L'accueil surprise d'une mystérieuse étrangère | Artion & Lessie

5ème jour de la 1ère ennéade
Favrius, automne de l'an 17:XI

Mais que mijotent-ils ?


Neassa-Laella était arrivée en ces terres étrangères depuis à peine quelques jours. Après ses discussions avec Aithruïn, elle avait découvert que le peuple des elfes étaient plus ouvert qu'on voulait bien le croire vu de l'extérieur. Il y avait tout simplement une bonne façon de se présenter à lui afin de lui demander à pénétrer sur ses terres. Elle aurait pu choisir de simplement énoncer le nom de celui qu'elle avait rencontré à Thaar pour passer les frondaisons d'Anaëh mais elle avait voulu emprunter des voies plus officielles pour cette première visite. Aussi avait-elle contacté le culte de Tari afin d'échanger avec eux sur leurs pratiques religieuses. C'était un sujet qui occupait son esprit depuis longtemps. En tant que presque elfe, on lui adressait la plupart des ilethiens qui faisaient appel au culte de Tyra. Autrement dit, au culte qui se rapprochait le plus de celui de la Voilée selon leur propre dogme. Elle s'était toujours inquiétée de savoir si elle faisait les choses comme il le fallait et souhaitait prendre contact avec Anaëh depuis bien longtemps pour s'en assurer. Elle n'avait jamais osé, persuadée qu'elle essuierait un refus. Son compagnon lui avait laissé entendre qu'il n'en serait rien... Elle avait alors tenté sa chance et put constater qu'il avait raison.


Où me conduisent-ils ?


Après des ennéades de lents échanges, il parut évident que le plus simple pour enseigner à Neassa-Laella quelques rituels était de la faire venir. Le temps de préparer un tel voyage et elle se présentait à la lisière de la forêt, suivant les indications qui la menèrent bien vite au fort flambant neuf des elfes. Là, elle avait dit au revoir aux membres de son équipée, les laissant rentrer en Ithri'Vaan dans l'attente de nouvelles de sa part. En attendant, elle resterait seule parmi les elfes et cela ne l'effrayait en aucune façon.
A sa grande surprise, sa venue était connue de tous à Celimë et ses compagnons de route avaient déjà été désignés. Quant au voyage qui les attendait, il était immense... En acceptant de se rendre auprès du culte de Tari, elle ignorait qu'elle devait traverser le pays tout entier ! Elle aurait été bien plus vite par la mer... Mais ce n'était pas la voie qu'on lui avait demandé d'emprunter.
Les deux hommes qui lui avaient été assignés étaient des militaires. L'un était un archer, grand, blond et au tempérament aussi impétueux qu'orgueilleux. Le second était plus jeune et plus doux et l'attitude assurée et mystérieuse de leur visiteuse lui faisait perdre ses moyens d'une manière touchante.


Pourquoi Taeral me regarde-t-il avec cet air amusé ?


Neassa-Laella observait la cité avec plus de curiosité encore qu'elle ne l'avait fait en s'enfonçant dans la forêt pour y découvrir les arbres pluricentenaires qui s'y dressaient. Tout ici était si différent de ce qu'elle connaissait... Ce que les anedhels appelaient des villes n'étaient pas plus urbanisées qu'un village aux yeux de la vaanie. Cette pensée n'avait rien d'un jugement, bien au contraire. S'il était vrai qu'elle n'était pas habituée à tant de verdure, elle trouvait cela magnifique... La façon dont mégapole et nature se cotoyait avec tant d'harmonie.

-Puis-je savoir où nous allons ? Se décida-t-elle enfin à demander.
-Juste faire un tour au Palais. Répondit l'archer d'un air faussement innocent et continuant sa route.

La prêtresse lui adressa un regard en coin qui lui fit savoir qu'elle n'était pas dupe mais n'ajouta rien. Aias, de son côté, la regardait, impressionné de constater qu'elle ne montrait toujours aucun signe d'une quelconque crainte, et ce depuis son arrivée au fort. Elle ne se sentait pas en danger au milieu d'eux, contrairement à ce qu'il avait pu remarquer chez leurs autres visiteurs qui leur témoignaient autant de méfiance qu'ils en recevaient. Elle n'était pas non plus hautaine et ne leur donnait pas l'impression de tout mieux savoir qu'eux. Elle les respectait et cela se lisait tant dans son regard que dans son attitude.
Vêtue d'une robe sombre aux reflets bleutés et d'un voile maintenu en place par un large diadème d'or blanc, elle évoluait parmi les ardamiri, bien consciente d'être l'intruse dans le paysage. Aux regards curieux ou suspicieux, elle répondait par de discrets sourires à la fois doux et chaleureux tels qu'elle en avait le secret. Finalement, elle s'arrêta et releva des yeux fascinés vers un arbre immense, pourvu d'étages, de balcons et de fenêtres. Un entrelacement de racines était gardé par quelques hommes qui n'empêchaient en rien les gens d'aller et venir à leur guise. Le trio passa près d'eux sans qu'on ne les arrête malgré la présence de l'étrangère.

A l'intérieur, tout était aussi beau qu'à l'extérieur. Suivant toujours ses guides, elle observait les nombreux escaliers qui parsemaient le décor mais aussi les terrasses et jardins suspendus. Elle admirait les prouesses techniques et magiques qui avaient été nécessaires pour concevoir tout cela.

-Et qui demeure dans un Palais aux portes grandes ouvertes ?
-Le Protecteur et ses invités. C'est aussi ici que se tient le Conseil et que l'on reçoit les diplomates. Expliqua le jeune Aias.
-Je ne suis pas une diplomate. Alors que faisons-nous ici ? Questionna une nouvelle fois Neassa-Laella, un discret sourire intrigué et amusé aux lèvres.
-Vous le saurez bientôt. Réagit Taeral d'un air espiègle et fier de la petite surprise qu'ils avaient préparé pour elle.

La prêtresse comprit qu'ils ne lui diraient rien, prévoyant de la mettre devant le fait accompli. Très bien, elle jouerait alors le jeu. Elle conserva donc le silence jusqu'à ce qu'elle découvre ce qu'il se tramait, son visage toujours illuminé par ce mince sourire paisible et mystérieux dont elle avait le secret.

- Tigilidënya ! tu lances à ton épouse à travers les éclats de rire Ton père m’a déjà vu bien moins présentable que ça !

- Elnoruì ! elle te répond sur un ton faussement hautain, avec la même bonne humeur Rien ne pourrait excuser un chignon aussi tragique !

- Eh bien je n’ai de solution que de le confier à vos mains expertes heri !

- Fa..hë ! votre fille gazouille joyeusement en vous regardant depuis son assise Fa…hë !

- Tu vois Artiön, même ta fille trouve l’état de tes cheveux inacceptable !

- C’est qu’ils sont peut-être mal coiffés, mais au moins ils sont en bonne santé !

- Heureusement pour toi ! Il ne manquerait plus que ça !

Vous étiez arrivés au petit matin, forcés de vous extirper du bateau alors que le soleil perçait à peine à travers les nuages. Heureusement aujourd’hui Elorëa avait décidé d’être matinale, et par la grâce de La Mère, vous n’aviez pas eu à trop la brutaliser pour son premier débarquement. La première vision d’Ardamir de la petite avait donc été la Cité matinale, avant que le soleil ne reprenne l’ascendant sur les lueurs illuminant le dédale de ponts courant dans la canopée. Et puis à peine aviez-vous pénétrés les appartements de Kaëlistravaë qu’elle s’était endormie. Manger un bout, vous laver, profiter de la quiétude du Palais de Chêne, voilà tout ce que vous demandiez à votre arrivée. Même avec seulement vingt-quatre heures à donner à la Cité des Arbres, te contenter de flâner en compagnie de ton épouse et de votre fille ne te paraissait pas le moins du monde une triste perspective. Seulement c’était sans compter sur ton épouse et ta fille elles-mêmes.

Une poignée d’heures de repos, voilà tout ce à quoi tu avais eu droit avant qu’Elorëa ne se réveille, que Killen n’ose passer vous saluer, et que la petite décide de s’attacher à lui comme si elle l’avait connu pendant l’entièreté de sa courte vie. Là les choses avaient pris un tour pour le pire, parce que là Kaëlistravaë avait décidé qu’il serait mieux de profiter de ta présence pour introduire Elorëa au reste de ses connaissances à Ardamir… et L’Amant sait le nombre de connaissances qu’a Kaëlistravaë en Ardamir.

- Ne t’installes pas trop Elnoruì, j’ai bientôt terminé.

- Déjà ?

Question rhétorique. Les mains de ton épouse s’affairant au milieu de ton dos suffisaient à te le faire comprendre et par la même occasion à t’annoncer qu’il serait bientôt temps de mettre le pied dehors. La dernière boucle de ta tresse nouée tu te lèves, prends la petite dans tes bras, et après que Kaëlistravaë ait ouvert la porte, entame ce qui aurait dû être une tranquille promenade.

- Ah ! à peine quelques couloirs plus loin que vous étiez déjà interrompus Aran Lîn, Rin Berith l’elfe s’incline, recevant vos hochements de tête en retour Riel, vous êtes là !

- Aias ? tu hausses un sourcil, étonné de le voir remonté de Celimë Un problème ?

Un regard soucieux de ton épouse se pose sur ton visage. Un regard perplexe de ta part se met à la recherche d’indices le temps d’un quart de seconde.

- Oh ! Je vois. tu te retournes vers Kaëlistravaë avec un léger sourire aux lèvres C’est l’une des elfes que l’on a rencontré lors de notre voyage à Thaar. tu fronces les sourcils et te retournes vers elle Je ne crois pas qu’on ait été correctement présentés d’ailleurs. Vous n’êtes pas restée après le spectacle, je me trompe ?

Par instinct ton épouse s’est rapprochée de toi, une main dans ton dos, une main à ton bras dans un geste protecteur. Avenante, mais pas moins méfiante, la Reine jauge l’étrangère sans se départir de son sourire, curieuse de savoir à quoi peut bien ressembler une elfe Vaanie.

