Ça n'a pas l'air d'aller... [Pv Neassa]

La soirée ne devait pas être tombée depuis bien longtemps lorsqu’Aegden s’était éclipsé de ce qui servait aux elfes de refuge. C’était devenu une habitude que de ne pas rester bien longtemps au sein du domaine de Milynea de toute façon et personne ne s'en étonnerait.

Cette fois-ci, c’était non pas le hasard mais bien une raison précise qui guidait les pas du danseur. Ils s’étaient revus trois fois Neassa-Laella et lui depuis leur rencontre. Et chaque fois cela se soldait par la promesse de se revoir à nouveau. Comme si ils craignaient que ce fut bientôt trop tard. Tous deux se doutaient sans doute sans le dire que leur temps était compté.

Leur dernier rendez-vous remontant deux jours en arrière, aujourd’hui c’était la demeure de la prêtresse qui devait être leur lieu de rencontre. Si l'elfe n’en avait jamais vu l’intérieur, il en connaissait tout de même le chemin pour avoir raccompagné une fois la jeune femme chez elle. 

Un instant il laissa ses pensées vagabonder, glisser librement comme le courant d’une rivière alors qu’il continuait son chemin. Il se rendit compte à un moment que les regards de travers qu’il attirait toujours malgré tout -ils étaient inévitables- ne lui faisaient désormais plus ni chaud ni froid. C’était comme si une partie de lui s’était désormais habitué au pire comme au meilleur de cet étrange endroit. Comme si Aithruïn avait réellement pris le dessus ici. Était-ce une bonne chose ?

Cette question demeura sans doute sans réponse puisqu'il finit par arriver à destination au bout de quelques minutes. Levant la tête il observa un instant la grande bâtisse. Loin d’être le bâtiment la plus ostentatoire de la ville,c’était une maison de taille modeste et à la devanture claire qui lui faisait face. 

C’est sur une porte de bois et de ferronnerie aussi claire que le reste de l'ensemble qu’il frappa après avoir hésité une bonne minute. Il s’était quelques instants demandé s’il lui fallait attendre la jeune femme là où il était ou bien frapper. Finalement c’était le dernier choix qui lui semblait le plus raisonnable. Il se sentait un peu stupide à se poser ce genre de question au final...C'était comme si d'un coup le moindre élément était devenu sujet à des questionnement absurdes.

Il attendit un signe une réponse ou il ne savait quoi, les mains jointes dans son dos et une posture droite qui si elle lui était naturelle et ne sautait tout de même pas non plus aux yeux, pouvait peux être un peu évoquer la manière de se tenir d'un soldat. On ne se refaisait pas si facilement.

La large porte à deux battants s'ouvrit d'un côté quelques secondes après que l'on y ait frappé. Une jeune femme apparut dans l'entrebâillement. C'était une humaine aux cheveux bruns qui s'efforça de ne pas montrer son hésitation. Découvrant le nouveau venu et se souvenant que la maîtresse de maison attendait la visite d'un elfe, elle ouvrit un peu plus grand et se redressa soudainement, tâchant de faire bonne figure.

-Bonsoir. Entrez, je vous prie. Dit-elle en s'écartant du passage. Lorsqu'il fut à l'intérieur, elle referma derrière lui puis l'invita à la suivre.

L'entrée donnait immédiatement sur un long et large couloir aux murs clairs et au sol en carrelage orné de motifs typiques de la région peints dans des tons bleus. Des voûtes de style thaari scindaient régulièrement l'espace, chacune étant agrémentée de deux voilages maintenus de manière à libérer le passage. Statues, tableaux et miroirs venaient élégamment achever d'habiller l'ensemble sans surcharger la vision des visiteurs. Le style était doux et simple, bien loin des décors ostentatoires que l'on pouvait observer dans pratiquement toutes les riches demeures d'Ithri'Vaan. Après tout, Neassa-Laella n'avait pas besoin de jouer à leur jeu de démonstration d'argent pour se faire sa place dans cet univers. De subtiles références aux principales divinités pentiennes étaient dissimulées dans certains éléments du décorum.
Entre deux arcades, on trouvait parfois une porte permettant l'accès à une nouvelle pièce. La jeune servante conduisit l'anedhel devant la dernière d'entre elles et l'invita à entrer avant de lui emboîter le pas. Ainsi, Aitrhuïn arriva dans un petit salon dont une partie de trouvait à l'extérieur grâce à une subtilité architecturale. En effet, le maître d'oeuvre avait tiré profit du balcon qui faisait le tour de la maison et s'en servit de plafond pour allonger la pièce de plusieurs dizaines de centimètres. Plusieurs assises étaient disposées de manière à profiter du petit jardinet bien entretenu et entouré de hauts murs qui se trouvait là. Sur la table basse au centre, des mignardises salées avaient été disposées sur deux plateaux, attendant sous des cloches de rotin et de tissu qui les protégeaient des insectes. Les murs étaient ornés de quelques meubles, peintures et bibelots. Un tapis bleu foncé s'était glissé sous les assises et la table afin de donner à l'espace un peu plus de chaleur.

-Sa Sainteté n'est pas encore rentrée. Elle ne devrait pas tarder. Vous voulez boire quelque chose ?

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Une heure s'était écoulée et ce qui n'était que le début de la soirée était désormais la soirée elle-même. Les derniers rayons du jour éclairaient encore le ciel ainsi que les sommets des plus hautes maisons. La nuit s'annonçait à travers les premières étoiles qui apparaissaient dans le ciel. Les trois serviteurs de la maison n'étaient pas restés inactifs, changeant les bougies dans toutes les pièces, y compris dans le salon où attendait l'elfe. Pour rendre son attente plus agréable, on lui avait plusieurs fois demandé s'il désirait quelque chose. Devant ses refus, on avait malgré tout fini par lui apporter deux verres d'eau et une carafe au cas où il refusait par politesse ou gêne. Désormais, une femme d'une quarantaine d'années allumait la lumière dans le couloir afin que leur maîtresse de se retrouve pas dans le noir en rentrant.

Le retard de la prêtresse n'inquiétait pas outre mesure. Elle partait toujours en estimant une heure de retour mais il n'était pas rare que cela dure plus longtemps que prévu. Elle était toujours ponctuelle pour ses ouailles mais elle se rendait aussi disponible pour elles si nécessaire, n'hésitant pas à écourter ou sacrifier des rendez-vous personnels.

Alors que la jeune servante se tenait près de la porte du salon et que son aînée achevait d'allumer les bougies du couloir, le bruit caractéristique du mécanisme de la porte d'entrée raisonna entre les murs et les voilages. Puis les gonds grincèrent légèrement en arrivant à leur limite avant que la porte ne soit refermée.

-Ah, ce doit être elle. Laissa échapper Anora, soulagée.

Elle se tourna à moitié vers le couloir, écoutant les bruits de pas qui s'approchaient... ou qui auraient dû s'approcher. Car il régnait dans le couloir un silence qui n'avait pas sa place dans la situation présente. Et puis, à l'opposé de la grande allée de carrelage, deux pas se firent entendre... Bientôt suivi par une série d'autres, bien plus pressés. N'entendant rien, la seconde servante avait jeté un oeil vers l'entrée avant de d'y précipiter. Devant le pas pressé de sa collègue, Anora laissa parler son inquiétude et fut dans le couloir la seconde suivante.

-Vôtre Grâce ! Dit-elle très inquiète avant de presque courir vers la porte à son tour.

Devant l'ouverture ornée de fer forgé se trouvait une silhouette. Immobile, elle était agenouillée sur le sol, ses mains posées à l'envers sur ses genoux et ses doigts passivement recroquevillés. Elle était vêtue d'une robe noire toujours de bonne facture mais plutôt simple en comparaison de ce qu'elle avait l'habitude de porter. Le bas de ses jupons étaient tâchés de boue, de même que ses chaussures. Elle portait sur les cheveux et le visage un voile maintenu en place par une sorte de large tiare. Elle conservait la tête baissée et les yeux fermés, ne réagissant pas à la main de la quarantenaire qui se posait sur son épaule, ni à la voix d'Anora qui l'appelait.

On lui avait fait comprendre que la prêtresse n’était pas chez elle, alors il avait attendu. Silencieux il n’avait pas bronché une seul fois, mis à part pour refuser la proposition des serviteurs - qui soit dit en passant avaient tout de même apporté de l’eau -. 

