Un frère et une soeur | Dante

Juste après "Grands chambardements"

Il est parti.

Elle n'a pas pu le tuer. Et pourtant elle a essayé. Il a repoussé sa lame d'un geste de la main comme si elle n'était rien. Il lui a annoncé cette nouvelle l'air de rien, après des ennéades d'absence, après une disparition sans aucun sens...Bien sûr qu'elle allait tenter de le blesser! Mais non, rien. Il a juste levé la main, la lame a dévié...Elle a foncé droit sur lui, elle a réussi à le maintenir au sol, son avant-bras callé sous sa gorge et elle a été interrompue par sa garde. Elle a du hurler. Hurler pour qu'ils s'en aillent. Hurler pour qu'ils la laissent en paix. Hurler pour qu'il puisse filer, sans se faire voir.

-...te demander pardon...

C'est ce qu'il a dit. Elle a claqué la porte. Avec violence. Une violence qu'elle ne parvient pas à dominer. Elle tourne en rond dans sa chambre comme un félin en cage et elle n'en peut plus, il faut un échappatoire à Louise, et vite. Le seul qui est à sa portée est symbolisé par cette dague au sol, qu'elle ramasse. Les lèvres pincées, elle la jette sur son lit, se déshabille et enfile une tenue plus pratique. Des braies, des bottes souples, une chemise qu'elle ne prend pas la peine de rentrer dans les ses pantalons, les cheveux tirés vers l'arrière. La salle d'armes. Là il y a ce qu'il faut. Ses hommes sont tous sur les hourds, à veiller sur le bourg, elle sera tranquille et pourra démolir tout ce qu'elle a envie de démolir à défaut de casser la figure à cet homme qui lui a menti sur un point si important.

En chemin, elle aperçoit la silhouette de Dante qui est là-bas, devant sa porte, les bras croisés sur le torse. Il a sûrement tout vu. Elle change alors d'avis et l'approche, le visage fermé, l'arme à la main. Il est un chasseur et un assassin, il a largement le dessus, elle le sait mais LUI, il ne trichera pas. Il pourra noter dans son approche qu'elle a évolué dans sa confiance en elle et qu'elle est probablement plus dégourdie que ce qu'il n'y parait.

- Défends toi.

Il réplique en retenant ses coups. Si quelqu'un le voit tabasser la maitresse de maison, qu'elle l'ait attaqué ou non la première, ca n'aura pas grande importance. Coincé entre le mur et le lit, il échappe à son adversaire en roulant carrément sur la paillasse moëlleuse, se rétablissant de l'autre côté.

- Et j'ai besoin que tu m'écoutes.
- Parles

Elle contourne tranquillement le lit, son arme toujours à la main et  lui fait face.

- J'ai suivi ton enseignement, celui d'Enguerrand, je sais me battre, et encaisser les coups, mais ça...ça! Je me sens complètement ridicule, inutile. Mon lancé a été inefficace. Parce qu'il a utilisé la magie. C'est injuste. On ne me laisse jamais le moyen de me défendre, de m'exprimer et quand je le fais...On recule et on fuit. Un peu comme toi là...

Louise plisse les lèvres et range son arme, observant Dante sans ciller.

- A quoi sert une arme si on ne peut l'utiliser? Si la personne en face renonce à se battre...A quoi ça a servi de me prendre des coups dans la figure si cela ne mène à rien? Regarde toi...

Elle a un regard pour les grandes mains aux doigts agiles entre lesquels dansent les lames qu'il range à son tour.

- Tu es un assassin, l'un des meilleurs qui soit. Un homme craint par beaucoup de monde. Je devrais te craindre aussi sans doute mais non. Je pensais que tu comprendrais mon besoin de me battre, de me défouler, parce que ça....

Elle pose son index sur le torse de Dante et murmure, sourdement:
   
- ...ça explose, ça brûle, c'est insupportable et je ne sais pas le gérer. Cette colère....cette rage...C'est le seul moyen que j'ai de l'apaiser. Et tu recules. Tu es comme les autres, en définitive.

Elle ôte son doigt et s'éloigne déjà.

- C'est pas grave, je me débrouillerai autrement. Je te souhaite une belle nuit. Mais il l'interpelle avant qu'elle n'ouvre la porte.

- Tu sais... J'ai rien contre une baston en fait...  Expliqué comme ca... Pas de triche, je te fais pas de cadeau et on démoli tout ou en partie?

Elle s’arrête devant la porte et se retourne, pensive.

- Si tu ne me fais aucun cadeau, je mourrai et tu le sais

Un léger rire se fait entendre.