Tradocs:

La tenue d'Artiön:

La coiffure d'Artiön ( plus ou moins ):

La tenue de Kaëlis:

Voyant Aias se détourner soudainement du chemin qu'ils empruntaient pour héler quelqu'un, Neassa-Laella observa le couple et le géant attira nécessairement son attention. Il ne lui fallut guère longtemps pour le reconnaître et elle se tourna vers Taeral pour lui adresser un regard faussement courroucé. Voilà donc la surprise qu'ils lui préparaient ? Une rencontre fortuite avec l'un des membres de la délégation ? Une chance pour eux qu'elle ait justement croisé celui-ci car elle n'avait réellement vu que deux des membres de la troupe.
Alors que le grand elfe s'adressait à elle, elle se détourna de l'archer et avança dans la direction du danseur pour s'arrêter à une distance respectable de lui et sa famille. Elle le salua tel qu'on lui avait recommandé de le faire. Soucieuse de faire montre de respect envers ses hôtes et leurs coutumes, elle s'était renseignée sur la question dès son arrivée et appliquait les recommandations qui lui avaient été faites à la lettre.

-Non, en effet. Répondit-elle avec un accent très prononcé malgré les efforts qu'elle déployait pour l'atténuer. Je ne voulais pas vous faire ombre. Tenta-t-elle de formuler.

Si elle comprenait à peine la langue des elfes avant le passage de la délégation à Thaar, elle avait pris des leçons depuis afin de s'améliorer en vue de sa prochaine visite en Anaëh. Elle était désormais capable d'interpréter ce qu'on lui disait et de répondre mais elle commettait encore de nombreuses fautes que seule la pratique pourrait corriger. Elle était prête à faire tous les efforts qu'il faudrait pour faire en sorte que sa présence même temporaire soit -au mieux- acceptée ou -au pire- tolérée. Et puis, elle voulait en faire la surprise à Aithruïn et lui prouver par les actes qu'elle était sincère lorsqu'elle lui avait dit qu'elle était prête à tout pour lui.

Alors qu'elle achevait sa réplique, un sourire malicieux se dessina aux coins des lèvres de la jeune femme. Elle ne pensait un seul instant que sa présence aurait pu leur voler la vedette, d'autant qu'elle avait été invitée à quitter la scène avant le final. Cependant, elle ne pouvait pas lui expliquer la véritable raison de son départ et lui avouer que cette seule danse l'avait bouleversée jusqu'à faire naître en elle des sentiments pour son partenaire...

-Je m'appelle Neassa-Laella Siryn, prêtresse de Tyra. Annonça-t-elle bien plus correctement, comme si elle avait appris cette phrase par cœur. C'était en réalité la seule qu'elle n'ait jamais eu à composer elle-même, contrairement aux autres. Je suis émue de voir que vous vous souvenez de moi. Vous avez rencontré beaucoup de personnes j'imagine et nous nous ne sommes juste croisé. Norui, c'est bien cela ?

La tournure était un peu maladroite et ne correspondait pas tout à fait à ce qu'elle voulait faire passer comme message. Elle essayait surtout de formuler sa pensée au mieux avec le vocabulaire dont elle disposait après seulement quelques ennéades de leçons. Elle regrettait seulement aujourd'hui de ne pas avoir entrepris cette démarche plus tôt. Elle qui aimait tant apprendre et qui était fascinée par les elfes -entre autres choses-, elle avait toujours reporté ce projet à plus tard... Et elle en avait terriblement besoin désormais.
La sang-mêlé ne manqua pas de remarquer l'attitude de la compagne du géant, avenante mais néanmoins protectrice et un brin méfiante. L'idée qu'elle estime qu'il ait besoin de protection l'amusa intérieurement. Qui songerait à s'en prendre à un homme comme lui ? Surtout venant d'elle. Elle mesurait près de trois têtes de moins que lui et possédait une carrure plus fine encore que celle de la Taledhel malgré sa pratique régulière de la magie. Neassa-Laella ne montra pourtant rien de ses observations et conservait un visage illuminé par un doux sourire. Son maintien était naturellement noble et ses gestes emplis d'une grâce rare.

À la réplique de la demoiselle, un léger rire t’échappe. C’est que vous faire de l’ombre aurait été difficile. Même Aegden au final n’était pas particulièrement petit.

Non. Pas cette fois. Cette fois les plaisanteries faciles tu t’en passeras. Qui sait ce que ferait Kaëlistravaë après plusieurs jours de bateau si elle devait en entendre ne serait-ce qu’une de plus ? Et elle savait de toute façon, il suffisait de voir comme son sourcil s’était relevé pour comprendre qu’elle savait… et qu’elle t’en voulait. Quelques discrètes œillades entre ton épouse et toi, puis ton rire s’éteint à la faveur d’un sourire du coin gauche de tes lèvres. Chez l’Etoile du Matin au contraire, c’est le droit qui semblait satisfait que ce qu’elle te savait avoir pensé sans oser dire n’ait pas franchi tes lèvres. Elle pourrait – comme toi – dignement suivre le cours de la conversation.
Une prêtresse de Tyra donc. Une moue pensive se dessina sur les lèvres de Kaëlistravaë. Voilà depuis le règne de Dyarque que vous n’aviez pas entendu parler du culte de Tyra. Tout ça lui paraissait dater d’il y a une éternité, et pourtant le crépuscule du règne de Dyarque était tellement jeune ! Mais ce n’était peut-être pas là le plus marquant pour Rîn Berith. Elle savait pourtant, parce que tu avais exploré l’idée avec elle avant de partir, et que tu lui avais raconté en revenant, que tu avais fait du surnom qu’elle t’avait offert ton prénom, là-bas en Ithri’Vaan. Pour autant, l’entendre dire avec tant de candeur par quelqu’un d’autre avait quelque chose de presque… perturbant.

- Artiön, en réalité. tu souris avec assurance, décidant d’oublier la gêne qu’il pouvait y avoir dans de telles révélations. Noruì est un nom de scène que j’ai décidé d’adopter à Thaar pour mieux pouvoir me détacher du foyer. tu échanges un regard plein de compassion avec ton épouse, et vous deux posez ensuite les yeux sur le petit être dans tes bras Et même comme ça, il m’a bien trop manqué. Mais Naessa, voilà Kaëlistravaë, mon épouse.

- Et Elorëa, notre fille.

Kaëlistravaë s’écarte légèrement de toi, pose une main contre sa poitrine et s’incline légèrement, offrant finalement des salutations plus détendues à la nouvelle venue.

- Ravie de vous rencontrer. les sourcils de la guérisseuse se soulèvent en une mine désolée Mais sans vouloir vous incommoder, que diriez-vous de poursuivre notre conversation à l’extérieur du Palais ?

- C’est la première fois qu’Elorëa voit la Cité de naissance de sa mère. Nous étions partis pour une promenade, et je crains qu’elle ne soit aussi impatiente que son ada. tu berces légèrement ta fille, lui arrachant un rire enjoué Hein Rhëa ?

- Aias, Taeral, sentez-vous libres de disposer… les oreilles de Kaëlistravaë se lèvent …ou de nous accompagner si le cœur vous en dit.

- Vous avez entendu Rîn Berith. Pour le travail que vous faites à Celimë, vous méritez bien de prendre une journée de repos.

Sauf que quelque chose te disait que si les deux jeunes soldats se voyaient offerts un jour de permission, ce ne serait pas avec leur vieux Roi et sa petite famille qu’ils choisiraient de le passer.

Ainsi donc, le géant avait adopté un autre nom durant son séjour à Thaar. Etant donné ses motivations, cela ne posa nullement question à la vaanie qui passa bien vite outre. Elle comprenait l'intérêt de sa démarche. Elle inclina légèrement la tête lorsqu'il la présentait à sa femme puis adressa un sourire attendrit lorsque celle-ci fit de même avec leur fille.

-Elle est très belle. Fit-elle avec sincérité avant de tourner à nouveau son regarder vers Artiön. Et c'est Neassa. Mais si mes prénoms semblent trop longs à vous, vous pouvez m'appeler "Lessie".

Kaëlistravaë la salua finalement de manière courtoise et poussa le vice jusqu'à l'inviter à les accompagner, ce qui ne manqua pas de surprendre la prêtresse intérieurement. Après la méfiance dont la Taledhelle avait discrètement fait preuve, elle se montrait soudain plus qu'accueillante en la conviant de la sorte. Elle n'eut cependant pas l'occasion de répondre, Artiön reprenant la parole avant que le couple ne s'adresse à ses deux guides. Aias se tourna vers l'archer qui était venu se poster à quelques pas de la vaanie. Il échangèrent une conversation brève et silencieuse en conclusion de laquelle tous deux s'inclinèrent en employant les formules d'usage puis commencèrent à s'éloigner.
D'un geste de la main, Neassa-Laella arrêta le plus jeune avant qu'il ne la dépasse.

-Attendez... Lui demanda-t-elle. Le soldat stoppa aussitôt sa progression et Taeral se retourna, intrigué par la réaction de la prêtresse qui s'adressait déjà au couple. Cette ville est magnifique et je vous remercie pour l'invitation mais... Vous êtes en famille. Je ne veux pas... Elle chercha son mot sans parvenir à le trouver.
-M'imposer. Fit Aias, venant gentiment à son secours après quelques secondes.

La jeune femme lui adressa un sourire reconnaissant. Elle était loin de connaître et de maîtriser toutes les expressions de cette langue belle et complexe. Certaines, d'ailleurs, ne se traduisaient pas d'un langage à l'autre ou il n'existait pas d'équivalent. Elle ne connaissait pas encore cette tournure-ci mais aurait tout intérêt à la retenir.
Elle revint finalement sur le couple.

-Je crois comprendre que cette rencontre n'était pas prévue. Je ne veux pas vous déranger plus longtemps. Puis elle adressa quelques mots à destination d'Artiön lui-même. Je suis heureuse de vous avoir revu. Dit-elle en s'inclina pour les saluer.

Ton épouse t’inflige un regard inquisiteur, que tu lui rends sans plus attendre. Profiter de l’instant juste vous deux et votre fille, ou le partager avec quelqu’un ? La réflexion est rapide, et finalement, au langage corporel de ton épouse, tu sens que son amour pour sa Cité l’empêche de refuser à quelqu’un la visite. D’autant plus qu’en ces temps difficiles les Ardamiris autrefois bienveillants face aux elfes d’ailleurs n’étaient pas particulièrement accueillants.

- N’ayez pas d’inquiétude Neassa-Laella. tu t’avances légèrement en sa direction Après tout, c’est aussi pour rencontrer du monde que nous avons décidé d’aller nous promener.