Il s’était demandé s’il n’était pas arrivé trop tôt, et fait preuve d’une certaine impolitesse lorsque l'attente parut se prolonger. Malheureusement il n’aurait pu avoir la réponse tant que la maîtresse de maison n’était pas là. Alors il avait attendu.

Il avait observé un long moment le ciel s’assombrir et les petits point lumineux et lointains apparaître un à un. Ce n’est que le bruit d’une porte qui le fit soudain reprendre vie. Ses oreilles se haussèrent légèrement lorsque la femme qui allumait des bougies émit l’hypothèse que c’était la prêtresse qui devait être de retour.

Et puis s’ensuivit un instant de panique pour les deux femmes qui fit froncer les sourcils de l’elfe et s’approcher lui aussi. Et voir La silhouette recroquevillée au sol lui fit autant un choc que les deux autres servantes.

Sur le visage abîmé de l’elfe, l’inquiétude dominait largement. Oublié la gêne. Oublié les milles questions. Il avait sincèrement peur pour la jeune femme qui ne répondait pas aux sollicitations de ses compagnes. Si a première vue elle n'avait pas l'air blessée, son état n'en demeurait pas moins inquiétant.

Il s’approcha sans geste brusque et  se mit à la hauteur de la jeune femme après un regard vers les deux autres. Il prit soin de ne pas la toucher, ayant peur que dans l’état où elle se trouvait elle n’ait qu’un mouvement de recul.

-Neassa... L'appela-t-il doucement.

Il savait que c’était idiot de tenter de lui parler alors que ça ne fonctionnait pas jusqu’à présent mais rien n’empêchait de tenter… Il guetta un instant une réaction. Et finalement réaction il y eut.

Il vit la jeune femme relever la tête vers lui. Son visage d’abord inexpressif se para d’un sourire puis doucement elle vint se blottir contre lui. Pendant une ou deux seconde il se figea, surpris. Et puis ses bras vinrent enlacer la prêtresse, dans une étreinte qui se voulait rassurante.

-Qu’est-ce qui s’est passé pour te voir dans un état pareil ? Fit-il d’une voix calme et douce malgré l’inquiétude.

Et comme elle ne réagissait plus, il lança un regard interrogateur aux deux autres femmes, comme si elles avaient une réponse, ou au moins un fragment. Il ne savait pas pourquoi ni comment celle qu’il tenait dans ces bras se retrouvait ainsi mais ça lui faisait de la peine.

-Quoi qu’il en soit tout va bien maintenant. Voulu-t-il l’apaiser. Tout va bien Neassa.

Il n’avait pas pris le risque de bouger, encore moins de la relever. Pas pour l’instant. A la place il continuait de la serrer dans ses bras.

Neassa-Laella ne répondait pas et ne bougeait plus. La seule voix qui avait su la tirer de son état de catatonie l’espace d’un instant, c’était celle qui n’avait a priori pas sa place dans cet endroit. Et aussi celle qui la touchait le plus. La vision d’Aithruïn devant elle lui avait réchauffé le coeur pendant une seconde et elle était venue lui réclamer une étreinte sans un mot afin de se réchauffer entièrement dans ses bras. Car elle avait l’impression que toute forme de chaleur avait quitté son corps.

Devant la question restée en suspend et le regard interrogateur de l’anedhel, Sayia, la quadragénaire, se décida à répondre pour sa maîtresse.

-Elle ne porte du noir que pour officier. Et cela a dû être éprouvant pour qu’elle se retrouve dans un tel état.
-Elle a dû y passer sa journée ?! Elle est partie aux aurores ce matin.

L’aînée des servantes répondit à sa collègue d’un pincement des lèvres en coin. Oui, elle avait raison… Et ce n’était pas habituel. Un enterrement prenait quelques heures à préparer et à réaliser mais pas une journée entière. Elle porta son regard sur la prêtresse qui ne bougeait toujours pas dans les bras de l’inconnu. La tête posée contre son torse, elle écoutait son coeur battre, les yeux fermés. Elle semblait plus paisible qu’à son arrivée. Sayia battit trois fois des paupières devant cette vision. Des soupirants, elle en avait eu depuis le début de sa carrière auprès d’elle mais aucun à qui elle ait porté un quelconque intérêt autre que celui de la politesse. C’était la première fois que l’un d’eux avait su la toucher au point qu’elle vienne trouver du réconfort auprès de lui.
Après quelques minutes, Sayia se leva et revint la minute suivante, un verre d’eau à la main. Elle posa une main délicate sur le bras de la sang-mêlé.

-Lessie ?

Son surnom fit ouvrir les yeux à la prêtresse qui se redressa très légèrement pour apercevoir celle qui venait de l’appeler. Elle la regarda sans comprendre. C’était si rare qu’elle l’appelle ainsi… Puis, elle vit le verre d’eau qu’on lui tendait. Après une seconde, elle s’extirpa lentement des bras d’Aithruïn comme si elle n’avait pas réellement eu la volonté de le quitter. Son corps fut parcouru d’un frisson en retrouvant la fraîcheur de l’air de ce début de soirée. Elle prit le verre et but quelques gorgées. Avait-elle bu aujourd’hui ? Elle n’en était plus sûre. De même qu’elle n’aurait pu assurer qu’elle avait mangé.

-De quoi avez-vous besoin ? S’enquit Anora, encore inquiète.

Neassa-Laella tourna lentement la tête vers la jeune femme et détailla son expression avant de lui répondre la seconde suivante.

-De me changer. Déclara-t-elle d’une voix lasse.

Puis elle fit de nouveau face au danseur, semblant lui signifier que c’était pour lui, pour leur soirée, qu’elle voulait revêtir une tenue plus appropriée que cette robe noire et tâchée. Ses traits étaient un peu plus expressifs et avaient retrouvé une partie de leur douceur habituelle. Elle étira un nouveau sourire. Plus sincère. Plus vivant. Exprimant à la fois sa gratitude de l’avoir ainsi laissé venir se blottir contre lui de la sorte et la tendresse qu’elle ressentait à son égard. Leur première véritable étreinte survenait alors qu’elle en avait réellement besoin. Et cela lui avait procuré un bien-être rare.

Combien de temps ils restèrent ainsi ? L’anedhel n’en avait aucune idée. Il ne bougeait pas plus que celle qu’il serrait doucement contre lui. Il la sentait plus paisible, sa tête posé contre son cœur, et ça l’apaisait surement autant qu'elle. Égoïstement il ressentit même un léger sentiment de manque lorsque la jeune femme fini par reculer un peu, vite comblé par la tendresse de son sourire lorsqu’elle se retourna à nouveau vers lui. 

Même si son inquiétude s’était un peu adoucie de par les réactions de la prêtresse, son sourire, ses mimiques réapparues, elle n'avait pas tout a fait disparue. Il avait réellement eut peur pour elle lorsqu'il l'avait vue prostré sur le sol.

Puisque ça avait l'air d'aller mieux, l'elfe finit par se relever, aidant Neassa-Laella à faire de même et puis recula un peu, la laissant partir se changer puisqu’elle le souhaitait.

Si les deux servantes avaient émis un début de réponse sur la raison de  l’état de la prêtresse, il restait encore beaucoup d’interrogation. Aegden ne voulais cependant pas insister. Il était ainsi, comme les autres elfes, si on ne voulait pas lui dire quelque chose, il ne chercherait pas plus loin. Il était le moins bien placé pour cela de toute façon…

Il se décida à attendre à nouveau le temps que Neassa prendrait à se changer. Il se demanda un instant s’il n’aurait pas mieux fait de la laisser se reposer tranquillement et de passer la voir à un autre moment. Mais finalement il se dit que si elle n’était pas dans son assiette, peut-être aurait-elle besoin de réconfort. Il avait envie de s'assurer qu'elle allait réellement bien de toute façon.

Avec l'assistance bienvenue d'Aithruïn, Neassa-Laella se leva puis garda sa main dans la sienne encore un bref instant. Elle lisait l'inquiétude dans son regard et voulait le rassurer. Elle se sentait aller mieux de seconde en seconde et la présence de l'elfe n'y était pas étrangère. Son regard plongé dans celui du danseur, elle lui adressa un nouveau sourire et lui serra doucement les doigts avant de le lâcher à contre-cœur et de se diriger vers l'escalier. Sans même avoir besoin de se concerter, Sayia et Anora se flanquèrent chacune à ses côtés par peur de la voir s'effondrer de nouveau. La prêtresse marchait pourtant de son pas léger, quoi que plus lent que d'ordinaire, disparaissant bientôt dans l'ombre des marches.