- Tout de suite les grands mots.
- J’ai beau avoir beaucoup appris, je n’ai pas ta maîtrise ni ton expérience. Ce que je voulais, c’est que tu m’aides à canaliser tout ça…Parce que je ne connais personne en ce monde qui a du affronter autant d’épreuves que toi…Et tu es toujours là. Tu as su te contrôler…Tu te contrôles tout le temps et ça je le sais…Je ne sais pas par contre comment tu fais…

- Je sais…

Inutile d’évoquer ici le Duc d’Erac, ce n’est pas tellement le propos, mais en l’essence, c’est ce qu’il lui a fait comprendre, en passant du temps avec elle.

Il marque une pause, pas certain de bien répondre comme il faut

- Pour ta rage... Le temps m'a permis de me rendre compte de bien des choses... Je n'ai pas contrôlé la mienne en 1 an, ni même en deux. Si tu m'avais connu voilà cinq ans, nous n'aurions même  pas cette discussion. La vie s'est chargée de me rappeler que si je continuais à hair et rejeter le monde entier, j'allais droit au mur et je n'aurais pas accompli le quart de ce que j'ai fait à présent. Aujourd'hui, les bipèdes m'indiffèrent pour la grande majorité. Sont du gibier...

Elle l’écoute, bien sûr, sans l’interrompre, toujours à regarder ses mains.

- Je n’ai aucune raison d’aim…d’avoir de la compassion pour ce monde qui me traite si mal. Mon attitude…est le reflet de ce qu’on m’a imposé. J’ai grandi ici, coupée de tout, et maintenant que je suis libre, ce monde me semble trop petit. Etriqué.

Dante renifle et confirme d'un ton sans équivoque.

- Ce monde est pourri à la moëlle en effet...

Elle a un sourire.

- Maintenant je vis, mais je dois être constamment prudente. Je ne peux sortir d’ici et me battre avec le premier venu. Je ne peux pas non plus céder à mes pulsions, parce que ce serait très mal vu. Je risquerais probablement mes terres…Je dois rester impeccable tout le temps alors que je n’ai qu’une envie certains soirs…Repeindre ma chambre avec du sang, celui de tous ceux qui m’ont fait du mal…A Kirgan, par exemple…Tout ce que je voulais, c’était planter ma fourchette dans l’œil de cette Drow admise à la même table que nous. Je me suis même imaginé le bruit que ferait le métal qui pénètre sa chair…Parfois je me fais peur…

Un autre regard pour son frère. Si il ne relève pas, son esprit démarre au quart de tour. Kirgan? Quest ce qu’une drow fout à Kirgan? D'abord près de Fernel à la recherche d'Ambière, maintenant chez les nains. Ce drow masqué doit décidément être très important.

- Voilà pourquoi je tabasse des hommes de paille et que je m’entraîne tous les jours, quand je le peux. Mais c’est pas suffisant. Toi pour qui les hommes sont du gibier, tu me comprends n’est-ce pas?

Un autre léger coup d'épaule pour essayer de la réconforter. Elle ne veut pas se faire faire une morale à deux balles. De toute façon, il a bien assez de sa propre personne à gérer.

-Bien sûr que je te comprends. Tu choisis tes cibles en plus c'est bien. C'est pas toujours évident notre côté de barrière. Toi ce l'est encore moins, tu dois la traverser régulièrement. Je suis fier de ce que tu es devenue petite soeur. Laisse jamais personne te réduire au rôle de ventre. Bouffe le avant.

Mine de rien, entendre ces mots-là, en provenance de cette grande bouche-là, précisément, c’est un peu de baume sur un cœur qui en a bien besoin ce soir. Il y a au moins un être sur cette terre qui est fier d’elle. Et ça c’est important pour elle de le savoir.

- Je les prends d’abord. Je les mange après s’ils m’ennuient.

Une œillade espiègle à Dante.

- Au figuré bien entendu. Je n’ai pas ton goût pour ces choses-là, moi. Mais il y a des tas de façons d’y parvenir…

Elle a un petit rire étouffé dans un mouvement d’épaule.

- Tu es exceptionnel, mon frère. Ne laisse jamais personne te dire le contraire. Jamais.

Elle ne le touche pas, elle ne le prend pas dans ses bras, elle se contente de faire comme lui, de le bousculer un peu de son épaule, avant de passer une main sur son visage.

- Désolée de t’avoir agressé comme ça. C’était pas très fin. Mais il m’a mise en colère. Et je gère mal ma colère. Parler avec toi m’a fait un peu de bien.

Assez en tout cas pour ne plus vouloir courir après la moindre cible mouvante dans le château.

- C’est fatiguant d’avoir ce feu en permanence au ventre. Et on dirait que l’on s’acharne à l’entretenir, je déteste cette sensation. Si je m’écoutais, je distribuerais les gifles par paquets de dix. Alors il faut que j’apprenne à me contrôler. Parce que tu ne seras pas toujours là. Alors c’est quoi ton truc pour te calmer, toi, par exemple ?