- Et très honnêtement, j’avoue être très curieuse de ce à quoi pouvaient ressembler les contreparties humaines de nos cultes.

Curieuse elle ne l’avait pas toujours été. En réalité, elle ne l’était que du culte de Tyra, dont la Gardienne avait fait passage il y a peu. Curieuse, et extrêmement critique, Kaëlistravaë contrairement à toi n’avait pas vécu son enfance avec les prêtres. Scholastique pure et dure, ayant appris les légendes par les livres et les textes avant de les entendre par les histoires, le rapport à la foi était l’un des rares sujets sur lesquels la vision de ton épouse tenait moins de l’émotionnel que la tienne. Et heureusement. Probablement aurais-tu été bien embêté si cela n’avait pas été le cas. Si elle s’était plus laissé aller à l’affect, voilà que tu aurais été bien embêté le jour où le Palais de Chêne avait été corrompu par le sang. De même te serais-tu retrouvé pantois quand à la suite du passage d’Enyalis, Alëandir avait été secouée de frayeur. Et encore, sans elle, probablement n’aurais-tu pas si aisément laissé de côté ta colère devant le silence des messagers de Kÿria.

- Et ce sera peut-être pour vous l’occasion d’obtenir des réponses aux questions que vous n’avez pas pu poser après le spectacle. tu jettes un œil en direction des deux militaires Quoiqu’il est possible qu’on vous les ait déjà données.

- Na ! Nad’ !

- Mais je crains qu’il ne vous faille vous décider au plus vite. tu ris La demoiselle est pressée !

Lorsque l’étrangère se décide, vous entamez le chemin d’un bon pas, décidés à atteindre le fleuve d’ici aux belles heures, pour profiter d’un déjeûner sur les berges. Seulement vous étiez bien haut dans le Palais, et vous ne comptiez pas prendre le chemin le plus court. Il y avait trop à voir dans les dédales de branches de la canopée Ardamirie pour gagner les racines si vite. Surtout qu’avant de vous presser vers l’eau, il vous faudrait peut-être penser à aller le chercher, votre déjeûner.

- J’espère que vous n’avez pas peur des hauteurs !

Kaëlistravaë avait toujours aimé quitter le Palais de Chêne par les grands ponts plutôt que par les racines. La canopée Ardamirie était tellement… vivante !

Ignorant qui se trouvait devant elle, Neassa-Laella fut plus touchée que surprise par la proposition renouvelée du dénommé Artiön, bientôt appuyée par la curiosité de son épouse. Elle ne fit donc rien pour aller à l'encontre de leur souhait et accueillit leurs paroles d'un sourire.
Lorsque le géant évoqua le sujet des questions qu'elle aurait pu poser après le spectacle, elle comprit qu'Aitrhuïn n'avait pas parlé d'elle à son partenaire de danse. Cela l'interpella mais sans l'inquiéter pour autant. Auprès tout, leur histoire était très récente et il y avait peut-être des personnes plus proches avec lesquelles il voulait aborder le sujet avant de l'évoquer avec ses amis. Sans compter que la femme dont il s'était épris ne faisait pas partie de leur peuple... Dans tous les cas, ce n'était pas d'elle que la nouvelle devait venir. Elle se contenta donc de sourire intérieurement, amusée à l'idée qu'Artiön s'attende à bon nombre de questions alors qu'elle avait déjà obtenu bien des réponses.
Cependant, l'échange de regards entre la montagne et les soldats l'interrogea bien davantage. Si Aias était dans son champ de vision, elle ne put voir la réaction silencieuse de l'archer dans son dos. Celui-ci hocha la tête de droite à gauche pour faire savoir à son Souverain qu'ils n'avaient pas transmis d'informations à son sujet. Les titres que les deux militaires donnaient au couple amenaient néanmoins la sang mêlée à se poser certaines questions. Ses leçons lui avaient surtout appris à comprendre et à être comprise. Les subtilités telles que les expressions et les titres ne faisaient pas parti de son apprentissage et, s'ils avaient dû l'être, elle aurait certainement commencé par la religion et l'armée puisqu'elle serait nécessairement amenée à les côtoyer à un moment ou à un autre.

-Comme vous insistez, je ne me vois pas refuser une deuxième fois. Et je vous remercie pour cette invitation. Notre culture peut vous paraître étrange. Il est pareil pour moi au sujet de la vôtre. Même si je suis plutôt curieuse et intéressée de la connaître mieux.

Neassa-Laella adressa un sourire amusé, presque rieur, à la question de Kaëlistravae, suivi d'un signe négatif de la tête. Il n'y avait pas grand chose qu'elle craignait tant elle était de nature sûre d'elle et confiante envers les autres. Il n'y avait qu'à voir sa posture à la fois noble et détendue qu'elle arborait alors qu'elle se trouvait seule dans un pays inconnu cernée par un peuple auprès de qui sa présence ne faisait pas l'unanimité.
Ainsi, les deux soldats s'inclinèrent pour prendre congé, donnant rendez-vous à la prêtresse le lendemain à sa chambre de l'Hospice des libertaires, tandis que la prêtresse se tenait prête à emboîter le pas au couple et à leur si charmante progéniture.

-Je vous suis. Pardonnez-moi déjà si je fais des erreurs dans votre langue. Je la comprenais un peu quand vous êtes arrivé à Thaar mais je ne la parlais pas. Je n'ai pas eu le temps de prendre beaucoup de leçons avant de venir. Dit-elle afin de s'assurer de n'offusquer personne par quelques maladresses verbales. Elle s'exprimait avec le vocabulaire qu'elle possédait...

- Il n’y a pas de mal. tu ris doucement Il m’a fallu cinq bonnes années pour obtenir une maîtrise à peu près décente de l’Oliyan. Et même là, en arrivant à Thaar, je baragouinais plus que je ne parlais. tu soupires Ça viendra. Il n’y a rien de mieux qu’un bain de culture pour s’habituer.

De l’autre côté des immenses jardins qui faisaient votre passerelle se trouvait probablement le plus triste tronc de la Cité toute entière. Marqué de nœuds et de jeunes boursouflures, l’arbre-forge portait encore les stigmates d’un récent feu. C’est pour cette exacte raison que vous aviez d’ailleurs décidé d’emprunter ses escaliers plutôt que ceux d’un autre. Le temps que vous passeriez à observer les cicatrices, les cheminées reconstruites et les verrières neuves serait comme un temps de recueillement au sein d’un mémorial dont on est heureux de petit à petit retrouver la superbe.

- Voici l’Arbre-Forge d’Ardamir. Kaëlistravaë déclare fièrement C’est un établissement particulièrement surveillé, parce que c’est le seul en Ardamir faisant utilisation de large feux. les doigts de Kaëlistravaë se posent à la volée sur une cicatrice du tronc, et la détaillent le temps de quelques pas Je pense qu’Aias et Taeral vous l’ont dit, mais pour des raisons évidentes, l’usage du feu est contrôlé de très près en Ardamir, mais paradoxalement, c’est notre Cité qui a longtemps abrité le Toer Tamindal, le plus grand forgeron d’Anaëh. Et encore aujourd’hui, c’est chez nous que se tiennent les conseils des Tamin  Dolan ceux ayant la distinction juste inférieure.

- Tu vois Rhea ? tu tiens ta fille contre toi d’un bras, utilisant l’autre tour à tour pour la flatter, et pour attirer son regard vers les éléments du paysage. En dessous de nous, sous les racines il y a le feu de la forge, et la fumée remonte dans les cheminées tout autour de nous !

De loin Kaëlistravaë et toi saluez les forgerons des hauteurs, pour la majorité soit à l’étude, armés des papiers et de plumes en attendant que vienne leur tour de prendre le marteau, soit en repos, discutant les uns avec les autres de leurs dernières créations, projets et autres techniques tentatives.

- Si vous faites un peu attention, tu te retournes en direction de Neassa-Lealla vous verrez au cours de votre voyage en Anaëh que d’un Protectorat à l’autre, les créations des forgerons n’ont presque rien à voir entre elles.

- En Ardamir nous sommes très utilitaires. Et du coup que ce soient les armures ou les bijoux, les formes que nous utilisons sont très simples, efficaces, et souvent inspirées de végétaux.

- Au contraire, à Daranovar d’où je viens, nos arts ont toujours cherché à évoquer la puissance, et du coup on retrouve beaucoup des motifs évoquant les grands prédateurs et les créatures de légende. tu rééquilibres ta fille entre tes bras, profitant pour lui chiffonner le haut du crâne du bout de ton nez Le phoenix que j’ai à l’oreille gauche vient de chez moi par exemple.

- Et mon collier d’Ardamir.

Petit à petit les racines s’approchent, et le cœur des forges avec. Sans vous gêner plus que cela, une chaleur moite, nourrie par l’humidité de l’automne remonte depuis les profondeurs de la terre. Il sera bientôt temps de quitter les arbres pour un sol véritable.

- De ce que j’ai pu en voir, en Ithri’Vaan par contre, les styles sont plus personnels que régionaux, je me trompe ?

La boucle d'oreille d'Artiön:

Le collier de Kaëlis:

-Ma visite ici sera beaucoup plus longue que je pensais. J'imagine que je ferais moins d'erreurs à la fin de mon voyage. Je crois que j'ai compris que peu d'elfes parlent Olyian.

Artiön avait raison. Seule la pratique permettait de véritablement apprendre et quoi de mieux que l'immersion pour cela. Être plongée dans la culture à laquelle appartenait ce langage et n'avoir personne qui puisse communiquer dans le sien... Elle ne pouvait rêver meilleures conditions pour parachever son enseignement. Elle n'aurait sans doute pas assez progressé d'ici son arrivée à Alëandir pour vraiment impressionner Aithruïn mais peu importait. Le simple fait qu'elle ait pris la peine de suivre des cours et de se plier désormais à cet exercice suffirait à le toucher. Même si elle ne faisait pas cela uniquement pour lui mais aussi pour elle, parce que les anedhels l'avaient toujours fascinée, et pour eux... L'espoir était peut-être vain de penser qu'elle serait mieux acceptée si elle fournissait des efforts pour apprendre à connaître ce peuple et s'approprier leur culture mais il n'était pas inutile d'essayer.