Quelques minutes plus tard, la jeune femme redescendit. Elle s'était passée un peu d'eau sur le visage, avait détaché ses cheveux et troqué sa robe noire contre une dans les tons bleus foncés. La coupe était très simple et il n'y avait que très peu de fioritures contrairement à ce qu'Aithruïn avait pu la voir porter jusque là. Normalement, elle était agrémenté d'un voile s'attachant tel un ras-le-cou et venant enserrer ses épaules avant de partir flotter dans son dos mais elle n'en avait pas voulu. Il était extrêmement rare qu'elle ne soigne pas son apparence...

Apparaissant sur le pas de la porte du salon, elle observa l'anedhel sans un mot l'espace de quelques instants, un doux sourire aux lèvres mais un brin de tristesse encore dans le regard.

-Je suis désolée de t'avoir inquiété. Dit-elle simplement avant de se tourner vers Anora qui se tenait en retrait derrière elle. Je n'aurais plus besoin de vos services aujourd'hui. Prenez votre soirée.

La jeune servante parut interloquée et inquiète puis, jetant un regard en direction de l'elfe, elle parut comprendre que sa présence n'était probablement pas souhaitée pour les heures à venir. Etant donné l'intérêt qu'il avait manifesté pour sa maîtresse un peu plus tôt, il prendrait sans doute bien soin d'elle. Elle se retira donc après une rapide révérence et ferma la porte pour leur laisser un peu d'intimité. Neassa-Laella sourit en coin à cette attention avant de se tourner à nouveau vers Aithruïn.

-Et je m'excuse également pour le retard. Ni l'un ni l'autre n'aurait dû survenir ce soir. Je pensais être rentrée bien plus tôt et avoir le temps de me remettre de ma journée avant ton arrivée...

Elle avait donc prévu qu'elle rentrerai dans cet état. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était l'étendue de ce qu'elle aurait à accomplir et la durée de cet ouvrage. Elle s'approcha de lui d'un pas lent. Elle avait conscience de ne pas se comporter exactement comme d'habitude, ayant l'impression de mettre une distance entre eux qu'elle ne désirait pourtant pas. Elle lui devait sans doute une explication et il n'y avait rien de confidentiel dans ce qu'elle avait fait ce jour-là.

-Tout à l'heure, tu m'as demandé ce qu'il m'était arrivé et je n'ai pas pu te répondre. Elle s'arrêta à moins d'un pas de lui, plongeant son regard doux et chagriné dans le sien. Un nécromancien a mis du désordre dans un cimetière à proximité de la cité. Nous y avons passé la journée avec plusieurs confrères et quelques fidèles afin de redonner une sépulture décente à chaque défunt avant d'accomplir un certain nombre de rituels... C'était éprouvant, à tous points de vue.

Elle baissa le regard, cherchant les mains de l'anedhel. Elle en saisit une avec délicatesse puis releva les yeux vers son visage. Un sourire tendre et un brin timide étira ses lèvres alors qu'elle s'apprêtait à lui faire une confession.

-Mais notre étreinte, si elle n'était pas préméditée, m'a fait beaucoup de bien.

En voyant Aithruïn devant elle, elle en avait subitement ressenti le besoin et s'était écoutée sans même réfléchir. Elle savait qu'il n'était pas très porté sur le contact physique, même si la moindre petite marque de leur affection avait été un véritable bonheur, autant pour l'un que pour l'autre. C'était la première fois qu'ils s'étaient tenus aussi proches et elle avait trouvé dans ses bras tout ce qu'il lui fallait pour la réconforter... De la chaleur, de la tendresse, de l'amour... Tout ce qu'il lui rappelait la vie ainsi que ce que le monde avait de plus doux à offrir. A ses yeux, tout ceci était désormais réuni en une seule personne.

-Ce…nécromancien…Aegden fronça le nez, comme dégoutté à l’idée même de prononcer ce mot. Il ne t’a pas fait de mal au moins ?

Elle n’avait pas l’air blessée et il se doutait bien que si elle l’avait été ses servantes s’en seraient aperçues bien vite. Il ne pouvait cependant pas s’empêcher de s’inquiéter, et ça se voyait. Ses oreilles étaient légèrement inclinées vers l’arrière et son visage affichait un air presque anxieux.

-ça compte beaucoup à mes yeux. Que tu aille bien j’entends.

Il soutenait son regard de ses prunelles anthracites et la jeune femme pouvait y lire tellement de choses dont elle se doutait déjà et qu’il ne disait encore qu’à demi-mots.

-Heureusement que ce n’était pas prémédité. Rit-il ensuite, peut-être un peu nerveusement. Cela eut malgré tout pour effet de laisser partir la tension. Ça n’est pas très utile sinon. Il y eut ensuite un tout petit silence. Je suis heureux si j’ai pu te réconforter. Sincèrement. Fit-il avec un peu plus de sérieux. J’ai eu si peur en te voyant là sans bouger. 

Il avait pendant quelques seconde aussi eut peur de n’être qu’un intrus, certes pas un inconnu, mais un intrus tout de même au vus de la situation. Elle avait ses servantes pour s’occuper d'elle après tout. Pourquoi aurait-elle eut besoin de quelqu'un d'autre...Cette étreinte, ce simple fait que Neassa cherche du réconfort dans ses bras lorsqu'elle semblait si mal, lui avait fait comprendre qu’il se trompait. Elle tenait à lui comme il tenait à elle et il en éprouvait un bonheur indescriptible.

Sa main libre vint s’aventurer timidement vers une singulière mèche rebelle de la chevelure sans désordre de la jeune femme qu’il remit en place. On aurait dit qu’il osait à peine l’effleurer, comme si elle fut en porcelaine. Habitué à fréquenter des soldats, et bien qu’il n’était pas du genre brutal, il était rare qu’il fasse preuve d’autant de délicatesse. 

-Au final je crois que ça m’a fait autant de bien qu’à toi d'une certaine manière...Avoua-t-il en mêlant un peu plus leurs doigts déjà unis ensembles.

Neassa-Laella sourit pour rassurer l’anedhel. Si tout serviteur de la Voilée qui se respectait détestait cette forme de magie, c’était tout aussi vrai pour un fervent ilethien. Kÿria prônait l’amour de la vie qu’elle avait donné à ses enfants et chacune d’elle était donc précieuse. Vouloir la rendre ou ranimer les corps qui auraient dû simplement reposer en paix lui était tout aussi incompréhensible et écoeurant par certains aspects. Sur ce point encore, leurs deux points de vue concordaient.
Elle s’apprêtait à lui répondre lorsqu’il lui fit savoir à quel point il lui était important de savoir que ce mage ne lui avait rien fait. Son sourire s’étira un peu plus, touchée et heureuse de l’intérêt qu’il lui portait une fois encore. Elle lui parla d’une voix douce et apaisante.

-Sois rassuré. Il était déjà entre les mains du Guet de Thaar quand nous n’en étions qu’aux préparatifs de cette journée.

Le rire d’Aitrhuïn leur fit autant de bien à l’un comme à l’autre. C’était le premier qu’elle entendait de la journée. Il était aisé de croire que ceux qui oeuvraient chaque jour pour la Déesse des mort étaient froids et austères mais il n’en était rien. Neassa-Laella, plus que n’importe lequel de ses confrères, avait besoin de sentir la vie autour d’elle. Et quoi de mieux que l’éclat d’une voix heureuse pour cela ? Surtout de la part d’un être aimé.
La prêtresse baissa légèrement les yeux lorsqu’il évoqua la peur que son état lui avait inspiré. Elle s’en était déjà excusée mais ce n’était pas tant la culpabilité qui lui serrait le coeur que la tendresse que lui inspirait cette preuve de son attachement. Elle aperçut la main de l’anedhel approcher de son visage et à peine la frôler afin de remettre un fragment de sa chevelure en place. La délicatesse de son geste n’avait rien de surprenant à ses yeux qui ne voyait que le danseur en lui. A la voix de l’elfe, elle avait l’impression qu’il doutait que sa présence pouvait lui faire autant de bien… Elle releva alors le regard pour se plonger dans le sien.

-Réaliserais-tu seulement l’affection que je te porte ? Demanda-t-elle, surprise, amusée et attendrie par les doutes d’Aithruïn.

