Frère et soeur (PV Krish)

Septième jour de Favrius, an 17:XI, peu après 22 heures
Sol'dorn, intérieur de la ville

Dans le silence le plus complet, je regarde la carte qu'a posée le kyorl en face de moi. Je suis du regard le chemin qu'emprunte son index, mémorisant ainsi le chemin exact que je devrai prendre le lendemain avec mon équipe à travers les souterrains. Il relève la main, fait quelques signes avec puis m'indique deux autres chemins possibles. On ne sait jamais à l'avance ce qui se passera exactement, raison pour laquelle Ranaun fait très attention à ce que je mémorise l'entièreté de la carte ainsi que tous les chemins qui nous mèneront là où nous le devons. Je ne serai pas la seule de l'escouade à connaître le chemin, je ne suis qu'une cadette de trente-cinq ans dans le fond... aussi ce ne sera de base pas à moi de choisir l'itinéraire. Pas à Xune, pour être exacte. Xune est la jeune cadette n'ayant pas peur de se tremper dans des souterrains poisseux et emplis de dangers, prête à tuer pour la réussite de la mission et bien sûr obéissante envers les grands étant dans le métier. Fière d'être cadette, elle fera de son mieux pour être à la hauteur des attentes voire même dépassera ces-dites attentes. L'adolescente méritant d'être cadette, en somme. Le beau masque cachant une fille de Feu ne désirant ni attirer les regards sur elle, ni avoir à tuer au coeur d'une bataille. Pas que j'ai peur de faire couler le sang ou de voir le mien tacher mes habits mais la mort est pour moi trop sacrée et intime pour être donnée à n'importe qui. Juste être un ennemi ne suffit pas, et encore moins être au mauvais endroit au mauvais moment. Pour ce qui se passera demain, je suis autant stressée que confiante en la volonté du Père. Un mélange bien étrange...

Nous nous faisons un simple signe de tête et je sors de la pièce dans le même silence qui régnait entre nous, puis finalement sors de la petite maison qui nous sert de QG. Je regarde un instant les étoiles, me demandant ce que j'allais faire avant d'aller me coucher, me demandant si j'allais seulement réussir à dormir. Me rappeler dans ma tête tout ce que vient de m'enseigner Ranaun est peut-être la meilleure chose à faire... Autant m'asseoir sur les marches et tout visualiser à nouveau avant de rentrer dans la maison. Je m'assois donc, toujours silencieuse, quand arrive un petit groupe que je reconnais comme faisant partie de l'armée eldéenne, plus ou moins en infiltration dans la ville pour préparer le grand jour. Ce qui me fait si facilement le voir ? Elghinn !!!

Ma joie est immense en revoyant mon frère, et encore plus grande en remarquant qu'il semble s'être bien inséré à son groupe. Mais un simple sourire en coin s'égare sur mes lèvres et je me lève le plus calmement du monde, avec l'énorme envie de sauter dans ses grands bras pâles. C'est que mon petit demi-frère est bien plus grand que moi physiquement parlant, maintenant... les prêtresses de Natha l'ont considérablement agrandi en quelques années. Au point que des fois je me demande si je ne devrais pas faire comme lui, avant de me rappeler que si la déesse m'a voulue ainsi ce devait être pour une bonne raison. La taille ne fait pas la grandeur de l'individu. J'attends qu'il me remarque, puis j'approche de lui. Si proche de lui j'ai du mal à faire en sorte que mon sourire ne s'accentue pas, aussi je laisse un beau et fin sourire orner mes lèvres.

"C'est un plaisir de te revoir, "petit" frère."

Depuis quelques heures déjà, Elghinn était extatique. Au cœur de la foule lorsque sa mère avait annoncée à tous qu'elle prenait désormais le titre et le rôle de reine, il avait fait parti des premiers à répondre aux premières bagarres et aux cris de liesse. L'un des jeunes soldat sur lequel son poing s'était égaré s'était révélé être un franc camarade et vu qu'ils s'étaient fait rafistolés côte à côte, ils avaient passer le reste de la soiré avec son groupe d'intervention.

Contrairement à sa sœur, Elghinn n'était pas de ceux qui peuvent facilement changer de nom et de visage. Depuis son arrivée au camp, quelques ennéades plus tôt, il rodait comme une ombre blanche accompagné de ce que beaucoup pensaient être la panthère de sa mère. Il avait accompagné des équipes dans les seigneuries et à Frontière, se révélant être un combattant étrangement aguerrit bien que son style rapide, souple et précis soit bien plus proche de celui d'un assassin que d'un guerrier conventionnel. Ce jeune homme qui sortait de nulle part avait du mal à s'intégrer. Déjà parce qu'il était le fils de la Prime Flamme et parce qu'elle avait refusé qu'un prima le reconnaisse comme son fils et que toutes sortes de rumeurs couraient à son sujet. Mais également parce qu'il était étrange, bien trop franc, naïvement vantard, et qu'il n'avait passé aucun rite. Il était apparut ainsi, comme s'il n'existait pas le jour d'avant... Ce qui en rendait beaucoup suspicieux ou irritables.

Au moins, depuis deux ans maintenant, il avait un corps à la hauteur de son lignage : parfait. Un humain l'aurait pris pour un garçon de seize ans particulièrement grand et bien portant. Les épaules larges pour son âge, les membres longs et sec, la musculature très dessinée, un visage parfaitement symétrique dont les joues marquaient encore quelques rondeurs juvéniles malgré une mâchoire marquée. Le nez droit et fort de sa mère ainsi que ses yeux de sang, sous une crinière de cheveux blancs dont il prenait particulièrement soin. A son cou battait un pendentif sur lequel était monté une gemme du même rouge que ses yeux mais c'était la mobilité de ses traits dépourvus de la moindre trace de mensonge et de retenue qui le rendait particulièrement remarquable. Habillé en civile, portant une tunique en soie vaanie ouverte sur ton torse sculptural, il parlait fort, enthousiasmé par ce que raconter ses trois ainés, visiblement amusé par la passion que mettait le jeune homme. Etait-ce de la réelle affection ou la tentative de trois arrivistes d'entrer dans les bonnes grâces d'un prince ? Difficile à dire pour un œil critique, mais l'idée ne semblait pas avoir effleuré la conscience d'Elghinn.

- Non ! Quand même pas sa chaussure !?
- Et si ! " rit la femme de la bande, celle qui avait la pommette tatouée d'un soleil d'or.

Il allaient tourner entre deux autres tentes, les trois soldats que le jeune homme accompagnaient se préparant à prendre leur quart pour la nuit, lorsqu'un visage familier titilla la mémoire du drow blanc. Il s'immobilisa et se tourna d'un bloc. Voyant la fine silhouette venir jusqu'à lui, un immense sourire rayonnant éclaira son visage. Il faillit l'appeler en ouvrant les bras mais se souvint qu'elle n'aimait pas ça. Elle changeait trop souvent de nom pour que cela soit une bonne idée. Alors il se tourna vers es camarades du jour.

- Allez-y. C'est une vieille connaissance. on se voit demain à l'aube.
- Oh je vois, le petit monsieur à ses projets. " railla son comparse de bagarre, l'oeil encore un peu enflé.
- Ouais, exactement ! "

Le sourire carnassier d'Elghinn ressemblait curieusement à celui de sa mère lorsqu'il s'y mettait. Heureusement, aucun des trois soldats du rang n'avait l'habitude de côtoyer la Triumvir... enfin la reine, hors des entrainements. Ils saluèrent le jeune homme et continuèrent leur route.

Ils avaient à peine tourné à l'angle d'une grande tente hébergeant une salle de repos, et la jeune fille l'avait à peine saluée de sa voix douce qu'il la prit par la taille pour la soulever de terre en la serrant dans ses bras.

- Driz'na. Je suis si heureux. Maman m'a dit que tu étais au camps mais je ne voulais pas te déranger. " souffla-t-il a son oreille. Et comme si ça avait toujours été une habitude, il vint l'embrasser avec passion.

"Driz'na. Je suis si heureux. Maman m'a dit que tu étais au camp mais je ne voulais pas te déranger."

La joie de le revoir. Vraiment. Etre à moitié dérangée par le fait qu'il me soulève puis m'enserre dans ses bras, bien plus parce que je n'ai pas envie de montrer mon grand attachement pour lui à la face du monde que par souci de proximité physique. Entrouvrir la bouche pour lui répondre dans ce même murmure que j'ai également entendu parler de sa présence dans les parages mais que je n'ai jusque là pas eu l'occasion de pouvoir le trouver, et que c'est un vrai bonheur de pouvoir le revoir après tout ce temps. Mais... mais...

...

......

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(L'occasion de parler n'a pas été trouvée. Veuillez vérifier votre connexion Valas puis retenter ultérieurement l'expérience. En cas de persistance de ce problème, veuillez contacter le service Tesso. Ne faire appel à l'agence Uriz que si un virus Kerhel gangrène votre espace temps.)

