléchir. Puis... Elle l'a toujours eu, depuis que je la sers... Depuis plusieurs ennéades."

Une réponse imparfaite, mais il n'en savait guère plus. N'aimant guère demeurer immobiles sous le regard inquisiteur et les salves de questions de son nouveau maître, Nessys ploya sa haute stature afin de ramasser, repousser, regrouper toutes les affaires de la Vaen're. S'en débarrasser... Ses mains se posèrent sur la statuette, qu'il regroupa avec le reste, bien que son esprit envisage un sort différent pour l'objet. Regroupant le tout grossièrement dans une couverture, l'esclave incliné se tourna vers le nouveau Phord'Ur.

"Autre chose, Maître ?" demande-t-il posément.

Non, il n'y avait rien. Servile, l'esclave poursuivit la tâche qui lui avait été confié. Toutes traces de la Vaen're disparaitrait de la tente qu'elle avait occupé, remplacées par les affaires du nouveau Phord'Ur. Au détail près que la statuette disparut, au hasard de l'un des ses va-et-viens du demi-sang.

Servir ce nouveau maître... Quoiqu'il pense de celui-ci, et des circonstances de la disparition de la Vaen're.