La sang-mêlé ne manquait pourtant pas de dispenser ses marques de tendresse dès qu’elle en avait l’occasion. Se tenir la main était un geste si naturel entre eux à présent… Elle le couvait de son regard affectueux. Elle lui adressait de nombreux sourires qu’elle n’avait pour nul autre. Elle avait quelques gestes à son égard qu’elle ne se serait pas permise sans les sentiments qu’elle lui portait, rajustant son col, caressant ses doigts enlacés par les siens, posant sa tête contre lui… Toujours en douceur, toujours pas petites touches car elle savait qu’il n’était pas des plus à son aise dans le contact physique. Mais les codes n’étaient peut-être pas les mêmes en Anaëh qu’en Ithri’Vaan et il était peut-être temps qu’elle se montre un peu plus explicite… Avec délicatesse, sa main libre vint se poser sur le dos de celle de l’anedhel qui se trouvait près de son visage comme pour l’empêcher de s’en aller. Avec douceur, elle lui suggéra une autre direction et, lentement, l’amena se poser sur sa joue. Elle ferma les yeux pour profiter de ce contact qu’elle avait pourtant elle-même créé mais qui ne retirait rien au plaisir de sentir sa paume sur son visage. Quelques secondes plus tard, elle les rouvrit pour retrouver les iris d’Athruïn. Elle libéra sa main, le laissant libre de la laisser là ou de la retirer. Sa main à elle vint se poser sur le coeur d’Aithruïn tandis qu’elle avançait encore d’un demi pas, les rendant si proches...

-Pour ma part, je suis consciente de la tienne depuis notre deuxième rencontre.

-Pardonne-moi si j’ai ne serait-ce qu’un instant eu l’air de douter. Il continua à mis voix. Je réalise et j’en suis tellement heureux Neassa...

En réalité il n’en avait pas douté très longtemps des sentiments de la jeune femme et encore moins de sa sincérité. Il avait juste craint au départ de se tromper, de mal comprendre, d’être aveuglé par un vain espoir, tout comme il avait eu peur que la situation précédentes dépasse ce genre de sentiments…et puis elle l’avait rassurée lors de leur seconde rencontre, elle l’avait rassuré là ici aussi. Chaque petit geste qu’elle faisait, il s’en rendait bien compte. Chaque petite attention, il les gardait précieusement dans un coin de son cœur. 

La dernière phrase de la jeune femme avait d’ailleurs quelque chose d’amusant. Aegden avait l’impression que Neassa-Laella le comprenait parfois mieux qu’il ne se comprennait lui-même… Elle semblait lire en lui avec une facilité déconcertante. 

Il n’avait pas retiré sa main, même lorsque celle de Neassa l’avait libérée. C’était toujours ce doux sourire qui se trouvait sur son propre visage. Il était véritablement heureux de se trouver là, apaisé même. Cette tendresse, cet amour tout neuf qu’il savait maintenant bel et bien présent entre eux. Tout cela lui réchauffait le cœur d'une manière incomparable.

Pourtant, aussi paisible pouvait-il être, la prêtresse, sa main posée sur son cœur pouvait certainement sentir ce dernier battre beaucoup trop fort car ils étaient si proches...

Ils étaient si proches.

Il y eut un instant de flottement. Le silence, leur regard qui ne se lâchaient pas. Aegden posa sa seconde main libre sur le visage de Neassa avec une infinie tendresse, son pouce caressant doucement sa joue.
Ils étaient si proches et ils se rapprochèrent encore. Enfin, leurs lèvres finirent par se rencontrer, tout aussi tendrement que les autres gestes qu’ils échangeaient.

Elle les avait conduit à ce moment. Avec précautions et douceur. Rien dans son attitude ne contraignait Aithruïn à suivre le chemin qu’elle lui suggérait. Rien dans le regard de la prêtresse ne laissait entendre qu’elle attendait quoi que ce soit de lui. Il aurait pu s’y soustraire, décider de procéder autrement… Mais il ne l’avait pas fait.

Les paroles de l’anedhel avait étiré un sourire heureux sur le visage de Neassa-Laella alors qu’il avouait enfin tout haut ce qu’elle savait déjà. Depuis ce jour où il était venu l’aborder dans la rue, elle lisait en lui l’écho de ses propres émotions. Cette danse qu’ils avaient improvisé ensemble avait été plus qu’un simple spectacle. Ils étaient les personnages de leur propre histoire. L’amour naissant qu’ils avaient exposé à tous n’était ni plus ni moins que de leur. Un amour qui n’avait fait que croître depuis lors. Mais il était si bon de l’entendre le lui dire…
Avec une infinie douceur, Aithruïn se pencha sur elle, encadrant son visage de ses deux mains. Elle sentait le coeur du danseur sous ses doigts qui s’affolait autant que le sien alors que tous deux semblaient pourtant si paisibles en cet instant fatidique. Leurs lèvres se trouvèrent avec un naturel déconcertant et elle répondit à ce premier baiser qu’il lui offrait. Un baiser qu’elle avait craint brièvement ne jamais pouvoir partager avec lui avant qu’il ne soit trop tard. Un baiser qui dura un moment dont elle savoura chaque seconde.

Lorsque leurs lèvres se séparèrent avec la même douceur qu’elles s’étaient découvertes, lorsque leurs paupières s’ouvrirent à nouveau et lorsque leurs yeux se retrouvèrent, Neassa-Laella sourit de plus belle, plus heureuse encore que jamais. C’était comme si sa terrible journée était oubliée, balayée par ce geste pourtant si simple mais qui signifiait tant pour l’un comme pour l’autre.

-Je ne pensais pas dire cela un jour… mais je remercie Arcam de m’avoir joué l’un de ses tours. Confia-t-elle à mi-voix tandis que son regard trahissait plus que jamais son affection pour Aithruïn.

Elle réalisa alors que sa main libre était venu se poser sur la taille de l’anedhel. Elle ne se souvenait même pas d’avoir eu ce geste. Toujours sur le coeur de l’elfe, la dextre de la jeune femme remonta jusqu’au visage de du danseur pour venir se poser sur sa joue dans une caresse. Tout près de lui, elle se sentait si bien… C’était comme s’il n’y avait qu’eux et leur amour. Et tout lui semblait si simple entre eux...

-On avait raison de ne pas le contrarier finalement… Répondit avec un éclair amusé dans son regard.

Il parlait lui aussi à mi-voix comme s’il ne voulait que ses paroles n’atteignent que la femme dont il s’était épris sans s’y attendre. 

Il se crispa cependant presque imperceptiblement en sentant la main de la jeune femme se  poser sur son visage puis tout aussi vite son sourire réapparu comme s’il n’avait jamais disparu. Depuis quelques temps maintenant, depuis que cette deuxième triste cicatrice était visible sur sa joue droite, il appréhendait sans pouvoir s’en empêcher le contact avec son visage.

Mais tout allait bien, il n’avait rien à redouter à présent et il ne voulait pas que Neassa interprète cela comme du rejet. Ça n’en était pas, il supportait sa main. Venant d'elle il avait l'impression de pouvoir supporter n'importe quoi. Le geste de la jeune femme n’était que douceur et il ne voulait pas que cet instant s’arrête, pour rien au monde il ne l'aurait souhaité. 
 
-Mais peut-on encore parler de ‘’tour’’ lorsque ceux qui sont concernés en sont pleinement satisfaits ?
 
Ses main quittèrent le visage de la jeune femme et vinrent se rejoindre dans son dos, la serrant un peu plus contre lui. Elle avait l’air d’avoir repris totalement ses esprits à présent et quelles que soient les difficultés de sa journée la prêtresse semblait les avoir oubliées. Elle semblait heureuse et c’est tout ce qui importait à l’elfe à l’heure actuelle.
 
-Mais pour le reste je remercie aussi Arcamenel pour tous ces moments depuis que tu as mis ta main dans la mienne. Souffla-t-il. Depuis cette danse que nous avons partagés.  Il observait tendrement le visage de la prêtresse. Je pense que quoi que je te dise tu t’en doute. Mais c'est un souvenir que je chérirais très longtemps. Tout comme il chérirais bon nombre de leurs instant partagés ensembles au final.

Neassa-Laella avait perçu l'appréhension passagère de l'elfe mais, puisqu'il avait choisi de passer outre pour se détendre aussitôt, elle en fit autant. Aussi ne montra-t-elle rien de son questionnement quant à sa réaction et conserva sa main sur sa joue qu'elle caressa avec douceur tant qu'il le supportait. Puisqu'elle l'avait déjà vu effleurer quelques fois ses cicatrices, elle ne put faire le lien avec elles.
La question du le "tour" la fit sourire.