Il réfléchis et répond simplement.

-Quand j'en ai assez?Je chasse, je tue, je torture ou je fais l'amour, dépendamment de l'option la plus viable du moment et si ma compagne est disponible et accessible.

- Moui…Je vois. Rien qui ne me soit accessible en somme.

Elle sait pour Cécilie, bien sûr, et elle est bien heureuse de savoir que quelqu’un règne sur le cœur de ce grand homme là assis à côté d’elle. Il y en a au moins un des deux qui est aimé et heureux sur ce point, c’est bien. Elle ne l’a jamais rencontrée mais elle est désireuse de le faire même si elle sait que ce ne sera pas pour tout de suite. Ils ont des vies tellement différentes, après tout…

- Je crois que je vais devoir trouver mon moyen toute seule.

D’ailleurs elle se lève.

- Je te laisse, t’as besoin de quelque chose ou ça ira pour cette nuit ?
- Attends. Il lève une main. Si tu veux, je peux amener un peu de Thaar ici. Pour tes besoins de "détentes". Je n'ai pas laissé tomber le projet de faire venir Claude, je ne fais pas confiance à père pour te soigner et je ne veux pas qu'il soit trop près d'elle. Une personne de plus, ca pourra pas faire de mal à personne.

C'est très maladroitement amené, mais l'intention est là. Si elle sait pour Cécilie, lui il connait ses penchants développés dans la cité des vices.

Louise tousse d’un air gêné avant de regarder le plafond comme si un détail de boiserie devenait subitement très très intéressant. Cette façon d’y aller, franchement…

- Hem…oui…Certes.

Les chiens ne font pas des chats. Sur ce point, elle est la digne fille de son père, les turpitudes honteuses en moins.

Elle se gratte à nouveau la nuque.

- Ce serait…une bonne idée. Je crois…

Elle revoit ces grands yeux de velours laissés là-bas. Ce grand corps magnifique et tout entier dévoué à elle, elle regarde ailleurs. C’est vraiment le moment de le lui rappeler, tiens.

- Ce serait possible ?

Un des rares sourires de Dante, franc et moqueur, heureux, souligne la grande bouche, le transfigurant totalement. Il se fout un peu de sa gueule, c'est évident.

-T'es mignonne comme ca. D'ici l'été tu l'auras. T'a des exigences particulières?

Louise croise les bras sur sa poitrine, en levant le menton.

- Arrête de te foutre de moi, toi !

Bien sûr, elle ne lui en veut pas, elle se contente de rentrer dans son jeu avant de rire un peu, amusée par ce grand sourire là, qu’elle voit si rarement.

- Une exigence ?

Elle marche dans la pièce, en se frottant le menton. Bien sûr qu’elle en a une.

- Tu te rappelles cet établissement que tu m’as conseillé ? J’aimerais beaucoup revoir un des…pensionnaires.

Elle prend appui contre le mur et regarde par la fenêtre, rêveuse, un vague sourire aux lèvres. Cet homme-là…

- C’est avec lui que j’ai passé tout mon temps. Il est…parfait.  

Un léger rire grave s'élève dans l'air.

- Je sais exactement qui. Laisse moi gérer. En attendant, je te suggère la carotte pour évacuer tes tensions.

- Comment ça, tu sais exactement de qui il s’agit ? Tu plaisantes ? Ne me dis pas que tu es allé poser des questions, en plus…C’est gênant.

Appuyée contre le mur, elle regarde son frère qui semble se payer une tranche de rigolade à ses dépends avant de pincer les lèvres à l’évocation de cette carotte qui semble tant l’amuser. Ça ne l’amuse pas tellement, elle. Elle reporte son attention sur l’extérieur.

- C’est pas de ça dont j’ai besoin. Mais merci du conseil.

Il se lève, ravalant son rire.

- Non je lui ai pas posé de questions.  C'est ton placard, pas le mien. Une connaissance ne jure que par ca, les carottes. Disant que les mâles c'est surfait. Je trouvais ça drôle c'est tout. Il y a peut-être un fond de vérité remarque, j'ai jamais essayé les grosses courges.

Louise ferme les yeux et se pince l’arrête du nez.

- On a vraiment cette conversation ? Sérieusement ?

La jeune femme lui lance un regard torve, peu aimable avant de répliquer.

- C’est pas tellement la taille qui compte, c’est la façon de s’en servir, bon sang. Puis il n'y a pas que ça…

C’est surtout qu’elle a besoin de se sentir en vie, de cette manière là, en vie et aussi un peu appréciée pour la femme qu'elle est. Une femme qui a besoin d'être autre chose, de temps en temps, qu'un chef de meute et qui a besoin de caresses, tout simplement. Le moyen d’y parvenir avec une carotte, je vous prie…

- T’es chiant.

Un autre rire lui répond.


FIN