La prêtresse suivit donc la petite famille, traversant un jardin puis passant sur un pont qui les mena auprès d'un arbre qu'elle observa avec un regard intrigué. Elle l'étudia sans comprendre ce qui avait pu lui arriver pour qu'il ait aussi triste mine. Puis elle observa le couple lui prodiguer attention et respect, imaginant que ce tronc devait représenter quelque chose -sinon pour eux- au moins pour leur peuple. L'explication vint sans même qu'elle ait à la demander et elle en fut aussi surprise que touchée. Elle lisait dans leurs expressions et leur gestuelle le profond attachement qu'ils témoignaient envers cet aspect de leur culture, subodorant qu'il en était de même pour tous les elfes. Elle leur prêta aussitôt une oreille plus attentive encore, détaillant à présent cette immense forge des plus atypiques avec un œil nouveau.

-On m'a dit de ne pas utiliser de feu mais je croyais que la consigne était pour tout Anaëh. Les cités ne sont pas toutes comme Ardamir ?

La question pouvait sembler idiote mais cette ville était la première dans laquelle elle pénétrait. Au même titre qu'Artiön n'avait peut-être décelé que peu de différences entres les cités vaanies, elle s'attendait à ce qu'il en soit de même pour elle au sein de ce pays inconnu. Or, de la façon dont la dame elfe lui décrivait cette restriction de l'usage des flammes, elle semblait comprendre qu'il y avait plus de disparités qu'elle ne le pensait entre les villes anedhelles.
Elle prêta ensuite attention aux bijoux qu'on lui désignait et les observa de là où elle se trouvait. Elle avait effectivement noté l'écart entre ces deux symboles et comprenait que chaque ville avait apparemment ses propres codes et sa propre identité, peut-être de façon plus marquée qu'en Ithri'Vaan. Cela aiguisait un peu plus sa curiosité.

-Je verrais tout cela sans doute, oui. Je crois que je dois traverser toute la forêt. On m'a dit de la ville... d'Holimion ?

Neassa-Laella posa son regard bleu sur le géant alors qu'il lui posait une question à son tour. Cela lui demanda quelques instants de réflexion avant de pouvoir lui répondre, plus pour une question de formulation qu'autre chose.

-Ithri'Vaan a ses façons de faire à elle. Son style à elle. Mais il n'y a pas beaucoup de différences d'une ville à l'autre. C'est une question de goût, donc de personne, oui. Peut-être nous prenons des matériaux qui sont propres à chez soi, cela dépend de l'affection que chacun porte à sa région. Par exemple, je viens d'Ashraï où ma famille... fait ? des perles. J'aime porter des bijoux en perle, c'est une façon de dire d'où je viens.

- C’est bien ce que je me disais.

Tu commentes à la volée, inaugurant par la même occasion de ton pied au sol la fin de votre grand voyage vers le bas. Et ce n’est qu’une fois sorti de l’arbre-forge que tes yeux se posent réellement sur le paysage. Ardamir, la Cité des Arbres dont la vie se faisait dans la canopée n’était paradoxalement jamais aussi impressionnante que vue d’en bas. De là seulement on pouvait se rendre pleinement compte de l’immensité des racines des arbres dans lesquels étaient modelés les habitations, les ateliers et même les rues. De là seulement on pouvait se rendre pleinement compte de la démesure des plus grands arbres d’Anaëh, s’élevant sur des dizaines, et parfois même des centaines de mètres de haut. Voilà un premier paysage qui prouverait à Elorëa que son père n’était pas si grand.

- Pour revenir sur ce que vous disiez, tu reprends la parole sans briser l’instant de contemplation Ardamir est unique en son genre.

- Les autres Cités d’Anaëh sont toutes fortifiées et bâties dans la pierre. Les risques d’incendies y sont par voie de conséquence beaucoup moins grands qu’en Ardamir.

- Même si en réalité mettre le feu à d’aussi grands arbres n’est pas une mince affaire.

Tes doigts plongent dans la chevelure de ta fille en une triste caresse, et tu partages un regard quelques peu mélancolique avec ton épouse. Non, mettre le feu aux arbres d’Anaëh n’est pas simple, et pourtant, par plusieurs fois la forêt a été mise à feu et à sang. Pas étonnant que votre peuple se montre aussi méfiant face à l’extérieur, quand la connaissance que vous aviez de votre foyer ne faisait que rendre plus visibles l’immensité des efforts déployés depuis la nuit des temps par les populations Miradelphiennes pour s’y attaquer.

- Vous aurez certainement l’occasion de vous en rendre compte. Kaëlistravaë se reprend la première La Cité d’Holimion n’est effectivement pas la porte à côté. À moins d’être particulièrement pressée, ce ne sont pas les occasions de profiter d’autres Cités qui devraient manquer.

- Et dans tous les cas vous verrez au moins Alëandir. ton sourire retrouve à son tour sa chaleur En tant que première de nos Cités, ce serait éventuellement celle-ci la plus représentative de notre Architecture.

Il n’est pas du même genre, mais le fourmillement de vie dans les racines d’Ardamir est probablement plus intense encore que dans les branches. Voilà des années déjà que le sol accueille les rescapés d’Eraïson, et aujourd’hui, il commencent enfin à se l’approprier de manière plus positive. Effet collatéral des migrations probablement, les Eraïsoniens vivent maintenant un monde où ils ne sont plus les seuls à avoir dû abandonner leur foyer, et en cela ils trouvent un peu de réconfort. D’autres elfes partagent – à leur manière – leur expérience. L’empathie leur est plus facilement offerte… et en retour ils hésitent moins à venir la chercher.
Au sein de la population des racines, ils étaient nombreux à faire savoir, d’un simple salut distant pour certains, de manière plus personnelle pour d’autres, leur gratitude envers celle qui avait pendant longtemps été l’épaule sur laquelle il avaient pu pleurer. Ici, les elfes n’avaient que peu faire de l’Aran. C’est l’ancienne Main Droite d’Ardamir qui attire le plus leur attention. Ici tu n’es que «  l’époux de Kaëlistravaë » et en réalité, il y a dans cela quelque chose de presque rafraîchissant. Tu n’avais finalement que très peu eu l’occasion de la voir interagir de cette manière avec les siens et c’était chaque fois une grande fierté pour toi que d’être rappelé quelle ellyn formidable avait bien voulu de toi.

Alëandir.
A l'évocation de ce nom, le cœur de Neassa-Laella se serra d'impatience et de bonheur un bref instant, son visage n'affichant pourtant qu'une humeur égale avec ce sourire presque invisible qui ne la quittait jamais. C'était la cité d'Aithruïn. Celle où elle devait le trouver. Tout du moins en espérant que son art ne l'ait pas conduit à se rendre dans une autre cité. Même s'il était apparemment là pour des raisons familiales, Artiön semblait voyager de son côté. Il ne serait donc pas incohérent d'imaginer que le compagnon de la prêtresse était lui aussi amené à se déplacer. Elle n'avait plus qu'à espérer qu'il soit là... Autrement, elle lui laisserait un mot pour lui faire savoir qu'elle était passée et où elle s'était rendue ensuite.

-Je suis impatiente de découvrir tout cela.

Ce pays était si beau à ses yeux et pourtant si éloigné de ce qu'elle connaissait. Marchant aux côtés du géant et de son épouse, elle observait les arbres qui les entouraient d'un œil nouveau comparé à son arrivée, s'arrêtant plus longuement sur les plus imposants d'entre eux. Si Ardamir était une cité différente des autres, elle méritait que l'on s'y attarde davantage. La demi-sang étudia donc la façon dont avaient été conçues les maisons qui se trouvaient tant parmi les racines que parmi les branches, sans oublier les escaliers qui permettaient d'y accéder. Elle n'avait encore jamais rien vu de tels. L'architecture comme la conception étaient surprenantes à ses yeux.
Tout en marchant, elle remarqua assez vite le respect qu'obtenait Kaëlistravae, qu'il s'agisse d'un simple regard, d'un geste ou même de paroles chaleureuses. Chaque attention tournée vers elle respirait la reconnaissance. Elle devait donc être une personne importante et reconnue pour qu'on lui prête autant d'égards. Neassa-Laella remarqua aussi les titres qu'on lui donnait et se remémora ceux qu'avaient utilisé Taeral et Aias. Elle se questionna d'autant plus sur l'identité publique de cette femme et décida de se tourner vers Artiön pour obtenir quelques éléments d'informations.

-Mes connaissances concernant les titres s'arrêtent à Heru et Heri. J'ai remarqué que les gens vous en donnaient d'autres, à votre femme et à vous. Et aussi à votre fille. Qu'est-ce qu'ils représentent ?

La prêtresse s'attendait à ce qu'il existe des disparités entre l'organisation de la société elfique et la sienne. Il n'y avait peut-être pas de similitude entre les deux, aussi, tenter de procéder à une traduction littéral était potentiellement impossible. C'était la raison pour laquelle elle cherchait à comprendre la valeur d'un titre plutôt que d'essayer de le transposer dans sa langue. Elle attendit la réponse, ne se doutant pas un seul instant de son contenu...

Depuis que vous étiez arrivés aux racines, votre cadence s’en était trouvée fortement ralentie. D’un côté il y avait Kaëlistravaë, s’arrêtant régulièrement pour prendre des nouvelles d’elfes nouvellement arrivés ou d’Eraïsonniens, de leur familles, et de leurs conditions de vie actuelles. Au milieu il y avait toi, avec ta fille, ses deux yeux ronds et sa moue piégée dans une éternelle expression de fascination devant un paysage hors norme. De l’autre il y avait Neassa, probablement tout aussi inquisitrice que l’enfant, mais d’une autre manière, plus adulte.

- ’Da ! ‘Da ! l’enfant se redresse autant qu’elle peut pour pointer du doigt les ponts traversant la canopée I… Nîn.

- C’est exactement ça Rhea, c’est de là qu’on vient. tu la poses sur ton épaule et la maintiens d’une main, utilisant l’autre pour désigner votre chemin Et on a traversé tout ça pour arriver ici.

L’enfant lâche un couinement de contentement aigu et applaudit, visiblement extrêmement satisfaite d’avoir tout compris par elle-même, et d’un doigt sur le milieu du front tu la félicites pour sa perspicacité. En voilà une que vous auriez du mal à gérer d’ici quelques dizaines d’années, quand elle commencerait à poser des questions auxquelles vous auriez du mal à répondre.

