"Accordez-moi cette danse." ou Quand le souvenir reprend vie | Aegden & Lessie

4ème jour de la 3ème ennéade
Karfias de l’An 17:XI

-Nessie ! Nessie !

La prêtresse se retourna, un peu surprise, mais un sourire se dessina bien vite sur son visage en découvrant les traits rieurs de la petite fille de quatre ans qui courrait vers elle à toute allure. Elle s’accroupit pour l’accueillir, lui ouvrant les bras. L’enfant se jeta à son cou et la sang-mêlée l’étreignit avec tendresse.

-Petite Candice. Je suis heureuse de te voir. Puis, se détachant, elle lui adressa un regard malicieux. Je vois que tu n’arrives toujours pas à prononcer les “l”.
-Ça dépend des mots. Et ce n’est pas faute d’y travailler.

Neassa-Laella releva les yeux vers son interlocutrice et découvrit le visage familier d’une femme qu’elle connaissait depuis longtemps, et si peu à la fois… Son sang était si éloigné de celui des dernières générations des Siryn qu’elle ne reconnaissait plus les traits de ses parents dans ses lointains petits neveux et nièces.
Soulevant Candice, la prêtresse se mit debout pour accueillir sa mère d’un sourire chaleureux.

-Elerina. Comment vas-tu ?
-Je vais bien. Et toi, tu es toujours aussi belle.
-Non, C’est pas vrai ! Les deux femmes la regardèrent, un peu interloquées. Nessie a changé !
-C’est vrai, tu trouves ? Demanda la sang-mêlée, feignant une mine incrédule.
-Oui. Tu es trop jolie !! Encore p’us que… que… que… les aut-tres jours.

La femme sourit, attendrit tant par les mots de la petite fille que par ces hésitations typiques de l’enfant qui apprenait à formuler ses phrases. Candice avait toujours eu une sensibilité particulière au monde qui l’entourait, percevant des choses que les autres ne voyaient pas au premier abord. Lessie possédait la beauté des elfes, un très bon goût pour vestimentaire et la patience pour se coiffer avec soin. Visuellement, elle était parfaite en chaque instant. C’était ainsi qu’Elerina l’avait toujours connu et elle ne faisait pas exception à la règle cette fois encore. Elle portait une robe grise dont l’échancrure du décolleté n’avait rien de choquant du fait de ses faibles formes. Le haut du buste était habillé de lanières de tissu ornées de véritables perles anthracites. Une cape était intégrée à sa tenue, laissant ses bras entièrement nus. Ses cheveux étaient relevés et coiffés en un savant entrelacs de mèches tenant à l’aide d’épingles serties d’une perle grise claire rappelant la couleur de la robe. Esthétiquement, elle semblait égale à elle-même. Pourtant, l’enfant avait raison : elle était un peu différente... Son regard était plus rieur, son sourire plus expressif, son teint plus éclatant. Depuis deux jours, elle était particulièrement rayonnante et rien ne semblait pouvoir entamer sa bonne humeur.

-Tu es toujours aussi observatrice, petite fleur.
-Pourquoi t’es si beeeelle ?

La sang-mêlée se pencha comme pour lui dire un secret et Candice se prêta au jeu en tendant l’oreille. La prêtresse parla à mi-voix, ne cherchant pas vraiment à cacher sa réponse à sa nièce.

-Parce que je suis heureuse. Elle posa aussitôt un index sur ses lèvres pour lui demander de garder le silence tandis que la petite faisait une moue trahissant une profonde réflexion.
-Oh… Notre Lessie se serait-elle laissée amadouer par son soupirant ? Demanda Elerina, subitement intéressée.
-Non, il a disparu. Mais j’ai vécu un beau moment.
-Beau comment ?
-Beau comme j’en ai rarement vécu.
-Tu m’intrigues… Avoua l’humaine devant les cachotteries et demis-aveux de son aïeule.

Neassa-Laella lui sourit mais ne répondit pas à sa question silencieuse. Étant donné qu’ils ne pouvaient vivre assez vieux pour voir son apparence changer -elle-même ne constatant que peu de changement depuis bien longtemps-, les humains pensaient naturellement qu’il n’y avait que peu de choses qu’elle n’avait pas encore vu ou connu. L’entendre dire qu’elle avait vécu moment si exceptionnel avait de quoi éveiller la curiosité d’Elerina. Mais au lieu de lui répondre, la prêtresse s’enquit de la raison de leur présence à Thaar. Elles discutèrent ainsi plusieurs minutes, Lessie en profitant pour prendre quelques nouvelles de ses proches. Tout semblait aller pour le mieux et la conversation prit bien assez rapidement fin.

-Tu dînes avec nous ce soir ?
-Non, j’ai quelque chose de prévu, hélas.

La réponse ne sembla pas surprendre l’humaine. Neassa-Laella était connue pour avoir une vie mondaine assez active. Entre ça et son activité de prêtresse, il n’était guère surprenant de la voir refuser une invitation, même si on ne savait pas toujours où elle s’enfuyait. Cependant, elle ne restait jamais sur un non ferme et définitif.

-Demain midi ?
-D’accord, à demain. Viens Candice, allons retrouver ton père.

Lessie se mit accroupie et reposa la petite fille par terre. Celle-ci attrapa la main que sa mère lui tendait et commença à s’éloigner avec elle en lui faisant de grands signes. La sang-mêlée lui répondit, ouvrant et fermant sa main et lui adressant un sourire heureux et tendre. Alors que Candice ne la regardait déjà plus, elle se releva et l’observa s’éloigner quelques instants encore. Son expression trahissait son bonheur au point qu’il semblait irradier tout autour d’elle... et le monde lui semblait plus beau que jamais.

C’était amusant de voir à quel point parfois l’image que l’on se faisait d’un endroit tenait à peu de choses.

Pour Aegden en tout cas, il lui semblait que ce soit le cas. Bien évidemment il ne tenait toujours pas Thaar en très haute estime, loin de là . Mais depuis deux jours, il s’y sentait moins oppressé.
Peux être n’était-ce qu’éphémère mais il se sentait bien. Juste bien. D’ailleurs, depuis un moment un fin sourire étirait ses lèvres. Les regards de travers ne le dérangeaient plus. Pas plus que les regards trop curieux. Peux être que cela pouvait se remarquer dans le choix de ses vêtements.

Loin d’être excentrique ou très voyante, sa tenue n'en était pas moins un peu plus soignée qu’à son habitude. A la manière de la mode vhaanie, il portait haut bleu aux manches s’arrêtant à ses coudes. Sa taille plutôt fine était cintrée par une bande de tissus faisant office de ceinture. Son  pantalon était dans des tons marron plus pâles. Le tout était rehaussé de discrets motifs aux ourlets. Quant  à sa chevelure cuivrée, elle était disciplinée en une tresse sur son épaule, ce qui n’empêchait pas quelques mèches folles de s’évader par-ci par-là.

Il ne savait pas trop ce qu’il cherchait lorsqu’il avait quitté le domaine de Milynéa. Enfin peut-être que si en fait. C’est qu’il s’ennuyait à mourir à rester là-bas. Même de bonne humeur, l’ennui était là, alors il était partit en quête d’un il ne savait quoi d’intéressant.

Et puis des éclats de voix l’avait soudain sortit de ses pensées. Quoi de plus banal que cela, dans un endroit pareil ? Et pourtant là il s’était stoppé net. Il en avait reconnu une parmi les autres.  
Cette voix lui évoquait tant, en si peu…
Un air de viole. Une main tendue, finalement saisie. Une dance. Un souvenir…

Il aurait considéré cela comme un tour de son imagination si quelques pas plus loin, au détour d’une rue adjacente, il n’avait pas aperçu la silhouette à laquelle appartenait ladite voix.
Les autres interlocutrices finissaient visiblement  de s’éloigner. Quand à celle qui l’avait sorti de sa rêverie, elle se trouvait encore de dos.

Un instant l’elfe sembla hésiter. Non, il ne devait pas déranger la jeune femme. Elle avait surement mieux à faire. Oui mais l’occasion était tout de même belle. N’avait-il pas été déçu de ne pouvoir lui parler après le spectacle ?

Finalement il fit un pas. Puis un autre. Il lui dirait au moins bonjour. La suite il aviserait en fonction de la réaction de la demoiselle.

-Bonjour ? L’aborda-t-il alors lorsqu’il fut un peu plus proche, s’empêchant de sourire comme un imbécile, lorsqu’elle lui fit face, car c'était bien elle au final. J’espère que je ne vous dérange pas. J’aurais voulu vous remercier pour l’autre jour mais je ne vous aie pas aperçue une fois que tout était fini...

L’elfe s’empêcha de soupirer devant le paradoxal manque d’adresse dont il faisait preuve. Il avait encore des progrès à faire en matière de dialogue avec les gens visiblement.

Son oreille perçut une voix et frémit lorsqu'elle vint l'effleurer. Le frisson s'étendit jusqu'à sa colonne vertébrale et parcourut son échine jusque dans le bas de son dos. Ce n'était pas les mêmes mots que ceux qu'il avait prononcé ce soir-là mais elle aurait reconnu sa voix entre mille. Les traits de la prêtresse s'étaient figés dans une expression de stupeur et son cœur avait cessé de battre tandis qu'elle se retournait lentement vers lui. Lorsqu'elle le vit ses lèvres s'étirèrent dans un sourire heureux bien qu'elle s'empêcha de rendre son émotion trop flagrante, se calquant sur l'expression du danseur. De le découvrir ainsi, elle eut de nouveau la vision de lui qui tendait une main dans sa direction en lui demandant de lui accorder une danse.

