Il est onze heure du matin, et tout va bien !

Et il attendit… Plus de trois heures… Oui, trois heures ! Bon, d’aucun diront que pour un type qu’à vu neuf siècles, c’est rien, mais tout de même ! Qu’y a t-il de plus important ? De plus exceptionnel que sa présence dans ce fichu camp, hein ? Les autres là, tous, elle les voit régulièrement, très régulièrement même, et ils sont toujours plus ou moins là… Alors que lui, hein ! Des années qu’ils se mêlent plus aux eldéens, ça a le mérite d’être suffisamment remarquable pour qu’on daigne le faire passer en premier ! Mais non, et v’là que j’organise une réunion au sommet pour évoquer la situation, et v’là que je fais ci, et ça, à droite à gauche, en évitant pourtant d’aller à l’essentiel ! Vilaine !

Bon, dans les faits, le Façonneur ne s’est pas complètement tourné les pouces en l’attendant, hein, il a reporté dans ses notes le témoignage de Viconia, ajouté ses propres commentaires et réflexions, et quand il eut terminé, médité la question, encore… Il n’était pas tellement plus avancé quant à la nature de ce qu’il trouverait dans Sol’Dorn, mais ça l’inquiète pas trop, pas encore, parce qu’il n’y est pas, parce qu’il lui faut encore basculer de l’autre côté du mur, alors seulement les choses sérieuses commenceront, mais avant cela, faut passer ce préliminaire pénible.

Une Colère Divine, Viconia en est convaincu, il demeure sceptique… Parce qu’elle porte un message véhiculé par la peur, arraché dans un moment critique à un type probablement très pieux. La magie de l’esprit, c’est bien, mais pour ce qu’il en sait, c’est plus efficace quand tu prends le temps à côté d’étudier la personnalité que tu visites, question de compréhension des symboles, m’voyez ? Admettons que le type a une peur frénétique des poulets - ça n’a pas de bras, rendez-vous compte -, si ça se trouve, on se serait retrouvé non avec la Colère Divine mais avec la revanche du poulet mangé la veille revenu des limbes pour le hanter, sait-on jamais. Quelque chose l’a effrayé, quelque chose qu’il ne comprend pas, qui le dépasse assurément, quelque chose de mortel… Il y aura vu la divinité à l’oeuvre, parce que terrifiant, parce qu’agressif, il y aura vu la violence, et donc la colère.
Il n’exclut pas le divin derrière ce qu’il se passe, évidemment, il exclut rien, pour être tout à fait franc… Il doute juste de la symbolique née d’une interprétation d’autrui, c’est tout. On est jamais mieux servi que par soi-même, et c’est d’autant plus vrai quand on considère être plus fin que quiconque.

En tout cas, quand Viconia le quitte pour se rendre à l’Etat-Major pour y recevoir un massage relaxant - ce qu’il ne suppose qu’en la voyant assoupie - il prend une posture méditative, s’y plongeant tant et si bien qu’il ne réagit pas quand on la reconduit sous la tente, son esprit vagabonde, sonde la Trame alentours, poussant loin, aussi loin qu’il le peut, prudemment, il tente de déceler d’ici un soupçon de ce qui s’excite dans la cité… Pas assez concentré, trop ennuyé par sa situation, il se contente de tâter dans le vague pour ne revenir à lui que près d’une heure plus tard.

Elle vient, finalement, celle qui s’est tant faite désirée ! C’est pas trop tôt ! A peine elle rentre que le voilà debout sur ses pieds, paré pour l’assaut ! Bon, là, on serait tenté par se dire qu’il veut obtenir une chose, qu’elle est plus élevée que lui, qu’il va bien se tenir etc, etc… Que dalle ! On l’a fait attendre trois heures, rien ne va plus !

“Eh beh, j’ai presque failli attendre !” Il l'engueule pas, hein, faut pas déconner, mais l'agacement est là, c'est sûr.

- Tu imagines si en plus j'avais eu à m'occuper, d'un camps, d'une ordalie, d'une trahison et d'un siège ! Ca aurait été indigne de ta personne. " répondit-elle en voyant Ranaghar suter sur pied pour l'admonester de sa chaleureuse mauvaise humeur.