Je... quoi ? Que... c'est... comment dois-je réagir ? Depuis quand fait-il ça ? Je... je... c'est agréable en fait. Après une crispation de mon corps à cette surprise de taille, il se détend quelque peu pour profiter de ce baiser d'accueil. Cela m'étonne. Il est mon frère, je ne suis pas sûre que ça se fasse. Chez les Prima Sanguis de ce que j'ai compris mais en-dehors... ? Et c'est rare que j'accepte comme ça un tel contact avec une personne - Elghinn est un garçon, ça passe beaucoup mieux avec les hommes qu'avec les femmes. Nos lèvres se détachent, enfin et déjà à la fois. J'ai l'impression qu'alors que le temps reprend son cours, mon visage est aussi blafard comme la peau d'Elghinn. Mes yeux n'arrivent pas à se détacher de ses lèvres pendant tout le temps où il me repose sur le sol.

.................... TIME FOUND ....................

J'arrive à décrocher mon regard violacé pour le poser sur celui de mon frère. Je voulais dire quoi déjà ? Ah si, que je suis contente de le revoir !

"C'est... tu embrasses bien."

Et... Et en fait, il ne l'avait jamais fait. Dans l'enthousiasme de leur retrouvailles ça lui était venu. Après tout, elle était l'une de ses plus vieilles amies, des premières personnes qu'il avait connu. Ils avaient passé tant de temps à se côtoyer. Il avait tant appris à son contact. Et tant appris depuis qu'il avait quitté Elda. Cela faisait plus d'un an qu'ils ne s'étaient pas vu. Mais en posant ses lèvres sur celles de la jeune fille, en sentant glisser sa langue contre la sienne, il s'était rendu compte que c'était nouveau. Ce goût. Cette frêle silhouette contre lui... Ça n'avait jamais eu lieu.  

Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale. Le regard distant de Ciryië flotta derrière ses paupières. Ça n'était pas la même chose. Il la chassa de ses pensées avant que cette atroce impression de mourir lui crève à nouveau le cœur. Ça n'avait rien à voir. C'était Driz'na. Et c'était agréable.

Il avait toujours été tactile. Ayant brisé, changé et modelé son corps comme d'autre arrangent leurs cheveux, il ne comprenait ni la pudeur, ni la retenue. Quant aux limites du socialement acceptable, entre son frère et sa mère, personne dans son entourage n'était spécialement portée sur la question. Mais Driz'na n'aimait pas qu'on la touche de façon inconséquente. Il venait juste de s'en souvenir.

Mais elle ne le repoussait pas.

Alors il remonta une main sur sa joue pour profiter de ce baiser qu'il avait initié, avant de la reposer au sol, replaçant du même coup une mèche derrière son oreille.

- Ça va ? Tu es pâle.
- C'est... tu embrasses bien.

La surprise se peignit sur les traits du jeune homme avant qu'ils ne s'éclairent d'une joie un peu vantarde. Cette fois c'était à Zaahrian qu'il ressemblait sans en avoir conscience, levant orgueilleusement le menton en se parant d'un sourire aussi charmeur qu'orgueilleux.  

- Merci. C'est un plaisir ! J'ai appris quelques petites choses à Thaar.

Mais déjà les soldats affluaient et marchaient, leurs tournant autour sans s'en rendre compte. D'un mouvement vif, pris la main de son aînée.

- Viens ! On a se mettre au calme.

Ni une ni deux, il se retourna et l'entraina en courant dans le dédale de tentes et de cahutes. Dans les passages les plus étroits, les carrefours les plus sombres. De façon à croiser le moins de monde possible, puisqu'elle devait être un véritable soldat, elle, vu son uniforme. Ils se glissèrent ainsi, de recoins en cachettes, jusqu'à une tente en ordure du coin des officiers. Une petite tente aux tissages noirs comme l'étaient celles des officiers qui n'appartenaient à aucun Ost et des civils.

Les ombres qui s'étendaient sur le côté de l'antre se mirent à ondoyer et une tête féline en sortie, se détachant de la masse sans sembler trouver une véritable forme physique. T'Challa regarda les deux jeunes gens approcher en s'ébrouant mollement. Elghinn lui jeta un " Coucou toi. T'as vu qui j'ai trouvé ? " avant de s'engouffrer dans la tente sans attendre la réponse qui ne se manifesta de toute façon que par une langue rapeuse passant sur l'épaule du fauve d'ombre.

A l'intérieur, il faisait noir... enfin il aurait fait noir si le jeune homme n'avait pas piqué une lanterne sur le chemin. A gauche une petite table servait à la fois de bureau et d'autel. Une lampe a huile, quelques papiers et plusieurs idoles y étaient posées. Au font, une étroite paillasse et au sol, sur la natte qui protégeait de la poussière et du froid plus que de l'humidité, de lourds tapis se chevauchaient. A droite, un sceau d'eau trônait à côté d'un coffre sur lequel étaient posés diverses affaires de toilette. Par la force de l'habitude, le jeune homme suspendit la lanterne glanée au crochet qui pendait au milieu de l'endroit.

- Met toi à l'aise, je t'en prie. La chaise du bureau est à toi, sinon tu peux te poser sur la paillasse. Et raconte moi. Comment vas-tu ? Ça fait quoi d'être militaire ? Quels pays as-tu visités ? Qu'est-ce que tu as vu ? Qu'est-ce que tu as fait ? As-tu rencontré des gens intéressants ? Je veux tout savoir. Et même plus ! Tu as vu maman cet après midi. Et pendant l'ordalie ? J'ai pu la voir un peu après que les prêtres de Kiran se soient occuper d'elle. Elle va bien mais elle aurait besoin de repos. Enfin... C'est incroyable. T'y crois toi ? On est les enfants d'une reine maintenant. Si tu savais tout ce que j'ai à te raconter ! " il rit en revenant vers sa sœur avec cette franchise enfantine qu'il avait si souvent, s'asseyant devant elle sur le tapis et cherchant son regard si différent de ses propres yeux rouge sang. Il sembla réaliser qu'il parlait de façon décousu et sans discontinuer depuis qu'ils étaient entrer et respira un grand coup. Le silence reprit un peu ses doigts. Le sourire profondément heureux sur le visage du jeune homme ne faiblissait pas. Et ce fut finalement sur un ton un peu plus poser qu'il reprit avant qu'elle n'ouvre la bouche. " Mais d'abord, dit moi, est-ce que tout ce passe bien pour toi en ce moment ? Tu participe à l'attaque de demain matin ? "

C'est un plaisir ?! De quoi ? Le compliment tombé comme un cheveu sur une soupe froide ou bien le baiser en lui-même ? Je ne sais pas comment réagir, ni même si je suis censée accepter ce qui se passe là en ce moment-même. Me pensant peut-être en meilleur état que je ne le suis réellement, Elghinn me prend la main et m'entraîne en courant dieux seuls savent où. Mon instinct de survie reprend le dessus et, me laissant entraîner par le seul être envers qui je peux être vraiment moi, je mémorise absolument tout : sa façon de se mouvoir, les tentes, les rues, les soldats présents lors de notre passage, les bruits, les odeurs, la sensation de ma main dans celle de mon frère... Quand nous arrivons dans une tente typique des officiers non-attachés à un ost en particulier, que je comprends que ce doit être sa tente, mon cerveau commence seulement à se relâcher. Commence. Car en y entrant je ne peux pas m'empêcher de poser un regard sur ce qui se trouve à l'intérieur, en notant au passage tous les détails, qu'ils soient intéressants ou non. Ce peut être très utile et pratique d'être rompue aux exercices de la reconnaissance de détails comme de la mémorisation. Mais parfois, dans le quotidien, quelle plaie ce peut être ! J'ai l'impression d'avoir en seulement une minute reçu de nombreux coups de marteau dans la tête, comme si ma mémoire n'est en fait qu'une lame en cours de forge manipulée au bon vouloir d'un forgeron. C'est extrêmement désagréable.

"Mets-toi à l'aise, je t'en prie. La chaise du bureau est à toi, sinon tu peux te poser sur la paillasse..."

Tout en écoutant mon frère, je regarde T'Challa et lui accorde un signe de la main ainsi qu'un franc sourire. Cela fait tellement de temps que je ne l'ai pas vue, elle aussi... Puis je vais m'asseoir sur la paillasse, préférant comme à mon habitude les petits recoins assez durs au confort d'un fauteuil bien rembourré ou d'un lit moelleux. Après avoir débité toute une série de questions et d'informations me laissant intérieurement pantoise, il s'assoit en face de moi sur la même paillasse. En face... pas à côté ? Même si je n'ai jamais été extrêmement proche physiquement des gens et que je voulais le protéger en ne montrant pas trop mes émotions à son égard, avant qu'il ne parte il nous arrivait régulièrement de discuter tous les deux tranquillement l'un à côté de l'autre. Juste l'un à côté de l'autre. Ma mémoire me fait-elle défaut ? ou la sienne ? Ou bien peut-être avons-nous suffisamment changé pour que les besoins soient aujourd'hui différents ? Je ne sais pas. La sensation du baiser et l'étourdissement qui l'accompagne me reviennent en mémoire, et je me dis que je devrais arrêter de me poser des questions. Arrêter d'y penser, tout simplement.