-Bonjour. Finit-elle répondre en retour.

Dans ses traits et dans sa voix, elle semblait déceler une certaine chaleur qui lui laissait penser qu'il était heureux de la revoir. Mais l'était-il autant qu'elle ? Il émit alors le regret de ne pas l'avoir aperçue après le spectacle et le simple fait de savoir qu'il l'avait espérée lui réchauffa le cœur.

-Je suis désolée de m'être enfuie de la sorte. Je... me suis donné beaucoup d'excuses pour justifier mon geste et me convaincre que j'avais pris la bonne décision en m'en allant. Elle marqua un temps d'arrêt avant de réaliser... Mais de vous retrouver ici, je me demande si je ne m'étais pas trompée...

De l'avoir face à elle, de sentir le tambourinement dans sa poitrine, elle comprenait qu'elle avait simplement voulu ignorer ce qu'elle savait déjà. Cette danse n'était pas qu'une simple danse... Mais pouvait-elle réellement s'attacher à un inconnu ? Elle se rendit alors compte qu'elle avait posé sa dextre près de son cœur. Depuis quand se trouvait-elle là ? Elle n'aurait pas su se repasser le fil de ses gestes depuis l'arrivée de l'anedhel... Elle la retira lentement et joignit les mains devant elle.

-Je vous en prie, vous n'avez pas à me remercier. Ces gens vous ont donné une bien piètre image de l'Ithri'Vaan, quelqu'un devait s'interposer. Et qui mieux qu'une prêtresse pouvait les appeler au calme pacifiquement ?

Elle n'était pas naïve et était bien consciente qu'elle avait pris un risque en faisant cela. S'ils avaient une dent contre les elfes, elle leur ressemblait suffisamment pour qu'il la prenne pour l'une d'entre eux. Si la garde n'avait pas été présente pour les dissuader d'aller plus loin, la pierre que cet homme tenait dans la main aurait probablement été pour elle.

Doucement, sans vraiment se rendre compte de ce geste, il  prit les mains jointes  de la jeune femme dans les siennes. Il secoua la tête.

-En plus de vous remercier, je devrais vous dire que vous n’auriez pas dû vous opposer à ces gens. Fit-il calmement. Moi autant que Norui somme reconnaissant mais vous avez pris un grand risque pour nous. Un trop grand risque. Il  fronça légèrement les sourcils comme soudain inquiet. Ces gens auraient pu vous faire du mal, à vous voir nous défendre. Le risque n’en valait pas le coup.

Il frissonna imperceptiblement en imaginant à quel point la soirée était passée proche de la catastrophe à cause du groupe de lourdauds. Et puis son visage s’éclairci de nouveau en se rendant compte à quel point elle avait finalement été belle, cette soirée. Alors il changea légèrement de sujet, ne préférant pas s’attarder sur ce qui aurait pu être.

-En fait, c’est aussi pour  avoir accepté mon invitation à danser que je voulais vous dire merci. Il marqua une légère pause. C’est que...Je ne trouvais pas ça très poli de seulement vous remercier à la va vite avant que mon ami ne revienne. Se justifia-t-il avant de s’arrêter de parler.

S’il se tut soudain, c’est qu’il n’osa pas aller plus loin. N’osa pas en dire plus. N’osa pas lui dire que même en tant que danseur, la soirée, leur moment, ce moment, avait eu quelque chose de réellement spécial autant qu'imprévu. Il n’osait même pas se le dire à lui-même au final, alors à cette inconnue...Car il ne connaissait même pas son nom après tout. Pas plus qu'elle ne connaîtrait jamais le sien.

Au fond, il savait pourtant ce qu'il en était : Cet infime instant, qu'il avait gravé dans son esprit comme un souvenir appartenant si vite au passé, il ne l'aurait échangé pour rien au monde.

Les iris claires de la femme observèrent les mains du danseur prendre les siennes puis elle releva ses yeux en amande vers lui. Elle l'écouta avec une grande attention et trouva son attention à son égard très touchante alors qu'il jugeait qu'elle n'aurait pas dû se mettre en danger pour eux. Il était vrai que, sans la présence des gardes, elle n'en serait sans doute pas sortie indemne. Mais c'était aussi une façon de mettre la pression à ce petit groupe en leur rappelant que, s'ils la touchaient, ils s'attireraient plus que la foudre de sa déesse qui était une menace bien impalpable et sans doute trop lointaine pour les apaiser vraiment. Cependant, lorsqu'il lui dit que le risque n'en valait pas la chandelle, elle n'en fut pas d'accord et lui répondit paisiblement, sans se départir de ce sourire qui ne semblait jamais la quitter.

-Vraiment ? Mais si les rôles avaient été inversés et que c'était moi qui avait été en danger, ne seriez-vous pas intervenu ?

Elle le regardait avec l'intime conviction de connaître déjà la réponse. Car il l'avait déjà plus ou moins fait. Il était descendu de scène, à première vue pour la remercier mais aussi pour la mettre à l'abri en l'éloignant des troubles-fêtes. Certes, ces derniers étaient venus pour eux à l'origine et non pour elle mais rien ne les obligeait à prendre cette précaution alors que les choses semblaient s'apaiser. Elle reprit donc, expliquant son geste avec une conviction qui lui était propre.

-Mon rôle est de veiller sur tous les Souffles sur lesquelles la Voilée veillera à son tour lorsqu'elle les accueillera dans son royaume. Nous ne lui donnons pas le même nom mais vous êtes un de ces Souffles... Et je suis ravie d'avoir pu vous aider.

On pourrait penser que la proximité de son sang avec celui des deux danseurs avait poussé la sang-mêlée à intervenir mais il n'en était rien. La prêtresse ne faisait pas de distinction de race parmi les enfants des dieux, à l'image de Néera qui leur avait à tous offert ce présent. Et, en Ithri'Vaan, elle appliquait bien souvent ce principe...

L'anedhel poursuivit et lui révéla quelque chose qui étira un peu plus le sourire heureux de la vaanie. Elle qui savait si bien lire dans les gens, elle adorait ce qu'elle lisait en lui... Elle voyait dans ses yeux et son hésitation l'écho de son propre ressenti quant à ce moment qu'ils avaient partagé. Elle avait une fois raté l'occasion de le lui dire... Elle ne le manquerait pas une seconde. Sa présence ici était peut-être le signe qu'elle devait accepter de faire ce qu'elle n'avait pas fait depuis bien longtemps...

-J'ai été ravie d'accepter. C'était une expérience... Elle chercha ses mots et son visage s'étira dans un sourire amusé, riant presque. Je crois qu'il n'y a même pas de mots pour décrire ce que j'ai ressenti. Je n'avais rien vécu de tel depuis des siècles... C'est à moi de vous remercier. Vous avez ravivé en moi quelque chose qui était éteint depuis longtemps.

Elle marquait un point avec sa première question. Un petit rictus amusé réapparu aux coins de ses lèvres. Était-il donc si facilement déchiffrable ? Quoi qu’il en soit il se contenta de vaguement hocher la tête

Quand au reste de son discours à propos de son rôle. Il se contenta d’écouter, ses oreilles se haussèrent légèrement lorsqu’elle expliqua ne pas donner le même nom à La Voilée. Cela l’intriguait. Malgré tout il n’osa pas la questionner à propos de ça. Pour lui cela relevait d’un domaine trop privé, trop intime, pour se permettre de questionner. La foi ne se discutait pas ainsi.

Et puis elle se mit à décrire son ressentit. Ou plutôt à essayer… Le sourire du danseur se fit plus doux. C’est sans doute à cet instant qu’il se rendit compte qu’il avait attrapé les mains de la prêtresse. Et pourtant, si peux tactile était-il, il ne bougea pas. Quelque chose au fond de lui n’avait pas envie de perdre ce contact. Comme si elle allait disparaître à nouveau  entre deux ruelles au moindre écart.

Des siècles ? Il eut un petit rire. Malheureusement, Je pense que vous exagérez. Fit-il gentiment. Je ne suis qu’un simple danseur venu d’une contrée bien lointaine. Je n’aurais pas la prétention de pouvoir dire que ma dance puisse faire vivre aux autres des sensations comme ils en vivent aussi rarement que vous le dites.

Non, c’était naïf de croire que la jeune femme dont il tenait les mains avait vécu une sensation aussi forte que lui. Oh, il aurait trouvé cela fantastique. Mais c’était bien trop peu probable. Il avait peur d’avoir un espoir aussi rocambolesque. La réalité ne fonctionnait pas comme dans les contes, depuis le temps il aurait dû le savoir.
Sans doute avait-elle simplement eut un ressentit similaire à celui de l'autre elfe qui l’avait dérangé après le spectacle. Sauf qu’elle, elle n’avait pas eu l’impolitesse de le déranger au milieu d’une conversation...

Pourtant, Hirnuith* savait à quel point il aurait eu envie d’y croire… Peux être était aussi pour ça qu’au final, il ne s’était pas contenté du simple bonjour prévu. Il avait envie d’y croire malgré tout.

