« Mes seigneurs, mes Dames, annonce enfin Constance après avoir compté les votes des uns et des autres, il semblerait que Langehack se soit enfin trouvé un nouveau Marquis » Elle darde sur Griffon de Langehack un regard qui ne dit rien de ce qu’elle ressent. « Puisse-t-il guider son peuple avec sagesse et bonté, ainsi que le souhaite la DameDieu. »
L’assemblée murmure une rapide prière en réponse à cette mention de Néera, puis les soutiens les plus enthousiastes du Marquis élu se lèvent pour aller le féliciter. Uthar de Brevise, en tête, pose familièrement la main sur l’épaule du Langecin et lui glisse quelques mots à l’oreille. Dame Constance, elle, ne se joint pas au mouvement. Elle est épuisée par les quatre jours qui viennent de s’écouler. Elle ne parvient pas même à se réjouir, encore, de la conclusion de ce Concile éprouvant : le candidat soutenu par la Couronne s’est imposé. Cependant, Griffon découvrira bien vite que devenir Marquis n’était qu’une étape et peut-être pas la plus importante. Dans quelques jours, il rentrera avec elle à Diantra pour prêter son hommage au Roi. À son retour, il devra apprivoiser sa cour, qui pour partie ne le tient pas dans son cœur.
Elle coule un regard vers Gaël de Laval et son épouse, la turbulente Linaëlle. Forcée de part son statut à participer au Concile, il semble que les discussions qui s’y sont tenues ont réveillé plusieurs blessures. Plusieurs fois, Constance avait hésité à suspendre la séance, de peur de la voir s’écrouler ; c’était sans compter l’impressionnante résilience de la jeune femme, qui avait tenu bon. Gaël de Laval n’a rien gagné de ce Concile, mais il n’a rien perdu non plus. Régent en son comté, il devra désormais choisir quel vassal son neveu deviendra. De sa diligence à considérer Griffon comme son Marquis — dans les actes sinon dans les paroles — déterminera pour beaucoup le règne de ce dernier.
À sa suivante, elle a dit ceci la veille : « Pour l’heure, Langehack n’est rien de plus qu’un pantin désarticulé. Forger les liens : telle sera la tâche du Marquis » Scylla demeure dans l’escarcelle du Roi. Le comté demeure à part dans l’Histoire récente de la famille royale, car il s’agit du véritable point de départ de l’improbable ascension au pouvoir d’Aetius d’Ivrey. Au delà du symbole, il s’agit d’un bon moyen pour Bohémond Ier de garder un pied dans cette région qui, dans son passé récent, a su faire montre d’une certaine instabilité. La baronnie de Merval demeure pour l’heure, dans les faits, sous tutelle royale ; l’une des premières épreuves de Griffon sera de trouver un baron qui sied aux locaux comme à la Couronne. Missède, enfin, demeure relativement épargné des troubles récents ; bien au contraire, les Missédois ont souvent été aux premières loges du pouvoir Langecin, en l’absence d’un Marquis.
La légitimité de Griffon, obtenue par le sang et par le vote, ne le protégera pas des épreuves à venir. On a souvent décrit Griffon comme un seigneur impulsif et trop peu porté sur la réflexion. Constance espère qu’il fera mentir les rumeurs… Sinon, il sera le premier à en payer le prix et ses soutiens après lui.