-Il est vrai. Mais Tyra et Arcam n'entretiennent pas les meilleures relations du monde. Il en est de même pour moi mais ce n'est pas vraiment Arcam et ses préceptes le problème. Avoua-t-elle avec un air mi sérieux, mi mystérieux.

Elle n'avait pas vraiment de raisons de lui cacher son passif avec le dieu des arts et des plaisirs -ou tu du moins était-ce ce qu'il était en Ithri'Vaan- mais elle doutait que ce soit le meilleur moment pour évoquer le sujet. C'était certes plus personnel encore que tout ce qu'ils avaient pu aborder jusque là mais elle ne voyait pas d'inconvénient à lui faire part de cela. Seulement, après un premier baiser, ce n'était peut-être très adéquat... Elle laissait à Aithruïn le soin de décider ce qu'il en pensait de son côté et se tenait prête à lui répondre de manière à ne pas gâcher ces instants uniques qu'ils partageaient ensemble.

L'anedhel passa ses mains dans son dos et elle l'observa faire du coin de l’œil. Ce geste si simple l'invita à se rapprocher un peu plus encore pour venir se loger véritablement dans ses bras. Son regard bleuté se plongea dans le sien tandis qu'elle buvait chacune de ses paroles, de cette belle déclaration. Si chaque mot lui mirent du baume au cœur, les derniers avaient plutôt tendance à l'alourdir. Ils avaient fait un pari risqué... Depuis le début, ils étaient tous deux conscients que leur histoire naissante se retrouverait bien vite confrontée à une difficulté. Celle du départ imminent d'Aithruïn pour son pays. L'idée de lui demander de rester ne lui avait même pas effleuré l'esprit. Il aimait bien trop Anaëh et sa cité pour qu'elle lui réclame un tel sacrifice. Et peut-être avait-elle également peur d'essuyer un refus. Elle pourrait sans doute le faire elle-même mais leur relation était bien trop récente pour que l'un d'eux n'en vienne à songer à quitter tout ce qu'il connaissait par amour pour l'autre.

En revanche, une conversation passée lui trottait toujours dans sa mémoire. Une conversation qu'elle n'avait pas eu l'occasion d'aborder encore avec le danseur...

-Il en est de même pour moi... Et je ne te remercierai jamais assez de m'avoir abordée par deux fois. Parce que je serais passé à côté de moments aussi merveilleux que ceux que nous avons partagé. Son sourire s'éteignit comme si ses propres mots lui faisaient de la peine. Ils lui faisaient en effet penser à un adieu mais ce n'était pas ce qu'elle vouait... Elle s'apprêta alors à aborder cette question que tous deux taisaient mais qu'il faudrait bien régler un jour ou l'autre... Une question qui leur permettrait de se préparer à la suite des évènements. A savoir : si leur relation devrait prendre fin bientôt... Ou s'ils décidaient de la faire perdurer malgré la distance qui allait les séparer. Mais je voudrais que cela ne reste pas cantonné à un simple souvenir.

Elle marqua une pause, épiant le regard d'Athruïn pour essayer d'y déceler la moindre réaction, la moindre parcelle de compréhension de ce qu'elle s'apprêtait à développer.
Finalement, elle prit une grande inspiration et se lança.

-Je discutais avec un ami il y a quelques jours. Un ancien anedhel. Et... Il m'a dit une chose. Quelque chose que ne pensait pas possible. Est-il vrai que... je pourrais te rendre visite ? En Anaëh ?

Elle resta là, suspendue à ses lèvres en attendant une réponse. Il y avait tant d'espoirs dans cette unique question. Un simple "oui" répondrait à la faisabilité d'un tel projet mais le voulait-il seulement ? Que penserait-il de cette proposition sous-entendue ? Du fait de vivre une histoire d'amour avec une femme qui vivait à des lieues de chez lui ? Une étrangère qui n'avait même pas le sang pur ? Cela ne lui posait apparemment pas de problème ici, mais accepterait-il de la côtoyer dans son environnement à lui ?

Une seule question et tant d'inquiétudes qui la rongeaient un peu plus chaque jour et qu'il était le seul à pouvoir apaiser...

Aegden mis bien une bonne minute à répondre. Neassa pouvait sans doute bien déceler le trouble que provoqua sa question. Malgré tout il restait un bien piètre menteur et cette réaction là il ne pouvait la cacher… Une seconde il baissa les yeux, comme incapable de soutenir le regard de la prêtresse. S’il n’en montrait rien de plus à par un air déboussolé, il avait l’impression d’avoir reçu une claque. Sa seule question venait de tout simplement retourner toutes ses cachotteries en plein visage. Car elle ne pourrait jamais le revoir en Anaëh sans découvrir toute la vérité.

Il avait tellement honte… Dès le début de leur relation il avait mentit. Elle lui avait prêté une confiance qu’il ne pouvait lui rendre ici. Et maintenant elle partageait un fol espoir qui ne pouvait aboutir à autre chose que de la déception. 

Pourtant les dieux savaient qu'il aurait été heureux, sans ce mensonge, de l'entendre demander cela.

Il avait bien essayé de cacher cette culpabilité tout au long de leurs moments. De profiter de ces instants comme si le reste pouvait attendre. Comme si ne pas y penser ferait disparaître ces trop nombreux obstacles...

Et pourtant, il était incapable lui dire non. Cela aurait mis fin à ce qu’ils avaient débuté. Les souvenir resteraient des souvenirs, leurs petites joies réduites à un rien. En bref tout ce qu'il avait trouvé de magnifique à thaar s'en trouverait teinté d'amertume.

Aussi honteux était-il, le brave militaire se trouvait incapable de faire ce choix-là parce qu'il savait pertinemment qu'ils en souffrirait davantage.

- C’est possible oui. Il osa recroiser à nouveau son regard après une inspiration. C’est possible et sans doute plus qu'avant. Il hésita. Mais il faut que tu sache… Anaëh est réellement…différente d’ici. Et puis les elfes essaient de s’ouvrir sur l’extérieur, Il fit un petit sourire un peu amer. Je ne serais pas là sinon, mais ils sont loin d’être les plus ouverts envers les autres races. 

Il craignait de l’exposer à du rejet ou une quelconque forme d’animosité au sein d’Anaëh, même si son sang humain restait minoritaire et il souhaitait qu’elle ne découvre pas cela dans une situation fâcheuse… Il voulait qu’elle fasse ses choix en toute connaissance de cause. S’il ne pouvait être honnête entièrement, il se devait de s’efforcer de ne pas lui cacher ce qui pouvait ne pas l’être.

-Mais rien d’insurmontable. Rien qu'il n'était prêt à surmonter. Malgré l’air  inquiet, presque triste, l’affection n’avait pas quitté son regard. Il voulais la rassurer. Si beaucoup verraient son sang humain comme une tare qui l’empêchait d'avoir une quelconque reconnaissance, Aegden n'y prêterait pas plus attention chez lui que dans la capitale Vaanie. Pas plus insurmontable que de sortir d’Anaëh pour un groupe de saltimbanque... Plaisanta-t-il timidement.

Neassa-Laella se préparait à tellement de réactions différentes de la part d'Aithruïn. Certaines étaient plus redoutées ou espérées que d'autres. Il aurait pu sauter de joie à cette idée, se trouver rassuré de la voir proposer ce qu'il n'osait demander, lui opposer un non catégorique, lui promettre que ce serait lui qui reviendrait, se montrer réticent à cette idée... Mais ce fut l'une des pires qui se produisit alors qu'il gardait le silence durant d'interminables secondes.

Et le cœur de la sang-mêlé de se serrer alors qu'il détournait les yeux...