- Oui oui, je sais, tu es très maline ! tu ris doucement Pas besoin de me le rappeler.

Tu reprends le poupon dans tes bras et te relève, te retournant en direction de la prêtresse de Tyra qui semble s’approcher de toi, tandis que du coin des oreilles, tu t’enquérais de l’état des conversations de ton épouse. Et ce que tu entendais te laissait penser qu’elle en aurait bientôt terminé, alors pointant sa direction d’un signe du menton, tu invites la Vaanie à faire route en sa direction… autant pour retrouver sa compagnie que parce que tu aurais probablement besoin de son soutien psychologique dans les prochains instants.

- Kaëlistravaë a longtemps été la Main Droite d’Ardamir.

- Jusqu’il y a quelques années de ça la Dame s’approche de vous, et retrouve sa place dans la discussion de manière toute naturelle j’étais l’une des conseillères du Seigneur-Protecteur d’Ardamir… la personne en charge de l’administration du territoire si vous voulez. elle sourit Au départ, mes prérogatives me poussaient surtout à m’occuper des questions apportées par nos mages et nos guérisseurs, mais au vu de leur importance dans la gestion du fonctionnement-même d’Ardamir, je me suis beaucoup trouvée à gérer les soucis des Eraisonniens après leur arrivée. elle échange un regard complice avec toi Maintenant, en dehors d’Ardamir, c’est finalement plus à travers mon mariage avec Artiön que me connaissent mes frères et sœurs.

Tu laisses flotter les mots, presque hésitant à prendre la parole. Cette annonce, tu t’étais déjà retrouvé à la faire devant une Lirunwen, qui s’en était retrouvée totalement abasourdie… maintenant c’était Neassa-Laella. Et la prêtresse, contrairement à celle qui vous avait accompagné avant elle jusqu’ici, comptait bien retourner à sa vie Vaanie. Lui révéler ton identité, c’était continuer d’ajouter aux risques pris durant votre voyage. Un sacrifice à faire, donc, si vous vouliez un jour prétendre nourrir des relations qui ne soient pas complètement vicieuses avec l’extérieur.

- Aran veut dire tu cherches le mot en Oliyan durant une fraction de secondes « Roi ». tu marques une courte pause Les gens s’adressent à moi en tant que Seigneur-Protecteur d’Alëandir, et donc Aran Lîn, Seigneur-Protecteur des Cités d’Anaëh. Et les titres qu’utilisent les nôtres pour s’adresser à Kaëlistravaë et Elorëa leur font honneur en tant que mon épouse et plus proche Conseillère, et notre fille. Mais dans le cas de notre fille, c’est plus affectif qu’autre chose. tu ris Depuis que j’occupe le Trône, nous partageons immanquablement beaucoup de notre vie et de nos personnes avec beaucoup d’elfes, la naissance de notre fille en faisant partie.

- Alors l’adopter comme « Princesse » est une manière pour les nôtres d’officiellement l’accueillir dans la grande famille que sont les Taledhels.

Neassa-Laella écouta avec attention les explications du couple, comprenant qu'ils en profitaient pour lui expliquer le fonctionnement de l'administration des cités par la même occasion. Chacune d'entre elles étaient donc gouvernée par un Seigneur et un Conseil dont Kaëlistravae avait fait partie. Elle comprit néanmoins que son rôle était un peu particulier en tant que "Main droite" et que celui-ci avait pris plus d'importance du fait de la conjoncture, bien que la prêtresse soit dans l'incapacité d'imaginer de quoi il en retournait. Les affaires des anedhels ne sortaient pas de la forêt, aussi, si elle n'ignorait pas que les drows leur avait longtemps fait la guerre -contre qui les doebens n'avaient-ils jamais combattus ?...-, elle était loin de se douter des évènements survenus au cours des dernières décennies.
Cependant, Neassa-Laella n'eut pas le temps de poser la moindre questions et vit la conversation obliquer légèrement vers Artiön à travers une phrase qui provoqua chez la vaanie un léger froncement de sourcils interloqué et intrigué. Elle regarda tour à tour les deux elfes jusqu'à ce que tombe la nouvelle. La jeune femme s'arrêta d'abord le géant sans montrer la moindre réaction, comme si elle n'avait pas compris le sens de ses mots. Elle le laissa finir entièrement son propos, sans l'interrompre mais en portant parfois ses yeux clairs sur son épouse et sa fille alors qu'il évoquait leur nom ou leur statut.

Le Roi... La Reine... Et la Princesse.

Sur le moment, elle ne réalisa pas le sens réel de son explication sur le titre de l'enfant. En effet, il lui était difficile de concevoir qu'une situation, en dehors de l'armée, ne puisse être héréditaire tellement cela coulait de source pour elle. Mais cela n'était pas la seule explication à son manque de lucidité sur ce point. Son esprit était davantage rendu confus par ce qu'elle venait d'apprendre. Le Roi se tenait en face d'elle. Il l'avait reçue sans rendez-vous, l'avait accueillie comme une amie, l'avait invitée à marcher à ses côtés, se déplaçait dans les rues d'une cité et ce sans la moindre escorte, comme un citoyen lambda... La nouvelle prit alors un certain temps pour trouver le chemin de son esprit et y faire sa place.

-Vous... Fit-elle sans parvenir à poursuivre sa phrase. Ses paupières battirent quelques fois alors qu'elle réalisait qu'il ne s'agissait absolument pas d'une plaisanterie. Finalement, sa tête se tourna légèrement sur le côté pour lui adresser un regard en coin. Vous n'avez pas changé de nom pour vous éloigner de votre famille... ? Ou pas seulement.

Un sourire complice étira finalement ses lèvres.
Il était Roi... Elle était bien loin d'imaginer une telle chose mais semblait avoir assimilé l'information au cours du long silence qu'elle avait marqué. Cependant, cette nouvelle soulevait tellement de questions...

-Maintenant, vraiment je regrette de ne pas avoir appris vos titres avant ce voyage. Dit-elle sur un ton léger avant de poursuivre sur des interrogations plus sérieuses. Mais pourquoi me le... l'avouer à moi ? Pourquoi maintenant ?

Tes yeux se lèvent vers le ciel, et tu reprends le pas, lentement cette fois, attirant d’appels d’épaule la prêtresse à vous suivre. Probablement parce qu’elle avait été moins proche de la délégation que ne l’avait été Lirunwen, la nouvelle semblait l’avoir bien moins secouée que la rescapée Thaarie. Un soulagement. Mais si sa dernière intervention était bien le signe qu’elle comprenait quel danger c’était pour toi, et pour l’Anaëh, que de donner au reste du monde l’occasion d’apprendre le nom et le visage de son Roi, ce serait ce qui te réconforterait le plus. Ça et ton épouse revenue s’accrocher à ton bras, et jouant tout innocemment avec la petite elfe que tu portais.

- M’éloigner de ma famille, et les éloigner de moi. tu penches la tête sur le côté Faire ce voyage en Ithri’Vaan en tant qu’Aran n’aurait probablement pas été particulièrement sécuritaire.

Et surtout pas avec les Eldéens rôdant autour de Sol’Dorn. Pacte de non-agression ou pas, une dague a vite fait de s’enfoncer dans le ventre d’un elfe, et quitte à mourir, tu préfères que ton sang puisse au moins nourrir la terre d’Anaëh.

- Maintenant je suis chez moi, vous êtes chez moi, et j’aime me convaincre être assez perceptif pour ne pas me tromper en ne vous considérant pas comme malintentionnée. tu lui offres un sourire complice Les prêtres le sont rarement qui se plisse soudainement en une colère contenue s’il on oublie un instant les impies d’Elda et leurs faux dieux.

- Mais d’ailleurs, en parlant de prêtres et de dieux… Kaëlistravaë offre un regard interloqué Vous pensez vraiment qu’il y a des personnes en Ithri’Vaan qui trouveraient réconfort dans nos rituels Ilethiens ?

Question bien plus sévère qu’elle n’en avait l’air. Kaëlistravaë savait qu’ils existaient, ces elfes quittant l’ordre étouffant d’Anaëh pour le chaos Vaani. Pour ce qu’elle en savait, l’Ithri’Vaan n’était qu’un gigantesque culte des plaisirs sous toutes ses formes, et surtout les moins glorieuses. Mais elle ne pouvait que tristement se résigner à comprendre en quoi il pouvait être attirant pour certains des siens. Vous êtes des êtres de passions. Vos émotions sont vives, vos élans sont puissants, et s’il on vous apprend tout le long de votre vie à les maîtriser, vient un jour où certains craquent, et là ils sont une incroyable tentation, les déchaînements de ferveur que Thaar et ses principautés représentent à vos yeux.
Seulement vient une différence fondamentale, entre ceux qui après avoir épuisé leur folie reviennent, et ceux qui ne reviennent pas. Certains se laissent piéger par les sirènes des terres mortelles, s’y ancrent… trahissent les Voies. Ceux qui restent jusqu’à la mort, elle a du mal à les imaginer ayant ne serait-ce que la moindre considération, la moindre affection pour leurs anciens dieux. Et pourtant…

Peut-être sont-ils véritablement plus nombreux qu’elle ne l’imagine, que toi-même tu ne l’imagines, les elfes happés par Thaar, trop honteux pour retrouver un foyer qui pourtant ne demande qu’à les sauver de ces lieux destructeurs.

Si Neassa-Laella ne répondit rien au géant elfe, son fin sourire en disait long sur ce qu'elle pensait. Elle était tout à fait d'accord avec lui sur le fait qu'il soit plus prudent pour lui de sortir incognito de la forêt plutôt qu'à découvert. L'autarcie propre à leur culte le protégeait également. Sans cela, il aurait été aisé de l'identifier. Un anedhel aussi grand et charpenté ne passait pas inaperçu... S'il était un personnage aussi public que l'était les Princes Marchands, son nom d'emprunt se serait avéré bien inutile.

A la boutade sur son rôle de prêtresse et ses intentions, l'expression de la jeune femme s'adoucit un peu plus encore. Même en dehors de sa fonction, elle savait pertinemment qu'elle image elle renvoyait à ceux qui l'entouraient. Elle inspirait le plus souvent la confiance, la paix et la tendresse ainsi qu'une joie de vivre quelque peu mesurée par sa douceur.

-Rassurez-vous, je ne veux pas vous causer de tort. Je garderai en moi que le Roi des elfes a embrassé mon front. Conclut-elle avec un sourire amusé à ce souvenir.