"Mais d'abord, dis-moi, est-ce que tout se passe bien pour toi en ce moment ? Tu participes à l'attaque de demain matin ?
Je réfléchis un moment, le temps de revenir à l'instant présent, avant de lui répondre.
- Ca va. Les choses se passent bien, mieux qu'imaginé même en un sens. Et oui je participe à l'attaque de demain, mes talents sont réquisitionnés pour aller dans les souterrains."

Je lui accorde un sourire ne possédant cependant pas la plus grande joie du monde. J'appréhende un peu cette première mise en situation, bien que j'en ai déjà vécu des pas très belles à la fin de mon enfance. En vrai, je suis partagée entre l'envie de m'asseoir à côté d'Elghinn pour poser ma tête contre son bras et juste l'envie de lui répondre, loin de cet étrange comportement qu'il a eu devant l'endroit où se trouvait le kyorl qui me suit.

"Pour répondre à toutes tes questions, dans l'ordre des évènements, c'est mieux. Je vais bien, j'ai continué les classes quand toi tu es parti et quand l'imminence de l'attaque s'est faite sentir j'ai été choisie parmi ceux de mon âge pour devenir cadette de l'armée eldéenne. Zev'yr aussi en est, tu l'as peut-être croisé. Je ne fais pas grand chose en tant que petite, j'aide surtout à la vie du camp. Donc je creuse des trous, je fais la vaisselle bien sale, je m'occupe de monter les tentes et de surveiller le feu... du moins c'est ce que je faisais il y a encore quelques ennéades. Un kyorl a fini par me remarquer et depuis c'est lui que je suis la majorité du temps. C'est un adulte intéressant, peut-être trop même. Il n'arrête pas de me tester, comme s'il m'évalue en permanence. Du moins c'est l'impression que j'ai, même s'il n'en montre rien. Il me fait un peu penser à Kahveka, dans le fond... d'ailleurs, en parlant de lui, je ne sais toujours pas quand il viendra me chercher pour m'entraîner loin de la maison. Et toi ? Comment s'est passé cette année loin d'Elda ? Tu as appris plein de choses, tu as dit ? Ah... et pour maman, je n'ai pas pu être à l'ordalie cet après-midi, comment c'était ? et son discours ?"

En vrai, je n'avais même pas été mise au courant que son discours n'a pas été qu'un simple discours... et je suppose que Ranaun a fait exprès qu'il en soit ainsi. Comment ça elle avait fait une ordalie ? Contre qui ? Et puis c'est quoi cette histoire de reine ? C'est une idée d'humains ça ! Elle n'était quand même pas devenue une... "princesse" ?

Une jambe repliée sous lui, l'autre sur le sol, Elghinn défait d'un geste ample le cordon qui gardait ses cheveux amassés en un long catogan dans son dos... Enfin long. Moins qu'ils auraient pu étant donné qu'il avait eu moins de temps que biens des jeunes drows pour prendre soin de sa chevelure. Moins que leur propriétaire l'aurait aimé en tout cas. Les plus longues de ses mèches soyeuses caressaient ses omoplates et un parfum musqué flottait autour de sa tête lorsque ces dernières remuaient de trop.

Son sourire se fit plus rassurant lorsqu'il sentit la crispation sur le visage de sa sœur à propos du lendemain.

- Moi et T'Challa on sera avec les chevaucheurs de félin à pointe. On a fait deux missions déjà dans les Seigneuries, mais ce sera la première vrai bataille coordonnée... Et je n'ai aucune des bases militaires pour fonctionner avec les autres alors t'imagine. " Il avait toutes les raisons d'être angoissé... Mais il était surtout curieux de voir comment ça allait se passer car il savait qu'au pire, il survivrait. Il survivait toujours, même si tous les autres drows venaient à mourir, il trouverait un moyen. Ses constatations étaient surtout dites pour détendre sa sœur et son ton léger accompagnait d'une petite grimace de dépit en attestait. Et après un bref silence, il ajouta en posant un moment la main sur le genou qui trainait près de sa propre jambe. " Tu es douée. Tout ira bien. " Une promesse. Comme s'il pouvait influer le moins du monde sur le déroulement des évènements... Mais il n'aimait pas la voir anxieuse.

Et comme il s'agissait de Driz'na, elle lui offrit des réponse à toutes les questions qu'un être normalement constitué aurait oublié dans la seconde. C'était fascinant ! Et touchant aussi d'une certaine façon... Malgré son expérience limité, il avait remarqué que les gens écoutent beaucoup moins souvent ce que les autres disent qu'ils ne le prétendent. Il l'écouta attentivement, tentant de retenir chaque détail, d'en tirer les conclusions qui s'imposaient, un sourire sur les lèvres.

- J'avais presque oublié à quel point j'adore quand tu fais ça. " Ne put-il s'empêcher de laisser tomber, le regard brillant d'admiration... Avant de se rendre compte que ce n'était pas forcément des plus clair. " Tout mémoriser et organiser ta pensée comme si c'était facile, j'veux dire. " Et fidèle à sa mauvaise habitude des pensées vagabondes, il embraya encore. " Tu sais, j'ai essayé de le travailler, mais c'est vraiment pas mon fort. Par contre j'arrive bien à repérer les changements quand je rentre dans une pièce où je passe du temps maintenant. Ça m'a été assez utile avec Zaz. Oh ! "

Il se leva de nouveau et tira quelques papiers de son bureaux en marmonnant, avant de tirer l'un de ceux qui se trouvaient sous le repose main. Il le plia rapidement en quatre et le remit cérémonieusement à sa sœur en revenant s'asseoir plus près d'elle, son genou replié frôlant la hanche de la demoiselle.

- Tien. J'avais écris ça pour toi mais j'ai pas trouvé de messager assez sûr... Puis j'étais pas certains d'où tu étais alors... Il y a quelques infos sur comment contacter deux courtiers en information de Thaar. Je sais pas si c'est encore valide mais je m'étais dis que ça t'intéresserait de voir leurs méthodes. Et puis il y a aussi un petit mot de moi avec quelques nouvelles. C'est plus de première fraicheur mais comme je l'ai écrit pour toi, il est normal que ça te revienne. "

*Si tu savais à quel point c'est utile, mais aussi qu'à partir d'un certain stade ça devient un poison...*

J'ai envie de lui répondre mais il ne m'en laisse pas le temps. Il embraye sur ses autres idées, s'écoutant plus que n'écoutant ceux comme ce qui l'entourent. Comme quasiment tout le monde en ce bas monde, en fait. Du moins parmi notre peuple. Maman est un peu différente sur ce plan-là, elle connait l'importance de la parole et des détails. Au moins, je peux garder en tête les expressions et paroles d'Elghinn : comme me l'a dit Dren'Zess, il est rare que quelqu’un nous voit pour ce qu'on est, nous apprécie à notre juste valeur. Alors autant apprécier le compliment et garder la personne nous considérant auprès de nous. Et là, les trois seules personnes que je considère vraiment pour ce qu'elles sont sont Shaar, Elghinn et Zev'yn. Même si ce dernier est compliqué à cerner, qu'une braise de folie semble germer en lui.

"Continue à travailler quand même, ça viendra un jour ou l'autre. Au moins si ça t'est utile c'est un bon début. Je parie que je pourrai être fière de toi plus tard."

Sans montrer qu'il m'écoute, Elghinn fouille dans ses affaires pour finalement en ressortir un papier soigneusement plié. Il se rassoit près de moi, juste à côté cette fois, et m'explique qu'il voulait m'envoyer ces méthodes des coursiers de Thaar il y a un moment mais qu'il n'a pas pu trouver messager suffisamment sûr. Il profite donc de l'occasion pour me donner cette lettre, que je déplie soigneusement et avec la plus grande attention. Je parcours des yeux l'écriture de mon frère, ressentant en même temps son genou contre ma hanche mais mettant de côté cette information pour l'heure complètement triviale. Quoique. Au moins cela signifie qu'il est près de moi, comme quand on discutait dans nos chambres. Je lis trop rapidement pour bien retenir les informations mais j'en saisis l'essentiel. Et ma foi cela a l'air super intéressant ! Quand je rentrerai aux lanternes bleues j'accorderai un chapitre à ce sujet... ainsi que l'écrit sur nos retrouvailles. Mais là, juste là, je lis la partie personnelle qu'a rajoutée Elghinn, avec un amusement non feint. Ah, Elghinn...