Elle avait vu juste, comme souvent. Il lui aurait effectivement porté secours lui aussi. Le fait d'avoir vu juste la fit sourire. Elle lisait aisément dans le cœur de ses interlocuteurs mais elle appréciait particulièrement cette sensation avec lui... Celle de le connaître sans lui avoir jamais vraiment parlé. Comme si elle le comprenait alors qu'il employait si peu de mots, telle une amie qui savait tout de l'autre. Et cette pensée diffusa une vague de chaleur dans sa poitrine.

Les lèvres de la sang-mêlée s'étirèrent un peu plus alors qu'e l'anedhel se montrait sceptique au sujet de ce qu'elle avait ressenti durant cette danse. Elle n'avait pas l'impression qu'il rejetait vraiment ce qu'elle disait ou qu'il cherchait à la repousser... Son regard lui disait le contraire, de même que ses mains qui ne l'avaient toujours pas lâchée et dont elle ne souhaitait pas se défaire non plus.

-Vous ne me croyez pas... ou refusez-vous d'y croire ? L'interrogea-t-elle avec un sourire énigmatique, comme si elle connaissait encore une fois la réponse. Sourire qu'elle abandonna bien vite au profit d'un plus sincère alors qu'elle plongeait son regard dans le sien. Elle se sentait déjà si proche de lui... Mais devait-elle s'ouvrir à ce point à lui ? Ne risquerait-elle pas de lui faire peur en lui parlant aussi ouvertement de sujets si personnels, voire intimes ? Cependant, elle voulait qu'il comprenne qu'elle n'exagérait en rien et qu'il prenne la réelle mesure de ce que cette expérience avait été pour elle. Elle reprit donc sur un ton plus sérieux mais sans se départir de son doux sourire pour autant. Elle ne voulait pas qu'il voit un drame dans ses paroles car cela n'en était pas un en définitive. Enfin si, peut-être au départ, mais c'était devenu un choix par la suite.

-C'est souvent ce qui arrive lorsqu'une presqu'éternelle vit au milieu des éphémères. Elle apprend à se protéger, au point d'enfermer certaines choses en elle pour que plus personne ne puisse y toucher. J'ignore comment vous avez fait mais, non seulement vous l'avez atteint, mais vous l'avez aussi éveillé de la manière la plus inattendue qui soit...

Elle posait sur lui un regard dans lequel brillait une certaine émotion, telle une douce étincelle qui illuminait ses yeux pourtant si clairs. Ce n'était pas la première fois qu'elle éprouvait un tel sentiment et elle s'était interdit pendant si longtemps de le ressentir à nouveau... Pourtant, au contact de cet homme, il avait resurgi sans le moindre effort et sans prévenir, en seulement quelques instants. Elle l'avait fui, essayant de se justifier par toutes les raisons du monde et, pourtant, il se tenait dorénavant là, devant elle. Il l'avait abordé. Il lui souriait. Il lui tenait les mains. Tout ceci était-il une coïncidence ? Non, elle en doutait. Et si telle était la volonté des dieux, elle devait alors le prendre pour un signe.

-J'aime à croire qu'Arcam vous a mis sur ma route aujourd'hui pour me suggérer de ne pas m'y dérober...

Une fois ses paroles prononcées, elle fut soudainement prise d'une immense vague de doutes. Avait-elle eut raison de le lui dire ? Quelle serait sa réaction ? Tous les signaux étaient là mais, maintenant qu'elle se trouvait devant le fait accompli, elle éprouvait une crainte incontrôlée de ne pas trouver l'écho à ses mots dans les yeux et le cœur du danseur. Après tout, elle ne devait pas être sa première partenaire. Cette danse ne représentait peut-être pour lui qu'un beau spectacle apprécié par le public, et rien de plus...

Elle plongeait son regard dans le sien comme si elle pouvait lire ses pensées. Il  se demandait ce qu’elle pouvait réellement y lire dans ses mires anthracite.Il n'était même pas sûr lui même. Tellement de doute...

Avait-t-il réellement besoin de répondre à sa question ? Sans doute connaissait-t-elle déjà la réponse. Une lueur d’amusement  apparut sur son visage alors que la prêtresse continua de parler.
D’ailleurs elle laissa entendre qu’elle n’était pas tout à fait elfe en se disant ‘’presqu’éternelle’’. Bizarrement ça ne le dérangea pas comme ça avait pu le déranger la dernière fois qu’un sang-mêlé avait croisé son chemin…

Non, là c’était…différent. Il se sentait bien. Il avait l’impression de pouvoir rester des heures avec cette femme sans le moindre problème. Elle lui était inconnue et pourtant, au contraire, leur duo ayant bien sûr contribué, il se sentait plutôt proche.
Une part de lui s’interrogeait à ce propos. Était-ce vraiment normal ? Avait-il vraiment les moyens de pouvoir affirmer cela ? Ou bien perdait-il la tête ?

Il trouva ça triste pour elle lorsqu'elle lui expliqua devoir se protéger dans le monde où elle vivait. Mine de rien il comprenait. Bien sûr tout était différent, mais n'était-t-il pas contraint de lui aussi cacher certaines choses? C'était une partie de lui même qu'il dissimulait à chaque fois qu'il faisait un pas dans cette cité.

Pour le reste, il aurait sans doute légèrement rougit si elle n'avait pas ajouté une phrase qui le troubla. Il tenta d’en montrer le moins possible mais il sentit son cœur rater un battement alors qu'elle plantait à nouveau ses prunelles dans les siennes. Si elle pouvait réellement lire dans son regards et ses expression, elle pouvait aisément comprendre que non cette danse n'avait pas été qu'une simple partie du spectacle, peux être malgré lui au début. Qu'il n'arrivait à vraiment à le comprendre mais que des sentiments qu'il ne connaissait pas s'était mêlés à tout ça. Et que peut-être il avait peur de ces-dit sentiments autant qu'il les trouvait agréables.

-Cela ressemble fort à un tour d'Arcamenel c'est vrai. Fit-il en essayant de se reprendre. Bien vite, il eut un nouveau un air amusé. J’imagine que nous ne devrions pas le contrarier dans ce cas. Son visage se fit peut-être un peu hésitant aussi. Il avait visiblement envie d'ajouter quelque chose.

Il avait envie de la connaitre, c’était évident. Et Elle ? Après ce qu'ils s'étaient dit il n’en doutait plus. Pourtant il  avait l’impression d’être un gamin à se trouver incapable de simplement lui proposer de discuter -ce qu’il faisaient déjà d’ailleurs- et de faire connaissance…

Le cœur de la prêtresse se serra alors qu'il évoquait à son tour le Dieu des passions et des arts, lisant dans ses mots l'écho de ses propres sentiments. A cela près qu'elle était capable de les reconnaître, même si leur apparition était aussi soudaine que surprenante. Et puis, il rajouta quelques mots... Et elle resta pantoise un instant, avant qu'un sourire sincèrement heureux ne vienne étirer ses lèvres. Un sourire bien plus large et plus expressif que les précédents. Elle sentait sa respiration s'accélérer ainsi que les coups violent de ce muscle qui battait soudainement plus fort sous sa poitrine.
Alors tout ceci était bien réel ? Autant pour lui que pour elle ? Elle venait de passer deux jours, bien heureuse, se satisfaisant d'un simple souvenir alors qu'elle aurait pu l'avoir, lui... Elle aurait pu se sentir idiote ou pleine de regret mais elle n'en fut même pas capable. Ils y étaient désormais et c'était tout ce qui comptait.

-Je suis bien d'accord. Finit-elle par avouer d'une voix presque étranglée par l'émotion tandis que son sourire de bonheur de la quittait plus.

Elle le vit hésiter à reprendre la parole et elle-même se trouvait dans le même désarroi. D'accord, ils ressentaient la même chose. D'accord, ils étaient près à se soumettre à la volonté de leurs cœurs. Et maintenant ?... Ils ne pouvaient se contenter de cela. Enfin si, ils auraient pu en rester à une aventure de quelques jours entre inconnus qui ne devraient plus jamais se revoir par la suite mais ce n'était pas ce qu'elle voulait... Pas après des siècles de solitude volontaire. Et elle lisait la même chose dans ses yeux.

-Est-ce que... vous avez quelques heures à m'accorder ? Son sourire s'étira de nouveau. Un sourire curieux, amusé et gêné à la fois... Et un nom à me donner ?

Cela semblait si stupide... Avoir des sentiments si forts pour quelqu'un qu'elle n'était même pas capable d'interpeller dans la rue. Elle se sentait comme une jeune fille naïve... Et c'était très rafraîchissant. Elle en rit presque alors qu'elle attendait d'enfin pouvoir nommer celui qui habitait toutes ses pensées depuis deux jours.

-Je m’appelle Aithruïn.Se présenta-t-il. Vous le savez déjà, je suis danseur dans une troupe d’artistes originaires d’Anaëh. D’un regard il sembla lui demander de se présenter à son tour.

Il s’efforça aussi d’ignorer la sensation douce-amère lorsqu’il se présenta. Qu’était-t-il en train de faire ? A peine discutaient-ils, il lui mentait déjà.  N’allait-t-il pas lui faire du mal en se comportant ainsi ? N’abusait-il pas de la confiance toute nouvelle qu’elle lui offrait ? N'était-il pas en train de créer quelques souffrances à venir en s'attachant à elle?

