Les égoïsmes du Silencieux [Krish]

Favriüs, huitième jour de la première ennéade
An dix-sept du onzième cycle
00h00

Le pas est rapide, le bâton ne touche pas une fois le sol, la tête est baissée, la forme traverse le camp.

Une guerre fait rage, une guerre qui n’est pas tout à fait eldéenne, une guerre qui devrait être tout à fait eldéenne, une guerre entre la voix d’un dieu accompagné de ses mille servants et les pensées d’un unique eldéen. Plus d’un cycle il a vécu sans craindre la mort, près d’un cycle il a vécu seul, il ne l’est plus aujourd’hui, et il la craint. Il ne la craint pas pour lui, il la craint pour une autre personne, mais il la craint tout de même. Le dieu et ses mille servants ne veut pas qu’il la craigne, le dieu et ses mille servants craint pour lui et ses mille servants, ou il craint, du moins, pour cette enveloppe qu’il a fait sienne. Car si ce n’est cette enveloppe, qui le servira aussi bien qu’elle ? Qui sacrifiera tout pour lui ? Alors il s’ébroue, le dieu, et il tente de rappeler à l’enveloppe qu’il est un dieu, qu’il est son dieu, et que l’enveloppe est responsable, que l’enveloppe est responsable de tout un culte. Mais le haut-prêtre est aussi celui qui permet au dieu d’exister, et il peut, parfois, façonner le dieu à sa façon.

Dans ta furie divine tu rugis, tu tempêtes, tu essaie de mordre, mais tu ne m’atteins pas, car j’étais là avant tes mille voix, car j’étais celui que tu as utilisé pour modeler les autres, car j’étais celui que tu as choisi d’habiter, celui qui ultimement gardera sa liberté, celui qui ultimement saura te résister. Et pour te le signifier je ris, seul entre les tentes, je ris sans me retenir, laissant un rictus fou déformer ma bouche, avant de soudainement me taire, et continuer d’avancer. Je résiste assez longtemps pour que tu comprennes ton existence liée à la mienne, je résiste assez longtemps pour que tu comprennes ne pas pouvoir m’atteindre si je ne le veux pas, et alors que je monte dans le camp, alors que je me rapproche, tu ris aussi, et comme moi tu te tais. Je ne sais pas à cet instant si t’entendre arrivera à nouveau, je ne sais pas à cet instant si tu ne m’as pas abandonné pour de bon, pour toujours, pour laisser un autre vide se creuser, en plus de celui qui motive mes pas.

La forme se présente alors au masque d’argent mais elle ne dit mot.

Elle lâche son bâton qui rebondit au sol, elle décroche son manteau qui dévoile un corps fin et entièrement nu, elle baisse la tête pour ramener les longs cheveux détachés en avant, elle lève une main qui traverse le rideau blanc pour se porter à ses yeux, elle décroche habilement ce qui s’y trouve, elle laisse sa main tomber vers le sol, elle lâche une forme sombre qui se révèle être un masque, elle ne tient plus qu’une grosse perle noire, elle tend la perle au masque d’argent. « J’en aurais besoin après. » Le ton est étrangement chaud pour qui reconnaît la forme, mais il reste neutre, car le masque d’argent n’a jamais été important, et si la forme est là, c’est pour celle que le masque d’argent protège. Si seulement elle a besoin d’une protection… Peut-être pour finir de prouver qu’elle n’est pas un assassin la forme se redresse et rejette les cheveux en arrière, elle protège son visage d’une main, et elle dévoile l’intérieur de sa bouche.

Je franchis les pans de toile et au milieu de la tente je tombe à genoux, laissant l’argent masquer mon visage.

J’attends alors…

- Euh... Pat... Votre Majesté... Le Haut-Prêtre... Entre... ?

Eshk'Oroth avait maladroitement articuler quelques mots, désarçonné par les façons du saint homme qui venait de lui fourrer une pierre noire dans la main. Il avait pris son tour de garde depuis à peine dix minutes, remplaçant le capitaine de la garde d'ébène. Qu'est-ce qu'il faisait...? Enfin c'était un membre du clergé de Tesso donc le Repenti n'aurait sans doute pas du se poser ce genre de question, mais tout de même... Il ne savait pas s'il devait lui barrer la route, l'annoncer ou bien... Mais c'était un Haut-Prêtre et il était désarmé. Alors en priant pour ne pas avoir fait de bourde, il le laissa passer et tendit l'oreille, au cas ou sa patronne lui demande de le faire sortir avec pertes et fracas.