Je relève vers lui un regard heureux accompagné d'un sourire sincère. Sans prévenir d'aucune façon et avec le peu d'élan dont je puis disposer je saute sur lui, enroulant mes bras en travers de son torse, l'un passant sous une aisselle et l'autre se posant sur son épaule. Ma tête se love au creux de son cou. Je respire son parfum, ressens ses muscles, vois mon corps bouger légèrement au gré de ses respirations. J'ai envie de le serrer encore plus fort, ce que je ne fais pas. Je profite. Juste, je profite.

"Tu m'as tellement manqué..."

A mon tour de lui chuchoter ces quelques mots à l'oreille.

Le sourire d'Elghinn rayonna en rencontrant le regard heureux de sa sœur. Plus d'un an déjà... Il l'observait de manière a graver chaque détail de ce visage dans sa mémoire pour pouvoir l'imaginer à chaque fois qu'il lui enverrait une lettre. Parce que maintenant il lui enverrait des lettres, c'était sûr ! Il n'était peut-être pas doué pour se souvenir des conversations ou des détails, mais les corps et les gens, ça c'était son domaine.

- Tu n'... "

Un poids plume vient se perdre contre lui, enserrant son torse et l'empêche de finir une phrase qu'il avait pourtant imaginée fort jolie. Il se tend pour résister à la force qui aurait pu le jeter sur le dos... avant de se rendre compte qu'elle était bien trop légère pour cela. Mais déjà, le fin profil glisse le long de sa mâchoire pour se lover au creux de son cou. Il referme ses bras sur elle. Il lui semble qu'elle est la même... et pourtant qu'elle a changé. De façon à a fois infime et certaine.

Une mèche blanche lui chatouille le nez. Il les a connu mêlées de brun celles là. C'est vrai qu'il ne s'était jamais fait la réflexion mais le blanc faisait ressortir les yeux de Driz'na. Ses doigts blafards glissent dans sa chevelure sans que son autre bras ne la relâche. Ça lui allait plutôt bien. Il préférait le côté unique de sa chevelure poivre et sel mais pouvait faire avec le blanc uniforme. Il faillit le faire remarquer, mais s'abstint. Il avait vu Zaahrian se prendre de sacré baffe après des aveux de ce style. Il n'était pas sûr de comprendre pourquoi mais l'expérience lui avait appris que ça ne finissait pas bien. Et il croyait ferme en l'expérience.

Mais...

Le souffle de la jeune fille se perd dans son oreille. Comme une vague, elle se brise sur les bosses et les creux de ses cartilage, fuyant le long du galbe allongé du cap que forme cette pointe effilée. Un frisson l'agite sans qu'il ne puisse s'en cacher tandis qu'un autre descend le long de son épaule et de son dos. Sa main serra plus fermement les boucles blanches de la jeune fille. Pouvait-il lui dire qu'il était content de la revoir mais qu'elle ne lui avait pas manqué ? Non... ça aussi c'était à éviter.

- Je suis content d'être là.

Tout simplement. Contre son torse largement dénudé par le col lâche de sa tunique thaarie, le tissus et le cuir de l'uniforme de la jeune fille lui semblent soudain bien fin. Il est si facile de deviner les lignes du corps souple et longiligne qui se cache dessous.

Il ne l'avait jamais vue nue, maintenant qu'il y pensait. Peut-être était-ce pour cela qu'il avait l'impression qu'elle avait changé sas savoir trop pourquoi ? C'était une personne si proche, et pourtant elle éprouvait tout de même le besoin de se cacher. C'était ainsi avec Driz'na. Un voile sur le corps. Un autre sur le cœur. Si proche de Teiweon en un sens. S'en était poétique... Et cela formait pour le jeune homme une barrière étrange par bien des aspects.

Et soudain, une évidence éclata sous le crâne du drow blanc. Il avait oublié l'odeur de sa peau... Un an avait suffi pour qu'il oublie le parfum de sa propre sœur. Qu'avait-il pu oublier d'autre dans toute cette foule de couleurs et de lumière ? Une émotion étrange lui monta à la gorge sans qu'il ne l'identifie. Mais avec Driz'na entre ses bras, il y avait bien une question qui lui venait naturellement : La mémoire était donc quelque chose de si fragile si on ne l'entrainait pas ?

Les bras passés autour d'elle la serrent à présent avec force. Sans retenue.

- ... Et je ne veux pas t'oublier. " souffla-t-il sans penser qu'elle ne pourrait suivre le fil de ses pensées.

"Je suis content d'être là."

Moi aussi. Je suis contente d'être contre lui, là, juste à respirer tout en ressentant sa propre respiration. Apprécier toute les sensations que me procure le contact de son bras m'enserrant ainsi que sa main caressant mes fines boucles blanches. C'est la première fois qu'on se serre ainsi dans nos bras. C'est agréable. Je n'avais jamais fait attention à la douceur de la peau d'Elghinn. Là, à l'avoir nue contre ma joue et mon cou m'est des plus agréables. Je ferme les yeux. Si seulement je pouvais, je m'endormirais ainsi... si seulement je pouvais. Bien qu'on soit dans sa tente, avec T'Challa comme gardienne à l'extérieur, je n'aime pas l'idée qu'on comprenne que j'ai encore quelques sentiments d'enfant envers les membres de ma famille. C'est ma manière de les protéger : le cacher à tous, y compris à eux. Mais parfois, une exception aussi douce procure un baume au coeur extrêmement agréable... et dans le fond j'en ai bien besoin.

Ses bras se resserrent plus encore contre mes hanches et mon dos ; l'imitant instinctivement, mes bras font de même. Je ressens encore plus les formes de son corps, sa chaleur, sa douce respiration peut-être légèrement différente de quelques secondes auparavant. Certainement le fait que son torse ait moins d'espace pour bien se soulever. Un murmure, à nouveau... qui fait profondément sens en moi. Un autre jour, dans d'autres circonstances je me serais certainement demandé quel poids avaient ses mots, pourquoi il parlait d'oubli. Mais là je souhaite juste profiter, prendre les mots pour ce qu'ils sont : le témoignage d'un amour fraternel.

"Moi non plus je ne veux pas t'oublier. Pourquoi s'oublierait-on ?"

La question est sincère. Pour autant, la réponse la plus dure et réaliste est le temps. Le temps nous fait oublier, c'est pour cela qu'on écrit. Et j'espère que ce temps ne nous séparera jamais de la sorte...

- Tu sais bien pourquoi. Tu es plus maline que moi, et de loin. " sourit-il, cynique, sans la laisser s'échapper. Une longue inspiration. Il plante son nez dans les cheveux de la jeune fille.

Il voit des centaines, des milliers de raisons qu'il n'avait jamais envisager. L'absence, les nouvelles expériences, les coups sur la tête, ou bien la mort, tout simplement. Il reste un moment ainsi, sans bouger, le corps chaud de la jeune femme contre le sien. Puis, las de penser et de penser encore en silence, il se laissa aller sur le dos, tirant dans sa chute le poids plume qu'il tenait.

Ses paupières tombent et il soupire d'aise. C'était si simple parfois. Il ne s'en plaignait jamais, mais tous les sons, tous les stimuli qu'il devait gérer en permanence l'épuisaient. Là, il était bien. Certes la paillasse était dur et trop étroite, la lanterne trop vive et l'odeur très commune pour un baraquement militaire, mais il était bien. Des visages, des faits et des souvenirs l'unissant à Driz'na défilaient dans la pénombre. Il l'avait gardée sur sa poitrine, refusant catégoriquement de desserrer son emprise.

- Comment fait-on quand on veut être sûr de se souvenir de quelque chose pour toujours ? ... Comment toi, tu fais ? " murmura-t-il, le visage tourné vers le plafond. Sa main caressait inlassablement le dos et la tête de sa grande sœur.

"Tu sais bien pourquoi. Tu es plus maline que moi, et de loin.
- J'aurais préféré te l'entendre dire..."

Mais il n'apporte aucune réponse à cette question. Ce n'est pas une question d'être malin ou pas, les raisons sont mêmes innombrables. Mais j'aurais aimé qu'il m'explique pourquoi, laquelle de ces raisons lui fait peur. Parce que je m'inquiète pour lui quand je suis loin, tout simplement. Et parce que nous sommes des frère et soeur proches affectivement. Mais bon. Il n'a pas envie de répondre à cette question, je n'ai pas envie de l'y obliger. Donc je reste ainsi, lovée contre lui, la tête posée sur son épaule. De toute façon, désormais il me tient suffisamment serrée contre lui avec force pour que je ne puisse plus bouger. Cette situation singulière me vaut un mouvement de désagrément quand Elghinn se laisse tomber en arrière sur la paillasse, puis l'obligation pour lui de me lâcher un peu pour que je puisse replacer mes bras de sorte à ce qu'ils ne se retrouvent pas écrasés sous nos poids respectifs. C'est que je ne suis pas aussi forte que lui...