Voilà quelqu'un qui savait rester égal à lui-même... Et ça avait quelque chose de profondément attachant en cette journée où les mauvaises surprises succédaient aux nouvelles pas très sympa. Ça et le fait qu'il l'avait vu piquer sa crise déjà une fois, et ceux sans se liquéfier. Il avait prouvé qu'il était parfaitement conscient de raconter assez souvent des monceaux de conneries pour le plaisir de faire rager les gens autour et ça, elle pouvait le respecter.

Au contraire de l'abondance de garde...

- J'avais ordonné que ce soient des prêtres de Kiran qui s'occupent d'elle. Allez en chercher deux sur le champ si vous ne voulez pas que je m'occupe personnellement de vous. Je veux qu'ils soient toujours au moins deux à son chevet. Ils rendrons compte à la Prêtresse Na'ri Yisfi. " lance-t-elle au mage qui s'était mis au garde-à-vous, sûrement conscient de sa faute vue son humilité.

Elle s'excusa une minute auprès de Ranaghar pour s'enquérir de l'état de sa consœur avec le plus proche garde sans se soucier de savoir si c'était un Phénix ou un Garde d'ébène. Une poignée de seconde suffit. Il n'y avait que peu à dire et ajouter qu'ils devaient venir la trouver immédiatement si deux prêtres n'étaient pas présents dans les cinq minutes ne prit guère plus longtemps.

- A nous ! " enchaina-t-elle donc en en revenant à Ranaghar. " Je t'ai obtenu un partenariat pour tes pierres avec un exportateur du Puy. Le prix est raisonnable. Les papiers sont dans ma tente. Tu viens ? " Elle l'invita d'un geste le glorieux façonneur a passer dans l’entrebâillement de la tente, qu'elle tenait ouvert pour lui. " Si ça ne te gêne pas, j'ai pas envie de rester à baigner dans cette odeur immonde. Oh. Et au fait, tu as pensé à amener la gemme que je t'ai commandé ? "

Qu’est-ce qu’on disait déjà ? Ah oui, qu’elle avait donné priorité à des broutilles routinières plutôt que de lui accorder l’attention qu’il mérite alors que sa présence est en soit exceptionnelle, elle ! Outrage ! La gestion du camping… du camp, les ordalies, les trahisons et cette parodie de siège, c’est de la routine quotidienne pour eux ! Des années que ça dure, comme si ça ne pouvait pas attendre quelques instants de plus ! Et là-dessus, la voilà qui repousse encore pour s’enquérir de l’état de Viconia… GNAAAAAAH ! Bon, sur ce dernier point, même toi tu le respectes, alors chut, tu attends… T’as attendu plus de trois heures, tu peux lui accorder deux minutes de plus, on en est plus là.

Le v’là donc, rongeant son frein, il trépigne à l’intérieur… Et quand finalement elle lui accorde enfin son attention, tout s’effondre… Enfin, ça perd une place dans la file. Le fournisseur en gemme… Avec tout ça, il l’avait momentanément oublié, celui-là, et pourtant, elle en a parlé plus tôt, mais il n’était pas à l’aise, pas concentré, dissipé alors c’est entré par une oreille, ressorti par l’autre sans subir de traitement.
Le fournisseur ! La fin de la disette ! La reprise de l’activité sans le souci omniprésent du stock qui s’évapore progressivement, sans la résignation de devoir faire avec des supports d’une qualité discutable ou variable ! Voilà une nouvelle qui chasse les nuages – momentanément, vous en faites pas, ça va revenir – et qui fait plaisir à entendre !

Et sur le coup, c’est le pas léger qu’il la suit, sans mot dire, à l’intérieur de son crâne, c’est encore un foutoir pas possible, le gronde s’écarte, laisse passer les heureux resquilleurs, il est satisfait… Ça ne va pas durer, mais il est satisfait ! Avant d’avoir vu le nom, indifférent aux tarifs – la perfection se mérite, il le sait déjà, et il n’a jamais été très regardant sur les prix – la nouvelle le réjouit. Alors évidemment qu’il l’accompagne… Et qu’importe si l’heure suivante, il se retrouvait dans un merdier sans nom, ça n’a aucune importance, là, tout de suite !