Mais avait-il le choix ? Son cœur se serra. Il ne pouvait pas se permettre de mettre ce pourquoi il était réellement à Thaar en péril. Pour rien au monde. Il ne pouvait malgré tout pas non plus faire marche arrière. Il n'était pas sûr d'en avoir la force pas plus que l'envie.

Si elles ne quittèrent pas son esprit, il ne laissa cependant rien passer de ces réflexions sur son visage. Cela non plus il n’en avait pas le droit. Il ne pouvait pas la laisser croire qu’elle le troublait d’une quelconque manière, ça aurait été encore plus cruel.

-Et bien sûr que j’ai du temps à vous accorder. Un nouveau fin sourire étira ses lèvres. Il avait tout le temps du monde ici. Notre représentation est finie. Et les princes marchand ne semblaient pas très accessibles…Je peux flâner autant que je le souhaite j’imagine.

Enfin, flâner seul dans cette ville, il n’en avait jamais vraiment envie au final, si ce n'est pour éviter l'ennuie mortel d'être enfermé dans un palais. En revanche,en bonne compagnie il était parfaitement d’accord . A ce moment précis, d'ennui il n'y avait pas..

La sang-mêlée plongea un regard nouveau dans celui de l’andedhel tandis qu’elle découvrait son prénom. Sa poitrine se souleva dans une inspiration un peu plus forte alors que ce qui n’était qu’un souvenir proche du rêve prenait soudainement vie. Son esprit de pouvait pas avoir inventé ce détail de manière aussi claire… Il acheva sa présentation et elle lui sourit, amusé par le fait qu’il avait tenu à lui préciser son métier dont elle avait été spectatrice. Il attendit silencieusement la réciproque et elle ne tarda pas à la lui donner.

-Je suis Neassa-Laella, rentière de la famille Siryn. Et, accessoirement... Ajouta-t-elle en plissant des yeux amusés à l’idée d’évoquer ce qu’il savait déjà. ...Prêtresse de Tyra. Mais ce n’était qu’une façon de dire que je viens en aide à mon prochain. Acheva-t-elle.

Si elle avait perçu un très léger trouble chez l’elfe, elle n’en montra rien. Quant à elle, elle était parfaitement sincère. Sa mission était une vocation qu’elle accomplissait plus parce qu’elle aimait ce qu’elle faisait que par dévotion envers sa Déesse. Même si elle ne pourrait pas lui avouer l’étendue de ce qu’elle faisait pour protéger les Souffles créé par Néera.
Pas tout de suite…

Lorsqu’il lui déclara qu’il avait tout son temps, elle lui adressa un nouveau sourire, à la fois satisfaite et heureuse de sa réponse. Elle baissa les yeux sur leurs mains toujours unies et mêla les doigts de sa senestre à ceux de sa dextre et ce geste fit s’emballer son coeur quelques secondes. Puis elle libéra sa seconde main avant de commencer à l’attirer, reculant de quelques pas.

-Venez…

Lorsqu’il lui emboîta le pas, elle fit volte face et vint se placer à son côté. Ils firent quelques pas, se dirigeant vers une rue apparemment choisie au hasard. Même s’il n’en était rien en réalité. Marchant près de lui, elle ne voulut pas laisser le silence s’installer trop longtemps et risquer qu’aucun d’eux n’ose le briser par la suite.

-Je n’ai pas non plus eu l’occasion de vous donner mes impressions sur le spectacle. Ou, plutôt, de la partie à laquelle j’ai pu assister. Précisa-t-elle, amusée. Il était vrai qu’entre son intervention face aux importuns, leur danse et le fait qu’elle ait disparu avant la fin, elle n’en avait pas vu la moitié. J’imagine qu’on a dû vous le dire mille fois mais j’ai été très touchée. C’était un exploit à la fois physique et artistique mais aussi une très belle démonstration de sang-froid et d’amitié. Il régnait une telle confiance entre vous… C’était magnifique à observer, vraiment.

Elle s'appelait Neassa-Laella. Une douce chaleur s'installa au fond de son cœur. Un prénom ça n'était pas grand chose et pourtant tellement à la fois. ça la rendait plus réelle, plus unique. Elle n'était plus simplement une silhouette avec laquelle il avait dansé un jour, mais une véritable personne a laquelle il s'attachait au fur et à mesure qu'il apprenait à la connaitre.

Par contre,‘’Rentière’’, il n’avait aucune fichue idée de ce que cela pouvait signifier. Il n’osa pas lui demander de peur de paraître stupide. Pas plus qu’il n’osa lui demander ce qu’elle entendait par ‘’accessoirement’’.  D’ailleurs il se demandait si ici la vie des prêtres était la même que chez lui, étant donnée qu’elle avait l’air de mener une vie comme le commun des mortel et ne portait plus son voile.

Soudain elle entremêla leurs doigts et libéra l’un de ses mains avant de reculer.  Il la laissa faire, avançant machinalement à chaque fois qu’elle reculait. Qu’avait-elle en tête ? Ses oreilles pointues se dressèrent légèrement, signe de curiosité. Il la suivit timidement, il n’avait aucune idée d’où elle l’emmenait. Il décida tout de même de lui faire confiance comme elle l’avait fait lorsqu’il l’avait entraînée sur scène.

Elle continua à discuter en marchant. Un nouveau rictus amusé vint remplacer son expression intrigué. Cela l’amusait toujours de voir cette peur du silence chez les gens.

-Hé bien je suis ravi si ça vous as plus. C’est dommage que vous n’ayez pas pu tout voir. Il eut un air un peu embêté pendant un instant mais celui-ci s’effaça bien vite. Oh vous savez, ce spectacle met en pratique des compétences que nous travaillons depuis de très très longues années. C’était totalement vrai, quand bien même jouaient-ils des rôles, certaines choses ne pouvaient pas s’inventer. D’ailleurs j’imagine que ça vous paraîtrait moins impressionnant si vous aviez assisté aux premières répétitions Plaisanta-t-il. 

Souvenir plus lointain, il se remémora un instant ses débuts dans la dance quelques centaines d'années plus tôt. ça n'avait pas donné grand chose à l'époque. Et ça avait été douloureux. La dance ça demandait bien plus d'effort qu'on pouvait l'imaginer à première vue... Mais il avait persévéré et maintenant il en était là. Il en était plutôt fier et le compliment de Naessa-Laella lui faisait vraiment chaud au cœur.

Il observa un instant où il se trouvait.  Marchaient-ils au hasard ? Il hésita un instant puis renonça à poser la question. Alors il reprit ce qu’il disait.

-L’amitié, la cohésion et l’esprit d’équipe sont des thèmes qui nous sont très cher. Nous autres Anëdhels fonctionnons comme ça. Chacun aide sont prochain et participe à la vie collective pour que tous trouvent leur place. Personne n’est supérieur à l’autre. Il n’y a que comme ça que ça peut marcher. Dans le cas contraire celui qui voudrait dominer finirait par irrémédiablement chuter au risque d'emporter le reste avec lui. Quant au sang-froid. Il haussa les épaules Paniquer n’aurait servis qu’à empirer les choses autant qu’a rater notre chorégraphie. Ça n’en valait pas le coup.

Elle rit doucement mais avec sincérité lorsqu'il fit référence à leurs premières répétitions. Elle imaginait sans mal le spectacle de leur maladresse. Elle aurait aimé être là, non pas pour se moquer mais pour pouvoir assister à ce qui n'était alors que l'ébauche d'une magnifique représentation. Le regard de la prêtresse étincela de curiosité alors qu'il évoquait cette anecdote puis de plus en plus alors qu'il décrivait la vie en Anaëh. Ce sujet -comme beaucoup d'autres- la fascinait. Il ne pourrait lire dans ses yeux ni scepticisme ni jugement. Tout au contraire, elle était particulièrement intéressée par ce regard nouveau qu'il lui apportait sur le mode de vie des elfes de la forêt de l'Est.

-J'ai lu et entendu tant de choses sur votre pays... Des légendes comme de véritables témoignages. Je suis persuadée que tous les points de vue sont justes mais altérés par le temps ou les émotions. Chacun à son opinion et son vécu et ils valent tous la peine d'être entendus. Mais j'avoue que je n'avais encore jamais eu ceux d'un anedhel...

Elle ne remettait absolument pas en question ses paroles car elles constituaient à ses yeux un point de vue supplémentaire venant alimenter ses connaissances sur un sujet qui lui tenait à cœur. Elle lui adressa un sourire chaleureux afin de lui assurer sa neutralité sur la question, même s'il ne pouvait qu'en être convaincu. Après tout, elle l'avait aidé en ne connaissant de lui que ses origines...

-J'aime beaucoup la façon dont vous décrivez votre mode de vie. Ses lèvres s'étirèrent à nouveau avec sincérité puis son regard se tournant vers la rue dans laquelle ils se trouvaient. Elle devait sembler pareilles à toutes les autres pour le danseur... Cela semble si utopique pour un estrevin... Notre société doit vous paraître bien étrange.

Une pointe de tristesse fit vaciller les étincelles dans son regard. Si ce qu'il disait était vrai, alors les anedhels avaient trouvé le secret de la vie en communauté. Une vie où tous étaient égaux et où les rapports de pouvoir n'existaient pas. Et elle était bien placée pour savoir que le pouvoir attirait les convoitises, et donc les ennuis...
Elle reprit rapidement sur un ton un peu plus chaleureux.