Une fois bien positionnée, je me laisse aller à nouveau à la douce respiration de mon frère. Allongée sur le côté, tête posée sur sa clavicule et bras reposant sur son torse, j'apprécie cette position nettement plus confortable que la précédente tout en fermant les yeux. J'ai plus l'impression d'être deux amants plutôt que deux frères comme ça, c'est étrange. Je rouvre les yeux à la question d'Elghinn, relevant ma tête vers la sienne avec attention avant de la rabaisser. Comme fais-je pour être sûre de retenir quelque chose, et ce pour toujours ? Quelle question... je n'en sais rien pour tout dire. Retenir les choses est devenu tout autant normal qu'un réflexe. Et expliquer un réflexe, c'est dur. Je me concentre pour autant sur le fait que le souvenir doit être éternel, ou du moins être suffisamment important pour être gardé en mémoire des années durant. Alors, quels sont les souvenirs que je garde ainsi dans ma tête ? J'en vois plein... Lok'nath, Dren'Zess, Sor'hon, Sor'o'en, Krish, les rêves trop réels pour juste en être, la croix sur le cou de celui qui voulait me capturer, le dessin de papa semblant représenter une partie des Forges, la première fois que je vis les étoiles, la première fois que je crains le soleil, mon premier sang, le Clor d'Dormagyn... tellement de souvenirs. Je cherche pourquoi ces souvenirs resteront à jamais dans ma tête pendant un long moment, essayant de démêler l'habitude de ces cas particuliers. Après un soupir ma tranquille rompt à nouveau le silence, répondant à la question posée.

"Cela dépend de si c'est un lieu, un objet ou une personne. Dans les deux premiers cas, je m'imagine être dans ce lieu ou auprès de l'objet. Je le regarde, le tiens, bouge dedans... en ayant conscience que l'emplacement de chaque détail a son importance. C'est comme dans ma chambre, je ne vais pas chercher les vêtements là où se trouve le matériel à écriture. Tout est rangé avec sa propre logique. Pour ce qui est d'une personne... j'y mets des émotions. Tous les souvenirs forts ont des émotions allant avec. Et j'associe ce que je vois, ce que je ressens, les mots, les gestes, pourquoi cette scène a lieu... tout en un fragment de mémoire. Comme si je revis le souvenir, la vision de cette personne avec force. Et plus ce qui a été vécu est fort, plus le souvenir arrive à rester précis. Tu comprends ?"

Il l'écoute, attentivement. Les techniques, elle lui en a déjà expliqué les bases lors de leurs exercices. Glissée entre le flanc d'Elghinn et l'épaisse toile tendue de la tente, elle n'a qu'à parler tout bas pour qu'il entende parfaitement. Même quelqu'un qui serait aux écoutes à l'extérieur n'entendrait que des bruissement discret à la place de cette voix douce.

Il note. Se tenir près de ce dont on veut se rappeler. Le regarder. Le toucher. Le tenir. Bouger dedans. Prendre conscience de chaque détail, de chaque particularité unique.

Y ajouter des émotions. Plus l'émotion est forte, plus le souvenir est fort. Alors des centaines d'heures à discuter paisiblement restent de façon moins vivaces qu'un coup de point donné par colère ? Curieux, il n'aurait pas deviné. Mais il croit, sans douter une seconde.

Y ajouter du contexte. Le lieu. Les mots. Les gestes. Ce n'était pas la personne qu'on retenait finalement, mais des moments... Et à y réfléchir c'était assez vrai. Il se souvenait de couleurs, d'odeurs, de contact en rapport avec ce qu'il avait vécu. Les reflets d'un levé de soleil sur les toits de Thaar au côté de Zaahrian. La découverte d'un visage blafard dans un miroir de verre et la voix nasillarde de la prêtresse qui lui disait que c'était terminé. Des heures à lire avec Ciryië et son regard glacé, accompagnées d'une odeur de papier et d'encre. D'autres, plus anciens, qui ne trouvent pas grâce à ses yeux.

Après un instant de réflexion, il acquiesça. Il comprenait. Il y pensait d'ailleurs, tournant et retournant l'idée dans sa tête.

C'était bien ça... Les moments importants restaient gravés avec vivacité... Mais on ne savait jamais à l'avance ce qui serait un moment important. Cette découverte ne le satisfaisait qu'à moitié. Il devait y avoir un autre moyen, plus sûr de marquer quelque chose. De s'en souvenir toujours... Mais là tout de suite, il ne voyait pas et c'était sacrément frustrant. D'autant plus que...

Délogeant un peu sa sœur pour rouler sur le flanc, appuyé sur un coude, il plongea son regard dans les yeux violacés qui lui faisaient face. Sans un mot. Comme ça avait toujours été le cas, ses yeux observaient sans pudeur ni retenue. Leur intensité ne pouvait mentir sur l'intérêt réel qu'avait le jeune homme pour ce qu'il regardait. Une habitude qu'il n'avait jamais perdue. De la part d'un enfant, on trouvait cela curieux, parfois attendrissant. De la part d'un homme en passe de devenir un adulte à part entière, le ressenti en était différents.

Quittant les iris de sa sœur, c'est tout son visage qu'il détailla sans retenu. Sa main libre vint se poser sur sa joue, chasser une mèche blanche. Puis, des ongle et de la pulpe, ses doigts avaient tracés la ligne de son nez, de ses pommette, retournant jusqu'à ses lèvres. Il n'avait que peu changé, mais il prenait le temps d'en retrouver chaque détail, chaque angle, chaque imperfection. Laissant son index sur le menton de la jeune fille, il était parfaitement sérieux lorsqu'il ajouta la question qui lui brûlait les lèvres...

- S'il m'arrivait quelque chose demain, tu te souviendrais de moi pour toujours ? "

Raté... Il aurait voulu demander comment être sûr de se souvenir d'elle s'il lui arrivait quelque chose le lendemain. Mais il avait l'impression que ce n'était pas une question à poser. Il ne voulait pas la blesser... ou pire, qu'elle s'éloigne maintenant. Il était bien auprès d'elle. Après tous les évènements de la journée et avant tous ceux qui se dérouleraient le lendemain, il était heureux de pouvoir au moins profiter de ça. Il pouvait dire ce qui lui passait par la tête avec elle, même ses soudaines angoisses comme à l'instant, elle lui répondait et lui parlait quand même. C'était agréable. Mais la discussion était une chose. Une partie de retrouvailles qui lui faisaient du bien.

A nouveau face à face. Mais si proches, cette fois-ci. Moi la tête posée contre la paille, lui sa tête appuyée contre sa main, et donc surélevée de plusieurs dizaines de centimètres par rapport à la mienne. Ses yeux rouge vif scrutent les miens avec une intensité plus puissante que ce dont j'ai l'habitude, du moins de ce dont je me souviens de lui. Je ne peux m'empêcher de constater à quel point il a changé, qu'il y a autre chose en lui que cette enfance que nous partagions tous les deux au Puy. Peut-être est-ce qu'il grandit. Il est aussi grand qu'un adulte maintenant. Un adolescent, comme moi, mais beaucoup plus jeune qu'il ne le laisse paraître. Sa main rompue au port des armes vient caresser mon visage, glissant sur ma joue comme mes lèvres avant de s'arrêter sur mon menton. Non, il n'a plus le même regard qu'avant. Et je sens mon coeur battre à tout rompre dans ma poitrine, ce que je ne comprends pas. Je n'arrive pas à savoir si c'est de la peur, de l'appréhension ou bien encore autre chose. Mes yeux se ferment, à la fois pour essayer de démêler cette tornade en moi que pour cacher ma gêne. Mais aussi pour mieux apprécier ce toucher si doux et agréable. Je ne sais absolument pas comment réagir ni comprendre ce qui est en train de se passer.

"S'il m'arrivait quelque chose demain, tu te souviendrais de moi pour toujours ?"

Pourquoi s'oublierait-on... Je rouvre mes yeux pour le regarder à nouveau, cachant ce doute au plus profond de moi. Me souviendrais-je pour toujours de lui ? Les moments passés avec Elghinn sont-ils assez puissants pour que Tesso ne puisse arriver à les effacer ou les modifier à ma mémoire ? Toutes ces discussions, assis sur un lit ou par terre, le soir avant de daigner aller nous coucher. Nos échanges sur nos peurs et faiblesses respectives, lui affaibli par les soins des prêtresses de Natha, moi craignant le jour où Kahveka viendrait me chercher pour m'entraîner pour pouvoir entrer dans la Doth'ka. Des moments forts et rares. Pour autant, en y réfléchissant bien, l'intuition finit par me susurrer à l'oreille que ces quelques moments finiront avec les siècles par s'effacer. Qu'il n'en restera plus qu'un vague souvenir. De cet oubli, je n'en veux pas. Alors je pose une main sur le visage de ce cher frère que je pensai ne jamais avoir, de celui avec qui c'était si mal parti le jour de notre rencontre. Ma main caressa doucement sa joue, me faisant alors comprendre qu'il essayait d'inscrire dans sa mémoire un souvenir de moi plus tôt. Mes lèvres ne peuvent s'inscrire en un sourire rassurant ou joyeux. Je suis, à ce moment précis, sérieux et nostalgie.