“ Oui, je l’ai, je me suis dit que puisque je devais passer dans le coin…” Dit-il tranquillement, avant de crier sur son gobelin un ordre. Klez, la gemme ! " Et le gobelin qui eut un sursaut, obéit, il comprend et s’exécute sans attendre, avec juste sa sale trogne grognonne – pour qui saisit les subtiles expressions des peaux-verte – cherchant dans l’imposant sac – relativement à sa taille - pour y trouver et y récupérer un petit écrin de bois simple qu’il tend au Façonneur qui s’en empare avant de passer le revers de la manche dessus – geste d’habitude pour les clients que la seule idée de mettre les doigts aux mêmes endroits que le gobelin répugne, mais dont lui se moque – avant de l’ouvrir pour présenter une gemme dans son plus pur appareil. La pièce étant – malheureusement – très certainement destinée à une arme, il s’est contenté de préparer la pierre avec le plus grand soin à l’identique – visiblement – de la précédente et d’y imprégner le sort… La conception d’un support étant ici à la seule discrétion de Krish.

“ J’ai supposé que tu allais la remettre sur une arme… Ne relance pas ce débat, s’il te plait ! On a eu déjà droit une fois à son couplet aussi larmoyant que colérique ! Non ? Bon, ça va alors. Il se retient, ne commente pas plus et pour s’assurer de ne pas repartir sur ce couplet, décide de revenir au sujet plaisant… Les papiers ! Est-ce que je peux voir les documents ?”

Elle les lui présente et il les examine. Il connaît, évidemment, en d’autres temps, il joua les prospecteurs pour déterminer le meilleur partenaire, mais puisque le favori n’est plus, il lui faut se satisfaire du second. Les prix semblent raisonnable, il faudra mesurer la qualité “Ça m’a l’air en ordre… Je lui enverrais mes critères en même temps qu’une première commande, on verra ce que ça donnera. Je te remercie.”
Voilà pour la transaction, enroulant les documents et tendant le rouleau à Klez qui s’occupe de les ranger, les resquilleurs sont satisfaits, place aux suivants ! Oui, il perd pas de temps, mais en même temps, il vient de poireauter - et donc de perdre - trois heures, alors…

“Mais tu dois t’en douter, c’est pas pour ça que je suis là… A moins qu’elle ne le considère serviable à ce point, mais c’est peu probable. J’aurais augmenté mes tarifs si le désagrément de cette livraison faisait partir de l’accord. Désagrément étant un euphémisme dans sa bouche, elle peut même l’entendre. Il me faut un laissez-passer pour Sol’Dorn, manifestement très vite, avant que ces bourrins ne décident de la mettre à sac et foutent un bordel monstre. Y a quelque chose qui m’intrigue là-bas que je dois tirer au clair.”

- Raté. Elle sera probablement sur une broche, ou un bracelet, je verrai bien. " ricana Krish avant de poser le bijoux dans un écrin digne des efforts du façonneur.

Les documents furent donner, tout était en bonne et due forme, à l'exception d'un détail : le fournisseur n'acceptait de livrer à Thaar que jusqu'à la chute de Sol'Dorn, après quoi il réserverait ses meilleurs pièces et ses meilleurs prix aux habitants de la Cité redevenue eldéenne. Rien qui ne pourrait être négocier cependant... Du moins il y avait de bonnes chances pour que cela puisse se dérouler ainsi quand il aurait le temps de se pencher sur la question.

Pour faire bonne mesure, une fois leurs précédentes transaction rapidement expédiées, Krish s'assit sur le bout du lit double qui trônait dans sa tente, laissant le façonneur s'asseoir sur la chaise au dossier particulièrement confortable qui restait dégagée près du bureau sur lequel s'élevait plusieurs piles de papier. Laissant passer les habituels atermoiements du mage, elle acquiesça seulement en levant un sourcil.

- Très bien, n'allons pas par quatre chemins. Des détails, Ranaghar. Comment tu sais ce qui se passe à l'intérieur ? Qu'est-ce qui t'intrigue ? Pourquoi est-ce urgent ? "

“Ah ! Tu deviens raisonnable !” Il alimente pas la discussion, voyons ! Mais il ne peut se réjouir qu’une de ses créations ne terminent pas vulgairement sur une arme.

Pour le reste, il a évidemment connaissance des clauses, mais tout se négocie, mais c’est pas sa première priorité, d’autant qu’il ignore la qualité exacte de ce qu’il peut fournir, celui-ci… Sa prospection remonte à plusieurs siècles, après tout ! Mais c’est pas le sujet du jour, non.
Le sujet qui l’amène, il est ailleurs, et quand bien même il apprécie les offres de confort, quand bien même il s’installe, à aucun moment le Façonneur ne parait complètement se détendre. Il est agité, il s’impatiente, il s’agace.  Et le voilà qui doit de nouveau s’expliquer… Se répéter car il n’est pas question d’offrir plus à Krish, il va garder ses billes pour lui-même.