Pour sa défense, Krish aurait aussi été déstabilisée par la scène qui venait de se déroulé si elle en avait eu la moindre conscience. Mais voilà, ce n'était pas le cas.

Allongée à plat ventre sur les draps rêches du grand lit qui occupait une grande partie de sa tente, elle avait abandonné son dos à l'esclave envoyé par Sak'Esh et ses pensées à l'infini de possible décousu des esprits vagabonds. Détendue, elle savait n'avoir que cinq heures de repos devant elle, mais un massage et quelques instants de véritable détente sans plus rien avoir à se soucier était meilleur pour son moral que trois jours d'hibernation.

La journée était finie. Enfin fini.

Elle avait été longue. Plus que ça même. Sans fin. Et pourtant elle en voyait le bout. Après avoir accepter le plan, mis les préparations en route, souhaiter la bonne nuit à son nouveau Karliik' Glenn, son nouveau Prime Sorcier et discuter longuement avec Elghinn et les officiers pour savoir à quel groupe il serait rattaché pour faire ses preuves dans les combats qui allaient venir. Hors de question qu'il restes dans les pattes de l'état major alors qu'il pouvait se porter au devant de l'ennemi avec T'Challa. Le risque de mort ? A quoi bon s'en préoccuper, ils n'étaient plus à une bataille près. Pour l'heure, tout était donc parfaitement en ordre. La seule chose qu'elle regrettait, c'était l'absence de Myr'Hennis. Mais au moins était-il en sécurité, quelque part loin d'ici, et il aurait le temps de réfléchir à la proposition que les Prima lui ferait sans que la présence de la nouvelle reine ne lui mette le couteau sous la gorge. Elle devait continuer à voir ce détail du bon côté. Le reste ne devait pas être ternis par ça.

Lorsque son très cher Repenti avait ouvert la bouche, Krish n'avait donc pas vraiment écouté. Le temps de réaliser qu'il se passait réellement quelque chose, les tentures de son antre s'écartaient vivement et une silhouette masculine entrait sans être annoncée. L'adrénaline s'était ruée à l'assaut de son cœur. D'un coup de rein, elle avait renversé l'esclave sur son dos roulé du lit au sol et repris ses appuis, prête à répondre à la moindre tentative d'attaque sur sa personne.

Mais en relevant les yeux, oreilles dressées, elle ne vit qu'un homme à genoux sur son tapis, les cheveux voilant son visage et la peau aussi nue et sans défaut que le jour de sa naissance. Elle marqua un temps d'arrêt, sourcils froncés, les mots d'Eshk'Oroth faisant leur chemin dans son esprit.

- Haut-Prêtre Ssol'riss Ulnen... " souffla-t-elle, hésitant entre un agacement profond et une surprise suspicieuse.  

C'est vrai... Elle avait oublié mais le matin même, il prévoyaient un rendez-vous. Elle n'était pas aller le voir dans sa tente comme prévu... Mais pourquoi une telle mise en scène ? Et pour faire passer quel message ? Il ne pensait tout de même pas qu'elle avait accepté de le voir pour une partie de jambe en l'air ? Ou pire... Il n'allait pas lui faire le coup du mariage lui aussi ?

D'un geste de main désinvolte, elle indiqua aux deux esclaves de sortir, comme lorsqu'elle recevait un officier dont les paroles devaient rester confidentielles. Tout cela n'avait pas encore de sens à ses yeux, mais nul doute qu'il en trouverait d'ici peu... Et vu comment s'était passé la journée, la nuit n'avait aucune raison d'être plus favorable.

... Son pessimisme la fatiguait d'avance.

Une fois seuls, Krish s'approcha du Haut-Prêtre, ramassant au passage sa robe de chambre en soie rouge. Elle commençait à la passer sur ses épaule sans encore la lasser à la taille lorsqu'elle s'adressa plus particulièrement au prêtre.