"Je ne sais pas Elghinn. Je l'espère et je prie Tesso pour qu'il m'accorde de toujours pouvoir garder un souvenir véritable de toi. Et toi, si je devais plonger dans les bras de Teiweon, te souviendrais-tu de moi ?"

Questions sincères, porteuses d'un amour que seulement nous deux pouvons comprendre. A moins que d'autres frères et soeurs ne tiennent ainsi à l'autre, au point de ne vouloir s'oublier à travers les âges...

Non.

Mais comment pourrait-il le dire ? Même sa franchise a des limites. S'il avait suffit d'un an pour oublier son odeur, alors combien en faudrait-il pour oublier son visage en en voyant chaque jour un millier d'autres ? dix ans ? vingt ans ? cent peut-être ? Il aimerait fermer les yeux mais son expression a changée pour quelque chose de bien plus grave et il ne peut s'en détourner.

Quittant son perchoir, sa main se pose sur la taille de la jeune fille, et dans une longue expiration, il vient poser son front contre celui de sa sœur. Non. Il ne lui dirait pas. Non. Il ne fuira pas son expression nostalgique. Pas plus qu'il ne lui offrira le luxe de détourner le regard de lui. Les choses s'étaient précipitées avec l'ordre de leur mère de les rapatrier au camp. Il ne savait pas si Driz'na était au courant de cet ordre, ni même si les encadrants des cadets le respectaient. Mais en une poignée de jours, il était passé d'une vie de bohème avec son frère à la veille d'une bataille décisive avec une mère qui avait manqué se faire destituée et tuée, avant de devenir reine.

Tout naturellement, il se serra un peu plus contre sa sœur - ou la serra un peu plus contre lui. De toute façon, il n'y avait pas grande place sur leur lit de campagne et sur le flanc, même ainsi serré, Elghinn était bien au bord.

Se souvenir d'elle... Il inspira à longs traits les effluves de sa peau. Se souvenir d'elle...

Tu ne réponds pas. Tu gardes le silence, tout comme tu as gardé le silence quand je t'ai demandé comment s'étaient passés l'ordalie et le discours. Toi, tu es au courant. Tu sais et pourtant tu ne me dis rien. Tu ne me regardes même plus, comme si tu as honte de la réponse qui te vient à l'esprit. Ton regard ne fuit pas, certes ; mais ne crois pas que je sois si naïve que cela, que je ne comprends pas ces gestes qui pourraient être les miens. Front contre front pour que je ne puisse regarder tes yeux si rouges, peut-être aussi pour que nos liens se resserrent encore plus. Tu me serres par la taille, de sorte à ce que je ne puisse fuir... pourquoi le voudrais-je ? Puis tu respires profondément, comme si tu voulais inhaler pour l'éternité mon odeur. Non, tu ne te souviendras pas de moi. Si cela m'attriste un peu, le fait que tu te refuses à me l'exprimer à travers des mots me peine. Tu dis toujours ce que tu penses, avec emphase et sincérité. Trop au goût de pas mal d'adultes, d'ailleurs. Pourquoi ne parles-tu pas, comme à ton habitudes, Elghinn ? Pourquoi te fais-tu le serviteur du Silencieux alors qu'il n'est pas sûr que Teiweon ait décidé de poser son voile sur nos Braises ? Tu as changé et c'est pour cela que pour l'heure je t'oublierai un jour.

Je me tends un peu pour déposer un baiser sur son front, puis ma tête se cale à nouveau contre la sienne. Les yeux entrouverts dans cette intense réflexion, des larmes commençant à me monter aux yeux sans que je n'accepte de les laisser couler.

C'est idiot, Elghinn. Le Menteur va et vient où il le veut, modifiant les souvenirs voire même les faisant s'oublier. C'est ainsi et c'est là un fardeau que nos parents portent depuis des siècles ; même moi j'oublierai malgré cette si bonne mémoire. J'oublierai... Combien de personnes me rétorqueraient que c'est là notre destin, mon destin ? Que même les instants les plus forts, les plus puissants finiront par se cacher telles des braises refroidies sous une épaisse couche de cendre ? De notre âge, y a-t-il plus concernée que pour parler de mémoire, pour avoir entendu maintes et maintes fois que mon don n'est pas exempt du lourd revers de médaille qui accompagne toute mémoire ? Non ! Je me le refuse ! Si je dois oublier quelqu'un, ce ne sera ni toi, ni maman, ni papa ! Quoi qu'ils en disent, tous, vous êtes trop importants pour moi pour que je laisse un seul détail de vos visages être altéré ! Et que le Silencieux me pardonne, mais c'est bien là raison pour laquelle je me battrai contre ses Mensonges ! Je ne t'oublierai pas mon frère... même s'il faut que nous réapprenions à nous connaître.

Mes yeux se ferment. Comme pour accompagner mes pensées, mon corps se met alors à répondre à l'étreinte d'Elghinn. Je me love fermement contre lui, une main dans son dos et la tête collée contre son torse, au creux de son cou. Sa chaleur, sa douceur, sa respiration... Non, tout cela je ne l'oublierai pas. Je ne veux pas l'oublier.

Elle répond et se love. Le menton contre son crâne, il ferme les yeux, détendu. En confiance. Son oreille traine toujours, se dressant au moindre bruissement passant autour de la tente, mais ce réflexe est devenu inconscient depuis bien longtemps. Même dans sa plus grande détente alors que son esprit file d'idée en idée, il reste sur le qui-vive. Il reste un survivant. C'est pourquoi, pas une seule fois il imagine qu'il pourrait mourir le lendemain... Mais qu'elle meurt, ça c'est une possibilité... Bien qu'il ne soit pas certain du sens qu'il faille donner à ses mots, il y croit dur comme fer. Le corps ne bouge plus. La Flamme trouve sa place auprès de Teiweon. C'était tout. Il n'y réfléchissait pas vraiment. Tout le monde parlait de la mort avec une telle évidence qu'il n'avait jamais poser la question. Un peu comme la mémoire finalement... Bien que la mémoire était un sujet qui lui semblait bien plus important.

Sa mémoire.

Il se souvenait... Il se souvenait d'avant et il était plutôt content que sa mémoire fasse de la place à autre chose. Mais à l'avenir, il voulait se souvenir. Il voulait garder ce que le monde lui mettait à porter de main. Les choses et les êtres. Il en connaissait la valeur. Il en connaissait l'importance. Il savait à quelle point une vie est misérable lorsqu'elle est solitaire.

Il survivrait toujours.

Mais il y aurait des moments ou il ne vivrait plus, ça c'était certain. Et pour ces moments, il voulait des souvenirs. Pour emporter une part de ceux qui comptaient. Pour les garder, puisque ce monde lui permettait de les avoir. Il voulait que chaque jour, chaque instant soit vrai et que ses désirs passent avant le reste. Comme toujours. Sa franchise ne devait pas changer. Ni envers lui, ni envers les autres. Il voulait simplement vivre comme il l'entendait. Pour lui, pour les dieux et pour celle qu'il retrouverait un jour ou l'autre.

Alors il se plongeait dans ce premier souvenir proche. Qu'avait-elle dit ?

Se tenir près. Regarder. Toucher. Tenir. Y ajouter des émotions. Y ajouter des raisons. Un contexte. Bouger dedans... ça c'était pour un lieu. Le curieux mélange de pensées et de confusion lexicale laissa son esprit vagabonder sur une pente raide. Ne pouvait-on pas légitimement se demander si c'était si différent ? Elle trouvait qu'il embrassait bien. Elle qui d'ordinaire tenait les gens à distance ne semblait pas déranger par son contacte. Les émotions, la force des sensations, la vue, le touché, la raison, le contexte et même la mort imminente. N'était-ce pas parfait ? Il lui semblait que Zaahrian lui avait aussi dit que cela détendait l'esprit, apaisait le corps et aidait à bien dormir.

Glissant sur la pente, il sentait ce corps contre le sien, sa ligne épurée. Il creusa dans ses souvenirs récent. Sa démarche lorsqu'elle s'était approché de lui près du baraquement. Son expression lorsqu'il l'avait reposée. Le rythme de sa respiration lorsqu'ils s'étaient mis à courir à travers le camps. La façon dont son uniforme galbait son corps fluet. Si gracile. Avait-elle encore les marques qui constellait sa peau la dernière fois qu'il l'avait vu un tant soit peu découverte ? Dans le silence de la tente, il imagina les lignes et les symboles, tenta de les retrouver dans leur moindre détail pour les accoler à ce qu'il sentait du corps de sa sœur.