“Je sais rien de ce qu’il se passe à l’intérieur, c’est bien pour ça que je dois y aller ! Bon, des détails… Bof, pas tant que ça, il en sait rien, il va falloir qu’elle se mette dans la tête qu’il est ancien mage de la Zho’Us Raghar… L’Etude de l’Inconnu… De l’Inconnu… Donc de ce qu’on ne sait pas ! Comment ça, ça n’a aucun rapport ? Bien sûr que si, voyons, la curiosité qui l’anime et l’amène à vouloir comprendre et la même que celle qui le fait expérimenté des choses nouvelles sans bien savoir sur quoi il va tomber. Quelque chose dans la Trame, voilà ce qui m’intrigue, j’ignore exactement ce que j’ai perçu, alors comprendre comment… Hors de question d’évoquer le message reçu, évidemment. Mais c’est là, je remonte à la source et je n’y suis pas encore… Est-ce en rapport avec le siège ? Avec l’autre gars, là, le prêtre ? Trop tôt pour le dire, mais c’est possible… Je le saurais pas en restant ici.”

Et les témoins qu’ils évoquaient plus tôt, il s’en moque dans l’immédiat… Les conséquences et les effets, voilà tout ce qu’ils pourraient offrir, sans grand intérêt tant le phénomène peut être subjectif. Il doit pouvoir observer la Trame elle-même, la façon dont elle se comporte, c’est seulement ainsi qu’il pourra avancer. Même les autres mages lui servent pas à grand chose.

“Quant à l’urgence, je la vois tout autour de moi ! Si j’attends que les brutes foutent le bordel pour m’y rendre, alors probable que j’y perde des clés pour saisir ce qui se joue… Et encore, à supposer qu’elles ne provoquent pas pire encore qu’une mise à sac. Il doit un peu préciser sa pensée pour se faire bien comprendre. Si ce qu’a subit le prêtre est lié à ce que je cherche, ça pourrait bien être un phénomène agressif… Les dieux seuls savent ce qu’une affluence plus importante ou ce qu’une tuerie dans son champ peut provoquer.”

C’est une sérieuse mise en garde qu’il prononce là, avec la gravité qui va bien… Pas de manipulation - pas uniquement -, et non qu’il se soucie réellement des pertes que peut accuser les armées eldéennes, mais il ne peut que craindre les conséquences que ça peut avoir. Ca dévore l’énergie de toute chose et de tout être, que disait le message… Si on nourrit trop le phénomène, qu’est-ce qu’il risque de se passer ?

“Voilà pourquoi je dois m’y rendre au plus vite et comprendre ce qu’il se passe… Il repense à la proposition de Viconia. Et seul. Pas question de me farcir une escorte incapable de se tenir… Les dorniens sont pas mes ennemis, pas l’intention de devenir une cible à cause d’abrutis qu’il faudra en plus peut-être préserver des effets du phénomène si il est effectivement agressif !”

Bien sûr... Quelqu'un de Thaar aurait perçu quelque chose qu'aucun prêtre et aucun mage d'aucun camp n'avait perçu. Surtout ce quelqu'un de Thaar.

- Oui. Bien sûre. Je comprends. Je te signe un document tout de suite. " répondit Krish avec force hochements de tête avant de s'imobiliser. " Non mais tu te fout de ma gueule ? "

Le récit du mage flottait comme un brave petit nuage, sans aucune racine, sans pied et sans rien pour lui permettre de tenir debout.

- Des menteurs j'en ai vu dans ma vie, mais des aussi mauvais que toi,crois moi ça devient rare. Tu n'es pas du genre à prendre des risques personnels sur une simple spéculation. Il y a des centaines de prêtres et de mages installés entour de Sol'Dorn depuis un an, eux n'ont rien sentis. Et enfin tu débarques comme une fleur le matin ou on perd tout contact avec l'intérieur de la ville pour demander à y entrer seul. " L'étui de nacre tout en longueur qu'elle avait laissé sur son bureau lui faisait de l’œil, mais elle s'en détourna sans grande peine. Le rythme de sa diction était rapide et fluide. " Écoute. Moi, j'ai une ordalie dans moins d'une heure. On a déjà perdu une dizaine d'hommes depuis ce matin et tu as l'air d'en savoir bien plus long que nous. J'ai encore dix minutes à ton consacrer - à toi et rien qu'un toi mon, beau façonneur - et si ce que j'entends ne me conviens pas, on te mettra dans un coin où je serai certaine que tu ne disparaitras pas, en attendant que cette conversation puisse reprendre. " Elle se leva pour s'approcher d'un guéridon sur lequel reposait chaotiquement plusieurs cruches et deux verres. " Tu veux quelque chose à boire ? "

