Sombre nouvelle | Krish

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Courant 7e ennéade de Barkios de l'an 17
L'Etat Major

De poussière et de sable, le teint sombre du demi-sang zurthan ne portait plus de trace. Et pourtant, ce n'était pas faute d'avoir chevauché : depuis les confins de l'Ithri'Vaan jusqu'à Sol'Dorn la Conquise, avant d'être expressément envoyé au Puy, à travers le désert de sable, puis de sel et de roche aride, pour relater ce qu'il avait vu de ses yeux. Voilà bien la seule raison pour laquelle cet esclave se voyait accepté dans les profondeurs les plus sécurisées du Vatna. Docile, il avait avait suivi chaque nouveau sombre auquel il avait été confié, jusqu'à parvenir au Puy, où il avait été jugé bon de le nettoyer avant de le présenter à la Valsharess.

Sous la veille d'un sombre de la Garde d’Ébène, il avait parcouru les derniers couloirs le séparant du bout de son périple. Tout esclave qu'il fut, son être n'en frémissait pas moins à l'idée : c'est devant la Reine des Sombres qu'il allait s'exprimer, et pour annoncer quelque chose de disgracieux, dont il portait la honte. Avec cérémonie, les sombres de la Garde d’Ébène frappèrent au battant du bureau de la reine, et quand il leur fut permit d'entrer, esclave et garde s'avancèrent. Ce dernier salua respectueusement.

"Un message venu d'Ithri'vaan, Valsharess. fut-il annoncé sentencieusement. Non sans un regard vers l'esclave, il ajouta. La Prêtresse de Valas et ancienne Triumvirat, Viconia X'Ianxin, a été tuée, il y a plusieurs ennéades de cela. Cet esclave était présent, et en charge de sa protection."

Aucun frisson, aucune expression ne trahit le demi-zurthan, à la musculature de gladiateur, à la peau de jais et à la pilosité faciale assombrissant ses mâchoires. La tête baissée, il attendait le bon vouloir de la Valsharess.

Le mariage approchait. L'ennéade prochaine, les Princes seraient là. Le tournois aurait lieu... Et surtout, Myr'Hennis serait tout à elle.

Depuis qu'elle s'était installée dans le Palais d'Elda dans les anciens appartements des rois et des reines antiques, Krish avait retrouvé la sérénité d'un quotidien ampli d'obligations qui pouvaient être en grande partie accomplies par des conseillers, des secondes, des représentants et eldéens aux capacités extraordinaires pour manier les mots, les nombres et les couteaux. Parler en son nom propre était plus simple que de vouloir déléguer à deux Flammes qui s'étaient finalement effondrées sous le poids des responsabilités... Et a l'occasion du mariage et du tour que les officiers avaient fait à Nisetis au début du mois, les artistes et les artisans mis à l'honneur chantaient les exploits de la nouvelle reine bien au delà de son état de feu d'Uriz.

Libératrice des esclaves méritants. Conquérante de Sol'Dorn. Pacificatrice des Seigneuries Morcelées. Créatrice du Concile des artisans. Adepte des arts et de la beauté eldéenne ayant su montrer aux éphémères la supériorité des créations sombres. Très pieuse fille d'Uriz qui avait restaurée la Grandeur du Culte. Esprit libre ayant transformé la guerre et tenu tête aux plus traditionnels pour épargner les forces d'Elda et aller plus loin que le Puy n'était jamais aller. Guerrière et réformatrice poussant la méritocratie vers de nouveaux jours de rayonnements par la guerre mais aussi par leur style de vie... Il tait fort probable que cet engouement ne dure pas, mais elle comptait bien en profité tant que ce serait le cas !

Et pour cela, il y avait encore quelques travaux demandant son attention.