Elle attendit néanmoins, conservant le mince espoir qu'il était seulement en pleine réflexion. Cependant, ce n'était pas le questionnement qu'elle lisait sur son visage. Allait-il lui demander de faire de leur histoire une simple passade ? Lui dire que tout prendrait fin à la seconde où il passerait les portes de Thaar ? Elle le craignait de plus en plus à mesure que le silence perdurait. Et, si c'était ce qu'il voulait, elle ne le contraindrait pas à poursuivre une relation qu'il ne jugeait pas suffisamment importante à son cœur pour braver les obstacles qui s'interposaient entre eux. C'était l'accord silencieux qu'ils avaient passé en jouant le jeu d'Arcam et en se lançant dans une telle relation.
Mais alors qu'elle baissait les yeux à son tour, la voix de l'anedhel résonna à nouveau dans le salon qui s'assombrissait avec la nuit tombante. Si ses premières paroles auraient dû la rassurer, il n'en fut rien car elle sentait venir le "mais" et redoutait plus que tout ce qu'il dissimulait... Cachait-il son appréhension ou bien son souhait que tout ce qu'il s'était passé hors d'Anaëh n'y mette jamais les pieds ? La réponse vint bien vite et Neassa-Laella découvrit ce qui semblait tourmenter le danseur depuis de trop longs instants déjà. Sa réponse ne touchait leur relation ni de près ni de loin. Elle n'entrait même pas en compte dans ses réticences. Il voulait simplement la prévenir de l'accueil qui lui serait sans doute réservé.

Evidemment, on ne lui ouvrirait pas grand les bras, et ce malgré son lien avec l'un des leurs. Si elle se demanda si leur relation aurait des impacts pour lui aussi, la réponse lui vint dans ses dernières paroles.

Pas plus insurmontable que de sortir d'Anaëh... Cela ne pouvait se rapporter qu'à lui. Il serait donc lui aussi touché par le fait d'être tombé amoureux d'une étrangère doublée d'une impure. Le fait qu'elle soit prêtresse d'une autre religion ne jouait sans doute pas non plus en sa faveur... Peut-être était-ce cela l'objet de ses précédentes réflexions. Et il se montrait prêt à affronter les regards de ses pairs... Pour elle. Pouvait-elle rêver plus belle preuve d'amour ?

Finalement, les lèvres de la jeune femme s'étirèrent dans un sourire soulagé et rassurant à la fois. Elle caressa de nouveau la joue d'Aithruïn, l'enveloppant d'un regard tendre.

-Je ne me fais effectivement aucune illusion concernant l'accueil qui me sera réservé. Mais le seul qui compte à mes yeux, c'est le tien. Si ma visite peut faire ton bonheur, alors je viendrais. Peut-être seulement quelques jours si on ne me tolère pas plus longtemps mais je suis prête à endurer tous les regards pour celui qui a su réveiller mon cœur en tendant simplement la main dans ma direction. Mes sentiments pour toi sont déjà plus forts que tout ce que j'ai pu éprouver auparavant. Alors... Mets de côté ce que les autres en penseront car je ne les crains pas, grâce à toi. Et dis-moi simplement... ce que tu souhaites, toi. Et si le préjudice est trop grand pour toi, sache que je comprendrais.

Ses main quittèrent doucement le dos de la jeune femme et vinrent à nouveau encadrer son visage alors qu’il déposa un baiser sur son front avant d’y appuyer le sien. Il ferma les yeux un instant.

-Tu sais déjà ce que je souhaite Neassa. Fit-il à mi-voix. Ne doute pas un seul instant quel bonheur ça serait pour moi de te revoir là-bas. Peux importe ce qu'on peux me dire. Ton bonheur compte bien plus que la perspective d'un quelconque préjudice pour moi.

Douce amertume était de mise en cet instant. Aegden se retrouvait à nouveau devant la demeure de la prêtresse et attendait comme il avait attendu la dernière fois après avoir frappé à la porte. Cette fois en plus de ce doux bonheur à l’idée de revoir Neassa-Laella, il y avait quelque part un soupçon de tristesse.

Aujourd’hui était le seul de leur rendez-vous qu’il n’aurait pas voulu voir arriver. Aujourd’hui il devait dire au revoir. Et quand bien même s’étaient-ils promis  à demi-mot que ce ne serait pas un adieu, ça faisait mal.

Il n’avait cessé de penser à cet instant depuis leur dernière rencontre. Cet au revoir ne se transformerait-il pas en adieu étant donné qu’il abandonnerait -enfin- ce mensonge qu’était son identité de saltimbanque ? Ils se reverraient, oui. Mais voudrait-elle encore de lui une fois la vérité sue ?

Et puis il ne savait pas non plus à quoi ressemblerais ces derniers instants. Ils se doutaient tous les deux que ça ne serait probablement pas une partie de plaisir et c’était sans doute pour ça qu’ils avaient choisi un lieu où ils savaient pouvoir trouver un minimum d’intimité. Il avait tellement peur de briser le cœur de la sang-mêlée, et le siens par la même occasion, il n'était pas d'humeur à supporter la foule Thaarie.

Neassa-Laella venait d'achever les préparatifs de cette soirée et observait le résultat afin de s'assurer que rien ne manquait. Il y avait de quoi s'installer, de quoi manger en salé et sucré, de quoi boire, des verres, un éclairage suffisant... Partout où se posaient ses yeux, aucune idée nouvelle ne lui venait, si bien qu'elle finit par laisser son regard vagabonder. Elle avait pris grand soin d'organiser cette soirée comme si c'était la dernière de toutes. Pourtant, ils s'étaient mis d'accord sur le fait que demain ne serait pas une fin pour eux...
Alors qu'elle repensait à la réponse qu'Aithruïn lui avait faite, elle ne put empêcher ses lèvres de s'étirer en un sourire béa de bonheur tandis que son cœur s'emballait soudain. Oui, elle savait sa réponse avant même qu'il ne la prononce mais elle ne pouvait pas toujours se contenter de lire en lui. Elle avait aussi besoin de l'entendre... Et les mots qu'il avait choisi pour le lui dire étaient si doux à son oreille... Elle l'avait alors embrassé, comme pour lui faire savoir à quel point il la comblait à travers ces quelques phrases.

Désormais, les choses étaient claires entre eux et tous deux pouvaient se considérer comme étant en couple.

En couple... C'était presque irréel aux yeux de la prêtresse...

Quelques sons caractéristiques arrachèrent la jeune femme de ses rêveries. Elle observa une nouvelle fois les alentours, ignorant combien de temps elle avait passé là, perdue dans ses pensées. Puis elle se dirigea vers la porte et il lui semblait que son pas était plus léger encore que d'habitude. C'était leurs derniers instants ensemble, certes, mais elle ne voulait pas se concentrer là-dessus. Elle préférait qu'ils se créent un nouveau souvenir à chérir en attendant leurs retrouvailles.

La porte s'ouvrit sur le sourire de la prêtresse. Elle s'écarta sans tarder pour laisser l'anedhel entrer avant de refermer derrière lui. A peine fut-il dans l'ombre de la luxueuse demeure qu'elle glissa sa main dans la sienne le temps verrouiller l'entrée. Puis elle s'approcha de lui pour venir déposer un baiser sur ses lèvres avec douceur. Si l'élan de ce geste lui était naturel, chacun de ces contacts était pour elle telle une bouffée de tendresse qui l'enveloppait et elle s'arrêtait sur cet instant plus qu'elle ne l'avait envisagé au départ...
Après quelques secondes, elle se détacha de lui sans pour autant s'en éloigner. Elle plongea son regard mystérieux et radieux dans le sien et lui parla à mi-voix.

-Bonsoir. Fit-elle comme si elle se souvenait seulement de ses bonnes manières, un nouveau sourire éclairant ses traits.

Avec cette simple réplique à demie-amusée, elle voulait lui suggérer le ton de la soirée. Elle ne souhaitait pas qu'ils se morfondent sur leur séparation si proche mais qu'ils profitent pleinement de leurs dernières heures ensemble.

-J'ai congédié tout le monde. La soirée est à nous. Déclara-t-elle avant de commencer à l'entraîner à sa suite, sa main toujours dans la sienne. Je t'ai préparé notre soirée en pensant à toi. J'espère que cela te plaira.

Avec douceur, elle le guida à travers ce couloir qu'il connaissait déjà. D'arcade en arcade, ils passèrent chaque voilage sans que jamais elle ne l'oriente vers l'une des portes qui se trouvaient entre, ni même vers l'escalier. La dernière section de cette allée donnait directement sur une terrasse qui n'était autre que le prolongement du salon dans lequel ils s'étaient embrassés pour la première fois. Mais ce n'était pas là que se trouvait sa surprise.
Devant eux s'étendait un jardin, minuscule en comparaison de ce qui pouvait exister dans le quartier. Quelques allées de pierres permettaient d'en faire le tour et de couper en son milieu. Deux arbres trônaient au bout des deux rectangles de verdure dessinés par ces chemins. C'était là, au pied de l'un d'eux qui se trouvaient le résultat de son ouvrage.