-Si vous le voulez bien, j'aurais mille questions à vous poser mais... pas aujourd'hui.

Achevant ses mots, le pouce de sa main liée à celle de l'elfe adressa une légère caresse sur le dos de sa dextre. Elle appuya son geste d'un regard, espérant ainsi lui faire savoir que ce qu'elle aimerait apprendre à connaître pour le moment, c'était lui... Soudain, elle plissa les yeux, semblait essayé de le sonder, les lèvres ornées d'un sourire espiègle.

-Quel âge avez-vous ? Elle fronça légèrement les sourcils, faisant mine de se raviser. Si tant est que l'on puisse poser un telle question à un elfe. On dit ici que cela ne se demande pas à une dame mais les Humains sont susceptibles lorsqu'ils s'agit de leur âge.

-J’imagine que vous avez du entendre autant de vrai que de sornette...Il grimaça. 

Il suffisait d’avoir entendu les rustres de la dernière fois pour comprendre que les éphémères avaient une vision tronquée de l’Anaëh et des créatures qui y vivaient.

-Utopique je ne sais pas, mais la vie en Anaëh est belle oui. La Mère soit louée. Il eut un air à nouveau un peu contrit. En tout cas, c’est vrai que cette société ici est étrange pour moi. Je dois vous avouer que ce que j’ai vu de la culture Vaanie m’effraie. Il hésitait sur les mots à employer pour ne pas paraître trop impoli. Elle semble si…Froide ? Certaines traditions, coutumes, je n’arrive pas à les comprendre ni à…les accepter,  à vrai dire. Il soupira. Mais je ne suis qu’un étranger, mon avis ne vaut pas grand-chose.

Il n’était pas sûr que partir sur un terrain aussi glissant soit vraiment une bonne idée de toute façon. Alors quand elle expliqua vouloir poser des questions plus tard, il en fut soulagé.
La tendresse de son geste, aussi simple fut-il lui redonna d’ailleurs un léger sourire qui se transforma en rire une fois sa dernière question posée.

-C’est une drôle de question mais ça ne pose pas problème non. Je ne comprends pas trop pourquoi ça n’est pas une question pour une dame d’ailleurs. Il fixa Neassa avec l’air de réfléchir. Si c’était impoli ici, il ne devait donc pas lui demander en retour ?  C’était surprenant…J’imagine que nos repère ne sont juste pas tout à fait les même... Moi j’ai un peu plus de quatre cent ans, mais je n’ai aucune idée de ce à quoi ça pourrait correspondre chez un humain. Il haussa les épaules.  Evidemment traiter quelqu’un de gamin ou de vieillard c’est vexant pour nous autant qu’ici j’imagine, mais nous n’avons pas honte de notre âge en général. Au contraire avec l’âge viens l’expérience. C’est comme ça qu’on avance.

A nouveau il regarda autour de lui et puis finalement il n’y tint plus. Il se laissait faire mais une partie de lui ne pouvait à son grand dam pas s’empêcher de vouloir savoir.

-Où m’emmenez-vous ? Demanda-t-il sur un ton qui ne se voulait pas le moins du monde inquiet mais plutôt curieux.  Je ne crois pas  être passé par ici jusqu’à présent.

Neassa-Laella écouta l'anedhel évoquer leurs deux cultures sans que son regard intéressé et son sourire affectueux ne vacillent un seul instant. Des impressions de l'elfe sur l'Ithri'Vaan, elle n'en prit rien pour elle ou pour sa culture. C'était un point de vue qui lui était propre et elle ne le jugeait en rien. Elle-même reconnaissait que son pays avait des défauts mais elle savait qu'elle était sans doute mal placée pour en avoir une vision objective. Qui en serait capable ?...
Aîtruin fut amusé par son anecdote sur les éphémères et leur rapport à l'âge. Il accepta de lui répondre et remarqua deux choses. La première, c'est qu'il ne lui donna qu'une réponse approximative et non un nombre précis. Peut-être ne comptait-on pas les années chez les elfes ? La seconde, il ne lui retourna pas la question. Elle comprit alors qu'il n'osait pas le lui demander par peur de la vexer suite à ce qu'elle lui avait dit.
Elle commença tout d'abord par réagir à son questionnement au sujet de l'âge des femmes.

-Les humaines sont très susceptibles sur la question. Elles ont l'impression que leur ascendance et leur pouvoir sur les autres dépendent de leur beauté et avec les années vient la vieillesse et tout ce qui l'accompagne. Tandis qu'un humain qui prend de l'âge est un homme qui gagne en maturité et en virilité.

La sang-mêlée avait une attitude très détachée et presque analytique du sujet. En effet, elle ne se sentait absolument pas concernée par la question du fait de sa proximité physique avec les éternels. Elle entreprit alors de répondre à la seconde question du Taledhel tout en le renseignant sur son âge à elle.

-Je suis bien placée pour savoir que quatre siècles représentent au bas mot cinq générations d'Hommes. Elle lui adressa un sourire mystérieux, l'invitant à réfléchir à ses paroles. Oui, elle avait à peu près son âge. Potentiellement un peu plus d'ailleurs, au vu de ce qu'il venait de lui dire. Mes proches ont du mal à comprendre que je n'aime pas que l'on souhaite mon anniversaire tous les ans, comme ils le font eux-mêmes. Je célèbre les dizaines pour leur faire plaisir mais je trouve cela disproportionné étant donné mon espérance de vie.

Neassa-Laella sourit tendrement devant la curiosité et l'impatience de l'anedhel. Au moins, il n'avait pas peur de leur destination et lui faisait confiance autant qu'elle l'avait fait en montant sur scène avec lui et en le laissant la suspendre dans le vide. Elle semblait tant amusée que satisfaite par sa dernière phrase.

-Dans ce cas, je suis ravie de vous faire découvrir une autre partie de la cité.

Au prochain embranchement, elle bifurqua pour arriver justement devant la rue qu'elle souhaitait leur faire emprunter pour la suite de leur petite excursion. Il s'agissait d'une large avenue dans laquelle circulaient piétons et carrosses. De part et d'autres se trouvaient des maisons mais celles-ci ne se trouvaient pas au bord de la route comme la plupart des autres. Pour y accéder, il fallait traverser un grand jardin arboré et fleuri avec soin. Toutes les propriétés étaient clôturées mais elles n'empêchaient aucunement d'admirer les espaces verts plus splendides les uns que les autres.

-Nous n'avons malheureusement pas de parcs ouverts au public... Mais j'ai pensé que la vision d'un peu de verdure vous plairait. Mais si celle-ci est très... ordonnée.

Même si elle savait qu'Aîthruin venait de la ville, elle imaginait bien que les cités elfes ne devaient en rien ressembler aux leurs. Quoi de plus normal pour un peuple qui vivait tant en symbiose avec la nature environnante. Jamais ils ne devaient tondre la pelouse ou arracher des fleurs pour en faire un bouquet. Elle l'invita à continuer à marcher à ses côtés en parcourant cette rue légèrement plus boisée que les autres. Se faisant, elle le questionna à son tour.

-La danse est-il le seul art que vous pratiquiez ?

Les yeux de l’elfe se mirent à briller lorsque la jeune femme eut fini de le guider. Il trouvait son attention très touchante. Bien sûr cette nature bridée et trop ordonnée ne serait jamais aussi parfaite que pouvait l’être l’œuvre de Kÿria. Mais il était touché par le fait qu’elle se doute que ce genre de vision lui plairait plus que les bâtiments interminables. Anaëh et ses frondaisons lui manquaient mais ça l’apaisait un peu de voir des jardins, aussi peu naturels étaient-ils. Et puis mine de rien, elle était quand même relativement belle la végétation de ces jardins...

-Merci. Fit-il simplement, à mis voix. La prêtresse put aussi sans doute sentir une très légère pression exercée sur sa main.

Et puis ils continuèrent à avancer toujours main dans la main. A nouveau Neassa-Laella pouvait aisément voir qu’Aegden était heureux d’être avec elle à cet instant. Ce doux sourire qu’il avait eut en l’abordant quelques instants plus tôt ne le quittait plus.

-Oui, je ne fais que danser dans ce qui est domaine artistique. Il hocha la tête.  Quand nous apprenons un domaine, on prend le temps d’énormément l’explorer avant de se pencher sur autre chose. Mon domaine à moi me prend trop de temps pour que j’aie pu apprendre autre chose correctement. Et puis…Il haussa les épaules. Je m’en contente.

Et puis ce fut son tour de plonger un instant son regard dans celui de la jeune femme. Il parlait de lui, mais qu’en était-il d’elle ?

-Et vous ?

Avait-elle elle aussi un domaine artistique de prédilection ? Un passe-temps quelconque ?  Ou bien avait-elle tendance à privilégier ses fonctions avant tout ? Il ne savait toujours pas ce que « rentière » voulais dire d’ailleurs. Il y avait tellement de questions à son sujet en aussi peu de mots.