- Que se passe-t-il ? J'imagine que c'est quelque chose de grave pour me traiter hors du lit après une journée pareille... "

Une voix différente des autres résonne, une voix nouvelle, qui n’appartient pas au Menteur, une voix qui me demande de trouver autre chose, une voix qui me demande de trouver un prétexte et de m’en aller, sans révéler ce que je viens révéler. Les mots de la voix qui mène vers l’immobilité sont séduisants tant le mouvement effraie, et comme envoûté, je manque y obéir. La réponse à la question de la reine tarde à venir, un silence s’impose, un silence qui peut durer, le silence de celui qui ne sait pas ce qu’il veut dire, même après avoir fait tout le chemin pour arriver là où les mots sont importants. Celui qui ne sait pas ce qu’il veut dire hésite, et il ne relève pas la tête, car son prochain mensonge peut la lui ôter. Le prochain mensonge, ou la prochaine vérité. Quitte à risquer sa vie, Vaerian décide de le faire par la vérité, et comme si rien ne s’était passé il est libre, se rendant compte qu’une voix qui semble ne pas t’appartenir le peut tout de même à travers l’expression de tes nombreux attributs.

Je relève la tête, assez peu vivement pour que les cheveux ne s’écartent pas, assez pour que je puisse à travers leur rideau d’ivoire observer la belle eldéenne de ce regard mauve éternellement dissimulé. Le corps est différent, avant et après qu’elle ne revête le vêtement rouge. Des cicatrices ont disparu, des tatouages ont disparu, il est comme nouveau. Mais le corps garde assez de l’ancien pour rassurer des souvenirs qui ont survécu dans le tumulte de mensonges, il en est d’autant plus fascinant.

« Oublie Ssol’riss Ulnen, oublie le Haut-Prêtre, il parle, parle, parle… il n’a aucune idée de ce qu’il raconte, il parle parce qu’il doit parler, parce qu’on s’attend à ce qu’il parle, parce qu’il n’est pas tout seul et que l’autre lui demande de parler… et il peut dire ce qu’il veut, raconter des conneries ou pas, qu’est ce que ça change ? On ne l’écoutera pas plus, on se rendra juste compte de temps en temps qu’il avait raison. Et quand on se rend compte que personne ne veut du chaos qu’il amène – parce qu’on ne règne pas facilement avec ce genre de chaos dans un état major – on le change. Tesso lui-même le change, prenant la décision pour toi, et il met à la place quelqu’un qui t’obéira, quelqu’un qui te plaira un peu plus, quelqu’un qui t’a plu, un jour. Il y a deux ou trois dizaines d’années, il y a un cycle, on ne sait pas trop pourquoi, mais il t’a plu. Et il obéit, du coup, un peu trop… »

Il y a un peu de colère dans cette tirade, une colère qui va vers l’intérieur. La voix froide s’éteint et je me relève pour surplomber Krish de ces éternels quelques centimètres. Finalement j’écarte la chevelure blanche et me révèle entièrement. Le corps n’a jamais été des plus impressionnants et en ça il n’a pas changé, la peau est toujours aussi lisse, car celui qui la porte déteste toujours autant se mettre en danger. Le regard mauve d’un visage qui ne sourit pas la fixe, et lui, elle l’a vu il n’y a si longtemps, dans les yeux d’une petite eldéenne.

« Il ne se passe rien, rien qui en vaille la peine, mais je me fous de ce qui est grave et ce qui ne l’est pas. Je perds la tête Krish, et c’est peut-être pour ça que je te réveille maintenant, même après une telle journée, surtout après une telle journée. C’est peut-être pour ça que je t’apporte cette nouvelle dont tu ne veux pas. C’est peut-être pour ça que je m’expose totalement à toi, comme la première fois. Même notre promesse je l’ai bafouée en ne mourant pas. Où est-elle d’ailleurs ? Tesso ne veut pas me la montrer, il me la garde cachée, au point où je crains parfois que ce ne soit Teiweon qui la garde. Je ne suis pas mort, je ne suis plus mort, j’ai dû l’être pour elle. Mais… je ne me souviens même plus de qui était Zess’Dren et qui était Dren’Zess, je sais juste qu’ils jouaient avec le monde tous les deux, et qu’aucun des deux n’avait à obéir à l’autre… »

Dans son peignoir tout juste fermé, les yeux levés sur un visage surgit de siècles en arrière, Krish resta pétrifiée.

Des pensées, des idées et sentiments contradictoires auraient du déferlés, mais elle avait simplement l'esprit vide.