Portant l'un de ses corset métallique aux reflets dorés sur une longue jupe fendue de soie noire, elle ne s'était pas levée pour accueillir ses visiteurs lorsque quelques coups avaient frappés à sa porte. Sa main droite, couverte de griffes d'or tournait la page d'un épais ouvrage relié de cuir... Mais ce que les gardes laissèrent tombés après que la porte se soit refermée sur eux la pétrifia.

Une mèche neigeuse glissa de derrière son oreille atrophiée pour barrer son visage lorsqu'elle releva ses yeux de sang et d'or sur ses hôtes. Elle dévisagea les gardes de manière à parfaitement se souvenir de leur visage et ferma son livre.

- Qui est au courant et ou est son corps ? " demanda-t-elle à l'homme d'arme sur le ton de la conversation avant de lui donner congé.

Une fois seule avec le demi-sang, elle se leva de son bureau et en fit le tour, pieds nus. Tout cela demandait réflexion... Et avant qu'elle ne sente poindre une migraine affreuse, il fallait qu'elle en sache plus. Les derniers rapports de la Doth'Kah lui avaient donnés quelques pistes et faisaient en effet état d'un messager qu'il lui envoyait pour lui apprendre quelque chose, mais elle ne se serait pas douté que cela concernait quelque chose de si fâcheux.

Nonchalamment posée sur le bord de son bureau, les deux mains en tenant la bordure, elle chercha les yeux de l'esclave.

- Il est d'usage pour un esclave de s'agenouiller devant sa reine, mais personne n'a du t'apprendre le protocole. " Un sourire de requin se dessina sur les lèvres de l'eldéenne. " Regarde moi dans les yeux. Tu vas me dire avec le plus de précision possible quand sa mort à eu lieux et où. Qui l'a tué et où est son corps. "

Les hauts-gradés gérant Sol'dorn, les gardes qui avaient accompagné la X'Ianxin au cours de son dernier voyage, ainsi que son supérieur, telle fut la réponse du garde. A cela, il ajouta que la dépouille était demeurée à Sol'Dorn, afin d'être préparée convenablement, pour ne pas souffrir du voyage dans de mauvaises conditions. Sans doute suivrait-elle le message, à quelques ennéades de distance. Après quoi, un dernier salut, et le garde s'en fut, laissant la Valsharess et l'esclave.

Alors qu'elle s'avançait vers lui, le demi-zurthan était resté stoïque. Au rappel, il se laissa aussitôt tomber à genoux, pour ensuite la regarder dans les yeux. En chien sans maître, en esclave-né, il acceptait les ordres sans la moindre hésitation. Avec la richesse d'une voix de mâle au sang du désert, et la froideur de la docilité, il livra son témoignage.

"Cinquième ennéade, Valsharess, sur la route menant à Hanning. A deux jours de la ville. Un groupement de maisons, proches de la route. Le regard sombre déviait tandis qu'il se remémorait, avant de revenir fixer les yeux écarlates de la sombre. Un drow. Grand. Gris. Massif. Il a fui à cheval avec le corps de ma maîtresse. Un peu de sueur humidifiait ses tempes. Les humains qui allaient avec lui ont été questionnés : ils ne savaient rien de lui, il ne parlait pas l'oliyan. Ramassé sur la route, contre de l'argent. Nous avons retrouvé le corps quelques heures plus tard, en mauvais état. Les prêtres de Sol'Dorn l'ont gardé, quand nous l'y avons emmené."

Cela était bien peu, mais l'esclave ne comptait pas enjoliver ou raconter plus qu'il ne savait. L'arène lui avait enseigné à se battre pour rester en vie, là où servir lui valait de courber l'échine et d'attendre le bon vouloir de ses maîtres. Même maintenant, il attendait simplement le bon vouloir de la sombre, là où d'autres auraient trembler d'avouer pareil échec.

Pendant la courte réponse de l'esclave, le visage sérieux de l'eldéenne s'était éclairé d'une étincelle, puis d'un large sourire, et arrivé au bout, ce fut tout d'abord un rire franc que l'esclave obtint pour toute réponse.