Neassa-Laella lui adressa un sourire heureux en voyant qu'Aîthruin appréciait son idée. Son expression se mua en tendresse tandis qu'il serrait légèrement sa main. Cette marque d'attention l'avait touché mais ce n'était pas ce qui provoqua chez elle cet élan de douceur. Elle s'était imaginée -et à juste titre- que la forêt devait lui manquer car on disait que les anedhels avaient un lien tout particulier avec la nature. Elle était satisfaite à l'idée qu'elle avait un tant soit peu apaisé ce manque, même si ce n'était qu'avec des espaces verts bien rangés et emprisonnés derrière des clôtures.

Alors qu'ils marchaient, elle observa l'expression sur son visage, ce sourire à ses lèvres, cette étincelle dans ses yeux. Elle sentit son cœur battre un peu plus fort en le voyant à la fois paisible et heureux à ses côtés. Elle eut une inspiration un peu plus forte en réalisant que ses sentiments étaient partagés. Et ses lèvres s'étirèrent un peu plus encore. Puis elle l'écouta répondre à sa question. Ainsi donc, il était danseur et rien de plus. Et la raison qu'il lui donna pour le justifier lui parlait assez.

-J'ai en effet remarqué que le temps d'apprentissage allait de paire avec la longévité. Mais, de ce que j'ai pu voir, vous maîtrisez plutôt bien le sujet. Déclara-t-elle avec un sourire qui trahissait le fond de sa pensée.

Ses propos étaient minimalistes. Comme elle le lui avait dit, le spectacle était magnifique. C'était ingénieux, innovant et à la fois une prouesse physique. S'il ne s'était pas encore penché sur d'autres domaines parce qu'il voulait achever de dominer parfaitement celui-ci, alors elle ignorait ce qu'il pourrait accomplir de plus que cela... Et, si c'était possible, alors elle en était très curieuse.
Aîthruin lui retourna la question et elle se fit songeuse, semblant réfléchir à la manière dont elle allait lui répondre exactement.

-Eh bien... Je ne pratique pas vraiment les arts au même titre que vous. Je danse un peu pendant les soirées mondaines mais pas aussi bien que vous et j'avoue que je me suis surprise à me laisser à ce point aller l'autre soir. Dit-elle en détournant finalement les yeux, un sourire amusé et gêné aux lèvres en repensant à certains de ses gestes un peu osés et ses regards passionnés alors qu'elle se trouvait face à un parfait inconnu. Cela ne lui ressemblait absolument pas... Après un bref instant, elle porta à nouveau son regard sur lui et poursuivit. Êtes-vous un tant soit peu familiarisé avec la magie ? Devant la réponse négative de l'anedhel, elle entreprit de lui expliquer quelques petites choses de manière simples. Certains maîtrisent des domaines tels que le feu, le vent, la vie, les esprits... Moi, je manipule les flux magiques eux-mêmes, c'est-à-dire, la source de la magie. Cela s'appelle le mysticisme. Cet Art me permet de repérer toutes les formes de magies, de les identifier mais aussi de les manipuler à la place du lanceur de sort, voire même d'empêcher cette personne de pratiquer la magie.

Il avait simplement secoué la tête pour signifier à la jeune femme qu’il ne connaissait rien à la magie. Il n’avait pas osé lui dire ce qu’il en pensait de ladite magie. Avait-il jamais été aussi peu franc au cours d’une discussion ? Un ami ou une connaissance aurait tenté de s’aventurer sur un tel sujet, il lui aurait probablement signifié que ça ne l’intéressait pas du tout. Et là il se retrouvait comme un gamin timide qui n’ose pas dire le moindre mot de travers…

Il l’écouta patiemment.  Elle prenait au moins le temps  d’expliquer avec des mots simples ce qu’elle voulait dire. Ça changeait de ces mages qui avaient l’air de toujours parler une autre langue…

-Tout ça m’a l’air bien compliqué. Il baissa un peu les yeux. J’ai toujours trouvé ça trop incompréhensible.

Combien de fois, il avait rêvé de s’enfuir lorsqu’enfant, il se retrouvait obligé d’écouter les cours de théories magiques ? Pas non plus réellement hyperactif, il avait toujours eu du mal à rester en place pendant un certain temps. La magie exigeait probablement trop de concentration.

-J’image que ça a dû vous demander beaucoup de patience pour savoir faire ça. Il grimaça. Moi je ne l’aurais pas eu. Pourtant  là d’où je viens il y a une immense académie pour ça. C’est sans doute là une des plus grandes qui ait existé.

Pendant quelques secondes Neassa put lui trouver un air lointain, comme s’il essayait de voir la dite académie derrière les jardins. Et puis il sembla tout aussi vite revenir à la réalité et eut un rire un peu gêné.

- Désolé ça ne doit pas paraître très objectif. Les Anedhels ont tendance à être très fier de leur cité et l’aimer de tout leur souffle. Je ne fais pas exception. Expliqua-t-il.  En fait je crois que je n’ai pas dû croiser un seul elfe qui faisait exception à ça.

Il suffisait de voir ses deux compagnons de voyage et amis. Il savait très bien à quel point les deux daranovan aiment eux aussi leur cité natale.

-Est-ce que c’est pareil ici ? Malgré…Les choses mauvaises, les gens aiment-ils leur vie dans cette ville ?

Ce n’était pas une question rhétorique avec un jugement sous-entendu. C’était une réelle question, il se demandait réellement si les éphémères ici trouvaient de quoi être heureux dans ce que l’elfe trouvais de si désagréable.

Neassa-Laella rit gentiment à la réaction d'Aithruïn sur la magie.

-J'ai compris. Dit-elle en lui souriant tendrement. Je ne vous en veux pas. Nous avons tous des affinités et des intérêts différents. Le monde a suffisamment à offrir pour combler toutes les passions. Certains sont plus attirés par la magie, d'autres par l'histoire ou... la danse... Fit-elle avec un regard en coin. Chaque personne est différente et c'est ce qui fait de chacun un individu si singulier et passionnant. Pour ma part, je suis quelqu'un de très curieux. Tous les sujets m'intéressent, ou presque.

La prêtresse était véritablement convaincue par ses paroles comme si elle évoquait une autre de ses passions. Elle aimait découvrir toujours plus de personnes pour apprendre à les connaître et remarquer à quel point elles étaient différentes les unes des autres.
Elle plissa un regard accusateur en direction de l'anedhel alors qu'il évoquait un sujet qu'elle avait refusé d'aborder un peu plus tôt pour se consacrer exclusivement à lui. Elle avait fait taire toutes les questions qu'elle se posait sur la culture du danseur pour ne pas transformer ce beau moment en une conversation sociologique. Puis elle releva le menton d'un air plus conciliant, un discret sourire espiègle illuminant ses traits. Il venait de lui exposer la façon de penser des elfes des cités, elle pouvait bien lui rendre la pareille. Elle fit donc mine de se montrer clémente, forçant un peu le trait pour clairement lui signifier qu'elle plaisantait.

-Eh bien, je ne crois pas que cet attachement puisse s'appliquer à tous les vaanis, même parmi les natifs. Si certains sont très liés à leur cité, d'autres ne voient aucun inconvénient à la quitter. Pour ma part, j'aime profondément Ashraï, la ville dans laquelle j'ai grandi et d'où ma famille est originaire. J'aimerais beaucoup pouvoir vous la faire visiter un jour. On y ressent bien moins d'effervescence qu'à Thaar et la cité est bien plus belle. Mais je ne suis peut-être pas très objective. Reconnut-elle avec humour.

Tandis qu'ils discutaient, la rue verdoyante approchait de son terme et les alentours se paraient à nouveau des teintes orangées des pierres de la région. Le remarquant, Neassa-Laella regretta presque d'arriver au terme de cette partie de leur promenade. Cependant, au lieu de s'en attrister, elle tourna son visage souriant vers Aithruïn.

-Rassurez-vous, j'ai d'autres surprises pour vous. Et pour répondre à votre question sur mon enseignement, c'était ennuyeux au début, c'est vrai. Il faut dire que mon enthousiasme de petite fille qui découvrait ses prédispositions en matière de magie est retombée comme un soufflé. Se souvint-elle en riant à moitié. Mais, si vous n'appréciez pas la magie, je vais pas peut-être vous épargner le récit de cette anecdote. Je ne voudrais pas vous ennuyer.

Après avoir tourné sur la gauche, les voilà qui empruntaient désormais une rue qui descendait légèrement. L'air semblait se rafraîchir un peu plus à chaque pas, comme emprunt d'une humidité appréciable en cette saison aride.

-Je ne voulais pas avoir l’air impoli et je m’excuse si c’était le cas. Il baissa les yeux comme honteux avant de fixer la jeune femme à nouveau. Sachez que vous ne m’ennuyez pas le moins du monde Neassa-Laella. Un air amusé se redessina aussitôt. Et je suis bien curieux de voir ce que vous avez en tête.