Quelque part au fond de son être, des fers au goût de liqueur d'orange se brise définitivement. L'émotion venait de faire céder ce que la rouille avait épargné.

Quelle émotion ?

Voilà une question qu'elle se serait peut-être posée en d'autre lieux et d'autres temps. Peut-être se la poserait-elle un jour. Mais en ce moment précis, elle ne voyait qu'un visage ancien et deux yeux d'un mauve intense.

Sidérée, elle ne fit pas le moindre geste. Restant là, les bras ballants.

Elle que j’ai connu si bien pendant si longtemps s’arrête et se ferme à moi. Ou peut-être ais-je oublié ? Peut-être existe-t-il un temps où j’aurais compris cette absence totale de mouvement ? Je ne sais pas, et je m’immobilise aussi. Peut-être est-ce là la fin ? Peut-être que des cycles plus tard on verra ici deux statues se faisant face, l’une sans un vêtement, l’autre tout juste vêtue, ou peut-être son vêtement ne survivront pas à l’assaut du temps. Peut-être se demandera-t-on si un monstre de Sol’Dorn s’est échappé pour prendre les feux de la Reine d’Elda et du serviteur du Menteur ? Ces pensées seraient venues de Ssol’riss Ulnen – peut-être qu’elles viennent de lui – mais Vaerian ne pense pas, Vaerian attend, comme Krish Al’Serat, comme la mère de son unique création, la seule création qui reste, la seule création qui n’est pas vent, qui n’est pas mensonge. Peut-être que Krish Al’Serat en est une autre, en réalité, mais si lui l’a créée, elle l’a créé lui aussi.

Mais celui qui a le moins à encaisser, celui qui dans l’ombre savait, Vaerian reprend vie, car il n’est pas sûr de vouloir finir de cette façon, car il n’est pas sûr de vouloir passer l’éternité ici, car il reste un espoir. Quel espoir ?

Il s’avance, d’un pas, deux pas, jusqu’à pouvoir saisir une des mains au bout de ces bras ballants. Il ne le fait pas tout de suite, il hésite, un instant. Mais il se saisit bien de cette main, et il la soulève jusqu’à ce qu’elle se trouve entre lui et elle. Il n’a pas de mots à prononcer, il n’a rien, il n’a que sa présence, il n’a que ses gestes, il n’a que la certitude qu’il ne peut s’en aller. La présence rendue physique, la présence rendue plus véritable, la présence doit s’imposer un peu plus, et elle s’avance encore pour venir chercher un peu plus. Elle vient chercher quelque chose de dangereux, elle vient chercher quelque chose qui la brûlera, mais ironiquement elle vient chercher si peu, quelque chose qui ne veut rien dire pour autre qu’elle-même, et qui ne veut peut-être rien dire même pour Krish. Des bras, elle s’enveloppe autour de la forme légèrement plus petite, mais assurément plus voluptueuse, une forme que la présence a connu.

Je crois que je l’ai déjà tenue de cette façon, je ne sais plus. J’espère.

On prit sa main. Elle ne bougea pas. On s'approcha. Elle suivit à peine les yeux mauves de son regard moucheté d'or.

C'était... impossible.

L'odeur de la peau grise s'infiltra furtivement dans le nez de l'eldéenne, nimbant tout le reste d'une nostalgie douloureuse. D'une présence complice. Une odeur familière. Tout comme les forme du corps qu'on pressait contre le sien. La façon dont on passait une main dans son dos. La façon dont son menton frôle le trapèze de l'homme, marquant une infime différence de taille. L'air qui gonflait son torse. L'angle de sa mâchoire. La pointe de l'oreille effilée qui restait malgré tout à la périphérie de sa vision.

La dernière personne qui avait compté pour elle - peut-être le seul homme auquel elle avait pu faire entièrement confiance durant son premier millénaire - était vivant.

Il lui avait fait croire qu'il était mort...

Il lui avait envoyé sa propre fille comme preuve...

... Et il était vivant.

Elle prit une longue et profonde inspiration. Les cheveux pâles de l'homme se mêlant à ses cils et glissant sur sa joue. Un peu d'air pour prononcer un seul mot d'une voix blanche.

- Vaerian... "

Ses mains le saisirent aux hanches, le serrant contre elle sans pudeur ou hésitation.

Il avait rôdé autour d'elle sans rien lui dire pendant des années...

Il l'avait abandonnée dans les moments les plus solitaires de sa vie...