Depuis le début, on évoque la gronde qui a dû patienter pendant des heures, pour laisser son tour. On a prévenu qu’elle viendrait tôt ou tard… Eh bien, la voilà ! Non parce que là, c’est la goutte de trop, et la proposition d’un verre pour détournement d’attention, elle sert autant qu’un fétu de paille pour servir à contenir les eaux déchainés d’un fleuve.
Ce qu’elle suggère et ce qu’elle prétend connaître de lui, ça l’emmerde dans les grandes largeurs, alors la digue saute pour de bon et il va déverser son fiel et qu’importe qu’il cause à une pointure. C’est une ignorante qui prétend savoir, c’est tout !
Et tant pis s’il joue son jeu en craquant de la sorte, et tant pis si elle obtient en partie ce qu’elle cherche en manœuvrant ainsi… Plus rien à foutre, notre Façonneur, l’orage gronde et il est déjà au-dessus de la tente, c'est trop tard.

« Manifestement, c’est toi qui te fout de moi ! En se levant d’un bond de sa chaise, furieux, il parle vite, et Krish peut voir Klez se foutre à l’abri derrière le sac, il reconnait les premiers signes de ce qui va s’abattre. Comment oses-tu seulement me comparer à tous ces charlatans qui, parce qu’ils savent faire des petits tours de pacotille se prétendent mages ! De l’esbroufe, rien que de l’esbroufe ! Des misérables et des imbéciles qui en savent à peine plus long qu’un kobold sur les forces qu’ils manipulent ! Et tu oses me mettre à leur niveau ! »

Ça, c’est la première offense… Les mages de guerres et les prêtres du coin pour comparaison… Qu’est-ce qu’ils peuvent bien savoir, ces abrutis, hein ! Du cotillon ! En imprégnant une gemme, il peut en produire à la chaîne, des types pareils, un sort de boule de feu entre les mains d’un demeuré et voilà le travail ! – cette considération n’engage que lui, il faut le préciser.

« Et qu’est-ce que tu sais des risques que je suis prêt à courir pour atteindre mon but, hein ! Sais-tu seulement ce qu’exige mon Art ? As-tu le plus petit soupçon de la moindre parcelle du plus insignifiant fragment d’idée des risques que j’encours à chaque fois que je le pratique ? Manifestement, non ! Tu me prends pour un lâche, hein ? Parce que je ne suis pas une brute sans cervelle qui se jette dans une mêlée ? Valas ne m’a pas voulu ainsi, il ne m’a pas fait pour ça ! »

Ça c’est la seconde… Cette image de lâche qui ne prend pas de risque. D’abord, d’où croit-elle tenir une telle connaissance à son sujet, hein ? Et ce n’est pas parce qu’elle voit à longueur de temps des mage-cotillon pratiquer leurs artifices élémentaires niveau petite enfance qu’elle a la moindre idée de ce que l’expérimentation exige. Non mais oh !

« Alors tu m’emmerdes avec tes menaces et ton assurance que je suis un petit toutou docile comme ceux qui rampent à tes pieds… Fais donc ça, mais permets-moi de repartir du camp, et nous verrons bien si je suis toujours là à t’attendre ! Car c’est facile d’être certain si on l’empêche de bouger. Même si j’en savais davantage, je n’ai aucune foutue raison de l’ouvrir, et encore moins maintenant ! C’est quoi mon intérêt à vous filer un coup de main, tu peux me le dire ? Être perçu comme un clébard qu’on peut siffler ? Et après, ça sera quoi, du chantage sur l’approvisionnement ? Et ci, et ça, pour tirer ce que tu peux de moi sans avoir à rien faire du tout ! Tu me prends vraiment pour un con, ma parole ! Vous m’avez invité à votre connerie d’état-major ? Non ! Même pas songer que ça pouvait être utile ! C’est que je ne dois vraiment pas l’être comme le pense cet abruti de Vals ! Alors vas à ton ordalie et fous moi la paix ! »

" Cinq minutes. Et oui, j'ose. " avait-elle seulement lâché après la première salve du mage outragé, en débouchant la bouteille de liqueur pour s'en servir un verre. Il pouvait monter et descendre, les pratiquants des Camps avaient prouvé leur capacités et venaient de rendre son mensonge aussi visible qu'insultant.

