La déception d'une Mère [Haldren]

Quatrième ennéade de Bàrkios
17e année du Onzième Cycle

Comment as-tu pu ?

Comment as-tu pu ?

Pourquoi m’as-tu trahi une seconde fois, Umbarion ?


De toi je n’attendais rien. Umbarion. Rien sinon ton bonheur.

De toi je n’attendais rien. Umbarion. Rien sinon ta quiétude.

Pourquoi Umbarion ? Pourquoi t’évertues-tu ainsi à me traîner dans la boue ?

Pourquoi Umbarion ? Pourquoi es-tu incapable d’accepter mon amour ?

Pourquoi Umbarion ?


Pourquoi, lorsque je voulût redevenir Ta Mère, fis-tu de moi une Sauvage ?


J’ai mal Umbarion, car à toujours tu seras mon enfant.

J’ai mal Umbarion, car il n’y a pas plus grande douleur que l’espoir qui meurt.

Mais si je promis autrefois de vous donner le Choix d’aimer,

Je ne puis attendre un instant de plus que tu m’ouvres les bras.



De mes enfants, Umbarion, tu n’es pas le seul à souffrir



Tu n’es pas le seul à lutter.

Tu n’es pas le seul dont le Souffle à l’occasion s’égare.



Mais des enfants qui me connaissent Umbarion, tu es le seul qui refusât de m’appeler Mère.



Ta souffrance est grande Umbarion, je le sens, je le sais.

Mais tu n’es pas le seul à lutter.

Pour chaque étincelle frôlant ta main, pour chaque copeau incandescent se posant contre ta peau,

Moi je souffre mille incendies.

Je souffre le mal de chacun de mes enfants.

Je souffre le mal d’enfants dont tu es le bourreau.



Comment puis-je Umbarion ?



Comment puis-je attendre un instant de plus ?

Comment puis-je attendre, quand planent le doute et la peur parmi ceux qui se réclament de mon sein ?

Peut-on appeler celle qui torture les sages pour le rebelle une Mère aimante ?

Je t’aime, Umbarion. Je t’aime comme mon enfant.

Mais tu as refusé mon amour et pris pour tienne ma fureur.

Tu as pris pour tienne ma fureur, pour la faire destruction.

Tu as voulu faire de moi celui que tu as fui.

Tu as cherché en moi sa force ; et espéré que mon amour te protège de sa violence.

Tu as abusé de mon amour Umbarion.

Tu t’es joué de moi trop longtemps.



Celui qui m’appelle Dame Sauvage sans m’appeler Mère est mon ennemi


Tu es mon ennemi.

Enfant rebelle


Traître à deux enfants d’Iben, Paria face à deux d’Alm.

Enfant perdu ayant cherché sente vers le haut.

Je te rends d’où je t’ai pris, mes seules larmes pour trophée.

Qu’à jamais elles te rappellent ce que ta trahison m’a coûté.




Qu’à jamais elles te rappellent pourquoi tu fus rejeté d’Anaëh

Le maître du jeu s’adressant à Haldren : Tu te réveilles en sursaut, le cœur battant et le corps en sueur. Les larmes perlent sur tes joues, mais ces larmes, ce ne sont pas les tiennes. Ces larmes sont la preuve que ce rêve n’en était pas un – la première du moins – car jamais avant cela tes yeux n’ont versé de l’ambre. Mais quoi de plus normal ? Quoi de plus normal pour des yeux rouges de sang et de feu que de cracher ce magma ?

Plus rien. Il n’y a plus rien. Elle t’a tout repris. Elle t’a repris tout ce qui n’était pas tien. Elle t’a rendu à celui que tu étais lorsqu’elle te trouvât, agonisant dans le désert. Ta peau de cendre marquée de la morsure du sel et du sable. Ce qui fut un corps d’éphèbe, rongé par la faim et la soif. Ce qu’il te restait de pouvoir dérobé à son ancien héraut, envolé pour toujours.

Il n’y a plus que toi et toi seul. Seul face à la misère dont elle t’avait repris.

Seul face aux erreurs que tu as commis.

Lentement il se leva, quitta sa couche et marcha d'un pas mal assuré jusqu'au miroir dont il attendait la confirmation de son rêve. Oui bien entendu qu'il y trouva cette confirmation, comment aurait-il pu en être autrement ? Tout songe n'est que mensonge dit le proverbe populaire, sauf lorsqu'une déesse vient s'en mêler en vous baratinant de ses propos sibyllins. Le miroir, lui, ne mentait jamais et offrait une vérité simple à appréhender : ce visage aux traits exquis, ces longs cheveux argentés, ces yeux rougeoyants comme des braises, ce pagne qui lui ceignait les reins. Ce fut presque un cri d'exaltation qui s'arracha à sa gorge desséchée.

Je suis de retour !
Je lui ai failli.

Des larmes coulaient sur ses joues ? Celles d'Umbarion peut-être, après tout lui devait se sentir amèrement trahi et le drow ressenti presque comme le besoin de le réconforter, de lui expliquer que ce qui arrivait se trouvait écrit de toute éternité. Au fond "Il" était "Lui", cette phrase pouvant se lire dans les deux sens. Se faire souffrir soi-même relevait du masochisme et Baenfere ne voulait pas que son double souffre comme lui-même avait souffert face à la trahison d'Uriz. Que le regret l'étreigne un temps s'il le fallait pour obtenir une purge salutaire, mais que les flammes de la passion ne le ravagent pas trop longtemps.

Les Dieux ne sont jamais que d'éternelles désillusions. Des enfants qui nous considèrent comme des jouets et qui nous rejettent dès lors que nous ne les amusons plus.

Un sourire carnassier étira ses lèvres. Quelle foutue ironie du destin de se trouver rejeté par deux divinités dans une seule vie, et en une seule décennie qui plus est. Au fond tout se passait mieux pour lui lorsqu'il se contentait d’ânonner les prières rituelles sans y prêter attention, ses ennuis dataient du moment où il avait tenté d'entrer dans ce vaste jeu mystique dont les règles lui demeuraient obscures. L'obéissance aveugle se voyait mieux récompensée que la quête de vérité... un philosophe aurait sans doute trouver cela des plus intéressants.

Son regard fut attiré par deux petites lueurs brillantes perdues au milieu de ses draps.

Des larmes de déesse... un souvenir.

Une envie violente de jeter par la fenêtre ces deux gouttelettes d'ambre pour clore ce chapitre de sa vie le saisit, mais la colère n'avait jamais constitué un moteur viable au cours de sa longue existence. Respectueusement, Haldren Baenfere récupéra les gouttelettes et les enferma dans une petit sachet de soie qui traînait là.

Une carafe de vin sur la table ne fut pas de trop pour apaiser sa soif, pour chasser cette sensation de poussière qui lui irritait la gorge. Incroyable que Kÿria ait pu lui rendre son état lorsqu'elle l'avait rencontré. Une rapide palpation sur son torse lui confirma d'ailleurs que la blessure infligée par Cécilie ne se trouvait plus là, elle aussi emportée avec sa décennie elfique. Seuls ses souvenirs demeuraient intacts de cette période, les Dieux eux-mêmes semblant incapables de les arracher. Ou peut-être ne le souhaitaient-ils pas, au risque sinon de voir leurs leçons perdues ? Haussant les épaules, le drow alla ouvrir la fenêtre et huma à grandes goulées le bon air puant de Thaar, ce bon air de misère et de vice qui lui offrait tant de promesses.

Et maintenant ?
Maintenant, mon cher "ami" ? Maintenant je suis libre et le monde nous attend.