Elle était loin d'imaginer découvrir un tel secret en venant en Anaëh. Aithruïn savait certainement avec qui il était monté sur scène. Elle aurait pu être peiné qu'il ne l'ait pas mise dans la confidence mais ils avaient parlé de tant d'autres choses... Et le spectacle n'avait bien vite plus fait partie de leur préoccupations premières. D'ailleurs, Artiön ne semblait pas savoir qui elle était pour son partenaire de danse ou bien cachait-il bien son jeu. Quoi que cela expliquait peut-être qu'il l'ait invitée à discuter. Mais alors que l'idée lui effleurait l'esprit, la Reine reprit la parole, s'interrogeant sur la potentielle existence d'un culte ilethien en dehors de leurs terres.

-Je ne pense pas cela. Je suis sûre. Répondit-elle simplement avant d'étirer un sourire amical et de continuer. C'est pour cela que je suis ici. Les cultes de Tyra et de Tari sont très proches dans leur... approche, leur réflexion. Il n'y a pas de culte ilethien organisé en Ithri'Vaan donc les gens vont voir des religions qui sont proches d'eux quand ils ont besoin d'un prêtre. S'ils veulent l'aide de la Voilée, ils s'adressent à nous. Mais nos façons de faire, nos... pratiques ?... ne sont pas comme les vôtres. Je voulais écrire au culte de Tari depuis longtemps pour cela mais je pensais qu'on me dirait non ou qu'on ne me répondrait pas. Mais, avec votre visite à Thaar... J'ai pensé que c'était possible peut-être. Alors je l'ai fait... Et on m'a invité à venir.

Neassa-Laella ne cachait pas dans sa réaction la surprise et le bonheur que cela avait été pour elle de lire la lettre qu'elle avait reçu en réponse. Elle ne s'attendait pas le moins du monde à cela. Au mieux, elle espérait une explication rapide de ce qu'était le culte de Tari et, peut-être, une description de quelques pratiques. Mais de là à ce qu'on lui offre de se rendre sur place pour être initiée aux us de cette religion... Si elle devait rencontrer un prêtre de Tari, elle pensait plutôt prendre contact à distance puis profiter d'une visite à Aithruïn pour passer le saluer. Pas qu'elle y serait invitée et encore moins aussi vite.

-C'est un honneur pour moi d'être ici. J'ai entendu beaucoup de choses sur Anaëh. J'ai hâte de découvrir à quel point les rumeurs sont fausses. Plaisanta-t-elle.

On disait tellement de choses sur ce peuple... Des légendes comme des histoires inspirées de faits réels mais déformées par le temps, les répétitions, les croyances, le ressentiment... Si elle n'avait que peu prêter foi à ce qu'elle avait entendu, son compagnon lui avait fait entrevoir à quel point tout cela était loin de la réalité. La seule chose dont elle était sûre -même avant de le connaître-, c'était que les étrangers n'étaient pas les bienvenus. Alors elle n'avait pas l'intention de gâcher cette chance de se trouver parmi eux.

-Mais dites-moi... Pourquoi le Roi s'est caché dans une troupe d'artistes ? Je veux dire... Pourquoi venir à Thaar ? Pour quelles raisons ? Et pourquoi de cette façon ?

Qu’il reste des Souffles loin d’Anaëh encore attachés à la foi Ilethienne fut pour Kaëlistravaë autant un grand espoir qu’une terrifiante perspective. Des elfes d’ailleurs qui continuaient de suivre les Voies, c’était la preuve que vous étiez assez forts pour résister aux circonstances. Des elfes d’ailleurs qui continuaient à suivre les Voies, c’étaient par contre des elfes condamnées à un longue vie de souffrances sous le joug des folies mortelles. Mais avec un peu de chance, si vous n’étiez pas capables de les ramener à bon port, des gens comme Neassa pourraient leur apporter un peu de réconfort… à condition d’être sincères dans leurs façons. Seulement aux yeux de Kaëlistravaë, il était difficile d’être sincère accompagnateur du culte des Ilethiens lorsque l’on s’appelait toujours prêtresse de Tyra.

- Un Roi se doit de connaître ses voisins. ton intervention sort ton épouse de ses pensées Pour autant que l’on aimerait parfois bien le croire, nous ne sommes pas seuls sur ce monde. Quitte à composer avec l’influence des autres peuples, autant savoir à quoi s’attendre.

Les doigts de Kaëlistravaë caressent le bras auquel elle se tient, et rapidement, une œillade attendrie vient chercher tes prunelles. Pour bien peu de temps. C’est autant une preuve de son empathie pour le poids de ta tâche d’Aran qu’une impitoyable sommation. Il est des questions qu’elle voulait poser à la prêtresse, et la discussion que tu avais en parallèle avec elle n’était pour elle qu’un obstacle aux réponses qu’elle pouvait en obtenir.

- Il ne fait jamais bon se fier aveuglément aux rumeurs. cette fois-ci, la Reine ne cacha pas le moins du monde à quel point le sujet qu’elle abordait l’intriguait D’ailleurs, pardonnez-moi si la question vous paraît indélicate, mais… la magicienne cherche visiblement ses mots même partageant des idées communes, les cultes de Tyra et de Tari ne sont-ils pas fondamentalement différents ? Je sais pendant un temps nos prêtres avoir entretenu contact avec ceux de la Péninsule, mais nos différends – même jusqu’aux sphères religieuses – ont fini par ne plus nous laisser en commun que la Gardienne de la Voilée… et à repenser aux derniers événements…

- Kaëlistravaë !

Tu l’interromps, bien plus qu’agacé, mais veillant à ne pas laisser entendre à votre fille à quel point les événements mentionnés par sa mère ont pesé sur toi. Tu t’en rappelles encore. C’étaient tes mots. Et ton épouse les avait pris autant à cœur que s’ils furent les siens. Alors tu comprends qu’elle veuille en savoir plus. Tu veux bien comprendre qu’après le passage d’Enyalis, et après que tu aies exprimé la crainte que la vision des humains de Tari soit corrompue au point d’en affecter la Gardienne et le message qu’elle est censée porter elle cherche à mettre le doigt sur là où les choses avaient dérapé. Qu’elle s’engage à offrir à tous les Pentiens non Ilethiens l’occasion de repenser leur foi et leur système de valeur si elle le voulait, et tu la soutiendrais de tout ton cœur, parce que c’est à tes yeux une noble cause… mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui vous deviez simplement passer un bon moment avec Elorëa, pas refaire le monde.

- Ah… ladite Elorëa s’agite soudainement Je crois que notre fille a senti l’odeur des gâteaux.

C’est qu’elle avait hérité de ton goût pour le sucre la bougresse, et que le fumet des pâtisseries Ardamiries était tout ce qu’il y a de plus alléchant.

- Une pause goûter ?

Les doigts de ton épouse trouvent le crâne de sa fille pour affectueusement le masser alors qu'elle agitait les bras en tous sens. Un regard désolé de la mère à l'enfant, mais surtout de l'épouse à l'époux te laissa comprendre qu'elle t'avait entendu. Il serait toujours temps de partager quelque sujet plus léger avec votre invitée... si les sucreries d'Anaëh la tentaient.

Neassa-Laella assista à la scène qui se tint devant elle sans vraiment comprendre ce qui se jouait exactement. Elle percevait la tension qui venait de s'installer entre les deux souverains mais n'avait pas connaissance de l'objet de leur désaccord et, si elle connaissait personnellement la Gardienne, elle n'en était pas proche pour autant. D'ailleurs, elle doutait qu'elle soit proche de qui que ce soit en dehors de sa fille dont elle n'avait appris l'existence que tardivement et par l'intermédiaire de tiers. Ainsi, la jeune femme choisit de ne pas intervenir. Puis, lorsqu'un silence pesant s'installa, elle attendit quelques instants avant de prudemment répondre à l'interrogation première de la Reine.

-Eh bien... Les pratiques entre la Péninsule et Ithri'Vaan sont un peu différentes. Le mélange des peuples et des cultures a rendu les nôtres plus douces. Cependant, j'ai cru comprendre que la base des cultes de la Voilée était la même partout. Nous veillons sur les Souffles des mourants, des morts et de ceux qui survivent à eux. Nous les protégeons et les aidons à trouver la voie, celle du Senarda ou celle parmi les vivants. C'est tout ce qu'on demande à nous, que ce soit les Ilethiens ou les Pentiens. Et nous ne refusons pas d'aider quelqu'un parce qu'il n'est pas de notre culte. Mais je peux me tromper, je suis là pour apprendre après tout.

Elle conclut son exposé par un sourire doux. Elle ne cherchait pas à ranimer la dispute qui -lui semblait-il- avait pour origine le Vaisseau de la Voilée, ni à lancer un débat sur les différences entre leurs deux cultures. Chacune avait ses spécificités et Neassa-Laella avait l'esprit suffisamment ouvert pour accepter de découvrir la leur et même de s'y plier dans le cadre de sa mission auprès des elfes d'Ithri'Vaan.
La petite fille leur offrit à tous l'occasion de changer totalement de sujet et d'égayer un peu l'ambiance qui s'était passablement refroidie. La prêtresse arbora une expression plus joyeuse en réponse à l'invitation d'Artiön.

-Je ne veux pas priver la Princesse de quelques pâtisseries. Et je suis curieuse de découvrir les spécialités de la région. Si vous voulez bien me conseiller ? Demanda-t-elle avec sincérité.

L’importance qu’aurait accordé ton épouse aux dernières informations partagées par la prêtresse de Tyra s’aligna sur ce qu’à l’instant tu pensais une judicieuse mesure. Ainsi la conversation put quitter le giron de la Voilée et de son obscur univers pour s’orienter autour de sujets moins lourds… du moins intellectuellement. Parce que grand amateur de nourriture que tu étais, et grande ambassadrice de son terroir qu’était Kaëlistravaë, vous ne laisseriez pas votre invitée s’en aller sans qu’elle ait goûté à un nombre que vous considéreriez suffisant de sucreries fruitées, mielleuses, amères, douces, sèches, grasses, légères, gélatineuses… que tu te ferais de toute façon un plaisir de terminer si elle s’y refusait.