Une couverture avait été soigneusement disposée sur l'herbe coupée. Sur un plateau se trouvaient deux verres ainsi qu'une carafe d'eau et une d'hydromel. Un panier à vivres attendait sagement dans un coin du linge étendu, deux assiettes et des couverts soigneusement posés dessus. Le soleil brillait encore mais, déjà, des lanternes et des lampions étaient disposées tout autour de l'endroit, dans les allées et au milieu des branches. Tout avait été prévu pour créer un cadre aussi naturel et romantique que possible...
Neassa-Laella se tourna vers Aithruïn pour observer sa réactions, son regard rayonnant d'assurance et de bonheur.

Elle avait un tel entrain… Il avait souri, sa mélancolie envolée, lorsqu’elle était venue déposer un baiser sur ses lèvres. Ses oreilles pointues s’étaient redressées par curiosité lorsqu’elle avait continué sa phrase.

Qu’avait-elle en tête une fois de plus ?  Et puis il ne posa pas la question qu’elle le guidait déjà jusqu’à un coin de verdure qu’elle avait visiblement arrangé pour eux.

-Tu as fait ça pour nous ? Il posa à nouveau son regard sur la semi-elfe. Il avait l’air vraiment touché. Ses pommettes ayant même légèrement pris des couleurs. Je… Il sembla chercher ses mots un instant sans la quitter du regard. Elle rayonnait tellement, heureuse visiblement de ce qu’elle avait fait. Il y avait quelque chose de réellement magnifique à la voir ainsi.

-Merci. Finit-il par lâcher tout simplement. Un sourire aux lèvres écho de celui de la prêtresse. C’est une très jolie surprise.

Il passa alors devant elle sans lâcher sa main et saisissant la seconde. Volant au passage un timide baiser, il recula en la faisant avancer comme si cette fois c’était lui qui voulais la guider alors même qu’ils se trouvaient chez elle. Pendant une seconde ou deux leur posture put sans doute leur rappeler leur instant sur scène.

Il fit ensuite en sorte de s’asseoir tout près d’elle lorsqu’ils s’installèrent aux milieux de ce petit cocon de verdure.

Il fixa à nouveau l’espace de là ils se trouvèrent alors. Neassa devait bien avoir compris que la forêt lui manquait. En tout cas comme lorsqu’elle l’avait guidé à travers les quartiers aux jardins lors de leur première soirée ensemble, il se sentait bien plus à l’aise.

-Depuis le début tu as fait beaucoup pour moi Neassa. Il désigna l'endroit. ici, l'autre soir...J'aurais aimé te rendre la pareille.

Sa surprise avait l'effet escompté et Neassa-Laella arborait un sourire d'autant plus radieux. Elle avait compris à quel point la nature était une part importante dans la vie de l'anedhel et c'était la raison pour laquelle elle les avait installé dehors et non dans le salon ou encore au balcon-terrasse qui se trouvait à l'étage. Elle avait choisi le cadre le plus naturel possible tout en prenant en compte le temps dont ils disposaient ensemble ainsi que leur sécurité. Son jardinet semblait être la meilleure option pour cela, même s'il manquait cruellement de charme, brillant par sa simplicité, et que l'esprit de la vie citadine restait belle et bien présente.

La prêtresse suivit son compagnon, amusée par son attitude ainsi que par le souvenir de leur rencontre. Elle, qui le trouvait si mesuré et si réservé lors de leurs retrouvailles, le découvrait de plus en plus détendu et à son aise en sa compagnie, faisant preuve de plus d'initiatives résidant principalement dans ses gestes si tendres qu'il lui adressait. Elle s'assit confortablement, prenant soin de ne pas froisser sa robe. Aithruïn vint se placer si près d'elle qu'elle ne put résister à l'envie de laisser son épaule venir se poser devant la sienne, sa tête se penchant pour se loger dans son cou. Elle profita de cette étreinte fugace quelques instants avant de se redresser à moitié pour l'écouter et suivre ce qu'il lui montrait du regard. Elle fronça légèrement les sourcils à ses derniers mots et se redressa totalement pour plonger ses iris dans les siennes, comme si elle le sondait.

-Me rendre la pareille ? Dit-elle, surprise. Mais tu l'as fait... Ayant désormais compris que le visage était un point sensible pour le danseur, elle choisit de l'éviter et de poser une main sur son cœur. Tu étais là au moment où j'avais le plus besoin de toi et tu m'as apporté le meilleur des réconforts. Tu m'as si bien aidé que j'en ai oublié des heures de rituels éprouvants et de visions macabres. J'étais si apaisée que je me suis endormie en ayant l'impression que mon corps flottait dans les airs. Acheva-t-elle alors qu'un coin de ses lèvres esquissait un sourire sincère.

Elle ne comprenait pas pourquoi il dépréciait ainsi le bien qu'il pouvait lui faire, surtout en évoquant cette soirée pendant laquelle il avait tant fait pour elle. Ce n'était qu'une simple étreinte, il était vrai, mais rien ne l'obligeait à la lui offrir. Et cela lui avait tant apporté et représentait tant à ses yeux...

-Ne sous-estime jamais les sentiments que j'ai pour toi et tout le bonheur que tu peux me procurer. Dans mon monde où seules comptes les apparences, je n'ai pas oublié la richesse de gestes aussi simples que sincères. Ce que tu m'as offert ce soir-là, qu'il s'agisse de tes bras ou de notre premier baiser, compte pour moi bien plus que tu ne peux l'imaginer. Parce qu'ils venaient de toi, Aithruïn...

Dans son souci de renforcer ses paroles par l'usage de son prénom, elle ne se doutait pas un instant que cela pourrait avoir un effet tout à fait inverse. Elle le regardait toujours, ses yeux brillants de ferveur, de sincérité et d'affection.

« Ce n’est pas ce que je voulais dire » Avait-il voulu répondre. Ses oreilles s’étaient légèrement couchées vers l’arrière. Pourtant il n’avait rien dit et l’avais laissé parler jusqu’au bout et à nouveau il eut l’impression de prendre une claque. A nouveau elle utilisait ce prénom qui n’était pas vraiment le siens. Elle parlait de ce monde d’apparence d’une manière qui laissait entendre qu’elle ne l’appréciait pas forcément. Sauf que l’elfe ne jouait-il  pas aussi malgré lui avec des images…?

-Je ne les sous-estime pas je te le promets. Il la prit dans ses bras et la serra doucement contre lui, comme cherchant un réconfort dont la prêtresse ne pouvait deviner la raison.

Il ne voulait pas gâcher cette soirée. Elle avait trop bien commencé. Il ne voulait pas voir sa compagne cesser de rayonner.  Alors il se reprit et lui adressa un air un peu contrit en la lâchant finalement.

-Excuse-moi. Il passa une main dans ses cheveux cuivrées comme gêné, et força un timide sourire qui devait devenir plus sincère au fur et à mesure. Je voulais simplement dire qu’un jour j’aimerais te faire découvrir des lieux de chez moi, comme tu l’as fait ici… Il secoua la tête. Enfin soit, n’en parlons plus. Je veux faire honneur aux efforts que tu as mis dans l’organisation de tout ça et ne rien gâcher. 

D’un geste machinal il passa sa main dans l’herbe coupée et leva un instant la tête vers les étoiles. Il n'y avait pas un seul nuage pour cacher les deux lunes.

-Cette soirée sera magnifique. Fit-il comme si le simple fait de le dire forcerais le sort à en faire ainsi.

Lorsqu'il l'invita à venir se blottir contre lui, elle se laissa faire bien volontiers. Quant à la détresse qu'elle perçut dans ce geste, elle la mit sur le compte de son départ prochain. Tout comme elle, il devait déjà pressentir ce manque qui se tenait prêt à l'assaillir avec l'absence de l'autre. L'anedhel était source de bonheur pour elle, c'était vrai, mais aussi d'une certaine forme de douleur quelque part avec la distance qui les séparerait bientôt. Était-ce cela qui le perturbait en cet instant ? Elle ne pouvait imaginer une autre raison car elle était bien loin d'imaginer la véritable cause de son trouble.
A sa réponse, elle se contenta d'étirer un peu plus son sourire avec tendresse.

-Et tu le feras. Une jeune fille a besoin de mon aide quelques temps. Dès qu'elle pourra supporter mon absence, je viendrai. Je te le promets.