- Non... Hanning ? Sérieusement ? Elle a réussit à aller jusque là bas pour se faire tuer ! Par les dieux ! " sautant vers l'esclave pour s'asseoir sur ses talons juste en face de lui, elle attrapa sa mâchoire poilue et tira son visage près du sien. " je veux tout savoir... Mais d'abord dit mois comment tu t'appelles et depuis quand tu étais à son service. "

Soudainement saisi, l'esclave avait posé une main au sol, par réflexe, sans qu'il n'affiche la moindre gêne dans cette proximité. La sacoche, alourdie, lui ceignant les reins, lui appuya sur le ventre. Esclave et fils d'esclave, nez à nez avec la reine des eldéens. Il est des situations où une impassibilité naturelle, et cultivée, a du bon, et celle-ci semblait particulièrement plaire à la reine.

- Kitrye, Valsharess. Acheté à sa dernière visite au Puy. Pour la protéger, et l'entraîner. Si la poigne de la drow le tiraille, il ne cherche en rien à se dégager. Nous avons fait halte, un humain nous a accueilli. Installés à l'intérieur, avec d'autres. Ma maîtresse a souhaité être seule, dehors. On a attendu... Puis un humain est sorti. Du trouble, je suis sorti. Le drow était sur un cheval, la maîtresse en travers de l'encolure. Un garde a sorti sa lame et frappé... Blessé la bête. Mais le sombre a fui.
- Le sombre, à quoi ressemblait-il ? Avait-il des marques ? des tatouages ? des vêtements particuliers ? Tu as dis qu'il était avec des humains ?

L'esclave prit un instant pour se remémorer. Par son sang, il avait pu mieux voir qu'un vulgaire zurthan. Néanmoins, l'instant avait été si fugace... Face à ses yeux, la figure attentive de la Valsharess, ses mains tenant sa mâchoire. La voix grave et lente, il énonça :

- Grand. Massif. Gris. Cheveux longs, pâles. Larges mains. Des marques au poignets... Des vêtements vaanis, brutes, qui le couvraient. Les humains rejoignaient Hanning, sans richesse. Hmmmm... J'étais trop loin pour voir. Eux l'ont dit... Émacié. Cicatrices sous le tissu, autour des poignets. Yeux intégralement rouges. Pas parlé de tatouages.
- Depuis quand était-il avec les humains ? Pourquoi les a-t-il rejoint ?
- Deux jours. Ils ne savaient pas. Ils allaient en charrette, il restait à l'arrière.
- Si tu le revoyais, est-ce que tu pourrais le reconnaître ?
- ... Oui.

L'intérêt franc et joyeux de la reine se changea en quelque chose d'un peu plus mutin. Quelques secondes de silence s'égrainèrent avant qu'elle ne se relève, entraînant l'homme avec elle sans lâcher sa mâchoire. L'esclave n'opposa aucune résistance, encore dans l'expectative, stoïque.

- A quel point étais-tu attaché à Viconia ?
- ... Je la servais.

Un court silence marqua sa perplexité, ne voyant pas où la Valsharess voulait en venir, le rapport avec ce qui était survenu... Puis un lien lui vint à l'esprit, mais il demeura interdit. Les facettes des eldéens étaient nombreuses, et espérer fuir les plus obscures était vain. Kitrye ne se dérobait ni au regard ni à la poigne de la sombre, sang-mêlé d'ébène à la musculature de gladiateur, mené par la mâchoire avec la docilité d'un bovidé - le regard plus vif cela dit - que ces questions le mènent à son renvoi comme à son sacrifice.

- Lui étais-tu reconnaissant de t'avoir acheté ?

Le silence fut plus long. Le demi-drow n'était qu'obéissance, formé à la violence contrôlée. L'appréciation n'avait rien à voir là dedans. Servir un drow ou un autre, quelle différence ?