Digne fille de son père, Elorëa voulut absolument goûter à tout ce qui lui passa à portée. Sa curiosité déjà grande, stimulée par les réactions de l’inconnue au goût des pâtisseries se refusait à accepter d’être mise à part de cette séance de dégustation. Mais heureusement, digne fille de sa mère, l’enfant n’était pas aussi gloutonne que tu pouvais l’être aujourd’hui. Pour elle, goûter n’était rien de plus que cela, et ainsi il ne fut pas bien ardu de lui faire comprendre qu’il lui faudrait limiter les portions de chaque gâterie si elle voulait avoir la place pour les suivantes.
Et alors que les estomacs s’alourdissaient, l’humeur s’allégeait. Ton épouse se laissa aller aux légendes de la Cité des Arbres, des sombres contes – rendus plus sombres encore par ses à-priori – entourant certains des clans du Protectorat aux fantastiques histoires grossissant la légende du Cercle d’Anadris. Le pâtissier, un bonhomme extrêmement jovial, en venant saluer le couple régnant prit lui aussi le temps de partager quelques anecdotes. La manière dont il avait développé certaines recettes, comment à l’observation de ceux qui venaient manger chez lui il était capable de deviner ce que l’on attendait de ses plats et comme du coup aucune de ses pâtisseries n’était exactement la même. Comment parfois aussi il avait mal deviné, et s’était attiré les foudres de quelques elfes… et puis forts d’un bon moment, vous vous étiez relevés, pour partir en direction des berges.

Ce n’était pas l’été le moment où tu trouvais l’Elorëa la plus belle. Ton épouse là-dessus était pleinement d’accord. Seulement, si aucun de vous deux n’appréciait particulièrement l’image idyllique du fleuve sous le cuisant soleil des beaux jours, vous n’étiez pas particulièrement d’accord sur quelle date fut la plus belle.
Kaëlistravaë se dévoila comme amatrice de ces jours du milieu du printemps, durant lesquels les arbres de la ripisylve portent les plus belles de leurs fleurs. Attachée aux couleurs d’un paysage aussi vif que celui que lui dévoilant sa magie, et lui paraissant d’autant plus vivant, elle était une visuelle.
Toi au contraire, c’est la franche odeur de l’humus que tu appréciais. Le souffle frais des vents descendus des montagnes. Le brame lointain des cerfs. Les feuilles de brun et d’or que même les sempervirentes d’Ardamir abandonnaient aux courants d’air. C’était la fin de l’automne et le début de l’hiver ton moment préféré du Cycle saisonnier.

- Et toi Elorëa ?

Les yeux de la petite clignent lentement. Elle paie maintenant le prix de ta gourmandise, pour votre plus grand amusement. Mais comment lui en vouloir ? Le paysage le lui demandait presque. Trop tard pour Kaëlistravaë. Trop tôt pour toi. Le fleuve n’en restait pas moins magnifique. Déployé devant vous dans toute sa prestance, et se présentant à vos pieds en un calme bassin, qu’à cause de vos premières aventures, la Reine aimait à appeler son jardin secret.
Seul le reflet de quelques nuages pour troubler la surface de l’eau claire. L’endroit dormait aussi paisiblement que le petit être dans tes bras.

- Elnoruì, tu peux me la passer, ce sera plus simple.

Kaëlistravaë glousse alors que tu lui confies votre enfant, et une fois libéré, tu t’empresses de faire ce qu’elle te savait vouloir faire. Tu retires ton manteau, puis ta robe, pour en faire le nid le plus confortable possible. L’enfant quitte les bras de sa mère pour y être déposée, et comme habituée à la chose, tire le tissu dans son sommeil pour s’y emmailloter.
C’est en même temps ensuite que ton épouse et toi vous débarrassiez de vos chausses, et mettiez vos pieds à tremper dans l’eau.

- Comment c’est… grandir en tant qu’elfe en Ithri’Vaan ? Vos parents se souviennent d’Anaëh ?

- C’est vrai qu’à y penser, j’imagine que ton enfance a dû être bien différente de celle des Vaanis de première génération comme Lirunwen. tu marques une pause, avant d’ajouter, te rendant compte que le nom devait lui être étranger L’elfe avec laquelle j’ai dansé pendant que tu étais avec Aithruïn.

Neassa-Laella ne semblait pas souffrir de l’éloignement avec la forêt… mais étais-ce parce que la douleur avait fini par passer… ou parce qu’ils avaient abandonné le souvenir de la Prime-Œuvre ?

Tout était délicieux mais Neassa-Laella devait se contraindre à n'avaler qu'une seule bouchée de chaque. Cela était nécessaire si elle voulait avoir assez de place dans son estomac pour goûter à tout. Si elle n'était pas particulièrement portée sur le sucre, elle demeurait curieuse de tout et cela l'emportait parfois sur ses propres goûts. Certaines pâtisseries n'étaient pas aussi sucrées qu'elle s'y serait attendue et trouvaient bien plus de grâce à ses yeux. Elle fit répéter les noms de celles qui avaient sa préférence pour en emporter avec elle en sortant et mieux les déguster plus tard. L'artisan les nota pour elle sur un bout de papier et lui en mit une de chaque de côté. Cet homme adorable s'assit finalement avec eux et la prêtresse confirma alors que ce qu'elle avait fait que deviner jusque là. Ici, les gens de pouvoirs demeuraient accessibles. Mieux encore, s'ils étaient respectés pour ce qu'ils étaient, ils n'en restaient pas moins considérés comme des personnes comme les autres. C'était des plus rafraîchissants pour quelqu'un habitué à fréquenter les hautes sphères d'Ithri'Vaan depuis sa naissance.

La sang-mêlée ne comprit comment mais la conversation dévia vers les saisons. C'était un sujet étrange à aborder avec une inconnue mais cette dernière n'en fit pas la remarque. Elle se souvenait que les elfes étaient très liés à la nature, il n'y avait qu'à voir le regard d'Aithruïn alors qu'elle lui montrait un peu de verdure dans l'immense citée vaanie pour en être convaincu. Elle écouta donc les goûts des deux souverains avec attention. Elle-même ne s'était pas forcément attachée à ce genre de réflexion. Il fallait avouer qu'en ville, on ne ressentait que peu la différence. Il faisait froid en hiver, chaud en été, plus ou moins entrecoupé de pluie le reste du temps... Voilà tout.
L'attention se reporta finalement sur la petite fille qui les accompagnait. Neassa-Laella l'avait observée dévorer ses pâtisseries avec amusement et tendresse et l'issue de cette petite pause ne pouvait être que prévisible. En pleine digestion lourde et après tout ce qu'elle venait de découvrir, elle était prête à tomber de sommeil. Ses parents bienveillants l'enveloppèrent pour la mettre au chaud et l'enfant ne résista pas à l'envie de sombrer dans ce petit cocon qu'ils lui avaient construit. La prêtresse ne releva les yeux de ce petit visage paisible que pour voir ses aînés retirer... leurs chaussures ?

Voilà qui brisait définitivement l'image qu'elle pouvait se faire des personnes d'importance en Anaëh. On disait pourtant les elfes inamicaux et austères, parmi les adjectifs plus doux qu'elle ait entendu sur eux. Mais le roi lui-même l'avait accueillie, guidée, invitée pour une collation... Et maintenant ça. Si elle ne les imita pas, elle se rapprocha néanmoins d'eux. La discussion reprit bien vite, plus sérieuse que quelques minutes auparavant. Cette fois, les questions des deux souverains étaient très personnelles mais peut-être n'en avaient-ils pas conscience. Après tout, sans connaître son histoire, il était difficile de s'imaginer quelle vie était la sienne en Estrevent. Car, à première vue, elle était très heureuse ainsi et ne souffrait aucunement.

-Je ne suis pas une deuxième génération. En fait, je ne sais pas quelle génération je suis. Mes parents n'ont jamais connus Anaëh. Mon père est très heureux de la vie qu'il peut avoir en Ithri'Vaan et ma mère n'est plus.

Neassa-Laella marqua un temps d'arrêt, se demandant comment procéder. Elle avait vu et entendu tellement de visions sombres et d'a priori sur cette contrée et découvrait qu'une grande majorité était fausse. Aithruïn lui avait dit qu'elle serait mal acceptée dans son pays mais tout se passait bien jusque là. Cependant, elle avait conscience d'être encore proche de la frontière et de n'être ici qu'en visite. Les choses seraient sans doute très différentes lorsqu'elle s'enfoncerait plus loin dans la forêt, si elle désiraient s'installer ou même si on apprenait sa relation avec l'un des leurs... Cette conversation était peut-être l'occasion pour elle de vérifier tout ceci, d'avoir un autre point de vue.

-Je ne suis elfe qu'en grande partie. Ma mère était demie-elfe mais cela ne se voit pas beaucoup chez moi. Tout ce que je tiens des humains, ce sont mes oreilles qui ne bougent pas et je suis sensible au chaud et au froid. J'ai obtenu l'âge adulte autour de mon premier siècle et mon apparence a arrêté de changer peu de temps après. Cela fait trois cent ans maintenant.

Elle avait peut-être vieillie durant les derniers siècles mais elle aurait été bien incapable de le dire. Il arrive un âge où les humains n'évoluent plus -ou si peu- en apparence et elle se trouvait dans cette même période, mais à une échelle bien plus proche de celle des éternels que des éphémères. Alors peut-être était-elle figée et le temps finirait par la rattraper ou bien elle vieillissait si lentement que cela restait invisible même à ses yeux... Seul le temps répondrait à cette question.
Elle marqua une pause, cherchant comment continuer pour arriver au sujet qui l'intéressait.

-Je ne suis pas proche de mon père, je ne saurais pas vous dire comment il fait pour vivre au milieu des éphémères et pas avec ses congénères. Je crois qu'il a trouvé la vie qui lui convient sous le signe d'Arcam. Ithri'Vaan est le pays des excès. Il ne pourrait pas autant profiter des plaisirs qu'il aime tant, ici. C'est un homme cultivé, il sait sans doute beaucoup de choses sur vous mais Anaëh ne l'attire pas... autrement que par curiosité. Mon intérêt est différent du sien.

Elle avait bien conscience de ne pas avoir répondu à la question sur le fait de grandir dans son pays en étant presque éternelle mais chaque chose en son temps... Elle venait déjà d'apporter un certain nombre d'éléments au moulin des deux elfes en évoquant simplement son père, et en les informant que son sang n'était pas aussi pur qu'il en avait l'air... Ils auraient peut-être beaucoup à dire rien que sur ce dernier point.