-Vous n'êtes pas impoli. Lui assura-t-elle avec un doux sourire, se rapprochant de lui jusqu'à ce que leurs bras se frôlent. Mais, puisque je ne vous ennuie pas, voyons cela. Ma prédisposition à la magie a été décelée très jeune. J'étais impatiente de commencer les leçons et de découvrir quel domaine serait le miens. J'en ai rêvé pendant des jours, je m'imaginais grande élémentaliste capable de lancer d'immenses boules de feu ou de plier les vents à ma volonté ou mage de la vie pouvant soigner n'importe quelle blessure ou maladie ! J'avais du mal à tenir en place alors que mon maître s'apprêtait à m'annoncer enfin ce pour quoi j'étais faite et, quand il a dit "magie mystique", j'ai été si déçue... C'est la magie la moins perceptible de toutes car seul un mage peut en ressentir les effets. Les premières années, j'ai appris les "Arts" en général et je me suis bien plus intéressée aux autres domaines qu'au miens pendant les enseignements théoriques. Et puis, un jour, mon maître m'a proposé de faire des duels amicaux avec des mages de mon niveau et j'ai compris le véritable intérêt de cette forme de magie qui est la mienne : je peux tout pratiquer. Certes, il faut qu'un autre mage initie le sort de départ mais je n'ai pas besoin d'être élémentaliste pour pouvoir manipuler le feu. C'est comme si, en apprenant à manier un type d'armes un guerrier se trouvait aussitôt capable de manier toutes les autres... Ou qu'en apprenant un instrument, vous sachiez tous les utiliser. Vous comprenez ?

La prêtresse plongea son regard dans celui d'Aithruïn. Dans son enthousiasme, elle ne s'était pas rendu compte à quel point elle avait parlé... Elle ne pensait pas en dire autant et elle espérait sincèrement ne pas l'avoir perdu quelque part au milieu de son récit qu'elle avait tâché de rendre le plus simple possible pour ce qui concernait la magie.

-Je comprends oui. Il hocha la tête. En fait  même si la magie n’est pas mon point fort je comprends au moins ce que vous avez dû ressentir. Après tout, l’excitation de découvrir quelque chose, la déception lorsque l’on se rend compte que nos rêves ne sont pas vraiment la réalité, puis la réalisation que le domaine auquel on s’intéresse est quand même digne d’intérêt. J’imagine que nous passons tous par-là enfant, à quelques détails près, que l’on s’intéresse à la magie, la dance, ou je ne sais quel autre centre d’intérêt. 

Il essayait d’imaginer la jeune femme en face de lui avec quelques centaines d’années de moins, ne tenant pas en place alors qu’elle découvrait ses dons. Cette vision semblait particulièrement l’amuser. Neassa-Laella plissa les yeux devant son air enjoué, se demandant ce qui pouvait bien le faire sourire ainsi mais elle ne lui demanda rien. Tandis qu'ils parlaient, ils avaient atteint leur prochaine destination et elle s'arrêta pour laisser à Aegden le temps de comprendre. Devant eux s'étendait un long canal et quelques barques attendaient sur le quai qu'on les emprunte, un barreur posté à l'arrière. Elle porta sur l'anedhel un regard espiègle, observant sa réaction.Le danseur haussa un sourcil devant son regard espiègle. Elle était surprenante d’une certaine façon à le guider ainsi à travers la ville, ayant l’air d’avoir mille idées en tête.

-On dirait que vous avez prévu tout un parcours. Rit-il gentiment. A croire que vous saviez que nous nous recroiserions...

Neassa-Laella ne lui répondit que d'un sourire, heureuse de voir que ses surprises plaisaient toujours autant à l'anedhel et amusée par sa plaisanterie. Bien sûr qu'elle ignorait qu'ils se reverraient un jour et l'avoir à ses côtés en cet instant était un véritable cadeau à ses yeux. Elle tenait à ce qu'ils passent un moment inoubliable, à l'image de cette danse qu'ils avaient partagé et les avait tant rapproché. Il n'avait probablement pas vu les plus beaux aspects de cette cité, il était donc aisé pour elle qui en connaissait chaque recoin de lui lui faire découvrir.
Sans un mot, elle l'attira de nouveau vers elle pour les faire monter dans une des barques. Elle donna quelques pièces au barreur, bien plus qu'il n'en fallait pour une simple traversée. Depuis le canal, elle fit visiter une partie de Thaar à Aithruïn un peu à l'envers du décor. Là où le côté "rue" des demeurent de la ville ne ressemblait qu'à un immense mur pourvu de fenêtres et de portes, le côté "canal" était nettement plus agréable. Les façades arrière étaient bien plus travaillées, révélant les compétences des artisans de la région, et les jardins n'étaient plus simplement décoratifs mais véritablement vivants. De là où ils se trouvaient, ils pouvaient parfois apercevoir la cime d'un bâtiment qu'elle était bien évidemment capable de nommer. Si elle n'avait pas d'affect particulier avec cette cité, elle la connaissait parfaitement.

La ballade durant une bonne heure si bien que le soleil commença doucement à décliner. La prêtresse finit par demander au barreur de revenir sur la rive, lui indiquant un quai bien précis qui se trouvait à proximité. Derrière s'élevait une colline totalement recouverte de maisons de toutes les couleurs dans ce qui semblait être un magnifique chaos artistique. Aidée par l'anedhel, elle remit pied à terre et céda quelques sous supplémentaires pour cette promenade avant d'entraîner une fois de plus Aithruïn dans les rues de la ville. Elle le conduisit à travers de dédales de ruelles qui grimpaient sur la bute. Ils empruntèrent plusieurs grands escaliers qui étaient forts peu commun. En effet, chacun était ornementé avec soin et de manière différente, que ce soit dans le choix des matières, des couleurs, des motifs et même des lampadaires que quelques personnes commençaient à allumer avec la nuit qui s'avançait. Parfois, ils arrêtaient de monter temporairement pour longer une rue cernées de maisons colorées et au plan des plus surprenants, chaque pâté de maisons ayant été conçu pour s'adapter parfaitement à la forme de la colline.
Après un long moment, Neassa-Laella les arrêta enfin devant un bâtiment qui ne payaient pas vraiment de mine. Avec un sourire rassurant, elle l'invita à la suivre, sa main dans la sienne. Elle n'était même pas sûre qu'ils se soient lâchés à un seul moment, comme s'ils avaient peur de se perdre à nouveau... Ils pénétrèrent dans une salle plutôt sombre où une femme à la tenue très colorée les accueillit chaleureusement. Deux personnes ? Avait-elle simplement demandé. Devant la réponse affirmative de la sang-mêlée, elle les guida dans la pièce suivante. Le mur du fond était remplacé par un grand voilage qui donnait sur une terrasse. Il planait dans l'air une délicieuse odeur de cuisine locale. De nombreuses tables étaient installées à l'intérieur comme à l'extérieur et quelques unes étaient déjà occupées. La prêtresse choisit l'une d'entre elles et ils s'y installèrent. La femme de l'accueil prit congé en leur promettant qu'un serveur viendrait bien vite prendre leur commande et elle disparut à nouveau dans la pénombre de la bâtisse.

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-Armahn Siryn m'a reconnue comme étant sa fille mais je n'ai aucun lien de sang avec lui.

La nuit étaient tombée. Là où s'étendait devant eux toute la splendeur de Thaar, ils n'en voyaient à présent plus que les illuminations, le ciel étoilé semblant en être le miroir. Neassa-Laella avait choisi une table à la disposition un peu particulière. Contrairement à la plus part des restaurants, ici les tables pour deux étaient placées de biais, tel un losange, et les couverts posés de façon à ce que les deux occupants occupent des côtés adjacents et profitent du paysage tout en discutant. Là où la visite en barque et celle du quartier dit "des terrasses" les avaient laissé plutôt silencieux, la conversation avait fini par se relancer devant les assiettes qui leur avait été apportées. La jeune femme tentait d'expliquer à Aithruïn quelques éléments de son histoire afin qu'il puisse comprendre qui elle était et comment elle vivait. Question qu'elle ne manquerait pas de lui retourner tôt ou tard...

-Ici, le concept de "bâtards" -les enfants nés hors union- n'existe pas. Ma mère m'a conçue avec un autre homme mais il m'a acceptée comme n'importe lequel de ses autres enfants. C'est pourquoi je porte son nom. C'en ait même venu à un tel point qu'il a pris plusieurs dispositions pour moi. J'étais encore une enfant lorsqu'il est devenu vieil homme, il a donc compris que je ne pourrais jamais vraiment lui succéder. Il a alors prévu une rente, autrement dit, une somme d'argent que le ou les propriétaires de ses terres doivent me verser à vie afin que je puisse subvenir à mes besoins.

La soirée était magnifique. Jusque-là la prêtresse semblait avoir toujours cherché les endroits les plus agréables pour le guider à travers la ville. Il trouvait ça touchant.

Il écoutait patiemment ce que la jeune femme lui disait. Et cela, si ses pensées  n’avaient pas déjà été occupées, l’aurait sans doute étonné une fois de plus. Lors de son séjour dans la cité Vaahnie, il n’avait jamais pris la peine d’essayer de comprendre les gens qu’il croisait. Il était partit de chez lui avec tous les aprioris du monde, convaincu que rien ne changerais sa vision du monde. Et pourtant, il avait l’impression de pouvoir écouter Neassa-Laella sans jamais cesser d’être intrigué par elle. 

-Ah donc ça voulait dire ça rentière.Pensa-t-il.

-Donc vous vivez...de terre qui appartenaient à votre père ? Mais elle n’est pas vraiment à vous. Il pencha légèrement la tête sur le côté, la pointe de se oreilles se haussa. Il cherchait à comprendre. Est-ce parce que vous êtes prêtresse de Tari que vous ne les possédez pas ? Chez nous, ils renoncent souvent  à posséder quoi que ce soit qui ne soit pas en rapport avec leur culte.