Puis virent la témérité. La haine des soldats. La colère alors qu'il venait la trouver dans ce foutu camps, dans un jour qui n'était pas près de finir et pour un laissé passé qui avait tout des plus improbables machinations Dorniennes.

La main crispée sur la bouteille, elle la reposa violemment, s'efforçant de ne pas la briser ou - encore mieux - de l'envoyer à la figure du mage. L'idée qui lui traversa l'esprit était envisageable. Elle serait sérieusement envisagée d'ailleurs. Il était hors de question qu'elle joue avec la vie de de milliers de drows pour l'orgueil d'un seul mage. Même un façonneur. Même si elle l'appréciait par ailleurs.

- Tu as l'impression qu'on rampe à mes pieds depuis ce matin ? " demanda-t-elle avec un ricanement dérisoire. La question n'attendait pas de réponse et de toute façon, elle enchaina, levant le ton au besoin pour l'empêcher de reprendre la parole. " Ma patience n'est pas infinie et elle est déjà bien entamée. Alors souviens-toi à qui tu parles et fait très attention à ce que tu dis à partir de maintenant. Ton intérêt est simple : rester en vie et entier. "

Elle qui regardait le verre qu'elle venait de servir pour son hôte se l'enfila d'un trait et prit une longue inspiration. Elle s'était promis de ne pas boire avant l'ordalie, mais là, une vie en dépendait.

- Tu es considéré comme inutile parce que tu es parti, Ranaghar. Tu as quitté le Puy. Tu as quitté les tiens. Tu as refusé de reprendre ta place à l’Étude de l'Inconnue il y a moins d'un mois. Alors tu n'as plus aucun droit ici. Aucun droit de venir demander quoi que ce soit et encore moins d'exiger. Je t'apprécie, mais la vie de chacune des personne que tu mets en danger par ton silence vaut plus que la tienne à cet égare. Ta liberté à un prix. La reconnaissance et le pouvoir. " Elle reposa le verre et se tourna enfin vers lui, un sourire sibyllin sur les lèvres. Il n'était pas question d'eux deux. Il était questions de dizaine de milliers, peut-être de centaines de milliers de vies drows. Jusqu'à preuve du contraire, c'était la première marche de leur Dernière Guerre qui était menacée. Et avec ça, elle ne plaisantait pas. " Près de seize-milles Flammes attendent mes ordres. Tu viens de me mentir les yeux dans les yeux pour que je te laisse passer sans condition dans une ville ennemie et tu m'envoie chier comme une vulgaire assistante. Si tu ne veux pas entrer dans un rapport de force avec moi, ne mêle pas Elda à tes caprices. Tu as visiblement des informations sur ce qui se passe dans la Cité et maintenant que je le sais, je ne te lâcherai pas. A toi de voir si tu veux que ça se passe en douceur ou non. "

C’est ce que tu as l’air d’exiger de moi à défaut de l’obtenir des autres en tout cas, pense-t-il, s’abstenant de l’ouvrir cette fois. L’orage est passé en laissant derrière lui une Krish imperturbable mais qui semble avoir une furieuse envie de lui en coller une. L’Excentrique est cinglé, mais il sait reconnaître les signes d’agacement et surtout distinguer les individus pour lesquels il peut s’en foutre ou non… Or, celle-ci, c’était une puissante plusieurs fois contestée depuis le début de la journée, manifestement, et il en faudrait peu encore pour qu’elle en fasse un exutoire.
Pour se soustraire à cette déplaisante idée, il se tait, il écoute, il n’adhère pas à tout et nerveusement, sur son visage se lit la désapprobation, mais elle lui a dit de faire attention à ce qu’il dit, pas à ce qu’il pense… Donc dans les faits, il peut penser le pire, tant que ça sort pas de sa bouche, c’est valide ! Par contre, faudra qu’il finisse par l’ouvrir, c’est déjà mal embarqué, mais si il ne dit rien, il l’aura jamais, son laissez-passer.