- Elle me traitait bien. trouva-t-il finalement à répondre.

Un serviteur assez neutre pour être de bonne foi. La reine pouvait commencer à se réjouir sincèrement.

Morte à Hanning. Par les dieux, il y avait des chances pour que Viconia réussisse à être plus utile pour Elda morte que vivante. Par un sombre solitaire. Un assassin sûrement. A la solde de qui ? Peu importait en réalité. Personne n'aurait intérêt à revendiquer cet acte s'il ne voulait pas que quatre ost le prennent pour cible.

Krish lâcha la mâchoire de l'ancien gladiateur et retourna s'appuyer sur le bureau.

- Qu'est-ce que tu portes dans ton dos ?

Retrouvant son équilibre, l'esclave ouvrit la sacoche qu'il avait porté tout au long de son voyage. Avec une certaine déférence, il en sortit un grimoire, aussi noir que l'ébène, aux angles d'argent. De bonne taille, plutôt fin, il était d'une qualité indéniable... Si l'on exceptait la tâche brunâtre qui en obscurcissait les tranches, nuisant au bon papier. Pour n'importe quel eldéen, la couleur - comme l'odeur - était familière : celle du sang séché. Le sang-mêlé zurthan s'avança et, inclinant la tête, tendit l'ouvrage à la Valsharess.

- Le grimoire de ma maîtresse. Elle voulait que vous l'ayez. dit-il, sans émotion.

Krish s'empara de l'épais volume avec un un soin instinctif. Un instant, elle se demanda pourquoi Viconia avait voulu que ce grimoire lui revienne à elle plutôt qu'à son culte, mais il était fort peu probable qu'elle se soit épanché auprès d'un esclave, surtout si elle avait donné des consignes aussi précise en cas de mort... En même temps, vu le risque que représentait le simple fait de vivre en ayant perdu le titre de Triumvir et sans celui de Voix avait du lui mettre suffisamment de plomb dans la cervelle pour prévoir ce genre de chose. La souveraine regrettait encore de ne pas avoir pu faire de cette prêtresse la Voix de Sol'Dorn. Et dire qu'elle n'attendait que de voir si elle pouvait toujours compter sur la jeune femme une fois le feu vert du culte de Kiran donné... Les dieux n'avaient pas été tendre avec cette fille.

Les griffes d'or passèrent sur la couverture du livre avant qu'elle ne le pose sur son bureau.

- As-tu autre chose à me dire, Kitrye ?
- Non, Valsharess.

Elle hocha la tête et gagna la porte pour demander à ce qu'on lui amène la Doth'Ka. Barra ou représentant, cela importait peu. Elle voulait qu'un portrait précis soit fait du meurtrier et être la seule à y avoir accès. Quant à l'esclave ? Son avenir importait peu. Son esprit serait exploré de font en comble pour s'assurer qu'on ne ratait aucune mauvaise surprise et ce qu'il restait serait surement revendu comme engrais ou comm nourriture pour les bêtes de Zhak'Bar.

Son esprit fourmillait d'idée. Oh c'était décidé. Elle avait bien trop longtemps retenu la force de changement et de combat qui grondait à l'intérieur d'elle. Il était temps d'y remédier et la mort d'une seule venait d'offrir une opportunité pour beaucoup.

- Je veux voir le Maître des Ombres et le Capitaine de la garde d'ébène. Maintenant.

Leurs ordres seraient simple : pour le premier, donner à la chasse au meurtrier. Pour le second faire en sorte qu'aucun de ses hommes ne dise un mot à qui que ce soit concernant la nouvelle et de faire en sorte que le corps soit immédiatement amené dans la Chambre magmatique, au Haut Temple de Teiweon dès son arrivée.

Pour la suite, la nouvelle allait être plus délicate... et plus drôle. Autant garder le plus amusant pour plus tard. Elle finirait par Valsrik'.

- Amenez-moi Kerath. "