A nouveau, il n’y avait nulle condescendance dans ses paroles. Simplement un fort besoin de comprendre, de connaitre son interlocutrice. Et puis il se dit que la laisser parler seule ainsi, lui poser des questions sans rien lui donner en retour n’était sans doute pas des plus sympathiques. Peux être que le personnage qu’il était censé être l’influençait au final, mais il se mit à un peu parler de lui, sans toutefois omettre de cacher ce qui devait l’être.

-La notion de bâtards n’existe pas vraiment non plus en Anaëh d’ailleurs. Aucune naissance n’est considérée comme honteuse. Chaque vie est trop précieuse pour que l’on en mette une de côté. Expliqua-t-il. Mais il n’existe pas non plus réellement de succession comme elle est entendue ici. Chaqu’un est libre de choisir sa voie, tout comme son nom. Bien sûr ce n’est pas rare qu’un enfant choisisse de suivre la trace de ses parents et encore moins de reprendre le nom de son père ou de sa mère. Il eut un sourire un peu lointain. C’est un peu ce que j’ai fait d’ailleurs. Il sembla hésiter un instant. Il n’était pas familier avec le fait de parler de lui. Mensonges ou pas, c’était un exercice difficile. Ma mère était une artiste elle aussi. Elle ne dansait pas mais j’imagine que ça revient un peu au même.

Neassa-Laella étira un peu plus son sourire en voyant le danseur tenter de comprendre son mode de vie et les raisons qui l'avait conduite à n'être que rentière et non détentrice de ces terres qui la faisaient vivre. Il était vrai que la chose n'était pas évidente à comprendre et ce genre de disposition n'était d'ailleurs pas courant, même dans son pays. Son père l'avait élaboré pour elle et elle doutait qu'une situation similaire existe quelque par ailleurs.

-Non, j'étais rentière bien avant de décider de me tourner vers la religion. Je devais avoir une quarantaine d'années lorsque mon père a rejoint le Senarda. Tant que j'étais enfant, cette somme était mise de côté en attendant que j'atteigne le stade de l'adolescence, quelques décennies plus tard. Mais ce n'est qu'après la mort de ma mère, vers mes deux cents ans, que je me suis sentie attirée par le culte de Tyra.

La prêtresse s'efforça de sourire même si une lueur de tristesse passa dans ses yeux. Elle n'avait pas totalement achevé son propos mais elle craignait de gâcher la beauté de ce moment en évoquant les raisons qui l'avaient poussée à entrer dans les ordres. Si leur relation continuait à évoluer dans le bon sens, elle finirait nécessairement par le lui dire. Mais, pour l'heure, c'était peut-être prématuré d'évoquer la période la plus sombre de sa vie.

-Et le culte n'interdit pas formellement d'avoir de possessions propres. Enchaîna-t-elle. J'ai moi-même deux maisons. Une à Ashraï bien sûr, et une ici, dans les Soieries.

Elle écouta ensuite Aithruïn lui parler de sa culture concernant la descendance. On y retrouvait finalement des points communs avec ce qu'elle connaissait en Ithri'Vaan, bien qu'elle imaginait les choses se dérouler très différemment en Anaëh. Un des points évoqués retint d'ailleurs son attention.

-Vous pouvez choisir votre nom ? C'est-à-dire ? Fit-elle, à la fois intriguée et passionnée par la question.

La jeune femme eut un sourire attendrit alors qu'il évoquait sa propre mère et son goût pour les arts. Il était vrai que c'était d'elle qu'il s'était probablement tourné vers ce domaine. Il avait simplement suivi sa propre voie, celle vers laquelle son cœur se sentait plus à son aise pour s'exprimer. Et cela lui allait très bien d'ailleurs...

-Et quel art pratiquait votre mère ? Demanda-t-elle d'une voix douce, posant un regard tendre sur l'anedhel.

-Hé bien. Vous, vous avez pris le nom de votre père si j’ai compris. Chez nous chaque enfant à sa majorité fait de même. Expliqua-t-il. Mais ça n’est pas imposé, c'est un choix. Un futur adulte peut reprendre le nom de sa mère, de son père ou bien en recréer un nouveau. Mais nous sommes profondément attachés à nos racines, un nouveau nom signifie aussi s’éloigner de ces racines, c’est plus rare.

Elle semblait si curieuse par le peu de ce qu’il lui disait. Ouverte comme il avait vu trop peu de gens ici l’être vraiment. A la voir aussi intéressée, Aegden se sentait moins mal à l’aise à parler de son histoire personnelle.

-Elle était musicienne. Le sourire de l’elfe était toujours un peu lointain. Par contre je ne sais pas comment on appelle ce dont elle jouait dans cette langue. Il réfléchit un instant. Une…harpe ?  Je ne suis pas certain.

Il afficha un air un peu contrit. Sans parler de son accent qu’il avait finalement oublié d’atténuer, l’Olyian était encore parfois difficile à parler.

Un instant il leva la tête vers le ciel. Le soleil avait disparu. Les deux lunes brillaient accompagnés d’une myriade d’étoiles, points scintillants dans cette immensité. Comme si il avait quelque chose en tête, il se leva doucement. Il tendit sa main vers Neassa. De la même manière dont il l’avait fait le premier instant où il s’était rencontrés, il attendit que ce soit elle qui décide de poser sa paume délicate dans la sienne. Un sourire amusé étira ses lèvres devant cet écho. Pas une seule seconde il n’avait prévu que ce simple geste l’amène à cet instant présent. Pas une seule seconde il n’en éprouvait du regret.

Et puis une fois que leurs mains furent de nouveau jointes, il s’approcha de la rambarde de la terrasse, guidant avec douceur la jeune femme a ses côtés.  

-Le ciel est beau vu d’ici. Expliqua-t-il finalement son geste.

Même ici il était beau oui. Et même ce détail était  quelque peu différent de ce qu’il connaissait. On n’avait certainement pas la même vue en haut d’une colline que sous les frondaisons d’Anaëh… Tout était si différent ici. Douce ironie, alors qu’il ne la connaissait encore que très peu, l’elfe avait l’impression qu’au final c’était cette femme ce qu’il connaissait le mieux ici et maintenant. Il se sentait moins perdu à côté d'elle.

Neassa-Laella découvrait un aspect de la culture elfique qu'aucune légende n'aurait jamais pris la peine de lui conter. Posant ses coudes sur la table, elle laissa une main pendre devant elle tandis que la seconde accueillit son menton alors qu'elle le regardait avec toujours plus d'intérêt. Elle aimait apprendre à connaître une société ou un individu et cette conversation la comblait à tous points de vue. Elle apprenait quelques éléments de la vie au sein des anedhels et faisait en même temps connaissance avec l'homme qui avait éveillé son cœur. Et son ouverture d'esprit était telle qu'elle ne jugeait ni l'un ni l'autre, leur prêtant à toux deux une attention sincère.
Alors qu'elle allait lui poser une nouvelle question, elle s'en empêcha en voyant Aithruïn lever la tête vers le ciel. Constatait-il l'heure qu'il était ? Allait-il devoir la quitter ? Cette pensée la chagrina d'avance, lui donnant une sensation d'inachevé quant à cette soirée. Elle le vit ensuite se lever sans un mot et une lueur de doute et d'interrogation passa dans les yeux de la vaanie. Lorsqu'il lui tendit la main d'une manière bien connue, ses craintes invisibles s'envolèrent et elle lui adressa un sourire amusé. Replaçant sa serviette sur la table, elle accepta son invitation, ses doigts effleurant la paume de l'anedhel tandis qu'elle venait poser sa main dans la sienne.

La prêtresse se laissa bien volontiers guider, se levant avant de se diriger vers la rambarde qui délimitait la terrasse. Elle continua de lui adresser un regard curieux jusqu'à ce qu'il lui explique la raison de ce changement de position. Son visage se mua alors en une expression de tendresse, un doux sourire étirant ses lèvres. Elle l'observa ainsi quelques instants, appréciant cette note de romantisme et d'intérêt pour la beauté du monde, avant de porter à son tour les yeux vers les étoiles.

-C'est magnifique. Confirma-t-elle à mi-voix après quelques secondes.

Oui, le spectacle était superbe. Et on ne l'appréciait jamais autant que lorsque l'on se trouvait avec la bonne personne. Et Aithruïn était cette personne à ses yeux... Une vague de chaleur se diffusa dans sa poitrine à cette pensée et ses lèvres s'étirèrent discrètement en un sourire heureux. Son cœur s'emballa alors que l'envie de lui exprimer son affection naissait en elle. Ces quelques heures passées en sa compagnie -bien loin de mettre un rêve à néant- semblait ne faire qu'attiser toujours plus les braises de ce que cette danse avait fait éveillé en chacun d'eux. Du moins était-ce son cas et elle ne doutait pas que ce sentiment soit partagé, même si elle ne pouvait s'empêcher de craindre le contraire.
Après une hésitation, elle se lança enfin. Alors qu'ils se tenaient encore par la main, elle se rapprocha sensiblement de lui jusqu'à laisser sa tête venir se poser sur son épaule, son regard toujours lever vers les cieux. Elle demeura ainsi, attendant une réaction de la part d'Aithruïn qui lui indiquerait si ce contact nouveau le dérangeait ou s'il l'appréciait tout au contraire.