La seule chose qui retenait Neassa-Laella, c'était Elia. Elle était sa seule urgence du moment et ne pouvait se résoudre à la laisser seule avec ses tourments, quand bien même son cœur saignerait à l'idée de se retrouver séparée d'Aithruïn des ennéades durant. Bien sûr, d'autres difficultés pourraient venir d'ici-là et repousseraient alors son voyage mais elle préférait ne pas y penser.
Imitant son compagnon, la jeune femme leva son regard vers le ciel qui commençait très lentement à se parer des couleurs du soleil couchant. Il avait raison, la soirée s'annonçait belle...

Et elle le fut.

A un apéritif composé de quelques mignardises et de crudités accompagnés d'hydromel se succéda un repas à la fois léger et champêtre, tout du moins aux yeux de la prêtresse. Elle s'était renseignée auprès de ses connaissances pour dénicher quelques mets typiques d'Anaëh. Leur réalisation n'était certainement pas aussi bonne que chez eux et certains ingrédients différaient du fait de leur inexistence en Ithri'Vaan mais cela donna à Neassa-Laella un aperçut de la culture culinaire d'anedhel. Ils eurent d'ailleurs l'occasion d'évoquer les différences entre leur repas et ceux qu'elle aurait l'occasion de goûter chez lui. Était-il bon cuisinier ? Quels étaient les plats typiques de son pays ou même de sa cité ? Quelles plantes ne pouvait-on trouver qu'en Anaëh ? Quels animaux aussi ? Elle avait tant de questions dont il avait les réponses... Des questions qu'elle n'avait soumis qu'au compte-goutte jusqu'alors. Mais, maintenant que la perspective de le retrouver là-bas était réelle, elle les laissait venir bien plus aisément car elles étaient devenues une forme d'espoir qui rendait leur séparation moins difficile puisque seulement temporaire.

Tandis qu'ils mangeaient, une musique leur parvint depuis l'une des maisons voisines où une fête était visiblement donnée. Au début très rythmée, elle ne servit que de musique d'ambiance, donnant un ton plus jovial à leur conversation. Puis, plus tard dans la soirée, alors qu'ils avaient rangé le matériel du repas et s'étaient étendus dans l'herbe pour observer les étoiles l'un contre l'autre, une mélodie plus douce parvint jusqu'à eux. Tous deux se redressèrent alors et Aithruïn se leva. Il offrit sa main à sa compagne afin de l'aider à se mettre debout. Puis il la fit tourner sur elle-même avec délicatesse avant de la reprendre dans ses bras pour entamer une danse à la fois paisible et tendre, bien loin de celle qu'ils avaient partagé lors de leur rencontre. L'idée d'être à nouveau sa cavalière fit sourire Neassa-Laella qui se plia bien volontiers à l'exercice, se laissant mener avec plaisir.

Combien de temps dansèrent-ils ainsi ? La prêtresse aurait été incapable de le dire. Cependant, elle remarqua qu'à mesure que la musique progressait, son compagnon l'éloignait de moins en moins de lui pour finalement la garder simplement dans ses bras. Et ce n'était pas pour lui déplaire... Elle alla même jusqu'à poser sa tête sur son épaule pour se laisser bercer par le faible balancement de leurs corps tendrement enlacés. Finalement, la musique s'arrêta et la jeune femme rouvrit les yeux. Aussitôt, elle réalisa à quel point la nuit était avancée... Elle se redressa doucement pour croiser le regard d'Aithruïn alors que leurs mouvements s'étaient arrêtés pour ne laisser que leur étreinte.

-Je suis désolée, je ne m'étais pas rendue compte qu'il était si tard. Tu vas être épuisé demain... Dit-elle avec bienveillance, son visage orné d'un demi sourire quelque peu contrit. Il était vrai qu'elle n'espérait pas pouvoir profiter autant de lui pour leur dernière soirée. Il avait besoin de repos car une longue route l'attendait. Et son cœur de se serrer de voir ce moment tant redouté survenir déjà...

Il avait un instant fermé les yeux, lorsque la musique s’était tue. Profitant de ces derniers instants volés. Pouvait-il rêver étreinte plus douce que celle-ci ? Certainement pas. Elle lui manquerait tant. Il avait envie de graver cet instant dans sa mémoire. Jusqu'à ce qu'ils se retrouvent enfin.

-Ne t’inquiète pas pour moi. Il reposa ses prunelles anthracite sur elle. La nuit est encore longue. Il lui offrit un sourire amusé. Et si je m’endors pendant le voyage ça sera ça de moins à supporter. Plaisanta-t-il en haussant les épaules.

Il avait connu pire qu’un manque de sommeil tout de même… Et puis c'était un désagrément qu'il était largement prêt à accepter en échange de cette jolie soirée. Qu'est-ce qu'il pouvait bien risquer de toute façon? Une remarque de la part d'un de ses camarades? Peux lui importait.

-Je n’ai pas envie que ce moment s’arrête. Avoua-t-il à mis voix. La jeune femme toujours dans ses bras, il la fit tournoyer une dernière fois, tout doucement. Dommage que notre musicien improvisé ait décidé de se taire...

Il se doutait bien que le temps défilait et qu'il devrait très bientôt lui dire au revoir. Mais il ne voulais pas voir s'effacer ce sourire bienveillant du visage de la prêtresse. Il lui était devenu trop précieux. Alors il voulais repousser ce départ autant qu'il le pouvait. Chaque minutes, chaque petite seconde.

A l’image de la jeune femme, l’anedhel ne voulait pas ternir la beauté de cette soirée. Pas plus qu’il ne voulait qu’elle s’arrête d’ailleurs. Neassa-Laella se prêta bien volontiers à son jeu, faisant mine de danser sur une mélodie imaginaire, riant d’une voix douce. Ces heures passées ensemble étaient leurs dernières avant bien longtemps. Elles s’étaient écoulées bien trop vite à leurs yeux et ils profitaient plus que jamais des quelques instants qu’il leur restait.
Après un moment, ils durent néanmoins se résigner à prendre la direction de l’entrée. La nuit était plus qu’avancée et Aithruïn n’avait plus beaucoup de temps avant son départ. Devant la grande porte de fer forgé, ils s’arrêtèrent une nouvelle fois. Une nouvelle étreinte. Un nouveau baiser, bien plus long que tous ceux qu’ils avaient échangé jusqu’alors. Ils se créaient leurs derniers souvenirs, cherchant à combler un peu de ce manque qui naissait déjà en eux.

Et quelques mots, glissés à mi-voix...

-Si tu ne me vois pas demain, cela ne voudra pas dire que je ne suis pas là…

Elle venait tout juste de prendre cette décision. S’il ne dormirait pas beaucoup, elle non plus. Et, à l’aube, elle se tiendrait près de chez Milynéa pour apercevoir une dernière fois les traits de son compagnon. Elle se ferait discrète, mais elle serait bel et bien présente au moment de son départ. Une façon de lui faire un dernier au revoir. Une façon de garder espoir et de le soutenir. Une façon de reporter de quelques heures la déchirure que cela représentait de le voir partir.

Jusqu’à la fin, Neassa-Laella conserva ses traits à la fois souriants et paisibles. Cette expression qu’il lui connaissait à présent si bien, agrémenté d’une petite pointe de bonheur dans les yeux. Jusqu’au dernier moment, elle donnerait l’illusion d’être parfaitement heureuse, même alors qu’il se trouvait sur le point de s’en aller. Pas tant pour elle que pour lui. Pour ne pas alourdir son coeur de plus de chagrin qu’il n’en contenait déjà.
Mais lorsqu’elle ferma la porte après avoir vu la silhouette d’Aithruïn disparaître dans la nuit, elle s’y adossa et laissa son sourire s’évanouir et une larme perler sur sa joue. Puis elle rangea tout ce qu’elle avait sorti pour leur soirée, passa une robe de chambre et, au lieu d’aller se coucher, s’installa dans l’un des canapés de son balcon-terrasse. Là, elle observa les étoiles avec l’impression que son compagnon était toujours à ses côtés… Elle réalisa alors que ses cheveux s’étaient discrètement imprégnés de son odeur lorsqu’ils étaient allongés dans l’herbe.
Et il lui manqua instantanément.

Comment pouvait-elle être à ce point attachée à lui alors que leur amour avait jusque là été le plus platonique qui soit ? C’était une mystère… Mais aussi une preuve de la pureté et de la force de leurs sentiments.