- Driz'na, " Sa voix grave se faisait murmure. " J'ai envie de te faire l'amour. "

Il n'avait pas bougé, bien qu'une partie de lui prouve ses dires sans équivoque. Il n'avait pas même ouvert les yeux. Il ne l'avait pas délogée, pas plus qu'il ne l'avait serré d'avantage. Il était là, partageant une étreinte, le menton posé sur ses cheveux en une posture curieusement protectrice, détendu et délassé, le cœur battant sans effort et la respiration égale.

Ne pas oublier et pourtant rester dans une situation calme et relativement sereine. Comme toutes les discussions que nous avons pu avoir jusque là, à part lors de nos entraînements. Si j'y réfléchissais, je penserais certainement que ce que nous faisions là allait à l'encontre de tout ce que je venais de dire : instants puissants, mélangés à des émotions, des actes, des voix... plein de ressentis différents. Pour autant, il n'y a pas besoin que le souvenir soit lié à un acte fort pour être lui-même important. Mais de cela, je n'y pense pas ; je profite juste de l'instant présent, me serrant contre mon frère dans l'espoir de ne pas l'oublier si jamais il vient à rejoindre Teiweon. Sa respiration douce, son coeur battant fort mais régulièrement, quelques muscles tendus - à moins que ce ne soit sa nouvelle musculature...

"Driz'na, j'ai envie de te faire l'amour."

A mon coeur de rater un battement et mes yeux de s'ouvrir, moins brusquement que ça n'aurait pu l'être. Dû l'être. Je ne sais pas. A nouveau, la gêne et l'indécision envahissent à nouveau mon esprit. A-t-on le droit ? Est-ce que ça se fait entre frère et soeur ? Pourquoi n'ai-je jamais pensé à poser la question à la prêtresse d'Isten ? Je... et pourquoi, en fait ? Est-ce en rapport à sa question, avec le fait d'oublier quelqu'un ?

"Pourquoi ?
- En avoir envie n'est pas suffisant ?
- Je ne sais pas..."

Pas de réponse. Pas d'aide. Juste un fait, une envie que le ressens à travers son corps. Mes yeux restent entrouverts, en pleine réflexion... je ne me rappelle pas avoir autant douté et été incapable de me décider depuis des années. Généralement je sais très bien ce que je veux... Alors que je me renferme un peu plus contre lui, je me rends à nouveau compte que cette proximité corporelle ne me dérange pas. Au contraire même, elle m'est agréable. C'est rare. Et il y avait ce baiser aussi... je suppose que plus détendue je l'apprécierais encore plus que lorsqu'il m'a serrée dans ses bras. Et puis, peut-être que c'est le genre de moment qu'on n'oublie pas ? Peut-être bien est-ce pour cela qu'il en a envie en fait, mais qu'il ne veut pas le dire... Je ne comprends pas pourquoi il ne le dit pas, si c'est bien le cas.

Je finis par me détacher un peu de lui, de sorte à ce que mes yeux puissent voir les siens. Toujours un peu indécise. D'une main je viens lui caresser le visage, relogeant derrière son oreille effilée une mèche de cheveux de la même manière que lui l'a fait plus tôt. Puis je prends un peu d'appui sur le bras pour m'étendre et, avec toute la délicatesse dont je suis capable, déposer un baiser sur ses lèvres. Pour retrouver la saveur de son baiser. Pour arriver à me décider, tout simplement.

Les yeux dans ceux de la jeune fille, une flamme de luxure au creux des pupilles, Elghinn sourit en sentant les doigts fins contre son oreille. Il accueillit son baiser, d’abord doux, puis plus insistant. Mais même à travers cette découverte lente et langoureuse, il ne peut s’empêcher de remarquer qu’elle hésitait. Elle se serrait contre lui comme si elle avait peur de quelque chose. Quelle idée étrange.

La longue main blanche de l’adolescent caressa un moment la joue de sa sœur, laissant son autre bras au creux de ses reins pour la serrer contre lui. Pourtant, lorsqu’elle recula un peu pour reprendre son souffle, il ne la retint d’aucune façon. La paume sur la joue sombre repoussa même un peu son visage pour qu’il puisse la regarder dans les yeux avec la même certitude tranquille qu’il avait eu quelques secondes plus tôt pour lui dire ce qu’il avait sur le cœur et posa un baiser sur la joue de la demoiselle.

- Demain, il y aura une bataille importante. C’est pas le moment de te distraire ou d’hésiter sur des choses sans importances. » Il la rapprocha soudainement de lui et la tint simplement enlacée. « Raconte moi plutôt comment tes classes se passent. »

Le coeur battant rapidement. La respiration douce. Ses lèvres parfumées et agréables. Tout cela m'invite à me laisser entraîner dans cette danse tranquille, à appuyer mon baiser un peu plus puis à me laisser savourer pleinement l'échange que nous entreprenons. Est-ce vraiment autorisé ? J'ai encore un doute. Mais tout cela est si doux, si bienfaiteur en ces circonstances... Qu'Isten me pardonne mais c'est compliqué. Ai-je envie de la louer à travers cet acte, avec Elghinn, de lui offrir mon corps tout en acceptant le sien dans le mien... ?

Nos lèvres se séparent, nos yeux se voient à nouveau. Il me regarde. Sa main caresse doucement ma joue. Quelque chose a changé au creux de ses prunelles rouges, une forme d'assurance qui n'existait pas quelques secondes auparavant. Il me parle. Il me dit que ce n'est n'est pas le moment pour moi d'être distraite par des choses moins importantes que la bataille de demain et me serre soudainement contre lui. Comme si... Il n'a pas envie que je lise son visage. Il embraie sur une question dont il n'a que faire alors que quelques secondes avant son corps montrait le désir dont il parlait. Je reste sans rien dire quelques secondes, réfléchissant à ses mots et à sa réaction dans son entièreté. Cela finit par me décider. Je me recule alors un peu, m'aidant d'un bras pour me séparer de lui suffisamment pour pourvoir le voir à nouveau, et avant qu'il ne dise quoi que ce soit mon index vient barrer ses lèvres. Chut, mon frère... Je le vois, je constate, je lis à travers lui. Tu ne t'entraînes pas assez à exercer ta mémoire...

"Première leçon que je t'ai donnée sur la mémoire, Elghinn. T'en rappelles-tu ? J'attends une petite seconde avant de lui donner la réponse dans un murmure. Chaque détail et chaque évènement, si infimes soient-ils, sont importants. Ne cache pas la lueur qui brille dans tes yeux, pas ce soir. Demain verra son lot de silences. Ce soir est important, tout autant que demain matin. Il faut savoir regarder l'instant présent en face et y déceler les moindres détails."

En même temps qu'un léger sourire dénué de tout doute s'inscrit sur mes lèvres, mon index glisse sur les siennes pour se terminer en caresse sur son visage pâle. Et je me penche à nouveau pour lui donner un baiser appuyé empli d'un amour à la fois fraternel et érotique, lui laissant tout de même la possibilité de s'y soustraire. Demain est peut-être plus important qu'aujourd'hui, ce n'est pas tous les jours que l'on prend une cité et encore mois que des jeunes participent à la bataille. Mais ce temps en-dehors du temps, peut-être est-ce justement ce dont j'ai besoin... ce dont nous avons besoin, tous les deux.

Sur le flanc, allongé en face du fin visage de sa sœur, Elghinn l'écoute sans vraiment comprendre. En quoi n'a-t-il pas fait attention aux détails ? Il a bien vu qu'elle était hésitante. Il  l'a même prise en compte ! Une rareté ! Alors qu'a-t-il raté ?

Puis le baiser. Cette main qui caresse son visage. La douceur de ses lèvres. La chaleur de son allant. Il passa sa longue main blanche sur la nuque de la jeune fille. Cette fois elle n'hésitait pas. C'était ça qu'il avait raté ? Qu'il avait mal interprété ? Peu importait finalement. Il avait essayé de la prendre en compte et finalement ça ne menait à rien alors autant se faire plaisir et arrêté d'essayer d'interpréter ce qu'elle voulait.

Le jeune homme rendit son baiser à Driz'na, l'enlaçant avec force et passion. L'une de ses mains se perdit dans ses mèches blanches tandis que l'autre suivait les courbes éthérées de son corps à travers son uniforme guerrier. La lampe à huile suspendue au centre de la petite tente faisait danser des ombres entre la peau sombre et la peau pâle. Y perdant son souffle et sa retenue, Elghinn poursuivit le baiser, toujours plus intensément, avant de reprendre son souffle en allant découvrir la gorge qui s'offrait à lui. D'un même mouvement mutin, il glissa sa langue contre l'oreille de son aînée et sa jambe entre ses cuisses.

