A la recherche d'aide [Epistolaire libre]

« Il me faut un médecin. »

Il était étrange pour la jeune femme de prononcer de tels mots. Généralement, c’étaient ses propres patients qui s’adressaient à elle en ces termes. Les yeux rivés dans le grand miroir de sa chambre, elle ne pouvait cependant plus nier l’évidence : elle avait besoin d’aide.

Cela faisait deux énnéades que la haute-prêtresse avait soigné l’héritière de la famille Hiisi. Depuis lors, elle passait son temps à utiliser le don de la déesse pour guérir les blessures les plus graves. Les blessés avaient afflué dans le dispensaire, des blessés de plus en plus graves. Visiblement, les routes menant à Thaar étaient de moins en moins sûres et les maladies se développaient à une vitesse effrénée dans les faubourgs. Le dispensaire ne pouvait plus tenir cet afflux de blessés et de malades et la haute-prêtresse était incapable de tenir le rythme.

Lucrétia avait trop tiré sur la corde. Elle avait trop tiré sur la corde, été trop présomptueuse quant à ses capacités et maintenant, elle en payait le prix. Son corps avait lâché quelques jours auparavant : elle s’était évanouie en plein milieu du diner, sa tête tombant dans le bol de millet qu’elle tentait d’avaler sans grande conviction. Les sœurs l’avaient amené dans ses appartements et veillé qu’elle puisse reprendre des forces. Depuis lors, elle n’avait pas quitté sa chambre et le dispensaire avait dû réduire drastiquement ses activités.

La haute-prêtresse avait refusé que les médecins l’auscultent plus que nécessaire. Le diagnostic était clair : surmenage et utilisation trop quotidienne de la magie. Elle aurait pu en rester là et prendre quelques jours de repos si une autre donnée ne s’était pas immiscée dans l’équation …

« Aïe ! »

La douleur survint alors qu’elle pinçait maladroitement la peau scintillante sous sa poitrine. Depuis que ses dons avaient gagné en puissance, à chaque fois qu’elle abusait de ses pouvoirs, de petites tâches scintillantes apparaissaient sur la peau de la haute-prêtresse. Ces marques n’étaient pas déplaisantes à regarder et elles avaient eu la délicatesse de rester sur des endroits de son corps qu’elle ne montrait que sous la couette. Néanmoins, celles-ci s’étaient multipliées ces dernières semaines, jusqu’à former des tâches de plus en plus larges sur ses cuisses, son bassin, son dos, ses bras et sa poitrine. Seule sa tête semblait exclue de cette affliction pour l’instant.

Lucrétia avait beau tout tenter, elle n’arrivait pas à faire partir ces traces scintillantes de son épiderme. Même l’utilisation de la magie pour modifier son corps ne donnait aucun résultat. La jeune femme était quelque peu désespérée. Si ces traces s’étendaient jusqu’à son visage, elle aurait du mal à les justifier. Elle avait remarqué, après quelques jours, que ces traces changeaient parfois de place, comme si elles étaient vivantes sur sa peau. C’était très déstabilisant.

Mais cette étrange coloration de certaines parties de son épiderme n’était rien en comparaison du reste. Lentement, elle s’approcha du grand miroir au cadre d’étain et écarquilla les paupières de son œil gauche avec ses doigts. Son iris avait perdu sa belle couleur olive. A la place, une couleur bleu vif … Son œil droit n’avait pas été touché, fort heureusement. Elle soupira et se recula, insatisfaite.

« Au moins, la couleur est belle … »

Elle avait beau tenter de se rassurer comme elle pouvait, elle restait tout de même inquiète. Lentement, elle souleva sa chevelure, laissant découvrir sous ses longs cheveux brun sombre d’épaisses mèches aux couleurs dorées. Cette dernière particularité était la plus visible des conséquences de l’utilisation prolongée du don de la déesse. Elle ne savait pas trop quoi en faire … peut être les teindre si jamais ces mèches devenaient trop envahissantes …

Lucrétia avait besoin d’un prêtre disposant d’une profonde connaissance du don de la déesse. Il lui fallait d’urgence comprendre ce qui lui arrivait … Était-ce du à l’utilisation prolongée de la magie ? Etait-ce un signe de la déesse ? La haute-prêtresse s’était aperçue que ces derniers mois, ses pouvoirs s’amplifiaient et qu’elle parvenait à maîtriser de plus en plus aisément le don que lui avait fait la DameDieu. Néanmoins, consulter un prêtre devenait de plus en plus urgent. Les contrecoups de l’utilisation de la magie étaient fréquents chez les mages. Elle avait du en soigner quelques-uns par le passé : hémorragie internes, poussées de fièvres, nausées, … La magie pardonnait mal aux gens qui l’utilisaient avec trop de légèreté. Mais en matière d’altérations physiques, elle n’avait jamais rencontré de mages en souffrant : tout au plus, elle avait pu constater que certains focaliseurs fondaient à force d’utilisation prolongée …

Lucrétia joua avec le pendentif qu’elle avait dans les mains. Son focaliseur n’avait pas pris une ride depuis ces derniers mois. Pourtant, elle sentait qu’il remplissait correctement son rôle. Il y avait donc un autre problème … Quelque chose s’était déclenché suite à l’utilisation prolongée de la magie et elle n’était pas en train de subir les effets standards du contrecoup …

Lors de sa rencontre avec Aerianna, elle l’avait sentie en elle. Non, pas Aerianna ! Elle avait senti la Déesse, ou du moins, c’était la sensation qu’elle avait eue lorsqu’elle incantait. Tout ceci était beaucoup trop inhabituel pour être un simple contrecoup de la magie … Elle avait besoin de conseil et ne savait trop vers qui se tourner …

Lucrétia retourna à son bureau et finit de sceller les lettres qu’elle destinait à plusieurs experts. Elle fit fondre la cire rouge et apposa son sceau pour les cacheter. Ces lettres partiraient demain dès l’aube. D’ici-là, elle avait besoin de repos. De beaucoup de repos.