Il l'avait laissé ramasser les volées de bois vert du Triumvirat...

Il...

Il avait dit que Ssol'riss était un autre et n'était jamais seul ?

Une brique de plus tomba sur ses épaules. Il était lui aussi habité... Le Menteur l'avait reconnu et enserré dans ses griffes... Et alors ? S'il venait maintenant c'était qu'il avait le pouvoir de lui résister. C'est qu'il avait encore ses souvenirs. Sa Flamme. Sa liberté. C'était qu'il avait choisi de la laisser se démerder seule jusqu'à aujourd'hui. Jusqu'à ce qu'elle considère qu'Elda n'en valait n'était pas prête pour ce qu'elle avait Vu et que cela ne pouvait se finir qu'une fois de plus dans le sang et la boue, comme pour tous les autres avatars du Père. Jusqu'à ce qu'elle se fasse à l'idée de ne jamais le revoir. Jusqu'à ce que forte de sa solitude et de ses deuils, elle rencontre Myr'Hennis et en tombe amoureuse. Jusqu'à ce que le mariage soit annoncé, menacé, et que sa dignité de Flamme du Père soit remise en doute par des ambitieux stupides...

A la stupeur succéda la colère.

Son sang ne fit qu'un tour.

Elle recula d'un pas, l'éloignant résolument en le tenant toujours par les hanches. Son genoux remonta violemment pour percuter son entre-jambe avec la délicatesse d'un marteau de forge.

- SORT DE CETTE TENTE CREVURE DE TRAITRE ET VA TE FAIRE FOUTRE PAR ZHAK'BAR ET SES DRAGONS ! "

Devant la tente, Eshk'Oroth sursauta. Portant dans la main gauche le bâton et la pierre du Haut-Prêtre et sa cape blanche étendu en travers de son bras droit, il s'emmêla et ne parvint ni à dégainer, ni à ouvrir la tenture de façon efficace. Aussi, en une fraction de seconde, se fut sous le regard hagard du Repenti qu'une Krish au visage violacé quitta la tente à grandes enjambées, à peine vêtue d'un court peignoir de soie rouge.  

Le coup est porté et je grogne, comme beaucoup l’auraient fait, la condition de haut-prêtre de n’importe quel autre dieu que Kiel n’apportant pas de résistance particulière à ce genre de déplaisir. Je ne m’affaisse pas totalement mais j’accuse le coup, restant quelques longs instants là, plié en deux. Je l’entends hurler mais je souris tout de même, car il n’y a que la folie qui m’a amené là à cet instant, car c’est la même folie qu’elle me renvoie, car je réalise que rien n’aurait pu se dérouler autrement. Même l’instant de cette révélation m’est imposé, alors que je n’aurais pu quitter ton emprise plus tôt, et que je n’aurais pu vivre dans ce secret plus longtemps. Si dans tous les mondes je subis le même coup au même moment, pourquoi faire autre chose que sourire ? Tu ne refais pas surface à cet instant, et je ne peux qu’être heureux de ne pas avoir à supporter tes railleries, de ne pas avoir à supporter la confirmation que si tu m’as laissé briser ton emprise c’est pour subir exactement ce que je viens de subir.

Peut-être ais-je un libre arbitre, après tout ?

En tout cas, celui que le supplice m’a ôté revient finalement, et je me redresse de tout mon haut, sans rien entreprendre pour atténuer cette douleur que je pense mériter. Elle est bel et bien partie et il n’est aucune raison de rester, alors je me dirige vers l’entrée de la tente. Je ne suis plus sûr d‘où le point d’impact avec le repenti abasourdi a lieu, mais quand je le bouscule et qu’il laisse tomber ce qu’il porte dans ses bras je suis assez vif pour reprendre la pierre et uniquement la pierre. Je m’éloigne alors, et l’envie me prend de jouer avec cette énergie qui nous entoure tous. Seulement tu manques à l’appel, et je t’ordonne de réapparaître. Tu m’ignores, et bientôt les insultes pleuvent. Tu m’ignores, et bientôt je blasphème contre toi. Tu m’ignores, et je perds patience. Mais un rire se fait bientôt entendre, ton rire, et l’instant d’après la forme qui traverse un camp pour retrouver sa tente vide brille dans la nuit. C’est idiot, mais c’est sûrement ce que je suis.