“Tu m’emmerdes, Krish. Je suis pas l’un des leurs, ou bien si je le suis, les miens, ils sont des deux côtés du mur et je vois pas très bien à quoi rime tout ce bordel. Bon, c’était pas comme ça qu’il imaginait sa réponse au départ, mais bon, c’est qu’un début, mais il est curieusement plus calme, moins… loufoque… C’est que sa vie est en jeu alors il s’efforce de chasser le naturel le plus loin possible pour les prochains instants, mais ça va pas être une franche réussite, et après un court silence où il pèse encore le pour et le contre. Bon je marche, j’en ai marre de vos conneries ! Et il se réinstalle confortablement et se permet le luxe de prendre un verre, finalement. On m’a contacté, vois-tu. C’est que contrairement à vous autres, y en a de l’autre côté qui estime encore à leur juste valeur mes connaissances et mes capacités ! Alors ils m’ont fait parvenir un message… Comment ? J’en sais foutrement rien, j’te le jure, mais ils ont réussi. Un message dans les règles de l’art, débarquant sur ses deux pieds mais fermant sa gueule directement dans ma boutique ! Dans les règles de l’art, j’te dis ! Et des glyphes employés par l’Etude Noire pour authentifier le tout, le bon message quoi, tout beau tout propre sur lui, en somme ! Comment ça, il insiste beaucoup là-dessus ? Mais faut le reconnaître, d’une part, et ces détails, réels de surcroît, ça donne de la consistance parce qu’autrement, si au moindre message de Père Michu le requérant dans le trou du cul du monde, il y courait, ça n’aurait pas grand sens. Il est donc important de préciser qu’il comportait les formalités d’usage quand on s’adresse à un (ex-) mage de l’Etude Noire ! Et vas-y qu’on regrette que vos déboires avec la fausse Doth’ka vous ai amené à nous quitter, vos oeuvres nous manquent, je t’épargne le passage de la crème si doux en ces temps troubles, un peu de reconnaissance, ça s’apprécie à sa juste valeur, encore plus maintenant! Il divague, il divague, mais bon, de toute façon, c’est peut-être ses derniers mots, faut les savourer autant que les compliments des dorniens… Quand ces barbares eldéens en auront fini ici, il n’en existera plus. Mais bref, après tout ça, on en vient à l’essentiel, parce qu’ils m’ont pas envoyé un tel message pour me flatter, si seulement ! Quelque chose de magique, vilaine, manifestement, très très vilaine chose ! Elle dévore l’énergie de toute chose qu’ils me disent, de tout être et malgré leur effort, ils ne parviennent pas à saisir la nature de cette chose, c’est un mystère. Et c’est là que j’entre en scène, c’est pour ça que je m’embarque dans cette galère ! Bon, là, il déforme très très légèrement, parce que si on commence à parler d’utilité, ça va s’imaginer une arme et l’emmerder encore plus. Mais il ralentit pas le débit, ça coule tout seul. Et avant que tu ne m’ennuies avec tes histoires de nous, de pas nous, d’un tel est ami, l’autre est ennemi… Je dois te rappeler que ça ne m’intéresse aucunement… Pour ce que je poursuis, Trahison et Loyauté sont des concepts superflus, des obstacles dépourvus de sens dont je m’épargne la compagnie aussi souvent qu’il m’est possible, je me consacre tout entier à saisir Ses Mystères, à me les approprier. Et à cette fin, il m’a triplement béni, le bougre ! Je te parle évidemment pas d’Uriz, celui-là s’est depuis toujours détourné de l’aberration que tu as sous le pif, mais de celui qui m’a confié le Don, c’est à lui que je réponds ! Le premier qui dit blasphème exagère ! Il respecte les dieux, voyons, il est juste pas câblé correctement pour en causer ! C’est que c’était secondaire dans son cursus, ces histoires, et qu’il avait fort à apprendre avant cela !

“Te voilà mieux informé que moi à présent, satisfaite ? Et maintenant, tu peux me laisser poursuivre ma quête, s’il te plait ?”

Il accompagne ses mots d’un grand sourire assez grotesque, voir un brin terrifiant sur sa gueule émacié. Il en doute fort, elle a pas fini de l’emmerder, pour sûr… On peut plus risquer sa peau tranquille, où va le monde, j’vous jure !

- ... Super. " cynisme ? Krish ? Jamais !