La déclaration vous prit de cours ton épouse et toi. Loin d’Anaëh au point de ne plus être capables de compter les générations qui l’en séparent. Alors elle n’était pas le fruit d’un récent exode. Silencieusement, sans le montrer, elle et toi réfléchissiez. Les elfes ayant quitté l’Anaëh pour les terres mortelles étaient rares. Extrêmement rares. Alors peut-être… peut-être pourriez-vous vous rappeler de sa lignée. Mais rien ne vint. Physionomistes mais pas archivistes. Pas assez âgés pour avoir connu une génération oubliée, il vous restait tout de même une potentielle solution à explorer. Une descendante des dracennes, et des elfes qui furent leurs pères. Une descendante des elfes fous du Linoïn… voilà qui ferait en réalité beaucoup de sens.

Sa mère, d’elle vous ne pouviez pas imaginer grand-chose. Son père cependant, la description qu’elle en faisait vous ramènerait presque à celles des vieilles légendes des premiers jours d’Aduram. Aux elfes ayant succombé à l’émotion, incapables qu’ils étaient de comprendre que la guerre était finie, que la mort n’arriverait pas demain, que se rendre à leurs passions, qu’elles furent ardentes ou violentes finirait par les tuer… Le Souffle de cet elfe ne pouvait être à ce point corrompu, vous vous en doutiez bien, seulement vous savez aussi que le mal de l’âme traverse les générations, et que débridée passion est l’un de vos maux. Mais vous n’en diriez rien. Rien ne sert de plus accabler aux yeux de son enfant un père ayant laissé sa progéniture en offensante offrande à Arcam.

- Dans ce cas, tu laisses retomber ton dos contre le sol et t’allonges c’est une chance que ton sang mortel soit si silencieux. tes yeux se perdent dans le ciel Peut-être I Mîngely savait-elle que tu désirerais un jour apprendre de tes ancêtres. Elle t’en aura donné le temps.

Le temps et la possibilité. Ce n’est pas là quelque chose dont tu tiens à te vanter, mais c’est une réalité : aurait-elle été plus marquée par son sang d’Homme qu’il est possible que l’on se soit refusé à lui enseigner. Après tout les rituels funèbres sont sacrés. Laissés par Tari pour guider les Souffles des défunts vers les Terres d’Emeraude. Les rituels funèbres sont sacrés pour des raisons que les Souffles mortels, trop éphémères, trop vite épuisés, n’aspirant pas à la même force que les vôtres à l’Eternité ne pouvaient pas comprendre. Aurait-elle été plus marquée par l’essence mortelle qu’elle aurait probablement été crainte, et à juste titre, par les vôtres.

- Par contre. tu souris d’un air taquin Il risque de te falloir de nouveaux habits une fois arrivée à Alëandir. L’Automne n’est pas partout aussi doux qu’ici, et surtout pas à Holimion.

Ton épouse se laisse à son tour tomber en arrière, mais plutôt que de trouver l’herbe, choisit de se blottir contre toi. La tempe contre ton pectoral, votre enfant dormant juste derrière vos deux têtes, appelant d’un tapotement des doigts contre ton ventre ta main sur la sienne, Kaëlistravaë s’autorisait un instant à complètement mettre de côté l’étiquette. Vous aviez une invitée, mais vous n’étiez pas moins un couple pour autant. Tu ne dis rien, te contentant d’accueillir sa peau contre la tienne, te disant que peut-être avait-elle été plus vexée qu’elle n’osait le montrer à l’idée qu’il n’y ait pas assez de plaisir dont vous pouviez profiter ici, dans la Prime Œuvre.

- Cela a dû être difficile pour votre mère. ton épouse déclare avec apathie, les yeux fermés, et recroquevillée contre toi Artiön et moi étions déjà adultes lorsque nous avons perdu notre premier parent. Les choses n’ont pas été plus aisées pour le second pour autant.

- Ma mère a fini par se laisser partir. tu poses une bise sur le haut du crâne de ton épouse avant de tourner le regard en direction de la prêtresse Je n’ose même pas imaginer combien tu as dû compter pour la tienne.

La compassion d'Artiön et de son épouse semblait sincère. Même s'ils supposaient qu'elle était enfant au moment de la mort de sa mère, ils savaient tous deux ce que représentait la perte de l'un de ses parents. Et Neassa-Laella de devenir bien silencieuse subitement. Elle laissa son regard se perdre à la surface du fleuve qui s'écoulait tandis que Kaëlistravae s'installait dans les bras de son compagnon. Si elle avait davantage prêté attention à eux, elle aurait pu croire qu'ils s'apprêtaient à suivre les traces de leur enfant... et un sourire amusé se serait peint sur son visage.
Mais il n'y avait point de sourire à ses lèvres. Puisque la conversation s'orientait vers un sujet plus sensible, elle hésitait à poursuivre dans sa démarche initiale qui consistait à prendre un peu la température concernant la vision qu'Anaëh aurait d'elle et -sans l'évoquer- de sa relation avec l'un des leurs. A présent, la mort de sa mère hantait son esprit, comme à chaque fois qu'elle y pensait... Elle marquait la fin d'une période bien cruelle à laquelle elle avait survécu par miracle.

-J'étais adulte moi aussi. Mais cela ne m'a pas empêché de souffrir... Et de me tourner pour la première fois vers Tyra.

Avec Mariam, elle avait achevé de tout perdre. Tous ceux qui l'avaient entourée toute son enfance durant avaient disparu les uns après les autres jusqu'à ce qu'il ne reste plus que la demi-sang que la vieillesse avait fini par rattraper à son tour. Elle avait toujours de la famille mais ce n'était déjà plus que des neveux et nièces à l'époque... Tout ce qui avait constitué ses repères de sa naissance à son entrée dans l'âge adulte n'existait plus. S'en créer de nouveaux dans un monde qui changeait en permanence de visage n'était pas chose aisée pour un éternel, y compris pour une presque éternelle.

Mais trêve de tergiversations. Neassa-Laella finit par relever enfin le regard, s'extirpant de ce monde de souvenirs dans lequel elle ne devait jamais plonger trop longtemps pour ne pas sombrer de nouveau. Il y avait la mort, oui, mais elle faisait partie de la vie. Et c'était sur cette dernière qu'elle devait se concentrer, et donc sur les personnes qui se trouvaient près d'elle en cet instant.
La prêtresse tourna ses yeux clairs vers la petite fille qui dormait paisiblement. Cette simple vision apaisa son cœur de tous les tourments qui venaient de l'agiter brièvement. Elle retrouva sa douce expression ainsi que l'intérêt qu'elle portait à leur conversation d'origine.

-Merci pour le conseil. J'avoue que je ne savais pas vraiment où je mettais les pieds en venant. Je veux dire... Pour le temps, les saisons, les températures... Je ne savais même pas que j'allais à Holimion mais cela n'aurait sans doute pas changé grand chose.

Elle eut un petit rire amusé. Il était vrai qu'on aurait pu lui donner n'importe quel nom de cité, cela ne lui aurait donné aucune indication sur sa destination en vérité. A sa connaissance, il n'existait pas de carte détaillée d'Anaëh dans les bibliothèques vaanies. Elle aurait pu tout aussi bien penser rester à la frontière comme devoir se rendre plus au Nord...

-Si toutes les cités sont différentes, j'imagine qu'elles sont différentes aussi concernant les étrangers. Vous avez peut-être des conseils à me donner ?

La question était détournée et pourtant sincère. Il était vrai que, si elle devait trouver de nouveaux vêtements, elle devait peut-être en profiter pour essayer de ressemble davantage à une anedhelle pour éviter les ennuis. Peut-être devait-elle également cacher son appartenance à une religion autre qu'Ilethienne. Elle n'en avait aucune idée et devait reconnaître qu'elle ne s'en était pas souciée jusque là.

- Suis bien les recommandations d’Aias et Taeral. tu offres un sourire apaisé Et tout se passera bien.

Trois-quarts d’elfe. Assez respectueuse pour que ce qu’il lui manque de sang immortel ne soit pas retenu contre elle. Tu ne t’inquiétais pas le moins du monde. Au contraire, sa présence représentait un véritable espoir. Que l’on n’hésite pas à t’appeler manipulateur et opportuniste si c’est ainsi que tes ambitions sont perçues, mais avec la présence de la prêtresse de Tyra, avec son intérêt pour votre culte se dessinait pour vous une bienvenue fenêtre vers l’extérieur. Une fenêtre sur laquelle vous aviez total contrôle. Une fenêtre qui permettrait peut-être à une fraction du reste du monde de voir le véritable visage de l’Anaëh, de comprendre pourquoi vous vous battiez, et comment vous vous battiez. Et avec un peu de chance, cette fraction du reste du monde se tournerait vers vous, vous offrirait sa confiance, et alors la Prime-Forêt pourrait continuer de prospérer, d’avancer, d’étendre ses racines sous le monde… Un pas de plus vers le retour de la Prime-Œuvre.

- On a vite fait de tomber amoureux d’Anaëh. ton regard se retourne vers les deux femmes de ta vie La forêt regorge de merveilles.

Le regard de Kaëlistravaë vient chercher le tien, sa main caresse discrètement ton pectoral et elle pose une courte bise contre tes lèvres avant d’à son tour aller – du coin de l’œil – à la rencontre de votre invitée.

- Je sais que ce n’est pas le but de votre visite, mais vous devriez tout de même prendre le temps de profiter de votre voyage. elle bâille, et t’arrache un bâillement au passage Alëandir et Enolir, les deux Cités par lesquelles j’imagine que vous allez passer sont tout aussi fortes de caractère qu’Ardamir. Et les paysages côtiers d’Uraal sont comme nulle part ailleurs. Il serait dommage que vous les traversiez sans vous gorger un peu de leur essence.

La tempe de ton épouse retombe contre ta poitrine, et s’y creuse une confortable place. Et pour autant que tu aurais voulu faire preuve d’un peu plus de politesse, tes yeux peinent à rester ouverts. Le déroulé des événements et l’atmosphère ne demandaient tous qu’à ce que tu les fermes… alors tu as fini par céder. Le premier voyage d’Elorëa à travers Ardamir reprendrait plus tard. Pour l’instant, ses parents la rejoindraient dans le monde des rêves.