J'ai bien compris, l'envie est forte en lui. Je le sens un peu surpris par mon baiser puis il se l'approprie, se laissant guider par ses sentiments et pulsions comme Isten nous l'apprend si bien. Nos lèvres se caressent, intensément, s'éloignent et se rapprochent rapidement pour à chaque impulsion gagner encore plus de force. Elghinn embrasse avec une passion brûlante, réchauffant le corps en cette nuit commençant à se faire froide, me rappelant dans le fond la douce et rassurante chaleur du Puy. Nos lèvres se séparent, me permettant de retrouver mon souffle, alors que mon frère vient caresser de ses lèvres comme de sa langue mon cou, m'arrachant quelques expirations plus prononcées que d'habitude. Un petit rire surpris quand sa langue s’immisce comme par jeu dans mon oreille. Et à l'instar des ses mains, les miennes viennent caresser son crâne d'un côté et ses dos et côtes de l'autre. Les yeux fermés, appréciant grandement cet havre de plénitude dans ce monde où les tensions se font permanentes.

Ressentant la jambe d'Elghinn se loger entre les miennes, je laisse mon corps s'afférer comme si de rien n'est ; il n'est pas encore temps d'avancer dans cette zone-là, les corps doivent se découvrir petit à petit comme on savoure un met exquis que l'on ne mangera qu'une seule fois dans sa vie. Et puis montrer mes jambes, là de suite, non. Pas vraiment à l'aise pour cela. Alors que ma main gauche se cache au coeur des fins cheveux d'Elghinn, s'appliquant à caresser son crâne en un massage du bout des doigts mais pour autant se faisant bien sentir pour le bénéficiaire, l'autre dessine des arabesques dans son dos. L'un contre l'autre, fortement accolés, nos chaleurs respectives s'épousant. J'aime beaucoup cette sensation, surtout quand c'est avec une personne avec qui je me sens vraiment en confiance - chose extrêmement rare. Je profite qu'il ait la tête quelque peu de côté pour pencher la mienne sur le côté et déposer un baiser prononcé au creux de son cou, et ensuite remonter toute cette partie de son corps avec une douce lenteur. La course se termine au lobe de l'oreille, où mes dents viennent l'enserrer un peu, juste assez pour donner l'intention mais pas assez pour le mordre, et ma langue vient taquinement jouer avec.

Une tendre passion, aucune hâte. Juste l'envie de vivre pleinement ce moment d'amour fraternel.

Attisé, empressé, Elghinn a toutes les difficultés du monde à prendre sur lui pour ralentir le rythme de son exploration. L'envie est là et rien n'est plus complexe que cette autre qui veut sans vouloir. Qui avance mais sans courir. Plusieurs fois, Driz'na le recadre, du geste et de la voix, l'amenant sur de nouveaux sentier et sur d'autres maintes fois parcourus.

Un a un, les lacets et les sangles de l’armure qui recouvre la jeune femme tombent et lâchent. Il ôte le cuir, repousse le métal, caresse et s'insinue dans le tissus. La peau chaude de la jeune fille se dévoile à ses doigts avant d'apparaitre à sa vue dans les mouvances de la lampe à huile. Laissant son pantalon tranquille, il délasse ses bottes et fini de la délivrer de la partie haute de son uniforme.

Retournant régulièrement à ses yeux violacés et à ses lèvres délicate, il explore avec passion. Ses mouvements vifs à la force mal dosée, souvent rudes, coulent sur le corps qu'il gagne à sa cause d'autant de caresses que de baisers et de morsures. Un mouvement ample et sa chemise tombe sur le tapis. Il serre, il griffe, il pince, il embrasse. Le corps s'exprime là ou l'esprit n'a plus d'importance. Lui, ses envies et la beauté de cette silhouette fine qui se dérobe encore.

Jusqu'à ce qu'elle ne se dérobe plus. Jusqu'à ce que leurs peaux nues ne connaissent plus de barrières.

Se faire confiance est une chose, avoir la même façon de savourer un met en est une autre. J'ai envie d'y aller lentement avec douceur, lui se précipite avec brusquerie. Au plaisir des tendres baisers et caresses se succède l'ardeur des pincements et morsures entremêlés de regards brûlants ainsi que de baisers passionnés. Je n'aime pas ça. Cela me donne envie d'arrêter alors qu'une partie de moi a envie de profiter de la suite, de ce qui peut être. Et je n'ai pas envie de faire frire les entrailles d'Elghinn devant ses propres yeux pour les lui faire manger par la suite non plus ; cette bonne idée de maman reste pour quelqu'un d'autre. Alors je le lui fait comprendre, une, deux, trois fois. Je sens qu'il fait un effort mais que très rapidement il se laisse aller à nouveau à son ardente et désagréable passion. J'ai envie de le gifler mais me retiens : mon intuition me souffle que cela ne ferait pas évoluer le problème dans mon sens. Je cherche alors une parade... jusqu'à me rappeler une parole de mon père.

Rares sont ceux qui s'adapteront véritablement à toi... alors sois celle qui s'adapte aux autres.

S'adapter. C'est ce que je fais toujours. C'est le meilleur moyen de passer à travers des miroirs et de se faire accepter par ceux qui peuvent avoir une quelconque influence. Etre ce qu'ils veulent pour être soi ailleurs. Je soupire, j'embrasse, j'essaie de me défaire de mes envies et de mes pensées, de me défaire de moi-même. De juste me rappeler de ce qu'on a pu me raconter sur certaines pratiques sexuelles au temple comme à la maison. Je n'ai pas vraiment idée de ce qu'il en est en fait, du moins juste de la théorie. Alors je ce que j'ai l'habitude de faire : devenir un miroir. M'adapter. Etre une autre pour mieux accepter ce qui est. Je change alors, j'accepte ces pincements, ces morsures, la douleur et la brutalité. Même, je lui rends tout cela. Sa passion, son hardeur, tout. Plus à l'aise désormais que mon armure a été retirée de mon buste je prends le devants en embrassant Elghinn avec une ardeur plus brûlante que la douceur que je montrai jusque là. Je m’agrippe à sa peau, mords ses lèvres, son cou, le fais basculer sur le dos. Je prends le contrôle mais c'est lui qui l'a. C'est lui qui le souhaite. En fait, je n'y pense pas vraiment. Je suis là. Je suis moi, je suis elle, je suis nous, je suis ils. Tout et rien à la fois. Je suis sans être, moi mais pas moi à la fois, un esprit qui embrasse le corps d'une autre. Je n'arrive pas à décrire ce qui se passe, c'est bien plus que juste se comporter comme une autre avec une histoire qui n'est pas la mienne, c'est... être un miroir, un reflet. Etrange considération pour moi-même... car cette soirée avec mon frère, je voulais juste être moi, pas une autre. Alors je ne suis rien, rien et tout.

Nos vêtements se défont, s'enlèvent. Nos peaux se collent alors l'une à l'autre en un bal où caresses, chaleur et souffles brûlants se mélangent. Je ne suis pas moi... aussi je préfère le laisser mener cette partie de la danse.

Flamme et passion. Bientôt, elle ne se rebiffe plus. Bientôt elle se laisse aller. Bientôt elle s'enflamme à son tour. Le sourire sauvage du jeune homme redouble lorsqu'elle le plaque sur le dos. Un léger rire lui échappe. Il profite. Il regarde et parcours. Il saisit et serre. Il s'approprie.

Leur danse passionnelle dure et s'étend. Il n'a pas fallut longtemps pour qu'ils finissent par rouler du lit trop étroit sur le tapis épais sans que cela ne brise ni l'entrain ni la vigueur de l'eldéen. Rendant à-coups pour coup, il embrasse et s'empare de la jeune fille avec délectation et défie. Il joue. Il la chahute et redouble de désir, oubliant le reste. De toutes les façons et dans toutes les positions apprises au cours de sa courte vie, il s'efforce de donner à sa sœur le plaisir auquel il aspire. Autant de fois qu'elle le souhaite. Autant de fois qu'il le peut. Jusqu'à l'aube s'il en a l'occasion.

La mémoire et le lendemain n'ont plus vraiment d'importance. Il a connu le pire, il profite du meilleurs. Il survivra quoi qu'il se passe, même dans les pires conditions. D'un baiser particulièrement appuyé, il appose sa marque sur le sein de la sylphide. D'une poigne un peu trop passionnée, il égratigne sa peau marquée par l'encre. Mais ce qu'il semble affectionné plus que le reste est de suivre chacun des tracés de ces dessins étranges. Les suivre du bout des doigts, des ongles, de la langue et des lèvres pour circuler de montagnes en vallées et sentir la brise de ce souffle gracile jouer dans ses mèches soyeuses.

Jusqu'à ce qu'elle soit repue ou que le temps leur manque, retombant près d'elle sur le tapis, luisant de sueur et fendu d'un sourire rayonnant pour la prendre dans ses bras et la serrer contre son torse.