Lorsqu'elle l'avait entendu prononcer le nom du Père, elle s'était fendu d'un très sec " Ne prononce pas le nom des dieux de façon si nonchalante. " mais en était resté là. Il venait de l'ouvrir après tout. En un regard langoureux ressemblant beaucoup à celui de Myr'Hennis lorsqu'il lorgne sur sa bouteille d'alcool, elle regarde à nouveau l'écrin de nacre sur son bureau. Elle devrait être ravie, elle avait raison. Les Dorniens tentaient d'utiliser une forme étrange de magie pour dévorer tout ce qui existe dans ce monde. N'était-ce pas une MERVEILLEUSE nouvelle ?

- Félicitation, tu es convoqué au conseil de guerre de ce soir. " déclara-t-elle en lui offrant cette récompense qu'il semblait ardemment désirer quelques minutes plus tôt. " D'ici là, essaie de mettre par écrit tous les détails dont tu te souviens. Quand ce message est-il arrivé ? A quoi ressemblait le messager ? Ou est-ce qu'il est à présent ? Est-ce qu'il était accompagné ? De qui il était exactement ? Ou on te demandait de te rendre ? Quand ? Le moindre détail. Une fois que tu auras juré sur Valas et sur ta Flamme immortelle que ce qui est marqué est la vérité et comprend tout ce dont tu te souviens sur le sujet, tu seras le premier nom sur la liste de ceux qui entrerons dans Sol'Dorn. " Elle faillit lui demander s'il était heureux, mais Ranaghar n'était jamais heureux.

Évidemment qu’il n’est pas heureux ! Déjà, y a le délai… Une journée perdue… Les égouts, bordel ! Ils sont parvenus à rendre plus agréable la perspective de patauger dans un dédale putride que celle de leur rendre une petite visite. Ils sont forts ces eldéens, très très forts ! Et dire qu’ils mènent la danse… Au terme de leur fichue guerre, à supposer qu’ils y parviennent, et c’est le monde entier qui paraîtra plus désagréable que les plus sordides et répugnants souterrains.
Et puis, c’est pas ce qu’il voulait, non… Un conseil de guerre pour commencer, avec ces prétendus grands esprits, grandes âmes ou les dieux seuls savent quelles autres conneries… Et “nous entrerons”, ils veulent le mettre en tête de gondole pour prendre les coups, merde quoi ! Quelle salope ! C’est seulement narratif, il a le droit.

Et y a ce rapport qu’elle demande… Non qu’il se soit attaché à qui que ce soit, mais il est hors de question de vendre la peau de ses “compagnons” surtout sans avoir d’assurance sur le paiement, il allait donc mentir. Mentir sur Valas, mentir sur sa Flamme Immortelle, comme elle dit… Mais l’un et l’autre comprendront que c’est là un passage obligé pour faire la nique à ces suppôts d’Uriz, et puis bon… La loyauté, il l’a dit, vaut pas grand chose, alors un serment, une promesse, tout ça, ça vaut pour qui y donne du sens. Bref, non, c’est pas le fait de jurer qui l’emmerde… Mais pour le reste, il a une solution… Toute naturel en fait ! Il est lui. Lui ! Un porteur de message ? Quel intérêt présente le messager, c’est le message qui compte ! Ce qu’il est où ce qu’il peut devenir, il s’en contrefout, lui, seul le message existe ! Il peut retranscrire le message, ça leur donnera du grain à moudre et crédibilisera le tout…
Des compagnons, possible, ouais… Mais quelle importance,une brute est une brute, y en a des tas et elles sont sans intérêt, celle-ci était de sang-mêlé, la belle affaire ! Et évidemment, pas de nom, il s’en fout des noms, surtout d’individus insignifiants à ses yeux ! Il les aura envoyé chier, ouais, et sans pourboire parce qu’il faut pas déconner !

Donc finalement, en y pensant bien, rien qu’en restituant le message fidèlement, et en suggérant un truc aussi évident qu’un “C’est eux qui viendront à ma rencontre”, parce que qu’est-ce qui est plus reconnaissable que Ranaghar en ce monde, hein ? Combien pour être accompagné d’un gobelin ? Aucun !

“Avec une cible autour du cou pour servir de bouclier aux grands gaillards qui m’accompagneront, j’imagine.” Se contente t-il de répondre, cyniquement. Il va pas la remercier non plus, faut pas déconner. Mais il va le faire, ouais, et bien le faire…